Dans les méditations de la première partie de ce recueil, l'attention des lecteurs était centrée sur les personnages que la Bible nous montre en prière. L'enseignement qui nous était donné l'était à propos de ces personnages.
Dans les pages qui vont suivre, c'est le lecteur lui-même qui est la raison d'être et le centre de la méditation. Le tête-à-tête y est entre Dieu et lui. Il n'y trouvera ce que Dieu lui offre que dans la mesure où, faisant abstraction de tout, il acceptera que ce soit de lui et de lui seul qu'il s'agisse.
L'invisible Présence.
« L'Eternel était ici et je n'en savais rien. » (Gen. 28.16).
« Invoque-moi et je te répondrai. » (Jér. 33.3).
Dans le désert d'Aram où Jacob s'est enfui, tout est silence et solitude. Soudain une vision révèle à Jacob la présence de Dieu. Aussitôt, sa prière jaillit : « Eternel !... tu seras mon Dieu. »
Pourquoi nos prières sont-elles si rares, si craintives, si cérémonieuses ? Parce qu'il nous semble que prier, c'est appeler Dieu, lui demander son assistance, le faire descendre, d'un mot : le déranger.
Comme nos prières seraient spontanées, fréquentes et pleines d'abandon, si nous nous rendions compte que Dieu nous est tout proche, qu'il est en nous avant nous-mêmes, qu'il s'intéresse à nous plus que nous-mêmes. Présent bien qu'invisible, il n'attend qu'un mot pour nous diriger et nous bénir.
Ce n'est pas seulement un jour, dans l'histoire, que Dieu nous a aimés « le premier ». C'est tous les jours qu'il nous aime le premier. Dans notre activité, dans nos joies, dans nos détresses, il nous aime le premier. Ingrats que nous sommes, nous souhaitons qu'il vienne dans nos vies alors qu'il y est déjà, qu'il y a toujours été : « L'Eternel est ton ombre ; il est à ta main droite [1]. »
Ouvrons nos âmes à cette certitude et nous lui parlerons sans effort. Rien n'invite à la prière comme le sentiment de la présence de Dieu.
Abraham se tint en présence de l'Eternel [2].
[1] Ps. 121.5 ;
[2] Gen. 18.22.
Prier à genoux.
« Jésus s'étant mis à genoux, pria... » (Lu 22.41).
« Pierre se mit à genoux et pria. » (Act 9.40 ; voir Ac 20.36 et Ac 21.5).
La prière n'est liée à aucune attitude. Dieu est l'Esprit. la prière est un acte spirituel. La valeur de la prière ne dépend à aucun degré d'une tenue conventionnelle que les circonstances ne permettraient pas toujours et à laquelle une préoccupation ritualiste enlèverait d'ailleurs tout son prix.
Toutefois, à l'état normal, il est bon que la discipline du corps s'associe à la ferveur de l'âme et la facilite. D'où, la prière à genoux.
La prière à genoux marque la différence entre les deux êtres qui se rencontrent, et les caractérise. A genoux, je suis le sujet, l'important. A genoux, je suis le coupable qui demande pardon. A genoux, je manifeste que je ne veux pas m'évader de la présence de Dieu, mais que je lui dis au contraire : « Je ne te laisserai point aller que tu ne m'aies béni. [1] »
Comme le cheval indompté qui a trébuché dans sa course, comme le chameau de la caravane qui attend qu'on le décharge, j'ai ployé les genoux, montrant par là que mes forces m'ont trahi, que mon fardeau m'accable, et confiant que mon geste, le plus humble qui soit, sera aussi le plus contraignant pour la miséricorde divine, car Dieu foudroie l'orgueilleux qui le brave, mais il a compassion du pécheur qui se prosterne. Jamais le fouet de cordes manié par Jésus ne s'est abattu sur ceux qui s'agenouillaient devant lui.
A genoux — position humiliée, mais non certes humiliante, puisque par elle nous renouons avec Dieu. A genoux, je ne marchande pas avec le Seigneur, je ne cherche pas à être épargné des fatigues et des épreuves qui sont le lot de tous les hommes, je m'en remets à lui pour être délivré du mal.
Si notre âme éprouve, à l'intérieur, les sentiments que l'attitude à genoux traduit â l'extérieur, tout va bien entre Dieu et nous. « Qui s'abaisse sera élevé [2]. »
[1] Gen. 32.26 ;
[2] Mat. 23.12.
Prier les mains jointes.
« Salomon étendit les mains vers le ciel et dit : O Eternel, Dieu d'Israël, il n'y a point de Dieu semblable à toi ! » (1 Rois 8.22 ; cf. Ps. 63.5 ; 68.32 ; Esa 1.15).
Les Hébreux priaient les mains levées ou les mains en avant. C'était l'attitude de l'offrande, le geste de l'oriental qui apporte un présent à son souverain pour en recevoir une faveur. De bonne heure dans l'Eglise chrétienne, les mains jointes devinrent le geste de la prière et son symbole. Symbole inspiré par un très sûr instinct, car dans le culte en esprit il ne s'agit pas de donner, mais de se donner.
Pourquoi les mains jointes ? Parce que ce sont des mains vidées. Les mains jointes ne peuvent tenir ni le glaive, ni la bourse, ni aucun des objets impurs ou simplement vains que la vie de la chair caresse, que la vie de l'Esprit condamne, et que repousse l'étreinte de notre Père céleste. Qui ne consent pas à se vider soi-même, ne peut être rempli de Dieu.
Pourquoi les mains jointes ? Parce que ce sont des mains livrées ; livrées à Dieu, après avoir longtemps servi, dans leur agitation enfiévrée, la cause de nos révoltes et nos infidélités. En joignant les mains, nous disons à Dieu : Je renonce à semer l'ivraie et la folle avoine ; je reconnais que mes initiatives, au lieu de me faire trouver le bonheur loin de toi, m'ont égaré dans des chemins de misère. Me voici confus et docile. Mes mains se rendent.
Pourquoi les mains jointes ? Parce que ce sont des mains consacrées. Dieu, après les avoir purifiées, s'en servira pour sa gloire. Les mains de Jésus, si promptes à bénir, à soulager, à guérir, à relever, à sauver sur le lac en démence Pierre qui enfonce dans les flots, Juifs et Romains les ont clouées sur la croix. Ils les ont immobilisées. A nous de les déclouer et de leur rendre leur divine efficace, en tendant nos propres mains en son nom vers tous ceux que Jésus veut atteindre. Mais pour que Jésus puisse disposer de nos mains, il faut d'abord que nous ayons prié les mains jointes.
Prier les yeux fermés.
« Quand tu pries, entre dans ta chambre, et, après avoir fermé ta porte, prie ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Mat. 6.6).
« Ton Père qui voit dans le secret... » Quel secret ? Celui de la chambre close ? Sans doute ; mais surtout le secret du coeur, où, tout au fond, s'élaborent, loin des regards, nos sentiments, nos responsabilités ; sanctuaire impénétrable aux autres hommes, où nous agissons seuls et où nous mourrons à découvert devant Dieu.
Quand nous marchons les yeux ouverts sur le monde, retenus à l'extérieur de nous-mêmes par les gens et les choses qui nous distraient, nous attirent et nous fascinent, nous déclarons naïvement que nulle part nous ne voyons Dieu. Comment le verrions-nous, éblouis que nous sommes par tout le clinquant d'ici-bas ? « Nous nous imaginons, dit Pierre Charles dans sa Prière de toutes les heures, que le vrai ciel, c'est celui du jour lumineux. Non, le vrai ciel, c'est le ciel de la nuit, et la clarté le cache dès que le soleil brille. Fermons les yeux pour voir dans la nuit pacifique le ciel de notre âme, constellé des lumières de la grâce — descendens a Patre luminum. »
Fermons les yeux : les feux aveuglants s'éteindront,les visions passagères s'évanouiront, les clartés factices disparaîtront, et dans le secret de notre vie cachée nous verrons, installé en nous, Celui qu'on ne peut éviter, Celui qui entre « les portes étant fermées » [1] Celui qui a le droit d'entrer, puisqu'il nous a créés deux fois, nous ayant donné la vie et le salut, et qui nous accueille chez nous lorsqu'enfin nous rentrons en nous-mêmes. Nous le cherchions au dehors, il nous attendait au dedans. Là, il nous regarde, il nous écoute, et ne demande qu'à exaucer la prière faite à genoux, les mains jointes, les yeux fermés.
Seigneur, apprends-moi à fermer les yeux pour te voir, avant que tu me les fermes pour appeler mon âme devant toi !
[1] Jean 20.19.
La prière personnelle.
« Je répandais mon âme devant l'Eternel. » (1 Sam. 1.15).
« Toi, quand tu pries [1]... » Le premier mode de la prière est le mode individuel. L'oraison suppose avant tout le tête-à-tête avec Dieu.
On dit : « Quel problème mystérieux que celui de la prière dans la vie du chrétien ! Tantôt elle s'élance, jaillissante, tantôt elle traîne et s'exprime avec effort, tantôt elle meurt sur les lèvres... »
Le long d'un ruisseau de montagne qui serpente sur le pâturage, parmi les rochers nus et les rares sapins, je suivais en montant la piste d'un troupeau. Je pensais à cette expression hébraïque que l'on trouve, au, sujet d'Anne, à la première page des livres de Samuel : « Répandre son âme devant Jéhovah. »
Répandre... Comme la nature tourmentée répand ses eaux à la face du ciel, la personnalité oppressée répand son âme devant Dieu, et comme la source épanchée féconde la plaine, la prière exaucée féconde la vie.
J'observais le cours du ruisseau et il m'expliqua le problème mystérieux. Quand la piste montait droit vers le sommet, les ondes du ruisseau jaillissaient, vives comme un torrent. Quand la piste, obliquant sur les prés, ralentissait sa pente, le ruisseau devenait languissant ; quand un repli du terrain formait un petit plateau de montagne, l'eau devenait stagnante, se couvrait de roseaux, de trolles et de plumets d'argent : c'était le marais.
