Are you sure you read Saurin ?

19.
Pour le jeûne de la campagne de 1706

Écoutez maintenant ce que dit l’Éternel : Lève-toi, plaide par devant les montagnes, et que les collines entendent ta voix. Écoutez, montagnes, le procès de l’Éternel ; écoutez-le, même vous, les plus fermes fondements de la terre ; car l’Éternel a un procès avec son peuple, l’Éternel veut plaider avec Israël. Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai je travaillé ? Réponds-moi.

Genèse 18.27, 30

Sodome était si abominable lorsque Dieu voulut la consumer par un déluge de feu, qu’on ne peut voir sans admiration la condescendance qu’il eut pour Abraham, lorsqu’il lui permit de plaider en faveur de cette ville rebelle. Abraham en est lui-même surpris. Il craint d’embraser la colère de celui dont il vient solliciter la clémence. « Que l’Éternel ne se courrouce point, dit-il, et je parlerai. Voici, je pris la liberté de parler à l’Éternel, quoique je ne sois que poudre et cendre Genèse 18.27, 30. » Cependant Dieu l’écoute, il répond, il accorde, il est près de faire grâce à Sodome, et de pardonner à une multitude innombrable de coupables, s’il se trouve un petit nombre de justes. Abraham lui dit : « S’il y a cinquante justes dans Sodome, les feras-tu périr aussi ? Ne pardonneras-tu point à la ville à cause des cinquante justes ? » Et Dieu répond : « Je pardonnerai à la ville s’il s’y trouve cinquante justes. » Abraham continue : « Peut-être y en aura-t-il cinquante moins cinq, peut-être quarante, peut-être trente, peut-être vingt, peut-être dix. » Dieu écoute Abraham, Dieu se laisse conduire par Abraham jusqu’à l’extrémité de ses compassions, et entend, s’il faut ainsi dire, le signal de son serviteur, pour frapper les derniers coups sur Sodome. Tant il est vrai que la charité fait son essence, et que les titres « de miséricordieux et de pitoyable Exode 34.6 » sont les premiers rayons de sa gloire.

Mais, mes frères, si vous admirez la bonté de Dieu, lorsqu’il souffre qu’un ver de terre oppose ses raisons à ses jugements et plaide la cause de ces pécheurs dont la ruine était déterminée ; quels mouvements, je vous prie, doit produire dans votre esprit le spectacle que nous vous offrons aujourd’hui ? Voici dans les paroles de mon texte, voici Dieu non seulement souffrant que le pécheur plaide sa cause devant lui et suspendant ses droits souverains ; mais le voici prêt à plaider lui-même en la présence du pécheur : le voici descendant de son tribunal, rendant compte de sa conduite et se soumettant lui-même au jugement de ses créatures. « Écoutez ce que dit l’Éternel. Lève-toi, plaide par devant les montagnes, et que les collines entendent ta voix. Écoutez, montagnes, le procès de l’Éternel ; même vous les plus fermes fondements de la terre ; car l’Éternel a un procès avec son peuple, l’Éternel veut plaider avec Israël. Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. »

C’est ce spectacle inouï que nous allons exposer à vos yeux, pour vous faire entrer dans les sentiments de componction et de pénitence que vous demandent la solennité de ce joura, et ce bras de l’Éternel levé sur vos têtes pour les écraser, dirai-je, ou pour les défendre ? Avons-nous besoin de prévenir vos esprits, et de solliciter votre attention ? Que s’il me reste quelques vœux à former encore sur cet article, je vous conjure par les murailles de ce temple qui subsistent encore, mais que l’ennemi veut renverser ; par l’intérêt de vos femmes, de vos enfants, dont la perte est déjà préparée ; par l’amour que vous devez à la religion et à l’État ; au nom de nos souverains, de nos généraux, de nos soldats, dont la prudence et la valeur ne peuvent que manquer de succès sans le secours du Tout-Puissant ; je vous conjure d’apporter dans cet exercice des esprits attentifs, des cœurs accessibles. Distractions du monde, soucis terrestres, volées importunes d’oiseaux qui troublâtes tant de fois notre sacrifice, disparaissez aujourd’hui. Laissez-nous réparer les brèches faites à Jérusalem, prévenir celles dont elle est encore menacée, mettre le Dieu des batailles dans notre parti, et attirer par nos soupirs et par nos prières ses bénédictions sur l’État et sur l’Église. Amen.

a – Ce discours a pour but de consoler les réfugiés protestants de France, de répondre à leurs plaintes contre Dieu, et d’appeler la bénédiction divine sur les armes des peuples alliés contre Louis XIV. (Weiss)

Avant que de faire nos efforts pour pénétrer dans l’esprit de ce texte, parcourons-en les expressions ; elles sont dignes chacune de nos réflexions. « Écoutez ce que dit l’Éternel ; montagnes, collines, fondements de la terre, écoutez. » Quelle pompe dans ces termes ! Voici qui prépare l’esprit à de grandes choses. C’est une mauvaise maxime dans l’art oratoire, de promettre beaucoup à ses auditeurs. L’imagination de celui qui écoute va souvent plus loin que l’imagination de celui qui parle. Les orateurs du siècle aiment à surprendre les esprits par des pensées qu’ils n’ont pas promises ; afin que les choses qu’ils disent paraissent d’autant plus grandes, qu’elles sont moins étendues.

Mais le Saint-Esprit a-t-il besoin des règles de notre rhétorique, et la parole éternelle est-elle asservie aux lois de nos orateurs ? Il n’y a point de proportion entre l’esprit des hommes auxquels le prophète adresse sa voix, et l’esprit de ce Dieu qui anime le prophète. Pour grande que soit votre attente, elle sera toujours surpassée. Les grandes choses ne manqueront point à votre pénétration, mais votre pénétration manquera aux grandes choses. « Les pensées de Dieu seront toujours au dessus de vos pensées, comme les cieux sont élevés par dessus la terre Ésaïe 55.8-9. » D’abord un prophète semble ne présenter qu’un objet à l’esprit, et il en présente un grand nombre : vous croyez qu’il ne vous promet qu’un libérateur charnel, et il promet le Messie : vous rapportez ses discours au temps, et il a l’éternité en vue. C’est donc à bon droit qu’il se promet tout de son sujet. « Écoutez, montagnes ; écoutez, collines. Et vous les plus fermes fondements de la terre, écoutez. »

« Écoutez ce que dit l’Éternel, » ajoute notre prophète. C’est l’Éternel qui parle par la bouche de ses serviteurs : il leur a confié ses trésors : il a mis en eux le « ministère de réconciliation 2 Corinthiens 5.18. » Il est vrai que ces trésors sont dans des vaisseaux de terre 2 Corinthiens 4.7 ; » mais ce sont les trésors du salut, et tout ce qui regarde le salut vous intéresse. Il est vrai, ce sont des ministres faibles ; mais ce sont des ministres du souverain, et tout ce qui vient de sa part vous doit être vénérable. Quand nous censurons le pécheur, quand nous faisons résonner dans ces auditoires nos « maranathas et nos anathèmes 1 Corinthiens 16.22, » nous excitons les plaintes et les murmures. Mes frères, qu’on nous renvoie dans nos cabinets et dans nos écoles, si nous voulons mettre la main au gouvernail de l’État et pénétrer dans les secrets de votre politique ; qu’on nous note comme des hommes suspects et dangereux, si nous cherchons, sous prétexte de piété et de religion, à nous ingérer dans vos familles. Mais quand nous sommes dans cette chaire, quand nous ne vous proposons d’autre parole que celle qui est émanée de la bouche de Dieu même ; ni d’autres lois que celles qui viennent de son trône, ne trouvez point étrange si nous vous disons : Écoutez avec respect, écoutez avec attention. Nous sommes les « ambassadeurs de Christ L’Éternel a parlé. » Voilà notre commission, voilà nos titres, voilà nos patentes.

