Histoire de la Réformation du seizième siècle

12.14

François pris à Pavie – Réaction contre la Réforme – Louise consulte la Sorbonne – Commission contre les hérétiques – Briçonnet décrété – Appel au parlement assemblé – Chute – Rétractation – Lefèvre accusé – Condamnation et fuite – Lefèvre à Strasbourg – Louis de Berquin incarcéré – Érasme attaqué – Schuch à Nancy – Son martyre – Lutte avec Caroli – Tristesse de Pavanne – Son bûcher – Un ermite chrétien – Concours à Notre-Dame

Pendant les derniers temps du séjour de Farel à Montbéliard, de grandes choses s’étaient en effet passées sur la scène du monde. Les généraux de Charles-Quint, Lannoy et Pescaire, ayant quitté la France à l’approche de François Ier, ce prince avait passé les Alpes et était venu faire le blocus de Pavie. Le 24 février 1525, Pescaire l’avait attaqué. Bonnivet, La Trémouille, La Palisse, Lescure s’étaient fait tuer près du roi. Le duc d’Alençon, époux de Marguerite, premier prince du sang, s’était enfui avec l’arrière-garde et était allé mourir de honte et de douleur à Lyon ; et François, renversé de son cheval, avait remis son épée à Charles de Lannoy, vice-roi de Naples, qui la reçut un genou en terre. Le roi de France était prisonnier de l’Empereur. La captivité du roi parut le plus grand des malheurs. « De toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie, » écrivit le roi à sa mère. Mais personne ne ressentit une douleur plus vive que Marguerite. La gloire de son pays compromise, la France sans monarque, exposée aux plus grands dangers, son frère bien-aimé captif de son superbe adversaire, son mari déshonoré et mort… que d’amertumes !… Mais elle avait un consolateur ; et tandis que son frère répétait, pour se consoler : « Tout est perdu, fors l’honneur ! » elle pouvait dires :

s – Les Marguerites de la Marguerite, I, p. 29.

Fors Jésus seul, mon frère, fils de Dieu !

La France, les princes, le parlement, le peuple étaient dans la consternation. Bientôt, comme dans les trois premiers siècles de l’Église, on imputa aux chrétiens la calamité qui affligeait la patrie ; et de toutes parts des voix fanatiques demandèrent du sang, afin d’éloigner de plus grandes infortunes. Le moment était donc favorable ; il ne suffisait pas d’avoir débusqué les chrétiens évangéliques des trois fortes positions qu’ils avaient prises, il fallait profiter de l’effroi du peuple, battre le fer pendant qu’il était chaud, et faire table rase, dans tout le royaume, de cette opposition qui devenait si redoutable à la papauté.

A la tête de cette conjuration, de ces clameurs, se trouvaient Beda, Duchesne et Lecouturier. Ces irréconciliables ennemis de l’Évangile se flattaient d’obtenir facilement de la terreur publique les victimes qu’on leur avait jusqu’alors refusées. Ils mirent aussitôt tout en œuvre, conversations, prédications fanatiques, plaintes, menaces, écrits diffamatoires, pour exciter la colère de la nation et surtout celle des chefs. Ils jetaient feu et flammes contre leurs adversaires et les couvraient des plus flétrissantes injurest. Tous les moyens leur étaient bons ; ils prenaient çà et là quelques paroles, laissaient de côté ce qui pouvait expliquer la sentence citée, substituaient leurs propres expressions à celles des docteurs qu’ils inculpaient, et omettaient ou ajoutaient, selon le besoin qu’ils avaient de noircir leurs adversairesu. C’est le témoignage d’Érasme lui-même.

t – Plus quam scurrilibus conviciis debacchantes. (Er. Francisco Regi, p. 1108.)

u – Pro meis verbis supponit sua, prætermittit, addit. (Ibid. 887.)

Rien n’excitait leur colère comme la doctrine fondamentale du christianisme et de la Réformation, le salut par la grâce. « Quand je vois, disait Beda, ces trois hommes, doués, du reste, d’un génie si pénétrant, Lefèvre, Érasme, Luther, s’unir pour conspirer contre les œuvres méritoires et pour placer tout le poids du salut dans la foi seulev, je ne m’étonne plus que des milliers d’hommes, séduits par ces doctrines, en viennent à dire : Pourquoi jeûnerais-je et martyriserais-je mon corps ? Bannissons de la France cette doctrine odieuse de la grâce. Il y a, dans cette négligence des mérites, une funeste tromperie du diable. »

v – Cum itaque cerneram tres istos… uno animo in opera meritoria conspirasse. (Natalis Bedæ Apologia adversus clandestinos Lutheranos, fol. 41.)

Ainsi le syndic de la Sorbonne s’efforçait de combattre la foi.

Il devait trouver pour appuis une cour débauchée et une autre partie de la nation, plus respectable, mais qui n’est pas moins opposée à l’Évangile. Je veux parler de ces hommes graves, d’une morale sévère, mais qui, livrés à l’étude des lois et des formes juridiques, ne voient dans le christianisme qu’une législation ; dans l’Église, qu’une police morale ; et qui, ne pouvant faire entrer dans les idées de la jurisprudence qui les absorbent, les doctrines de l’incapacité spirituelle de l’homme, de la naissance nouvelle, de la justification par la foi, les regardent comme des imaginations fantastiques, dangereuses aux mœurs publiques et à la prospérité de l’État. Cette tendance hostile à la doctrine de la grâce se manifesta au xvie siècle par deux excès bien différents ; en Italie et en Pologne, par la doctrine de Socin, issu d’une illustre famille de jurisconsultes de Sienne ; et en France, par les arrêts persécuteurs et les bûchers du parlement.

Le parlement, en effet, méprisant les grandes vérités de l’Évangile que les réformateurs annonçaient, et se croyant obligés de faire quelque chose en une si accablante calamité, adressa à Louise de Savoie de vives remontrances sur la conduite du gouvernement à l’égard de la nouvelle doctrine. « L’hérésie, dit-il, a levé la tête au milieu de nous, et le roi, en ne faisant point dresser des échafauds pour elle, a attiré sur le royaume la colère du ciel. »

En même temps les chaires retentissaient de plaintes, de menaces, de malédictions ; on demandait des peines promptes et éclatantes. Martial Mazurier se distinguait parmi les prédicateurs de Paris ; et, cherchant à faire oublier par sa violence ses anciennes liaisons avec les partisans de la Réforme, déclamait contre les disciples cachés de Luther. « Connaissez-vous, s’écriait-il, la promptitude de ce poison ? En connaissez-vous la force ? Ah ! tremblons pour la France ! car il agit avec une inconcevable activité, et en peu de temps il peut donner la mort à des milliers d’âmesw. »

w – Mazurius contra occultos Lutheri discipulos declamat, ac recentis veneni celeritatem vimque denunciat. (Lannoi, regii Navarræ gymnasii historia, p. 621.)

