En entrant inconnu et pour la première fois dans le domaine de la publicité par des études d’un genre trop longtemps délaissé parmi nous, il m’a paru convenable de dire l’esprit et le but de ce Commentaire en répondant en peu de mots à ces deux questions : Qu’est-ce que l’Écriture sainte ? et comment faut-il la lire ?
A part le témoignage permanent que Dieu nous donne de sa puissance, de sa bonté et de ses perfections infinies dans le spectacle sublime de la création, cet Éducateur paternel a déployé autour de ses enfants la vertu d’une parole plus saisissante, d’un langage plus direct, plus humain, d’une sollicitude et d’un amour plus profondément incisifs. Son adorable sagesse a jalonné la route de l’humanité et la pente des siècles, de législateurs, de rois, de prophètes, destinés comme des échos de sa grande voix, à annoncer et à préparer l’œuvre inouïe de la rédemption ; et lorsque par des enseignements et des institutions messianiques, par des promesses inspirées et par des révélations progressives, les temps ont été accomplis et la terre disposée à recevoir son Sauveur, alors le Verbe lui-même s’est manifesté. Il a paru ce Verbe qui avait sillonné de ses feux le pèlerinage d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui avait foudroyé de ses éclats l’Horeb et le Sinaï, qui avait étincelé sur le fleuve Kébar, à Tékoah, et préparé la Palestine aux splendeurs du Jourdain, à la transfiguration du Thabor et à la gloire à la fois sombre et éblouissante du mont des Oliviers et du Golgotha. Il a dressé sa tente au milieu de nous, Lui la vérité et la sainteté, la vie et la lumière, l’amour et la rédemption en personne ; et créant un nouveau monde nourri de son essence, fécondé de son amour, arrosé de sa vie, pénétré de son esprit, inondé de sa lumière et baptisé de son sang, il lui a ouvert depuis sa tombe glorifiée jusque dans le sein de son Père, la perspective des cieux, de l’éternité et du bonheur.
Ce travail éducateur de rédemption et de régénération se déployant dans l’humanité à travers les âges, opéré par le Verbe éternel qui le couronne de son incarnation et de son triomphe, se reflète splendide de sagesse et de grâce dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Expression écrite de la Parole divine, règle de la foi et de la vie chrétiennes, autorité suprême et unique dans les intérêts sacrés, ces Livres forment le cycle religieux le plus admirable qu’il soit donné à l’homme de contempler. Partant de la création du monde, de l’homme, et de leur union vivante avec Dieu pour dérouler après la chute une double histoire, humaine et divine, humiliante et glorieuse, celle de l’humanité, et si j’ose le dire, celle de Dieu, ils sont là comme le tableau fidèle de ce grand et magnifique drame qui, commençant à l’origine des choses et se concentrant dans la rédemption, se noue et se dénoue en Christ, pour se consommer par la rentrée progressive des êtres dans le sein du Créateur, drame dont les acteurs sont Dieu, Jésus-Christ et les hommes, et dont le théâtre est l’univers et l’éternité. A cette plénitude de révélations, à cette rondeur infinie de plan, à ce majestueux ensemble de pensées et à cette harmonieuse unité d’œuvre, l’homme est bien obligé de reconnaître le cachet d’une origine divine, origine qui brille encore dans la nature du contenu de la Bible, dans sa force vivifiante et dans le rôle historique régénérateur que Dieu lui a assigné. Voyez en effet si ce Livre des livres n’est pas à la fois dans les annales de notre histoire, le levier qui ébranle, l’axe qui centralise les mouvements sociaux, le foyer qui les vivifie, la vertu divine qui leur imprime leurs nouveautés palingénésiques, la Colonne lumineuse qui nous guide dans les déserts de l’impuissance humaine et dans les magnificences de Dieu ! Voyez si surtout depuis dix-huit siècles il ne verse pas des flots croissants d’animation dans la vie religieuse et morale, intellectuelle et littéraire, politique et civile, spirituelle et physique, individuelle et sociale ! si Livre de tous, Livre pour tous et sur tous les grands et immortels intérêts de notre race, il ne fait pas graviter de près ou de loin autour de lui, les affections, les volontés, les imaginations et les espérances de l’homme, et n’incline pas vers Dieu le torrent des pensées de la terre et de la vie de ce monde ! Oui, la Bible dans un avenir toujours plus près de nous, régnera assise au foyer domestique comme au conseil des rois et des peuples, génie de chacun et de tous, parce qu’elle est la lumière des intelligences, la sainte inspiration des cœurs, la vertu des volontés, la