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17.
Sur les frayeurs de la mort

Puis donc que les enfants participent à la chair et au sang, il y a aussi de même participé, afin que par sa mort il détruisit celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable ; et qu’il en délivrât tous ceux qui, par la crainte de la mort, étaient toute leur vie assujettis à la servitude.

Hébreux 2.14-15

Connaître la mort sans la craindre, c’est le plus haut degré de perfection où l’esprit humain soit capable de parvenir ; c’est le plus haut point de félicité où il puisse arriver dans cette vallée de misère. Je dis connaître la mort sans la craindre, et c’est dans l’union de ces deux choses que se trouve cet effort de génie si digne d’émulation, et cette perfection de félicité si capable d’embraser nos désirs ; car, braver la mort sans la connaître, fermer les yeux à ce qu’elle a de hideux pour la combattre avec succès, bien loin que ce soit une disposition éminente, c’est un dérèglement d’esprit ; bien loin que ce soit le plus haut point du bonheur, c’est le comble de la misère : on a vu des philosophes s’affranchir (si tant est qu’ils l’aient fait véritablement, et si cet extérieur intrépide ne cachait un cœur chancelant) ; on a vu des philosophes s’affranchir des frayeurs de la mort, mais ils ne la connaissaient point : ils ne l’envisageaient que sous des idées empruntées ; ils se la figuraient, ou anéantissant la nature de l’homme, ou le faisant comparaître devant des tribunaux chimériques, ou suivie de quelque félicité imaginaire ; on a vu des héros du siècle braver les frayeurs de la mort, mais ils ne la connaissaient point ; ils se la représentaient couronnée de lauriers, illustrée de trophées, célébrée dans l’histoire ; on a vu, et l’on voit encore tous les jours des libertins braver les frayeurs de la mort ; mais ils ne la connaissent point. Leur indolence est la cause de leur fermeté, et ils ne goûtent de tranquillité qu’en éloignant l’idée d’un période dont ils ne sauraient vaincre l’horreur. Mais ne pas se déguiser la mort, l’envisager dans son véritable point de vue, fixer les yeux sur tous ses traits, soutenir toutes ses frayeurs ; en un mot, connaître la mort sans la craindre, disons-le encore une fois, c’est le plus haut degré de perfection où l’esprit humain soit capable de parvenir, c’est le plus haut point de félicité dont il puisse jouir, dans cette vallée de misère.

La souveraine sapience, mes frères, forme ses enfants au véritable héroïsme : elle fait ce que ni les philosophes par leurs fausses maximes, ni les héros du siècle par leur courage affecté, ni le libertin par son endurcissement et son indolence ; elle fait ce que l’univers entier n’aurait pu produire, et donne seule au chrétien de connaître la mort sans la craindre : tout cela est renfermé dans le texte que vous venez d’entendre : « Par la crainte de la mort, les hommes étaient toute leur vie assujettis à la servitude. » Voilà la puissance de la mort ; voilà son empire, voilà son triomphe. « Jésus-Christ, par sa mort, a détruit celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable, afin qu’il en délivrât tous ceux qui par la crainte de la mort étaient toute leur vie assujettis à la servitude ; » voilà la mort vaincue, voilà ses dépouilles, voilà sa défaite. Idées salutaires qui s’offriront tour à tour dans notre esprit dans la suite de ce discours : « Puis donc que les enfants participent à la chair et au sang, il y a aussi de même participé, afin que par sa mort il détruisît celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable, et qu’il en délivrât tous ceux qui par la crainte de la mort étaient toute leur vie assujettis à la servitude. »

Sur ces premières paroles, « comme les enfants ont participé à la chair et au sang, il a fallu aussi qu’il y participât, » nous remarquerons seulement que par ces « enfants » il faut entendre en général les hommes, et les fidèles en particulier ; par cette « chair et ce sang » il faut entendre, non la corruption, comme dans quelques autres passages de l’Écriture, mais la nature humaine ; ce qui est dit que « Jésus-Christ a participé comme les enfants à la chair et au sang, » indique qu’il a eu un corps comme le nôtre. Après avoir fait ce peu de remarques sur ces premières paroles, nous nous bornons aux deux idées que nous avons indiquées, et nous allons nous employer à prouver cette vérité capitale, que « Jésus-Christ par sa mort a détruit celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable, afin qu’il en délivrât tous ceux qui par la crainte de la mort étaient toute leur vie assujettis à la servitude. »

Les frayeurs de la mort sont exprimées d’une façon bien énergique dans les paroles de ce texte : il nous représente un tyran faisant marcher la mort à son commandement, et soumettant l’univers entier à sa servitude : ce tyran, c’est le démon ; c’est lui dont il s’agit ici, et qui « par la crainte de la mort assujettit les hommes à la servitude. »

Vous êtes épouvantés peut-être de voir tout le genre humain asservi à un maître si odieux. On ne saurait pourtant le révoquer en doute : cet ennemi de notre salut a je ne sais quel empire sur l’univers. Quoique l’Écriture nous parle peu de la nature et des fonctions de cet esprit malheureux, elle nous en dit assez pour nous donner une grande idée de sa puissance, et pour nous le rendre formidable. L’Écriture nous dit 1° qu’il sollicite les hommes au crime, témoin ses démarches auprès de nos premiers pères Matthieu 4.3 ; témoin ce que dit saint Paul dans le chapitre 2 de l’Épître aux Éphésiens, « qu’il agit » avec efficace sur « les enfants de rébellion ; témoin le nom de « tentateur » qui lui est donné. 2° Elle nous dit qu’il accuse les hommes devant Dieu de ces mêmes crimes qu’il les a sollicités à commettre, témoin le prophète Zacharie, qui vit « Jéhosçua le grand sacrificateur se tenant devant l’Éternel, et Satan debout à sa droite pour s’opposer à lui Zacharie 3.2 ; » témoin le nom « d’accusateur » que lui donne saint Jean dans l’Apocalypse : l’Écriture nous dit qu’il tourmente quelquefois les hommes ; témoin l’histoire de Job ; témoin ce que dit saint Paul, qu’il a « livré à Satan 1 Corinthiens 5.2 » l’incestueux de Corinthe. Cette puissance de livrer à Satan, pour le dire en passant, était une portion des dons miraculeux qui étaient donnés aux apôtres, dons qui s’étaient perpétués jusques aux siècles suivants, du moins si nous en croyons Paulina, qui raconte qu’un scélérat fut livré par saint Ambroise au démon qui le déchira. Enfin vous voyez que le démon est appelé dans l’Écriture « le Dieu du siècle 2 Corinthiens 4.4, le prince de l’air Éphésiens 2.2 » vous voyez aussi qu’il y est représenté comme émouvant la mer, excitant des tempêtes, frappant les hommes de divers genres de plaies.

a – Paulin, de Vit. Ambr.