Il n’était pas difficile d’exciter la régente contre les partisans de la Réforme. Sa fille Marguerite, les premiers personnages de la cour, Louise de Savoie elle-même, Louise toujours si dévouée au pontife romain, étaient désignés par quelques fanatiques comme favorisant Lefèvre, Berquin et les autres novateurs. N’avait elle pas lu leurs petits écrits et leurs traductions de la Bible ? La mère du roi voulait se laver de soupçons si outrageants. Déjà elle avait envoyé son confesseur à la Sorbonne, pour demander à cette compagnie par quels moyens on pouvait extirper l’hérésie. « La détestable doctrine de Luther, avait-elle fait dire à la faculté, gagne chaque jour de nouveaux adhérents. »

La faculté avait souri en recevant un tel message. Auparavant, on n’avait pas voulu écouter ses représentations, et on venait à cette heure la prier humblement de donner un conseil en cette affaire. Elle tenait enfin en ses mains cette hérésie qu’elle désirait depuis si longtemps étouffer. Elle chargea Noël Beda de répondre aussitôt à la régente. « Puisque les sermons, les disputes, les livres que nous avons si souvent opposés à l’hérésie, dit le fanatique syndic, ne parviennent point à l’arrêter, il faut prohiber par une ordonnance tous les écrits des hérétiques ; et si ces moyens ne suffisent pas encore, il faut employer la force et la contrainte contre la personne même de ces faux docteurs ; car ceux qui résistent à la lumière doivent être subjugués par les supplices et par la terreurx.

x – Histoire de l’Université, par Crévier, v. 196.

Mais Louise n’avait pas même attendu cette réponse. A peine François Ier était-il tombé dans les mains de Charles-Quint, qu’elle avait écrit au pape pour lui demander sa volonté à l’égard des hérétiques. Il était important pour la politique de Louise de s’assurer la faveur d’un pontife qui pouvait soulever l’Italie contre le vainqueur de Pavie, et elle était prête à se le concilier au prix d’un peu de sang français. Le pape, charmé de pouvoir sévir, dans le royaume très chrétien, contre une hérésie qu’il ne pouvait arrêter ni en Suisse, ni en Allemagne, ordonna aussitôt que l’on introduisit l’inquisition en France, et adressa un bref au parlement. En même temps, Duprat, que le pontife avait fait cardinal, et auquel il avait donné l’archevêché de Sens et une riche abbaye, cherchait à répondre aux bienfaits de la cour de Rome, en déployant contre les hérétiques une haine infatigable. Ainsi le pape, la régente, les docteurs de Sorbonne, le parlement, le chancelier, la partie ignorante et fanatique de la nation, tout conspirait ensemble et à la fois à la ruine de l’Évangile et à la mort de ses confesseurs.

Ce fut le parlement qui commença. Il ne fallait rien moins que le premier corps de la nation pour entrer en campagne contre cette doctrine ; et d’ailleurs n’était-ce pas son affaire, puisque le salut public y était intéressé ? Le parlement donc, « porté d’un saint zèle et ferveur contre ces nouveautésy, ordonna, par un arrêt, que l’évêque de Paris et autres évêques seraient tenus bailler vicariat à MM. Philippe Pot, président aux enquêtes, et André Verjus, conseiller, et à MM. Guillaume Duchesne et Nicolas Leclerc, docteurs en théologie, pour faire et parfaire le procès de ceux qui se trouveraient entachés de la doctrine de Luther.

y – De la religion catholique en France, par de Lezeau, manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève, à Paris.

Et afin qu’il parût que ces messieurs les commissaires travaillaient plutôt de l’autorité de l’Église que du parlement, il plut à Sa Sainteté envoyer son bref (20 mai 1525), qui approuvait lesdits commissaires nommés.

Ensuite de ce, tous ceux qui étaient déclarés luthériens par l’évêque ou juges d’Église à ce députés, étaient livrés au bras séculier ; c’est à savoir audit parlement, lequel, pour ce, les condamnait d’être brûlés tout vifs. »

Ainsi parle un manuscrit du temps.

Telle fut la terrible commission d’enquête nommée pendant la captivité de François Ier contre les chrétiens évangéliques de France, pour cause de salut public. Elle était composée de deux laïques et de deux ecclésiastiques, et l’un de ces derniers était Duchesne : après Beda, le plus fanatique des docteurs de la compagnie. On avait eu la pudeur de ne pas y placer leur chef, mais son influence n’en était que plus assurée.

Ainsi, la machine était montée ; ses ressorts étaient bien préparés ; chaque coup qu’elle porterait donnerait la mort. Il s’agissait de savoir contre qui on dirigerait la première attaque. Beda, Duchesne, Leclerc, assistés de MM. Philippe Pot, président, et André Verjus, conseiller, délibérèrent entre eux sur cette importante question. N’y avait-il pas le comte de Montbrun, l’ancien ami de Louis XII, l’ex-ambassadeur à Rome, Briçonnet. évêque de Meaux ? Le comité du salut public, assemblé à Paris en 1525, pensait qu’en commençant par un homme si haut placé, on serait sûr de répandre la terreur dans tout le royaume. Cette raison était suffisante, et ce vénérable évêque fut décrété d’accusation.

Loin de se laisser épouvanter par la persécution de 1523, Briçonnet avait persisté, ainsi que Lefèvre, dans son opposition aux superstitions populaires. Plus sa place dans l’Église et dans l’État était éminente, plus aussi son exemple était funeste, et plus il était nécessaire d’obtenir de lui une éclatante rétractation, ou de le frapper d’un coup plus éclatant encore. La commission d’enquête s’empressa de recueillir les charges qui lui étaient contraires. Elle constata l’accueil bienveillant que l’évêque avait fait aux hérétiques : elle établit que huit jours après que le gardien des cordeliers avait prêché dans l’Église de Saint Martin de Meaux, conformément aux instructions de la Sorbonne, pour y rétablir la saine doctrine, Briçonnet lui-même était monté en chaire, l’avait réfuté, et avait traité l’orateur et les autres cordeliers ses confrères, de cafards, de faux prophètes et d’hypocrites ; et que, non content de cet affront public, il avait fait décréter le gardien d’ajournement personnel, par son officialz… Il paraîtrait même, d’après un manuscrit du temps, que l’évêque aurait été bien plus loin encore, et que, en automne 1524, accompagné de Lefèvre d’Étaples, il aurait parcouru pendant trois mois son diocèse, et brûlé toutes les images, excepté le crucifix. Une action si hardie, qui montrerait dans Briçonnet beaucoup d’audace, à côté de beaucoup de timidité, ne peut, si elle est vraie, faire reposer sur lui le blâme attaché à d’autres destructeurs d’images ; car il était chef de l’Église où il réformait ces superstiteurs, et il agissait dans le cercle de ses droits et de ses devoirs.

z – Hist. de l’Univ. par Crévier, v. 204.

Il se trouve dans la bibliothèque des pasteurs de Neuchâtel, une lettre de Sebville, où on lit le passage suivant : « Je te notifie que l’évêque de Meaux en Brie près Paris, cum Jacobo Fabro stapulensi, depuis trois mois, en visitant l’évêché, ont brûlé actu toutes les images, réservé le crucifix, et sont personnellement ajournés à Paris, à ce mois de mars venant, pour répondre coram suprema curia et universitate. » J’incline assez à croire ce fait authentique, quoique Sebville ne fût pas sur les lieux, et que ni Mézeray, ni Daniel, ni Maimbourg n’en parlent. Ces auteurs catholiques romains, qui sont très brefs, ont pu avoir d’ailleurs des motifs de le passer sous silence, vu l’issue du procès ; et la nouvelle de Sebville concorde du reste avec tous les faits qui nous sont connus. Néanmoins la chose est douteuse.