Ainsi en est-il de la prière ; son courant est révélateur de notre attitude spirituelle. Si notre vie morale est orientée droit vers le sommet, la prière jaillit comme un torrent ; si elle oblique, la prière devient traînante ; si elle cesse de monter pour s'établir dans la platitude des intérêts mondains, la prière s'arrête, c'est le marasme.
O Dieu Créateur, enseigne-nous à regarder la nature et à profiter de ses leçons. !
[1] Mat. 6.6.
« Ferme ta porte ».
« Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie... Ton père, qui voit dans le secret, te récompensera. » (Mat. 6.6).
Fermer sa porte ? Voilà qui est difficile en notre temps de sonnettes électriques, de klaxons et de téléphones... sans parler de l'appareil de T.S.F. et de son haut-parleur ! La vérité est qu'au milieu de l'entrecroisement des fils et des ondes, on vit aujourd'hui partout à la fois, excepté chez soi. Pourtant Jésus a dit, parlant de la forme habituelle de la prière : « Quand tu pries, entre chez toi et ferme ta porte. » La communion divine, la force spirituelle, l'exaucement sont à ce prix.
Mais suffit-il d'être enfermé dans une chambre silencieuse pour avoir le recueillement ? « Ferme ta porte... » Je pense à l'autre porte, celle dont Jésus parle quand il dit dans l'Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe » : c'est la porte du coeur. Celle-là aussi doit être fermée pendant l'oraison. Sinon les souvenirs, les soucis, les passions l'envahissent et l'entraînent aux champs, à l'usine, dans les préoccupations intellectuelles, familiales ou mondaines. Celui qui prie dans sa chambre sent que la prière n'accroche pas, il lui semble que Dieu est absent du tête-à-tête... Mon ami, ce n'est pas Dieu qui est absent du tête-à-tête, c'est toi.
Certes, Dieu exauce l'appel dans la tempête, le cri de son enfant dans le tumulte des foules, mais la vie intérieure à laquelle Jésus nous convie, et qui autorise à l'heure difficile cet appel et ce cri, demande à être formée et développée par la prière intime, cachée, personnelle ; l'entretien du seul à seul avec Dieu.
« Ferme ta porte, prie dans le secret. » Défends ton recueillement contre l'incessante offensive des choses du dehors ou du dedans. Isole-toi des bruits de ta rue et de ton coeur ; sois présent quand tu convoques Dieu. Il faut à l'âme la paix des cieux étoilés et des lacs tranquilles pour qu'elle perçoive la « voix de silence » qu'entendit Elie en Horeb, ou Jésus, la nuit, seul, sur les montagnes de Galilée.
La prière matinale.
« Vers le matin... » (Marc 1.35)
Comme le ruisseau sort de la source, l'action bonne sort de la prière. Si nous ne voulons pas être les étourneaux du monde moral, qui volètent et piaillent autour du devoir, si nous voulons accomplir le devoir, qui consiste à se donner, à se donner humblement et très simplement, remontons chaque jour à la source, et, dès le matin, à notre première heure de la journée, ayons le moment de silence où Dieu seul nous entend. Prions devant Lui jusqu'à ce que nous ayons le sentiment de Sa divine présence, pour pouvoir ensuite, tout le cours de la journée, en vivre l'efficacité.
Le Père Gratry a écrit : « Qui ne sait plus se rajeunir touche à la mort. » Le vrai moyen de rajeunir tous les jours est de retourner tous les jours à la source, je veux dire à la prière.
Voici quelques mots que je trouve dans te petit livre d'un chrétien dont les yeux sont éteints, mais qui vit en profondeur, et dont l'âme est claire :
« Si la prière matinale est l'acte fondamental de la journée, c'est parce qu'elle répond à ce double but : renouveler, maintenir.
« Demeurez en prière jusqu'à ce que vous sentiez votre âme redevenue ardente et joyeuse, remise à sa vraie place dans l'ordre divin, jusqu'à ce que vous teniez le point d'appui durable. Car il faut un point d'appui, quelque chose de ferme, pouvant servir de pivot à vos pensées et à vos actes, jusqu'à la dernière heure du jour.
« De votre prière, détachez l'idée dominante ; exprimez cette idée par un mot que vous retiendrez : un mot vivant, très court et très plein, et chaque jour un mot nouveau, lequel sera votre ancre. Aujourd'hui : stabilité ; demain : pureté. Un jour : abandon au Seigneur ; un autre jour : Dieu me possède et me garde. Et puis : charité, lumière, espoir, sérénité, consécration... Ne sentez-vous pas que tous ces mots, si vous vous y attachez fortement, nourrissent votre vie intérieure, agissent sur votre âme, la pénètrent, la maintiennent orientée vers le pôle où vous l'avez fixée dès le matin ?
Peut-être quelques-uns de mes lecteurs trouveront-ils que ce dernier conseil sent un peu le procédé, l'exercice... Je le veux bien, et leur souhaite de trouver mieux pour eux-mêmes. La grande chose est de ne pas oublier l'exhortation de Paul à Timothée : « Exerce-toi à la piété [1] ».
1 Relire 1 Tim. 4.7-10.
La prière mêlée à toute la vie.
« Priez sans cesse. » (1 Thess. 5.17).
« Quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. » (1 Cor. 10.31).
« Toute la vie du chrétien », dit Origène, « doit être une prière continuelle, et ce que nous appelons ordinairement de ce nom ne doit être qu'une partie de cette prière continue. » Comment faire entrer la maxime de l'illustre docteur du in' siècle dans les habitudes pratiques des chrétiens de nos jours ?
Il me souvient d'avoir lu qu'une femme noire disait un jour à sa voisine païenne récemment convertie :
« Je suis si occupée que je n'ai plus le temps de prier, et quand j'ai un moment, je ne sais plus que dire.
— Tiens, répondit l'autre, moi aussi j'ai beaucoup à faire, cependant je prie à tous les moments de la journée.
— Comment fais-tu ?
— Quand je m'habille, le matin, je dis : Père céleste, tu m'as donné ces vêtements sans lesquels j'aurais honte de sortir ; je t'en prie, revêts aussi mon âme, de sorte qu'elle ne soit jamais confuse en ta présence. Quand je me lave la figure et les mains, je demande à être purifiée au dedans aussi bien qu'au dehors. Quand j'allume mon feu et qu'il brûle avec une belle flamme, je demande alors que le Saint-Esprit embrase aussi mon coeur d'un feu semblable. Quand je balaie ma chambre, je dis : « Seigneur, balaie de même tout le mal qui se trouve en moi. » Quand je fais rôtir le riz, je réclame le céleste aliment pour que ma vie spirituelle soit à l'abri de toute disette et qu'elle prospère. Quand je fais ma lessive, je supplie Dieu de nettoyer mon coeur de toutes souillures ; quand je repasse mon linge et que j'aperçois des taches qui ont résisté au lavage en sorte qu'il me faut remettre les pièces à l'eau, je demande à Dieu d'user de miséricorde envers moi pauvre pécheresse et d'enlever, par sa grâce, ce qui en moi offense encore ses regards. »
Ménagères chrétiennes de race blanche, qui connaissez depuis votre enfance les commandements de Dieu et les exigences de la vie spirituelle, vous qui peinez et qui voyez dans les besognes matérielles, souvent ingrates et toujours absorbantes, un obstacle â votre prière, avez-vous songé à mêler l'oraison aux détails de votre activité ? à faire jaillir la prière des paraboles que vous offrent les travaux de votre ménage ? Essayez ; ainsi entrera dans votre vie la « prière continue » d'Origène, et, pour votre âme, par elle, les plus humbles devoirs seront transfigurés.
L'ornière.
« Soyez sobres et vigilants pour vous livrer à la prière. » (1 Pierre 4.7).
Le chrétien qui prie chaque jour d'une façon régulière est menacé d'un danger que recèle le fait même de l'habitude.
Comme le retour d'un geste met un pli au vêtement, comme le retour d'un souci met un pli au front, le retour d'un exercice mental met à la longue un pli au cerveau. Or, ce pli est ici la marque d'un fléchissement, d'un durcissement, d'une décrépitude. Il fixe dans une ligne, il ensevelit dans un sillon ce qui ne réagit plus. Dans le domaine psychologique, le pli est une victoire du mécanisme sur tout ce qui est conscience et liberté.
Si nous savions mieux observer le monde qui nous entoure, il nous offrirait à cet égard de suggestives paraboles.
Voici un chemin neuf et large ; l'attelage y suit librement sa voie sous la direction vigilante du charretier. Le jour vient où, par les habitudes du charroi, une dépression se produit sur la route, un pli dans lequel la file des véhicules s'engage. Une roue après l'autre durcit la terre, creuse le pli ; bientôt l'attelage est prisonnier du sillon. Le conducteur peut dormir entre les planches de sa charrette, les chevaux sommeiller en s'appuyant sur le collier..., le convoi suit l'ornière.
Si nous n'y prenons garde, la ferveur de la prière qui jaillissait d'abord librement dans les transports d'un premier contact avec Dieu, s'émousse sous l'effet de l'habitude. La répétition des mêmes termes, le retour des mêmes sujets endorment la spontanéité. Sournoisement, les mots se coagulent, les sujets se suivent toujours dans le même ordre et se cristallisent. Ce n'est pas une prière récitée : on peut mettre beaucoup de ferveur en disant un texte appris par coeur ; c'est une prière qui a pris le pli ; de jour en jour, elle s'enlise dans le sillon. Qu'y reste-t-il encore de vivant ? Qu'est devenue l'émotion du tête-à-tête, l'instance qui fait la valeur de la requête ? Dans cette prière impersonnelle, celui qui prie et Celui qui est prié peuvent ne plus avoir de part... l'oraison suit l'ornière.
Ce n'est pas sans motif que Jésus, au Jardin des Oliviers, a lié ces deux mots pour l'éternité : veillez et priez. Comme dit Pierre du. Moulin : « Le Seigneur accouple la vigilance avec la prière, de peur que la vigilance sans prière ne soit inutile et que la prière sans travail et vigilance nourrisse la paresse sous couleur de dévotion. »
Prière et patience.
