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Bible de Jérusalem – Sagesse 19

Septième antithèse : la mer Rouge.n

19 Mais sur les impies s’abattit jusqu’au bout un impitoyable courroux,
car Il savait à l’avance ce qu’ils allaient faire,

n Préparée par des considérations sur l’endurcissement final des impies livrés à une colère sans pitié, l’antithèse devient explicite au v. 5. Puis l’auteur insiste sur la traversée merveilleuse des Israélites, vv. 6-9, en brodant assez librement sur la tradition ancienne, cf. Ex 14.15.

2 et qu’après avoir permis aux siens de s’en aller et pressé leur départ,o
ils changeraient d’avis et les poursuivraient.

o « après avoir permis » nombreux mss ; « après s’être décidés » texte reçu, lat., syr. — « s’en aller » mss ; « être absents » texte reçu. — « pressé leur départ », litt. « les avoir congédiés en hâte ».

3 De fait, ils étaient encore occupés à leurs deuils
et ils se lamentaient auprès des tombes de leurs morts,
quand ils imaginèrent un autre dessein de folie
et se mirent à poursuivre comme des fugitifs
ceux qu’avec des supplications ils avaient expulsés.
4 Un juste destinp les poussait à cette extrémité
et il leur inspira l’oubli du passé :
ils ajouteraient ainsi le châtiment qui manquait à leurs torturesq

p Littéralement « une nécessité digne ». L’auteur transcrit avec un terme grec le motif de l’endurcissement de Pharaon, Ex 14.4, 8, pour désigner en réalité, non l’aveugle et impitoyable Destin antique, mais un châtiment mérité.

q Le thème d’une mesure déterminée d’avance par Dieu — et qui n’est autre que le temps de sa patience ou de sa miséricorde — revient souvent dans les écrits apocalyptiques.

5 et, tandis que ton peuple ferait l’expérience d’un voyage merveilleux,
eux-mêmes trouveraient une mort insolite.
6 Car la création entière, en sa propre
nature, était encore de nouveau façonnée,
se soumettant à tes ordres,r
pour que tes enfants fussent gardés indemnes.

r Texte obscur. L’auteur doit renvoyer à la création initiale, Gn 1, et signifier que, pour le passage de la mer Rouge, la nature créée reçut une nouvelle empreinte ou fut modifiée. Primitivement les « ténèbres avaient couvert l’abîme » et la terre avait surgi de l’eau, Gn 1.1, 6 :on assiste de nouveau à un phénomène semblable, mais cette fois, l’activité extraordinaire de l’air, de la terre et de l’eau, s’écartent de l’ordre établi par le Créateur. On ne sait si l’auteur envisage une transmutation des éléments ou un échange de leurs propriétés, cf. 16.25 ; 19.18.

7 On vit la nuée couvrir le camp de son ombre,
la terre sèche émerger de ce qui était l’eau,
la mer Rouge devenir un libre passage,
les flots impétueux une plaine verdoyante,s

s Isa 63.14 parle également d’une « plaine », mais seulement à titre de comparaison. Le midrash palestinien parle, non seulement d’herbe abondante, mais d’arbres fruitiers qui ornaient la route ainsi ouverte. Les « prodiges » mentionnés au v. suivant relèvent du même processus d’idéalisation. La tradition rabbinique comptera dix miracles pour le passage de la mer Rouge.

8 par où ceux que protégeait ta main passèrent comme un seul peuple,
en contemplant d’admirables prodiges.
9 Comme des chevaux, ils étaient à la pâture,
comme des agneaux, ils bondissaient,
en te célébrant, Seigneur, toi leur libérateur.

Épilogue.

10 Ils se souvenaient encore des événements de leur exil,
comment la terre, et non des animaux, avait produit des moustiques,
et comment le Fleuve, et non des êtres aquatiques, avait vomi une multitude de grenouilles.
11 Plus tard, ils virent encore un nouveau mode de naissance pour les oiseaux,
quand, poussés par la convoitise, ils réclamèrent des mets délicats :
12 pour les satisfaire, des cailles montèrent pour eux de la mer.t

t L’auteur prend à la lettre Nb 11.31 : les cailles sont sorties de la mer (comme les moustiques de la terre et les grenouilles du Fleuve).