Quoi qu’il en soit, Briçonnet devait être assez coupable aux yeux des ennemis de l’Évangile. Il ne s’était pas seulement attaqué à l’Église en général ; il s’en était pris à la Sorbonne elle-même, à cette compagnie dont la loi suprême était sa propre gloire et sa conservation. Aussi fut-elle dans la joie, en apprenant l’enquête dirigée contre son adversaire ; et l’un des plus célèbres avocats du temps, Jean Bochart, soutenant devant le parlement la charge contre Briçonnet, s’écria en haussant la voix : « Contre la faculté, ne l’évêque de Meaux, ne autre particulier ne peut lever la tête et ouvrir la bouche. Et n’est la faculté sujette pour aller disputer, porter et alléguer ses raisons devant ledit évêque, qui ne doit point résister à la sagesse de cette sainte compagnie, laquelle il doit estimer être aidée de Dieua. »

a – Hist. de l’Univ. par Crévier, v. 204.

En conséquence de cette réquisition, le parlement rendit un arrêt, le 3 octobre 1525, par lequel, après avoir décrété prise de corps contre tous ceux qui lui étaient signalés, il ordonna que l’évêque serait interrogé par maîtres Jacques Ménager et André Verjus, conseillers de la cour, sur les faits dont il était accuséb.

b – Maimbourg, Hist. du Calv. p. 14.

Cet arrêt du parlement consterna l’évêque. Briçonnet ambassadeur de deux rois à Rome, Briçonnet évêque et prince, l’ami de Louis XII et de François Ier, devait aller subir l’interrogatoire de deux conseillers de la cour… Lui qui avait espéré que Dieu allumerait dans le cœur du roi, de sa mère, de sa sœur, un feu qui se communiquerait à tout le royaume, il voyait le royaume se tourner contre lui pour éteindre la flamme qu’il avait reçue du ciel. Le roi est prisonnier, sa mère marche à la tête des ennemis de l’Évangile, et Marguerite, effrayée des malheurs qui ont fondu sur la France, n’ose détourner les coups qui vont tomber sur ses plus chers amis, et tout premièrement sur ce père spirituel qui l’a si souvent consolée ; ou, si elle l’ose, elle ne le peut. Récemment encore elle écrivait à Briçonnet, dans une lettre pleine de pieux épanchements : « Oh ! que le pauvre cœur mort puisse sentir quelque étincelle de l’amour, en quoy je le désire brusler en cendrec… » Mais maintenant c’était à la lettre qu’il s’agissait d’être brûlé en cendre. Ce langage mystique n’était plus de saison ; il fallait, si l’on voulait confesser sa foi, braver l’échafaud. Le pauvre évêque, qui avait tant espéré de voir une réforme évangélique se répandre peu à peu, et doucement dans les esprits, était effrayé et tout tremblant, en voyant qu’il fallait, à cette heure, l’acheter au prix de la vie. Jamais peut-être cette terrible pensée ne lui était venue, et il reculait devant elle avec angoisse et avec effroi.

c – Manuscrit de la Bibliothèque Royale. S. F., 537.

Cependant Briçonnet avait encore un espoir : qu’on lui permette de paraître devant toutes les chambres du parlement assemblées, ainsi que cela est dû à un personnage de son rang, et dans cette cour auguste et nombreuse il trouvera, il en est sûr, des cœurs généreux qui comprendront sa voix et prendront sa défense. Il supplia donc la cour de lui faire cette grâce ; mais ses ennemis avaient aussi compris quelle pouvait être l’issue d’une telle audience. N’avait-on pas vu Luther comparaissant à Worms devant la diète germanique, ébranler les cœurs les mieux affermis ? Attentifs à éloigner toute chance de salut, ils travaillèrent si bien que le parlement refusa à Briçonnet cette faveur par un arrêt du 25 octobre 1525, qui confirma le premierd.

d – Maimbourg, Hist. du Calv. p. 15.

Voilà donc l’évêque de Meaux renvoyé comme le prêtre le plus obscur, devant maîtres Jacques Ménager et André Verjus. Ces deux jurisconsultes, instruments dociles de la Sorbonne, ne sauraient être ébranlés par les hautes considérations auxquelles la chambre entière eût pu être sensible ; ce sont des hommes positifs : l’évêque a-t-il été ou non en désaccord avec la compagnie ? Voilà tout ce qu’ils demandent. La condamnation de Briçonnet est donc assurée.

Tandis que le glaive était ainsi suspendu par le parlement sur la tête de l’évêque, les moines, les prêtres et les docteurs ne perdaient pas leur temps ; ils comprenaient qu’une rétractation de Briçonnet servirait mieux leurs intérêts que son supplice même. Sa mort enflammerait tous ceux qui partageaient sa foi ; mais son apostasie les jetterait dans un profond découragement. A l’œuvre donc ! On le visitait, on le pressait. Martial Mazurier s’efforçait surtout de le faire tomber, comme il était tombé lui-même. Il ne manquait pas de raisons qui pouvaient paraître spécieuses à Briçonnet. Voulait-il donc perdre sa place ? Ne pouvait-il pas, en restant dans l’Église, se servir de son influence sur le roi et sur la cour pour faire un bien dont il était impossible de prévoir l’étendue ? Que deviendraient ses anciens amis quand il ne serait plus au pouvoir ? Combien sa résistance ne compromettrait-elle pas une réforme, qui, pour être salutaire et durable, doit s’opérer par l’influence légitime du clergé ! Que d’âmes il heurterait en résistant à l’Église ; que d’âmes il attirerait, au contraire, en cédant !… On veut, comme lui, une réforme. Tout s’y achemine insensiblement ; à la cour, à la ville, dans les provinces, partout on avance… et il irait de gaieté de cœur anéantir un si bel avenir !… Au fond, on ne lui demandait pas le sacrifice de sa doctrine, mais seulement de se soumettre à l’ordre établi dans l’Église. Était-ce bien quand la France était accablée sous tant de revers, qu’il fallait lui susciter encore de nouveaux troubles ? « Au nom de la religion, au nom de la patrie, au nom de vos amis, au nom de la Réformation elle-même, cédez ! » lui disait-on. C’est par de tels sophismes que se perdent les plus belles causes.

Cependant chacune de ces paroles faisait quelque impression sur l’esprit de l’évêque. Le tentateur, qui voulut faire tomber Jésus dans le désert, se présentait ainsi à lui sous des formes spécieuses ; et au lieu de s’écrier comme son Maître : « Arrière de moi, Satan ! » il écoutait, accueillait, pesait ces discours. Dès lors c’en était fait de sa fidélité.

Briçonnet n’avait jamais été tout entier, comme un Farel, un Luther, dans le mouvement qui régénérait alors l’Église ; il y avait en lui une certaine tendance mystique qui affaiblit les âmes et leur ôte cette fermeté et ce courage que donne une foi uniquement appuyée sur la Parole de Dieu. La croix qu’il fallait prendre pour suivre Jésus-Christ était trop pesantee. Ébranlé, effrayé, étourdi, hors de sensf, il chancela, il heurta contre la pierre que l’on posait artificieusement sur la route… il tomba, et au lieu de se jeter dans les bras de Jésus-Christ, il se jeta dans ceux de Mazurierg, et souilla, par une honteuse palinodie, la gloire d’une belle fidélitéh.

e – Crucis statim oblatæ terrore perculsus. (Bezæ Icones.)

f – Dementatus. Ibid.

g – Ut Episcopus etiam desisteret suis consiliis effecit. (Launoi, regii Navarræ gymnasii hist. p. 621.)

h – Nisi turpi palinodia gloriam hanc omnem ipse sibi invidisset. (Bezæ Icones.)