« Par votre patience, vous sauverez vos âmes. » (Luc 21.19).
Parmi les qualités que réclame la prière individuelle, il en est une qu'oublient facilement les plus zélés, c'est la patience. Demander à Dieu la direction est une grande chose. Attendre que Dieu ait donné la direction pour agir, est une autre grande chose, sans laquelle la première est vaine.
Souvenons-nous des disciples sur le seuil de Gethsémané [1]. Jésus va être pris. « Seigneur, frapperons-nous de l'épée ?... » Avant que le Seigneur ait répondu, Pierre dégaine et blesse Malchus. Ce qui oblige Jésus à réparer et à réprimander.
Ne faisons pas comme Pierre : imitons Jésus qui, bien qu'il aimât Lazare et qu'il le sût mourant, attend pour monter à Béthanie le mot d'ordre d'en haut [2]. Aussi peut-il dire à ses disciples : « Si quelqu'un marche pendant la nuit, il bronche... mais s'il marche pendant le jour il ne bronche pas, parce qu'il voit la lumière. » La nuit, c'est notre impulsion individuelle, même la mieux intentionnée ; la lumière, c'est la réponse, la direction de Dieu. Si elle tarde, attendons-là, et opiniâtrons dans la prière.
« La prière, a dit un chrétien, il y a juste un siècle, met en mouvement toutes les facultés de notre âme, comme le grand ressort d'une montre en fait mouvoir toutes les roues.. En ayant soin de la remonter régulièrement, tout ira bien ; mais si vous cessez de le faire, les rouages se rouilleront et ne seront plus propres à aucun usage. Continuez avec soin les exercices de la piété L'âme conservera une sainte disposition », — la « sainte disposition », c'est l'esprit de patience ; — interrompez-les, et elle sera bientôt privée du mouvement qui la dirigeait vers les cieux ».
Je crois bien que notre activité fiévreuse menace plus encore qu'il y a cent ans les « exercices de la piété ». Prions, et ne laissons pas les secousses de notre impatience casser « le grand ressort » !
[1] Luc 2.47-51 ;
[2] Jean 11.5-12.
« ...Un esprit doux et paisible ».
« Recherchez non la parure extérieure..., mais la parure intérieure et cachée dans le coeur : la parure incorruptible d'un esprit doux et paisible qui est d'un grand prix devant Dieu. » (1 Pierre 3.3-4).
Telle est la vertu que l'apôtre Pierre recommande aux femmes. On peut sans inconvénient étendre sa recommandation au sexe fort. Pierre ajoute que cette vertu a « un grand prix devant Dieu ». Les choses de grand prix sont les choses rares. Et c'est une rareté, en effet, qu'un esprit doux et paisible. Pourquoi ? Parce qu'il ne va pas sans ce que les gens du monde appellent des sacrifices.
L'esprit doux et paisible suppose trois grâces qui ne peuvent venir que d'en haut :
1° La grâce du pardon. Tant que le coeur garde rancune, l'esprit fermente.
2° La grâce du désintéressement. Tant que le coeur convoite, l'esprit s'irrite.
3° La grâce de la confiance. J'entends par là cet état d'âme qui consiste à tout remettre à Dieu dans la certitude qu'Il nous aime et qu'Il a tout pouvoir pour notre bien. Tant que le coeur doute, l'esprit s'alarme.
Pour dévider un écheveau embrouillé sans rien nouer,sans rien casser, il faut une main souple et légère. La vie est un écheveau embrouillé. La main qui peut en ordonner les fils, c'est la main que dirige « un esprit doux et paisible ».
La prière aussi se présente souvent comme un écheveau embrouillé. Que demander à Dieu, comment demander, comment obtenir ? Questions troublantes. Il est une question qu'il faudrait se poser à soi-même avant celles-là : Quand je cherche la présence de Dieu, est-ce que je m'approche de Lui avec « un esprit doux et paisible » ? De la réponse à cette question dépend, je crois, la solution des autres.
La prière perpétuelle.
« Les cieux racontent la gloire de Dieu,
« Le jour crie au jour sa louange,
« La nuit l'apprend à la nuit... »
(Ps. 19.2-3).
« Il faut prier toujours, sans se relâcher jamais. » (Luc 18.1).
Les vestales de Rome alimentaient sur l'autel un feu perpétuel, entretenant par leur culte vigilant la vigilance des protecteurs divins de la cité. Les prêtres catholiques suspendent dans l'ombre de l'Eglise la lampe de l'adoration perpétuelle, afin que le sanctuaire, même vide, conserve une clarté eucharistique. Depuis la guerre, le patriotisme a allumé sous l'Arc de l'Etoile la flamme perpétuelle du souvenir français...
Toutes les flammes allumées par la main fragile des hommes participent à cette fragilité. L’Eternel seul peut allumer une flamme perpétuelle ; Il l'a fait, le jour Oh ayant donné la terre comme planète au soleil et comme habitacle aux hommes, Il a allumé dans l'âme du croyant la flamme de la prière.
Depuis lors, surtout depuis que les Missions ont répandu l'Evangile sous toutes les latitudes, le soleil dans sa course éveille successivement les fidèles qui se mettent à prier. Quand l'un se relève, l'autre se met à genoux, d'heure en heure, de minute en minute, sans interruption aucune. Ainsi votre prière du matin est reliée à votre prière du soir, et votre prière du soir à votre prière du matin par l'oraison continue de toutes les âmes sous l'évolution du soleil. C'est la prière perpétuelle qui assure parmi les hommes l'exaucement du Royaume de Dieu en marche.
Quel privilège, mais aussi quelle responsabilité !
Pouvez-vous calculer ce qu'ajoute votre prière individuelle à la somme des prières de toute l'humanité ?
Pouvez-vous calculer ce que perdrait la prière du monde le jour où votre voix se tairait ?
Votre prière qui manque, c'est une maille qui saute au filet des pêcheurs d'hommes ; c'est un barreau enlevé à la barrière qui protège l'Eglise contre l'assaut démoniaque ; c'est un fil qui casse au cordon mystique par lequel descend parmi les hommes le courant de l'Esprit Saint.
Co-ouvriers de Christ dans l'immense usine de vie actionnée ici-bas par l'amour divin, munis d'un sacerdoce royal dans la communion des saints, soyons fervents, et servons le Seigneur à notre rang, dans la prière perpétuelle.
L'état de prière.
« Poursuivons avec constance la course qui nous est proposée, regardant à Jésus... » (Héb. 12.1-2).
Nous avons parlé de la prière perpétuelle, oraison continue jour et nuit sur toute la terre ; chaîne ininterrompue d'intercessions où chacun de nous est un anneau.
Aujourd'hui, il s'agit de nous souvenir que Paul a dit à chaque chrétien : « Priez sans cesse », marquant par là non que nous devons passer toutes nos journées à genoux, mais que nous devons vivre et agir en état de prière. Là aussi, il y a une continuité ininterrompue, mais elle nous est personnelle, et constitue tout ensemble la manifestation et l'aliment de notre foi.
Appliqué aux choses de l'âme, le mot état signifie tantôt une « disposition », tantôt une « manière d'être fixe et durable ». Les deux sens se concilient et se complètent dans une vie en état de prière.
Aimer Dieu assez pour ne jamais le perdre de pensée ; vouloir Sa gloire assez pour le mêler à tout ce qui émeut, à tout ce qui actionne notre être ; n'aller que là où l'on peut prier parce que Dieu peut nous y suivre ; ne faire que ce qu'il pourrait approuver ; ne souhaiter que ce dont on peut l'entretenir ; en dehors des moments consacrés au recueillement, le sentir là, tout près, et trouver dans Sa présence plus qu'on ne peut attendre du tête-à-tête le plus intime, le tête-à-tête où, quand les voix se taisent, les coeurs parlent : voilà l'état de prière.
Si nous voulons « poursuivre avec constance la course qui nous est proposée », avec les grâces nécessaires aux combats qui nous y appellent et aux imprévus qui nous y attendent, demandons à Dieu de nous maintenir dans l'état de prière.
Prière et paroles.
« Quand vous priez, n'usez pas de vaines redites, comme font les païens, qui pensent être exaucés en parlant beaucoup. » (Mat. 6.7).
Jésus a dit qu'il fallait prier toujours, sans jamais se relâcher [1].
D'excellents chrétiens en concluent qu'il faut sans cesse parler à Dieu ; quand ils passent par des périodes de défaillance physique ou mentale qui les mettent dans l'incapacité de prononcer fréquemment des requêtes articulées, ils croient être en état de chute et privés de la communion du Père céleste.
Cette façon défectueuse de poser le problème a troublé la paix de bien des enfants de Dieu.
La Bible n'identifie nulle part la prière avec la requête formulée. Elle nous montre, au contraire, que la prière est une attitude de l'âme avant d'être un discours. Aussi le pieux janséniste Quesnel a-t-il bien raison de dire : « Beaucoup prier n'est pas beaucoup parler ni beaucoup penser, mais plutôt beaucoup aimer et beaucoup désirer. La prière n'est que l'interprète de l'amour et du désir du coeur et, tous les désirs de notre coeur étant présents à Dieu et lui étant offerts de temps en temps, on prie beaucoup et continuellement quand on a dans le fond du coeur un grand désir de profiter aux âmes que l'on sert pour l'amour de Dieu et pour sa gloire ».
« Priez Dieu, ce n'est pas le haranguer. »
Etes-vous dans une phase où l'incapacité de prière vous afflige, vous déprime ? Ne laissez pas Satan s'emparer de cette dépression et s'en faire une arme contre votre vie spirituelle. Souvenez-vous que Dieu entend votre silence, et prenez pour votre compte la parole de Frommel qui connut comme vous cette épreuve : « Agir avec Dieu, sous son regard et dans sa force, sans le prier autrement que par l'attente constante de sa grâce, c'est certainement une des manières de réaliser le « Priez sans cesse [2] » de l'apôtre Paul.