Mais si le démon est représenté comme ayant influence sur nos maux, il nous est représenté surtout comme en ayant sur notre mort, qui est le dernier et le plus formidable de tous. Les Juifs avaient ces idées : ils ne se contentaient pas même d’une notion générale sur cet article, ils entraient dans le détail (car, mes frères, c’a été la maladie de tous les siècles de parler affirmativement sur les choses les plus cachées), ils disaient que le démon qu’ils nommaient Samaël « avait l’empire de la mortb ; » que sa puissance s’étendait jusqu’à empêcher la résurrection des méchants. Saint Paul dans notre texte adopte leur style, selon sa coutume, en rejetant leur erreur ; il qualifie le démon « celui qui a l’empire de la mort, et qui, par la crainte de la mort, assujettit les hommes pendant toute leur vie à la servitude. »

b – Thalm. in libr. Capht.

Mais que cette image ne vous épouvante point, chrétiens : « II n’y a point d’enchantement contre Jacob, et ces devins ne peuvent rien contre Israël Nombres 23.23. Maintenant est le salut, la force, le règne de notre Dieu, et la puissance de son Christ, car l’accusateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit devant Dieu, a été précipité, et il a été vaincu par le sang de l’agneau Apocalypse 12.10. » Développons nos réflexions : trois idées rendent la mort redoutable à l’homme ; trois idées la désarment aux yeux du chrétien ; les voiles qui couvrent au mourant l’économie où il va rentrer, les remords qu’excitent dans sa conscience le souvenir de ses crimes, la perte de ses titres, de ses honneurs, de tout ce qu’il possédait sur la terre ; voilà principalement en quoi celui qui a l’empire de la mort assujettit les hommes à la servitude ; voilà ce qui rend la mort formidable. La mort de Jésus-Christ lève le voile qui nous cachait l’avenir, et c’est une preuve authentique de l’immortalité de l’âme : la mort de Jésus-Christ est un sacrifice présenté pour nos péchés à la justice divine ; la mort de Jésus-Christ nous assure une éternité bienheureuse ; voilà trois idées qui désarment la mort aux yeux du mourant, et voilà en abrégé le commentaire de ce texte. Le démon nous faisait craindre la mort par l’incertitude touchant la nature de nos âmes ; la mort de Jésus-Christ nous rassure, parce qu’elle nous prouve que nos âmes sont immortelles. Le démon nous faisait craindre la mort par le souvenir de nos crimes ; la mort de Jésus-Christ nous rassure, parce qu’elle expie nos crimes. Le démon nous faisait craindre la mort en nous rendant sensibles à la perte des biens que la mort nous va enlever ; la mort de Jésus-Christ nous rassure, parce qu’elle nous est un gage d’une félicité éternelle : la première de ces idées nous représente Jésus-Christ comme un martyr qui a scellé de son sang une doctrine toute fondée sur l’immortalité de l’âme ; la seconde nous le représente comme une victime qui s’offre pour nous à la justice divine ; et la troisième comme un conquérant qui nous a acquis par sa mort un royaume bienheureux. Si nous n’avions d’autre but que de vous donner des idées générales de la pensée des auteurs sacrés, nous mettrions ici des bornes à ce discours ; mais ces vérités, envisagées de cette manière, feraient peu d’impression sur vous ; il faut les presser, et, opposant à chaque article de l’empire du démon celui du triomphe de Jésus-Christ, mettre ainsi dans le plus beau jour qu’il sera possible cette vérité de notre texte, que « Jésus-Christ par sa mort a détruit celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable, afin qu’il en délivrât tous ceux qui, par la crainte de la mort, étaient toute leur vie assujettis à la servitude. »

Première idée qui rend la mort redoutable, premier joug auquel le prince de la mort asservit les hommes : la crainte du néant qu’il offre à leurs yeux ; le plus grand de nos avantages, celui qui est le fondement de tous les autres, c’est l’existence : aussi voyons-nous que les vieillards, quoique usés dans toutes leurs facultés, ont toujours je ne sais quelle supériorité sur les jeunes gens. Cette pensée qu’il fut un temps où ils existaient, tandis que les jeunes gens n’existaient point, cause cette supériorité, et les jeunes gens à leur tour sentent une supériorité qui leur vient de ce qu’un temps se prépare où ils existeront, tandis que les autres ne seront plus. La mort termine en apparence un avantage qui est le fondement de tous les autres : est-il étonnant qu’elle nous épouvante par cette idée ?

En vain nous alléguera-t-on, pour nous rassurer, les arguments que fournit une raison, même une raison bien dirigée ; s’ils sont convaincants en eux-mêmes, et capables de frapper un esprit philosophe, ils sont au-dessus des esprits vulgaires, à qui les termes seuls de spiritualité, d’existence sont entièrement barbares : en vain nous alléguera-t-on ce qu’ont dit les plus sensés d’entre les païens sur cette matière, et ce que Tacite rapporte que Sénèque, entrant dans ce bain qui devait recueillir le sang qui allait sortir de ses veines, jeta de l’eau sur ses serviteurs qui étaient autour de lui, ajoutant ces belles paroles, qu’il offrait cette eau en forme de sacrifice à Jupiter libérateurc. Pour nous rassurer contre une si grande frayeur, il nous faut des guides plus fidèles que notre raison ; pour nous persuader l’immortalité de nos âmes, il faut des garants plus fidèles que les Socrate et que les Platon. Or ce guide, mes frères, c’est la croix de Jésus-Christ ; ce garant, c’est Jésus-Christ mourant : deux principes démontrent cette vérité : 1. La doctrine de Jésus-Christ établit l’immortalité de l’âme. 2. La mort de Jésus-Christ est une preuve invincible de la vérité de sa doctrine.

cAnnal, liv. XV.

1. Que la doctrine de Jésus-Christ établisse l’immortalité de l’âme, c’est ce que personne ne nous conteste ; il ne faut qu’avoir des yeux pour s’en convaincre ; aussi ne ferons-nous qu’une remarque sur cet article, c’est que le dogme de l’immortalité ne doit pas être considéré dans la doctrine de Jésus-Christ comme un de ces points sans lequel elle peut demeurer dans son entier ; c’est un point sans lequel il n’y a point de christianisme, et hors duquel la religion chrétienne, cette religion la plus pleine et la plus complète, devient la plus imparfaite et la plus vide. Toute la doctrine de Jésus-Christ roule sur ce principe, que nos âmes sont immortelles : pourquoi Jésus-Christ, le maître de la nature, n’a-t-il qu’une crèche pour berceau et qu’une étable pour palais ? C’est que « son règne n’est point de ce monde Jean 18.36 : » cela suppose l’immortalité. Pourquoi ne faut-il pas craindre les tyrans qui nous traînent dans les prisons et dans les cachots, qui nous attachent à des croix, qui nous étendent sur des roues ? C’est qu’ils ne peuvent que « tuer le corps Matthieu 10.28, » et qu’ils ne peuvent rien sur l’âme : cela suppose l’immortalité. Pourquoi les chrétiens s’estimeraient-ils malheureux, si, aux dépens de leur conscience, ils parvenaient à la conquête de l’univers ? C’est « qu’il ne sert de rien à l’homme de gagner tout le monde, s’il perdait son âme Matthieu 16.26 : » cela suppose l’immortalité. Pourquoi ne sommes-nous pas les plus misérables des créatures ? C’est que nous n’espérons pas « en Christ pour cette vie seulement 1 Corinthiens 15.19 : » cela suppose l’immortalité. La doctrine de Jésus-Christ établit donc le dogme de l’immortalité de l’âme.

