Outre la nécessité résultant de la nature des choses, y a-t-il une nécessité d’un autre ordre, un devoir positif, en d’autres termes le ministère est-il d’institution canonique ou divine ?
Jésus-Christ lui-même, ou ses apôtres en son nom, ont-ils ordonné que l’Eglise aurait, dans tous les temps et dans toutes les situations, des hommes spéciaux, chargés de l’administration du culte et de la conduite des âmes ? A parler rigoureusement, non. [Jésus-Christ a fort peu institué, il a bien plus inspiré. C’est sa croix, ce ne sont pas ses institutions, qui séparent le monde antique du monde moderne. Il s’en remettait pour la suite à l’Esprit-Saint qui devait venir. Il a plus aboli virtuellement que formellement. Il a préféré l’action insensible, mais infaillible de l’esprit à celle moins sûre et moins délicate de la lettre. Son règne est un règne spirituel. Ses disciples l’ont compris : ils ne se sont pas hâtés d’abolir et d’abattre. Et même il ne leur a pas été donné de voir toujours et dès l’abord ce qui, dans l’ancienne économie, était incompatible avec la nouvelle. Dieu n’avait pas mis en eux tout de suite tout ce qu’ils devaient savoir, mais une lumière qui, peu à peu, devait chasser les ténèbres. Tout le développement du christianisme s’est fait ainsi, et nous avons encore à espérer un nouveau monde de découvertes. Du reste, on ne remarque dans l’Evangile cette marche progressive que pour des points secondaires ; car, sur la doctrine, les apôtres, dès le commencement, sont d’accord et ont tout dit. — Il n’en est pas de même des institutions : on y a pourvu peu à peu, à mesure que les besoins se sont fait sentir.]
Jésus-Christ a appelé auprès de lui quelques hommes de son peuple, leur a confié un message, des fonctions semblables aux siennes, et leur a dit (à eux et non à d’autres) : Comme j’ai été envoyé, je vous envoie. (Jean 20.21)
Saint Paul affirme que Jésus-Christ a donné les uns pour être apôtres, les autres pour être évangélistes, et les autres pour être pasteurs et docteurs.[y] (Ephésiens 4.11) — Ici Jésus-Christ apparaît comme providence de l’Eglise, comme guide de ses premiers envoyés ; l’organisation et le gouvernement de l’Eglise lui sont rapportés ; et il est évident, d’après saint Paul, qu’il a voulu que cette Eglise eût des ministres.
[y] Bridges fait remarquer combien l’encadrement de ces paroles, montre de grandeur dans l’institution. (The Christian ministry, p. 5.) — Voir Calvin, commentaire sur cet endroit.
Les apôtres, comme ils ont été envoyés, envoient à leur tour. Le ministère continue de lui-même, sans qu’il ait été formellement institué une fois pour toutes. Mais, d’un côté, Jésus-Christ a dit à ses apôtres : Allez, et prêchez l’Evangile à toute créature ; (Marc 16.15) et puisque ceux à qui il s’adressait immédiatement ne pouvaient que commencer l’exécution d’un ordre auquel les siècles seuls pouvaient suffire, il s’est adressé, dans leur personne, à leurs successeurs ; il leur a supposé des successeurs ; et par là, implicitement, il a institué le ministère. — A moins qu’on ne dise que la suite de l’œuvre ne demandait pas les hommes spéciaux que le commencement de l’œuvre avait demandés.
Ceci nous conduit à notre seconde réflexion. C’est que, si les circonstances dans lesquelles Jésus-Christ a conféré l’apostolat n’ont pas essentiellement changé, son ordre vaut pour tous les temps et équivaut à une institution.
Car ne pas renouveler, dans des circonstances toutes pareilles, ce qu’il a lui-même fondé, c’est, en quelque sorte, condamner cette première fondation, qui n’aurait jamais dû se faire si elle ne doit pas se continuer toujours.
[On a objecté que les ministres doivent être les interprètes du Saint-Esprit ; que, par conséquent, l’Esprit répandu sur tous les fidèles mettra à part pour chaque besoin les ministres nécessaires et évoquera la parole dans le moment donné. C’est l’opinion de la Société des Amis. D’un principe vrai ils ont tiré une conséquence fausse ; car le ministère spécial ne lie pas l’Esprit et ne l’empêche pas de souffler où il veut.