[1] Luc 18.1 ;
[2] 1 Thess. 5.17.
Le quatrième compagnon.
« Je ne suis pas seul, mais le Père est avec moi. » (Jean 8.16).
A l'état de prière correspond un état de grâce. Cet état de grâce n'est autre que la présence de Dieu en nous. A prière constante, présence constante.
« Je ne suis jamais seul », disait Jésus à ses disciples. Pourquoi ? Parce qu'il était toujours, au sens le plus filial du mot, en état de prière.
Vous souvenez-vous des trois Hébreux dans la fournaise de Nébucadnetsar [1] ? Confiants dans le Dieu qu'ils servent nuit et jour, ils ont affronté l'épreuve du feu. Quand le roi s'en vint voir si la flamme les avait consumés, il les vit sains et saufs au milieu du brasier et, avec eux, un « quatrième », qui avait « l'aspect d'un fils des dieux ».
Nébucadnetsar ne se trompait pas. Quiconque est en état de prière ne souffre jamais seul : il traverse l'épreuve avec « le quatrième compagnon ». Dieu est là.
Nous n'avons pas besoin, d'être jetés par un tyran dans un four de flammes pour connaître la souffrance. Il nous suffit pour cela de vivre. Vivre, n'est-ce pas tous les jours mourir un peu ? Vivre, n'est-ce pas subir,sous la surface de notre activité et derrière le masque de nos visages, la tempête intérieure de nos états d'âme qui se contrarient et s'entrechoquent et nous déchirent, montant et descendant comme l'afflux du sang ou la marée des mers ? Vivre, n'est-ce pas se rendre compte que nul ici-bas ne nous comprend parfaitement, et qu'il est des choses qu'on ne peut dire à personne, et qu'en certaines heures on se perdrait dans le vide et dans le désespoir si l'on n'avait pas Dieu, Dieu, pour tout connaître, Dieu à qui tout dire ?
Heureux, bienheureux, le chrétien qui, en se maintenant dans l'état de prière, s'assure pour la fournaise de sa vie la présence du « quatrième compagnon » !
[1] Dan. 3.
Un homme de prière.
« Hénoc marcha avec Dieu. » (Gen. 5.24).
« Il priait davantage qu'il ne parlait », écrit de lui son biographe [1]. Magnifique hommage rendu à cinquante ans de ministère dans la montagne.
Arrêtons-nous devant ce prieur dont je revois toujours la physionomie fruste et débonnaire, clair et profond. Sa biographie pourrait-elle nous découvrir les sources où s'alimentait sa vie de prière ?
Voici trois faits que je relève parmi beaucoup d'autres :
Un jour, un malade incrédule souhaitait voir le pasteur infatigable dont on lui avait vanté la ferveur. Il espérait l'embarrasser par une discussion serrée. Le pasteur vint ; il fut tout sympathie. Le malade, alors, prit l'offensive, dénigra Jésus, déclara que le Galiléen avait moins fait pour l'humanité que le savant qui avait inventé le gaz d'éclairage. Le pasteur se leva, et tendant au malade sa main loyale, lui dit avec un bon regard : « Eh bien, quand vous serez sur votre lit de mort, vous ferez appeler un employé du gaz. » L'accent fut tel que le malade, au lieu de se fâcher, s'humilia, et ce fut le point de départ d'un changement dans son âme. — Le courage de la foi.
Dans une autre circonstance, le pasteur Favez aperçut dans la gare de Leysin un étranger malade, dénué de tout et dont personne ne prenait souci. Il retourna à son presbytère, revint avec une brouette, chargea l'inconnu et le rapporta chez lui où il le soigna longtemps. — La bonté agissante.
L'Eglise Libre et l'Armée du Salut vinrent ouvrir des cultes dans la paroisse. Il les aida lui-même à s'installer. Comme quelqu'un s'en étonnait : « Si je gravis un chemin roide, en tirant un char pesamment chargé, répondit le pasteur, et si quelqu'un par derrière se met à pousser le char, je ne vais pas lui dire : « Que fais-tu là, veux-tu bien t'en aller ! » — La vision du Royaume de Dieu.
Le courage de la foi, la bonté agissante, la vision du Royaume : pour que notre prière se répande devant Dieu, il lui faut ces trois sources. La première nous pousse à l'action, la seconde nous enseigne à ne jamais nous rebuter, la troisième nous empêche d'être jaloux du travail des autres.1
[1] Charles CURCHOD : Souvenirs de Louis Favez (1850-1924), pasteur à Leysin (Vaud).
La prière d'intercession.
« Priez pour moi. » (Eph. 6.19).
La prière d'intercession est comme un mode intermédiaire entre l'oraison individuelle et l'oraison collective. Elle n'est plus seulement un tête-à-tête avec Dieu, elle est aussi une présentation à Dieu. Elle établit entre le sujet qui prie et celui qui est l'objet de la prière une solidarité qui ne pourra trouver pleine satisfaction que dans la prière en commun. Les âmes qui prient les unes pour les autres n'aspirent-elles pas à s'unir dans une même action de grâce ?
Si les chrétiens connaissaient la puissance de la prière d'intercession, ils s'y livreraient avec plus d'instance, plus de joie, et elle ouvrirait dans leur âme une source intarissable de paix.
Un missionnaire me disait un jour : « Epuisé, déprimé, je me rendais au temple, à travers le village, en me demandant où je trouverais l'énergie pour prêcher. En passant près d'une case, j'entendis quelques noirs qui s'y étaient réunis avant le culte : ils intercédaient avec ardeur pour leur missionnaire. Aussitôt, je me sentis transformé. Un moment plus tard, je rendais témoignage à l'Evangile avec des forces renouvelées. »
Etait-il indispensable que ce missionnaire passât devant cette case pour sentir l'effet de la prière d'intercession ? Peut-être, dans le cas particulier ; mais dans la règle : non.
Les sciences psychiques ont établi qu'un homme qui pense à un autre d'une façon intense et continue, agit sur lui. Quand cette pensée toute chargée de volonté s'exprime dans la prière, non seulement elle agit sur l'homme par l'homme, mais elle attire sur celui qui est l'objet de la prière, le dynamisme divin.
Voilà pourquoi la prière d'intercession, magistère de l'Esprit [1], est dans la Bible l'objet des plus magnifiques promesses. Son efficacité est garantie par la moralité de Dieu [2], par l'exemple de Jésus-Christ [3], par le prix qu'y attachent les apôtres [4]
Siècle après siècle, la prière d'intercession obtient de surnaturelles délivrances.
Celui qui prie ne verra pas toujours l'exaucement de sa prière, mais la valeur de la prière n'y perd rien ; l'homme passe, la prière demeure, car elle est allée à Dieu. Et puis, nos vues temporelles sont si courtes dans le domaine de l'Esprit où s'accomplit l'oeuvre de la prière ! Dieu, pour exaucer, a des ressources que notre coeur ignore ; elles débordent le temps de notre vie, Aucun intercesseur n'a le droit de désespérer de quelqu'un qu'il tient dans le champ de son intercession : « L'enfant n'est pas morte, mais elle dort [5]... » « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu [6] »
[1] Rom. 8.26 ;
[2] Nomb 23.19 ; Tite 1.2 ; Héb. 10.23 ;
[3] Jean 17.9-24 ;
[4] Eph. 6.19 Ac 8.15 ; 2 Cor. 9.14 ; Col 1.3 ; Eph, 6.18 ; Jacq. 5.16, etc. ;
[5] Marc 5.39 ;
[6] Jean 11.40.
Un ordre de Jésus.
« Priez le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. » (Mat. 9.38).
« Il leur disait : La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers, priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. »
« La moisson est grande... » Nous le savons. Jamais l'âme des foules, blanches, noires ou jaunes, n'a été mûre comme aujourd'hui pour accueillir l'Evangile libérateur.
« Il y a peu d'ouvriers... » Nous le savons. Partout, évangélistes ou missionnaires ploient sous le fardeau trop lourd pour leurs seules épaules. Comment procurer des ouvriers à la moisson ? Par des appels ? Par des comités de propagande ? Par des tournées de recrutement ?
« Priez donc le Maître de la moisson d'envoyer... ». Voilà l'ordre de Jésus. Ordre révélateur. Ce ne sont pas les hommes qui envoient, c'est Dieu. Et Dieu n'envoie que quand on prie : « Demandez et vous recevrez. »
Si l'Eglise se souvenait de cela, si elle savait établir dans son programme l'échelle des valeurs, organiser ses moyens de puissance et commencer par le commencement, elle grouperait dans une intercession animatrice d'activité tous les chrétiens qui veulent travailler au Royaume de Dieu avec la méthode de Dieu. Qu'ont été dans l'histoire les périodes de réveil ? Elles ont marqué les heures où la prière était revenue au premier plan.
Dans les champs du divin moissonneur, qui agit avant de prier met la charrue avant les boeufs.
La cloche.
« Le Maître est ici et il t'appelle. » (Lire Jean 11).
La Société belge de Missions protestantes au Congo possède une cloche sur laquelle sont inscrits ces mots : « Le Maître est ici, et il t'appelle. » Belle devise ! Et quand la cloche sonne dans la station, à Iremera, quatre-vingt mille indigènes sont atteints par sa voix de bronze. Qu'un jour le sonneur manque pour se pendre à la corde : plus d'appel ; la cloche n'est qu'un objet silencieux, noyé dans sa charpente.
« Le Maître est ici, et il t'appelle. » C'est Marthe qui dit cela à Marie, Jésus est là ; il va ressusciter Lazare... Comment se fait-il qu'il soit revenu, risquant ses jours, dans le village de Béthanie ? C'est parce que les deux soeurs, voyant leur frère agoniser, ont imploré le secours de leur divin Ami. Si Marthe et Marie n'avaient pas prié, Jésus n'aurait pas quitté la Pérée, et Lazare serait resté dans son tombeau.
