Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 10. Nature, inviolabilité de la promesse divine (3.15-18)

Nouvelle preuve : Christ étant le but des promesses, la loi ne peut les annuler. Une volonté ou un fait postérieur n’abroge pas une disposition antérieure d’une autre nature, c’est la pratique humaine (3.15) ; or, tel est le cas de la disposition de Dieu envers Abraham, en vue de Christ donc la loi postérieure ne peut l’abolir (3.16-17 et comme la vie est attachée à cette promesse, elle ne peut l’être à ce qui lui est postérieur et opposé (3.18).

3.15

15 Frères dans les choses humaines nul ne casse ni ne corrompt par des additions contradictoires, des dispositions, quoique d’homme, légalement sanctionnées ;

Selon l’homme (Romains 3.5 ; 1 Corinthiens 9.8), locution habituelle de Paul pour désigner l’action de faire, de sentir, de penser conformément à la manière ordinaire des hommes. Il continue à citer l’autorité biblique, mais pour se faire bien comprendre il trouve bon de s’appuyer sur une comparaison tirée des choses humaines, propre à convaincre tout homme de bon sens. — ὅμως, cependant, dépend de ἀθετεῖν. (Transposition fréquente chez les profanes. Thucylide, Lucien, 1 Corinthiens 14.17) : Quoiqu’issue d’un homme, personne cependant ne casse sa disposition. — διαθήκη, statut, décret (sentence de juge), dernière volonté d’un homme ; testament (Hébreux 9.16-7 ; Josephe, Antiq. 17, 9, 7). — Pacte, alliance, promesse mutuelle sanctionnée par un rite solennel. — L’alliance de Dieu avec les Israélites est appelée de ce nom parce qu’elle contenait des promesses mutuelles et avait la forme d’un pacte entre Dieu, et les hommes (Septante. Genèse 6.18 ; 9.9 ; 17.10 ; Jérémie 34.18 ; Luc 1.72 ; Actes 3.25 ; Romains 9.4) — Promesse certaine qui est le motif de l’alliance (Septante. Deutéronome 9.5 ; Psaumes 25.14 ; Romains 11.27). — La signification primitive est : disposition de volonté ; disposition déclarée dans les formes ; en latin disposition à ce sens primordial on peut rattacher facilement les dérivés que nous avons énumérés. Le sens d’alliance ne conviendrait pas ici, parce que la comparaison que l’apôtre veut établir ne serait pas alors valable, le mot de la comparaison, alliance, supposant deux parties qui concourent mutuellement à une convention, et le mot de la chose comparée, promesses parlant de démarches et d’actes qui ne relèvent que d’un seul, de Dieu ; il faut donc adopter : disposition, promesse, testament. Philon rend ce mot par« grâces de Dieu » : De sacrif. Abel. et Caïn., chap. 4. — κυροῦν, confirmer, sanctionner publiquement et dans les formes ; légalement ; par l’autorité publique (2 Corinthiens 2.8 Septante. Genèse 23.20 ; Lévitique 25.30). De même dans Polybe, Lucien, Thucyd., Ælien. — ἄθετεῖν, regarder comme vain et annulé, et déclarer tel (1 Thessaloniciens 4.8), abroger. — ἐπιδιατάσσεται ; une seule fois. Ajouter en sus ; faire des dispositions additionnelles ; ἐπὶ en effet renferme l’idée d’ajouter (Matthieu 25.20, 22) ; mais cette préposition signifie aussi contre (Luc 12.52), ce qui donne à ce verbe l’idée d’addition contraire à la volonté de celui qui a fait la disposition. Les Grecs de même appellent ces additions opposées, ἐπιδιαθήκνv (Josephe, Guer. juiv., 2, 2. 3), et la version syriaque traduit : Mutat in eo aliquid. Ainsi « une disposition une fois sanctionnée, quoiqu’elle soit de l’homme (opposé à Dieu v. 17), personne cependant ne l’abroge ni y ajoute des dispositions contraires ». Voilà la règle en vigueur parmi les hommes, observée dans les choses humaines ; appliquons.

