Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 13
Le roi dépouille le pape et le clergé

(Mars, avril, mai 1532)

6.13

Caractère de Th. Cromwell – Abolition des aimates – Le clergé plie devant le roi – Deux serments qui se contredisent – Rumeur des prêtres – Th. More donne sa démission – Les deux maux de la réforme royale

Henri VIII ayant permis à ses évêques de s’acquitter les premiers de leur tâche, — la persécution, allait entreprendre la sienne, — faire rendre gorge à la papauté. Malheureusement pour le clergé, le roi ne pouvait attaquer le pape, sans faire tomber quelques coups sur les prêtres. Le duel entre Henri VIII et Clément VII va s’animer, et dans l’espace de trois mois, mars, avril, mai, l’Église romaine, dépouillée d’importantes prérogatives, devra reconnaître qu’après tant de siècles de richesse et d’honneur, l’heure de son humiliation est enfin venue.

Avant tout, Henri était résolu à ne pas permettre que sa cause se jugeât à Rome. Que penserait-on s’il cédait ? « Le pape pourrait-il contraindre tous les rois à quitter la charge que Dieu leur a commise, afin de s’humilier devant lui ? Ce serait fouler aux pieds la gloire de notre personne et les privilèges de notre royaume, » écrivait-il à ses envoyés ; « si le pape persiste, dites adieu au pontife et revenez immédiatement vers nous. — Le pape, ajouta Norfolk fera bien d’y penser, s’il désire retenir l’Angleterre dans son obédienceg. »

g – « Obedience of England to the See Apostolic. » (State papers, VII, p. 349.)

Catherine, de son côté, ne resta pas en arrière et écrivit au pape une lettre pathétique, où elle l’informait que son époux l’avait bannie du palais. Clément, au comble de la perplexité, se comporta pourtant comme il devait le faire ; il demanda au roi (25 janvier), de rappeler la reine et d’éloigner Anne Boleyn de la cour. « Henri repoussa avec énergie la demande du pontife : Jamais prince, n’a été traité par un pape, comme je le suis par Votre Sainteté, dit-il ; ce ne sont pas des raisons plâtréesh, c’est la seule vérité qui doit nous conduire. » Le roi s’apprêta à commencer l’émancipation de l’Angleterre.

h – « Not painted reason. » (Burnet, Records, I, p. 100.)

Thomas Cromwell est comme le symbole de la réforme politique accomplie par ce prince. Il était une de ces puissantes natures que Dieu crée pour opérer des choses importantes. Son jugement prompt et sûr lui avait fait concevoir ce qu’il était possible de faire sous un roi tel que Tudor, et son intrépide énergie le mettait en état de l’accomplir. Il avait une horreur instinctive des superstitions et des abus, les discernait jusque dans le moindre détail, et les abattait d’un bras vigoureux. Tout obstacle était brisé sous les roues de son char. Il défendait même les évangéliques contre leurs persécuteurs, sans pourtant se compromettre, et encourageait la lecture de l’Écriture sainte ; mais la suprématie royale, dont il avait été l’inventeur, était son idole.

Les diverses exactions de Rome en Angleterre étaient fort nombreuses ; le roi et Cromwell se contentèrent, pour le moment, d’en supprimer une, le revenu de la première année des bénéfices ecclésiastiques, que la papauté mettait dans sa caisse. « Ces annates, dit Cromwell, ont coûté huit cent mille ducats à l’Angleterre, depuis la seconde année du règne de Henri VII. Si à cause de l’abolition des annates, le pape n’envoie pas à un prélat ses bulles d’ordination, l’archevêque ou deux évêques le consacreront, Comme dans les anciens temps. » La chambre basse prit donc, en mars 1532, une résolution qu’elle exprima en ces termes : A cette bill les communes sont assentes.