« Lève-toi, plaide par-devant les montagnes, et que les collines entendent ta voix. Écoutez, montagnes ; écoutez, collines ; écoutez, fondements, même les plus fermes fondements de la terre, écoutez, ce que dit l’Éternel. » Quand l’Éternel parle, tout doit faire silence. Il sait faire entendre sa voix aux créatures les plus insensibles. « La voix de l’Éternel est forte, la voix de l’Éternel est magnifique, la voix de l’Éternel brise les cèdres du Liban : elle fait sauter Scirjon comme un faon de licorne : elle jette des éclats de flammes de feu : elle fait trembler le désert : elle découvre les forêts Psaumes 29.3. » Tout l’univers reconnaît cette voix, et tout l’univers s’y soumet. Elle fait plus : elle commande au néant : elle « appelle les choses qui ne sont point comme si elles étaient Romains 4.17. Les cieux ont été faits par la parole de l’Éternel, et l’étendue par le souffle de sa bouche. Il a dit, et la chose a eu son être : il a parlé, et elle a comparu Psaumes 33.6. »

Il n’y a qu’un être dans la nature qui soit sourd à la voix de Dieu, c’est le pécheur. Plus insensible que la pierre, plus dur que les rochers, il refuse d’être attentif. Il faut que le prophète s’adresse aux créatures inanimées ; il faut qu’il se tourne vers les coteaux, vers les montagnes, vers les fondements de la terre. « Écoutez, montagnes ; écoutez, collines ; écoutez, vous les plus fermes fondements de la terre, » et faites honte à mon peuple. « Le bœuf connaît son possesseur, l’âne connaît la crèche de son maître ; mais Israël n’a point de connaissance, mon peuple n’a point d’intelligence Ésaïe 1.3-4. Israël a oublié le Dieu fort qui l’a formé, et le rocher qui l’a engendré Deutéronome 32.18. »

Ah ! que l’Israël d’aujourd’hui ressemble à l’Israël du temps de Michée ! Quand nous parlons de la part de Dieu, nous trouvons presque toujours des esprits absents, des yeux distraits, des cœurs insensibles. Nous avons beau dire : « L’Éternel a parlé ; écoutez ce que dit l’Éternel Ésaïe 1.2. » Peu s’en faut qu’on ne nous réponde : « Qui est l’Éternel, que j’obéisse à sa voix Exode 5.2 ? » Chacun voudrait un Évangile à sa mode. Chacun voudrait porter la main à l’encensoir. Une morale rigide n’est point du goût de nos auditeurs. Chaque pécheur dit de celui qui la prêche, ce qu’un roi impie disait autrefois de Michée : « Je le hais, car il ne prophétise que du mal 1 Rois 22.8. » Il faudra désormais que nous nous adressions à ces voûtes, à ces piliers, à ces murs : notre auditoire est insensible.

« L’Éternel a un procès avec son peuple. » Quel procès, mes frères ! Jamais cause pareille ne fut plaidée devant des juges ; jamais tribunal ne fut instruit d’une affaire si importante ; et les parties de ce procès, et la manière dont il se plaide, et la matière dont il s’agit, tout y est digne d’attention.

Les parties de ce procès : d’un côté, c’est le maître du monde, c’est celui devant qui « toutes les nations de l’univers ne sont qu’une goutte d’eau, c’est celui qui est assis sur le globe de la terre, qui voit ses habitants comme des sauterelles, qui pèse les montagnes au crochet, et les coteaux à la balance Ésaïe 40.12, 15, 22. » D’un autre côté, c’est le peuple, c’est Israël, c’est l’Église. Ainsi c’est un époux qui plaide avec son épouse, c’est un père qui plaide avec ses enfants, c’est le Créateur qui plaide avec sa créature. Qui vit jamais un procès où les parties fussent plus dignes de considération ?

La manière dont se plaide cette cause est plus remarquable encore. « L’Éternel a un procès avec son peuple. » A ces mots, la conscience est bouleversée : le pécheur va chercher les fentes des rochers, et demande la chute des montagnes, pour se dérober au courroux de Dieu. Chacun va s’écrier avec un prophète : « Qui est-ce qui subsistera devant le feu dévorant ? Qui est-ce qui séjournera avec les flammes éternelles Ésaïe 33.11 ? » Et comme les anciens Israélites : « Que le Seigneur ne parle point à nous. de peur que nous ne mourions Exode 20.19. Comment l’homme mortel se justifierait-il devant le Dieu fort Job 9.2 ? » Mais que vos consciences s’apaisent : Dieu ne vient point ici avec l’appareil redoutable de sa vengeance. S’il a pour but de confondre son peuple, ce n’est pas par les effets de sa colère, c’est par les reproches de son amour. « Mon peuple, que t’ai-je fait ? Mon peuple, en quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. » Il sait bien qu’il n’a rien à lui alléguer ; mais il veut le toucher par les plus nobles motifs : il veut exciter au dedans de lui cette « repentance dont on ne se repent jamais, cette tristesse selon Dieu 2 Corinthiens 7.10, ce cœur froissé et brisé Psaumes 51.19, » qui est si cher à ses yeux. Ainsi, que tous ceux qui ont besoin de foudres et de tonnerres, que tous ceux à qui il faut ouvrir l’enfer sous leurs pieds, que tous ceux dont l’âme est inaccessible aux motifs d’équité et de justice, sortent de ce temple. Ce n’est point à eux que nous prêchons aujourd’hui. Nous parlons au peuple de Dieu. « L’Éternel a un procès avec son peuple, l’Éternel veut plaider avec Israël. » Nous parlons à ceux qui ont un cœur pour entendre ces tendres expressions, ces expressions si tendres, que, parmi tout ce qu’on voit en ce genre dans les poètes et les orateurs, on ne trouve rien qui approche de celles-ci : « Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. »

Enfin la matière de ce procès est remarquable ; c’est toute la conduite de l’homme à l’égard de Dieu ; c’est toute la conduite de Dieu à l’égard de l’homme. Dieu veut bien porter sa patience jusques à écouter les plaintes de son peuple ; mais il veut aussi que le peuple entende les siennes.

Voilà en général quel est le but de ce texte. Mais ces réflexions seraient-elles suffisantes sur un sujet digne de la méditation la plus profonde ? Il faut le voir de plus près ; il faut instruire à fond ce procès, il faut écouter ces parties si peu proportionnées, et si peu propres en apparence à être confrontées ensemble ; il faut examiner qui a tort, si c’est Dieu, si c’est l’homme. Pardonne, ô Dieu ! si des vers de terre osent agiter cette téméraire question, et plaider ainsi en ta présence. Ta condescendance ne servira qu’à relever ta gloire. « Tu seras trouvé juste dans tes discours, et pur dans tes jugements Psaumes 51.6. » Voyons donc premièrement quelles sont les plaintes de l’homme à l’égard de Dieu, et ce que Dieu peut y répondre. Après quoi nous verrons quelles sont les plaintes de Dieu à l’égard de l’homme, et ce que l’homme alléguera pour sa justification. Mais, comme nous l’avons insinué, ne soyez pas surpris, mes frères, si nous oublions quelquefois que Michée parlait aux Juifs, et si nous considérons désormais ce texte, et par rapport aux chrétiens en général, et par rapport à ceux qui composent cet auditoire en particulier.

Que la créature se plaigne de son Créateur, c’est une de ces vérités qui tiennent du paradoxe. Elle lui doit « la vie, le mouvement et l’être Actes 17.28. » Cet air qu’elle respire, ce souffle qui l’anime, ce soleil qui l’éclaire, cette terre qui la porte, sont autant d’émanations de ses bontés. Cependant il est très constant que l’homme se plaint contre Dieu. Outrager la Divinité, fouler ses ordres aux pieds, blasphémer contre son saint nom,

être insensible aux marques les plus tendres de son amour, comme nous faisons tous les jours, n’est-ce pas murmurer, n’est-ce pas se plaindre ?

Écoutons ces plaintes. Vos vœux sont accomplis, mes frères, et vous vous trouvez aujourd’hui dans l’état où Job voulait être, lorsque dans l’excès de ses douleurs il prononçait ces paroles énergiques : « Que je souhaiterais de savoir où je pourrais trouver Dieu ! J’irais jusques à son trône, je déduirais mon droit en sa présence, je remplirais ma bouche d’arguments, j’entendrais ce qu’il me dirait, et je saurais ce qu’il peut avoir à me répondre Job 33.2. » Déduisez-le ce droit, mortels ; préparez-les ces arguments ; Dieu est prêt à vous écouter.

Quand on rentre dans soi-même, on croit pouvoir se plaindre de Dieu à ces trois égards : on trouve ses lois trop sévères, ses jugements trop rigoureux, ses grâces temporelles trop peu abondantes. Suivons l’homme dans ces trois articles.