règle des vraies croyances, la source des mœurs pures et la charte divine de tous les devoirs et de tous les droits. Telle est notre foi ; nous souscrivons de grand cœur à ces paroles de Luther : « L’âme n’a rien où elle trouve la vie, la piété, la liberté, les sentiments du vrai christianisme si ce n’est dans le saint Évangile ou la Parole de Dieu annoncée par Jésus-Christ lui-même » ; « C’est par la Parole de Dieu qu’il faut réprimer tous les abus, c’est par elle qu’il faut conduire et diriger les consciences avec indulgence et avec douceur comme Jacob conduisait et ménageait ses troupeaux ». Nous nous écrions avec Calvin : « Lisez Démosthène ou Cicéron, Platon ou Aristote et tels autres livres de ce haut rang ; je confesse que ces grands hommes vous attireront d’une façon merveilleuse à la lecture de leurs ouvrages, vous réjouiront, vous émouvront, vous raviront même, si vous voulez, en admiration ; mais si de là vous passez à la lecture des saintes Écritures, vous sentirez qu’elles vous piqueront jusqu’au vif, qu’elles vous pénétreront tellement le cœur et entreront si avant dans les replis de votre âme et de votre esprit, dans vos jointures et dans vos moelles, que toutes les forces qu’ont les philosophes ou les orateurs à persuader, ne sera que fumée en comparaison de l’efficace de ce sentiment. D’où il est aisé de conclure que les saintes Écritures ont je ne sais quoi de divin qui surpasse de beaucoup toutes les qualités et toute l’industrie des hommes. »
Mais comment doit-on lire cette Parole ? Avec foi. S’il est nécessaire d’être vivifié par le sentiment du patriotisme pour avoir une pleine intelligence de Salluste et de Tacite, et par le feu de la poésie pour goûter Homère et Pindare, ou par l’amour de la philosophie pour s’élever avec Platon sur les hauteurs de ses pensées, pour bien comprendre la Bible, ce monde spirituel écrit, pour brûler de ses divines flammes, pour vivre de sa vie et planer avec elle sur ses célestes hauteurs, il faut la foi, cet organe Spirituel analogue au principe divin qui anime l’Écriture, et dont le jeu est aussi nécessaire à la vie morale que la respiration l’est à la vie physique. Il faut, c’est-à-dire, l’humilité du cœur basée sur le sentiment de notre misère et sur le besoin de notre rédemption ; la réceptivité d’âme du centenier de Capernaüm et de la femme Cananéenne ; une aspiration ardente vers les choses invisibles qu’on espère ; l’altération d’un cœur desséché qui se tourne vers le torrent de l’esprit ; l’amour qui s’épanouit pour recevoir, embrasser et vivre ; il faut une communion de cœur avec Jésus-Christ, un goût des réalités célestes et un commencement de vie et de mouvement spirituel dans les choses divines. Qu’on ouvre la Bible avec ce regard candide et filial, et bientôt l’âme, à travers la couleur locale, le costume israélite et la voix palestinienne du Livre des livres, sentira le rayonnement pénétrant de l’élément divin qu’il renferme et les frémissements de l’Esprit de vie qui se meut sous son enveloppe. Bientôt tout dans la Bible lui parlera de Dieu, de sa nature, de ses perfections, de ses desseins, de ses gratuités, de ses richesses et de sa miséricorde ; de l’homme et de son esprit, de ses devoirs, de sa destination, de ses misères ; de Jésus-Christ son Sauveur, de son amour, de son esprit et de son œuvre de sanctifiante rédemption. Elle saisira sous le voile juif, les traits fondamentaux de sa physionomie réelle et idéale, elle lira dans les replis de son cœur, elle retrouvera son histoire secrète et publique, intime et patente, et se voyant ainsi face à face, dans sa nudité dévoilée, avec le Saint des saints, elle s’écriera : « Voilà l’homme et voilà Dieu ! » C’est ainsi que toute âme humaine peut expérimenter que « l’Écriture est divinement inspirée et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire selon la justice, afin que nous soyons accomplis pour toutes sortes de bonnes œuvres », « et que l’Évangile est la puissance de Dieu pour le salut de tous ceux qui croient ». Aussi nous disons volontiers avec Clément d’Alexandrie, avec Origène, avec Augustin, « Si vous ne croyez pas, vous ne connaîtrez pas », et avec Anselme et Schleiermacher : « Je ne cherche pas à comprendre pour croire, mais je crois afin de comprendre, car celui qui ne croit pas, n’expérimentera pas, et celui qui n’a pas expérimenté ne peut pas comprendre » ; mais nous ajoutons avec l’auteur déjà cité des Stromates « S’il est possible de croire sans science, ce n’est pas seulement dans la pauvreté mais aussi dans la richesse scientifique que l’on peut bien et sainement vivre ».
