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18.
Sur la pénitence de la pécheresse

Un pharisien ayant prié Jésus de manger chez lui, il entra dans la maison du pharisien, et il se mit à table. Et une femme de la ville qui avait été de mauvaise vie, ayant su qu’il était à table dans la maison du pharisien, elle apporta un vase d’albâtre plein d’une huile odoriférante…

Luc 7.36-50

« Je te prie que je tombe entre les mains de l’Éternel, parce que ses compassions sont en grand nombre ; mais que je ne tombe point entre les mains des hommes 2 Samuel 24.14. » Ce fut le vœu que forma David dans la plus funeste circonstance de sa vie. Un prophète, émissaire du Dieu des vengeances, vient lui apporter ce sinistre choix : « Je te propose trois choses ; choisis l’une d’elles, afin qu’elle t’arrive : ou la famine durant l’espace de trois ans ; ou d’être consumé durant trois mois, en sorte que l’épée de tes ennemis t’atteigne ; ou que l’épée même de l’Éternel soit durant trois jours dans le pays, et que l’ange de l’Éternel fasse le dégât dans toutes les contrées d’Israël. Regarde ce que j’aurai à répondre à celui qui m’a envoyé. »

Quelle proposition pour un homme accoutumé à regarder le ciel comme la source des bénédictions et des grâces, et qui ne le voit désormais que comme le séjour des foudres et des carreaux prêts à être lancés sur sa tête ? Pour lequel de ces deux fléaux penchera-t-il ? Quel d’entre eux pourra-t-il choisir qui ne lui donne sujet de se reprocher qu’il s’est déterminé pour le plus funeste ? Et qu’eussiez-vous choisi à sa place, mes frères ? Vous fussiez-vous déterminés pour la guerre ? Auriez-vous pu seulement soutenir cette idée ? Les armées d’Israël jadis voyant la victoire constamment attachée à leurs pas, elles-mêmes menées en triomphe, l’arche de l’Éternel captive, un soldat cruel et barbare mettant le royaume en cendres, rasant ses forteresses, ravageant la moisson et enlevant dans un moment l’espérance de toute une année ? Vous fussiez-vous déterminés pour la famine ? Eussiez-vous choisi « les cieux devenus d’airain, la terre rendue de fer, » les champs dévorant le grain qui leur avait été confié, les « sauterelles broutant les restes du hurbec, et le hanneton le reste des sauterelles Joël 1.4 ; » les hommes s’arrachant le pain des mains, ne pouvant ni vivre ni mourir, et devenus hors d’état de se nourrir pour avoir été trop longtemps sans prendre de nourriture ? Vous fussiez-vous déterminés pour la mortalité ? Eussiez-vous choisi ces affreux temps où la contagion, comme sur les ailes du vent, porte son venin mortel avec la rapidité de l’éclair d’une ville dans une autre ville, d’une maison dans une autre maison ; temps où l’on vit sans secours ; où chacun, occupé à se garantir soi-même du péril, ne peut s’employer à garantir les autres ; où le père fuit l’entretien du fils, le fils celui du père, l’épouse celui de l’époux, l’époux celui de l’épouse ; où l’on se redoute, lors même que l’on s’aime tendrement, et où l’on se communique mutuellement des souffles mortels et empoisonnés ? Ce sont les funestes fléaux que Dieu met au choix de David coupable, afin qu’il les pèse à la balance, et qu’il agite la triste question, quel des trois sera son partage ? Il se détermine pourtant : « Que je tombe, je te prie, entre les mains de l’Éternel, parce que ses compassions sont en grand nombre, plutôt qu’entre les mains des hommes. » Il lui semble que les coups partant immédiatement de la main d’un Dieu miséricordieux, quoique irrité, seront les plus faciles à arrêter. Il ne conçoit rien de plus affreux que de voir entre Dieu et lui des hommes qui lui interceptent ses regards, et qui lui ferment l’accès au trône de la grâce.

Mes frères, le souhait de David consterné doit régler le nôtre à l’égard de chacune des taches dont notre vie a été souillée : il est vrai que les yeux de Dieu sont infiniment plus purs que les yeux des hommes ; il est vrai qu’il découvre dans notre vie des faibles qui nous avaient échappé, et que « si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur 1 Jean 3.20. » Il est vrai qu’il a des fléaux pour nous punir, infiniment plus redoutables que ceux des hommes, et qu’au lieu que les hommes ne peuvent « tuer que le corps, Dieu peut jeter l’âme dans la géhenne Matthieu 10.28. » Mais pourtant ce Dieu fort, ce Dieu vengeur, ce Dieu terrible est un Dieu miséricordieux ; « ses compassions sont en grand nombre Psaumes 119.156 » au lieu que les hommes sont cruels : oui, ces hommes qui se donnent eux-mêmes les licences les plus criantes, ces hommes qui ont tant besoin de support, ces hommes qui méritent eux-mêmes les châtiments les plus rigoureux, ces hommes sont pour l’ordinaire sans miséricorde pour leurs semblables ; en voici un fameux exemple : la pécheresse de l’Évangile fait l’expérience de l’un et de l’autre de ces deux états ; elle éprouve tour à tour le jugement de Dieu et le jugement des hommes ; mais elle y trouve un traitement bien différent : entre les mains de Jésus-Christ, elle voit à la vérité un législateur sévère qui la laisse pendant quelque temps verser des larmes, et des larmes très amères ; un législateur qui l’abandonne quelque temps à la douleur dont elle est pénétrée, qui peut voir ses cheveux épars, son maintien troublé, mais qui bientôt prend soin d’essuyer lui-même ses larmes, et qui lui fait entendre cette douce voix : « Ma fille, va-t’en en paix. » Entre les mains des hommes, au contraire, elle ne trouve que cruauté et que barbarie : elle entend un pharisien orgueilleux qui voudrait armer contre elle, même le Rédempteur du genre humain ; lui faire entendre un arrêt de mort, même dans l’exercice de la pénitence, exciter et faire sourdre la condamnation du sein même de la grâce et de la miséricorde.

C’est cette instructive, c’est cette consolante histoire que nous rappelons aujourd’hui, et qui offre à notre méditation trois objets bien différents : la conduite de la pécheresse, celle du pharisien et celle de Jésus-Christ. Dans la conduite de la pécheresse prosternée aux pieds du Sauveur, vous verrez les principaux caractères de la pénitence ; dans celle du pharisien, vous verrez tout le venin qui empoisonne si souvent les jugements que nous portons sur la conduite des hommes, et dans celle de Jésus-Christ, vous verrez ouvertes les sources de la pitié, de la miséricorde, de la compassion. Entrons en matière.

I La pécheresse pénitente est le premier objet sur lequel nous devons fixer nos yeux. La question sur laquelle il y a eu plus de débats à cette occasion parmi les interprètes et le plus de variété dans les sentiments, mais celle qui nous arrêtera le moins, comme à notre avis la moins importante, c’est qui était cette femme ? Non qu’une connaissance exacte de sa personne et de sa vie ne fût très propre, en nous expliquant la nature de ses péchés, à nous donner une juste idée de sa pénitence, et ne contribuât par cela même à l’éclaircissement de notre texte ; mais parce que quelque secours que nous ayons emprunté de toutes parts, nous n’avons rien trouvé qui fût digne d’être proposé sur cet article à des auditeurs sévères, qui veulent être traités en hommes raisonnables, et qui refusent de se déterminer sans de bonnes preuves.

Je sais que des interprètes, trompés par quelque ressemblance qui se trouve entre l’onction répandue sur Jésus-Christ dans ce repas et celle dont il est parlé au chapitre onze de saint Jean, dans le repas que donna Lazare au Sauveur, ont cru que la pécheresse dont il est ici parlé était cette même Marie, sœur de Lazare, qui recueillait avec une si profonde attention les oracles qui émanaient de la bouche de Jésus-Christ, et qui, au rapport de l’Évangile, « versa sur ses pieds une boîte d’un parfum exquis, et les essuya de ses cheveux Jean 11.2. » Et comme il est parlé dans d’autres endroits de l’Évangile, d’une autre « Marie surnommée Magdeleine Luc 8.2, » on a cru que Marie, sœur de Lazare, que Marie Magdeleine, de laquelle il est dit que Jésus-Christ avait « chassé sept démons Marc 16.9, » et la pécheresse de notre texte étaient une même personne.