I

Les lois de Dieu nous paraissent trop sévères. « Mon peuple, que t’ai-je fait ? » A cela, la concupiscence répond : J’aimerais à dominer dans le monde, et Dieu veut que je sois humble, que je lave les pieds de mes disciples, et « qu’estimant chacun plus excellent que moi Philippiens 2.3, » je me place, s’il faut ainsi dire, au poste le plus bas de cet univers. J’aimerais à amasser des richesses, et Dieu veut que « mes mœurs soient sans avarice Hébreux 13.5, que, regardant les lis des champs et contemplant les oiseaux des cieux, » j’apprenne par leur exemple à me reposer sur la Providence. J’aimerais à me nourrir délicieusement, à raffiner sur les plaisirs, et Dieu veut que je sois sobre, que je traite durement mon corps et que je le tienne assujetti 1 Corinthiens 9.27, et qu’au lieu de me resserrer en moi-même, je me répande au dehors pour donner à la charité ce que je destinais à mes voluptés. J’aimerais à divulguer les vices de mon prochain, à établir ma réputation sur les débris de la sienne ; et Dieu exclut de son royaume ceux qui s’abandonnent à la médisance. En un mot, chaque désir de mon cœur trouve quelque loi de Dieu qui le gêne. Ah ! d’où vient qu’il me donne des lois si opposées à mes penchants, ou qu’il me laisse des penchants si opposés à ses lois ?

Je vous entends, pécheurs, vous voudriez que la Divinité eût formé le plan de la religion, non sur ces règles éternelles de « l’équité et de la justice, » qui « sont la base de son trône Psaumes 97.2, » mais sur les suggestions de ces impures passions dont vous êtes animés. Vous voudriez que la religion, destinée par ses conseils à repurger l’univers de ces vices infâmes qui le défigurent, eût ouvert une ample carrière à ces mêmes vices, et rassuré les consciences que la justice d’un Dieu vengeur vient épouvanter. Vous voudriez que le Dieu souverain, par une condescendance incompatible avec la pureté de ses perfections, eût revêtu en quelque sorte lui-même les impuretés de l’homme pécheur, l’homme pécheur étant assez lâche et assez impur pour refuser de se réformer sur la sainteté du Dieu souverain.

Mais y faites-vous bien réflexion ? Vous vous plaignez des lois de Dieu. Qui êtes-vous ? D’où êtes-vous venu ? Qui vous a donné la naissance ? Dieu n’est-il pas votre maître ? Cette étendue immense qui paraît à vos yeux, ces espaces infinis où votre imagination se perd, ces cieux qui roulent sur vos têtes, cette terre qui vous soutient, n’est-ce pas l’empire de Dieu ? Et vous, vile créature, reléguée dans un coin de cet univers, vous maison d’argile, vous vermisseau, vous néant plus vain « que la vanité même Psaumes 62.10, » vous qui ne faites que vous « promener parmi ce qui n’a que l’apparence Psaumes 39.7, » vous murmurez contre les lois de Dieu ; vous voudriez être les maîtres de la religion, vous voudriez lui dire : Défends ceci ; permets cela, vous voudriez lui faire la loi sur son trône. Quelle folie !

Vous vous plaignez des lois de Dieu. Ces lois ne sont-elles pas justes en elles-mêmes ? Dieu veut que vous l’aimiez. Mais ses perfections, sa majesté, ses grâces sans nombre, vous permettent-elles de lui refuser un devoir si juste ? Dieu veut que vous aimiez vos prochains. Mais serait-il juste que vous, qui êtes tirés de la même poussière que ce prochain, et qui devez y retourner ; serait-il juste que, sous prétexte de quelque avantage extérieur, vous eussiez pour vous-mêmes ces préférences qui ne vont à rien de moins qu’à ravaler la nature humaine, et à nous faire estimer nous-mêmes par des biens qui sont hors de nous ? Serait-il juste que dans la société chacun contribuât à vous rendre heureux ; que l’artisan vous aidât de son industrie, que le savant vous éclairât de ses lumières, que le politique vous assistât de ses conseils, que le soldat vous défendît de son courage ; et que, simple spectateur de ces choses, vous n’eussiez d’autre soin que celui de jouir du travail des autres ? Tout cela serait-il juste ? Vos plaintes sont-elles bien fondées ? « Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. »

Vous vous plaignez des lois de Dieu. Mais ces lois, à quoi tendent-elles, qu’à rendre vos âmes aussi parfaites qu’elles puissent l’être ? Nous vous en faisons encore les juges. Représentez-vous, vous-mêmes à vous-mêmes, violant toutes les lois que Dieu vous a données ; représentez-vous sans amour pour Dieu, sans charité pour vos prochains, fiers, orgueilleux, médisants, calomniateurs. Représentez-vous, au contraire, humbles, pieux, servants, patients, charitables : n’est-il pas vrai que, malgré la violence de vos passions, vous vous trouvez plus dignes d’estime dans ce dernier état que dans l’autre ? Que si ces passions vous aveuglent au point de vous rendre inaccessibles à ces réflexions, représentez vous deux hommes, dont l’un eût les vices de ce premier tableau, et l’autre toutes les vertus du second ; et si vous ne préférez ce dernier à l’autre, plaignez-vous de la sévérité des lois divines.

Vous vous plaignez des lois de Dieu. Mais ces lois ne sont-elles pas infiniment propres à vous rendre heureux même sur la terre ? Dans quel état serait un cœur, de quelles scènes sanglantes deviendrait-il le théâtre, si Dieu voulait le livrer aux noires pensées de l’envie, aux excès de la volupté, aux soins rongeants de l’avarice, aux tempêtes de l’ambition ? Figurez-vous une société où il fût permis de voler, d’assassiner, de commettre des adultères ; une société où l’on ne reconnût d’autre motif que son intérêt, d’autres lois que ses passions, d’autres bornes que celles de son ambition ; une société où le magistrat opprimât le peuple, où le peuple se révoltât contre le magistrat, où l’ami trahît son ami, et où celui qui aurait reçu des bienfaits perçât le sein de son bienfaiteur ; voudriez-vous être membre d’une société de ce genre ? Figurez-vous, au contraire, un plan opposé : portez cette supposition aussi loin qu’il est possible, vous sentirez qu’il n’y a rien de si propre que les lois de Dieu à rendre les hommes heureux dès cette vie, et que quand il y aurait des cas particuliers où ces lois apportent quelques troubles et quelques peines, on en serait amplement dédommagé, non seulement par l’espérance du bonheur éternel, mais même par le plaisir présent d’avoir suivi les règles de l’ordre, et par l’approbation de la conscience.

Vous vous plaignez des lois de Dieu. Mais que sont-elles ces lois, si ce n’est celles qu’il se prescrit à lui-même ? Dieu vous ordonne d’être justes ? N’est-il pas juste lui-même ? « La justice et l’équité ne sont-elles pas la base de son trône Psaumes 97.2 ? » Dieu veut que vous soyez humbles. Mais, quoique cette vertu semble répugner à la nature divine, n’a-t-on pas vu le prodige étonnant d’un Dieu infirme et humilié, et celui qui « ne regardait point comme une usurpation d’être égal à Dieu, s’anéantir soi-même jusqu’à prendre la forme de serviteur Philippiens 2.6-7 ? » Dieu veut que vous soyez charitables. N’est-il pas la « charité 1 Jean 4.16 ? » N’êtes-vous pas inondé de ses grâces ? Ne vous a-t-il pas donné son fils ? Beauté admirable de la religion, mes frères, qui transforme la créature sur l’image de celui qui l’avait formée ; condescendance du Dieu que nous adorons, qui a attaché à l’imitation de ses attributs la véritable félicité, et qui veut nous faire participer à son bonheur, en nous rendant participants de ses perfections.

Vous vous plaignez des lois de Dieu. Mais qu’est ce que Dieu demande de vous, si ce n’est que vous fassiez vos efforts pour lui plaire ? Ne promet-il pas d’accepter votre sanctification, quelque faible, quelque imparfaite qu’elle puisse être, pourvu qu’elle soit sincère ? Ne vous promet-il pas les grâces efficaces de son esprit, pour suppléer à votre faiblesse ? Entrez dans vous-mêmes : écoutez ces suggestions, ces joies, ces espérances, qui s’excitent dans vos consciences : c’est le bras de l’Éternel qui vous tire, c’est la « lumière céleste qui est répandue dans vos cœurs, » c’est l’Esprit qui travaille à vous convertir 2 Corinthiens 4.6. Si Dieu se présentait à vous au milieu des brandons et des foudres de Sinaï ; si vous étiez « venus au feu brûlant, à l’obscurité et à la tempête Hébreux 12.18 ; » si du milieu de la montagne étincelante il vous criait : « Maudit est qui ne persévère pas à observer les paroles de cette loi Deutéronome 27.26 » votre faiblesse pourrait vous servir d’excuse : mais, comme j’ai dit, il parle à son peuple, il se présente à lui avec tous les-adoucissements de sa grâce.