La vie de tout enfant de Dieu doit être une vie priante. Mais cette vie d'oraison ressemblerait-elle à la vie d'un mendiant ou à la vie d'un courtisan ? Un enfant doit parler la langue de son père. Or, dans le texte inspiré des prières de la Bible, nous voyons que la première place appartient à l'avancement du Royaume de Dieu. « Il faut qu'il règne [1] ». « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé [2] ». « Mais, ajoute saint Paul, comment invoqueront-ils Celui auquel ils n'ont pas cru ? Et comment croiront-ils en Celui dont ils n'ont pas entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler, s'il n'y a personne qui le leur prêche ? Et comment ira-t-on le leur prêcher, s'il n'y en a pas qui soient envoyés, conformément à ce qui est écrit : « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles [3] !
Voilà pourquoi Jésus a dit à ses disciples : « Priez le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson [4]. »
A la cloche, il faut le sonneur ; à la résurrection de Lazare, il faut la demande de Marthe et de Marie ; au Royaume de Dieu, il faut l'appel des âmes en prière.
L'ère des miracles suit l'ère des intercessions.
[1] 1 Cor. 15.25 ;
[2] Joël 2.32 ;
[3] Rom. 10.13-15 ;
[4] Lu 10.2.
L'encensoir d'or.
« Le peuple dit à Samuel : Prie l'Eternel, ton Dieu, pour tes serviteurs !... Samuel dit au peuple : Loin de moi la pensée de pécher contre l'Eternel en cessant d'intercéder pour vous. » (1 Sam. 12.19, 23).
« Vint un autre ange qui tenait un encensoir d'or. On lui donna beaucoup de parfums pour les offrir avec les prières de tous les saints sur l'autel d'or qui est devant le trône.
« Et la fumée des parfums s'éleva de la main de l'ange devant Dieu avec les prières des saints [1]. »
Quelle image saisissante que cet encensoir d'or parfumant au passage la prière qui monte à Dieu ! Ne dirait-on pas que le geste a pour but de doubler la requête humaine d'une angélique intercession ? C'est bien cela. Il y a quelque chose d'angélique dans toute intercession ; et l'intercession est le parfum de la prière.
Offrons à Dieu l'encens d'un coeur qui pense aux autres, qui souhaite pour les autres, qui souffre avec les autres, qui lutte pour le salut des autres. Ne croyons pas que c'est en demandant la bénédiction pour soi que l'on est le plus béni, en réclamant des lumières pour soi qu'on est le plus éclairé, en souhaitant le bonheur pour soi qu'on devient le plus heureux. Le moment où notre coeur se désencombre de nous-mêmes est le moment où Dieu peut le mieux y entrer.
Les hommes qui ont marqué de la plus forte empreinte l'histoire de la révélation : Abraham, Moïse, Samuel, Elie, Jérémie, saint Paul, ont été de grands intercesseurs. Et que dire de l'action de la prière sacerdotale, non seulement sur les destinées de l'Eglise, mais sur nos sentiments personnels de reconnaissance envers le divin intercesseur [2] !
« Simon, j'ai prié pour toi [3]. »
Toute prière faite au nom de Jésus est accompagnée du parfum de l'encensoir d'or de Jésus. Rien ne peut, comme la prière médiatrice, nous associer à l'oeuvre du céleste Médiateur.
[1] Apo 8.3-4 ;
[2] Jean 17.20 ;
[3] Luc 22.31.
Ouvriers avec Dieu.
« Prier les uns pour les autres. » (Jacq. 5.16).
« Nous sommes ouvriers avec Dieu. » (1 Cor. 3.9).
Le grand mystère, le beau mystère de la vie spirituelle tient dans ces mots de l'apôtre Paul : « Ouvriers avec Dieu. » Là est notre grandeur, là, notre dépendance. Dieu ne veut rien sans nous, nous ne pouvons rien sans Dieu. Ainsi l'a établi 'le Père qui destine ses enfants à partager sa gloire. Nous sommes sauvés par grâce, par la foi [1] » Par grâce : c'est Lui ; par la foi ; c'est nous. Otez l'un des deux termes, toute l'oeuvre de Jésus-Christ s'effondre. Point de promesse que nous ne fassions à Dieu sans attendre de Lui la force d'accomplissement ; point de promesse que Dieu nous fasse sans attendre de nous la possibilité de réalisation. En un sens, on peut donc dire que les promesses que nous faisons à Dieu, c'est lui qui les tient, et que les promesses que Dieu nous fait, c'est nous qui les tenons. Y avons-nous pensé ? Avons-nous saisi combien cette interpénétration resplendit dans la prière ? Dieu sait de quoi nous avons besoin et veut que nous le lui demandions.
La solidarité qui nous unit à Lui dans l'oeuvre de notre salut, nous unit aussi à Lui dans l'oeuvre de salut des autres. Là aussi Dieu réclame que nous soyons ouvriers avec Lui. Notre part, outre le témoignage et l'exemple, c'est l'intercession fraternelle. Comme l'a écrit C.-E. Bahut : « Dieu ne sauve l'homme que par le moyen de l'homme... Celui qui prie pour un de ses semblables augmente la somme des forces qui, dans l'univers, travaillent au bien de cet homme-là. »
Mais voilà : beaucoup de chrétiens se trament comme des assistés sur le chemin de la grâce, au lieu de marcher comme des ouvriers sur le chemin de la foi. Attitude commode pour aujourd'hui, dangereuse pour demain ; car Jésus a déclaré : « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n'entreront pas dans le Royaume des cieux, mais ceux-là seulement qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux [2]. »
[1] Eph. 2.8 ;
[2] Mat. 7.21
« Il y a encore de la place ».
« Le serviteur vint dire : On a fait ce que tu as commandé et il y a encore de la place. » (Luc 14.22).
« Ne désertons pas nos réunions comme quelques-uns ont pris l'habitude de le faire. » (Héb. 10.25).
« Il y a encore de la place. »
— Au grand souper de la parabole [1] ? — Non : dans le cercle des intercesseurs.
Depuis quelques années on redouble de zèle pour multiplier les ressources de l'Eglise, et l'effort n'a pas été vain. Il faut qu'au cercle agrandi des donateurs corresponde le cercle agrandi des intercesseurs.
« Allonge tes cordages et affermis tes pieux », dit l'Eternel par son prophète [2], ce qui signifie : gagne en étendue, mais en même temps, pour que le vent du désert n'emporte pas tes tentes, assure-toi en profondeur.
Quand Jésus nous apprend à prier : « Notre Père qui es au cieux, donne-nous notre pain !... », il nous enseigne que l'aliment matériel, pour être béni, doit avoir comme première origine le dispensateur de toutes grâces.
Dans le cas des activités chrétiennes, la chose est évidente, car, seules, les ressources obtenues de Dieu seront accompagnées des inspirations nécessaires à leur emploi : souplesse pour consentir à certains sacrifices ; discernement pour choisir les ouvriers, les ouvrières, et pour percevoir, dans la marche de l'oeuvre elle-même, les indications d'en haut ; sens spirituel pour comprendre ceux qui peinent à la tâche et pour les soutenir par des visites fraternelles ou par une correspondance réconfortante ; intuitions dévoilant, à l'heure décisive, le dessein de Dieu, lequel ne répond pas toujours à notre plan.
Tout cela, ce n'est pas l'argent qui le donne, même quand il abonde : c'est le fruit du recueillement, de la vie intérieure et l'intercession persévérante.
Vous tous qui « aimez l'avènement du Seigneur » et qui voulez travailler efficacement à la venue de son Royaume, pensez qu' « il y a encore de la place » dans le cercle des intercesseurs.
[1] Luc 14.22 ;
[2] Esa 54.2.
La prière en commun.
« Si deux d'entre vous sur la terre s'accordent pour demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux. » (Mat. 18.19-20).
La prière individuelle, la prière dans le secret [1], est la condition première de la communion avec Dieu, source de toute vie.
Par l'intercession, le prieur vit en esprit avec ceux pour qui il intercède. Déjà, il n'est plus seul.
Jésus réunit les prieurs individuels en une prière collective : « Si deux d'entre vous s'accordent pour demander... » et il sanctionne leur effort commun de sa divine présence.
Après le départ de leur Maître, les disciples, dans la première chambre haute, se livraient à la prière en commun « avec persévérance et d'un même coeur [2].
La première Pentecôte fut une réponse à l'accord spirituel des apôtres [3].
La première Mission est née de la prière en commun : « Après avoir prié, ils imposèrent les mains à Barnabas et Saul et les laissèrent partir [4]. »
Le premier et le plus grand des missionnaires, saint Paul, réclame une union de prières en faveur de la Mission : « Frères, priez pour nous.., demandant à Dieu qu'il ouvre une porte à notre prédication [5]. »
Jésus donne des encouragements spéciaux et fait de grandes promesses à la prière où les chrétiens groupés ou dispersés s'unissent pour adresser â Dieu une même requête.
Ainsi, l'intercession collective fait partie de la discipline du peuple de Dieu. Elle est aussi un des principaux éléments de sa puissance et de sa joie.
[1] Mat. 6.6 ;
[2] Ac 1.14 ;
[3] Comp. d'un commun accord dans Ac 2.1 et dans Ac 1.14 ;
[4] que 13.3 ;
[5] 1 Thess. 5.25 et Col. 4.3.
Réunions de prières.
« Ils priaient ensemble. » (Actes 2.42).
De quand datent les réunions de prières ? Du jour où les disciples demandèrent à Jésus : « Seigneur, enseigne-nous à prier [1]. » Jésus leur répondit en leur apprenant à dire : « Notre Père... donne-nous. »
L'Oraison dominicale n'est pas une oraison de solitaires, elle est une oraison de solidaires.
En elle, l'Eglise est née.
Comme la communion de Christ avec ses rachetés culmine dans le mystère de la Sainte Cène, la communion des frères en Christ s'accomplit dans la réunion de prières. C'est là que la communauté s'affirme, là se mesure son degré de vie, se manifestent ses besoins, s'élaborent ses progrès, s'obtiennent les miracles qui la rendent victorieuse du monde.