Nous n’avons point dessein d’entrer dans ces discussions ; voici ce qu’il suffit de savoir sur ce sujet : la femme dont il est ici question demeurait dans la ville de Naïm, ce qui la distingue assez de Marie, sœur de Lazare, qui était de Béthanie, et de Marie Magdeleine, qui probablement est ainsi nommée, parce qu’elle naquit à Magdala, petite ville de la tribu de Manassé. C’était une femme de mauvaise vie, c’est-à-dire coupable d’impureté : le mot de l’original signifie pécheresse ; ce terme marque quelquefois dans nos Écritures l’état de ceux qui vivaient hors de l’alliance ; c’est dans ce sens qu’il est pris dans l’Épître aux Galates, où saint Paul donne aux païens le nom de pécheurs Galates 3.15 ; mais ce nom est affecté, chez les auteurs grecs, à ces femmes qui sont telles que toutes les circonstances de notre histoire nous engagent à nous représenter celle-ci : que s’il est aisé de marquer le genre de son crime, il n’est pas également facile d’en déterminer l’espèce ; si ce fut l’adultère, si ce fut la prostitution, si ce fut seulement quelque intrigue criminelle. Nos réflexions tomberont quelquefois sur ces divers ordres de vices ; du reste, l’on peut présumer, et par les discours du pharisien, et par le parfum que la pécheresse répandit sur les pieds de Jésus-Christ, que cette femme avait quelque fortune : voilà tout ce que nous savons sur ces sortes de questions. Si quelqu’un en demande davantage, nous n’aurons point de honte de reconnaître notre ignorance, de le renvoyer à ceux qui auront trouvé des guides plus sûrs que les nôtres, ou à ceux qui possèdent celui de tous les talents, qui dans les sciences nous paraît moins digne d’envie, je veux dire celui d’avoir un sentiment fixe sur des sujets incertains, et qui ne sont susceptibles d’aucun argument solide.

Arrêtons-nous à la principale des circonstances de la vie de cette pécheresse, et pour ranger nos réflexions sous quelques chefs généraux, examinons dans sa conduite : 1° la douleur qui la déchire ; 2° le sauveur auquel elle a recours ; 3° l’amour dont elle est embrasée ; 4° le courage qui l’anime. Remarquons, dans ces quatre circonstances, quatre grands caractères de la pénitence : 1° elle doit être vive dans ses remords : notre pécheresse verse des larmes, et ses yeux sont les interprètes de son cœur ; 2° la pénitence doit être sage dans son recours : notre pécheresse s’humilie aux pieds de celui qui a fait l’expiation de nos péchés, et de « ceux de tout le monde 1 Jean 2.2 ; » 3° la pénitence doit être tendre dans son exercice, et nous faire réparer, par des actes d’amour divin, l’amour que nous avons eu pour le crime ; 4° la pénitence doit être courageuse dans son exercice. Notre pécheresse surmonte tous les scrupules qu’un faux honneur pouvait lui dicter ; elle va dans la maison du pharisien, en la présence de tous les invités, reconnaître son crime ; et puisqu’elle n’a point eu de honte de le commettre, elle n’a point de honte de l’avouer.

Nous considérons, dans la pénitence de cette femme, la douleur qui la déchire : la pénitence doit être vive dans ses remords ; c’est son premier caractère : dans quelque classe d’impureté que la pécheresse doive être placée, soit qu’elle ait été coupable de prostitution, soit qu’elle le fût d’adultère, soit que, n’ayant pas été liée par les nœuds sacrés du mariage, elle se soit abandonnée à des voluptés criminelles, elle est trop fondée encore à donner cours à ses larmes et à sa douleur : pouvait-elle en verser de trop amères, si elle avait été coupable de prostitution ? Y a-t-il des couleurs qui dépeignent trop vivement une femme qui est parvenue à un assez haut degré d’impureté, pour arracher jusqu’aux dernières racines de la pudeur ; une femme qui met ses infamies à prix, qui se livre au plus offrant, qui se voue publiquement aux plus grands excès, dont la maison est une école d’abomination d’où l’on voit sourdre ces maximes détestables qui empoisonnent les âmes, et ces débauches infâmes qui empoisonnent le corps, et qui portent leur venin mortel dans les familles ? C’est peu de dire que cette femme doit verser des larmes amères au souvenir d’une vie si scandaleuse et si débordée. Sacrificateurs, magistrats, peuple de Naïm, vous deviez vous-mêmes vous couvrir de sac et de cendre pour avoir toléré une maison de ce genre, pour n’avoir pas eu quelque étincelle du zèle de « Phinées, fils d’Éléazar Nombres 25.11, » pour avoir pu laisser pierre sur pierre dans le monument de la honte de votre ville, et pour n’avoir pas porté la hache et la cognée jusqu’aux fondements d’une telle maison ; eussent dû ceux qui se seraient employés à la raser être écrasés sous ses ruines : une pareille maison soufferte dans une ville est capable d’attirer la malédiction du ciel sur toute une province, sur tout un royaume.

Rome, quelle occasion ne me serait point ici offerte de te confondre ? Ne pourrais-je pas produire aux yeux de tout l’univers ta honte et ton infamie ; la prostitution mise parmi tes revenus ; les prostituées et les prostitués te servant de nourrissons et de nourrices, et le saint-siège entretenu en partie par le « prix des chiens et le salaire des prostituées Deutéronome 23.18, » pour me servir d’une expression de l’Écriture ! Mais je te laisserais trop de lieu à la rétorsion ; j’aurais trop de sujet d’attendre que tu opposasses excès à excès : je craindrais le même trait qui t’aurait été décoché. Je tremblerais que tu ne tirasses ce trait fumant de tes entrailles impures, et que tu n’en perçasses les nôtres. O Dieu ! « dresse aujourd’hui ces mains au combat, et ces doigts à la bataille Psaumes 144.1. » Mes frères, dût l’accès à cette chaire nous être interdit pour jamais, dût-on taxer ce discours d’être une torche de sédition destinée à mettre la flamme dans ces provinces, et dût une partie des fléaux que méritent ceux qui fomentent le crime tomber sur la tête de celui-là même qui aura le courage de le reprendre, nous le déclarerons ; jamais, jamais la prospérité de ces provinces ne sera bien affermie, tandis qu’elles souffriront des outrages faits si publiquement à la majesté de ce Dieu, « qui a les yeux trop purs pour voir le mal Habakuk 1.13. » Ne publiez point de jeûnes, ne convoquez point d’assemblées solennelles, n’ordonnez point des prières publiques pour détourner les coups du ciel ; que les prêtres et les sacrificateurs ne « pleurent point entre le portique et l’autel ; » qu’ils ne disent point : « Éternel, pardonne à ton peuple, et n’expose point ton héritage à l’opprobre Joël 2.17. » Tout cet appareil de dévotion sera inutile, tandis qu’il y aura au milieu de nous des lieux publiquement voués à l’impureté : la puante vapeur qui en sortira montera jusqu’au ciel ; elle formera un nuage entre nous et la grâce, nuage que les prières les plus ardentes ne sauraient percer.

Peut-être notre pénitente était-elle coupable d’adultère. Quelle idée doit se former d’elle-même une femme qui a commis ce crime, si elle se considère dans son véritable point de vue, si elle porte des regards attentifs sur tous les précipices dans lesquels elle se jette, et sur tous ceux auxquels elle s’expose : elle a pris pour son modèle cette femme que Salomon a dépeinte dans le livre de ses Proverbes, et qui a eu tant d’imitatrices de ses débordements dans la suite des siècles : « Cette femme, qui se tient dans le grand chemin, parée, pleine de ruse, bruyante, effrontée, qui ne reste point dans la maison, qui se met aux aguets dans les coins des rues, et qui dit aux insensés d’entre les jeunes gens : J’ai chez moi des sacrifices de prospérité, aujourd’hui je me suis acquittée de mes vœux ; j’ai couvert mon lit d’un magnifique tapis de fin lin d’Égypte ; j’ai parfumé ma couche avec de la myrrhe, de l’aloès et du cinnamome ; venez et enivrons-nous de délices, car mon mari n’est point à la maison ; il est parti pour un long voyage ; il ne reviendra pas de longtemps Proverbes 7.10-20. » Et vous semble-t-il, mes frères, qu’il fallût changer beaucoup de ces traits, pour rapprocher ce tableau des mœurs de notre siècle ?