Ainsi tomba Briçonnet, l’ami de Lefèvre et de Marguerite ; ainsi le premier soutien de l’Évangile en France renia la bonne nouvelle de la grâce, dans la coupable pensée que s’il lui demeurait fidèle, il perdrait son influence sur l’Église, sur la cour et sur la France. Mais ce qu’on lui présentait comme le salut de son pays, devint peut-être sa ruine. Que fût-il arrivé, si Briçonnet avait eu le courage d’un Luther ? Si l’un des premiers évêques de France, cher au roi, cher au peuple, était monté sur l’échafaud et y avait, comme les petits selon le monde, scellé par une confession courageuse et une mort chrétienne, la vérité de l’Évangile, la France ne se fût-elle pas émue, et le sang de l’évêque de Meaux devenant, comme celui des Polycarpe et des Cyprien, une semence de l’Église, n’eût-on pas vu ces contrées, si illustres à tant d’égards, sortir, dès le xvie siècle, des longues ténèbres spirituelles où elles sont encore retenues ?

Briçonnet subit, pour la forme, l’interrogatoire devant maîtres Jacques Ménager et André Verjus, lesquels déclarèrent qu’il s’était suffisamment justifié du crime qu’on lui imputait. Puis il fut réduit à pénitence, et assembla un synode où il condamna les livres de Luther, rétracta tout ce qu’il avait enseigné de contraire à la doctrine de l’Église, rétablit l’invocation des saints, s’efforça de ramener ceux qui avaient abandonné le culte de Rome, et voulant ne laisser aucun doute sur sa réconciliation avec le pape et la Sorbonne, célébra, la veille de la Féte-Dieu, un jeûne solennel, et ordonna de pompeuses processions, dans lesquelles il parut lui-même, y donnant des gages de sa foi par sa magnificence et par toutes sortes de dévotionsi.

i – Mezeray, II. 981 ; Daniel, V. 544 ; Moreri, art. Briçonnet.

Briçonnet est peut-être l’exemple de chute le plus illustre que la Réformation présente. Nulle part, on ne vit un homme engagé si avant dans la Réforme et si sincèrement pieux, tourner aussi brusquement contre elle. Cependant, il faut bien comprendre et son caractère et sa chute. Briçonnet fut, du côté de Rome, ce que fut Lefèvre du côté de la Réformation. Ce sont deux personnages de juste milieu, qui n’appartiennent proprement à aucun des deux partis ; mais l’un est du centre droit et l’autre du centre gauche. Le docteur d’Étaples penche vers la Parole, tandis que l’évêque de Meaux penche vers la hiérarchie ; et quand ces deux hommes qui se touchent doivent se décider, l’un se range avec Rome et l’autre avec Jésus-Christ. Au reste, on ne peut croire que Briçonnet ait été entièrement infidèle aux convictions de sa foi ; jamais les docteurs romains n’ont eu en lui une pleine confiance, même après ses rétractations. Mais il fit comme plus tard l’évêque de Cambray, avec lequel il a plus d’un trait de ressemblance ; il crut pouvoir se soumettre extérieurement au pape, tout en demeurant intérieurement soumis à la Parole divine. C’est là une faiblesse incompatible avec les principes de la Réformation. Briçonnet fut l’un des chefs de l’école mystique ou quiétiste en France ; et l’on sait que l’un de ses premiers principes a toujours été de s’accommoder à l’Église où l’on se trouve, quelle qu’elle puisse être.

La chute coupable de Briçonnet retentit dans le cœur de ses anciens amis, et fut le triste avant-coureur de ces déplorables apostasies que l’esprit du monde obtint si souvent en France, dans un autre siècle. Ce personnage, qui semblait tenir en main les rênes de la Réforme, était brusquement jeté hors du char ; et la Réforme devait dès lors poursuivre son cours en France, sans chef, sans conducteur humain, dans l’humilité et l’obscurité. Mais les disciples de l’Évangile levèrent la tête et regardèrent dès lors avec une foi encore plus ferme à ce chef céleste, dont ils connaissaient l’inébranlable fidélité.

La Sorbonne triomphait ; un grand pas était fait vers l’anéantissement de la Réformation en France ; il fallait, sans plus tarder, courir à une autre victoire. Lefèvre était le premier après Briçonnet. Aussi Beda avait-il immédiatement dirigé contre lui ses attaques, en publiant contre cet illustre docteur un livre où l’on trouvait des calomnies si grossières, que « des cordonniers et des forgerons, dit Érasme, eussent pu les montrer au doigt. » Ce qui excitait surtout sa colère, c’était cette doctrine de la justification par la foi que Lefèvre avait le premier proclamée dans la chrétienté. C’était le point auquel Beda revenait sans cesse, l’article qui, selon lui, renversait l’Église. « Quoi ! disait-il, Lefèvre affirme que quiconque place en lui-même la force de son salut, périra, tandis que quiconque, se dépouillant de toutes ses forces, se jette uniquement dans les bras de Jésus-Christ, sera sauvé… Oh ! quelle hérésie que de prêcher ainsi l’impuissance des mérites !… Quelle erreur infernale ! quelle pernicieuse tromperie du démon ! Opposons-nous-y de tout notre pouvoirj. »

j – Perpendens perniciosissinam dæmonis fallaciam… Occurri quantum valui. (Nat. Bedæ Apolog. adv. Lutheranos, fol. 42.)

Aussitôt on dirigea contre le docteur d’Étaples cette machine à persécution, qui produisait la rétractation ou la mort ; et déjà l’on espérait de voir Lefèvre partager le sort du pauvre cardeur Leclerc, ou celui de l’illustre évêque Briçonnet. Son procès fut bientôt instruit ; et un décret du parlement, du 28 août 1525, condamna neuf propositions tirées de ses Commentaires sur les Évangiles, et rangea les saintes Écritures traduites par lui, au nombre des livres défendusk.

k – J. Lelong, Biblioth. sacrée, 2d partie, p. 44.

Ce n’était que le prélude. Le savant docteur le comprit. Dès les premiers signes de persécution, il avait senti qu’en l’absence de François Ier, il succomberait aux attaques de ses ennemis, et que le moment était venu d’accomplir ce commandement du Seigneur : Quand ils vous persécutent dans une ville, fuyez dans une autrel. Lefèvre quitta Meaux, où, depuis la chute de l’évêque, il était d’ailleurs abreuvé d’amertume et voyait toute son activité paralysée ; et s’éloignant de ses persécuteurs, il secoua contre eux la poussière de ses pieds, « non pour leur souhaiter aucun mal, mais comme un signe de maux qui les attendent, car, dit-il quelque part, de même que cette poussière est secouée de nos pieds, de même ils sont secoués de la face du Seigneurm. »

lMatthieu 10.14, 23.

m – Quod excussi sunt a facie Domini sicut pulvis ille excussus est a pedibus. (Faber in Ev. Matth. p. 40.)

Les persécuteurs avaient manqué leur victime ; mais ils s’en consolèrent en pensant que la France était du moins délivrée du père des hérétiques.