C'est l'Eglise qui prie en tant qu'Eglise et qui reçoit comme telle la puissance d'en haut : « Quand ils eurent prié, le lieu où ils étaient assemblés trembla et ils furent tous remplis du Saint-Esprit [2]. »
Je me souviens d'une paroisse où l'on avait coutume de se réunir trois fois par an, en janvier, à Pâques et à la Pentecôte, pour une semaine de prières. Chaque jour, la présence de Dieu se faisait plus sensible. Vers la fin de la semaine, ce n'était pas le local qui tremblait, c'étaient les âmes qui étaient secouées par un saint tremblement, et l'Esprit descendait. Les plus frappantes conversions qu'il m'ait été donné de contempler, je les ai vues là.
Dieu exauce aujourd'hui comme au temps de l'Eglise primitive, mais c'est l'Eglise qui a abandonné les saintes pratiques des temps primitifs. Elle ne manque ni de sermons, ni de méditations, ni de conférences ; ce qui lui manque, c'est l'usage de la prière collective poursuivie pendant plusieurs jours de suite avec persévérance. La prière en faisceau. Celle-là précisément dont Jésus a dit le pouvoir souverain.
[1] Luc 11.1 ;
[2] Ac 4.24 ; cf. 12.5.
La grande trahison.
« Que vous semble-t-il de ceci ? Un homme avait deux fils. Il s'adressa au premier et lui dit : Mon enfant, va aujourd'hui travailler à la vigne. Il répondit : Oui, Seigneur ! Et il n'y alla point... » (Mt. 21.28-29).
« Si deux d'entre vous sur la terre s'accordent pour demander quelque chose, ils l'obtiendront », dit Jésus. La coopération dans la prière est un acte auquel Jésus a attaché une promesse. Elle est donc une arme qui nous est confiée, un talent qu'il faut faire valoir pour Dieu. Jésus rappelle durement au serviteur inactif qu'un talent n'est pas un trésor à enfouir, mais une puissance qui doit servir.
Que dirait-on d'un fermier qui, après le temps des moissons, viendrait dire au propriétaire : Tu m'avais confié vingt sacs de semence : je te les rends intacts, aucun grain ne s'est perdu ?
Si, dans la nature, le nid pouvait dire au Créateur : Tu m'avais confié cinq œufs, les voilà, je n'en ai cassé aucun ; si le sillon pouvait lui dire : Tu m'avais confié des semences, je te les rends sans en avoir laissé pourrir aucune, ce serait, en une année, la mort de toute la nature.
Toute force de vie doit servir à propager la vie, tout moyen de défense doit servir à repousser l'ennemi, toute promesse faite par Jésus est une grâce qu'il faut qu'on emploie pour hâter son avènement. N'est-ce pas une trahison que de laisser inactif un moyen d'action que Dieu nous a donné, qu'il s'est engagé à bénir, et dont il nous redemandera compte ?
« Seigneur, enseigne-nous à prier ! » et à ne pas « déserter nos réunions comme quelques-uns ont pris l'habitude de le faire » [2].
[1] Luc 11.1 ;
[2] Héb. 10.25.
Les disciplines de la prière collective.
« Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes, car Dieu n'est pas un Dieu de désordre, mais un Dieu de paix. » (1 Cor. 14.33).
Les fonctions les plus hautes sont celles qui demandent la plus sévère discipline. Or la prière en commun est plus qu'une fonction, elle est un sacerdoce. Elle exige donc du prieur une vigilance appropriée à la sainteté de son caractère.
D'autre part, notre temps n'en est plus à la psychologie simpliste qui mettait une cloison étanche entre l'âme et le corps. Comme l'écrivait récemment un éminent physiologiste : « L'homme pense, aime, souffre, admire et prie à la fois avec son cerveau et avec tous ses organes ». Par ce fait, le chrétien qui participe à une réunion de prières se trouve exposé à des influences obscures. Il y a plus. La prière, en unifiant nos activités de conscience et nos activités organiques, détermine dans nos fonctions nerveuses un pouvoir d'action exceptionnel. Ce pouvoir excité par la collectivité y devient aisément contagieux. Contagion de vie, mais aussi, dans certains cas, contagion de mort.
Dès lors, le chrétien devra, tout en s'abandonnant b la communion fraternelle, dont nous avons marqué le bienfait, résister aux courants qui naissent si aisément dans les foules, aux exaltations grégaires où la loi de l'espèce nous rabaisse aux instincts primitifs alors que nous croyons atteindre aux communications divines. Dans ce cas, le prieur est dupe comme est dupe l'enfant qui, appliquant une coquille contre son oreille, croit entendre la rumeur de l'océan tandis qu'elle lui renvoie le battement de ses propres artères.
Dieu ne nous a pas donné le contrôle de nous-mêmes dans la vie ordinaire pour nous l'enlever dans notre vie supérieure. Le vrai mysticisme n'est pas celui où l'âme sombre dans une sorte d'ébriété spirituelle, mais celui qui l'élève à une lucidité plus grande dans la lumière de Dieu approché. Et cette lucidité, en nous révélant plus clairement ce que nous sommes par rapport au Seigneur, nous confirme dans un recueillement fait d'ordre, de bienséance et d'humilité. Par la prière collective, il ne s'agit pas de se perdre en Dieu, mais de se retrouver en Dieu, ce qui est fort différent.
En rappelant aux Corinthiens que « l'esprit des prophètes est soumis aux prophètes », Paul nous avertit que Dieu n'est pas un Dieu de confusion qui nous mette hors de nous-mêmes, nous exposant ainsi à être de bonne foi et le jouet de notre imagination, de notre tempérament, ou même de la puissance démoniaque déguisée en ange de lumière.
L'aberration où tombèrent au temps des Camisards certains inspirés des Cévennes doit nous mettre en garde contre tous les ordres d'exaltés qui se prétendent poussés irrésistiblement par l'Esprit et qui cherchent dans leurs pratiques à nous faire partager leur exaltation. « Tout esprit n'est pas l'Esprit du Seigneur. »
La prière liturgique.
« Un jour dans tes parvis vaut mieux que mille ailleurs... » (Ps 84).
« Venez, prosternons-nous, inclinons-nous; ployons les genoux devant l'Eternel, notre Créateur ! » (Ps. 95).
« Esdras bénit l'Eternel, le grand Dieu, et tout le peuple répondit, en levant les mains : Amen ! Amen ! et ils s'inclinèrent et se prosternèrent devant l'Eternel, le visage contre terre. » (Néh. 8.6).
Ne la négligeons pas : une grâce est en elle. Ne la sous-estimons pas sous prétexte qu'elle revient tous les dimanches et que souvent, hélas ! elle est mal lue. La prière liturgique n'est pas une survivance du ritualisme dans le culte en esprit. Elle n'est pas une béquille tendue à qui serait incapable d'une prière de coeur. Elle est le coeur de l'Eglise qui prie.
Nous sommes si ombrageux dans notre individualisme, qu'il nous semble qu'une prière n'a de prix devant Dieu que lorsqu'elle porte notre marque ; comme si l'affirmation du moi était une garantie de sincérité, de spiritualité. « Il y a un temps pour tout », a dit l'Ecclésiaste : un temps pour la prière personnelle dans le secret de la chambre fermée ; un temps pour l'intercession où deux s'accordent, exaucés par Jésus [2] ; un temps où, par la prière liturgique du culte, s'affirme l'âme du corps de Christ qui est l'Eglise.
La prière liturgique parlant au nom de tous, fondant toutes les âmes en une prière qui leur est proposée, met chacun au bénéfice de l'oraison de tous, et met l'oraison de chacun au service de tous. Sa voix qui revient, immuable, rappelle aux fidèles les bénédictions qu'ils ont déjà reçues dans le sanctuaire. Elle évoque les générations qu'ils y ont connues, aimées et qui les attendent dans la gloire. Elle réveille dans le coeur de chacun des échos oubliés ; elle prolonge, par l'effort de tous, la visite de Dieu en l'homme. Elle fournit une expression à la « communauté d'esprit » dont parle saint Paul aux Philippiens [3], un langage à la « communion des saints » que déclare le Symbole des apôtres. « Ce n'est pas du passé qu'elle s'inspire, mais de l'éternel. e Elle nous élève dans ses formules jusqu'aux paroles sacramentelles de la Sainte Cène.
Par son « nous », où s'accomplissent l'humilité individuelle et la force collective, elle dispose à prier le « Notre Père qui es aux cieux », sommaire et sommet de la prière liturgique par Jésus lui-même donnés.
[1] Mat. 6.6 ;
[2] Mat. 18.19 ;
[3] Phil. 2.1.
Prière et providence.
« Priez pour que votre fuite n'arrive pas en hiver ! » (Mat. 24.20).
« Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai... Tout est possible en faveur de celui qui croit [1]. » Ces deux déclarations de Jésus nous apprennent que la puissance de la prière n'est limitée ni par le pouvoir ni par le vouloir de Dieu ni par la nature des choses, mais seulement par notre propre insuffisance.
« Priez pour que votre fuite n'arrive pas en hiver », dit encore Jésus [2]. Voilà une parole de miséricorde qui ouvre à la prière tout le champ du monde physique. Elle réduit à néant l'opinion d'après laquelle Dieu, toujours prêt à exaucer les requêtes de l'ordre moral ou spirituel, n'intervient pas dans le domaine matériel parce qu'il a fixé des lois dont la science a découvert le jeu et le caractère immuable.
Sur ce dernier point, on pourrait discuter. Mais si la raison humaine n'était pas aussi orgueilleuse dans ses prétentions que limitée dans ses moyens, il ne viendrait à l'idée d'aucune personne raisonnable, après avoir affirmé Dieu, de nier qu'Il puisse intervenir quand Il veut et où Il veut, au gré de Son amour et de Sa pédagogie.