Ah ! si vous déploriez votre corruption ! si vous disiez dans l’amertume de votre âme : « Misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps mortel Romains 7.24 ? » il vous consolerait lui-même ; il vous dirait « qu’il ne rompt point le roseau cassé, et qu’il n’éteint point le lumignon qui fume Matthieu 12.20. » Si, confus de votre faiblesse, vous vous jetiez à ses pieds pour implorer son assistance, il vous donnerait son esprit, qui, portant sa force et sa lumière jusqu’aux replis les plus cachés de votre cœur, déracinerait votre corruption dans son centre. Mais vous aimez vos péchés, vous outragez cette main charitable qui vous est offerte, « vous contristez le Saint-Esprit » vous changez « la grâce de Dieu en dissolution : » après cela vous vous plaignez que les lois de Dieu sont sévères : vous regardez Dieu législateur comme un ennemi mortel qui vous fait la guerre. Ah ! que ces reproches sont injustes ! « Mon peuple, que t’ai-je fait ? » Mes commandements sont-ils pénibles, et « mon joug » n’est-il pas « aisé ? Mon fardeau » n’est-il pas « léger ? » Ne suis-je pas « doux et humble de cœur Matthieu 11.20 ? Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. »

II

Les secondes plaintes de l’homme regardent Dieu comme gouverneur du monde. Il se plaint de l’économie trop resserrée de sa providence et des bornes étroites qu’il a données aux faveurs temporelles qu’il lui accorde. Rendons justice à la nature humaine, mes frères ; reconnaissons l’apparence d’équité qui est dans cet argument, si nous ne pouvons pas justifier l’argument même. Il est vrai que cette plainte a quelque couleur. Dieu se présente à nous, dans la religion, sous les relations les plus tendres : comme ami, comme frère, comme père, comme époux. « La terre » est en la puissance de ce Dieu qui s’unit à nous si étroitement, et « tout ce qui est en elle Psaumes 24.1 ; » un seul acte de sa volonté peut envoyer dans nos maisons les plaisirs, les richesses, les grandeurs. Cependant il nous laisse dans la misère et dans l’indigence, et à peine trouverons-nous dans tout le volume de l’Évangile un seul passage qui nous fasse présumer que nous serons grands, riches, accrédités dans le monde, si nous nous dévouons sincèrement aux préceptes du christianisme.

Mais si cette objection paraît d’abord insoluble dans la bouche d’un chrétien, c’est précisément de la bouche d’un chrétien qu’elle ne saurait partir, s’il ne porte l’ingratitude et l’aveuglement jusqu’à leur dernier excès. Si vous êtes chrétiens, vous devez être si pénétrés des biens dont vous êtes comme inondés, qu’il n’est pas même concevable comment l’idée de ces biens temporels que vous croyez manquer à votre félicité peut faire impression sur vos âmes et trouver encore quelque place dans votre cœur. Si vous êtes chrétiens, vous devez être persuadés que Dieu vous « a bénis de toutes ses bénédictions spirituelles en Jésus-Christ ; qu’il vous a élus en lui avant la création du monde ; qu’il vous a prédestinés pour être ses enfants par Jésus-Christ, selon son bon plaisir Éphésiens 1.3. » Si vous êtes chrétiens, vous devez être persuadés que « Dieu vous a tant aimés qu’il vous a donné son Fils, afin qu’en croyant en lui vous ne périssiez point, mais que vous eussiez la vie éternelle Jean 3.16. » Si vous êtes chrétiens, vous devez être persuadés que pour vous « il a ébranlé le ciel, la terre, la mer et le sec Aggée 2.6, » et qu’il a envoyé son esprit dans vos cœurs, pour y sceller votre adoption. Si vous êtes chrétiens, vous devez être persuadés que cette parole qu’il vous adresse par notre ministère, que ces tables sacrées qu’il dresse si souvent à vos yeux, que ces solennités qu’il publie au milieu de vous, sont de tendres soins de cette providence qui établit « les uns pour être apôtres, les autres pour être pasteurs et docteurs, pour l’assemblage des saints et pour l’œuvre du ministère Éphésiens 4.11-12. » Si vous êtes chrétiens, vous devez être persuadés qu’à l’heure de votre mort les cieux seront ouverts à vos yeux comme autrefois à Étienne ; que les anges vous soutiendront dans votre agonie comme ils soutinrent votre Rédempteur ; que votre âme ravie en extase entonnera le chant de triomphe aux extrémités de la carrière. Si vous êtes chrétiens, vous devez être persuadés qu’il y a des « demeures dans la maison de notre père, » que « Jésus-Christ » vous y est allé « préparer le lieu Jean 14.2 ; » que les vicissitudes de l’éternité ne porteront aucune altération à votre bonheur. Si vous êtes chrétiens, vous devez « être déjà justifiés 2 Corinthiens 6.11, déjà glorifiés, déjà ressuscités, déjà assis ensemble aux lieux célestes, en Jésus-Christ Éphésiens 2.6. »

Est-il concevable que, prévenus par tant de soins, que comblés de tant de faveurs, qu’élevés à de si glorieuses espérances, vous osiez vous plaindre de ce que vous manquez de quelque prospérité sur la terre ; que vous puissiez même penser à ces frêles avantages dont les mondains ont l’âme remplie ?

Ce n’est pas tout. Que l’on examine la morale de Jésus-Christ dans sa source, on verra qu’elle est presque incompatible avec les prospérités mondaines. Le cœur de l’homme est tel, qu’il fallait ou que Jésus-Christ changeât les lois de sa religion, s’il voulait nous mettre en possession des biens temporels, ou qu’il nous privât des biens temporels, s’il voulait établir les lois de sa religion. Vous voudriez, dites-vous, qu’il eût promis à la modération les plaisirs, à la charité les richesses, à l’humilité les grandeurs. Mais plutôt, pour conserver à un cœur sa modération, il fallait qu’il lui ôtât ses plaisirs qui sont un piège si dangereux ; il fallait qu’il privât de ses richesses l’homme charitable, pour ne pas exciter son avarice ; il fallait qu’il ôtât les grandeurs mondaines à l’humble, de peur qu’elles ne fissent brèche à son humilité. C’est là une vérité de sentiment et d’expérience. On dirait que chaque bien temporel porte avec soi un venin mortel qui infecte celui qui le possède. Les tentations où la prospérité nous plonge sont infiniment plus difficiles à vaincre que celles où l’adversité nous expose. Tel qui a triomphé des persécuteurs, des bourreaux, des tyrans, a succombé à l’orgueil, à l’ambition, à l’intempérance, lorsque les objets propres à embraser ses passions se sont offerts à ses yeux.

Non seulement les prospérités temporelles sont opposées à nos devoirs, elle le sont par cela même à notre véritable bonheur. Si Dieu nous avait donné une vie pleine de charmes, nous eussions pris peu de soin de nous en procurer une autre ; il est naturel d’aimer un séjour où l’on trouve des délices : tout ce qui nous attache à la terre ralentit l’ardeur que nous aurions pour le ciel : « l’homme intérieur » ne « se renouvelle » que « lorsque l’homme extérieur tombe 2 Corinthiens 4.16, » et notre foi s’établit sur les ruines de notre fortune. Lorsque la colombe rencontre hors de l’arche les vents déchaînés, les eaux débordées, les bondes des cieux ouvertes, l’univers entier enseveli sous les ondes, elle cherche son refuge dans l’arche. Mais lorsqu’elle trouve des plaines et des campagnes, elle s’y arrête. Mon âme, voilà ton image. Lorsque le monde te propose des prospérités, des dignités, des richesses, tu écoutes la voix de l’enchanteur et tu te laisses surprendre à ses charmes. Mais lorsque tu ne trouves dans le monde que pauvreté, que dégoûts, que misère, tu tournes tes yeux vers le ciel pour y chercher la félicité dans son centre. Aujourd’hui, malgré les disgrâces dont notre vie est accompagnée, il nous en coûte infiniment lorsqu’il faut nous en arracher ; que serait-ce si tout y prospérait selon nos vœux ? Parlez à un homme qui a la mort sur les lèvres, épuisez la philosophie et la religion pour le résoudre à mourir, placez-le entre deux objets, entre le ciel et la terre, entre le temps d’où il va sortir et le ciel à ses yeux, montrez-lui ces anges bienheureux qui doivent être ses sociétés éternelles, cet agneau qui doit le paître et ces délices ineffables auxquelles il va être admis. Au milieu de tant de raisons qui semblent si propres à le détacher du monde, ce monde lui est cher encore, cette vie, cette vie courte, cette vie indigente, cette vie qui n’est qu’un amas de mensonges et d’apparences, cette vie l’emporte sur cette éternité glorieuse, triomphante. Si, malgré tant de dégoûts que nous trouvons sur la terre, il nous en coûte tant d’efforts lorsqu’il s’agit de la quitter, que serait-ce si Dieu nous avait donné une santé plus ferme, une vie plus longue, une maison plus florissante ? Que serait-ce s’il ne se mêlait aucune mortification dans notre élévation, aucune inconstance dans nos amitiés, aucune vicissitude dans notre fortune ?