[Il faut, par tous les moyens au pouvoir de l’homme, tâcher que les ministres soient des personnes en qui l’Esprit parle. Si, après cela, il s’en trouve d’indignes, tout en le déplorant, on sera forcé d’avouer que la même chose pourra se présenter dans les Eglises où tous ont droit de parler et attendent, pour le faire, que le Saint-Esprit les y pousse. Ne pourront-ils pas se faire illusion à eux-mêmes ? et ceux qui ont la parole facile ne parleront-ils pas pour dominer ? Le danger sera même plus grand que chez nous ; car ces prédicateurs, non préparés par des études spéciales, offriront moins de garanties.
[On a dit qu’il ne peut pas y avoir de ministère, parce qu’il n’y a pas d’Eglise, que l’Eglise n’est pas possible sur cette terre : Cela est vrai si l’on parle de l’idéal de l’Eglise : il n’a jamais été réalisé ; pas même du temps des apôtres ; Mais aujourd’hui comme alors, les chrétiens ont besoin d’entendre prêcher la Parole, pour être consolés, pour être fortifiés ; ils ont besoin de prier ensemble, de rendre grâces ensemble ; et pour cela il faut un ministre, un serviteur de Dieu, qui mette la Parole à leur portée, et qui, sous l’action du Saint-Esprit, vienne au secours de leur faiblesse.] Tout au moins faudrait-il des missionnaires ; car dans les temps où nous sommes, nous pouvons répéter après saint Paul : Mais comment invoqueront-ils celui auquel ils n’ont point cru ? Et comment croiront-ils à celui duquel ils n’ont point ouï parler ? Et comment en entendront-ils parler s’il n’y a quelqu’un qui le leur prêche ? Et comment le prêchera-t-on s’il n’y en a pas qui soient envoyés ? (Romains 10.14, 15)
Mais tous les ministres que Jésus-Christ avait donnés à l’Eglise primitive n’étaient pas missionnaires dans le sens spécial que nous attachons à ce mot ; plusieurs étaient réellement pasteurs, et pourvoyaient, comme tels, à des besoins qui existent aujourd’hui et qui existeront toujours. Et du reste, tous les pasteurs ne sont-ils pas plus d’à moitié missionnaires ? N’y a-t-il pas, au sein de leurs Eglises, et tout autour d’eux, des âmes qu’il faut chercher comme on cherche, à mille lieues de chez soi, des païens et des idolâtres ? L’œuvre de conversion cesse-t-elle jamais ? Ne faut-il pas toujours, et près et loin, jeter le filet ? Par conséquent, les circonstances qui fondèrent, au commencement, l’institution du ministère, ne sont-elles pas les mêmes aujourd’hui, et ne commandent-elles pas les mêmes mesures ? Et ne serait-ce pas désavouer Jésus-Christ lui-même que de ne pas faire aujourd’hui en son nom ce qu’il ferait lui-même s’il était au milieu de nous ?
Remarquons encore que ce que nous pourrions dire aujourd’hui pour l’abolition du ministère, on eût pu le dire alors contre son institution. On eût pu dire que tout fidèle est ministre, ce qui est vrai ; que nul fidèle ne doit être dispensé d’annoncer les vertus de Celui qui l’a appelé des ténèbres à sa merveilleuse lumière, (1 Pierre 2.9) ce qui est encore vrai ; que la vie chrétienne est une prédication, que la foi engendre la foi, etc. ; toutes choses vraies, mais à côté desquelles il en est d’autres non moins vraies, sur lesquelles se fonde la nécessité du ministère aujourd’hui comme alors.
Remarquons enfin que les apôtres n’ont jamais parlé du ministère de manière à faire supposer qu’ils le regardaient comme un fait accidentel, transitoire, ou comme une institution temporaire.
En résumé, nous pensons qu’en cette question, ôter le mot d’institution, ce ne serait guère enlever qu’un mot, puisque, si Jésus-Christ n’a pas formellement, et en quelque sorte par lettres patentes, institué le ministère, on ne peut douter qu’il ne l’ait voulu. On ne sort point réellement de la vérité, on n’exagère point, lorsqu’on dit que le ministère est d’institution divine.