Les évêques furent dans la joie. Ils avaient à faire de grands frais pour leur établissement ; et le premier argent provenant de leur bénéfice, passait dans les mains du pape. Leurs amis leur faisaient des avances ; mais si l’évêque mourait peu après son intronisation, ces avances étaient perdues. On ne s’en tint pas là. Des évêques craignant l’opposition du pape s’écrièrent : « Ces exactions sont contre la loi de Dieu. Saint Paul veut que nous nous a séparions de ceux qui vivent dans le désordre. Si donc le pape prétend garder les annates, que Votre Majesté et son parlement séparent l’Angleterre de Romei. » Le roi fut plus modéré que ces prélats. Il déclara se réserver un ou deux ans d’attente avant de confirmer le bill.

i – Strype, Eccl. Memor., 1, pars 2, p. 158.

Si les évêques, refusaient au pape ses anciens revenus, ils refusaient au roi le nouveau pouvoir que réclamait la couronne, et soutenaient qu’aucune puissance séculière n’avait rien à leur direj. Cromwell leur résista, et résolut de poursuivre la réforme des abus. « Le clergé, dirent les communes au roi, fait dans sa Convocation, sans votre consentement et le nôtre, des lois qui sont en contradiction avec les statuts du royaume, et puis il excommunie ceux qui violent ses ordonnancesk. » En vain les évêques épouvantés demandèrent-ils de nouveau que sa Majesté mît ses lois en harmonie avec celles du clergé. Henri VIII prétendait que l’Église se réglât sur l’État et non l’État sur l’Église, et il fut inexorable. Les évêques comprirent que c’était leur union avec de puissants pontifes, toujours prêts à les défendre contre les rois, qui leur avait donné tant de force dans le moyen âge, et que maintenant ils devaient céder. Ils baissèrent donc pavillon devant l’autorité qu’ils avaient eux-mêmes installée. La Convocation fit il est vrai, un dernier effort. Elle représenta que l’autorité des évêques leur venait immédiatement de Dieu et non des princes, comme sa Majesté l’avait prouvé dans son très excellent livre contre Luther. » Mais le roi tint bon et fit plier les prélatsl. Une grande révolution était ainsi accomplie ; le pouvoir spirituel était enlevé à ces prêtres arrogants qui avaient si longtemps usurpé les droits des membres de l’Église. Ce n’était que juste ; mais on eût dû le mettre en de meilleures mains que celles de Henri VIII.

j – « There needeth not any temporal power to concur, with the same. » (Strype, Eccl. Memor., I, p. 202.)

k – « Declaring the infringers to incur into the terrible sentence of excommunication. » (Wilkins, Concilia, III, p. 751.)

l – « But the king made them buckle at last. » (Strype, I, p. 204.)

Cromwell préparait un nouveau coup qui devait frapper la triple couronne des pontifes. Il attira l’attention de son maître sur les serments que les évêques prêtaient, lors de leur consécration, soit au pape, soit au roi. Henri lut d’abord le serment au pape : « Je jure, disait l’évêque, de défendre la papauté de Rome, la royauté de saint Pierre, contre tous. Si j’apprends qu’on prépare quelque chose contre le pape, je m’y opposerai de toutes mes forces et l’en avertirai. Je persécuterai et combattrai de tout mon pouvoir les hérétiques, les schismatiques et quiconque se montrera rebelle au saint-pèrem. » Mais, d’un autre côté, ces évêques prêtaient en même temps serment au roi de renoncer entièrement à toute clause ou concession qui, venant du pape, pourrait de quelque manière être préjudiciable à sa Majesté. Il fallait à la fois obéir au pape et lui désobéir.

m – « Prosequar et impugnabo. » (Burnet, Records, I, p. 119.)

