Synonymes du Nouveau Testament

11.
Κακία, πονηρία, κακοήθεια
Malice, malignité, méchanceté

Nous sommes probablement d’abord enclins à considérer κακία, dans le N. T., comme exprimant tout l’état complexe du mal moral, le vice en général ; et, sans doute que le mot est souvent employé dans cette acception. Ainsi, ἀρεταὶ καὶ κακίαι sont « les vertus et les vices » (Aristot., Rhet., 2.12 ; Plutarch., Conj. Prœc. 25 et constamment) ; tandis que Cicéron (Tusc, 4.15) refuse de traduire κακία par « malitia », préférant fabriquer « vitiositas » dont il dit avoir besoin pour cette raison : « Nam malitia certi cujusdam vitii nomen est, vitiositas omnium » ; montrant par là clairement qu’à ses yeux κακία embrassait, non un vice, mais tous les vices. Cependant un rapide examen des passages ou κακια se trouve dans le N. T. montrera que ce vocable n’y est point employé dans ce sens, car alors nous ne le rencontrerions pas pour désigner un des vices énumérés dans un catalogue de péchés (Romains 1.29 ; Colossiens 3.8) ; puisqu’en lui seul, tous les autres vices eussent trouvé place. Il nous faut donc chercher une signification plus spéciale. Rapprochant κακια de πονηρία, nous ne nous tromperons point en disant que κακία c’est plutôt la mauvaise habitude de l’esprit, la « malitia », par laquelle Cicéron refuse de rendre le mot, c’est à dire, comme cet auteur s’explique ailleurs, « versuta et fallax nocendi ratio » (Nat. Deor. 3.30 ; De Fin. 3.11 in fine) ; tandis que πονηρία est la manifestation de cette κακία. Ainsi Calvin dit de κακία (Éphésiens 4.31) : « Significat hoc verbo [Apostolus] animi pravitatem quæ humanitati et æquitati est opposita, et malignitas vulgo nuncupatur ». Les traducteurs français qui rendent κακία si souvent par « malice » (Éphésiens 4.31 ; 1 Corinthiens 5.8 ; 14.20 ; 1 Pierre 2.1), prouvent qu’ils sont de notre avis.

Mais le πονηρός est, comme l’appelle Ammonius, ὁ δραστικὸς κακοῦ, l’actif ouvrier du mal. L’Allemand le rend par Bösewicht, et Th. de Bèze (Annott. in Matthieu 5.37), fait cette distinction : « Significat πονηρός aliquid amplius quam κακός, nempe eum qui sit in omni scelere exercitatus, et ad injuriam cuivis inferendam totus comparatus. » Le πονηρός est, selon la dérivation du mot, ὁ παρέχων πόνους, ou, comme nous disons, celai qui « met les autres dans l’embarras » ; et la πονηρία est la « cupiditas nocendi », ou, comme l’explique Jeremy Taylor : « la dextérité à faire des tours d’adresse ; le plaisir à faire le mal, à troubler notre prochain et à le vexer ; méchanceté, perversité et maussaderie dans nos rapports avec les autres » (De la Doctrine et de la pratique de la Repentance, 4.1). Si κακός est le contraire d’ἀγαθός et φαῦλος de καλοκἀγαθός, πονηρός trouvera exactement son opposé dans χρηστός. Tandis que κακία et πονηρία se produisent plusieurs fois dans le N. T., κακοήθεια n’y est qu’une fois, à savoir dans cette longue et terrible énumération que fait St. Paul de la méchanceté qui remplissait le monde païen (Romains 1.29). Jamais le mot ne se présente dans les Septante. Nous l’avons traduit par « malignité ». Cependant quand on le prend dans ce dernier sens, que personne ne lui refusera, car il le possède souvent (Plato, Rep. 1.384 d ; Xenoph., De Ven. 13.16), ou quand on le prend dans le sens encore plus large que lui prête Basile (Reg. Brev. Int. 77 : κακοήθεια μέν ἐστιν ὡς λογίζομαι αὐτὴ ἡ πρώτη καὶ κεκρυμμένη κακία τοῦ ἤθους), il devient très difficile de lui assigner quelque place que n’ait déjà occupée ou κακία ou πονηρία. Supposé même que nous n’ayons pas tracé assez exactement les limites qui séparent ces deux mots, il est à peu près évident qu’il n’y a entre eux que peu ou point de place que le mot « malignité » ait le droit de revendiquer. Il paraît donc préférable de comprendre ici κακοήθεια dans le sens plus restreint qu’il possède quelquefois. La version anglaise dite de Genève l’a fait en traduisant κακοήθεια par cette périphrase : « prenant tout en mauvaise part » ; ce qui est précisément la définition d’Aristote, dans sa terminologie morale dont ce mot fait partie (Rhet. 2.13) : ἔστι γὰρ κακοήθεια τὸ ἐπὶ τὸ χεῖρον ὑπολαμβάνειν ἅπαντα, ou comme Jeremy Taylor l’appelle, « une bassesse de notre nature par laquelle nous prenons les choses par le mauvais bout et les expliquons toujours dans leur plus mauvais sensb ; c’est la « malignitas interpretantium » de Pline, (Ep. 5.7)c ; ce qui est exactement opposé à ce que Sénèque (De Ira, 2.24) appelle si bien : « benigna rerum æstimatio ». Voyez particulièrement, pour cet usage de κακοήθης Josèphe, Ant. 6.6.1 ; cf. 2 Samuel 10.3. Cette manière d’interpréter les paroles et les actes des auteurs dans le sens le moins favorable, Aristote en fait un des vices des vieillards dans ce sombre, mais si instructif passage (pour le chrétien surtout) auquel nous avions fait allusion tout à l’heure ; ces vieillards sont κακοήθεις et καχύποπτοι. Nous ne nous tromperons donc guères, en prenant κακοήθεια, dans Romains 1.29, dans ce sens plus étroit. La place que ce vocable occupe dans la liste des péchés que dresse St. Paul, nous justifie pleinement quand nous le considérons comme désignant cette forme particulière de la méchanceté, qui se manifeste par une interprétation malveillante des actions d’autrui, et en les attribuant toutes aux plus mauvais motifs.

b – Grotius : « Cum quæ possumus in bonam partem interprtari, in pejorem rapimus, contra quam exigit officium dilectionis ».

c – Qu’il est frappant cet emploi d’« interpretor », pour signifier interpréter de travers », dans Tacite (lui-même probablement un peu entaché de ce vice), dans Pline et chez d’autres auteurs de leur temps. « Gloser pr. commenter, critiquer avec un peu de méchanceté gloseur, homme qui trouve à redire sur tout. » Tr. A. Schéler. Dict. d’étym.

Ne prenons pas congé du mot sans remarquer la profonde vérité psychologique qu’atteste cette acception secondaire, du mot κακοήθεια, à savoir, que le mal que nous trouvons en nous-mêmes est cause que nous le soupçonnons et que nous le cherchons chez les autres. Le κακοήθης, selon la constitution primitive du mot, est celui dont l’ἧθος, le caractère, la vie morale sont mauvais ; un tel homme se transporte, lui et les motifs qui le font agir, dans les autres ; il se voit en eux. Le proverbe anglais a bien raison : « Mauvais faiseurs, mauvais penseurs » ; comme aussi l’Amour, dans ces nobles paroles de Schiller :

Il croit, joyeusement
Aux divinités, étant lui-même divin,

Car celui qui est absolument mauvais trouve qu’il est presque impossible de croire à autre chose qu’au mal chez les autres (Job 1.9-11 ; 2.4.5). Qui a lu la République de Platon, se rappellera le remarquable passage (iii, 409 a, b), dans lequel Socrate, montrant combien il importe aux médecins d’avoir eu affaire surtout avec des malades (mais non pas aux maîtres ou aux magistrats de se mêler aux méchants) explique la chose par le fait que les jeunes hommes, qui ne sont pas encore corrompus, sont εὐήθεις (comme opposés aux κακοήθεις), et en donne cette raison : ἅτε οὐκ ἔχοντες ἐν ἑαυτοῖς παραδείγματα ὁμοιοπαθῆ τοῖς πονηροῖς

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