L’Égypte plus coupable que Sodome.

13 Mais les châtiments s’abattirent sur les pécheurs,
non sans avoir été signalés à l’avance par de violents coups de tonnerre,u
et c’est en toute justice qu’ils souffraient pour leurs propres crimes ;
car ils avaient montré une haine de l’étranger par trop cruelle.

u Cette addition au récit de l’Exode est suggérée, soit par Ps 77.18-19, soit par une interprétation ancienne d’Ex 14.24 illustrée par les Targums.

14 D’aucuns,v en effet, n’avaient pas accueilli les inconnus qui leur arrivaient,
mais eux réduisaient en servitude des hôtes bienfaisants.

v Les habitants de Sodome, habituellement regardés comme les plus grands des criminels. L’auteur va montrer que les Égyptiens ont violé plus gravement les lois de l’hospitalité.

15 Bien plus, et certes il y aura pour ceux-là un châtiment,w
puisqu’ils ont reçu les étrangers d’une manière hostile...

w Texte difficile qu’on peut couper et ponctuer différemment ; avec l’interprétation adoptée ici, la construction est brisée. Ou bien l’auteur continue de décharger les habitants de Sodome, ou bien il rappelle qu’une « visite » punitive (cf. 14.11) leur est cependant réservée et l’on pourrait traduire « et, certes, il leur en sera demandé compte ». Il est possible que le châtiment concerne également les Égyptiens.

16 mais ceux-ci, après avoir reçu avec des fêtes
ceux qui déjà partageaient les mêmes droits qu’eux,x
les ont ensuite accablés de terribles travaux.

x Allusion vraisemblable à une revendication actuelle des Juifs d’Alexandrie.

17 Aussi furent-ils frappés de cécité,y
comme ceux-là aux portes du juste,z
lorsque, enveloppés de ténèbres béantes,
ils cherchaient chacun l’accès de sa porte.

y Présentation oratoire de la plaie des ténèbres.

z Lot, 10.6 ; cf. Gn 19.11.

Une harmonie nouvelle.a

18 Ainsi les éléments étaient différemment accordés entre eux,
comme, sur la harpe, les notes modifient la nature du rythme
tout en conservant le même son ;
ce qu’on peut se représenter exactement en regardant ce qui est arrivé :

a Les écrits grecs illustrent souvent par une comparaison musicale le jeu des éléments constitutifs de l’univers. L’auteur reprend ici une telle comparaison et l’applique aux principaux miracles de l’Exode pour suggérer une explication de ceux-ci, soit par un changement de rythme des éléments (cf. 16.24), soit par une combinaison différente de leurs propriétés. La nature créée est ici entièrement au service du peuple de Dieu, cf. v. 6.

19 des animaux terrestres devenaient aquatiques,b
ceux qui nagentc se déplaçaient sur la terre ;

b Les Israélites et leur bétail lors du passage de la mer Rouge.

c Les grenouilles, Ex 8.2.

20 le feu renforçait dans l’eau sa propre vertu,
et l’eau oubliait son pouvoir d’éteindre ;
21 en revanche, les flammes ne consumaient pas les chairs
d’animaux fragiles qui y circulaient ;
et elles ne faisaient pas fondre l’aliment divind
semblable à de la glace et si facile à fondre !

d Littéralement « une nourriture ambrosiaque ». Il s’agit de la manne, 16.22. L’ambroisie est un mets délicieux qui, selon les Grecs, assure aux héros et aux dieux l’immortalité. Toute cette relecture de l’Exode, 11-19, oriente vers l’eschatologie et la manne préfigure le don de l’immortalité dont traitait le début du livre, 1-6.

Conclusion.

22 Oui, de toutes manières, Seigneur, tu as magnifié ton peuple et tu l’as glorifié ;
tu n’as pas négligé, en tout temps et en tout lieu, de l’assister !

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