Préparation évangélique

LIVRE I

CHAPITRE II
QUEL EST LE LANGAGE ORDINAIRE DE CEUX QUI ENTREPRENNENT DE NOUS CALOMNIER

D’abord ce ne serait point sans raison qu’on nous demanderait qui nous sommes pour avoir entrepris ce traité. Sommes-nous Grecs ou Barbares ; car quel milieu trouverait-on entre eux ? Quels hommes disons-nous être ? Il ne s’agit point ici de la dénomination que tout le monde connaît, mais de nos mœurs et de notre genre de vie ; car on ne voit pas que nous ayons les sentiments des Grecs, ni que nous suivions les institutions des Barbares. Quelle est donc notre étrange conduite ? Quelle est donc cette nouvelle manière de vivre ? Comment ne regarderait-on pas généralement comme des impies et des athées ceux qui ont abandonné les coutumes paternelles, sauvegarde de toute nation et de toute cité ? Quelles peuvent être les espérances de ceux qui se sont déclarés les implacables ennemis de leurs dieux tutélaires et qui ont répudié leurs bienfaiteurs ? car n’est-ce pas, à proprement parler, faire la guerre aux dieux ? Quelle indulgence méritent ceux qui ont abjuré le culte des dieux qui, de tout temps ont été honorés comme tels, chez tous les Grecs et les Barbares, dans les villes et dans les campagnes, et qui furent l’objet de toutes sortes de cérémonies religieuses, de sacrifices et de mystères de la part de tous les rois, de tous les législateurs et de tous les philosophes, ceux qui ont abjuré ce culte pour adopter tout ce qu’il y a d’impie et d’odieux à la Divinité parmi les hommes ? Quels châtiments ne mériteraient donc pas ceux qui ont déserté la religion de leurs pères pour se montrer zélateurs des fables étrangères et de celles des Juifs contre lesquelles tout le monde s’est déchaîné ? Qui ne voit que c’est le comble de la perversité et de la témérité que de rejeter légèrement les habitudes de ses amis pour adopter, avec une foi déraisonnable et irréfléchie, celles des impies qui sont en guerre avec toutes les nations, et même de ne pas rendre au Dieu vénéré par les Juifs un culte conforme à là loi judaïque, mais de se frayer une sorte de route nouvelle et déserte que ne pratiquent ni les Grecs ni les Juifs ?

Telles sont vraisemblablement les objections que nous ferait un Grec, aussi aveugle sur sa religion que sur la nôtre. Les enfants des Hébreux nous feraient au contraire des reproches de ce que, étant étrangers et d’une autre race qu’eux, nous abusons de leurs livres qui ne nous appartiennent pas ; de ce qu’au moyen d’une intrusion aussi honteuse qu’impudente, diraient-ils, nous contraignons les nationaux et les indigènes d’abandonner leur patrie. En effet, si un Christ a été prédit, ce sont à coup sûr des prophètes juifs qui ont proclamé d’avance son avènement ; ce sont eux qui annoncèrent qu’il serait rédempteur et roi des Juifs, et non des nations étrangères ; et si les Écritures contiennent quelques autres prédictions heureuses, c’est en faveur des Juifs qu’elles ont été prononcées, et nous avons tort de les entendre dans un sens erroné ; et c’est, selon nos adversaires, une absurdité de notre part de saisir avec un avide empressement les accusations portées contre la nation à l’occasion des fautes qu’elle a commises, de garder le silence sur les biens promis autrefois aux Juifs, et de faire mille efforts pour nous les attribuer. C’est bien évidemment être esclaves de notre passion et le jouet de nos propres illusions. Mais le comble de l’extravagance de notre part, c’est que n’observant point les lois comme les Juifs, mais, au contraire, les violant ouvertement, nous revendiquons les récompenses promises à ceux qui les observent.

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