Que sont ces dissipations éternelles, si ce ne sont des traits de cette femme qui se tient sur les grands chemins, qui s’arrête au coin des rues, et dont les pieds ne restent point dans la maison ? Que sont ces ajustements recherchés, si ce ne sont des traits de « cette femme parée ? » Que sont ces déguisements continuels, ces mensonges entassés dont on se sert pour couvrir les desseins que l’on trame, ou ceux que l’on a déjà exécutés, si ce ne sont des traits de cette « femme rusée ? » Que sont ces soins de former certaines sociétés de plaisir, si ce ne sont des traits de cette femme qui crie : « J’ai chez moi des sacrifices de prospérité, je me suis acquittée aujourd’hui de mes vœux, venez, enivrons-nous de délices ? Que sont certains moments attendus avec impatience, ménagés avec industrie, et employés avec avidité, que des traits de cette femme qui dit « aux insensés d’entre les jeunes gens : Mon mari n’est point à la maison, il ne reviendra pas de longtemps ? » Je m’arrête : si la pécheresse est coupable d’adultère, elle a souillé l’état le plus inviolable et le plus sacré ; elle a porté la discorde dans la maison de celui qui a été l’objet de son amour criminel : elle s’est donnée en spectacle d’impureté et de perfidie à des enfants, à des domestiques, au monde, à l’Église. Elle a fait à celui auquel elle devait l’attachement le plus tendre et le respect le plus profond, l’outrage le plus sanglant et le plus funeste. Elle a couvert d’ignominie ceux qui lui ont donné le jour, et porté ceux qui ont appris ses excès à rechercher de quels ancêtres elle a reçu un sang si impur et si corrompu : elle a partagé son cœur et son lit avec l’ennemi le plus implacable de sa famille : elle a risqué de confondre le fils de l’impureté avec l’héritier légitime. Y a-t-il des larmes trop amères pour expier une complication de crimes si odieux ? Y en a-t-il de trop abondantes pour les laver et pour les couvrir ?

Mais ne soyons pas industrieux à noircir la réputation de la pénitente ; supposons-la impure, puisque l’évangéliste nous y conduit, sans la supposer adultère et prostituée. Son crime doit lui ouvrir une source éternelle de larmes, mille et mille sinistres réflexions doivent percer son cœur ; sont-ce donc là les fruits de cette éducation qu’on m’a donnée ? Est-ce là ce que j’ai rapporté des leçons qu’on m’a faites dès le berceau, et qui semblaient si propres à me munir à jamais contre ces écueils, où ma faible vertu s’est venue briser ? J’ai renoncé à la bienséance de mon sexe, dont l’apanage fut toujours la pureté, le scrupule, la délicatesse, la pudeur. J’ai commis un de ces crimes que, soit justice, soit cruauté, les hommes ne pardonnent point. Je me suis livrée aux mépris et aux froideurs de ceux mêmes à qui j’ai fait le honteux sacrifice de mon honneur. J’ai porté le poignard dans le sein de ceux qui m’ont mise au monde, j’ai fait attribuer à leur négligence ce qui n’a eu pour cause que ma faiblesse et ma corruption. Je me suis bannie à jamais de la société des personnes sages. Comment soutiendrais-je leurs regards ? Où trouverais-je une nuit assez sombre pour me couvrir à leurs yeux ?

Mais c’est outrager la pénitence de notre pécheresse, de rapporter sa douleur à des motifs de ce genre ; elle en a de plus dignes d’une pénitente. Ce cœur que mon Dieu m’avait demandé avec tant d’amour, je l’ai donné à la volupté ; ce corps, qui devait être le « temple du Saint-Esprit 1 Corinthiens 7.19, » est devenu celui d’une passion impure. Ces soins qui devaient avoir mon salut pour objet, je les ai employés à arracher des conquêtes à Jésus-Christ. J’ai disputé avec mon Sauveur l’âme de ses rachetés, et ceux qu’il était venu sauver, je me suis employée à les perdre ; je suis devenue la cause des remords du complice de mes crimes ; il me regarde avec horreur, il me reproche ces tentations mêmes auxquelles il m’a exposée ; et quand il rencontre mes regards dans une assemblée pieuse, dans une cérémonie de religion, il me dit tacitement que j’ai contribué à l’en rendre indigne. Je serai son bourreau dans son lit de mort ; peut-être le serai-je dans l’éternité. Je me suis exposée à mille périls dont la seule grâce de Dieu m’a retirée, à des périls dont les suites font horreur, et dont trop d’exemples sinistres ont ensanglanté l’histoire ; telle est la cause des larmes de la pénitente : « Elle était aux pieds de Jésus-Christ, elle les arrosait de ses larmes. » C’est le premier caractère de la pénitence ; elle est vive dans ses remords.

Mais elle doit être sage dans son recours. Notre pécheresse ne va pas au pied de Sinaï chercher son absolution dans le sentiment de ses justices, et demander sa justification comme une récompense due à ses œuvres ; elle craindrait d’être percée de quelqu’un de ces affreux traits que la justice divine décocha de ce formidable mont. Elle ne cherche point dans les moyens que la superstition a inventés un bouclier pour parer les coups qui partent du tribunal de la justice. Elle ne s’écrie pas comme cette femme dont parle un prophète : « Avec quoi préviendrai-je l’Éternel ? Avec quoi me prosternerai-je devant le Dieu souverain ? Le préviendrai-je avec des holocaustes et avec des veaux d’un an ? Offrirai-je mon premier-né pour mon forfait, ou le fruit de mon ventre pour le péché de mon âme ? L’Éternel prendra-t-il plaisir au sacrifice de mille béliers, ou à dix mille torrents d’huile Michée 6.6-7 ? » Elle ne demande pas même aux sacrificateurs et aux lévites d’offrir pour elle des sacrifices d’expiation. Elle démêle les sophismes de l’erreur, elle reconnaît le Rédempteur du genre humain à travers ces voiles d’infirmité et de misère qui le couvrent. Elle sait que « le sang des taureaux et des boucs ne saurait purifier la conscience Hébreux 9.13 ; » elle sait que ce Jésus, qui est assis à table chez le pharisien, est la seule offrande, la seule victime, assez noble pour être offerte à un Dieu outragé, et pour satisfaire à sa justice. Elle sait qu’il nous « a été fait de par Dieu justice, sanctification et rédemption Éphésiens 1.7 ; 1 Corinthiens 1.30 ; » que son nom a été le seul « qui a été donné aux hommes pour être sauvés Actes 4.12 » C’est à Jésus-Christ qu’elle a recours ; elle arrose de ses larmes les pieds de celui qui va bientôt verser son sang pour elle, et embrassant par une foi anticipée les mérites de la mort qu’il doit souffrir un jour, elle ne veut ni d’autre justice, ni d’autre satisfaction, que la sienne.

Nous avons marqué l’amour de la pécheresse pour le troisième caractère de sa pénitence. Il semble même que Jésus-Christ nous fait envisager toutes ses démarches comme des marques d’amour plutôt que comme des marques de repentance : « Elle a beaucoup aimé. » Ces choses ne sont pas incompatibles. Si « la parfaite charité bannit la crainte 1 Jean 4.18, » elle ne bannit pas la douleur ; et bien loin que le pardon qu’une âme élue a déjà reçu pour ses crimes diminue le regret qu’elle sent de l’avoir commis, il contribue à l’augmenter. Plus on aime Dieu, plus est amère la douleur qu’on a de l’avoir offensé. Oui, cet amour qui fait le bonheur des anges, cet amour qui embrase les séraphins, cet amour qui soutient le fidèle dans ses plus cruels tourments, cet amour fait le plus grand supplice du pénitent. Avoir offensé un Dieu que l’on aime, un Dieu que tant de motifs rendent aimable, un Dieu qui est assez tendre, assez compatissant pour pardonner ces mêmes excès que l’on pleure, cet amour excite dans une âme des mouvements de pénitence que nous ferions en vain des efforts pour exprimer, si votre cœur, de concert avec notre bouche, ne les sentait à mesure que nous nous emploierions à les dépeindre.

4° Le courage qui anime la pécheresse est le quatrième caractère de sa repentance ou de son amour. Elle ne dit pas : « Que dira-t-on de moi ! » Ah ! mes frères, que cette seule considération, « que dira-t-on de moi, » a souvent été un obstacle à la pénitence ! qu’elle a arrêté de pénitents ! et pour tout dire, en un mot, qu’elle a plongé d’âmes dans la perdition ! Tel qui était pressé par sa conscience de renoncer au monde et à ses plaisirs, n’a pu soutenir l’idée des jugements que les hommes porteraient sur sa conversion. Est-on persuadé qu’il serait nécessaire de vivre dans le recueillement et dans la retraite, cette considération, « que dira-t-on de moi », effraie. On dira que j’aime la singularité, on dira que j’affecte de me distinguer du genre humain, on dira que je suis un ennemi de la société. Veut-on être exact au service divin, cette seule considération, « que dira-t-on de moi, » effraie. On dira que j’affecte de me donner en spectacle de religion et de piété, on dira que je veux en imposer à l’Église par de beaux dehors, on dira que je suis un esprit faible, qui se fait des fantômes et des chimères. La pénitente s’élève au-dessus de tous ces égards mondains : « Elle va, dit un auteur moderne, dans une maison étrangère sans y être appelée, troubler la joie d’un festin par une importune tristesse, se jeter aux pieds du Sauveur, sans craindre ce que l’on dira ou de sa vie passée, ou de sa hardiesse présente, faire par cette action extraordinaire comme une confession publique de ses désordres, et souffrir, pour première peine de ses péchés, et pour preuve de sa conversion, l’insulte que l’orgueil des pharisiens et sa mauvaise réputation attireront sans doute sur ellea. » Nous avons vu les démarches de la pénitente, voyons le jugement qu’en fait le pharisien : « Si celui-ci était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et que c’est une femme de mauvaise vie. »

a – Fléchier, Panégyrique de la Madeleine.

II. Le pharisien qui porte ce jugement était celui-là même chez qui Jésus-Christ mangeait. L’évangéliste le dit expressément : s’il était disciple de Jésus-Christ, comme la chose est probable, et comme semble le déterminer le titre de maître qu’il lui donne, ou s’il l’avait invité par des raisons d’un autre genre, c’est ce qui nous importe peu, et ce que nous n’entreprendrons pas d’examiner. Il est certain que Jésus-Christ a mangé plusieurs fois chez les pharisiens qui, bien loin d’être ses disciples, étaient les ennemis les plus implacables de sa doctrine et de sa personne. Les pensées de celui-ci, qui révoque en doute la divinité de la mission de Jésus-Christ, et lui refuse même intérieurement la qualité de prophète, ne sont guère celles d’un disciple de Jésus-Christ. Ce pharisien s’appelait Simon. Rien ne nous oblige pourtant à confondre ce Simon pharisien avec ce Simon le lépreux, dont il est parlé dans le chapitre 26 de saint Matthieu, et chez qui Jésus-Christ s’était retiré, ni de confondre l’histoire de notre texte avec celle qui est rapportée dans cet endroit-là, et dont les circonstances sont très différentes, comme il serait aisé de le prouver, si nous n’avions des choses plus importantes à vous proposer. Mais quel que soit ce pharisien, il dit en lui-même : « Si celui-ci était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, etc. » Il y a quatre défauts dans ce jugement, une indolence criminelle, une témérité outrée, un orgueil insupportable, et une cruauté antichrétienne ; quatre défauts qui doivent nous faire condamner la pensée du pharisien, et qui empoisonnent la plupart des jugements que nous formons sur la conduite de nos prochains.

1. Une indolence criminelle. C’est une disposition d’esprit bien condamnable, je l’avoue, que celle qui inspire une attention perpétuelle aux démarches du prochain ; le motif qui la produit suffit pour en faire sentir le venin. On croit avoir lieu d’être convaincu que plus on examinera la vie des hommes, et plus on y trouvera de quoi satisfaire le barbare plaisir que l’on a de les décrier. Mais c’est une disposition plus condamnable encore que d’être toujours prêt à former un jugement de rigueur sur les premières apparences du vice, et sans vouloir se donner le soin de rechercher si dans une conduite criminelle il ne se trouve pas quelque circonstance qui en diminue l’atrocité et qui la rende plus digne de support. Ce n’est point à nous à nous ériger en juges des actions de nos frères, à faire des perquisitions sur leurs mœurs, et à vouloir comme distribuer par nos jugements les peines que mérite le crime, ou les récompenses qui sont dues à la vertu. Mais du moins quand nous usurpons ce droit, n’aggravons pas notre conduite par la manière dont nous exercerons un empire que nous avons eu l’audace d’usurper. Ne prononçons pas en juges iniques sur les actions de ces pécheurs auxquels la nature, la société et la religion, nous unissent d’une manière si tendre. Faisons des informations exactes sur les causes de ces criminels que nous interpellons devant notre propre tribunal, et ne prononçons nos sentences qu’après avoir pesé également dans une balance de justice ce qui les rend dignes de condamnation ou d’absolution. Mais ce serait donner un frein à notre malignité : nous serions contraints de suspendre trop longtemps l’avidité qui nous porte à solliciter et à avancer la mort du pécheur. Le plaisir que nous prenons à le déclarer coupable serait troublé par la peine que nous aurions à instruire son procès. Le pharisien se donnerait-il des mouvements pour examiner toutes les démarches de la pécheresse ? Entrerait-il dans toutes les discussions nécessaires pour connaître si elle est pécheresse repentante ou pécheresse obstinée, si elle est réconciliée par son retour ou réprouvée par son endurcissement dans le crime ? Non, sans doute. A la vue de cette femme, il ne se rappelle que les crimes dont elle est coupable ; il ne l’envisage et il n’aime à l’envisager que sous ce point de vue ; il se précipite de prononcer, et il voudrait que Jésus-Christ se précipitât de prononcer comme lui : « C’est une femme de mauvaise vie. » Ne sentez-vous pas, mes frères, l’indolence criminelle qui anime ce juge inique, et qui empoisonne ce jugement ?

2. Le pharisien pèche par témérité. Voyez comment il juge de la conduite de Jésus-Christ à l’égard de cette femme, et de ce que cette femme devait attendre de Jésus-Christ, supposé que sa mission eût été divine : « Si celui-ci était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et que c’est une femme de mauvaise vie ; » jugement qui suppose qu’un prophète, dans aucun cas, ne devait avoir de support pour une femme de cet ordre ; comme s’il impliquait contradiction qu’un prophète eût quelque vue secrète, impénétrable, à la vue d’un pharisien ; comme si quelqu’un était en droit de prononcer sur la conduite d’un homme que l’esprit infini dirige. Et c’est parce que celui-ci est prophète, c’est parce qu’il est plus que prophète, c’est parce qu’il est le fonds, l’océan d’où tous les prophètes ont puisé ces lumières surnaturelles par lesquelles ils ont dévoilé les mystères les plus couverts, prédit les événements les moins vraisemblables, fouillé dans l’avenir le plus reculé et le plus impénétrable ; c’est à cause de cela qu’il est capable de former un jugement de vérité sur le caractère d’un pécheur et sur la nature d’un péché. Oui, il n’y a que Dieu qui puisse porter un pareil jugement : « Qui es-tu, toi qui juges les autres Romains 14.4 ? » Ce jugement dépend de tant de combinaisons si difficiles, qu’il n’y a qu’une intelligence infinie qui soit capable de la faire avec exactitude. Pour bien juger d’un crime et d’un criminel, il faut examiner la force des tentations auxquelles il a été exposé, les occasions où il s’est trouvé, la puissance du tempérament qu’il a reçu de la nature, les motifs qui l’ont animé, la résistance qu’il a faite, les vertus qu’il a pratiquées, les talents que Dieu lui a confiés, l’éducation qu’il a reçue, les lumières dont il était éclairé, les combats qu’il a éprouvés, les reproches qui l’ont déchiré. Il faut faire une exacte comparaison de ses crimes avec ses vertus pour connaître si c’est le crime qui l’emporte sur la vertu, si c’est la vertu qui l’emporte sur le crime, et régler sur cette confrontation l’idée qu’on doit se former de celui dont il est question. Il faut examiner si c’est l’ignorance qui l’a séduit, si c’est l’exemple qui l’a entraîné, si c’est la faiblesse qui l’a fait succomber, si c’est la distraction ou l’obstination, la malice, le mépris de Dieu et de sa loi qui l’ont confirmé dans son crime. De l’examen de tous ces articles dépend le jugement que l’on doit porter sur l’homme que ces articles concernent. Il ne faut qu’une circonstance, il ne faut qu’un degré de plus ou de moins dans une action morale pour en changer la nature, pour la rendre pardonnable ou irrémissible, digne de compassion ou d’horreur. Or qui est-ce, qui est-ce qui peut suffire à cette combinaison ? Aussi rien ne pèche plus directement contre les lois de la charité et de la justice, que certains jugements décisifs que nous aimons à porter sur le caractère du prochain. Il est bien de l’office des juges de punir certains crimes qui troublent l’ordre de la société. Nous pouvons bien dire à nos frères : Voilà le chemin de la vertu, voilà le chemin du vice. Nous avons bien l’autorité de leur représenter que « ni les impurs, ni les idolâtres, ni les adultères n’hériteront point le royaume des cieux 1cor.6.19. » Nous devons bien les avertir des périls où ils se trouvent, et les faire trembler à la vue de l’abîme vers lequel ils avancent à grands pas. Mais faire cette combinaison telle que nous l’avons marquée, mais prononcer sur la réprobation de tels et tels, c’est une témérité, c’est un attentat contre l’autorité du souverain législateur.