2. Mais nous avons dit aussi que la mort de Jésus-Christ est une preuve de sa doctrine. Il avait proposé sa mort, comme un signe auquel on pourrait reconnaître s’il était venu de Dieu. C’était là où il renvoyait les incrédules : ni la pureté de sa vie, ni la sainteté de sa morale, ni l’éclat de ses miracles n’avaient encore pu les convaincre de la vérité de sa mission ; ils voulaient signes sur signes, et prodiges sur prodiges. Jésus-Christ se retranche à un seul : « Abattez ce temple, je le rebâtirai dans trois jours Jean 2.19. La race méchante et adultère demande un miracle, mais il ne lui en sera accordé aucun autre que celui du prophète Jonas Matthieu 12.39. » Ce miracle ne pouvait être équivoque, et ce miracle a été accompli. Il n’y a plus de lieu de douter d’une vérité prouvée d’une manière si éclatante.

Nos pères avaient inventé, sans doute avec plus de simplicité que de raison, une épreuve bien singulière pour s’assurer de la sincérité des accusésd ; ils leur présentaient un fer chaud : si le criminel avait la constance de l’empoigner, s’il n’était point endommagé par l’action de ce métal embrasé, il était renvoyé absous. Cette épreuve était, comme nous avons dit, inventée avec plus de simplicité que de raison, personne n’étant en droit de supposer que Dieu fera un miracle pour justifier son innocence aux yeux de ses juges. Cependant j’avoue que si j’avais vu de mes yeux une pareille épreuve, si j’avais vu cet élément qui dissout et qui dévore les corps les plus durs respecter la main d’un homme accusé, je serais frappé d’un pareil spectacle.

d – Pasquier, Recherch. sur la France, liv. IV, 2.

Mais que dirons-nous de Jésus-Christ après l’épreuve qu’il a faite ? Il a passé « par le feu » et il n’en a point été « consumé Ésaïe 43.2. » Il est allé jusque dans le sein du sépulcre, le sépulcre l’a respecté, et ces antres insatiables qui ne disent jamais « c’est assez » se sont ouverts pour le laisser revenir à la lumière. Vous sentez la force de cet argument. Jésus-Christ étant mort pour soutenir la vérité d’une doctrine toute fondée sur le dogme de l’immortalité de l’âme, il n’y a plus à douter que l’âme ne soit immortelle.

Arrêtons-nous ici un moment, et avant que d’aller plus loin, considérons combien ce dogme si bien prouvé, si bien établi, est propre à nous rassurer contre les frayeurs de la mort. Supposez pour un instant que nous ne sachions rien sur l’état des âmes après la vie, et sur l’économie dans laquelle nous devons entrer ; supposez que Dieu ne nous eût rien révélé sur cet article, si ce n’est que nos âmes sont immortelles, un peu de méditation dans ce cas même devrait nous porter plutôt à désirer la mort qu’à la craindre ; il est probable que l’âme, dégagée de ses sens, dans lesquels elle est enveloppée, subsistera d’une manière infiniment plus noble qu’elle ne faisait ici-bas, durant son union avec la matière. Nous sommes très convaincus que notre corps contribuera un jour à notre félicité ; c’est une partie essentielle de notre être, sans laquelle notre bonheur est imparfait. Mais cette nécessité, qui attache les fonctions de l’âme sur la terre aux mouvements irréguliers d’une matière déréglée, est un véritable esclavage : l’âme est prisonnière dans ce corps. Un prisonnier est un homme susceptible de mille plaisirs, mais qui ne jouit pourtant que des biens compatibles avec le lieu qui le renferme : il ne parcourt que l’espace de ce cachot qui le retient ; il ne voit la lumière que par l’ouverture de ce cachot ; il n’a de commerce qu’avec ceux qui s’approchent de ce cachot : qu’on lui ouvre les portes de sa prison, le voilà par cela même dans un état plus heureux ; dès lors il peut discourir avec tous les hommes du monde, dès lors il peut regarder tout le corps de la lumière ; dès lors il peut parcourir l’univers entier.

Voilà le portrait de l’âme : prisonnière de ses sens, elle ne jouit que des biens qui ont du rapport à ses sens ; elle ne voit que par les peaux et par les fibres de ses yeux ; elle n’entend que par l’action des nerfs et du tympan de ses oreilles ; elle ne pense que selon que son cerveau est différemment modifié. L’âme est susceptible de mille plaisirs, dont elle n’a pas même d’idée. Un aveugle a une âme capable d’avoir la sensation de la lumière ; s’il en est privé, c’est que ses sens sont mal disposés. Nos âmes sont susceptibles de mille sensations ; si elles ne les reçoivent point dans cette économie d’imperfections et de misères, c’est parce que Dieu veut qu’elles ne sentent qu’à l’occasion des mouvements de ses organes, et que ces organes étant bornés, elles ne peuvent avoir que des sensations bornées : mais qu’on donne l’essor à sa nature ; qu’on rompe cette prison ; voilà l’âme susceptible de mille plaisirs nouveaux. Pourquoi me montrez-vous ce cadavre ? Pourquoi déplorez-vous ces yeux fermés à la lumière, ces esprits dissipés, ce sang glacé dans ces veines, cette masse sans mouvement et sans vie ? pourquoi dites-vous : Mon ami, mon père, mon époux n’est plus, il ne voit plus, il n’entend plus, il n’agit plus. Il ne voit plus, dites-vous ? il ne voit plus, je l’avoue, par ces rayons visuels qui se formaient dans sa rétine, mais il voit comme ces pures intelligences qui ne furent jamais revêtues de chair mortelle ; il n’entend plus par l’action de la matière éthérée, mais il entend comme un esprit pur ; il ne pense plus par l’intervention des fibres de son cerveau, mais il pense par sa propre essence, parce qu’ayant un esprit, la faculté de penser lui est essentielle et inséparable de sa nature.

