Chrétien arriva enfin à la porte au-dessus de laquelle était cette inscription : « Frappez, et l'on vous ouvrira. » (Matthieu 7.7-8)
Chrétien arrive enfin à la porte.
Il frappa donc plusieurs fois, tout en se disant :
« Ah! pourrai-je entrer, rebelle que je suis ? Si cette porte s'ouvre pour moi ; je ne me lasserai pas de chanter éternellement les louanges du Roi ! »
Enfin, un digne personnage, nommé Bon-Vouloir, vint ouvrir, et lui demanda qui il était, d'où il venait et ce qu'il désirait.
— Je suis un pauvre pécheur, travaillé et chargé, qui vient de la ville de Destruction. Je me rends à la montagne de Sion pour être délivré de la colère à venir. Laissez-moi entrer, je vous prie, car on m'a assuré que c'est ici le chemin par lequel je dois absolument passer.
— Je le veux bien, de tout mon cœur, dit Bon-Vouloir, qui ouvrit alors la porte. Mais au moment où Chrétien allait en franchir le seuil, il le tira par le bras.
— Que veut dire cela ? demanda le Pèlerin. Bon-Vouloir lui répondit :
— Non loin de cette porte se trouve un château-fort dont Beelzébub est le chef. De là, lui et ses acolytes décochent leurs flèches contre tous ceux qui parviennent à cette porte, dans l'espoir de les tuer avant qu'ils entrent.
— Je suis heureux d'être ici, dit Chrétien ; mais je tremble cependant.
Quand il fut entré, le portier lui demanda lui avait dirigé ses pas vers cet endroit.
— Evangéliste m'a ordonné de venir ici et de frapper à la porte, puis il m'a assuré que vous me diriez ce que je dois faire ensuite.
— « Une porte est ouverte devant toi, et personne ne peut la fermer, » dit Bon-Vouloir.
— Je commence maintenant à récolter le fruit de mes peines, dit Chrétien.
— Comment se fait-il que tu sois venu seul ?
— Aucun de mes voisins n'a vu, comme moi, le danger auquel ils sont exposés.
— Ont-ils su que tu devais faire ce voyage ?
— Oui, ma femme et mes enfants m'ont vu partir les premiers et m'ont appelé pour me faire revenir en arrière. Quelques-uns de mes voisins ont aussi crié et cherché à me faire rebrousser chemin, mais je me suis bouché les oreilles, et j'ai continué ma route.
— Mais aucun d'entre eux n'a-t-il tenté de te faire rétrograder ?
— Oui, Obstiné et Facile ont couru après moi, mais quand ils ont vu qu'ils ne réussissaient pas à changer ma résolution Obstiné est parti, tandis que Facile m'a accompagné un bout de chemin.
— Pourquoi n'est-il pas venu jusqu'ici ?
— Il m'a escorté jusqu'au bourbier du Découragement où nous sommes tombés tous les deux. Alors, découragé, mon voisin Facile n'a pas voulu aller plus loin. Il a repris le chemin de sa demeure, en me disant qu'il me laissait posséder le beau pays à sa place. Ainsi, il est allé de son côté et moi du mien ; lui, courant après Obstiné ; moi, me dirigeant vers cette porte.
— Hélas! pauvre homme, dit Bon-Vouloir ; la gloire céleste a-t-elle si peu de prix à ses yeux, qu'il la considère comme ne valant pas la peine de supporter quelques difficultés pour l'obtenir ?
— C'est vrai, dit Chrétien ; je vous ai dit la vérité en ce qui concerne Facile, mais si je voulais vous la dire aussi en ce qui me concerne, je serais forcé d'avouer que je ne vaux pas mieux que lui. Il est retourné dans sa maison, mais je me suis aussi détourné du bon chemin, pour m'engager dans celui qui conduit à la mort, me laissant persuader par les arguments charnels de Monsieur Sage-Mondain.
— Oh ! a-t-il vraiment essayé de te persuader ? Il aurait sans doute voulu que tu ailles chercher du secours chez Monsieur la Loi : tous deux sont des menteurs. Mais as-tu suivi son conseil ?
— Oui, aussi longtemps que je l'ai osé. Je me suis dirigé vers la demeure de Monsieur la Loi, jusqu'à la montagne qui se trouve près de sa maison ; mais j'ai eu peur qu'elle ne tombât sur ma tête, et je me suis arrêté.
— Cette montagne a été la cause de la mort de beaucoup de personnes, dit Bon-Vouloir, et elle en fera périr encore un grand nombre. Tu as du bonheur de n'avoir pas été mis en pièces par elle.
— Je ne sais vraiment ce qui me serait arrivé, si Evangéliste ne m'avait pas retrouvé à ce moment, alors que j'étais plongé dans ma tristesse. C'est la bonté de Dieu qui a permis qu'il se trouvât là, car, sans lui, je n'aurais pu parvenir jusqu'ici. Mais enfin, me voici ; plus digne, il est vrai, d'être écrasé par la montagne que d'être devant vous. Quel bonheur pour moi d'avoir été admis à entrer ici !
— Nous ne faisons aucune différence entre les hommes, dit Bon-Vouloir, et nous ne nous inquiétons pas de ce qu'ils ont fait avant d'arriver ici. C'est pourquoi, cher Chrétien, viens un peu plus loin avec moi, et je te montrerai la route que tu dois suivre. Regarde devant toi, vois-tu ce chemin étroit ? C'est là que tu dois marcher. Il a été tracé par les patriarches, les prophètes, Christ et ses apôtres, et il est aussi droit que s'il avait été tiré au cordeau. Tu dois le suivre.
— Mais ne fait-il aucun détour où je risquerais de m'égarer ?
— Oui, il y a bien quelques chemins détournés, mais ils sont larges et tortueux; ils sont aussi situés plus bas que celui-ci. Tu reconnaîtras toujours le bon chemin à ce qu'il est droit et étroit.
Je vis alors dans mon rêve que Chrétien demandait à Bon-Vouloir s'il ne pouvait pas lui aider à se décharger de son fardeau, car il savait qu'il ne pourrait jamais s'en débarrasser lui-même.
— Quant à ton fardeau, lui dit Bon-Vouloir, porte-le courageusement jusqu'à la place de la Délivrance, car là il tombera de lui-même de tes épaules.
Chrétien ceignit ses reins, et se prépara à poursuivre son voyage : Bon-Vouloir l'avertit encore que lorsqu'il serait à une certaine distance de la porte, il trouverait la maison de l'Interprète, à la porte de laquelle il devait frapper. Cet homme lui montrerait alors des choses merveilleuses.
Chrétien prit congé de son ami qui lui souhaita un bon voyage avec la bénédiction de Dieu.