III

Enfin, le troisième sujet des plaintes que nous formons contre Dieu regarde la rigueur de ses jugements. Les Juifs du temps de Michée l’avaient éprouvée en diverses rencontres, et le prophète leur prédit de nouvelles misères. « Voici, l’Éternel va sortir de son lieu ; il marchera sur les hauts lieux de la terre ; les montagnes et les vallées se fondront en sa présence : c’est pourquoi je me plaindrai, je m’en irai tout dépouillé, je gémirai comme les dragons et me lamenterai comme les hiboux ; car il n’y a pas une de ses plaies qui ne soit incurable. Jérusalem sera labourée comme un champ ; Sion sera réduite en monceaux de pierres Michée 1.2-3.

Mais comme nous envisageons tout ce texte par rapport à vous, mes frères, il vous est permis aujourd’hui de donner un libre cours à vos plaintes, et de dire, à la face du ciel et de la terre, les maux que Dieu vous a faits. « Mon peuple, que t’ai-je fait ? » Ah ! Seigneur, que de choses tu nous a faites ! Chemins de Sion couverts de deuil, portes de Jérusalem désolées, sacrificateurs sanglotants, vierges dolentes, sanctuaires abattus, déserts peuplés de fugitifs, membres de Jésus-Christ errants sur la face de l’univers, enfants arrachés à leurs pères, prisons remplies de confesseurs, galères regorgeantes de martyrs, sang de nos compatriotes répandu comme de l’eau, cadavres vénérables, puisque vous servîtes de témoins à la religion, mais jetés à la voirie et donnés aux bêtes des champs et aux oiseaux pour pâture, masures de nos temples, poudre, cendre, tristes restes des maisons consacrées à notre Dieu, feux, roues, gibets, supplices inouïs jusqu’à notre siècle, répondez et déposez ici contre l’Éternel.

Mes frères, si nous considérions Dieu comme juge, quelle foule de raisons ne pourrions-nous pas alléguer pour justifier ces coups dont il vous a frappés ? L’abus que nous faisions de ses grâces, le mépris que nous avions pour sa parole, les avertissements de ses pasteurs, dont nous ne tenions aucun compte, tant de mondanité, tant d’orgueil, tant de froideur, tant d’indifférence et tant de vices odieux qui ont précédé nos misères, sont des témoins trop convaincants que nous les avions méritées ; ils doivent faire succéder à nos plaintes ce triste mais sincère aveu qu’un prophète met dans la bouche de l’Église : « L’Éternel est juste, car je me suis rebellée contre lui Lamentations 1.18. »

Mais dans tout ce texte nous considérons Dieu comme père, et nous disons qu’il n’a point démenti cette qualité dans ses châtiments même les plus rigoureux. L’amour qu’il avait pour vous l’a porté à employer les moyens extrêmes pour vous rappeler à lui. Vous le savez, mes frères, et vous ne le savez que trop, la facilité avec laquelle on jouit de la présence de Dieu diminue souvent à nos yeux le prix de cet avantage. J’en appelle à l’expérience. Rappelez à votre mémoire ce temps qui lui est si cher, ce temps où la religion était prêchée dans les lieux de votre naissance, et où Dieu, par une bonté admirable, vous accordait tout ensemble et les biens spirituels et les prospérités terrestres. J’en atteste vos consciences ; connaissiez-vous alors tout ce que valaient ses faveurs ? N’étiez-vous jamais dégoûtés de cette manne qui tombait chaque matin à vos portes ? Ne disiez-vous jamais comme les Israélites : « Nos yeux ne voient que manne Nombres 11.6. » Il a fallu pour ranimer votre zèle que Dieu vous ait ôté son chandelier : il a fallu que la difficulté de travailler à sauver vos âmes vous en fit sentir la nécessité, et que l’absence de l’époux mystique embrasât votre ferveur. Alors la piété a redoublé au milieu de vous, et, quoique les malheurs des temps nous aient fait voir tant de preuves de la fragilité humaine, c’est pourtant à ces mêmes malheurs que nous devons ces beaux exemples dont la mémoire passera à la postérité la plus reculée.

Reconnaissons-le donc, mes frères, et rendons hommage aux droits de Dieu, après avoir osé y porter atteinte, Dieu n’a rien fait à l’égard de son peuple dont il ait lieu de se plaindre ; dans toute sa conduite il lui a montré la protection d’un Dieu, la fidélité d’un époux, la tendresse d’un père et nous n’avons rien à répondre à la voix qu’il nous adresse : « Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. »

Mais si Dieu a répondu aux plaintes du peuple, voyons maintenant de quelle manière le peuple répondra aux plaintes de Dieu : voyons ce que nous répondrons nous-mêmes à celles qu’il nous fait entendre. Il a écouté les nôtres ; refuserions-nous d’entendre les siennes ? Achevons d’instruire cet étonnant procès qui est entre Dieu et son Église. « L’Éternel a eu un procès avec son peuple ; l’Éternel veut plaider avec Israël. »

Vous savez trop bien l’histoire du peuple juif, pour ignorer ses dérèglements. Ils avaient corrompu leurs mœurs et leur religion : « Juda avait autant de dieux que de villes Jérémie 11.13 ; » ils aimaient mieux sacrifier leurs enfants à Moloch, que leurs moutons et leurs bœufs à l’Éternel ; il n’y avait ni opinion si bizarre, ni culte si puéril, ni idolâtrie si grossière, qui ne fût reçue parmi eux. Après avoir secoué le joug de la religion, qui sert de frein à notre cœur, ils avaient lâché la bride aux passions les plus déréglées, ils avaient adopté tous les vices des nations chez qui Dieu les avait fait habiter. C’est ce qui leur est reproché dans tant d’endroits des prophètes, et particulièrement dans ces paroles énergiques d’Ézéchiel, où ce malheureux peuple est représenté sous la plus odieuse image dont l’imagination puisse être frappée : « Oh ! que ton cœur est lâche ! dit le Seigneur l’Éternel. O femme adultère qui prends des étrangers au lieu de ton mari ! On donne salaire aux autres prostituées, mais toi tu as donné à tes adultères les présents que ton époux t’avait faits, afin que de toutes parts ils vinssent pour assouvir tes passions infâmes ! Il t’est arrivé dans tes débauches le contraire de ce qui arrive aux autres, parce qu’il n’y avait personne qui te recherchât, tu as donné des présents et n’en as point reçu Ézéchiel 16.30, 32 ; » paroles qui nous donnent de ce peuple les idées les plus affreuses. Car s’il était odieux, sous la loi, de faire « du salaire d’une femme impure, » des offrandes au Seigneur, quelle abomination, je vous prie, de prendre les présents mêmes du Seigneur, pour assouvir les passions d’une femme impure ?

Ce qui aggravait l’atrocité de leurs crimes, c’était ces grâces sans nombre dont Dieu les avait comblés. Le prophète les rappelle à leur souvenir, immédiatement après notre texte : « Mon peuple, souviens-toi que je dissipai le conseil de tes ennemis, et que je t’affranchis d’une servitude cruelle Deutéronome 23.18. Que de faveurs ce peuple avait reçues, mes frères ! Que d’engagements à craindre Dieu ! Il avait traité son alliance avec eux : il avait fendu la mer pour leur faire un passage : il avait fait descendre du pain du ciel pour les nourrir : il avait fait sortir des eaux du rocher pour les abreuver : il les avait introduits dans un pays, un pays dont Moïse leur avait dit : « Le pays où vous allez passer est un pays dont l’Éternel ton Dieu a soin, sur lequel l’Éternel ton Dieu a continuellement les yeux, depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin Deutéronome 11.12. » D’ailleurs tous les biens de la vie dont ils jouissaient étaient autant de types et autant de gages de quelques grâces spirituelles, que Dieu leur promettait encore ou dont ils avaient actuellement la jouissance. Après tant de faveurs de la part de Dieu, après tant de crimes de la part du peuple, Dieu n’a-t-il pas sujet de se plaindre ? Y a-t-il jamais eu de procès plus justement intenté que celui qu’il lui intente ?