3.16

16 or les promesses furent faites à Abraham et à son rejeton ; il n’est pas dit « et aux rejetons » comme s’il s’agissait de plusieurs, mais au singulier « et à son rejeton » qui est Christ ;

Les promesses (Genèse 22.18 ; 26.4 ; 28.14). — σπέρμα. Le mot hébreu sérang n’est pas un nom d’unité, mais signifie dans un sens collectif, race, lignée, soit qu’elle consiste en un homme ou en plusieurs (Genèse 4.25 ; 21.13 ; Lévitique 18.21 ; Nombres 14.24 ; Deutéronome 1.8 ; 1 Samuel 2.20 ; 1 Rois 18.32 ; 2 Samuel 4.8). Les Grecs et les Romains emploient également les mots σπέρμα et semen pour race (Septante. Deutéronome 25.5 ; 2 Samuel 4.8). Les Hébreux ne se servent du pluriel de ce mot, que pour désigner les graines de semence, les plantes(1 Samuel 7.15). Saint Jérome a justement observé que le pluriel n’est jamais usité pour indiquer la postérité. Cependant Paul fait reposer toute son argumentation sur ce mot, lui faisant désigner un des descendants d’Abraham, le Messie ! C’est ici que quelques observations sur la méthode exégétique de Paul trouvent naturellement leur place. Nous jugeons convenable de laisser parler sur ce sujet un docteur chrétien dont on ne saurait suspecter la vivante orthodoxie, ni mettre en doute la science. Tholuck disait en 1835 : « On recherchait de quatre manières, chez les Juifs, le sens de l’Ecriture :

  1. le sens littéral, simple, historique ;
  2. le sens supérieur qui était dans l’intention de l’écrivain, comme dans les paraboles, les visions prophétiques ;
  3. le sens plus relevé que l’écrivain n’avait pas en vue, mais qui paraît être indiqué par l’esprit de Dieu ;
  4. la connexion d’une vérité quelconque à un passage par d’heureuses combinaisons.

Appliquer à la tractation de l’Écriture la plus grande subtilité pour la rendre aussi riche que possible, était la vertu par excellence. On se glorifiait d’être subtil. De là les paronomasies, — la succession de passages dans la Bible, — la nature, la disposition des lettres, — les transmutations alphabétiques, — les points grecs du Targum, — le son et la signification de mots semblables, tirés de l’Aramaïque, de l’Arabe, étaient des points d’attache pour des emanationes scripturarum. On pressurait la lettre de toutes manières, etc. Est-ce que ce genre de culture rabbinique a exercé une influence sur l’apôtre ? Beaucoup de passages de ses épîtres où l’on croit remarquer une couleur de ce genre, se présentent à tout lecteur, et lorsqu’on sait que ce caractère exégétique que nous venons de signaler dominait dans les écrits et les écoles de ces savants Juifs dont Paul fut plus de vingt ans le disciple, il semble qu’on a trouvé naturellement la clé de cette méthode et de cette subtilité avec lesquelles l’apôtre traite l’Ancien Testament. Pour nous, nous ne sommes pas disposés à nier cette influence ; puisque la réaction de la tendance ascétique du pharisaïsme se montre dans un homme tel que Jacques, pourquoi la réaction de l’érudition scripturaire pharisaïque ne se manifesterait-elle pas dans Paul ? Quant à la forme dans laquelle ils ont déposé la céleste vérité, les apôtres sont et restent en liaison historique avec leur temps et leur peuple. Mais nous combattons l’idée qu’une telle influence de la forme temporelle et nationale ait fait perdre quelque chose à la vérité des idées. Relativement aux écrits de Paul, nous soutenons que cette méthode d’interprétation qu’il avait apprise dans les écoles juives a été employée de telle sorte, qu’en aucune citation on ne peut méconnaître la vérité de l’idée, quoique, si l’on examine les passages cités dans leur ensemble historique, on n’y trouve que le point d’attache pour ce que l’apôtre en déduit. Et ne doit-ce pas être là précisément l’affaire d’une saine interprétation de l’Ancien Testament, de faire voir dans ses premiers linéaments, comme esquisse de l’économie future, les traits de la figure complète telle qu’elle nous apparaît dans le Nouveau ? Là où le soleil de Christ se lève, là des phénomènes de la nature et de l’histoire de l’humanité, qui seraient toujours restés muets, commencent à résonner ; le bloc de marbre devient statue de Memnon ». — Les maîtres Juifs avaient coutume d’appuyer sur le nombre singulier ou pluriel dans quelques endroits de l’Écriture pour en tirer des arguments ; par exemple (Lévitique 19.24), on trouve au pluriel le mot hébreu qui veut dire louange ; d’où ils concluaient que Dieu doit être célébré et loué deux fois avant et après le repas. (Borger, p. 203. Surenhusius in Βιβλῳ καταλλ. p. 84, ss. Schöttgen p. 736, etc.). — On trouve aussi chez les écrivains Juifs des exemples du mot germe expliqué du Messie un ; Wetstein cite ces deux-ci, Bereschith Rabb., 23, 7 sur Genèse 4.25, Semen aliud. R. Tanchuma dixit respexisse illam (Evam) semen illud quod exiturum erat ex alio loco ; et quodnam est illud ? RexMessias. Sur Genèse 19.32 : Ut vivificemus ex patre nostro semen. R. Tanchuma : Non dictum est filium sed semen quod prodire debebat ex alio loco ; ecquodnam est illud ? Rex Messias.Qui est Χριστός. Les raisons de ceux qui ont entendu par Christ, « l’Église chrétienne ou les descendants d’Abraham imitateurs de sa foi », nous semblent si faibles, si recherchées, que nous regardons comme résultat incontestable l’opinion qui voit dans ce mot la personne même de Christ, car lui seul fut l’auteur de la foi et dès lors de l’héritage v. 29. Il serait impossible de comprendre quelque chose au v. 19 comp. au v. 24 en adoptant le sens d’Église ; voyez encore v. 29. Ainsi pensent Tertullien, Origène, Chrys., Théodor., Jérome, Théophyl., Grotius, Mich., Koppe, Morus, Storr, Süskind, Tischer, Borger, Flatt, Winer, Schott contre Bèze, Ernesti, Dæderlein, Næsselt.

3.17

17  je dis donc : Les dispositions sanctionnées d’avance par Dieu en vue de Christ ne sont pas annulées et la promesse n’est pas abolie par la loi promulguée quatre cent trente ans après,

Or je dis ceci (Romains 15.8 ; Galates 4.1 ; 5.26) : « voici la continuation de mon raisonnement ». Paul revient au v. 15 et applique sa comparaison, après en avoir expliqué un point très important. — Évidemment διαθήκη ne peut être pris que dans le sens de disposition, de mesure qui a pour but une promesse, car nous ne voyons pas qu’on doive confondre comme le font quelques-uns, διαθ. et ἐπαγγ., disposition et promesse, l’une, cause, et l’autre, effet — προκεκυρωμένη, etc., une seule fois avec πρὸ ; disposition auparavant sanctionnée par Dieu en vue de Christ, futur réalisateur des promesses divines, et non pas jusqu’au temps de Christ, car il faudrait alors μέχρι Χρ. Voyez εἰς signifiant spectans ad, relatif à (Éphésiens 5.22 ; Actes 7.6). Platon — « Après 430 ans, etc. » Le but de Paul n’est pas d’instruire les Galates sur le nombre d’années écoulées depuis la promesse jusqu’à la promulgation de la loi ; aussi nous donne-t-il le chiffre habituellement cité (Exode 12.40 ; Josephe, Antiq. 2, 15, 2. comp. Genèse 15.13 ; Actes 7.6), comme synonyme de « long-temps après la promesse ». Il ne tient pas compte du temps qui sépare Jacob d’Abraham, et suppute les 430 ans depuis la migration de Jacob en Egypte jusqu’à Moïse dans le désert. — Pour détruire la promesse faite à Abraham (Romains 3.21 ; 1 Corinthiens 6.13 ; Galates 5.11 ; Éphésiens 2.15). — Même sens que Romains 4.14.

3.18

18 car si l’héritage est de par la loi, il n’est plus de par la promesse, et cependant c’est par promesse que Dieu a gratifié Abraham !

κληρονομία, héritage ; bien livré à quelqu’un pour qu’il le possède (Septante. Josué 16.8 ; 18.7 ; Nombres 18.23 ; Actes 7.5). Métaphoriquement : félicité du règne du Messie que Dieu le Père destine à ses enfants comme par héritage (Septante. Psaumes 37.18 ; Ésaïe 54.17 ; Actes 20.32 ; Éphésiens 1,14, 18 ; 1 Pierre 1.4) Cette félicité appelée gloire (Romains 2,10 ; 5.2), ou vie, est l’effet de la justice qui vient de la foi par le don de l’esprit (Galates 3.6, 8, 9, 11 ; Romains 8.29 ; 5.18). Si la loi est le moyen réalisateur de l’héritage, ce n’est donc plus par la promesse faite à Abraham, par la foi en J. C. — χαρίζ. τινί proprement : faire ce qui est agréable à quelqu’un. Ce verbe avec l’accusatif de la chose, exprimé ou sous-entendu, désigne aussi celui qui donne quelque chose. Dans le Nouveau Testament, il indique Dieu bienfaisant envers les hommes, sans mérite de leur part (Romains 8.32 ; 1 Corinthiens 2.12 ; Philippiens 1.29 ; 2.9). « Et cependant Dieu a fait don par promesse à Abraham de l’héritage spirituel ! »

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