Mais en vain serions-nous rassurés contre la crainte de n’être plus, si nous ne l’étions contre la crainte d’être misérables : en vain aurions-nous prouvé que nos âmes sont immortelles, si nous avions lieu de nous persuader qu’elles tomberont entre les mains d’un Dieu vengeur : en ce cas, ce qui fait la grandeur de l’homme ferait sa misère. Dissipons cette crainte ; après avoir envisagé Jésus-Christ comme un martyr qui scelle de son propre sang la doctrine qu’il a prêchée, et sa mort comme un argument pour l’immortalité de l’âme enseignée dans cette doctrine, envisageons ce divin Sauveur comme une victime que Dieu a substituée à notre place, et sa mort comme un sacrifice offert à la justice divine, pour l’expiation de nos crimes.

Un des principaux écueils qu’il faut éviter dans les controverses, et particulièrement dans celle-ci, c’est de se persuader que les arguments ont tous une force égale. Il faut bien prendre garde de marquer à chacun ses véritables limites, et dire : Cet argument prouve jusque-là, cet autre prouve jusque-là. Il faut aller ainsi de degré en degré jusqu’à la vérité, et faire de ces arguments réunis une démonstration d’autant plus forte, qu’on aura accordé à ceux qui la contestent tout ce qu’ils pouvaient avoir quelque droit de demander. Sur ce principe, nous divisons nos arguments en deux classes ; nous ne proposons les premiers que comme des préjugés en faveur du dogme de la satisfaction ; nous érigeons les autres en démonstrations. Voici la première classe.

1. Nous alléguons la raison humaine : nous ne disons pas que la raison humaine puise dans ses propres lumières la vérité de ce dogme. Bien loin de là, nous soutenons que c’est là un de ces mystères qui sont infiniment au-dessus de sa portée ; « ce sont des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point venues dans l’esprit de l’homme 1 Corinthiens 2.9. » Mais nous disons que ce mystère n’a rien qui choque la raison humaine, et qu’il ne renferme aucune ombre de contradiction. Que croyons-nous ? Que Dieu a uni la nature humaine à la nature divine dans la personne de Jésus-Christ, à peu près comme il a uni le corps avec l’esprit dans la personne de l’homme ; nous disons que ce composé (passez-nous cette expression) d’humanité et de divinité a souffert dans ce qu’il a eu d’humain ; que ce qu’il y avait de divin a donné du prix aux souffrances de l’homme, à peu près comme nous respectons un corps humain, non pas comme corps matériel, mais comme uni à une âme intelligente : voilà dans quels termes nous proposons notre mystère. Il n’y a rien là qui renferme de la contradiction. Si nous disions que la divinité et l’humanité ont été confondues ou communes ; si nous disions que la divinité qui est impassible a souffert ; si nous disions que Jésus-Christ comme Dieu a satisfait à Jésus-Christ comme Dieu, la raison aurait lieu de se récrier ; mais nous disons que Jésus-Christ a souffert comme homme ; nous disons que les deux natures ont été distinctes ; nous disons que Jésus-Christ souffrant comme homme a satisfait à Dieu soutenant les droits de la Divinité. Voilà le premier pas que nous faisons dans cette carrière ; ce premier argument nous ne le portons que jusque-là.

2. Notre second argument est pris de la justice divine. Nous disons que la justice divine n’a rien qui doive nous éloigner de ce dogme, et qui ne soit même très propre à nous y conduire. La justice divine serait opposée à notre dogme si nous disions que Jésus-Christ innocent a souffert comme innocent ; mais nous disons qu’il a souffert comme chargé des péchés de tout le genre humain. La justice divine serait opposée à notre dogme, si nous disions que Jésus-Christ a été chargé de nos péchés malgré lui ; mais nous disons que c’a été volontairement. La justice divine serait opposée à notre dogme, si nous disions que Jésus-Christ s’est chargé des crimes des hommes pour les y affermir ; mais nous disons qu’il s’en est chargé afin de les sanctifier en les pardonnant. La justice divine serait opposée à notre dogme, si nous disions que Jésus-Christ en se chargeant de nos crimes a succombé sous leur poids, en sorte que l’univers a été privé en faveur de quelques coupables de l’être le plus éminent qui pût jamais subsister ; mais nous disons que Jésus-Christ en mourant pour nous est sorti vainqueur de la mort et du tombeau. Ainsi la justice divine n’a rien qui s’oppose à notre dogme.

Bien plus, elle nous y conduit directement. La satisfaction convient à ses droits. Nous ne déciderons point ici la question, si Dieu peut, sans renier ses perfections, pardonner des péchés, et ne pas exiger de satisfaction. Quelque avantage que nous eussions contre ceux qui nous nient cette thèse, nous ne voulons pas la presser ici. Mais toujours on sera contraint de nous accorder, que si la sagesse de Dieu trouve un moyen de satisfaire avec éclat à la justice, lors même qu’elle répand ses bontés avec largesse ; si elle peut donner à l’univers une preuve authentique de l’horreur qu’elle a pour le crime, lors même qu’elle pardonne au criminel ; s’il y a une voie pour retenir les pécheurs dans la crainte, lors même qu’on leur fait miséricorde, il est plus à propos d’employer ce moyen que de ne pas le faire. C’est le second pas que nous faisons dans cette carrière ; nous ne portons ce second argument que jusque-là.

3. Notre troisième considération est prise des sentiments de la conscience et de la pratique de tous les peuples. Voyez les peuples les plus polis, et les peuples les plus barbares, les nations les plus idolâtres, et celles qui ont eu les plus saines idées de la religion ; consultez les auteurs les plus anciens et les auteurs les plus récents, transportez-vous chez les Égyptiens, chez les Phéniciens, chez les anciens Gaulois, chez les Carthaginois, vous verrez que dans tous les temps, et dans tous les lieux, les hommes ont cru que la Divinité voulait qu’on lui offrit des sacrifices ; des sacrifices même qui eussent, autant qu’il était possible, de la proportion avec sa grandeur. De là ces temples, de là ces hécatombes, de là ces victimes humaines, de là ce sang qui ruisselait sur les autels, et tant d’autres pratiques dont personne ne nous conteste la vérité. Quelle conséquence tirons-nous de cet article ? La vérité de la satisfaction ? Non, nous ne portons pas jusque-là notre conclusion ; nous concluons seulement qu’on n’a pas lieu de se récrier contre la religion chrétienne, si elle nous apprend que Dieu a voulu que sa justice fût satisfaite par un sacrifice expiatoire, avant que de donner un libre cours à sa bonté ; ce troisième argument nous le portons jusque-là.