Lefèvre, fugitif, arriva sous un nom emprunté à Strasbourg ; aussitôt il s’y joignit franchement aux amis de la Réformation ; et quelle joie ce dut être pour lui d’entendre enseigner publiquement cet Évangile qu’il avait le premier pressenti dans l’Église. Voilà sa foi ! C’était bien cela qu’il avait voulu dire ! Il lui semblait naître une seconde fois à la vie chrétienne. Gérard Roussel, un de ces hommes évangéliques, qui, comme le docteur d’Étaples, ne parvinrent pas cependant à une entière émancipation, avait, ainsi que lui, dû quitter laFrance. Ils suivaient ensemble les enseignements de Capiton et de Bucern ; ils avaient avec ces fidèles docteurs des entretiens particulierso, et le bruit se répandait même qu’ils avaient été envoyés à cet effet par Marguerite, sœur du roip. Mais l’adoration des voies de Dieu occupait Lefèvre plus que la polémique. Portant ses regards sur la chrétienté, plein d’étonnement à la vue des grandes choses qui s’y passaient, ému de reconnaissance et le cœur plein d’attente, il tombait à genoux et priait le Seigneur de parfaire ce qu’il voyait pour lors commencerq. »

n – Faber stapulensis et Gerardus Rufus, clam e Gallia profecti, Capitonem et Bucerum audierunt. (Melch. Adam. Vita Capitonis, p. 90.)

o – De omnibus doctrinæ præcipuis locis cum ipsis disseruerint. (Ibid.)

p – Missi a Margaretha, regis Francisci sorore. (Ibid.)

q – Farel à tous seigneurs, peuples, et pasteurs.

Une grande joie surtout l’attendait à Strasbourg ; son disciple, son fils, Farel, dont la persécution l’avait séparé depuis près de trois ans, y était arrivé avant lui. Le vieux docteur de la Sorbonne retrouvait dans son jeune élève un homme dans toute la force de l’âge, un chrétien dans toute l’énergie de la foi. Farel serrait avec respect cette main ridée qui avait conduit ses premiers pas, et il éprouvait une joie indicible à retrouver son père dans une ville évangélique et à le voir tout entouré d’hommes fidèles. Ils entendaient ensemble les purs enseignements d’illustres docteurs ; ils communiaient à la cène du Seigneur administrée conformément à l’institution de Jésus-Christ ; ils recevaient les marques touchantes de la charité de leurs frères. « Rappelez vous, lui disait Farel, ce que vous me disiez autrefois, quand nous étions encore l’un et l’autre plongés dans les ténèbres : Guillaume ! Dieu renouvellera le monde ; et vous le verrez !… Voici le commencement de ce que vous me dites alors. — Oui, répondait le pieux vieillard ; oui ! Dieu reuouvelleie monde… O mon fils, continuez à prêcher avec courage le saint Évangile de Jésus-Christr ! »

r – Quod et pius senex fatebatur ; meque hortabatur pergerem in annuntiatione sacri evangelii. (Farel à Pellican. Hotting. H. L. VI. 17.)

Lefèvre, par un excès de prudence sans doute, voulait demeurer inconnu à Strasbourg, et y avait pris le nom d’Antoine Péregrin, tandis que Roussel portait celui de Solnin. Mais l’illustre vieillard ne pouvait rester caché ; bientôt toute la ville et même jusqu’aux enfants saluaient avec respect le vieux docteur françaiss. Il n’était pas seul ; il demeurait chez Capiton avec Farel, Roussel, Vedaste, dont chacun louait la modestie, et un certain Simon, néophyte juif. Les maisons de Capiton, d’Œcolampade, de Zwingle, de Luther, étaient alors comme des hôtelleries. Telle était en ces temps la force de l’amour fraternel. Beaucoup d’autres Français se trouvaient encore dans cette ville des bords du Rhin, et ils y formaient une Église, à laquelle Farel annonça souvent la doctrine du salut. Cette société chrétienne adoucissait leur exil.

s – Nam latere cupiunt et tamen pueris noti sunt. (Capitn à Zwingle, Epp. p. 439.)

Tandis que ces frères jouissaient ainsi de l’asile que la charité fraternelle leur avait ouvert, ceux qui se trouvaient à Paris et en France, étaient exposés à de grands dangers. Briçonnet s’était rétracté, Lefèvre avait quitté la France ; c’était quelque chose sans doute pour la Sorbonne ; mais elle en était encore à attendre les supplices qu’elle avait conseillés. Beda et les siens se voyaient sans victimes… Un homme les irritait plus encore que Briçonnet et Lefèvre : c’était Louis de Berquin. Le gentilhomme d’Artois, d’un caractère plus décidé que ses deux maîtres, ne laissait passer aucune occasion de harceler les théologiens et les moines, et de démasquer leur fanatisme. Habitant tour à tour Paris et la province, il rassemblait les livres d’Érasme et de Luther, il les traduisaitt, il composait lui-même des écrits de controverse, enfin il défendait et propageait la nouvelle doctrine avec tout le zèle d’un nouveau converti. L’évêque d’Amiens le dénonça ; Beda appuya sa plainte, et le parlement le fit jeter en prison. « Celui-ci, dit-on, n’échappera, ni comme Briçonnet, ni comme Lefèvre. En effet, on le tenait sous les barres et les verrous. En vain le prieur des chartreux et d’autres encore le suppliaient-ils de faire amende honorable ; il déclarait hautement qu’il ne céderait pas sur un seul point. « Alors il ne semblait rester, dit une chronique, sinon qu’on le menât au feuu. »

t – Erasmus, Epp. p. 923.

u – Actes des Martyrs, p. 103.

Marguerite, consternée de ce qui était arrivé à Briçonnet, tremblait de voir Berquin traîné à l’échafaud auquel l’évêque avait si honteusement échappé. Elle n’osait pénétrer jusque dans sa prison ; mais elle cherchait à lui faire parvenir quelques paroles consolantes, et peut être fut-ce pour lui que la princesse fit cette touchante complainte du prisonnier, ou celui-ci, s’adressant au Seigneur, s’écriev :

v – Marguerites de la Marguerite des Princesses, I. 445.

O ! sûreté, secours, accès, refuge
De l’affligé ! de l’orphelin le juge !
Trésor entier de consolation !
Les huys de fer, ponts-levis et barrière
Où suis serré, me tiennent bien arrière
De mes prochains, frères, sœurs et amis.
Mais toutefois, quelque part que sois mis,
On ne saurait tellement fermer l’huys
Que tu ne sois tout soudain où je suis.