Mes frères, en lisant l’histoire de ce peuple, vous avez eu sans doute de l’horreur ; vous avez blâmé sans doute son idolâtrie, vous avez détesté son ingratitude ; vous avez condamné le relâchement des pasteurs et tous les vices du peuple. Mais que diriez-vous si nous vous prouvions que les excès des sacrificateurs et des peuples sont allés plus loin encore dans la nouvelle économie que sous l’ancienne ? C’est ce que porte le procès que l’Éternel a contre vous ; c’est ce qu’il faut examiner maintenant.

Mais qui de nous, qui de nous aurait la fermeté d’entrer dans ce détail ? Et qui de vous, peuple chrétien, aurait l’humilité de s’entendre faire ces reproches sans murmurer et sans frémir, sans crier « ôte, ôte Jean 19.15, » contre celui qui oserait l’entreprendre ? Chose étrange ! quand nous plaidions tout à l’heure la cause injuste de l’homme contre le Créateur, le Créateur attentif a satisfait à nos plaintes ; la terre ne s’est point ouverte sous nos pieds pour nous engloutir ; le feu du ciel n’est point descendu pour nous dévorer, et chaque article du procès que nous lui avons intenté a eu ses réponses. A présent qu’il s’agit d’écouter les plaintes du Créateur, j’entends déjà chacun qui murmure, je vois chacun qui refuse d’avoir, pour des reproches justes, une déférence que Dieu n’a point refusée à des plaintes sans fondement.

Eh bien ! nous vous servirons selon votre goût ; nous vous traiterons comme des malades à qui il faut déguiser les remèdes qu’on leur présente et les opérations qu’on leur prépare ; nous ne déciderons rien, nous laisserons encore chacun de vous le juge de sa propre vie. Nous allons seulement produire quelques articles du procès de Dieu contre vous ; nous allons seulement proposer quelques maximes sur lesquelles nous vous appelons à vous examiner. Mais s’il vous reste quelque ombre de justice, nous vous conjurons de vous les appliquer.

Première maxime : « Quand un peuple est distingué de Dieu par des faveurs signalées, il doit signaler sa reconnaissance. » Vous sentez chacun l’équité de cette maxime, et personne ne la conteste. Or y eut-il jamais dans l’univers un peuple favorisé du ciel au point où l’a été le peuple de ces provinces ? Un peuple (permettez-moi de remonter jusqu’à votre première origine), un peuple né parmi les tourments les plus affreux et les supplices les plus barbares ; un peuple asservi à des tyrans plus cruels que des Pharaons ; un peuple qui n’avait point de honte de prendre le nom de « gueux » pour ses titres, et « la besace » pour ses étendards ; un peuple qui, dans l’espace de six mois, fournit six mille personnes aux roues et aux gibets ; un peuple sorti de cet état et parvenu au point de grandeur et de gloire où vous êtes aujourd’hui ; un peuple qui, placé dans un petit coin du monde, et n’occupant que quelques arpents de terre, donne le branle à tout l’univers ; un peuple qui a tenu tête en même temps à deux grands rois ; un peuple à l’égard duquel on a vu la mer suspendre son flux, dans une journée qui devait décider à jamais du sort de ces provinces ; un peuple de qui l’ennemi occupait les plus fortes places, et qui n’avait plus pour ressource que la fidélité impuissante de quelques citoyens ; mais qui a vu cet ennemi s’enfuyant « par sept chemins après être venu par un chemin Deutéronome 28.7 ; un peuple qui habite un pays formé, si j’ose ainsi dire, contre les lois de la nature, mais que le Dieu de la nature soutient comme par miracle ; un peuple maître de ses impôts, de ses lois, de son gouvernement ; un peuple qui voit briller le chandelier du Seigneur dans tout son éclat, et la réformation dans toute sa pureté. Ce n’est là qu’un catalogue très imparfait des grâces par lesquelles Dieu vous distingue. Vous distinguez-vous par votre reconnaissance ? Voit-on au milieu de vous plus de piété et de dévotion que parmi les autres peuples de l’univers ? Y voit-on plus d’attention à la parole de Dieu et plus de déférence à ses ordres ? Y voit-on plus de bons exemples dans les chefs de famille, et plus d’éducation dans les enfants ? Y voit-on plus de ferveur dans le rétablissement des autels ? Y voit-on plus d’amour pour la vérité, et plus de travaux entrepris pour la propagation de la foi ? Y voit-on plus de compassion pour les malheurs de Sion ? Je ne prononce rien, je ne décide rien, je vous laisse vous-mêmes les juges de votre conduite.

Peut-être que ceux de mes auditeurs que le courroux du ciel poursuit depuis si longtemps, et que Dieu semble réserver pour des monuments éternels de sa vengeance ; peut-être croient-ils que la maxime touchant les faveurs de Dieu n’a rien qui puisse les concerner. Mais serions-nous assez ingrats pour ne pas apercevoir les biens dont Dieu nous a comblés ? Et serions-nous assez endurcis pour ne pas sentir jusqu’où nous avons porté notre ingratitude ?

Mes frères, regardons pour un moment en arrière. Jetons pour un moment les yeux sur les lieux de notre naissance dont nous avons été exilés : rappelons à notre souvenir ces temps où « nous marchions en troupe avec une voix de triomphe jusques à la maison de Dieu Psaumes 43.5, » pour m’exprimer avec le prophète : souvenons-nous de tant d’avantages dont nous avons joui jusqu’au jour où nous en sommes sortis. Quelle beauté dans le climat ! Quelle douceur dans la société ! Quelle facilité dans le commerce ! Quels progrès dans les sciences et dans les beaux-arts ! Notre reconnaissance a-t-elle été proportionnée aux libéralités du Seigneur ? Hélas ! cet exil que nous déplorons, cette dispersion qui nous arrache à nos relations les plus tendres, cet ennui qui nous dévore, ces larmes que nous versons, ne sont-ce pas de tristes garants de notre insensibilité et de notre ingratitude ? C’est le premier article du procès de Dieu contre nous : c’est la première maxime sur laquelle nous devons nous examiner.

La seconde maxime regarde les châtiments de Dieu. Voici la maxime : « Quand on est sous la main d’un Dieu irrité, on est appelé au deuil et à la componction. Des plaisirs, innocents dans d’autres circonstances, deviennent criminels dans celle-ci. » Vous sentez encore la vérité de cette maxime. Vous savez que Dieu vous crie par son prophète : « Écoutez la verge et celui qui l’a ordonnée Michée 6.9. » Ce fut là un des reproches les plus cuisants qu’il faisait à son peuple : « Le Seigneur l’Éternel des armées vous a appelés en ce jour aux pleurs et au deuil, à vous arracher les cheveux, à vous couvrir de sac et de cendre ; et voici, il n’y a que joie et allégresse : on tue des bœufs, on égorge des moutons, on en mange la chair, on boit du vin, et on dit : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. L’Éternel des armées m’a déclaré que jamais cette iniquité ne vous sera pardonnée Ésaïe 22.13 » C’était là le souci cuisant qu’un prophète versait dans le sein de Dieu : « Tu les a frappés, et ils n’en ont point senti de douleur : tu les as consumés, et ils ont refusé de recevoir l’instruction, ils ont endurci leurs faces plus qu’une roche, et ils ont refusé de se convertir Jérémie 5.3. »

Or, mes frères, quoique les grâces du Seigneur nous pressent de toutes parts, il est visible pourtant dans la conjoncture présente que nous sommes sous sa verge. Je laisse toutes ces tribulations dont nous vous avons déjà entretenus : je ne parle plus ni de confesseurs, ni de prisonniers, ni de martyrs ; je ne vous rappelle plus les gibets, les roues, les tortures, objets si propres à bannir de notre cœur cette joie insensée qui le remplit, si nous étions « malades à cause de la calamité de Joseph Amos 6.6, et attachés aux pierres de Sion. » Je ne veux parler que du sujet qui nous assemble ; je ne veux parler que de cette guerre si cruelle et si tragique. L’ange exterminateur ne se promène-t-il point à droite et à gauche ? L’épée de l’Éternel enivrée de sang Jérémie 47.6 ne fait-elle pas de tous les lieux de l’univers un vaste sépulcre ? Vos fortunes, vos libertés, votre religion ne sont-elles pas chancelantes ? Et la victoire rapide accompagna-t-elle toujours vos flottes et vos armées ? n’avez-vous pas dans le péril, vos amis, vos époux, vos frères ? Nos triomphes ne coûteront-ils point de larmes ? Nos lauriers ne seront-ils point ensanglantés ? Les cris de quelque mère qui aura perdu son enfant, les soupirs de quelque épouse qui aura perdu son époux, les plaintes de quelque ami qui aura perdu son ami, ne troubleront-ils point nos chants de victoire et ne mêleront-ils point des sons lugubres aux cris de notre allégresse ?