De telles contradictions ne pouvaient subsister ; le roi voulait que les Anglais fussent non avec Rome, mais avec l’Angleterre. En conséquence ayant appelé l’Orateur des communes, il lui dit : « En examinant de près la chose, j’ai trouvé que les évêques, au lieu d’être entièrement mes sujets, ne le sont qu’à demi. Ils prêtent au pape un serment directement opposé à celui qu’ils ont prêté à la couronne ; ils sont les sujets du pape et non les miensn. Veuillez y mettre ordre. » — Le parlement fut prorogé trois jours après à cause de la peste ; mais les prélats durent déclarer qu’ils renonçaient à tout décret du pape dérogatoire aux droits de Sa Majestéo.

n – « They were the Pope’s subjects rather than his. » (Burnet, Records, II, p. 112.)

o – « I renounce, all such sentence of the pope, prejudiciable to your Highness. » (Wilkins, Concilia, III, p. 354)

Le parti politique était ravi ; le parti papal consterné. Les couvents retentissaient de rumeurs, de malédictions et même de projets étranges. Les moines, dans leur quête journalière, s’arrêtaient longtemps dans les maisons, et déblatéraient contre les atteintes portées au pouvoir du pape. Quand ils montaient en chaire, ils déclamaient contre les sacrilèges, dont Cromwell, disaient-ils, était l’auteur et le peuple anglais la victime.

Les prêtres avaient espéré jusqu’à cette heure en Thomas More. Ce disciple d’Érasme avait fait comme son maître. Après avoir attaqué la superstition romaine par de mordantes plaisanteries, il avait fait volte-face, en voyant la Réformation attaquer Rome avec des armes plus puissantes encore, il avait combattu les évangéliques avec le feu. Il remplissait depuis deux ans les fonctions de lord chancelier avec une activité et une intégrité sans égales. La Convocation lui ayant offert quatre mille livres sterling pour la peine qu’il s’était donnée dans la querelle de Dieup, il répondit : « Je ne veux de récompense que de Dieu seul ; » et les prêtres insistant pour qu’il acceptât la somme : « Je la jetterai plutôt dans la Tamise, » répondit-il. Ce n’était pas pour de vils calculs qu’il persécutait ; mais plus il avançait, plus il devenait étroit, bigot, fanatique. Chaque dimanche il revêtait le surplis et chantait la messe à Chelsea. Le duc de Norfolk l’ayant un jour surpris dans cet accoutrement. — « Que vois-je ? s’écria-t-il, vous milord chancelier, vous clerc de paroisse !… mais c’est déshonorer votre charge et votre roiq. — Non, répondit sérieusement Thomas More, car c’est honorer son maître et le nôtre. »

p – « For his pains taken in God’s quarrel. » (Th. More, by his Grand’son, p. 187.)

q – « Mylord chancellor, a parish clerk. » (Ibid., p. 193.)

La grande affaire du serment des prélats lui fit comprendre qu’il ne pouvait plus servir à la fois le roi et le pape. Son parti fut bientôt pris. Le 16 mai il se rendit l’après-midi dans les jardins de Whitehall, où Henri VIII l’attendait, et là en présence de Norfolk il remit au roi les sceauxr. De retour chez lui, il annonça en plaisantant sa démission à sa femme et à ses filles qui en furent désolées. Quant à More, heureux de s’être débarrassé de sa charge, il se livra plus que jamais aux flagellations, sans renoncer aux bons mots, réunissant en une seule personne Érasme et Loyola.

r – « In horto suo. » (Rymer, VI, p. 171.)

Henri VIII donna les sceaux à Sir Th. Audley, homme bien disposé pour l’Évangile ; c’était préparer l’émancipation de l’Angleterre. Toutefois la Réforme était encore exposée à de grands dangers. Henri VIII voulait abolir la papauté et mettre à sa place le catholicisme — maintenir la doctrine de Rome, mais substituer à l’autorité du pape l’autorité du roi. Il faisait mal en gardant la doctrine catholique ; il faisait mal en établissant dans l’Église la juridiction du prince. Les chrétiens évangéliques avaient à combattre en Angleterre ces deux maux et à établir le règne souverain et exclusif de la Parole de Dieu. S’ils n’ont pas entièrement réussi, peut-on leur en vouloir ? Pour vaincre ils ont été jusqu’à donner leur sang ?

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