Mais Marguerite ne s’en tint pas là ; elle écrivit aussitôt à son frère pour solliciter de lui la grâce de son gentilhomme. Heureuse si elle pouvait le soustraire à temps à la haine de ses ennemis. En attendant cette victime, Beda résolut de faire trembler les adversaires de la Sorbonne et des moines, en abattant le plus célèbre d’entre eux. Érasme s’est élevé contre Luther ; mais n’importe ! si l’on parvient à perdre Érasme, à bien plus forte raison la ruine de Farel, de Luther et de leurs associés sera-t-elle inévitable. Le plus sûr pour atteindre un but est de viser au delà. Quand on tiendra le pied sur la gorge au philosophe de Rotterdam, quel est le docteur hérétique qui échappera aux vengeances de Rome ? Déjà Lecouturier, communément appelé de son nom latin Sutor. avait pris les devants, en lançant contre Érasme, de sa solitaire cellule de chartreux, un écrit plein de violence, où il appelait ses adversaires, des théologastres, de petits ânes, et leur imputait des scandales, des hérésies et des blasphèmes. Traitant des sujets auxquels il n’entendait rien, il rappelait, dit malignement Érasme, ce vieux proverbe : Ne sutor ultra crepidam : « Que le savetier (ou le couturier) ne raccommode que ses savates. »

Beda accourut pour soutenir son confrère. Il ordonna à Érasme de ne plus écrirew ; et prenant lui-même cette plume qu’il enjoignait au plus grand écrivain du siècle de poser, il fit un choix de toutes les calomnies que les moines avaient inventées contre l’illustre philosophe, les traduisit en français et en composa un livre qu’il répandit à la cour et à la ville, cherchant à ameuter contre lui la France tout entièrex. Ce livre fut le signal de l’attaque ; de toutes parts on fondit sur Érasme. Un vieux carme de Louvain, Nicolas d’Ecmond, s’écriait chaque fois qu’il montait en chaire : « Il n’y a point de différence entre Érasme et Luther, si ce n’est qu’Érasme est un plus grand hérétiquey ; » et partout où le carme se trouvait, à table, en voiture, en galiote, il appelait Érasme un hérésiarque et un faussairez. La faculté de Paris, remuée par ces clameurs, prépara une censure de l’illustre écrivain.

w – Primum jubet ut desinam scribere. (Erasm. Epp. 921.)

x – Ut totam Galliam in me concitaret. (Ibid. 886.)

y – Nisi quod Erasmus esset major hæreticus. (Ibid. 915.)

z – Quoties in conviviis, in vehiculis, in navibus. (Ibid.)

Érasme fut consterné. Voilà donc à quoi aboutissaient tous ses ménagements, et même son hostilité contre Luther. Plus qu’aucun autre, il s’est mis à la brèche ; et l’on veut maintenant se servir de lui comme d’un pont, et le fouler aux pieds pour atteindre plus sûrement de communs ennemis. Cette idée le révolte ; il fait brusquement volte-face, et à peine a-t-il attaqué Luther, qu’il se tourne contre ces fanatiques docteurs, qui viennent le frapper par derrière. Jamais sa correspondance ne fut plus active. Il regarde autour de lui, et son prompt regard découvre aussitôt en quelles mains se trouve son sort. Il n’hésite pas : il portera ses plaintes et ses cris aux pieds de la Sorbonne, du parlement, du roi, de l’Empereur même. « Qui a fait naître cet immense incendie de Luther, écrivit-il à ceux des théologiens de la Sorbonne dont il espérait encore quelque impartialité, qui l’a attisé, si ce ne sont les furies, de Bedaa ? A la guerre, un soldat qui a bien fait son devoir reçoit une récompense de ses généraux ; et moi, toute la récompense que je recevrai de vous, les généraux de cette guerre, ce sera d’être livré aux calomnies des Beda et des Lecouturier !… »

a – Hoc gravissimum Lutheri incendium, unde natum, unde huc progressum, nisi ex Beddaicis intemperiis. (Er. Epp. p. 887.)

« Quoi, écrivit-il au parlement de Paris, j’étais aux prises avec ces luthériens, et tandis que je livrais un rude combat par les ordres de l’Empereur, du pape et des autres princes, au péril même de ma viee, Lecouturier et Beda m’attaquent par derrière avec des libelles furieux ! Ah ! si la fortune ne nous avait enlevé le roi François, j’eusse imploré ce vengeur des Muses contre cette nouvelle invasion des barbaresb. Mais maintenant c’est à vous d’arrêter tant d’iniquité !… »

b – Musarum vindicem adversus barbarorum incursiones. (Ibid. p. 2070.)

A peine entrevit-il la possibilité de faire parvenir une lettre au roi, qu’il lui écrivit aussi. Son regard pénétrant sut voir dans ces fanatiques docteurs de la Sorbonne les germes de la Ligue, les prédécesseurs de ces trois prêtres, qui devraient un jour établir les Seize contre le dernier des Valois ; son génie prédit au roi des crimes et des malheurs que ses descendants ne devaient que trop connaître. « C’est la foi qu’ils mettent en avant, dit-il, mais ils aspirent à la tyrannie, même envers les princes. Ils marchent d’un pas sûr, quoique sous terre. Que le prince s’avise de ne leur être pas soumis en toutes choses, aussitôt ils déclareront qu’il peut être destitué par l’Église, c’est-à-dire par quelques faux moines et quelques faux théologiens conjurés contre la paix publiquec. » Érasme, écrivant à François Ier, n’eût pu toucher une corde plus sensible.

c – Nisi princeps ipsorum voluntati per omnia paruerit, dicetur fautor hæreticorum et destitui poterit per ecclesiam. (Ibid. p. 1108.)

Enfin, pour être plus sûr encore d’échapper à ses ennemis, Érasme invoqua la protection de Charles-Quint lui-même. « Invincible empereur, lui dit-il, des hommes qui, sous le prétexte de la religion, veulent faire triompher leur ventre et leur despotismed, élèvent contre moi d’horribles clameurs. Je combats sous vos drapeaux et sous ceux de Jésus-Christ. Que votre sagesse et votre puissance rendent la paix au monde chrétien… »

d – Simulato religionis prætextu, ventris tyrannidisque suæ, negotium agentes. (Er. Epp. p. 962.)

C’est ainsi que le prince des lettres s’adressait à toutes les grandeurs du siècle. Le danger fut détourné de dessus sa tête ; les puissances du monde intervinrent ; les vautours durent abandonner une proie qu’ils croyaient déjà tenir dans leurs serres. Alors ils portèrent ailleurs leurs regards, cherchant d’autres victimes. Elles ne leur manquèrent pas.

C’était en Lorraine que le sang devait d’abord de nouveau couler. Dès les premiers jours de la Réforme, il y eut association de zèle entre Paris et la patrie des Guise. Si Paris se reposait, la Lorraine se mettait à l’œuvre, et puis Paris recommençait, en attendant qu’on eût repris des forces à Nancy ou à Metz. Les premiers coups parurent devoir tomber sur un homme excellent, l’un des réfugiés de Bâle, un ami de Farel et de Toussaint. Le chevalier d’Esch n’avait pu échapper, à Metz, aux soupçons des prêtres. On reconnut qu’il avait des rapports avec les chrétiens évangéliques, et on le fit prisonnier à Pont-à-Mousson, à cinq milles de Metz, sur les bords de la Mosellee. Cette nouvelle remplit de douleur les Français réfugiés, et les Suisses eux-mêmes. « O cœur plein d’innocence ! s’écria Œcolampade. J’ai cette confiance dans le Seigneur, ajoutait-il, qu’il nous gardera cet homme, dans la vie pour annoncer son nom en prédicateur de la justice, ou dans la mort pour le confesser en martyrf. » Mais en même temps, Œcolampade désapprouvait la vivacité, l’entraînement, le zèle, à son avis sans prudence, qui distinguaient les réfugiés français. « Je désire, disait-il, que mes très chers seigneurs de France ne se hâtent pas de retourner ainsi dans leur pays avant d’avoir bien examiné toutes choses ; car le démon tend partout ses pièges. Néanmoins, qu’ils obéissent à l’Esprit de Christ et que cet Esprit ne les abandonne jamaisg. »

e – Noster captas detinetur in Bundamosa quinque millibus a Metis. (Œcol. à Farel, Epp. 201.)

f – Vel vivum confessorem, vel mortuum martyrem servabit. (Œcol à Farel, Epp. 201.)

g – Nollem carissimos dominos meos Galles properare in Galliam, etc. (Ibid.)

On devait trembler, en effet, pour le sort du chevalier. Il y avait en Lorraine un redoublement de haine. Le provincial des cordeliers, frère Bonaventure Renel, confesseur du duc Antoine le Bon, homme effronté et peu recommandable sous le rapport de ses mœurs, laissait à ce prince faible, qui régna de 1508 à 1544, une grande liberté dans ses plaisirs, et il lui persuadait, presque à titre de pénitence, de perdre sans miséricorde tous les novateurs. Il suffit à chacun, disait souvent ce prince si bien conseillé par Renel, de savoir le Pater et l’Ave Maria ; les plus grands docteurs sont cause des plus grands troublesh. »

h – Actes des Martyrs, p. 97

Vers la fin de l’an 1524, on apprit à la cour du duc, qu’un pasteur, nommé Schuch, prêchait une doctrine nouvelle, dans la ville de Saint-Hippolyte, située au pied des Vosges. « Qu’ils rentrent dans l’ordre, dit Antoine le Bon, sinon je marche contre la ville, et j’y mets tout à feu et à sangi. »

i – Ibid. p. 95.

Alors le fidèle pasteur prit la résolution de se dévouer pour ses brebis ; il se rendit à Nancy, où résidait le prince. A peine arrivé, on le jeta dans une infecte prison, sous la garde d’hommes grossiers et cruels ; et le frère Bonaventure vit enfin l’hérétique en sa puissance. Ce fut lui qui présida à l’enquête. « Hérétique ! lui disait-il, Judas ! Diable ! » Schuch, calme et recueilli, ne répondait point à ces injures ; mais tenant en main sa Bible toute couverte de notes qu’il y avait inscrites, il confessait avec douceur et avec force Jésus-Christ crucifié. Tout à coup il s’anime ; il se lève avec courage ; il hausse la voix, comme saisi par l’Esprit d’en haut, et regardant en face ses juges, il leur dénonce les terribles jugements de Dieu.

Le frère Bonaventure et ses compagnons, épouvantés et transportés de rage, se jettent sur lui en poussant des cris, lui arrachent cette Bible dans laquelle il lisait de si menaçantes paroles, « et comme chiens enragés, dit le chroniqueur, ne pouvant mordre sur sa doctrine, ils la brûlèrent en leur couventj. »

j – Actes des Martyrs, recueillis par Crespin, en Français, p. 97.

Toute la cour de Lorraine retentit de l’obstination et de l’audace du ministre de Saint-Hippolyte, et le prince, curieux d’entendre l’hérétique, voulut être présent à sa dernière comparution, en secret toutefois et caché à tous les regards. Mais l’interrogatoire ayant eu lieu en latin, il ne put le comprendre ; seulement il fut frappé de voir le ministre ferme dans sa contenance, ne paraissant ni vaincu, ni étonné. Indigné de cette obstination, Antoine le Bon se leva, et dit en s’en allant : « Pourquoi disputer encore ? Il nie le sacrement de la messe ; que l’on procède à exécution contre luik. » Aussitôt Schuch fut condamné à être brûlé vif. En apprenant sa sentence, il leva les yeux au ciel, et dit avec douceur : « Je me suis réjoui à cause de ceux qui me disaient : Nous irons à la maison de l’Éternell. »

k – Hist. de François Ier par Gaillard, IV. 233.

lPsaumes 122.1.

Le 19 août 1525, toute la ville de Nancy était en émoi. Les cloches annonçaient la mort d’un hérétique. La lugubre procession se mit en marche. Il fallait passer devant le couvent des cordeliers, qui, joyeux et dans l’attente, étaient réunis devant la porte. Au moment où Schuch parut, le père Bonaventure montrant les images sculptées sur le portail du couvent, s’écria : « Hérétique ! porte honneur à Dieu, à sa mère et aux saints ! — O hypocrites ! répondit Schuch en demeurant la tête levée devant ces morceaux de bois et de pierre, Dieu vous détruira et amènera à lumière vos tromperies !… »

Le martyr étant arrivé au lieu du supplice, on brûla premièrement ses livres en sa présence ; puis on le somma de se rétracter ; mais il refusa en disant : « C’est toi, ô Dieu, qui m’as appelé, et tu m’affermiras jusqu’à la finm ! » Alors il se mit à prononcer à haute voix le psaume 51 : « O Dieu ! aie pitié de moi selon ta miséricorde ! » Étant monté sur le bûcher, il continua à réciter le psaume jusqu’à ce que la fumée et les flammes eurent étouffé sa voix.

m – Eum auctorem vocationis suæ atque conservatorem, ad extremum usque spiritum recognovit. (Acta Mart. p. 202.)

Ainsi les persécuteurs de France et de Lorraine voyaient recommencer leurs triomphes ; enfin on faisait attention à leurs avis. Des cendres hérétiques avaient été jetées au vent à Nancy ; c’était une provocation adressée à la capitale de la France. Quoi ! Beda et Lecouturier seraient les derniers à montrer leur zèle pour le pape ! Que les flammes répondent aux flammes, et que bientôt l’hérésie, balayée du sol du royaume, soit entièrement rejetée au delà du Rhin.

Mais avant de réussir, Beda devait avoir à soutenir un combat moitié sérieux, moitié plaisant, contre l’un de ces. hommes pour lesquels la lutte avec la papauté n’est qu’un jeu de l’esprit et non un intérêt du cœur.

Parmi les savants que Briçonnet avait attirés dans son diocèse, se trouvait un docteur de la Sorbonne, nommé Pierre Caroli, homme vain, léger, aussi brouillon et chicaneur que Beda lui-même. Caroli vit dans la nouvelle doctrine un moyen de faire de l’effet et de contrarier Beda, dont il ne pouvait supporter la domination. Aussi, étant revenu de Meaux à Paris, il y fit grande sensation en portant dans toutes les chaires ce qu’on appelait « la nouvelle manière de prêcher. » Alors commença entre les deux docteurs une lutte infatigable ; c’était coup contre coup et ruse contre ruse. Beda cite Caroli devant la Sorbonne, et Caroli l’assigne à l’officialité en réparation d’honneur. La faculté continue son enquête, et Caroli signifie un acte d’appel au parlement. On lui interdit la chaire par provision, et il prêche dans toutes les églises de Paris. On lui ferme décidément toutes les chaires, et il explique publiquement les Psaumes dans le collège de Cambray. La faculté lui défend de continuer cet exercice, et il demande d’achever l’explication du psaume 22, qu’il a commencée. Enfin, sa demande est rejetée, et alors il placarde aux portes du collège l’affiche suivante : Pierre Caroli, voulant obtempérer aux ordres de la sacrée faculté, cesse d'enseigner ; il reprendra ses leçons (quand il plaira à Dieu) à ce verset ou il en est resté : ils ont percé mes mains et mes pieds. » Ainsi Beda avait enfin trouvé un lutteur qui le valait. Si Caroli eût défendu sérieusement la vérité, le feu en eût bientôt fait justice ; mais il avait un esprit trop profane pour qu’on le mît à mort. Comment faire mourir un homme qui décontenançait ses juges ? Ni l’officialité, ni le parlement, ni le conseil ne purent jamais juger définitivement sa cause. Deux hommes tels que Caroli eussent mis à bout l’activité de Beda lui-même ; mais la Réformation n’en vit pas deuxn.

n – Gerdesius, Hist. seculi xvi. renovati, p. 52 ; D’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus, II. 21 ; Gaillard, Hist. de François Ier IV. 233.