Nous sommes donc sous la main de Dieu. Cependant quelles impressions font sur nous des objets si effrayants ? Quels effets produisent dans nos âmes des objets si propres à y jeter l’épouvante et l’horreur ? A-t-on rompu quelque partie de plaisir ? S’est-on absenté de quelque cercle ? A-t-on retranché quelque fête et quelque spectacle ? Les pleurs, les soupirs, le jeûne, le sac, la cendre, est-ce ce qu’on voit au milieu de nous ? Ne dirait-on pas à nous voir que tout succède selon nos désirs ; qu’il n’y a point de danger, point de guerre, point de sang prêt à verser, point de campagnes qui allaient être jonchées de corps morts ? Voilà le second article du procès de Dieu contre nous. Voilà la seconde maxime sur laquelle roulera le procès que Dieu vous intente. Je ne prononce rien, je ne décide rien, je vous laisse vous-mêmes juger à quelle plainte cette maxime donne lieu.

La troisième maxime regarde le but de la prédication et du ministère. Voici la maxime : « Le spectacle des Églises n’est pas le but du ministère ; y assister sans devenir plus sage, c’est aggraver ses misères en aggravant ses péchés. » Sur ce principe, jamais ces temples ne s’ouvrent, jamais vous n’assistez dans ces assemblées, jamais vous n’entendez de sermons, que vous ne soyez appelés à en retirer quelque fruit qui réponde à ce but que nous venons de vous marquer. Le faites-vous ? Quand on jette les yeux sur cet auditoire et qu’on le regarde avec les yeux de la chair, on y trouve tout ce qui est capable et d’éblouir et de surprendre ; on y trouve des princes, des magistrats, des généraux, des beaux esprits, des savants. A peine dans le reste de l’Europe verrait-on ramassées, dans un si petit espace, tant de têtes vénérables. On y voit encore tout l’extérieur de la piété : assiduité, attention, empressement, concours du peuple, et tout ce qui semble former des auditeurs zélés et fervents. Mais le but, le grand but du ministère, y est-il même connu ?

Lorsque vous venez dans ce saint lieu, pensez-vous à ce que vous allez faire, et en entrant dans la maison de Dieu « prenez-vous garde à votre pied Ecclésiaste 5.1, » selon l’expression d’un prophète ? Lorsque vous êtes sous cette chaire, votre cœur accompagne-t-il celui qui prie ? Votre ferveur suit-elle ses discours, et votre âme embrasée s’unit-elle avec sa voix pour ouvrir les portes des cieux, et pour fléchir le Tout-Puissant ? Lorsque vous écoutez un sermon, avez-vous la docilité requise en des personnes qu’on instruit ? Votre mémoire travaille-t-elle à s’inculquer les vérités qu’on vous enseigne ? Votre cœur s’applique-t-il les reproches qu’on lui fait ? Lorsque vous êtes hors de ce temple, rappelez-vous dans votre âme les choses que vous avez ouïes ? En faites-vous le sujet de ces cercles que vous formez en sortant de ces exercices ? En demandez-vous compte à vos enfants et à vos domestiques ; et voit-on quelque fruit au milieu de vous de tant d’exhortations, de tant de sommations, de tant d’instances ? Je ne décide rien, je ne prononce rien, je vous laisse vous-mêmes les juges de votre conduite.

Quatrième maxime : elle regarde la médisance. Voici la maxime : « La médisance est un vice impur dans sa source, dangereux dans ses effets, général dans ses influences, irréparable dans ses suites ; un vice qui porte trois coups mortels, qui frappe celui qui le commet, celui envers qui on le commet et ceux qui le voient commettre. On le tolère dans la société, c’est parce que chacun a un penchant invincible à le commettre. » Examinez cette ville sur cette maxime. Vos médisances ne sont-elles pas fameuses dans les climats les plus reculés ? Ne sont-elles pas remarquées par les voyageurs et par les étrangers ? Ne voit-on pas au milieu de vous des personnes cruellement attentives à la conduite du prochain, qui disent sans cesse : Où est-il ? d’où vient-il ? que fait-il ? que pense-t-il ? N’a-t-on pas une joie extrême lorsqu’on peut découvrir quelque imperfection dans sa vie ? Ne publie-t-on pas avec malice des vices que la charité devait couvrir ? N’invente-t-on pas ? N’ajoute-t-on pas ? Ne calomnie-t-on pas ? N’attaque-t-on pas les hommes les plus illustres et les plus vénérables : des chefs de famille, des magistrats, des pasteurs ? Ne taxe-t-on pas sans raison et sans fondement celui-ci d’hérésie, celui-là de fraude, cet autre d’intrigue criminelle ? Voilà le quatrième article du procès que Dieu vous intente. Je ne prononce rien, je ne décide rien, je vous laisse vous-mêmes les juges de votre conduite.

Cinquième maxime : « Si les périls au milieu desquels la Providence nous conduit et les coups dont elle nous frappe doivent toucher tous les cœurs, ils doivent faire impression particulièrement sur l’âme de ceux qui les voient de plus près. » Expliquons-nous. Il n’y a personne au milieu de nous, il n’y a point de crédit si bien affermi, point de maison si bien soutenue, point de fortune si bien cimentée, que cette guerre n’intéresse. Par conséquent il n’y a personne qui, par des prières ardentes et par une piété avérée, ne doive contribuer à attirer la faveur du ciel sur nos armées.

Mais il est pourtant visible que nos généraux, que nos officiers, que nos soldats, ont un intérêt plus particulier et plus personnel à ce que la campagne nous prépare. Des gens qui, outre tous les périls auxquels la fragilité humaine rend sujet chacun de nous, vont s’exposer encore aux dangers des sièges, des batailles, des suites d’une vie pénible et laborieuse, des gens qui sont toujours aux prises avec la mort ; des gens qui marchent toujours parmi les feux et les flammes ; des gens qui entendent toujours à leurs oreilles le son des instruments belliqueux, qui leur dit d’une voix si forte et si effrayante : « Souvenez-vous que vous êtes mortels, » des gens de ce caractère ne doivent-ils pas être plus émus de ces objets que nous, qui ne les voyons que de loin ? Et par conséquent ne doivent-ils pas entrer avec plus de sincérité encore dans les dispositions que ces objets semblent exciter. Voilà la maxime : voilà le cinquième article du procès que Dieu vous intente.

Voyez, examinez. Voit-on la piété et la religion respectées dans vos troupes ? L’arche de l’Éternel marche-t-elle à la tête de votre camp ? La colonne de nuée sert-elle à guider vos pas ? La charité anime-t-elle des cœurs que des périls communs doivent réunir ? Ces bouches, prêtes à rendre le dernier soupir, s’ouvrent-elles pour bénir le Créateur et pour lui remettre une âme qui est sur le bord de vos lèvres ? Punit-on avec la même sévérité les injures faites à Jésus-Christ, que celles qui regardent le chef des armées ? « Voulez-vous provoquer la jalousie du Seigneur ? Êtes-vous plus forts que lui 1 Corinthiens 10.22 ? » Voulez-vous lui arracher la victoire ? Voulez-vous triompher malgré lui ; ou si vous voulez qu’il vous favorise, lorsque vous avez l’impiété sur le front, l’irréligion dans le cœur et le blasphème à la bouche ? Je ne décide rien, je ne prononce rien, je vous laisse chacun tirer les conséquences naturelles qui suivent de cette maxime.

La sixième maxime regarde le jeu : « S’il y a des circonstances où le jeu est innocent, elles sont rares et presque inouïes. Il est plus aisé de renoncer à ce plaisir que de le prendre sans passer les bornes. » Examinez-vous sur cette maxime. N’y a-t-il point parmi nous de ces esprits à qui le jeu est devenu nécessaire, à qui il a fait perdre le goût pour tous les autres plaisirs de la vie ? N’y a-t-il point de pères et de mères qui y entraînent leurs familles par leurs discours et plus encore par leurs exemples ? N’y a-t-il point d’opulent qui se croie autorisé d’y consumer son opulence ? N’y a-t-il point de nécessiteux qui y emploie le fonds, et, s’il faut ainsi dire, le pain même de sa famille ? Je ne décide rien, je ne prononce sur rien, je vous laisse vous-même les juges de votre conduite.