S'imagine-t-on qu'Il s'est emprisonné dans le réseau de ses lois naturelles comme le ver qui tisse autour de lui les fils de son cocon ? Avons-nous fait le tour de la personnalité divine, pour être à même de savoir ce qui est, oui ou non, dans ses possibilités ?
Un seul a connu Dieu, parce qu'il venait de Lui et qu'il vivait en Lui : Jésus-Christ. Or, c'est Jésus-Christ lui-même qui nous informe ici de l'action de la prière sur la marche des événements et sur les dispensations providentielles.
Si Dieu a donné des lois à la nature, ce n'est pas seulement par souci d'ordre, mais aussi pour qu'elles servent de point d'appui à la liberté. Cette liberté, Il la conserve entière, et nous y fait participer par la prière ; en sorte qu'on peut appliquer ici la déclaration de l'apôtre Paul : « Tout est à vous, et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu [3]. »
Que les croyants qui ont la pieuse habitude de parler à Dieu de toutes les circonstances de leur vie, même les plus extérieures et les plus matérielles, continuent de prier avec une filiale confiance. La pauvre femme qui balaie sa maison pour retrouver sa drachme perdue, le berger qui explore le désert à la recherche de sa brebis égarée sont aussi fondés à compter sur l'aide du Tout-Puissant que le père du fils prodigue lorsqu'il demande à Dieu de ramener à lui le coeur de son enfant.
[1] Jean 14.13 ; Luc 9.23 ;
[2] Mat. 24.20, cf. Jac. 5.17 ;
[3] 1 Cor. 3.22.
Mettre Dieu à l'épreuve.
« Qui demande reçoit. » (Luc 11.10).
« Mettez-moi de la sorte à l'épreuve et vous verrez si je n'ouvre pas pour vous les écluses des cieux. » (Mal. 3.10).
Chaque nouvelle année est un sillon qui s'offre à notre labeur.
Le laboureur des pays envahis, après la guerre, retournait son champ dans le péril des obus non éclatés ; aujourd'hui, nous traçons nos sillons en des jours où le péril des crises politiques, économiques et sociales ôte à l'Eglise toute sécurité.
Jamais le brouillard n'a pesé plus épais sur la mêlée humaine. Comment obtenir que la lumière d'en haut perce toute cette obscurité ?
L'histoire nous apprend que, partout et toujours, les interventions libératrices de Dieu sont des exaucements. Quand les Hébreux, par la prière messianique, quand les païens par la religion des mystères ont demandé à Dieu d'envoyer à la terre un Germe de vie éternelle, Dieu a envoyé son Fils, Jésus-Christ.
Toute révélation, tout secours a pour condition la parole du psalmiste : « Approchez-vous de Dieu, alors il s'approchera de vous », et pour la triple affirmation de Jésus : « Qui demande, reçoit ; qui cherche, trouve, et l'on ouvre à celui qui heurte. » « Celui qui heurte », c'est l'homme en prière. « On ouvre » : c'est la délivrance de Dieu.
L'appel divin par lequel Malachie stimule chez les Juifs de la Restauration l'esprit de sacrifice s'applique avant tout, et dans tous les temps, à la prière de la foi :
« Mettez-moi de la sorte à l'épreuve, dit Jéhovah, et vous verrez si je n'ouvre pas pour vous les écluses des cieux ! »
Le remède à l'inquiétude.
« Ne vous inquiétez de rien, mais priez. » (Phil. 4.6).
Dans sa lettre aux Philippiens, écrite à une heure où les pires angoisses assaillaient le coeur de saint Paul, prisonnier à Rome, l'apôtre oppose la prière à l'esprit d'inquiétude.
« ...Priez en rendant grâces et en exposant vos besoins à Dieu, alors la paix de Dieu, qui surpasse toute compréhension, gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ [1]. »
Ceci est d'une grande vérité psychologique. Réfléchissez, et vous verrez que l'inquiétude peut être ramenée à deux sources : une sensation d'isolement et un sentiment d'incertitude. Isolement et incertitude disparaissent devant l'attitude de celui qui prie avec ferveur. L'isolement, parce que la prière est un tête-à-tête avec Dieu. Celui qui prie n'est jamais seul. L'incertitude, parce que Jésus, au nom de qui nous prions, a dit : « Votre Père connaît vos besoins avant que vous les formuliez [2].
Sentez-vous bien tout ce qu'il y a de rassurant dans cette affirmation du Sauveur ? Ce qui nous trouble, c'est que nous ne savons pas toujours si notre demande est conforme à notre véritable bien. Ce que nous appelons « nos besoins », c'est quelquefois « nos préférences s. Dieu, lui, ne confond pas « préférence » et « besoin ». Dans son amour paternel, Il refuse la préférence si elle est contraire à notre intérêt spirituel, et Il accorde dans sa puissance ce qui est conforme à nos besoins.
Approchons-nous de Lui par la prière ; remettons-nous-en à Lui, qui sait ce qu'il nous faut et veut nous le donner ; acceptons filialement le choix divin qu'Il fait dans nos demandes où se confondent nos préférences avec nos besoins... et l'inquiétude qui nous a fait tomber à genoux se résoudra, pendant notre prière, en adoration.
[1] Phi 4.6-7 ;
[2] Mat. 6.8.
Prière et influence.
« Je vous le déclare, au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu'ils auront dite. » (Mat. 12.36).
Voilà un texte troublant.
Parole vaine signifie ici parole qui ne porte pas de fruit. Encore si ces paroles vaines n'étaient qu'inutiles ! Mais leur intempestivité même peut les rendre nuisibles.
Et que dire des paroles légères, malséantes, hypocrites, blasphématoires ! N'alléguons pas pour excuse que la plupart du temps ces propos sont badinage sans conséquence. Leur action est plus grande que nous ne pensons, Ils sont aussi révélateurs, car, a dit Jésus, « c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle ». « Dès lors », écrit Louis Bonnet, « nos paroles sont, comme manifestation de l'intérieur, le protocole de notre procès devant Dieu ». « Par tes paroles, conclut Jésus, tu seras justifié et par tes paroles tu seras condamné. »
Prions pour que Dieu nous apprenne à veiller sur notre langue ; nous apprendrons ainsi à veiller sur notre coeur.
Revenons maintenant à la déclaration de Jésus sur les paroles vaines, c'est-à-dire inutiles et oiseuses. Il y a là de quoi faire réfléchir les chrétiens qui ont une tendance trop marquée à sermonner, surtout en matière d'éducation.
Combien de parents ont éloigné leurs enfants de la foi en les saturant de versets de la Bible, d'histoires pieuses, de cultes qui ne leur étaient point appropriés ! Comme un parfum s'évente quand il est constamment exposé à l'air, l'influence se perd quand elle est exercée sans discrétion. L'enfant blasé sur les choses de Dieu par des exhortations incontinentes devient imperméable à l'action de l'Esprit.
Parents, c'est à genoux que vous ferez pour Dieu la conquête de vos enfants. Vous les gagnerez, même « sans le secours de la parole » [2] quand ils pourront reconnaître dans votre exemple les marques de la communion divine, et qu'ils verront briller dans vos yeux la clarté qui resplendissait sur le visage de Moïse lorsqu'il descendait de ses entretiens avec Dieu [3].
[1] Cf. Jacques 3.2-10 ; Eph. 5.4 ; Col. 3 ;
[2] 1 Pierre 3.1 ;
[3] Exode 34.29 ; — voir : La prière et la volonté.
L'action de la prière.
« Si vous aviez de la foi..., même si vous disiez â cette montagne ; Soulève-toi et jette-toi dans la mer..., cela se ferait. Et tout ce que voue demanderez avec foi, vous le recevrez. » (Mat. 21.21-22).
Une lettre m'est arrivée des environs de New-York, d'une Eglise petite, mais où l'esprit de prière entretient la ferveur. On m'y raconte que le pasteur, à la fin d'une réunion pour les Missions, tenue le mois dernier, a dit à ses paroissiens : « La station de X a besoin d'un missionnaire. Dans sa pauvreté, elle le demande à Dieu. L'homme est trouvé, mais la Société en déficit ne peut accepter ses services. Qui donc se lèvera pour permettre à Dieu d'exaucer la prière de ses enfants ?... » Après un moment de recueillement, un membre fortuné de l'Eglise se dressa, et de son banc : « Monsieur le pasteur, je me charge de ce missionnaire ; son équipement, son voyage, son entretien, je les prends entièrement à ma charge. ». Et le missionnaire a été envoyé.
Heureuses les Eglises où ceux qui le peuvent font des gestes comme celui-là. Quant à ceux qui ne le peuvent pas, — et ils sont le grand nombre, — qu'ils se souviennent que les gestes de cette nature sont des exaucements. C'est la prière qui les provoque. La prière de celui qui n'a pas peut ouvrir la bourse de celui qui a. Tout se tient dans le Royaume de Dieu, et le point de départ de tout, c'est la prière. Mais une prière vaut ce que vaut l'attitude morale de celui qui la fait.
Mettre son corps à genoux, c'est bien. Mettre son âme à genoux, voilà l'essentiel. Une âme à genoux, c'est une âme ployée devant Dieu, une volonté qui se plie à la volonté divine, qui veut le programme évangélique et qui, dans la mesure où elle le peut, le vit.
Celui qui parle avec cette attitude d'âme, prie d'accord avec Dieu et selon Jésus-Christ. Il exauce Dieu : Dieu l'exaucera.
La prière et la lecture de la Bible.
« Si quelqu'un de vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu... et elle lui sera donnée. » (Jacq. 1.5).
L'Eglise de Jésus-Christ n'est pas seulement la « Société des fidèles », elle est aussi la « Mère des fidèles ». Comme Mère, elle a le devoir d'instruire et d'éduquer. A ce titre, elle ne saurait se désintéresser un seul instant de l'enseignement que donnent, en son nom, ses pasteurs et ses théologiens. Mais elle ne saurait oublier, au risque de s'engager dans une voie où elle multiplierait ses erreurs, qu'aucune autorité humaine n'a reçu le droit de s'interposer entre les consciences et la Parole de Dieu. Christ seul, parce que seul il régénère, a le pouvoir d' ouvrir l'esprit » [1] et d' expliquer » aux croyants, à travers toutes les Ecritures, ce qui le « concerne » [2]. C'est donc à Lui qu'avant d'aborder le Saint Livre il faut avoir recours.