3. Il y a dans la pensée du pharisien une orgueilleuse préférence. Qu’est-ce donc qui rend cette femme si digne de son indignation ? A quel tribunal a-t-elle été jugée plus odieuse que tant d’autres pécheurs qui lèvent insolemment la tête dans la société et dans l’église ? C’est au tribunal de l’orgueil. Ouvre les yeux, pharisien superbe ; vois, cherche, examine, il y a dans l’enceinte même de ces murs, où ton repas est préparé, il y a à ta table même un beaucoup plus grand pécheur que cette femme, et ce pécheur, c’est toi-même. Le péché dont tu es coupable, et qui est plus abominable que l’impureté, plus abominable que l’adultère, plus abominable que la prostitution même, c’est l’orgueil, et surtout l’orgueil pharisaïque. Il est toujours odieux à Dieu le crime de l’orgueil, soit que ce soit la grandeur, soit que ce soit la fortune, soit que ce soit la puissance qui le produise. Mais l’orgueil que cause la pensée de notre justice est un crime direct contre la majesté divine. Sur quels principes, bon Dieu, un pareil orgueil est-il fondé ? Avec quelle insolence celui qui en est animé se présente-t-il devant Dieu ? Il paraît sans crainte et sans terreur devant ce trône redoutable, en la présence duquel les séraphins baissent les yeux, et les cieux se trouvent sans pureté. Il ose se dire à lui-même : J’ai satisfait à mes devoirs, moi. Moi, j’ai eu pour la majesté divine autant de respect qu’elle en mérite ; moi, j’ai eu autant de zèle et autant d’ardeur dans la prière que l’exige un si digne exercice. J’ai su assez refréner ma langue pour n’avoir aucune parole, assez mon esprit pour n’avoir aucune pensée, assez mon cœur pour n’avoir aucun mouvement criminel à me reprocher ; et si j’ai eu quelque faiblesse, je l’ai si bien réparée par mes vertus, que j’ai suffisamment satisfait aux droits de Dieu. Je ne demande point de grâce ; je n’ai besoin que de justice. Qu’il m’appelle devant lui, ce juge du monde ! qu’ils brillent en ma présence, ces feux dévorants et ces flammes éternelles ! qu’il soit dressé devant moi, ce tribunal de vengeance ! c’est mon bras qui me sauvera ; c’est ma justice qui me fera soutenir la vue de tous ces objets. Vous sentez assez, mes frères, ce que cette disposition d’esprit a d’odieux sans que nous nous arrêtions à le retracer. L’humilité est le supplément des vertus des plus grands saints. Quelque application que nous ayons apportée à nos devoirs, nous sommes toujours au dessous de nos engagements. Nous devons cet hommage à la Divinité, de reconnaître que nous ne pourrions subsister en sa présence si nous n’étions l’objet de sa charité. Et un crime humblement reconnu est plus supportable à ses yeux qu’une vertu étalée avec fierté et avec faste.

4. Mais ce qui empoisonne surtout le jugement du pharisien, c’est cet esprit de cruauté que nous y avons remarqué. Il veut que des larmes dont la pénitence est la source soient répandues vainement, et que cet instant où la pécheresse a recours à la grâce ait cet affreux caractère, c’est que Dieu aurait méprisé « le sacrifice du cœur froissé et brisé Psaumes 51.19. » Il est doux, mes frères, de comprendre une si funeste prétention ; il est doux de repasser dans son esprit les grandes idées que nous devons nous former des miséricordes divines. Tout ce que nous disons contre la barbarie du pharisien servira d’appui à notre foi, lorsque le démon voudra nous perdre par le désespoir, après avoir travaillé à nous perdre par la sécurité, lorsqu’il grossira à nos yeux l’idée des péchés que nous avons commis, et qu’il avait exténués quand il voulait nous porter à les commettre.

1°) La miséricorde de Dieu n’est pas un de ces attributs abstraits que notre faible raison ne voit qu’à travers des ombres et des ténèbres : c’est un attribut qui découle de celle de ses perfections dont il a donné les preuves les plus palpables et les plus sensibles ; je veux dire de sa bonté. Tout nous prêche que Dieu est bon. Il n’y a point d’astre dans le firmament, point de flots dans les eaux de l’Océan, point de production sur la terre, point de plantes dans nos jardins, point de période dans notre durée, point d’effets de sa faveur, et presque point de coups même de sa colère, qui ne concourent à prouver cette proposition, que Dieu est bon.

2°) L’idée de la miséricorde de Dieu n’est pas particulière à quelques lieux, à quelque siècle, à quelque nation, à quelque religion, à quelque secte. Quoique l’empire de la vérité ne dépende pas du nombre de ceux qui s’y soumettent, on a toujours quelque soupçon de s’être trompé, quand on est seul d’un sentiment, quand on se voit combattu par un monde de contradicteurs. Mais ici les sentiments de tous les hommes, du moins jusqu’à un certain point, s’accordent avec le nôtre. Ils se sont tous reconnus coupables, et ils ont tous fait profession d’adorer le Dieu miséricordieux. S’ils se sont partagés sur les effets que doit produire la véritable pénitence, ils en ont pourtant reconnu les prérogatives.

3°) L’idée de la miséricorde de Dieu n’est pas fondée seulement sur les spéculations humaines, sujettes à l’erreur : elle est fondée sur les lumières de la révélation, et la révélation prêche cette miséricorde d’une manière encore plus énergique que la raison. Ces décisions mêmes ne sont pas de celles qui sont exprimées d’une manière vague et obscure, et qui laisse encore lieu au doute et à l’incertitude ; elles sont claires, intelligibles, réitérées.

4°) Les décisions de la révélation, touchant la miséricorde de Dieu, ne nous la font pas envisager comme un dogme étranger à la religion, ou peu lié avec les autres dogmes qu’elle nous enseigne : elles l’établissent comme un dogme capital, et sur lequel roule tout le système de la religion. Qu’est-ce que la religion ? C’est une économie de miséricorde ; c’est un supplément à la faiblesse humaine ; c’est un refuge du pécheur pénitent contre les poursuites de la justice divine ; c’est une alliance par laquelle nous nous engageons bien de notre part avec Dieu de nous dévouer tout entiers à ses lois, mais où Dieu s’engage de son côté à accepter nos efforts, quelque faibles qu’ils puissent être, et de nous pardonner nos crimes, à quelque degré que nous les ayons portés, pourvu que nous en ayons une sincère repentance.

5°) Les promesses de miséricorde qui nous sont faites dans la religion ne sont pas restreintes à certains genres de péchés et à certains ordres de pécheurs ; elles regardent tous les pécheurs et tous les péchés, de quelque nature qu’ils puissent être. Il n’y a ni crime si odieux, ni circonstance si aggravante, ni vie si obstinément consumée dans le crime qui ne soit l’objet de la grâce, quand le pécheur retourne à Dieu de bon cœur et de bonne foi. Si la persévérance dans le mal, si le péché contre le Saint-Esprit excluent de la miséricorde, c’est parce qu’ils rendent la repentance impraticable, non parce qu’ils la rendent inefficace.