4. Une quatrième réflexion roule sur l’accord de notre foi sur cet article, avec celle de tous les siècles qui se sont écoulés depuis Jésus-Christ jusqu’à nous. Tous les siècles du christianisme ont parlé comme nous sur ce sacrifice. Abrégeons, ceux qui voudront s’instruire à fond sur cet article trouveront un recueil exact des témoignages des Pères, à la fin du traité de la satisfaction composé par le fameux Grotius. Ainsi le dogme de la satisfaction n’est pas un dogme nouveau ; il est venu de siècle en siècle depuis Jésus-Christ jusqu’à nous ; nous ne portons cet argument que jusque-là.

Voilà une classe d’arguments que nous ne voulons vous faire envisager encore que comme des préjugés en faveur du dogme de la satisfaction, et voici, ce me semble du moins, ce que nous sommes en droit d’en conclure : un dogme dans lequel la raison humaine ne trouve aucune contradiction ; un dogme qui n’a rien d’opposé aux attributs de Dieu et auquel les attributs de Dieu semblent même nous conduire ; un dogme conforme aux sentiments de la conscience, et à la pratique des hommes dans tous les temps et dans tous les lieux ; un dogme reçu dans tous les siècles de l’Église chrétienne ; un dogme qui dans toutes ses parties ne nous paraît avoir rien que de très digne de Dieu, quand nous l’examinons au tribunal de notre méditation propre ; un tel dogme n’a rien contre quoi nous devions nous effaroucher, et que nous ne devions être portés à recevoir, si nous le trouvons dans nos Écritures.

Or, mes frères, il n’y a qu’à ouvrir l’Évangile pour y rencontrer des témoignages exprès sur cette matière, et il y a non seulement un nombre infini de passages, mais une multitude de classes de ces passages.

Dans une première classe, il faut mettre tous ces passages qui disent que Jésus-Christ est mort pour nous ; il serait difficile de les compter : « J’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné, » dit saint Paul aux Corinthiens, « c’est que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures 1 Corinthiens 15.3. Jésus-Christ a souffert une fois lui juste, pour nous injustes, afin qu’il nous amenât à Dieu 1 Pierre 3.18… »

Dans une seconde classe, il faut mettre ces passages qui disent que Jésus-Christ a porté la peine que nous avions méritée : le chapitre 53 d’Esaïe roule tout entier sur cette matière ; les apôtres ont tenu un même langage. Ils ont dit qu’il « a été fait péché, qu’il a été fait malédiction pour nous, qu’il a porté nos péchés en son corps sur le boise. »

eGalates 3.13 ; 2 Corinthiens 5.21 ; 1 Pierre 2.24.

Dans une troisième classe, il faut mettre tous ces passages où notre salut est envisagé comme étant le fruit de la mort du Christ. Ceux que nous combattons se fondent sur ce que nous avons établi, dans notre première partie, que la mort de Jésus-Christ a été une preuve de la vérité de sa doctrine ; ils disent que c’est la raison pour laquelle notre salut est regardé comme l’effet de cette mort. Mais si la mort de Jésus-Christ ne nous sauve que parce qu’elle a scellé une doctrine qui nous conduit au salut, d’où vient donc que notre salut n’est jamais attribué à ces autres parties de son ministère, qui n’ont pas moins contribué que sa mort à confirmer cette doctrine ? Les miracles de Jésus-Christ, par exemple, n’ont-ils pas été des preuves aussi authentiques de sa doctrine que sa mort ? D’où vient que notre salut ne leur est point attribué ? C’est cela même que nous disions : l’ascension, la résurrection, les miracles, étaient bien nécessaires pour nous persuader que la colère de Dieu était apaisée, mais sa mort seule était capable de l’apaiser : vous sentirez mieux la force de cet argument, si vous considérez la liaison de notre texte avec ce qui le suit : « il fallait qu’il fût semblable en toutes choses à ses frères, afin qu’il fût un souverain sacrificateur, fidèle dans tout ce qu’il fallait faire auprès de Dieu pour expier les péchés du peuple. » Si la mort de Jésus-Christ ne nous sauve que parce qu’elle a scellé la vérité de sa doctrine, pourquoi était-il nécessaire qu’il revêtît notre chair ? S’il fût descendu du ciel avec l’appareil de sa gloire, si on l’eût vu sur Sion tel qu’on le vit sur Sinaï, avec le feu des éclairs, avec le son du tonnerre, avec le cortège des anges, l’Évangile n’eût-il pas été infiniment mieux confirmé que par la mort d’un homme ? Pourquoi donc Jésus-Christ est-il mort ? C’est qu’il fallait que la victime de nos péchés mourût : c’est le raisonnement de saint Paul. Et c’est pour cela que jamais notre salut n’est attribué à la mort des martyrs, quoique la mort des martyrs ait été, comme celle de Jésus-Christ, une preuve de la vérité de l’Évangile.

Dans une quatrième classe, il faut mettre tous ces passages qui nous font envisager la mort de Christ comme le corps et la réalité, dont tous les sacrifices n’étaient que la figure et que l’ombre : nous en choisissons un seul dans la foule ; c’est la plus grande partie de l’Épître aux Hébreux. Il est clair que le but de l’auteur est d’engager les chrétiens à chercher dans le sacrifice de Jésus-Christ ce que les Juifs cherchaient vainement dans les autres. Or, que cherchaient les Juifs dans leurs sacrifices ? N’était-ce pas d’apaiser la Divinité ? Si donc les sacrifices des Juifs n’expiaient les péchés qu’en figure et qu’en ombre, si le sacrifice de Jésus-Christ en est la réalité et le corps, ne suit-il pas que Jésus-Christ a expié nos péchés réellement et à la lettre ? Dire que les sacrifices lévitiques n’étaient pas offerts pour les grands crimes, mais seulement pour certains péchés externes qui souillaient plutôt la chair qu’ils ne portaient atteinte à la conscience, c’est vouloir soutenir une erreur par une autre erreur, car il n’y a qu’à ouvrir les yeux, pour voir que les sacrifices lévitiques étaient offerts pour les péchés les plus atroces : n’y en eût-il pour témoin que le sacrifice anniversaire, dans l’oblation duquel Aaron « mettait les deux mains sur la tête du bouc vivant, confessant sur lui toutes les iniquités des enfants d’Israël, et tous leurs forfaits, et le bouc portait sur soi toutes les iniquités Lévitique 16.21-22. » Ce sont les paroles du Lévitique.

Dans une cinquième classe, il faut mettre les circonstances de la passion de Jésus-Christ et de son agonie ; cette tristesse, ces craintes, ces agitations, ces cris, ces larmes, ces sueurs comme de sang, ces plaintes amères : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné Matthieu 27.46 ? » L’argument que nous en dirons vous paraîtra plus pressant encore, si vous faites cette réflexion, qu’il n’y a jamais eu d’homme dans l’univers qui ait dû mourir avec tant de joie que Jésus-Christ, s’il n’a souffert qu’une mort ordinaire. Jésus-Christ mourait avec une parfaite soumission pour son père, et avec un amour fervent pour le genre humain ; Jésus-Christ mourait avec une parfaite assurance de la justice de sa cause et de l’innocence de sa vie ; Jésus-Christ mourait parfaitement persuadé de l’immortalité de l’âme et de la certitude d’une autre vie ; Jésus-Christ mourait avec l’assurance du bonheur dont il allait jouir après sa mort. Il était venu de Dieu, il allait y retourner : il devait même y avoir quelque chose de plus particulier dans son triomphe que dans celui du commun des fidèles. Parce qu’il « s’était anéanti souverainement, Dieu allait lui donner un nom par-dessus tout nom Philippiens 2.7-9. » Une nuée devait lui servir de char de triomphe, et l’Église triomphante allait s’écrier en le recevant : « Portes, élevez vos têtes ; portes éternelles, haussez-vous Psaumes 24.7. » Que fera donc Jésus-Christ ? Ira-t-il à la mort avec joie ? Dira-t-il comme saint Paul : « Mon désir tend à déloger ! » S’écriera-t-il : « On distribue aujourd’hui des couronnes, et je vais pour y avoir part ? » Non, Jésus-Christ tremble, il pâlit, il craint, il sue des grumeaux de sang, pendant que les martyrs, avec de moindres lumières, avec de moindres motifs, ont bravé la mort, ont affronté les plus cruels supplices, ont étonné leurs bourreaux : d’où vient cette différence ? De cela même que nous soutenons ; la mort de Jésus-Christ était bien différente de celle des martyrs ; les martyrs trouvaient la mort désarmée, Jésus-Christ mourait pour la désarmer ; les martyrs allaient au tribunal de la grâce, Jésus-Christ allait au tribunal de la justice ; les martyrs plaidaient pour Jésus-Christ, Jésus-Christ plaidait pour les martyrs. Que le démon vienne donc m’épouvanter avec l’image de mes crimes, qu’il les trace devant mes yeux avec les plus noires couleurs, qu’il réunisse dans un point tout ce qu’il y eut de noir et de hideux dans ma vie ; qu’il veuille m’épouvanter par l’idée de ce tribunal redoutable, où toutes les actions des hommes doivent être examinées ; que, tel que le sacrificateur Jéhosçua, je me trouve même devant Dieu, revêtu « d’habillements sales, » et ayant autour de moi Satan pour découvrir ma turpitude ; j’entends aussi quelqu’un qui plaide pour moi ; j’entends une voix qui crie : « Celui-ci n’est-il pas un tison retiré du feu ? Qu’on lui ôte ses habits sales, qu’une tiare éclatante soit posée sur sa tête, qu’il soit revêtu d’habits neufs Zacharie 3.3-5 »

Envisageons maintenant la mort comme un naufrage universel, où sont enveloppés tous nos biens ; envisageons Jésus-Christ comme un conquérant, et sa mort comme un gage d’un bonheur immense, dont la certitude nous console de la perte de ces biens que la mort va nous enlever.

Quand nous voulons bégayer dans cette chaire sur la félicité que Dieu nous prépare dans un autre monde, nous empruntons des images de tout ce qui est capable de vous toucher et de vous plaire : nous appelons à notre secours votre esprit avec ses perfections, votre corps avec ses beautés, la nature avec ses trésors, la société avec ses charmes, l’Église avec ses triomphes, l’éternité avec ses abîmes : de tous ces traits réunis, nous composons ce tableau de la félicité céleste.

L’esprit de l’homme nous fournit un trait, et nous disons : Dans le ciel, votre esprit sera élevé au plus haut degré de perfection auquel il soit capable d’atteindre ; il aura de grandes lumières, il aura de grandes vertus, il sera « transformé de gloire en gloire 2 Corinthiens 3.18. »

Votre corps nous fournit un deuxième trait, et nous disons : Dans le ciel, votre corps sera exempt de ces défauts qui le défigurent, de ces maladies qui le minent, de cette mort qui le renverse. La nature nous fournit un troisième trait, et nous disons : Dans le ciel, seront déployées toutes les richesses de la nature ; « les fondements de la sainte cité sont de jaspe, ses portes sont des perles, ses murailles sont d’or pur Apocalypse 21.2. »

La société nous fournit un quatrième trait, et nous disons : Dans le ciel, il y a un choix des esprits les plus nobles, des âmes les plus épurées, des cœurs les plus généreux.

L’Église nous fournit un cinquième trait, et nous disons : Dans le ciel, les tyrans seront confondus, les saints seront sur le trône, les martyrs auront des palmes à la main, et des couronnes sur leurs têtes.

L’éternité nous fournit un sixième trait, et nous disons : Dans le ciel, il y aura un bonheur infini dans sa durée, et immense dans son degré ; les années accumulées, les siècles amoncelés, n’en diminueront pas la longueur, et ainsi du reste.

Aujourd’hui, chrétiens, que nous vous présentons la mort comme un naufrage universel, où sont enveloppés vos biens, vos titres, vos grandeurs, vos richesses, vos sociétés, tout ce que vous étiez, et tout ce que vous espériez d’être ; aujourd’hui qu’il s’agit de vous donner une idée de la félicité céleste, qui puisse vous faire voir sans frémir ce naufrage universel, où vous allez être enveloppés ; aujourd’hui nous voulons que vous conceviez le ciel, et le bonheur que Dieu vous y prépare, sous une autre idée : nous en traçons un nouveau trait dont l’éclat efface celui de tous les autres. Nous édifions sur le fondement de saint Paul : « Celui qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous à la mort, ne nous donnera-t-il pas toutes choses avec lui Romains 8.32 ? » Le bonheur céleste est le prix de la mort de Jésus-Christ. Réunissez ici, mes frères, tout ce qui est capable de relever dans vos esprits ce que cette mort a de grand.

Envisagez-la, cette mort, par rapport aux types qui l’ont figurée, par rapport aux ombres qui l’ont tracée, par rapport aux cérémonies qui l’ont représentée, par rapport aux oracles qui l’ont prédite. Envisagez-la, cette mort, par rapport aux foudres et aux carreaux qui ont été lancés sur la tête de Jésus-Christ : voyez cette âme accablée de tristesse, ce sang découlant en terre, cette coupe d’amertume dont votre Sauveur est abreuvé ; écoutez ces insultes, ces calomnies, ces accusations, ces sentences d’iniquité ; regardez ses pieds et ses mains cloués, ce corps qui n’est bientôt qu’une plaie, cette populace effrénée acharnée à sa croix, et augmentant l’horreur de son supplice ; allez jusque dans le ciel même, voyez le Père éternel abandonnant son Fils à tant de maux, voyez l’enfer de concert avec le ciel, et le ciel avec la terre.