Pour compléter notre pensée nous disons donc, lisez la Bible avec science. Puisque la vertu de l’Évangile doit animer toutes nos facultés, l’intelligence aussi bien que le cœur et la volonté doit avoir sa part de foi, de lumière et de vie, et cette part, dans ses moyens comme dans ses résultat », s’appelle science. Si le cœur est indispensable comme base première et source de la vie dont il est le sanctuaire, des idées claires, précises, qui fixent la raison, qui régularisent les sentiments, qui donnent du nerf à l’enthousiasme, qui purifient les élans de l’âme et qui assoient ses forces spontanées sur l’unité, l’ordre et l’harmonie, ne sont pas moins nécessaires pour éviter les écarts dangereux d’un sens charnel, d’une exaltation déréglée, d’un mysticisme délirant, d’un illuminisme superbe ou d’une ténébreuse superstition.
D’ailleurs la Parole de Dieu s’est faite humaine, historique ; elle a été écrite dans un temps, chez un peuple, avec des langues et au milieu de circonstances donnés et qui ne sont plus ; pour la saisir pleinement dans son fond et dans sa forme, il faut dès lors entreprendre des travaux auxquels sans doute tous les hommes ne sont pas appelés, mais dont ils doivent connaître les résultats, si conformément au précepte d’un apôtre ils veulent ajouter à la foi la science qui la rend pure, ferme, complète, et pouvoir rendre compte de leurs convictions. C’est donc un devoir sacré pour les conducteurs de l’Église d’être versés dans la connaissance des langues primitives de la Bible ; d’approfondir par des études grammaticales et philologiques-historiques la valeur des mots, l’artifice de leur construction, le génie d’une langue à telle époque de son existence ; d’étudier l’origine et l’histoire des destinées du Canon biblique en général et de chacune de ses parties en particulier, les questions si importantes qui se rattachent à un écrit et qui jettent tant de jour sur son contenu, comme celles de son authenticité, de son auteur, de son caractère, de son but, de son plan, de sa forme, de son style, du temps et du lieu où il a été composé et des circonstances qui l’ont fait naître ; de travailler à la pureté, à l’intégrité du texte ; de déterminer les lois d’une saine interprétation ; de connaître à fond le théâtre des événements de l’Ancien et du Nouveau Testament, la géographie, l’histoire et la chronologie bibliques, le peuple juif, sa constitution civile et ecclésiastique, sa vie publique et privée, ses habitudes, ses préjugés, en un mot son état religieux, moral et social. On ne saurait se passer de ces ressources philologiques, critiques, herméneutiques et archéologiques dont l’ensemble constitue la théologie exégétique, lorsqu’on se propose de posséder clairement et d’expliquer un livre antique, surtout si ce livre, comme la Bible, est plein d’idées encadrées dans des choses individuelles, concrètes, qui supposent des situations, des besoins et une éducation particuliers à un peuple et quelquefois à une génération, et si, composé par des personnes diverses de temps, de lieu, de caractère, de culture et de position, il présente des formes variées de rédaction selon que l’histoire ou la prophétie, le dogme ou la morale prédominent.
La nécessité de cette science exégétique ressort encore d’autres considérations non moins puissantes. C’est à elle que se rattachent, bien plus c’est d’elle, que dépendent les études historiques, dogmatiques et pratiques, parce que l’histoire, les symboles et l’organisation de l’Église ont pour point de départ et pour règle la Bible. Comment comprendrez vous, l’origine, la formation et l’établissement du christianisme ; la vie, les mœurs, les croyances, le culte, la magnifique littérature, les apologies, la constitution, les luttes et les grand déchirements de l’Église sans une connaissance profonde du Livre divin qui a été et qui est le centre de toutes ces grandes choses, le tronc de toutes ces branches, l’arbre de tous ces mouvements, le secret de tant de puissance et la source d’une si prodigieuse fécondité ? Comment parler de christianisme biblique, comment exposer dans leur génération divine, en un système bien coordonné, les vérités chrétiennes sur Dieu, le monde et l’homme, sur Christ et son œuvre, sur l’Église et les destinées finales de l’humanité, si l’on n’a pas été élevé à l’indispensable école de l’Écriture sainte bien lue, bien comprise, bien expliquée ? Il y a plus ; dans la primitive Église et de tout temps dans la nôtre, la science et surtout la science exégétique fut la colonne mère de l’édifice théologique et chrétien. C’est elle qui donne à toutes les. parties de l’encyclopédie théologique leur couleur, leur forme, leur esprit et leur part de vérité ou d’erreur ; c’est elle qui nous explique pourquoi l’école idéaliste d’Alexandrie différait tant de l’école réaliste de l’Asie mineure sur la trinité, l’anthropologie, la christologie, l’Église, la sainte Cène et : la doctrine des destinées finales ; c’est par elle que les premiers docteurs combattirent le matérialisme charnel des Juifs et la théosophie phantastique des gnostiques pour établir le réalisme chrétien ; c’est elle qui a enfanté les luttes modernes de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie, du supranaturalisme et du rationalisme, de l’école historique critique et de l’école philosophique contemplative. Or, je le demande, indiquer la souveraineté d’action que les principes et les études exégétiques ont exercée sur la foi, les doctrines et la vie de l’Église, signaler la dépendance profonde des convictions et des sentiments envers le savoir, n’est-ce pas établir l’importance immense, la nécessité d’une science biblique positive et vraie ?
Il est bon enfin d’ajouter qu’en parlant ainsi nous ne faisons que rester fidèle à l’esprit de l’Église universelle et de la nôtre en particulier. En effet, par quoi se distinguent les siècles les plus rapprochés des origines chrétiennes ? Par des travaux scientifiques très nombreux ; par des écoles exégétiques à Alexandrie et à Antioche principalement d’où sortirent les grands docteurs, les orateurs célèbres, les dogmatistes vigoureux, les interprètes profonds, les Pères puissants d’action, et cette vaste et si riche littérature chrétienne qui ne connaît pas de rivale. Qu’est-ce qui produisit les nombreuses versions, les paraphrases, les commentaires, les catéchèses, les traités des Clément d’Alexandrie, des Origène, des Denys d’Alexandrie, des Hierakas, des Grégoire Thaumaturge, des Théognoste, des Pierius, des Méthodius, des Julien l’Africain, des Athanase, des Cyrille, des Grégoire, des Eusèbe de Césarée, d’Emise et de Pamphylie, des Grégoire le théologien et de Nysse, des Basile, des Théophyle, des Diodore de Tarse, des Théodore de Mopsueste, des Chrysostome, des Théodoret, des Isidore de Péluse dans l’Église d’Orient, et des Tertullien, des Cyprien, des Lactance, des Jérôme, des Alavius Victorinus, des deux Hilaire, des Ambroise, des Pelage, des Julien d’Eclane, des Augustin, des Posper d’Aquitaine, des Cassiodore et des Grégoire-le-Grand dans l’Église d’Occident ? — Le besoin fondamental et profondément ecclésiastique de la science. Expliquer les livres saints et découvrir leur véritable sens en s’entourant de tous les moyens convenables à ce but, telle fut en effet la tâche et la passion des plus sages, et des plus éloquents docteurs, tel fut le secret de leur force dogmatique, de leur gloire littéraire et de leur puissance apologétique ; tant il est vrai que la science est une satisfaction que réclament également et l’Évangile et l’Église, et la foi et la vie, et les luttes du monde et les triomphes de la croix !
N’oublions pas aussi que c’est par de fortes études, que les hommes de la réformation ont balayé du sanctuaire les erreurs et les abus qui le souillaient. A peine l’Italie réveillée par Pétrarque, Boccace et les réfugiés de Bysance a-t-elle ébranlé de son savoir la France, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Angleterre ; à peine les arts et les sciences, la géographie et l’histoire anciennes et modernes, la jurisprudence romaine, la littérature grecque, la philosophie et la philologie ont-ils reparu à l’époque de l’invention du papier ordinaire et de l’imprimerie, que toutes ces ressources sont appliquées aux intérêts moraux et religieux en Allemagne, en France, en Suisse ! Nicolas de Lyre, Laurent Valla, Ficino, Aggricola, Huss, Érasme, Reuchlin, Ulrich de Hutten abordent le Noureau Testament avec les nouvelles richesses philologiques. Zwingle avait étudié la philosophie, la physique, l’astronomie, la théologie ; il lisait dans les textes originaux, Platon, Aristote, Thucylide, Plutarque, Cicéron, le Nouveau Testament, et avait beaucoup conversé avec la Bible et les Pères. Luther connaissait Cicéron, Virgile, la jurisprudence, la dialectique, la philosophie, la physique, saint Augustin, Gerson, saint Bernard, Tauler, et il à dit quelque part : « Nul ne peut comprendre les Bucolique ou les Géorgiques de Virgile s’il n’a été berger ou agriculteur pendant cinq ans, ni les Lettres de Cicéron s’il n’a vécu vingt ans dans quelque république célèbre ; qu’on sache donc que nul ne peut savourer les saintes Écritures s’il n’a gouverné des églises cent ans durant, avec les prophètes comme Élie et Élizée, avec Jean-Baptiste, Christ et les apôtres ». Calvin avait aussi pâli à l’étude de la théologie, de la jurisprudence, de la philosophie, du syriaque, de l’hébreu et du grec. Savez-vous où était la réforme avec son cachet distinctif ? au château de Wartbourg où Luther, consacrait ses veilles à la traduction de la Bible, et dans ce couvent du Docteur où s’assemblait en conférence toutes les semaines, pendant quelques heures avant le souper, ce qu’il y avait à Wittemberg de personnages doctes et pieux ; où l’on voyait Luther avec sa vieille Bible allemande, sa nouvelle version et le texte hébreu, son cher Philippe avec le texte grec, le docteur Creuziger avec la Bible hébraïque et la version chaldaïque, Bugenhagen avec un manuscrit latin, les professeurs avec les commentaires des rabbins, et où chacun exposait son avis après s’être préparé d’avance sur le texte, et après avoir consulté, outre les rabbins, les interprétations des anciens docteurs tant grecs que latins sur les idiotismes de la langue. Oui, c’est là qu’elle brillait et que vous la voyez à l’œuvre, telle qu’elle éclate encore dans ces paroles qu’écrivait Luther pour combattre Carlstadt et Münzer : « l’intérêt de Jésus-Christ et celui du monde entier exigent que la jeunesse soit bien instruite et bien élevée, et que les théologiens soient versés dans l’hébreu et le grec » ; ou bien dans cette lettre où il disait à Léon X : « il ne faut pas qu’on me prescrive comment je dois entendre la parole de Dieu ». — Et les travaux exégétiques immenses de nos réformateurs, de leur époque et des siècles suivants sont là aussi pour démontrer le principe par ses conséquences ! De Luther et de Calvin à Chemnitz, de Chemnitz à Franke, de Franke à Ernesti et à Semler, et de ceux-ci à nos jours, l’activité scientifique appliquée à la Bible a été toujours croissante. Faut-il rappeler |es noms de Mélanchton, d’Œcolampade, de Bugenhagen, de Brenz, de Bucer, de Flacius, de Gerhard, de Franz, de Glassius, de Danhauer, de Chemnitz, de Calixte, de Schmidt, de Franke, de Rambach, de Lange, de Baumgarten, de Lœscher, de Wolf, de Bengel, de Mosheim, de Schœttgen, de Elsner, de Kypke, d’Ernesti, de Semler, de Storr, de Morus, de Bauer, de Beck, de Keil, de Koppe, de Rosenmüller, de Kuinœl, de Paulus, de Lücke, de Winer, de Schott, d’Umbreit, de Tholuck, d’Olshausen, etc. ? Faut-il citer pour notre Église les travaux de Calvin, de Bèze, de Daniel Chamier professeur à Montauban, de Pellican, d’Amama, de Rivet, de Rusius, de Louis de Dieu, de Gomare, de Louis et de Jacques Capelle, de Cocceïus, de Grotius, de Jean le Clerc, de Turretin, de Wetstein, etc. ?
Ainsi appuyés sur la nature de la foi chrétienne, sur le caractère de la Bible, sur l’immense influence de l’exégèse et sur sa valeur ecclésiastique, ainsi que sur l’esprit et les antécédents de notre Église pour légitimer les prétentions de la science, notre plus grand désir serait de nous voir, sur les pas de nos voisins d’outre-Rhin et avec l’esprit croyant, savant et libre des Schleiermacher et des Néander, des Lücke et des Winer, des Ullmann, des Umbreit, des Tholuck et des Olshausen, renouer dans notre Église nationale, la chaîne de la piété et du savoir, de la foi éclairée et de la vie chrétienne, forte et indépendante. Car nous sommes profondément convaincus que les études bibliques concourent puissamment à la création des époques vivantes ; que c’est par elles qu’on se baptise d’eau et d’esprit, de lumière, de force et de vie, en se plongeant de cœur et d’intelligence, avec foi et savoir, dans la Parole de Dieu ; que ce sont elles qui, simplifiées et semées dans les masses, les rassasient de manne céleste, trempent leur foi de sève divine, leur volonté d’énergie sainte, et remplissent le cœur et la bouche de choses magnifiques et substantielles, de zèle, d’éloquence et d’amour ; que ce sont elles enfin qui feront la puissance et la gloire de nos temps comme à l’époque des premiers siècles chrétiens, et de la réformation. Déjà sur notre Église luisent des jours moins sombres ; une main providentielle commence à verser du baume sur les maux qu’enfantaient son éparpillement, sa position de minorité, son isolement agrandi par l’absence d’une constitution forte et de croyances vives, ses luttes, ses divisions, son enseignement incomplet, ses froissements de partis et ses entorses quelquefois profondes à l’esprit d’amour. Des efforts toujours plus prononcés d’association, une tendance à l’unité, un vif besoin de foi, de lumière, de progrès, un travail sourd de crise et de rénovation, sont autant de signes avant-coureurs qui versent quelque paix dans l’âme, quelque courage et des espérances dans le cœur. Mettez en effet la main sur le pasteur et le fidèle, sur l’école et le temple, sur la science et la piété, sur la constitution et l’enseignement, et partout vous sentirez les tressaillements et la sueur d’une conception et d’un enfantement, les agitations intimes d’une Église qui se réforme, les courants internes d’un nouvel esprit de vie qui se meut, ranime et déjà transfigure. Oh ! efforçons-nous doue de compléter cette œuvre en rendant à notre Église nationale française, si sainte par ses épreuves et ses longues infortunes, sa science et sa liberté ; et alors nous la verrons nourrir abondamment le cœur de l’enfance, la foi dés fidèles, le culte domestique, la vie de famille, la piété des consistoires, le zèle et le savoir des pasteurs, et rallumer sans cesse par la foi en Christ l’amour de Dieu dans les âmes, et par l’amour de Dieu, celui de tous pour chacun et de chacun pour tous. Retournons, à notre Bible, et nous surtout jeunes pasteurs et théologiens, avec l’ardeur d’un Origène qui, enfant, pouvait la réciter tout entière, et qui en fit le puissant levier de sa foi, de son génie, de sa science ; avec ce zèle brûlant d’un Jérôme dont l’âme y trouvait des torrents d’harmonie pour animer le silence de sa grotte, les sauvages solitudes de son cœur et les longues nuits de son désert ; avec cet amour du grand évêque d’Hippone qui la méditait et l’expliquait tous les jours de sa vie, depuis qu’il avait entendu dans un jardin et sous un figuier où il se roulait et se purifiait dans ses chaudes larmes, une voix qui lui criait : prends et lis. Retournons à notre Bible avec l’enthousiasme savant de Luther qui en avait fait son ange consolateur dans sa Patmos, la force de son bras et le bélier de sa sainte guerre ; avec ce feu dévorant qui faisait pâlir le jeune élève Chauvin à son cinquième étage du collège de Montaigu, lorsque aiguisant, armant son génie et embrasant son âme dans les profondeurs de l’Écriture, il y puisait l’institution chrétienne et la puissance sociale de sa sévère réformation. Et alors cette Parole divine qui de nos jours peuple des déserts, bâtit des villes, fixe des langues, civilise des sauvages, sauve des âmes et rapproche des mondes, deviendra dan l’ère sociale où le christianisme entre à grands pas, le foyer de tous les progrès réels, le génie et la garantie de toutes les libertés fécondes, de tous les légitimes intérêts, l’ancre ferme de l’ordre individuel, domestique, national, européen universel.
Tel est le point de vue sous lequel ce Commentaire a été entrepris. Quant à ses matériaux, il est facile de voir tout ce qu’il doit à l’Allemagne, et surtout aux ouvrages récents de Schott-Winzer, de Winer et de Néander ; suum cuiqueb. Encore une observation. L’exégèse nous semble devoir entrer dans la voie neuve d’une application sociale des vérités de l’Évangile ou d’une mise en relief de la puissance régénératrice, individuelle et sociale, des principes chrétiens. Ceci demanderait de longues explications, elles pourront trouver leur place plus tard, si l’accueil du public protestant nous encourage à continuer ces essais.
b – A chacun le sien (C.R.)