Il est intéressant pour des candidats au saint ministère de savoir si cet office est nécessaire.
Au premier coup d’œil cette recherche paraît bien superflue. [Les faits ont devancé les preuves ; nous sommes convaincus par instinct.] Cependant on s’est demandé (et toute une communauté chrétienne, celle des Quakers[w], a répondu négativement), si une classe particulière de personnes consacrée à l’administration du culte et à l’enseignement de la religion est nécessaire.
[w] Même chez les Quakers, quelques personnes, entre toutes, sont revêtues d’une espèce de ministère.
La presque universalité de l’institution pourra être, aux yeux de bien des personnes, une preuve suffisante de sa nécessité. Ce n’est cependant qu’une présomption très forte, après laquelle la question reste debout.
Nous faisons deux sortes de réponses, l’une applicable à tous les analogues du ministère, l’autre immédiatement au ministère.
A.
a) Tout office grave, relatif à l’une des nécessités capitales de la société, à l’un des éléments essentiels de la vie, demande des hommes spéciaux, exclusivement voués à cet office[x].
[x] Le jury ne fait pas exception. Il n’exclut pas l’office de juge. Il est seulement l’indication d’une idée (que la religion reproduit sous d’autres formes), c’est qu’une société ne défère à des hommes spéciaux que ce que tout, le monde ne peut pas faire, et que la délégation finit là où ceux qui délèguent se suffisent à eux-mêmes.
b) Toute communauté veut et suppose des chefs, un gouvernement. Ce gouvernement peut être composé d’une seule espèce de personnes ou de plusieurs, être plus ou moins rationnel, plus ou moins parfait, n’importe ; le principe demeure : et une société sans gouvernement, une société ayant des règles et personne pour les maintenir ou pour les représenter, est peut-être plus inconcevable qu’un gouvernement sans règle qui limite et dirige son action.
B.
a) L’office du ministère ne peut être porté à sa perfection relative, en général, que par des hommes qui s’y vouent exclusivement, et beaucoup de choses ne peuvent, en général, être accomplies que par de tels hommes.
b) En des temps où la religion, cultivée par la science, est devenue elle-même une science ; où, ayant formé avec la vie privée et publique une foule de relations, elle s’est chargée d’une multitude de détails et d’applications, il est difficile que le ministère s’exerce bien et complètement par un homme qui ne serait pas ministre exclusivement.
c) Il y a, dans l’œuvre du ministère, une limite à laquelle chacun ou le plus grand nombre s’arrêteront, si un devoir positif ne les oblige à la franchir ; chacun n’en prendra que ce qui lui convient, et plusieurs croiront même en avoir trop fait en allant jusque-là. [Quand une seule personne doit décider une chose, elle y met toute sa conscience ; quand il y en a quarante, chacun y met la quarantième partie de sa conscience. Quand on ne regarde pas sa responsabilité comme entière, il est à craindre qu’on ne fasse que peu de chose, et même rien du tout.] Ce ne serait donc que d’une manière superficielle, irrégulière et intermittente que l’œuvre se ferait, si elle ne pouvait pas, en tout temps, compter sur certains hommes.
Le zèle pour l’avancement du règne de Dieu et la croyance à un sacerdoce universel n’étaient sans doute pas moindres qu’aujourd’hui lorsque le Saint-Esprit disait, dans Antioche, à un collège de prophètes et docteurs, déjà séparés ou appelés par lui : Séparez-moi Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés. (Actes 13.2)
On dira peut-être qu’on ne peut juger par ce qui se fait présentement de ce qui se ferait si les fidèles ne pouvaient pas se décharger sur les ministres du fardeau du ministère réparti entre tous. Nous croyons que ce qu’ils feraient d’abord, ce seraient des ministres. Car si l’on dit que le zèle général serait plus grand dans l’absence de ces hommes spéciaux, ce zèle, même à son plus haut degré, ne suffisant pas à tous les besoins pour lesquels précisément le ministère est institué, porterait les chrétiens à faire ce qu’on croit que l’indifférence et la paresse leur feront faire, c’est-à-dire à assurer, par la création d’un office spécial, la satisfaction de ces besoins auxquels eux-mêmes ne suffisent plus. Plus il y aura de zèle, moins on sera disposé à laisser de grands intérêts en souffrance, faute d’hommes spéciaux pour en prendre soin.
Huffell regarde les ministres de l’Evangile comme les dépositaires et les gardiens du principe de vie déposé dans l’Evangile. Le christianisme est essentiellement une vie qui se transmet ; mais si des hommes choisis ne la transmettent pas, si cette transmission de la vie est abandonnée à la vie elle-même, elle cessera bientôt ; sans le ministère, selon Huffell, le christianisme n’aurait pas duré deux siècles.
Cela est peut-être trop affirmatif et trop absolu ; mais on ne peut pas dire que ce soit en général douter de la vérité et de la puissance d’une œuvre, que de faire dépendre sa durée de certains moyens. Rien ne se fait sans des moyens ; et quand c’est l’institution elle-même qui crée ses moyens, quand elle les tire d’elle-même et les choisit conformes à sa nature, on ne peut pas dire qu’elle soit elle-même précaire parce qu’elle se sert de moyens. Il faudrait plutôt la juger précaire si elle ne s’en servait pas. [Si elle emploie, dans le ministère, ses meilleurs éléments, la meilleure partie de sa substance, pour se propager, ne grandit-elle pas ?]
Personne ne doute que la vie de l’Eglise ne suppose et ne réclame un témoignage perpétuel, une tradition non-interrompue ; et il faut que ce témoignage, cette tradition, soient assurés. Une Eglise se manquerait à elle-même, en n’assurant pas, non seulement la perpétuité, mais la perfection relative de ce témoignage, de cette tradition. (Romains 10.14, 15)
Herder fait l’apologie de l’institution, mais suppose qu’elle pourrait bien n’être que temporaire. — Nous n’en demandons pas davantage : conservons-la tant qu’elle sera nécessaire ; et ne l’abandonnons que lorsqu’elle ne le sera plus. Nous sommes convaincu que ce temps ne viendra jamais.