Mais pourquoi ne pas prononcer ? Pourquoi ne pas décider ? Pourquoi respecter de fausses délicatesses ? Pourquoi « ne pas annoncer tout le dessein de Dieu Actes 20.27 ? » Pourquoi « vouloir plaire aux hommes Galates 1.10 ? » Ah ! mes frères ! si je me tais, ces pierres, ces voûtes, ces murs, les coteaux, les montagnes, les collines, se lèveront en jugement contre vous. « Écoutez, montagnes ; écoutez, collines, écoutez le procès de l’Éternel. L’Éternel a un procès avec son peuple : l’Éternel veut plaider avec Israël. » Oui, l’Éternel a un procès avec vous. Il vous fait des reproches capables de fendre vos cœurs, de vous faire fondre en larmes amères si vous êtes encore sensibles. Il se plaint sur tous ces articles que nous venons d’alléguer. Il se plaint de ce que vous êtes insensibles aux menaces les plus terrassantes de sa bouche, et aux coups les plus formidables de sa main. Il se plaint de ce que vous vous déchirez, de ce que vous vous entre-mordez les uns les autres, comme les créatures les plus barbares et les plus féroces. Il se plaint de ce que l’impiété, l’irréligion, l’intempérance règnent dans ces âmes qui font gloire d’avoir Dieu même pour leur chef. Il se plaint de ce que vous oubliez l’excellence de votre nature, la noblesse de votre origine, et de ce que vous occupez des âmes immortelles à des amusements indignes d’un esprit qui a quelque ombre d’intelligence. Il se plaint de ce que les exhortations, les instances, les sommations les plus fortes et les plus pressantes sont presque entièrement sans succès. Il se plaint de ces crimes abominables que quelques-uns de nous commettent à la face du soleil, et de ceux que la nuit cache de ses noires ombres, mais dont je n’ose faire retentir les horreurs dans ces murs destinés à résonner des louanges du Créateur. Il se plaint de ce que vous allez le forcer à surmonter tout le penchant qui le porte à se répandre en bénédictions sur vous ; de ce que vous le forcez à prendre la verge pour frapper les plus rudes coups. Déjà l’orage commence à se former ; déjà le tonnerre se fait entendre ; déjà la foudre est prête à crever, si notre jeûne, si notre sac, si notre cendre ne préviennent ces jugements qui nous menacent, dirai-je, ou qui nous enveloppent.

Tel est le procès que Dieu vous intente : telles sont les plaintes qu’il vous fait. C’est à vous à y répondre. Justifiez-vous, plaidez, parlez, répondez : « Mon peuple, que t’ai-je fait ? » Qu’avez-vous à dire en votre faveur ? Comment justifierez-vous votre ingratitude, votre insensibilité, vos excès, vos médisances, vos dissipations, votre froideur, votre mondanité, votre orgueil, vos communions indignes, vos jeûnes oubliés, vos serments faussés, vos résolutions violées, vos cœurs également endurcis à ses menaces, à ses promesses, à ses châtiments, aux brèches qu’il a faites à l’Église, et à celles qu’il lui prépare ? Avez-vous quelque chose à répliquer ? Encore une fois, justifiez-vous, plaidez, parlez, répondez.

Ah ! mes frères, mes frères ! Me trompé-je ? Il me semble que je lis dans vos yeux, dans vos cœurs, sur vos fronts, la réponse que vous allez faire. Il me semble que je les vois, ces cœurs, pénétrés d’une véritable douleur. Il me semble que je vois ces fronts couverts d’une sainte confusion, et ces yeux baignés des larmes d’une salutaire repentance. Il me semble que j’entends la voix de vos consciences « froissées, brisées, tremblantes à la parole de Dieu Ésaïe 66.2. » Il me semble que je les entends : « Moi je ne répondrai point à mon Dieu, et quand même je serais juste, je demanderais grâce à mon juge. » Ce fut la disposition du peuple après avoir entendu Michée : « Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je travaillé ? Réponds-moi. » Et le peuple, affligé de ses péchés, effrayé des jugements de Dieu, navré, confus, accablé, consterné, répond : « Avec quoi préviendrai-je l’Éternel ? Avec quoi me prosternerai-je devant le Dieu souverain Michée 6.6 ? »

C’est la réponse que fit le peuple juif : c’est la réponse que nous attendons de vous. Répondez chacun : « Avec quoi préviendrai-je l’Éternel ? Avec quoi me prosternerai-je devant le Dieu souverain ? » Avec quoi arrêterai-je ces torrents débordés qui menacent le monde chrétien, et qui s’apprêtent à nous engloutir ? Et nous vous répondrons de la part de Dieu : Prévenez-le par vos soupirs : prévenez-le par vos larmes : prévenez-le par des résolutions, mais par des résolutions fortes, constantes, efficaces : prévenez-le par des effusions, et par des redoublements d’amour. Voilà ce qu’il faut faire aujourd’hui, voilà le dessein de ce jour : voilà la fin de notre jeûne ; voilà le but de ce discours. Car, mes frères, il ne suffit pas d’avoir vu le procès qui est entre Dieu et vous, il faut le terminer : il faut réconcilier les parties : il faut se rendre à la voix de Dieu qui crie à chacun de vous : « Qu’il fasse la paix avec moi, qu’il fasse la paix avec moi Ésaïe 27.5. »

Magistrats, souverains, grands du monde, pasteurs, troupeau, pères de famille, jeunes gens, ne voulez-vous pas tous répondre à cette invitation ? Ne protestez-vous pas tous à la face du ciel et de la terre, et en la présence de ces anges qui assistent dans nos assemblées, que vous préférez cette paix à tous les trésors du monde ? N’êtes-vous pas résolus sincèrement et de bonne foi de n’enfreindre jamais ces clauses ? « Seigneur, tu sais toutes choses Jean 21.17 » : tu connais toutes choses, et tu pénètres dans les intentions les plus secrètes de ce peuple. Si nous répondons chacun à ce que Dieu demande de nous, sentons la joie que doit nous inspirer notre retour en grâce avec lui. Que venez-vous de voir, chrétiens, et que venez-vous d’entendre ? Dieu qui a plaidé devant vous, Dieu qui vous a confondus, mais Dieu qui vous a pardonné. Que ne devez-vous pas espérer d’un Dieu si doux et si tendre ?

Je vois dans un heureux avenir les larmes de Sion essuyées, le deuil de Jérusalem terminé, ses captifs affranchis de leurs fers, et ses forçats de leurs chaînes ?

Je vois dans un heureux avenir la victoire suivre nos pas, nos généraux couverts de lauriers, et toutes nos campagnes marquées de quelque triomphe nouveau. Je vois dans un heureux avenir nos prières changées en actions de grâces, nos jeûnes en fêtes solennelles, notre deuil en triomphe, et tous ces fidèles qui s’assemblent aujourd’hui pour implorer le secours du Dieu des batailles, convoqués solennellement pour bénir le Dieu des victoires, faisant retentir cet auditoire de ces cris redoublés : « La droite de l’Éternel a fait vertu, la droite de l’Éternel a fait vertu Psaumes 118.15. L’épée de l’Éternel, l’épée de Gédéon Juges 7.20. »

Je vois dans un heureux avenir nos ennemis confondus, « le courrier venant à la suite du courrier, et le messager à la suite du messager pour annoncer au roi de Babylone Jérémie 51.31 » que ses armées sont mises en déroute. Je vois le commerce fleurir au milieu de ce peuple, la paix et la liberté pour jamais affermies dans ces provinces.

Allez, généreux guerriers, allez vérifier de si doux augures, allez, saintement prodigues de votre sang, combattre pour la liberté, pour la religion et pour la patrie. Puisse le Dieu des armées vous ramener victorieux aussi rapides que nos souhaits ! Puisse-t-il réunir tant de cœurs et rassembler tant de familles que la campagne va séparer ! Puisse-t-il épargner le sang chrétien, et en vous rendant vainqueurs, faire grâce à ceux que vous allez vaincre ! Puisse-t-il vous donner de recueillir les couronnes et les lauriers que nos mains empressées vous préparent ! Puisse-t-il, après avoir donné à tous une vie douce, glorieuse, utile à l’État et à vos familles, vous ouvrir les portes de l’éternité et vous introduire dans le temple de la paix ! Dieu vous en fasse la grâce. A lui, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, soit honneur et gloire, dès maintenant et à jamais. Amen.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant