Histoire de la Réformation du seizième siècle

15.2

Un État militaire – Irrésolution de Berne – Berne se joint à Zurich – Le signal de Zwingle – Les Anabaptistes à Berne – Le peuple se prononce pour la liberté – Lutte – Dispute proposée – Protestation des Waldstettes – Protestation des évêques – L’Église juge des controverses – Zwingle veut accourir – Caravane évangélique – L’église des Cordeliers – Ouverture de la conférence – L’unité – Prêtre converti à l’autel.– Fête de saint Vincent – Dernier Magnificat – Les bouchers – Fin – Les autels détruits – Douleur des Papistes – Sermon d’adieu de Zwingle – Amnistie – Triomphe de Zwingle – Édit de réforme – Les faux alliés de la Réforme

De tous les cantons de la Suisse, Berne paraissait le moins disposé à la Réformation. Un État militaire peut être zélé pour la religion, mais ce sera pour une religion extérieure et disciplinée ; il lui faut une organisation ecclésiastique qu’il voie, qu’il touche, qu’il manie à son gré. Il craint les innovations et les libres mouvements de la Parole de Dieu ; il aime la forme, et non la vie. Napoléon restaurant la religion en France par le Concordat en est un mémorable exemple. C’était aussi le cas de Berne. Le gouvernement y était d’ailleurs absorbé par les intérêts politiques ; et quoiqu’il ne fît pas grand cas de la puissance du Pape, il se souciait encore moins de voir un réformateur se mettre, comme Zwingle, à la tête des choses publiques. Quant au peuple, mangeant le beurre de ses vaches et la graisse de ses agneauxa il restait strictement renfermé dans le cercle étroit de ses besoins matériels. Les questions religieuses n’étaient du goût ni des chefs ni de leurs subordonnés.

aDeutéronome 32.14.

Le gouvernement bernois, novice en fait de théologie, s’était proposé d’arrêter le mouvement de la Réforme par son édit de 1523. Quand il vit sa méprise, il se rapprocha des cantons de l’ancienne foi ; et tandis que la partie du peuple où se recrutait le Grand-Conseil prêtait l’oreille à la parole des Réformateurs, la plupart des familles patriciennes qui composaient le Petit-Conseil, se croyant menacées dans leur puissance, leurs intérêts et leurs honneurs, s’attachaient à l’ancien ordre de choses. Il résulta de cette opposition des deux conseils un malaise général, mais pas de chocs violents. « Des mouvements subits, des tressaillements répétés, annonçaient de temps en temps que des matières incompatibles fermentaient dans la nation ; il y avait comme un tremblement de terre sourd, qui élevait toute la surface, sans que l’on y vît de déchirures ; puis bientôt tout rentrait dans une tranquillité apparenteb. » Berne, toujours si ferme dans sa politique, se jetait, en religion, tantôt à droite, tantôt à gauche, et déclarait ne vouloir être ni papiste ni réformé. Gagner du temps, c’était pour la foi nouvelle tout gagner.

b – Hundeshagen, Conflikte der Bernischen Kirche, p. 19.

Ce que l’on fit pour détourner Berne de la Réforme fut ce qui l’y précipita. L’orgueil avec lequel les cinq cantons primitifs prétendirent s’arroger la tutelle de leurs confédérés, les conférences secrètes auxquelles Berne n’était pas même invité, et la menace de s’adresser directement au peuple, blessèrent profondément les oligarques bernois. Le carme lucernois Thomas Murner, l’un de ces hommes grossiers qui agissent sur la populace, mais qui inspirent un sentiment de dégoût aux esprits élevés, fit déborder la coupe. Furieux contre le calendrier zurichois, d’où l’on avait retranché les noms des saints, il lui opposa « l’Almanach des hérétiques et voleurs d’églises, » écrit plein de pasquinades et d’invectives, où les figures des Réformateurs et de leurs adhérents, parmi lesquels étaient plusieurs des hommes les plus considérés de Berne, se trouvaient accompagnées des plus grossières inscriptionsc. Zurich et Berne demandèrent ensemble satisfaction, et dès lors l’union de ces deux États devint toujours plus intime.

c – Quum nudius tertius Murneri Calendarium legissem, partim ridendo hominis stultissimam impudentiam. (Œcolampade à Zwingle, Févr. 1527, Epp. 2, p. 26.)

On s’aperçut bientôt à Berne de ce changement. Les élections de 1527 portèrent dans le Grand Conseil un nombre considérable des amis de la Réforme. Aussitôt ce corps, ressaisissant le droit de nommer les membres du Petit-Conseil, usurpé depuis vingt ans par les bannerets et les Seize, écarta du gouvernement les partisans les plus décidés de la hiérarchie romaine, entre autres Gaspard de Mulinen et Sébastien de Steind, et les remplaça par des membres de la majorité évangélique. L’union de l’Église et de l’État, qui avait arrêté jusqu’alors en Suisse les progrès de la Réforme, devait maintenant les hâter.

d – A Mullinen e Senatoria dignitate protrusus est. Lapides quoque. (Haller ad Zw., 25 apr. 1527. Ibid., p. 49)

Haller n’était pas le seul réformateur dans Berne. Kolb avait quitté la chartreuse de Nuremberg, où il avait dû s’enfuir, et s’était présenté à ses compatriotes en ne demandant d’autre salaire que la liberté d’annoncer Jésus-Christ. Déjà courbé sous le poids des années, et la tête couronnée de cheveux blancs, Kolb, jeune de cœur, plein de feu et d’un inébranlable courage, portait hardiment, devant les premiers de la nation, l’Évangile qui l’avait sauvé. Haller, au contraire, à peine âgé de trente-cinq ans, marchait d’un pas mesuré, parlait avec gravité, et annonçait la nouvelle doctrine avec des ménagements inouïs. Le vieillard avait pris le rôle du jeune homme, et le jeune homme celui du vieillard.



Berthold Haller

Zwingle, à qui rien n’échappait, vit que l’heure favorable allait sonner pour Berne, et aussitôt il donna le signal. « La colombe chargée d’examiner l’état des eaux revient dans l’arche avec une branche d’olivier, écrit-il à Haller ; sortez maintenant, nouveau Noé, et prenez possession de la terre. — Pressez, insistez ; jetez tellement au fond du cœur des hommes les crocs et les hameçons de la Parole de Dieu, qu’on ne puisse plus jamais s’en défairee. — Vos ours, écrivait-il à Thomas Ab Hofen, vos ours ont de nouveau sorti leurs ongles. Plaise à Dieu qu’ils ne les rentrent qu’après avoir mis en pièces tout ce qui s’oppose à Jésus-Christ ! »

e – Aculeos ac hamos, sic in mortalium pectora dimitte, ut etiam si velint, non possint. (Zw. Epp. 2, p. 10.)

Haller et ses amis allaient répondre à cet appel, quand leur situation se compliqua. Des Anabaptistes, qui formaient partout l’extrême gauche, ou le parti radical, arrivés à Berne en avril 1527, détournaient le peuple des prédications évangéliques, « à cause de la présence des idolesf. » Haller eut avec eux une conférence inutile. « A quels dangers la chrétienté n’est-elle pas exposée, s’écriait-il, par l’adresse subreptice de ces furiesg ? » Il n’y a jamais de réveil dans l’Église, sans que des sectes hiérarchiques ou radicales ne viennent aussitôt le troubler. Haller, effrayé, gardait pourtant son inaltérable douceur. « Le magistrat veut les bannir, disait-il ; mais notre tâche est de repousser leurs erreurs, et non leurs personnes : n’employons d’autres armes que le glaive de l’Esprith. » Ce n’est pas de la Papauté que les Réformateurs avaient appris ces principes. Une dispute publique eut lieu. Six Anabaptistes se déclarèrent convaincus, et deux autres furent renvoyés du pays.

f – Ne pleben dehortentur ab auditione concionum nostrarum ob idolorum præsentiam. (Ibid. 49.)

g – Consideravimus omnes periculum urbis nostræ et totius Christianismi, ubi illæ furiæ irrepserint. (Ibid. 50.)

h – Nostrum est, omnia gladio spiritus refellere. (Ibid.)

Le moment décisif approchait. Les deux grandes puissances du siècle, l’Evangile et la Papauté, se remuaient avec une égale énergie ; les Conseils bernois devaient se prononcer. Ils voyaient, d’un côté, les cinq cantons primitifs prendre une attitude toujours plus menaçante, et annoncer que l’Autrichien reparaîtrait bientôt dans l’Helvétie, pour la remettre sous l’obéissance de Rome ; de l’autre, l’Évangile gagner chaque jour plus de terrain dans la Confédération. Qui devra l’emporter en Suisse, les lances des Autrichiens, ou la parole de Jésus-Christ ? Dans l’incertitude où se trouvaient les Conseils, ils résolurent de s’attacher à la majorité. Où trouver un terrain ferme, si ce n’est là ? Vox populi, vox Dei. Nul, dirent-ils, ne peut faire quelque changement, de son autorité privée ; il faut le consentement de tousi. »

i – Ut privata auctoritate nemo quippiam immutare præsumat. Haller à Vadian.

Le gouvernement de Berne avait à se décider entre deux mandements, émanés l’un et l’autre de sa chancellerie : celui de 1523, en faveur de la prédication libre de l’Évangile ; et celui de 1526, en faveur « des sacrements, des Saints, de la mère de Dieu, et des ornements des églises. » Les messagers d’État partirent, et parcoururent les communes ; le peuple donna sa voix contre toute loi contraire à la liberté ; et les Conseils, appuyés de la nation, arrêtèrent que « la parole de Dieu devait être prêchée publiquement et librement, quand même elle serait opposée aux ordonnances et aux doctrines des hommes. » Telle fut la victoire de l’Évangile et du peuple sur les oligarques et les prêtres.

Aussitôt l’on se trouva aux prises dans tout le canton, et chaque commune retentit d’évangéliques débats. Les paysans se mirent à disputer avec les prêtres et les moines, en s’appuyant sur la sainte Écriture. « Si le mandement de Nos Seigneurs, disaient plusieurs, accorde à nos pasteurs la liberté de prêcher, pourquoi n’accorderait-on pas au troupeau la liberté d’agir ? » — « Paix ! paix ! » répondaient les Conseils, effrayés de leur propre audace. Mais les troupeaux déclaraient hardiment qu’ils renvoyaient la messej, et gardaient leurs pasteurs et la Bible. Alors les partisans du Pape poussaient des cris : « Hérétiques ! polissons ! paillardsk ! » disait aux bons habitants de l’Emmenthal le banneret Kuttler ; et ces paysans l’obligeaient à leur donner satisfaction. Le bailli de Trachselwald fut plus habile : voyant le peuple de Rudersweil écouter avec avidité la parole de Dieu, que lui prêchait un pieux ministre, il vint avec des fifres et des trompettes interrompre le sermon, et invita, par ses paroles et ses fanfares, les filles du village à quitter l’église pour le bal.

j – Incolas vallis Emmenthal Senatum adiisse, missamque missam fecisse. (Zw. Epp. 2, p. 104.) Il faut remarquer le jeu de mots.

k – Pueros, hæreticos, et homines lascivos. (Ibid. 106.)

Ces singulières provocations n’arrêtaient pas la Réforme. Six tribus de la ville, celles des cordonniers, des tisserands, des marchands, des boulangers, des tailleurs de pierres et des charpentiers, abolissaient, dans les couvents et les églises de leur ressort, les messes, les anniversaires, les patronages et les prébendes. Trois autres, celles des tanneurs, des forgerons et des tailleurs, s’apprêtaient à les imiterl ; les sept dernières étaient indécises, sauf celle des bouchers, enthousiaste du Pape. Ainsi la majorité de la bourgeoisie avait embrassé l’Évangile. Plusieurs communes du canton avaient fait de même ; et l’avoyer d’Erlach, ce grand adversaire de la Réforme, ne pouvait plus contenir le torrent.

l – Haller ad Zw., 4 novemb. 1527 ; Epp., II, p. 105.

On essaya pourtant : on ordonna aux baillis d’avoir l’œil sur les dissipations et la vie dissolue des moines et des nonnes ; on éloigna même des monastères toutes les femmes de mauvaises mœursm. Mais ce n’était pas seulement à ces abus que la Réformation en voulait, c’était encore aux institutions elles-mêmes et à la Papauté, sur laquelle elles reposaient. On devait donc se décider. « Il faut, disait-on, que le clergé bernois soit convoqué, comme celui de Zurich l’a été, et que l’on discute les deux doctrines dans une conférence solennelle. On agira ensuite conformément aux résultats. »

m – J. J. Hottinger. H. Kirchen, VIII, p. 394.

Le dimanche après la fête de Saint-Martin, le Conseil et la bourgeoisie, d’une voix unanime, arrêtèrent qu’une dispute aurait lieu au commencement de l’année suivante. « La gloire de Dieu et sa Parole, s’écriait-on, vont enfin se montrer. » Bernois et étrangers, prêtres et laïques, tous furent invités, par lettres ou par avis imprimés, à venir débattre les questions controversées, mais par l’Ecriture seule, sans les gloses des anciens, et en renonçant aux subtilités et aux injuresn. Qui sait, disait-on, si tous les membres de l’antique Confédération des Suisses ne pourront pas de cette manière être amenés à l’unité de la foi ?

n – Solam sacram Scripturam, absque veterum glossematis. (Haller ad Zw., 19 novemb. 1527 ; Epp., II, p. 113.)

Ainsi, dans les murailles de Berne, allait se livrer la bataille qui devait décider du sort de la Suisse ; car l’exemple des Bernois ne pouvait manquer d’entraîner une grande partie de la Confédération.

Les cinq cantons, effrayés à cette nouvelle, s’assemblèrent à Lucerne. Fribourg, Soleure et Glaris se joignirent à eux. Il n’y avait rien, ni dans la lettre ni dans l’esprit du pacte fédéral, qui pût gêner la liberté religieuse. « Tout État, disait Zurich, est libre de choisir la doctrine qu’il veut professer. » Les Waldstettes, au contraire, voulaient enlever aux cantons cette indépendance, et les assujettir à la majorité fédérale et au Pape. Ils protestèrent donc, au nom de la Confédération, contre la dispute proposée : « Vos ministres, écrivirent-ils à Berne, éblouis et renversés à Bade par l’éclat de la vérité, voudraient par cette nouvelle dispute se farder le visage ; mais nous vous sollicitons de vous désister d’un dessein si contraire à nos anciennes alliances. » — Ce n’est pas nous qui les avons enfreintes, répondit Berne ; c’est bien plutôt votre orgueilleuse missive qui les anéantit. Nous ne nous désisterons pas de la sainte parole de Notre Seigneur Jésus-Christ. » Les cantons romains décidèrent alors qu’ils refuseraient tout sauf-conduit à ceux qui se rendraient à Berne. C’était faire présager de sinistres desseins.

Les quatre évêques suisses de Lausanne, de Constance, de Bâle et de Sion, invités à venir à la conférence, sous peine de perdre leurs privilèges dans le canton de Berne, répondirent que, puisqu’il s’agissait de discuter d’après les Écritures, ils n’avaient pas à s’en mêler. Ainsi, ces prêtres oubliaient ces paroles de l’un des plus illustres docteurs de Rome dans le quinzième siècle : « Dans les choses du ciel, l’homme doit être indépendant des hommes, et ne dépendre que de Dieu seulo. »

o – John Goch, Dialogus de quatuor erroribus, p. 237.

Les docteurs de Rome firent comme les évêques. Eck, Murner, Cochlée, d’autres encore, répétaient partout : « Nous avons reçu les lettres de ce lépreux, de ce damné, de cet hérétique Zwinglep. On veut prendre la Bible pour juge : mais la Bible a-t-elle une voix pour crier contre ceux qui lui font violence ? Nous ne nous rendrons pas à Berne ; nous ne nous traînerons pas dans ce coin obscur ; nous n’irons pas nous battre dans cette caverne ténébreuse, dans cette école hérétique. Que ces scélérats viennent en plein air, et luttent avec nous en rase campagne, s’ils ont, comme ils le disent, la Bible pour eux. »

p – Epistolam leprosi, damnati, hæretici Zwinglii accepi. (Eck à G.A. Zell, Zw. Epp. 2, p. 126.)

L’Empereur ordonna qu’on ajournât la dispute. Mais, le jour même de l’ouverture, le Conseil de Berne lui répondit que, tout le monde étant déjà réuni, un délai était impossible.

Ainsi, malgré les docteurs, malgré les évêques, l’Église helvétique s’assemblait pour juger des doctrines. En avait-elle le droit ? Non, si les prêtres et les évêques ont été institués, comme Rome le prétend, pour être un lien mystique entre l’Église et le Seigneur. Oui, s’ils n’ont été établis, comme la Bible le déclare, que pour satisfaire à cette loi d’ordre en vertu de laquelle toute société doit avoir des chefs qui la dirigent. Le sentiment des Réformateurs suisses à cet égard n’était pas douteux. La grâce qui fait le ministre vient du Seigneur, pensaient-ils ; mais l’Église examine cette grâce, la constate, la proclame par ses anciens ; et, dans tout acte qui concerne la foi, elle peut toujours en appeler du ministre à la parole de Dieu. Examinez les esprits ; éprouvez toutes choses, est-il dit à tous les fidèles. L’Église est juge des controversesq ; et c’est cette charge, à laquelle elle ne doit jamais faire défaut, qu’elle allait remplir dans la dispute de Berne.

qJudex controversiarum. 1 Thessaloniciens 5.211 Jean 4.1.

Le combat semblait inégal. D’un côté, se présentait la hiérarchie romaine, ce colosse qui avait grandi pendant plusieurs siècles ; et, de l’autre, on ne voyait d’abord qu’un homme faible et timide, le modeste Berthold Haller. « Je ne sais point manier le glaive de la parole, disait-il tout éperdu à ses amis. Si vous ne me tendez la main, c’en est fait ! » Puis il se jetait en tremblant aux pieds du Seigneur, et s’en relevait bientôt rassuré, en s’écriant : « La foi au Seigneur me ranime, et dissipe toutes mes craintesr ! »

r – Fides in Dominum me animat, ut nihil verear. (Zw. Epp. 2, p. 123.)

Cependant il ne pouvait demeurer seul. Tous les regards étaient dirigés sur Zwingle. C’est moi qui, à Bade, ai pris le bain, écrivait Œcolampade à Haller ; maintenant c’est Zwingle qui, à Berne, doit conduire la danse des ourss. » « Nous sommes entre l’enclume et le marteau, écrivait Haller à Zwingle ; nous tenons le loup par les oreilles, et ne savons comment nous en défairet. Les maisons des de Watteville, de Noll, de Tremp, de Berthold, nous sont ouvertes. Venez donc, et commandez vous-même l’action. »

s – Allusion à la dispute de Bade, bain célèbre, et aux armes de Berne. (Ibid., p. 118.)

t – Lupum auribus tenemus. (Ms. de Zurich.)

Zwingle n’hésita pas. Il demanda au Conseil de Zurich la permission de se rendre à Berne, pour y montrer que sa doctrine était pleine de crainte de Dieu et non blasphématoire, puissante pour répandre en Suisse la concorde, et non pour y jeter le trouble et la divisionu. » En même temps que Haller recevait la nouvelle de la venue de Zwingle, Œcolampade lui-même lui écrivait : « Je suis prêt, s’il le faut, à donner ma vie. Inaugurons l’année nouvelle en nous serrant dans les bras les uns des autres, à la gloire de Jésus-Christ. » Voilà donc, s’écria Haller tout ému, les auxiliaires que le Seigneur envoie à mon infirmité, pour livrer cette rude bataille ! »

u – Neque ad perturbationem nostræ almæ Helvetiæ. (Zw. Epp. 2, p. 120.)

Il fallait user de prudence, car on connaissait la violence des oligarques et des cinq cantonsv. Les docteurs de Glaris, de Schaffouse, de Saint-Gall, de Constance, d’Ulm, de Lindau, d’Augsbourg, se rassemblèrent à Zurich, pour marcher sous la même escorte que Zwingle, Pellican, Collin, Mégandre, Grossmann, le commandeur Schmidt, Bullinger, et un grand nombre d’ecclésiastiques de la campagne, désignés pour accompagner le Réformateur. « Quand tout ce gibier traversera le pays, disaient les pensionnaires, nous nous mettrons à sa poursuite, et nous verrons si nous ne parviendrons pas à le tuer ou à le mettre en cage. »

v – Oligarchæ in angulis obmurmurent. (Ibid. 123.)



Bullinger

Trois cents hommes d’élite, choisis dans les tribus de Zurich et dans les communes de la banlieue, revêtirent leurs cuirasses et se chargèrent

de leurs arquebuses ; mais, pour ne pas donner à la marche des docteurs l’apparence d’une expédition militaire, on ne prit ni drapeaux, ni fifres, ni tambours, et le trompette de la ville, officier civil, cavalcada seul en tête de cette caravane.

Ce fut le mardi 2 janvier qu’elle se mit en marche. Jamais Zwingle n’avait paru plus animé. « Gloire soit au Seigneur ! disait-il ; mon courage croît de jour en jourw. » Le bourgmestre Roust, le secrétaire de ville Mangoldt, et les maîtres ès arts Funck et Jæckli, délégués du Conseil, étaient à cheval près de lui. On arriva à Berne le 4 janvier, n’ayant eu qu’une ou deux alertes peu importantes.

w – Crescit Domino gloria, mihi animus in hac pugna. (Zw. Epp. Vadiano.)

L’église des Cordeliers devait être le lieu de la conférence. L’architecte de la ville, Tillmann, l’avait disposée d’après un plan que Zwingle avait envoyéx. On y avait élevé une grande estrade, sur laquelle se trouvaient deux tables, qu’environnaient les chefs des deux partis. Parmi les Evangéliques, on remarquait, outre Haller, Zwingle, Œcolampade, plusieurs hommes distingués de la Réforme, étrangers à la Suisse, Bucer, Capiton, Ambroise Blarer. Dans les rangs de la Papauté, le docteur Treger, de Fribourg, qui jouissait d’une grande réputation, paraissait devoir soutenir surtout le feu du combat. Du reste, soit crainte, soit dédain, les plus fameux docteurs de Rome étaient absents.

x – Tillmannus urbis architectus locum juxta tuam deformationem operabit. (Ibid. 2, p. 123.)

Le premier acte fut de proclamer la règle de la dispute. « On ne proposera, dit-on, aucune preuve qui ne soit tirée de l’Écriture sainte, ni d’autres explications de cette Écriture que celles qui proviendront de l’Écriture elle-même, expliquant les passages obscurs par ceux qui sont clairs. » Puis l’un des secrétaires, chargé de l’appel, cria, d’une voix qui retentit dans toute l’église des Cordeliers : L'évêque de Constance ! Personne ne répondit. De même pour les évêques de Sion, de Bâle, de Lausanne. Aucun de ces prélats n’assistait à l’assemblée, ni en personne, ni par délégués ; la Parole de Dieu devant seule régner, la hiérarchie romaine manquait. Ces deux puissances ne peuvent marcher ensemble. Il y avait trois cent cinquante ecclésiastiques, soit suisses, soit allemands.

Le mardi 7 janvier 1528, le bourgmestre Vadian, l’un des présidents, ouvrit la dispute. Puis le vieux Kolb, se levant, dit : « Dieu agite à cette heure le monde entier ; humilions-nous donc devant lui ; » et il prononça avec ferveur une confession des péchés de tous.

Cela fait, on lut la première thèse, ainsi conçue : « La sainte Église chrétienne, dont Christ est l’unique chef, est née de la parole de Dieu, demeure en elle, et n’écoute pas la voix d’un étranger. »

alexis grat

(dominicain) Le mot unique n’est point dans l’Écriture. Christ a laissé un vicaire ici-bas.

haller

Le vicaire que Christ a laissé, c’est le Saint-Esprit.

treger

Voyez donc où vous en êtes venus depuis dix ans ! Celui-ci s’appelle Luthérien, celui-là Zwinglien, un troisième Carlostadien, un quatrième Œcolampadiste, un cinquième Anabaptiste…

bucer

Quiconque prêche que Jésus est le seul sauveur, nous le tenons pour notre frère. Ni Luther, ni Zwingle, ni Œcolampade, ne veulent que les fidèles portent leur nom. Au reste, ne vantez pas tant une unité purement extérieure. Quand l’Antechrist a eu le dessus sur toute la terre, en Orient par Mahomet, en Occident par le Pape, il a su maintenir les peuples dans l’unité de l’erreur. Dieu permet les divisions, afin que ceux qui lui appartiennent apprennent à regarder, non aux hommes, mais au témoignage de la Parole, et à l’assurance du Saint-Esprit dans le cœur. Ainsi donc, frères bien-aimés, à l’Écriture ! à l’Ecriturey ! Église de Berne, tiens-toi à la doctrine de celui qui a dit : Venez à moi ; et non : Allez à mon vicaire ! »

y – Darum fromme Christen ! Zur Schrift, zur Schrift ! (Acta Zw. 2, p. 92.)

On disputa successivement sur la tradition, les mérites de Christ, la transsubstantiation, la messe, l’invocation des Saints, le purgatoire, les images, le célibat et les désordres du clergé. Rome trouva de nombreux défenseurs, entre autres Murer, curé de Rapperschwil, qui avait dit : « Si l’on veut brûler les deux ministres de Berne, je me charge de les porter à l’échafaud. »

Le dimanche 19 janvier, jour où l’on attaqua la messe, Zwingle, désireux d’agir aussi sur le peuple, monta en chaire ; et ayant récité le symbole des Apôtres, il fit une pause après ces mots : « Il est monté au ciel, il est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, il en reviendra pour juger les vivants et les morts. » Ces trois articles de notre foi, dit-il, sont en contradiction avec la messe. » Tout l’auditoire redoubla d’attention ; et un prêtre, revêtu de ses habits sacerdotaux, se préparant, près d’un autel, à célébrer le saint sacrifice, s’arrêta, frappé des paroles de Zwingle. Debout devant la table de pierre où reposaient le calice et le corps du Sauveur, ne perdant pas de vue le Réformateur, dont la parole électrisait le peuple, en proie au plus violent combat, accablé sous le poids de la vérité, le prêtre ému se résolut à tout sacrifier pour elle. En présence de l’assemblée, il se dépouilla de ses ornements sacerdotaux, et, les jetant sur l’autel, il s’écria : « Si la messe ne repose pas sur un fondement plus solide, je ne puis plus la célébrer ! » Le bruit de cette conversion, opérée à l’heure du sacrifice, se répandit aussitôt dans toute la citéz, et l’on y vit un important présage. Tant que la messe demeure, Rome a tout gagné ; dès que la messe tombe, Rome a tout perdu. La messe est le principe créateur du système de la Papauté.

z – Das lachet menklich und ward durch die gantzen Stadt kundt. (Bulling. 1, p. 436.)

Trois jours plus tard, le 22 janvier, était la fête de Saint-Vincent, patron de la ville. La dispute, qui avait continué le dimanche, fut suspendue ce jour-là. Les chanoines demandèrent au Conseil ce qu’ils avaient à faire. « Ceux d’entre vous, répondit le Conseil, qui reçoivent la doctrine des thèses, ne doivent point dire la messe ; les autres peuvent célébrer le culte comme à l’ordinairea. » On prépara donc les solennités accoutumées. Dès la veille, les cloches en branle annoncèrent la fête au peuple bernois. Le matin, les sacristains allumèrent les cierges, et l’encens brûla dans le temple ; mais personne ne parut. Point de prêtres pour dire la messe, point de fidèles pour l’entendre. Déjà il y avait dans le sanctuaire de Rome un vide immense, un silence profond, comme en un cimetière où il n’y a que les cendres des morts.

a – Bullinger dit, au contraire, que le Conseil défendit absolument la messe. Mais Bullinger, historien plein de vie, n’est pas toujours exact dans la partie diplomatique. Le Conseil n’eût pu prendre une telle résolution avant la fin de la dispute. Les autres historiens contemporains et les actes officiels ne laissent aucun doute sur ce fait. Stettler, dans sa Chronique (pars II, p. 6, ad annum 1528), le raconte tel que je l’ai rapporté.

Le soir, les chanoines avaient coutume de chanter les vêpres en grande pompe. L’organiste se trouva à son poste, mais personne encore ne parut. Le pauvre homme, seul, voyant tristement tomber le culte qui le faisait vivre, épancha sa douleur en jouant, au lieu du majestueux Magnificat, un cantique de deuil : « O malheureux Judas ! qu’as-tu fait, que tu aies trahi Notre Seigneur ? » Après ce triste adieu, il se leva et sortit. Presque aussitôt des hommes, échauffés par les passions du moment, se précipitèrent sur ses orgues chéries, complices, à leurs yeux, de tant de pratiques superstitieuses ; et leurs rudes mains les brisèrent. Plus de messe, plus d’orgues, plus d’antiennes. Une nouvelle cène et de nouveaux chants vont remplacer les rites de la Papauté.

Le lendemain, même silence. Cependant, tout à coup, une troupe d’hommes, à la voix haute et au pas précipité, se fit entendre. C’était la tribu des bouchers, qui, dans ce moment funeste à Rome, voulait la soutenir. Ils s’avançaient portant des branches d’arbres et de petits sapins, pour en orner leur chapelle. Au milieu d’eux se trouvait un prêtre étranger ; derrière lui marchaient quelques pauvres écoliers. Le prêtre officia ; la douce voix des écoliers remplaça l’orgue muet ; et la tribu des bouchers se retira glorieuse de son triomphe.

La dispute approchait de sa fin. Les soutenants avaient argumenté avec vigueur. Burgauer, pasteur de Saint-Gall, avait défendu la présence réelle dans l’hostie ; mais, le 19 janvier, il s’était déclaré convaincu par les raisons de Zwingle, d’Œcolampade et de Bucer ; et Mathias, ministre de Sængen, en avait fait autant.

Il y eut ensuite une conférence en latin, entre Farel et un docteur de Paris. Ce dernier mit en avant un argument étrange : « Les chrétiens, dit-il, sont tenus d’obéir au diableb ; car il est dit (Matthieu 5.25) : Soumets-toi à ton adversaire. Or, notre adversaire, c’est le diable. A combien plus forte raison faut-il être soumis à l’Église ! » De grands éclats de rire accueillirent ce singulier syllogisme. Une dispute avec les Anabaptistes termina l’action.

b – Nos tenemur obedire diabolo. (J.J. Hottinger, 3, p. 405.)

Les deux Conseils arrêtèrent que la messe serait abolie, et que chacun pouvait enlever des églises les ornements qu’il y avait placés.

Aussitôt vingt-cinq autels et un grand nombre d’images furent détruits dans la cathédrale, sans désordre cependant et sans effusion de sang ; et les enfants se mirent à chanter dans les rues, c’est Luther qui nous l’apprendc :

c – Pueri in plateis cantant : se esse a Deo pisto liberatos. (L. Epp. 3, p. 290.)

D’un Dieu pilé dans un mortier,
Dieu même, à la fin, nous délivre !…

Les fidèles de la Papauté, entendant tomber l’un après l’autre les objets de leur culte, avaient le cœur rempli d’amertume. « Si quelqu’un, s’écriait Jean Schneider, ôte l’autel de la tribu des bouchers, moi je lui ôterai la vie. » Pierre Thormann comparait la cathédrale dépouillée de ses ornements à une écurie. « Quand les gens de l’Oberland viendront au marché, ajoutait-il, ils seront heureux d’y mettre leurs bêtes. » Et Jean Zehender, membre du Grand-Conseil, voulant montrer le cas qu’il faisait d’un tel temple, y entra monté sur un âne, insultant et maudissant la Réforme du haut de son baudet. Un Bernois qui se trouvait là lui ayant dit : « C’est par la volonté de Dieu qu’on a ôté les images, » Zehender répondit : « Dis plutôt par la volonté du diable. Quand t’es-tu trouvé avec Dieu, pour apprendre ainsi sa volonté ? » Il fut condamné à vingt livres d’amende, et expulsé du Conseild. « O temps ! ô mœurs ! s’écriaient plusieurs Catholiques-romains ; ô négligence coupable ! Qu’il eût été facile de prévenir un si grand mal ! Ah ! si nos évêques avaient seulement voulu s’occuper davantage des lettres, — et de leurs maîtresses un peu moins ’ ! » Cette réforme était nécessaire. Quand, au quatrième siècle, le christianisme avait vu la faveur des princes succéder à la persécution, une foule de païens s’étaient précipités dans l’Église, et y avaient entraîné avec eux le paganisme, ses images, ses pompes, ses statues, ses demi-dieux ; et quelque chose de semblable aux mystères de la Grèce, de l’Asie et surtout de l’Egypte, avait remplacé dans les oratoires chrétiens la parole du Christ. Au seizième siècle, cette Parole étant revenue, il fallait que l’épuration se fît ; mais elle ne pouvait se faire sans de douloureux déchirements.

d – Histoire de Berne, par Tillier, III, p. 257.

Le départ des étrangers approchait. Le 28 janvier, lendemain du jour où l’on avait abattu les images et les autels, tandis que leurs débris entassés encombraient encore çà et là les parvis du temple, Zwingle, traversant ces ruines éloquentes, monta encore une fois en chaire, au milieu d’une foule immense. Ému, laissant tomber tour à tour ses regards sur ces débris et sur le peuple, il s’écria : « La victoire est à la vérité, mais la persévérance seule peut achever son triomphe. Christ a persévéré jusqu’à la mort. Ferendo vincitur fortuna. Cornélius Scipion, lors du désastre de Cannes, pénétra dans la salle du conseil, tira son épée, et contraignit les chefs épouvantés à jurer qu’ils n’abandonneraient point Rome. « Citoyens de Berne, je vous adresse la même demande : n’abandonnez point Jésus-Christ. »

On peut comprendre l’effet que produisaient sur tout le peuple de telles paroles, prononcées avec l’éloquence énergique d’un Zwingle.

Puis, se tournant vers les débris qu’il avait sous les yeux : « Les voilà, dit-il, les voilà, ces idoles ; les voilà vaincues, muettes, brisées devant nous. Il faut que ces cadavres soient jetés aux gémonies, et que l’or que vous avez dépensé à ces folles images soit consacré dorénavant à soulager dans leurs misères les images vivantes de Dieu. Hommes faibles, qui versez des larmes sur ces tristes idoles, ne voyez-vous donc pas qu’elles se brisent ? n’entendez-vous pas qu’elles craquent comme tout autre bois et comme toute autre pierre ? Voyez, en voici une à laquelle on a ôté la tête… (Zwingle montrait du doigt l’image, et tout le peuple fixait les regards sur elle) ; en voici une autre à laquelle on a enlevé un brase. Si ces, traitements avaient fait quelque mal aux saints qui sont dans le ciel, et qu’ils eussent la puissance qu’on leur attribue, eussiez-vous pu, je le demande, leur couper les bras et la tête ?…

e – Hie lut einer, dem ist’s houpt ab, dem andern ein arm. Etc. (Zw. Opp. 2, p. 228.)

Maintenant donc, dit en finissant le puissant orateur, tenez-vous fermes dans la liberté dans laquelle Christ vous a placés, et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de la servitude. (Galates 5.1) Ne craignez point ! Ce Dieu qui vous a éclairés éclairera aussi vos confédérés, et la Suisse renouvelée par l’Evangile fleurira dans la justice et dans la paix ! »

Les paroles de Zwingle ne furent pas inutiles. La miséricorde de Dieu provoqua celle des hommes. On fit grâce à des séditieux condamnés à mort, et on rappela tous les bannis. « Ne l’aurions-nous pas fait, dit le Conseil, si un grand prince nous eût visités ? Ne le ferons nous donc pas bien davantage, maintenant que le Roi des rois et le Rédempteur de nos âmes a fait son entrée chez nous, nous apportant une amnistie éternellef ? »

f – Da der Konig aller Konige… (Haller, by Kirchhofer, p. 125.)

Les cantons romains, irrités de l’issue de la dispute, cherchèrent à troubler le retour des docteurs, privés devant Bremgarten, ceux-ci en trouvèrent les portes fermées. Le bailli Schutz, qui les accompagnait avec deux cents hommes d’armes, mit alors deux hallebardiers devant le cheval de Zwingle, deux derrière, un de chaque côté ; puis, se plaçant lui-même à la gauche du Réformateur, tandis que le bourgmestre Roust se rangeait à sa droite, il ordonna au cortège de marcher, lances en avantg. Les avoyers de la ville, intimidés, parlementèrent ; les portes s’ouvrirent ; le cortège traversa Bremgarten au milieu d’une foule immense, et arriva le 1er février sans accident à Zurich, où Zwingle rentra, dit Luther, comme un triomphateurh.

g – Mit iren Spyessen fur den hauffen. (Bull. Chr. 1, p. 439.)

h – Zwingel triumphator et imperator gloriosus. (L. Epp. 3, p. 290.)

Le parti romain ne se dissimulait point l’échec qu’il venait de recevoir. « Notre cause s’écroulei, disaient les partisans de Rome. Ah ! si nous avions eu des hommes plus versés dans la Bible ! La véhémence de Zwingle soutient nos adversaires ; jamais son ardeur ne s’est ralentie. Cette bête a plus de savoir qu’on ne le croyaitj. Hélas ! hélas ! le parti le plus grand a vaincu le meilleurk. » Cependant le Conseil de Berne se séparait du Pape et s’appuyait sur le peuple. Dès le 30 janvier, ses messagers, allant de maison en maison, convoquaient les citoyens ; et, le 2 février, bourgeois, habitants, maîtres, valets, tous réunis dans la cathédrale et ne formant qu’une seule famille, levaient la main, et juraient de défendre les deux conseils dans tout ce qu’ils entreprendraient pour le bien de l’État ou de l’Église. Les conseils publièrent, le 7 février 1528, un édit général de réforme, et « rejetèrent à jamais loin des Bernois le joug des quatre évêques, qui, disaient-ils, savaient tondre leurs brebis, mais non les paîtrel. »

i – Ruunt res nostræ. Lettre de J. de Munster, prêtre, témoin de la dispute. (Ruchat, I, p. 575.)

j – Doctior tamen hæc bullua est quam putabam. (Ibid.)

k – Vicitque pars major meliorem. (Ibid.)

l – Bull. Chron. 1, p. 446.

Pendant ce temps, la Réforme se répandait parmi le peuple. On entendait partout des dialogues vifs et piquants, rimés par Manuel, dans lesquels la Messe, pâle, expirante, couchée sur son lit de mort, appelait à grands cris tous les médecins, et, voyant leurs avis inutiles, dictait enfin, d’une voix cassée, son testament, accueilli par les rires éclatants du peuple.

On a reproché à la Réformation en général, à celle de Berne en particulier, d’avoir été produite par des raisons politiques. Tout au contraire. Berne, qui, entre les États helvétiques, était le favori de la Cour de Rome, qui n’avait dans son canton ni un évêque à renvoyer, ni un clergé puissant à humilier ; Berne, dont les familles les plus évangéliques, les Weingarten, les Manuel, les May, avaient de la peine à sacrifier le service et les pensions de l’étranger, et dont toutes les traditions étaient conservatrices, devait s’opposer au mouvement. La parole de Dieu fut la puissance qui surmonta ces tendances politiquesm.

m – Hundeshagen, Conflikte der Bernerkirche, p. 22.

A Berne, comme ailleurs, ce ne fut ni l’esprit scientifique, ni l’esprit démocratique, ni l’esprit sectaire, qui donna naissance à la Réformation. Sans doute, les littérateurs, les libéraux, les sectaires enthousiastes vinrent se jeter dans la grande mêlée du seizième siècle ; mais la vie de la Réforme n’eût pas été longue, si c’eût été d’eux qu’elle l’eût reçue. Les forces primitives du christianisme, renouvelées après des siècles d’une longue et grande prostration, tel fut le principe créateur de la Réformation. Et on la vit bientôt se séparer nettement des faux alliés qui s’étaient offerts à elle, rejeter une érudition incrédule en relevant l’étude des classiques, réprimer l’anarchie démagogique en maintenant la vraie liberté, et répudier les sectes enthousiastes en consacrant les droits de la parole et du peuple chrétien.

Mais, tout en maintenant que la Réformation fut à Berne, comme ailleurs, une œuvre essentiellement chrétienne, nous sommes loin de dire qu’elle ne fut point utile à ce canton sous le point de vue politique. Tous les États européens qui ont embrassé la Réforme, ont été élevés ; tous ceux qui l’ont combattue, ont été abaissés.

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