6°) Le dogme de la miséricorde de Dieu n’est pas fondé sur des promesses dont l’accomplissement soit renvoyé à un avenir incertain et éloigné ; elles ont été justifiées par l’expérience. Témoin la république d’Israël ; témoin Moïse ; témoin David ; témoin Achab ; témoin Ézéchias ; témoin Manassé ; témoin Ninive ; témoin Nabuchodonosor. Que ne fait point la pénitence ? Par la pénitence, la république d’Israël suspend les jugements de Dieu prêts à fondre sur elle et à l’accabler. Par la pénitence, Moïse « se met à la brèche pour détourner la fureur de Dieu Psaumes 106.23. » Par la pénitence, David recouvre « la joie de son salut Psaumes 51.14 » après un meurtre et un adultère. Par la pénitence, Achab diffère l’exécution des jugements du Seigneur 1 Rois 21.29. Par la pénitence, Ézéchias obtient « quinze années Ésaïe 38.5 » de vie. Par la pénitence, Manassé sauve sa personne et son peuple. Par la pénitence, Ninive révoque l’arrêt qu’un prophète était venu lui prononcer Jonas 3.1. Par la pénitence, Nabuchodonosor recouvre son esprit et son trône. Il serait aisé de grossir cette liste. Autant de réflexions, autant d’arguments contre la cruelle prétention du pharisien.

Vous avez vu dans notre première partie la pénitence de la pécheresse ; vous venez de voir le jugement du pharisien ; il nous reste à considérer le jugement de Jésus-Christ à l’égard de l’une et de l’autre. « Un créancier avait deux débiteurs ; l’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Or, comme ils n’avaient pas de quoi payer, il leur remit à tous deux leur dette : dis-moi donc lequel des deux l’aimera le plus ? Simon lui répondit : J’estime que c’est celui à qui il a remis la plus grande dette. Jésus lui dit : Tu as fort bien jugé. Alors se tournant vers cette femme, il dit à Simon : Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour me laver les pieds ; mais elle a arrosé mes pieds de ses larmes, et les a essuyés avec ses propres cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a cessé de baiser mes pieds. Tu n’as point répandu d’huile sur ma tête ; mais elle a oint mes pieds d’une huile odoriférante. C’est pourquoi je te dis que ses péchés, qui sont en grand nombre, lui sont pardonnés, et c’est à cause de cela qu’elle a beaucoup aimé : mais celui qui pardonne moins, aime moins ; » c’est notre troisième partie.

III. Ces paroles ont donné occasion à une célèbre question. L’on a demandé si le pardon que Jésus-Christ accorde à la pécheresse est un effet de l’amour qu’elle a eu pour Jésus-Christ, ou si l’amour qu’elle a eu pour Jésus-Christ est un effet du pardon qu’elle avait reçu. Les expressions et les emblèmes de mon texte semblent fournir des arguments pour soutenir l’une et l’autre de ces opinions.

1. La parabole qu’il propose favorise la pensée de ceux qui prétendent que l’amour de la pécheresse pour Jésus-Christ était un effet du pardon qu’elle en avait reçu : « Un créancier avait deux débiteurs. Il quitta cinquante deniers à l’un, et cinq cents à l’autre, lequel des deux l’aimera le plus ? Simon répond : C’est celui à qui il aura été remis une plus grande dette. » Qui ne voit que l’amour de ce créancier est un effet du relâchement de sa dette ; et comme ce relâchement représente ici le pardon des péchés, qui ne voit que l’amour dont Jésus-Christ veut parler, est représenté ici comme l’effet de ce pardon ? Mais l’application que Jésus-Christ fait de cette parabole semble fonder l’opinion de ceux qui font l’amour de la pécheresse la cause et non l’effet de son pardon. « Vois-tu cette femme, dit Jésus-Christ à Simon, je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour me laver les pieds ; mais elle a arrosé mes pieds de ses larmes, et les a essuyés de ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser, mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a cessé de baiser mes pieds. Tu n’as point répandu d’huile sur ma tête, mais elle a oint mes pieds d’une huile odoriférante. C’est pourquoi, je te dis que ses péchés, qui sont en grand nombre, lui sont pardonnés, car elle a beaucoup aimé. » Ne semble-t-il pas que l’application de cette parabole propose le pardon des péchés de cette pénitente, comme étant le fruit et la cause de son amour ?

Cette question mérite sans doute d’être éclaircie, parce qu’elle roule sur des paroles émanées de la bouche de Jésus-Christ, et par cela même dignes d’être approfondies. Mais était-elle aussi importante que quelques-uns l’ont prétendu ? Vous trouverez des interprètes prêts à s’excommunier les uns les autres sur cette question, et à accuser leurs antagonistes de renverser tous les fondements de la religion. Il y a eu des temps (et puissent ces temps ne revenir jamais, si tant est qu’ils ne subsistent pas encore), il y a eu, dis-je, des temps où l’on croyait signaler son zèle, où l’on apportait autant de soin à envenimer les controverses, qu’il aurait fallu en employer pour les concilier ; et où l’on croyait rendre service à la véritable religion, lorsqu’on pouvait aggraver les erreurs des religions opposées. Sur ce principe, ceux qui expliquaient les paroles de notre texte dans le premier sens taxaient les autres de renverser toute la doctrine de la justification gratuite ; car si le pardon accordé ici à la pécheresse, disaient-ils, est un effet de l’amour qu’elle a eu pour Jésus-Christ, que deviennent toutes ces décisions de l’Écriture, qui disent que c’est la grâce, et la grâce seule qui nous obtient la rémission de nos péchés ? Ceux qui étaient dans le sentiment opposé accusaient les autres de renverser tous les fondements de la morale ; car si l’amour que cette femme a eu pour Jésus-Christ, disaient-ils, n’est que l’effet de son pardon, il s’ensuit manifestement qu’elle avait été pardonnée avant que d’avoir cet amour. Et si cela est, que deviennent tous ces passages de l’Évangile, qui font entrer l’amour de Dieu dans l’essence de cette foi, sans laquelle il n’y a point de pardon ? Ne voyez-vous pas, mes frères, dans cette manière de disputer, ce malheureux esprit de parti qui défend la vérité avec les armes du mensonge ; cet esprit qui a causé tant de ravages dans l’Église, et qui est un des plus puissants obstacles que l’ennemi du genre humain puisse opposer à cette réunion de sentiments et de religion qui doit être l’objet de tous les vœux ? Quoi donc ! ne peut-on pas soutenir, dans un sens très orthodoxe, que l’amour que nous avons pour Dieu précède le pardon que nous en obtenons ? N’avons-nous pas déclamé contre la thèse de ces docteurs, qui ont avancé que l’attrition seule, c’est-à-dire cette crainte de l’enfer dans laquelle l’amour de Dieu n’entre pour rien, était suffisante pour ouvrir les portes du ciel à un pénitent ? Le recours au Sauveur du monde, ce recours qui fait l’essence de la foi, ne doit-il avoir d’autre motif que le désir de jouir des biens que son sacrifice nous procure ? Ne doit-il pas être animé de l’amour que nous avons pour ses perfections ? Mais d’un autre côté, ne peut-on pas dire aussi, dans un sens très pur et très digne de la sévérité évangélique, que le véritable amour que nous avons pour Dieu est un effet du pardon que nous en avons obtenu ? Jamais cet amour est-il plus ardent que lorsqu’il est allumé aux flammes de celui qu’il nous témoigne quand il nous absout ? Jamais notre zèle pour son service est-il plus fervent que lorsque c’est le sentiment de notre réconciliation avec lui qui le produit ? Les louanges que nous entonnons à sa gloire sont-elles jamais plus pures que lorsqu’elles sont fondées sur les mêmes motifs que celles des saints glorifiés, et que nous disons avec eux : « A celui qui nous a aimés, à celui qui nous a lavés de nos péchés par son sang, à lui soient honneur et gloire Apocalypse 1.6. » Les diverses vues que l’on pouvait avoir sur ce texte méritaient-elles tant de fiel et tant d’amertume ?

Mais quelle est la pensée du Sauveur du monde, et que faut-il répondre à la question proposée ? Le pardon accordé à la pécheresse est-il l’effet ou la cause de son amour ! Quelle idée doit prévaloir dans notre esprit, ou celle qu’offre d’abord la parabole, ou celle qu’offre l’application ? Le premier de ces sentiments, celui qui est le plus généralement reçu dans nos Églises, savoir celui qui fait regarder l’amour que témoigne ici cette femme comme l’effet de son pardon, nous paraît le mieux prouvé. La raison sur laquelle ce premier sentiment est fondé nous paraît sans réplique. Il n’y a ni remarque de critique, ni changement de version, qui puisse en faire éluder la force et l’évidence. « Un créancier avait deux débiteurs ! il cède cinquante deniers à l’un, il en cède cinq cents à l’autre : ce dernier l’aimera le plus. » Il est indubitable que cet amour est l’effet et non la cause du relâchement de la dette. La raison au contraire sur laquelle le second sentiment est appuyé peut être facilement éludée. Elle est fondée sur ce mot : « Car elle a beaucoup aimé ; c’est pourquoi je te dis que ses péchés, qui sont en grand nombre, lui sont pardonnés, car elle a beaucoup aimé. » L’expression de l’original, « car elle a beaucoup aimé, » est susceptible d’un tout autre sens. Il y a divers exemples du terme de l’original pris dans ce sens. Nous ne manquons à les rapporter que pour éviter la longueur. Il faut donc supposer que les larmes que verse ici cette femme ne sont pas les premières que lui avait fait répandre le souvenir de ses péchés. Elle avait déjà fait assez d’actes de pénitence pour avoir eu quelque sentiment de son pardon, et ce renouvellement de pénitence vient autant de la reconnaissance qu’elle sent d’avoir reçu la sentence de grâce, que du désir d’en recevoir la ratification. C’est pour cela que dans les causes de la douleur de la pénitente, nous n’avons pas fait entrer la crainte de l’enfer, qui devrait y avoir été comprise, si nous ne supposions qu’elle avait déjà obtenu son pardon. Cette supposition et ce commentaire répandent, ce me semble, un grand jour sur tout ce texte. Le pharisien est scandalisé de ce que Jésus-Christ souffre qu’une femme de mauvaise vie lui donne tant de marques d’amour. Jésus-Christ fait en même temps et sa propre apologie et celle de cette pécheresse. Il dit à ce pharisien, que l’excès de l’amour de cette femme vient de l’excès de l’amour des grâces qu’elle a reçues ; que le pharisien croyait avoir donné des marques suffisantes de son amour à Jésus-Christ, en le recevant chez lui, sans démonstration extraordinaire de zèle, sans lui présenter « de l’eau pour laver ses pieds, ni de l’huile pour oindre sa tête, sans lui donner de baiser ; » et que ce qui l’empêchait de donner de plus grandes marques d’amour, c’est qu’il se regardait comme ce premier débiteur, qui ne devait aimer que peu, parce que la somme qui avait été cédée était peu considérable ; mais pour cette femme, elle se considérait elle-même comme cet autre débiteur, à qui « cinq cents deniers » avaient été remis ; qu’ainsi elle se croyait obligée de donner de plus grandes marques d’amour : « Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour me laver les pieds ; mais elle a arrosé mes pieds de ses larmes, et les a essuyés de ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle n’a cessé de baiser mes pieds. Tu n’as point répandu d’huile sur ma tête ; mais elle a oint mes pieds d’une huile odoriférante. C’est pourquoi je te dis que ses péchés, qui sont en grand nombre, lui sont pardonnés. C’est à cause de cela qu’elle a beaucoup aimé, » et qu’elle m’a donné toutes ces preuves d’amour, qui sont si supérieures à celles que je reçois de toi dans ton festin ; car celui à qui on pardonne moins, aime moins.

Jésus-Christ se tourne ensuite vers la pénitente, et touché des nouvelles larmes qu’elle répand, il lui renouvelle les assurances du pardon qu’il lui avait déjà accordé ; il apaise la douleur que le souvenir de ses crimes, dont elle ne craignait plus la punition, entretenait encore dans son âme : « Tes péchés te sont pardonnés… va-t’en en paix. »

Directeurs rigides, qui rétrécissez les portes de la vie ; vous qui, par vos effrayantes maximes, semez de ronces et d’épines le chemin du paradis ; messagers de terreur et de vengeance, semblables à cet ange formidable, qui avec un glaive flamboyant interdisait à l’homme coupable l’accès au jardin d’Éden, vous qui ne dénoncez qu’enfer et que damnation, venez recevoir ici votre leçon ; venez apprendre à prêcher, et à écrire, et à parler dans ces chaires à un auditoire, et à consoler dans un lit de mort, un homme qui a son âme sur le bord de ses lèvres. Voyez le Sauveur du monde ; voyez avec quelle facilité, et avec quelle indulgence il reçoit cette pénitente. A peine a-t-elle versé quelques larmes, à peine a-t-elle répandu sur les pieds de Jésus-Christ quelque parfum, qu’il couronne sa repentance, devient son apologiste, pardonne pour un instant de repentir les excès de toute une vie, et daigne reconnaître pour membre de cette Église « pure, sans ride, et sans tache Éphésiens 5.27, » une femme ; quelle femme ? Une femme coupable peut-être de prostitution, peut-être d’adultère, certainement d’impureté et de fornication. Après cela, déclamerez-vous avec tant de violence contre la conversion, sous prétexte qu’elle n’arrive pas précisément dans le temps qu’il vous avait plu de lui marquer ? Refuserez-vous encore des dénonciations de grâce et d’absolution à ce pécheur, qui véritablement a croupi toute sa vie dans le crime, mais qui, quelques moments avant que d’expirer, revêt tout l’appareil de la pénitence, se couvre de larmes et de deuil, comme la pécheresse de l’Évangile, et vous dit qu’il embrasse avec ferveur les pieds du Rédempteur des hommes ?

Me trompé-je, mes frères ? Il me semble que je vois l’attention redoubler dans cet auditoire. Il me semble que cette dernière réflexion est du goût de plusieurs de mes auditeurs. Il me semble que j’en aperçois quelques-uns qui me tendent la main d’association, et qui me félicitent de ce que j’abjure publiquement aujourd’hui cette morale funeste et atrabilaire, qui est plus propre à désespérer les pécheurs qu’à les ramener.

Mais quoi, mes frères, depuis tant d’années que nous vous portons la parole, serions-nous assez mal connu de vous pour que vous puissiez nous soupçonner d’avoir proposé ces pensées dans un autre dessein que d’en faire sentir le faible ? Ou plutôt connaîtriez-vous assez mal votre religion : connaîtriez-vous assez mal l’esprit de l’Évangile et de mon texte, pour en tirer des usages si opposés aux vues du Saint-Esprit qui les a dictés ? Et où sont-ils donc ces hommes barbares ? Ou sont-ils ces messagers de vengeance et de terreur ? Où sont-ils ces casuistes, dont les maximes ferment tous les chemins de la vie ? Où sont-ils pour exciter de cette manière votre colère et votre indignation ? Quoi ! cet homme qui creuse depuis cinquante ou soixante années dans les replis du cœur humain ; cet homme qui vous assure qu’après des recherches exactes, qu’après mille soins réitérés, il trouve encore dans ce cœur des profondeurs impénétrables ; cet homme qui tire de la difficulté de ses travaux des arguments, pour vous engager à ne pas vous contenter d’un examen léger de votre conscience, à porter le flambeau de l’Évangile jusque dans les endroits de votre cœur les plus cachés ; cet homme, qui vous avertit, qui vous répète, et qui vous réitère, que si vous vous contentez d’une étude superficielle de vous-mêmes, vous tomberez dans mille et mille illusions, vous prendrez le fantôme de la pénitence pour son véritable corps ; vous vous croirez « riche et dans l’abondance, » lorsque vous serez « misérable, aveugle, nu Apocalypse 3.17 ; » est-ce là ce casuiste rigide qui vous scandalise et qui vous irrite ? Quoi ! cet homme qui vous dit que pour être en droit de s’assurer qu’on est en état de grâce, il faut avoir pour Dieu un amour de préférence qui nous fasse mettre son service au-dessus de celui des créatures ; cet homme qui, jugeant par mille et mille présomptions que vous préférez le service des créatures à celui du Créateur, conclut de ce triste phénomène que vous avez lieu de trembler ; quoi ! cet homme qui veut que vous passiez huit jours dans le recueillement et dans la retraite, avant que de participer au sacrement de la sainte Cène ; cet homme qui veut que vous purifiez ces mains sanglantes du meurtre de vos frères, et ce cœur brûlant de haine et de vengeance, et mis par cela même dans le catalogue des cœurs « meurtriers 1 Jean 3.15, » selon l’esprit de l’Évangile ; cet homme, qui vous interdit l’accès à l’Eucharistie tandis que vos commerces ne sont que suspendus, mais non pas rompus, tandis que vos concussions ne sont que suspendues, mais non pas déracinées ; est-ce encore là ce casuiste rigide, qui vous scandalise, et qui vous irrite ? Quoi ! cet homme qui vous a assisté trois, quatre, six fois au lit de la mort, et qui vous a vu alors toujours couvert de larmes, toujours reconnaissant vos crimes, toujours attestant le ciel et la terre du dessein où vous étiez de vous corriger, mais qui vous a vu reprendre incontinent votre premier genre de vie, comme si vous n’aviez point versé de larmes, point formé de vœux, point prêté de serments ; cet homme, qui conclut de ces funestes phénomènes que les résolutions de ceux qui sont mourants ou qui croient l’être doivent être toujours extrêmement suspectes ; cet homme qui vous dit que depuis qu’il assiste des malades, il n’en a presque pas vu un seul qui se soit converti par la maladie (et pour nous, mes frères, nous sommes garants de ce triste fait) ; cet homme, que ces exemples affreux épouvantent, et qui est moins empressé à annoncer la grâce de Dieu à des mourants d’un certain genre ; est-ce là encore ce casuiste rigide qui vous scandalise et qui vous irrite ? Quoi ! cet homme qui voit écrite sur votre visage la sentence de mort, cette maison d’argile prête à crouler sur ses fondements ; cet homme, à qui vous paraissez plus un squelette qu’un corps vivant ; cet homme, qui craint que dans trois, que dans quatre jours on ne vienne lui dire qu’on vous a trouvé mort dans votre lit, et sans avoir eu d’autre maladie que celle que vous nourrissiez déjà dans vos entrailles, que dis-je ? que celle qui est peinte sur votre visage, que celle qui afflige vos amis, qui consterne votre famille ; cet homme, qui est effrayé de ce que tout cela ne fait aucune impression sur vous, et de ce que vous vivez dans une distraction et dans une sécurité qui ne serait pas même pardonnable à celui dont les forces et la santé sembleraient lui promettre une longue vie ; cet homme qui vous crie : « Réveille-toi, toi qui dors, et te relève d’entre les morts, et Christ t’éclairera Éphésiens 5.14 ; » mets à profit ce reste de vie qui t’anime ; est-ce là ce casuiste rigide qui vous scandalise et qui vous irrite ? Ces maximes, ces discours, ces livres, ces sermons, sont-ce là ces systèmes de morale qui confondent et qui désespèrent ? Et où sont-ils donc les pécheurs que ces casuistes ont désespérés ? Où sont-elles ces consciences bourrelées, tourmentées ? Pour moi, je ne vois presque partout qu’un sommeil funeste ; je ne vois que sécurité, que léthargie, qu’endurcissement. Et quoi ! est-ce donc l’histoire de notre texte ? est-ce cette voix de Jésus-Christ : « Ma fille, ta foi t’a sauvée, va-t’en en paix ? » Est-ce la voix de la vérité éternelle qui vous porte à nous faire ainsi des objections de mensonge et d’illusion ? Et ne voyez-vous pas des différences sans nombre entre votre cas et celui de la pénitente ? La pénitente a pour casuiste un prophète, que dis-je ? elle a pour directeur un Dieu qui « sonde les cœurs et les reins Apocalypse 2.23, » qui voit jusqu’au fond de son âme, et qui démêle, à travers les voiles dont ce cœur est couvert, la sincérité de sa conversion et l’amertume de sa douleur. Vous, mes frères, vous ne pouvez avoir que des hommes qui jugent par les marques extérieures de religion que vous donnez, et qui ne peuvent prononcer sur votre état que selon ce que ces marques font présumer de votre cœur. La pénitente est aux pieds du maître de la religion, qui peut la sauver, s’il veut, par des voies extraordinaires, l’arracher des bras de la mort et de l’enfer, par une puissance qu’il ne déploiera peut-être que cette fois-là. Mais vous, vous avez des casuistes ministres qui ont leurs ordres et leur commission, et qui ne sont en droit de vous annoncer la paix qu’autant que vous remplissez telle et telle condition ; des casuistes dont toutes les assurances de grâce et de pardon ne doivent porter le calme dans votre âme qu’autant que vous les trouverez conformes aux ordres de leur souverain maître. La pénitente vient demander grâce d’une manière libre, volontaire, dans le temps qu’elle a encore de la santé et de la vie ; rien ne semble forcé dans ses démarches ; mais vous, vous attendez que la mort vous traîne devant le tribunal de Dieu ; vous attendez que l’idée des flammes éternelles vous arrache à ces plaisirs que vous aimez encore et auxquels probablement vous vous abandonneriez encore si Dieu ne vous en épargnait la honte en vous en ôtant l’occasion. La pénitente, dans la circonstance où elle se trouve, fait du moins tout ce qui dépend d’elle ; il n’y a offrande si chère qu’elle n’immole, il n’y a victime si précieuse dans laquelle elle n’enfonce, s’il faut ainsi dire, le couteau de la repentance ; il n’y a passion si invétérée qu’elle n’abandonne ; il n’y a marques si tendres d’amour pour son Sauveur qu’elle ne prodigue. Voyez ses yeux se répandant en larmes sur les pieds de Jésus-Christ ; voyez ses cheveux épars ; voyez son parfum versé ; voyez tous les caractères de sincérité que nous avons marqués dans notre première partie. Et quelles preuves faut-il d’une sincère conversion qu’elle ne donne ? Mais vous, combien d’égards, combien de réserves, combien d’endroits de votre vie qu’il n’est pas encore permis de vous montrer dans leur véritable point de vue ? Combien de faibles dans votre cœur, auxquels vous ne pouvez souffrir qu’on touche encore ? Ici c’est un ennemi dont le seul nom augmenterait la fièvre qui vous ronge, et ferait avancer la mort qui n’est pas fort éloignée. Là, c’est un dépôt d’iniquités que vous réservez à votre fils, afin qu’il porte votre nom avec plus de gloire, et qu’il soutienne plus dignement ce faste et cet orgueil, ce vent et cette fumée dont vous l’avez nourri. La pénitente n’a jamais trompé Jésus-Christ ; mais vous, vous avez trompé mille et mille fois votre casuiste. La pénitente pleure, elle pleure les endroits les plus odieux de sa vie ; bien loin d’avoir honte de les avouer, elle se fait une gloire de son aveu, dans le temps qu’elle se fait une honte de son crime. Et vous, au contraire, vous avez les yeux secs encore, et c’est Jésus-Christ qui pleure à vos pieds, c’est lui qui verse des larmes sur vous comme sur l’ancienne Jérusalem ; c’est lui qui dit : « O si tu avais reconnu du moins en ce jour qui t’est donné les choses qui appartiennent à ta paix Luc 19.42 ! O si mon peuple m’eût écouté ! si Israël eût marché dans mes voies Psaumes 81.14 ! » C’est donc à votre pénitence que les sentences d’absolution doivent être refusées. Mais la pénitence de la pécheresse remplissait toutes les conditions de l’alliance de grâce ; elle était conforme au génie de l’Évangile, au but de la mission de Jésus-Christ ; aussi fit-elle sortir de la bouche du Sauveur du monde, malgré les excès de la vie de la pénitente, malgré les cruels jugements du pharisien, malgré les murmures des invités : « Femme, tes péchés te sont pardonnés ; femme, ta foi t’a sauvée, va-t’en en paix. »

C’est par là, mes frères, que l’évangéliste finit l’histoire de la pécheresse, et que nous devons finir ce discours. Il y a pourtant une circonstance que saint Luc a supprimée, et, si j’ose le dire, que je voudrais qu’il eût racontée avec tout le détail le plus exact et le plus sévère. Quels mouvements firent naître dans l’âme de cette femme l’absolution qu’elle reçut ! Quels effets produisit dans sa conscience cette voix du Sauveur du monde : « Femme, tes péchés te sont pardonnés ; femme, ta foi t’a sauvée, va-t’en en paix ! » Mais non, ce silence n’a rien qui doive nous surprendre ; mais non, cette joie n’était pas une de ces circonstances de l’histoire qui dût entrer dans la narration de l’historien ; c’est dans le cœur de cette pécheresse, mais de cette pécheresse réconciliée, que ce mystère devait demeurer renfermé. C’est là cette « paix de Dieu qui surpasse toute intelligence Philippiens 4.7 ; » c’est là cette « joie ineffable et glorieuse 1 Pierre 1.8 ; » c’est ce « caillou blanc que nul ne connaît, sinon celui qui l’a reçu Apocalypse 2.17. Puissiez-vous le recevoir, mes frères, afin de le connaître ! Puisse la douleur d’une repentance vive et amère déchirer vos cœurs, afin que la miséricorde les guérisse, les console, les comble de joie et d’allégresse ! Dieu nous en fasse la grâce. A lui soient honneur et gloire à jamais. Amen.

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