Envisagez-la, cette mort, par rapport aux signes terribles qui l’ont accompagnée, par rapport à cette terre qui tremble, à ce soleil qui s’obscurcit, à ces pierres qui se fendent, à ces sépulcres qui s’ouvrent, à ces morts qui retournent à la lumière.

Envisagez-la, cette mort, par rapport à la grandeur de Dieu, et à la petitesse de l’homme, pour qui toute cette sanglante scène se passe.

Réunissez tous ces traits, et dites-vous encore, la mort de Jésus-Christ est tout cela : la mort de Jésus-Christ est le corps des figures, l’original des types, la réalité des ombres, l’accomplissement des oracles : la mort de Jésus-Christ est ce grand événement qui a obscurci le soleil, qui a ouvert les tombeaux, qui a fendu les pierres, qui a fait trembler la terre, qui a bouleversé la nature et les éléments. Suivez ces réflexions, arrêtez là votre imagination.

La mort de Jésus-Christ ainsi conçue, appliquez-la au sujet que nous traitons ; la mort de Jésus-Christ ainsi conçue, qu’elle vous serve à vous former une idée de la félicité céleste ; bâtissez encore sur le fondement de saint Paul ; dites avec cet apôtre : « Celui qui n’a point épargné son propre fils, mais qui l’a livré pour nous à la mort, ne nous donnera-t-il pas toutes choses avec lui ? » Vous regrettez le monde, vous qui devez aller au ciel ! Et qu’est-ce que le ciel ? C’est le prix de cette mort. « Celui qui n’a point épargné son propre fils, mais qui l’a livré pour nous à la mort, ne nous donnera-t-il pas toutes choses avec lui ? » Si le moyen est si grand, quelle doit être la fin ? Si les préparatifs sont si riches, quel sera l’événement ? Si le combat est si rude, quelle sera la victoire ? Si le prix est si précieux, quel, quel sera le bien acquis à ce prix ?

Après cela, revenez au monde, mes frères ; que regrettez-vous ? Vous, regrettez-vous des palais, des sceptres et des couronnes ? Vous, regrettez-vous une houlette que vous portez, une cabane qui vous loge ? Vous, regrettez-vous une société, une société dont les défauts ou les perfections sont souvent pour vous une source égale de misères ? Ah ! fantôme de notre cupidité, paraîtrez-vous encore à nos yeux, et tiendrez-vous bon encore contre ces biens réels que la mort de Jésus-Christ nous acquiert ? Ah ! « citernes crevassées, » l’emporterez-vous encore dans nos esprits sur les « fontaines vives des eaux Jérémie 2.13 ? » Ah ! sacrificateur de la nouvelle alliance, aurons-nous encore de la peine à te suivre, lorsque tu nous conduis dans les lieux saints, à la trace sanglante de ta croix et de ton martyre ? Jésus-Christ est un conquérant qui nous a acquis un royaume de félicité et de gloire, sa mort est un gage précieux d’une éternité triomphante.

La mort n’a donc plus rien de redoutable pour le chrétien ; dans le tombeau de Jésus-Christ sont dissipées toutes les frayeurs qui se trouvaient dans le tombeau de la nature : dans le tombeau de la nature, je vois une sombre nuit, à travers laquelle je ne puis percer ; dans le tombeau de Jésus-Christ, je vois la lumière et la vie : dans le tombeau de la nature, je vois les peines de mes crimes ; dans le tombeau de Jésus-Christ, je vois mes crimes expiés ; dans le tombeau de la nature, je vois la triste destination d’Adam et de sa malheureuse postérité : « Tu es poudre, et tu retourneras en poudre Genèse 3.19. » Dans le tombeau de Jésus-Christ, j’éclate en actions de grâces. « Où est, ô mort, ton aiguillon ? Où est, ô sépulcre, ta victoire ? Grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il a détruit par sa mort celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable, afin qu’il en délivrât tous ceux qui, par la crainte de la mort, étaient toute leur vie assujettis à la servitude 1 Corinthiens 15.35. »

Application

Mais si ce sont là nos privilèges, n’est-ce pas un opprobre pour nous, mes frères, qu’élevés dans une religion qui nous fournit des armes si puissantes contre les frayeurs de la mort, nous ne l’envisagions pour la plupart qu’avec frayeur ? Le fait n’est que trop avéré : pour peu qu’on étudie le plus grand nombre des chrétiens, on voit bien qu’ils regardent la mort comme le plus grand de tous les maux ; et pour peu qu’on assiste de mourants, on voit qu’il y en a très peu, très peu qui meurent sans regret, et qui n’aient besoin de toute leur soumission, dans un temps où il semble qu’il faudrait s’abandonner aux transports et à l’allégresse. Une vapeur dans la tête nous dérange, un degré de chaleur de plus dans le battement de nos artères nous alarme, la moindre idée de la mort nous inspire je ne sais quel sérieux sombre et mélancolique.

Mais ces craintes et ces terreurs, mes frères, toutes surprenantes qu’elles nous paraissent, n’ont pourtant rien qui doive nous surprendre véritablement. Si s’appliquer les fruits de la mort de Christ était une simple action de l’esprit, un simple mouvement du cœur, un simple aveu de la bouche ; si s’appliquer les fruits de la mort de Christ n’était que ce que se figure un pécheur endurci, ou ce que lui prescrit un casuiste commode, vous ne verriez pas un chrétien qui craignit la mort ; mais vous le savez, l’Évangile vous l’apprend, vos consciences vous le dictent, s’appliquer les fruits de la mort de Christ, c’est une complication de devoirs qui demande du soin, du temps, du travail, de la peine, et presque toute la vie : la plupart des chrétiens négligent cet ouvrage pendant leur santé ; est-il étonnant qu’ils tremblent à l’heure de la mort ?

Rappelez à votre mémoire les trois manières dont Jésus-Christ a désarmé la mort ; il l’a désarmée, en nous prouvant l’immortalité de nos âmes, en faisant l’expiation de nos crimes, en nous acquérant une félicité éternelle.

Mais quelle efficace aura sur nous la mort de Christ, comme preuve de la vérité d’une doctrine qui établit l’immortalité de l’âme, si nous n’étudions ces preuves, si nous ne les ruminons dans notre esprit, si nous ne travaillons à en sentir la force, si nous ne nous munissons contre les difficultés que ce siècle malheureux oppose à ces grands principes ?

Quelle efficace aura sur nous la mort de Christ, comme sacrifice offert à sa justice divine pour nos péchés, si nous ne sentons la plénitude de ce sacrifice, si nous ne l’appliquons à notre conscience, si nous ne le présentons à Dieu par les mouvements de notre foi ; surtout si par une étude continuelle de nous-mêmes, si par un travail obstiné nous ne nous mettons dans les termes, et si nous ne revêtons les caractères de ceux qui ont droit de s’approprier les fruits de ce sacrifice ?

Quelle efficace aura sur nous la mort de Christ, considérée comme gage d’une éternité bienheureuse, si nous ne remplissons notre âme de cette éternité, si nous n’en pénétrons notre cœur, si nous sommes industrieux à effacer les impressions que ces grands objets peuvent faire sur nous ; si, l’âme à peine ébranlée de ces vérités qui devraient l’occuper toujours, nous rentrons incontinent dans le tourbillon des choses du monde, sans nous donner le temps de nous prévaloir de cette heureuse situation, et comme pour nous dérober aux mouvements de la grâce qui semblaient nous avoir touchés. Ah ! mes frères, puisque c’est là la conduite de la plupart des chrétiens, comme l’on ne peut pas s’empêcher de s’en convaincre, quand on ne se contente pas de les regarder dans ce temple, et de cette chaire, mais quand on les suit dans la vie, et quand on perce ces faibles voiles de piété et de dévotion, qui les couvrent pendant une heure dans une assemblée ; puisque c’est là, dis-je, la conduite de la plupart des chrétiens, leurs craintes n’ont plus rien qui doive nous étonner.

La grande conclusion que nous devons tirer de toutes ces réflexions, mes frères, n’est pas une conclusion abstraite et difficile à comprendre ; c’est une conclusion aisée, naturelle, et qui s’offrirait d’elle-même à nos esprits, si nous n’étions pas si portés à nous aveugler ; la grande conclusion que nous devons tirer de ces réflexions, c’est que si nous voulons mourir en chrétiens, il faut que nous vivions en chrétiens : si nous voulons voir avec fermeté la dissolution de ce corps, il faut étudier ces preuves qui établissent l’immortalité de l’âme, et pouvoir dire avec saint Paul : « Je sais à qui j’ai cru, et je suis persuadé qu’il a la puissance de garder mon dépôt jusqu’à ce jour-là 1 Timothée 1.12. » Si nous voulons ne pas craindre ce tribunal redoutable, devant lequel nous devons être jugés, il faut entrer dans les conditions de l’alliance de grâce, afin de pouvoir dire avec le même saint Paul : « Je suis le plus grand de tous les pécheurs, mais j’ai obtenu miséricorde 1 Timothée 1.13. » Si nous voulons quitter sans frémir tous ces objets qui nous environnent, et auxquels nous sommes si étroitement unis, il faut s’en détacher de bonne heure, placer de bonne heure « notre cœur là où est notre trésor Matthieu 6.21, » et pouvoir dire avec le prophète : « Quel autre que toi ai-je dans le ciel ? Je n’ai pris plaisir sur la terre qu’en toi Psaumes 73.25. »

Lorsque après avoir fait ces efforts, nous entendons notre chair se plaindre à la vue de sa prochaine destruction, si notre cœur frémit encore de la nécessité qui nous est imposée de mourir, travaillons à nous rassurer non seulement contre cette crainte, mais même contre les soupçons qu’elle pourrait nous inspirer sur notre salut : cette crainte de la mort n’est plus un crime alors, ce n’est plus qu’une faiblesse ; c’est bien une marque que nous ne sommes pas parfaits, mais ce n’est pas une tache qui efface notre christianisme ; c’est une timidité, ce n’est pas une défiance : c’est bien un malheur qui nous empêche de sentir toutes les douceurs d’une bonne mort, mais ce n’est pas un obstacle qui nous empêche de bien mourir. Fortifions-nous ; que craignons-nous ? Dieu est un bon ami qui ne nous abandonnera pas dans l’adversité ; Dieu n’est pas un être cruel qui se plaise à nous rendre misérables ; c’est un Dieu dont la bonté et la miséricorde sont les grands caractères : il s’est engagé à nous rendre heureux ; ne doutons pas de sa promesse ; elle a été marquée du plus digne sceau que nous puissions demander, du sang de l’agneau sans tache, qui est, non sur le seuil de nos portes, mais dans l’intérieur de nos consciences ; l’ange exterminateur respectera ce sang, et ne saurait porter ses coups contre des âmes qui en sont marquées.

Après tout, mes chers frères, si les meilleurs chrétiens, à la première idée de la mort, et dans les premiers moments d’une maladie mortelle, ne peuvent s’empêcher de craindre, si la chair murmure, si la nature se plaint, si la foi même semble chanceler ; la raison, la religion, mais surtout les secours de l’esprit de Dieu, accordés aux prières et aux élans que pousse vers le ciel un pareil chrétien, dissipent toutes ces craintes. Le Dieu fort se laisse vaincre, quand on le combat par des larmes et par des prières : Dieu ne résiste pas aux soupirs d’un fidèle, qui du fond de son lit d’infirmité lui tend les bras, qui le conjure de sanctifier ses maux, qui le prie de le fortifier dans son agonie, qui lui crie du centre d’une âme pénétrée : « O Éternel, je remets mon âme entre tes mains Psaumes 31.6, » reçois-la, mon Dieu. Éloigne de moi ces fantômes qui me troublent ; enlève-moi à toi. « Dresse mes mains pour le combat, et mes doigts pour la bataille Psaumes 144.1. Tire-moi, afin que je coure après toi Cantique des cantiques 1.4. Enflamme ma dévotion, et que mes élans embrasés soient comme un chariot de feu qui me porte dans ton ciel : les nuages que formait « celui qui avait l’empire de la mort » s’évanouissent, les voiles qui couvraient l’éternité se lèvent insensiblement, l’esprit se convainc, le cœur s’attendrit, les désirs s’enflamment, certains retours des saintes pensées qui avaient roulé dans nos âmes nous font entrer dans le grand but de la religion, et le lit d’infirmité devient un champ de triomphe. Il n’y a aucun de vos pasteurs qui n’ait vu de pareils exemples.

Puissent tous ceux qui nous écoutent goûter ces consolations ! Puisse ce précieux sacrifice que Jésus-Christ a offert pour nous à son Père, en purifiant tous nos crimes, calmer toutes nos frayeurs ! Puisse ce grand sacrificateur de la nouvelle alliance porter gravés sur sa poitrine tous ces Israélites mystiques, aujourd’hui qu’il est entré dans les lieux saints ! Et quand ces fondements de poussière sur lesquels cette maison d’argile est appuyée viendront à crouler sous nos pieds, puissions-nous tous élever nos âmes sur les ruines du monde, et les placer dans le séjour de l’immortalité ! Heureux, heureux mille fois de mourir dans ces sentiments ! Dieu nous en fasse la grâce. A lui soit honneur et gloire à jamais ! Amen.

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