Cette lutte impertinente finie, Beda se mit à des affaires plus sérieuses. Heureusement pour le syndic de la Sorbonne, il y avait des hommes qui prêtaient mieux prise à la persécution que Caroli. Briçonnet, il est vrai, Érasme, Lefèvre, Berquin lui avaient échappé ; mais puisqu’il ne peut atteindre ces grands personnages, il se contentera de moindres. Le pauvre jeune Jacques Pavanne, depuis son abjuration de Noël 1524, était toujours dans les larmes et les soupirs. On le rencontrait l’air morne, le regard fixé vers la terre, gémissant en lui-même et se faisant de vifs reproches d’avoir renié son Sauveur et son Dieuo.

o – Animi factum suum destestantis dolorem, sæpe declaraverit. (Acta Mart. p. 203.)

Pavanne était sans doute le plus modeste et le plus innocent des hommes ; mais n’importe ! il avait été à Meaux ; cela suffisait alors. Pavanne est relaps ! s’écrie-t-on ; le chien est retourné à ce qu'il avait vomi, et la truie lavée se vautre de nouveau dans le bourbier ! » Il fut aussitôt saisi, jeté en prison, et conduit devant les juges. C’était tout ce que le jeune maître Jacques demandait. Il se sentit soulagé dès qu’il fut dans les fers, et retrouva toute sa force pour confesser hautement Jésus-Christp. Les cruels sourirent en voyant que, cette fois-ci, rien ne pouvait leur enlever leur victime ; point de rétractation, point de fuite, point de patronage puissant. La douceur du jeune homme, sa candeur, son courage, rien ne pouvait adoucir ses adversaires. Il les regardait avec amour ; car en le jetant dans les chaînes, ils lui avaient rendu sa tranquillité et sa joie ; mais ce regard si tendre endurcissait encore plus leur cœur. Son procès fut promptement instruit, et bientôt la place de Grève vit s’élever un bûcher, où Pavanne mourut joyeusement, en fortifiant par son exemple tous ceux qui dans cette grande ville croyaient ouvertement ou secrètement à l’Évangile de Christ.

p – Puram religionis Christianæ confessionem addit. (Acta Mart. p. 203.)

Ce n’était pas assez pour la Sorbonne. Si ce sont des petits que l’on immole, il faut au moins que le nombre rachète la qualité. Les flammes de la place de Grève ont jeté l’effroi dans Paris et dans la France ; mais un nouveau bûcher allumé sur quelque autre place, doublera la terreur. On s’en entretiendra à la cour, dans les collèges et dans les ateliers du peuple ; et de telles preuves apprendront mieux que toutes les ordonnances, que Louise de Savoie, la Sorbonne et le parlement sont décidés à sacrifier jusqu’au dernier hérétique aux anathèmes de Rome.

Dans la forêt de Livry, à trois lieues de Paris, non loin de l’endroit où s’élevait l’antique abbaye de l’ordre de Saint-Augustin, vivait un ermite qui, ayant rencontré dans ses courses des hommes de Meaux, avait reçu dans son cœur la doctrine évangéliqueq. Le pauvre ermite s’était trouvé bien riche dans son réduit, quand un jour, avec le pain chétif que la charité publique lui donnait, il y avait rapporté Jésus-Christ et sa grâce. Dès lors il avait compris qu’il valait mieux donner que recevoir. Il allait de maison en maison dans les villages d’alentour, et à peine avait-il ouvert les portes des pauvres paysans dont il visitait les humbles cabanes, qu’il leur parlait de l’Évangile, du pardon complet qu’il donne aux âmes angoissées, et qui vaut mieux que les absolutionsr. Bientôt le bon ermite de Livry fut connu dans les environs de Paris ; on vint le chercher dans son pauvre ermitage ; et il fut un doux et fervent missionnaire pour les âmes simples de ces contrées.

q – Cette semence de Faber et de ses disciples, prise au grenier de Luther, germa dans le sot esprit d’un ermite, qui se tenait près la ville de Paris. (Hist. cath. de notre temps, par S. Fontaine, Paris, 1562.)

r – Lequel par les villages qu’il fréquentait, sous couleur de faire ses quêtes, tenait propos hérétiques. (Ibid.)

Le bruit des faits du nouvel évangéliste ne tarda pas à arriver aux oreilles de la Sorbonne et de la justice de Paris. L’ermite fut appréhendé, traîné hors de son ermitage, de sa forêt, de ces campagnes par lui journellement parcourues, jeté en un cachot dans la grande ville qu’il avait toujours évitée, jugé, convaincu et condamné à être « exemplairement puny de peine de petit feus. »

s – Ibid.

On résolut, pour faire un plus grand exemple, qu’il serait brûlé vif au parvis Notre-Dame, devant cette illustre basilique, symbole majestueux de la catholicité romaine. Tout le clergé fut convoqué, et l’on déploya une grande pompe, comme aux jours les plus solennelst. On eût voulu assembler tout Paris autour de ce bûcher, étant sonnée, dit un historien, la grosse cloche du temple de Notre-Dame à grand branle, pour émouvoir le peuple de toute la villeu. De toutes les rues aboutissantes le peuple accourait, en effet, sur la place. Les sons majestueux de l’airain arrêtaient l’ouvrier dans son travail, l’écolier dans ses études, le marchand dans son trafic, le soldat du roi dans son oisiveté, et déjà toute la place était couverte d’une foule immense, que l’on accourait encore. L’ermite, recouvert des vêtements attribués aux hérétiques obstinés, la tête et les pieds nus, avait été amené devant les portes de la cathédrale. Tranquille, ferme, recueilli, il ne répondait aux exhortations des confesseurs qui lui présentaient le crucifix, qu’en leur déclarant que son espérance était uniquement dans le pardon de Dieu. Les docteurs de la Sorbonne, au premier rang des spectateurs, voyant sa constance, et l’effet qu’elle produisait sur le peuple, criaient à haute voix : « C’est un homme damné qu’on mène au feu d’enferv ! » Cependant on sonnait toujours à la volée la grande cloche, dont les sons, en étourdissant les oreilles de la foule, augmentaient la solennité de cette lugubre fête. Enfin la cloche se tut, et le martyr ayant répondu aux dernières questions de ses adversaires, qu’il voulait mourir dans la foi en son Seigneur Jésus-Christ, fut, ainsi que le portait le jugement, brûlé à petit feu. Ainsi mourut paisiblement au parvis Notre-Dame, au milieu des cris et de l’émotion de tout un peuple, sous les tours élevées par la piété de Louis le Jeune, cet homme dont l’histoire ne nous a pas même conservé le nom, « l’ermite de Livry. »

t – Avec une grande cérémonie. (Hist, des Egl. Réf. par Théod. de Bèze, I. 4.)

u – Ibid.

v – Ibid.

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