Avant de lire, il faut prier.
Le pieux réformateur Capiton rappelle aux Bernois, dans son Synodus [3] « L'ordre que nous devons suivre, c'est, avant de prendre en main la Bible, de commencer par la prière ; prière qui doit être sincère et selon l'Esprit. Ce qui caractérise cette prière de l'Esprit, c'est que le Saint-Esprit pousse celui qui prie, tout d'abord,à rendre grâces à Dieu avec un grand amour pour les bienfaits reçus. Puis l'Esprit pousse à demander que le Seigneur veuille bien nous délivrer des défauts et de l'ignorance qui pèsent encore si malignement sur nous. La prière permet au coeur de se répandre et le prépare à saisir et à retenir le sens et le conseil de Dieu, qui est caché dans la lettre. Autrement, on lit la sainte Ecriture sans dévotion comme une histoire profane et la raison seule s'y exerce. Aussi n'en sort-il rien d'autre qu'une sagesse charnelle, tout enflée, qu'on répète ensuite... C'est pourquoi il est fort bien dit dans l'épître de Jacques : « Si quelqu'un parmi vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu ».
« Après que la prière a été ainsi faite d'un coeur repentant et altéré de grâce, on doit ouvrir le livre et le lire comme Parole de Dieu..., en gardant le désir instant qu'a suscité la prière, jusqu'à ce que l'on sente couler d'en haut, dans son coeur, quelque chose de cette intelligence divine que le lecteur doit nécessairement recevoir. »
Le fait que tant de nos lectures bibliques restent sans effet sur notre âme ne viendrait-il pas de ce que nous avons négligé « l'ordre » et que nous avons lu avant d'avoir prié ?
[1] Luc 24.45 ;
[2] Luc 24.25.
[3]L'Alsacien Capiton, a le plus individualiste et le plus spiritualiste des réformateurs du XVe siècle (1478-1541), qui seconda Bucer à Strasbourg, vint au secours de Berne dans une heure troublée et rédigée pour ses pasteurs le Synodus (1532), traité de théologie pastorale plein de saveur et que les protestants d'aujourd'hui auraient, chez nous, grand profit à méditer.
La prière et le coeur.
« Tu aimeras l'Eternel de tout ton cœur... » (Deut. 6.5).
« Le coeur de l'homme délibère sur sa voie », lit-on dans les Proverbes ; « Prie le Seigneur pour que la pensée de ton coeur te soit pardonnée », dit Simon-Pierre à Simon le Magicien. Ainsi, pour la Bible, le coeur pense. Ceci répond bien à nos expériences. Qu'est-ce que la convoitise ? Un élan de notre être où idée et sentiment collaborent dans une union qui défie toute analyse. Dans la convoitise, l'idée est sentiment, et le sentiment idée. Quand la convoitise naît des instincts de la chair, elle met tout le coeur en péril. Comment sauver le coeur de cette attaque combinée et souvent brusquée ?
Par la prière.
Les pieux solitaires de l'Eglise primitive et du Moyen Age — que leur situation contre nature exposait à tous les refoulements, à toutes les exaltations intérieures et surtout à la vie de l'imagination qui est la plus dangereuse de toutes — nous ont laissé le récit de leurs luttes tragiques. Nous y voyons qu'à l'heure où le désert se peuplait pour des fantômes de la tentation mondaine, à l'heure où leur méditation prolongée devenait défaillante, une seule arme demeurait efficace pour éteindre ce que l'apôtre Paul appelle « les traits enflammés du Malin », c'était la prière.
Pourquoi ?
Parce que la prière, qui prosterne le corps, élève le coeur dans l'atmosphère des altitudes spirituelles. Or, c'est dans l'atmosphère de l'altitude que meurent les fleurs d'en bas et que naissent les fleurs d'en haut. Vous ne cueillerez pas un edelweiss dans la plaine. Vous ne ferez pas non plus fleurir les vertus chrétiennes dans une vie sans prière Pour que le coeur puisse atteindre aux régions supérieures où avortent naturellement les pensées de la chair et où mûrissent naturellement les fruits de l'Esprit, il faut qu'il monte.
Prier, c'est monter.
La prière et la pensée.
« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de toute ta pensée. » (Mat. 22.37).
« Tu aimeras l'Eternel ton Dieu de toute ta pensée », a dit Moïse au peuple élu. La philosophie humaine divise notre personnalité en intelligence, coeur, conscience, volonté... La Bible, qui connaît bien l'homme, ne connaît pas tous ces compartiments. Pour elle, la pensée aime.
Ceci est de grande portée. Si la pensée était une lumière froide qui se borne à éclairer, il serait moins urgent de la surveiller, mais la pensée est une flamme ; à l'occasion, elle jaillit de nos passions et elle échauffe nos instincts. Par elle, nous pouvons être amenés à vivre deux vies : l'une, celle qu'on voit, obéit aux bienséances, bridée par la morale et par la religion ; l'autre. dans les replis obscurs de notre être, caresse notre imagination et la dévergonde, car, comme dit Philippe de Commines, « la nuit n'a pas de honte ».
Malheur à qui s'abandonne à cette dualité : la vie vécue et la vie pensée. C'est elle qui fait marcher dans l'hypocrisie, elle qui entretient, — et pour cause, — la peur de la mort.
Pour abolir cette dualité, je ne sais qu'un remède efficace : la prière.
La prière est une attitude qui nous met dans la lumière de Dieu. La lumière écarte tous les oiseaux de nuit.
La prière est une lutte où tout notre être tend vers Dieu. Elle coordonne ainsi nos énergies psychiques, empêchant nos pensées de descendre en maraude vers les mauvaises suggestions.
La prière est une adoration. Comment contempler le Dieu d'amour dans sa miséricorde en Christ, sans éprouver le désir d'aimer, de pardonner, de nous unir à Lui avec tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes ?
Ainsi se réalise, par la prière habituelle, l'unité de notre personne morale ; ainsi sera exaucée dans un sens profond la prière de Jésus : « Père, qu'ils soient un comme nous sommes un. » Réfléchissez : si Jésus a pu dire : « Moi et le Père nous sommes un », c'est parce qu'il avait d'abord affirmé : « Le Prince de ce monde vient, mais il n'a rien en moi. »
La prière et la volonté.
« Tu aimeras l'Eternel, ton Dieu..., de toute ta force. » (Deut. 6.5).
Plus que jamais, à notre époque de fièvre et de nervosité, le chrétien a besoin d'acquérir la maîtrise de lui-même. Cette maîtrise, condition de la paix de l'âme, ne s'obtient que par l'éducation de la volonté.
Comment faire l'éducation de sa volonté ? Par la prière.
Un homme veut s'engager dans une entreprise. Pour s'éclairer, il en parle à tout le monde et bientôt, à force de conseils, il ne sait plus quel parti prendre. S'il en avait parlé à Dieu, son Père céleste lui aurait donné les directions cardinales propres à éclairer sa volonté et à l'empêcher, tout au moins, de s'arrêter à une décision nuisible pour lui et pour les autres.
Une femme voulait amener son fils au Seigneur et ses exhortations n'aboutissaient à rien. Elle s'en ouvrit à Fénelon. « Je vous conseillerais, répondit celui-ci, de parler à Dieu de votre fils, plutôt que de parler de Dieu à votre fils. » L'expérience donne raison à Fénelon. Seul, l'apport d'énergie spirituelle obtenu par la prière permet aux pauvres créatures que nous sommes d'éprouver qu'en effet : vouloir c'est pouvoir.
Que si une personne, étrangère encore à l'expérience religieuse, me disait : « Le manque d'orientation, le manque d'énergie dont je souffre porte précisément sur le fait de la prière ; la prière ne m'attire pas ; Dieu reste insensible à ma prière ; je ne sais comment il faut prier »... je lui répondrais : « Surmontez vos hésitations, vos répugnances même, parlez à Dieu avec confiance, humblement, sans avoir peur du silence qui d'abord régnera dans votre âme, et peu à peu, dans ce silence, vous entendrez monter la voix de Dieu ; vous percevrez Sa présence et le monde supérieur vous pénétrera. Mais mettez-y le temps. Le temps est la force des faibles.
La prière et la conscience.
« Je rends grâces à Dieu... avec une conscience pure, faisant mention de toi sans cesse, nuit et jour, dans mes prières. » (2 Tim. 1.3).
« Ce qui fait notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience », écrit saint Paul aux chrétiens de Corinthe. Cette gloire ne rapporte aucun honneur sur la terre, elle impose des sacrifices à celui qui la recherche ; mais elle lui donne en échange une grâce ineffable : la liberté dans la prière. Si l'apôtre parlait à Dieu avec une joyeuse assurance, c'est qu'il pouvait dire aux hommes : « Dieu sait que je ne mens pas. »
Il y a des gens qui se préoccupent toujours de la franchise des autres et qui la suspectent. C'est un fâcheux son de cloche. L'expérience ne nous a-t-elle pas appris que l'homme, de façon générale, prête à son semblable les qualités dont lui-même jouit, et suppose chez autrui les défauts dont, en secret, il souffre ?
Il n'y a point de secret pour Dieu. Un regard qui se dérobe ne dérobe rien à Dieu, et quand il se lève vers Dieu, il se trouble. Comment accorder avec cela la liberté du témoignage et le désir de la prière ? Au lieu d'attribuer aux autres les causes de notre malaise quand c'est le moment de prier, demandons-nous plutôt si les ombres que nous leur reprochons ne sont pas projetées sur eux par notre mauvaise conscience.
Comme la fumée bleue du chalet a besoin, pour monter vers le ciel, que l'air de la vallée soit tranquille, la prière, pour s'élever vers Dieu, a besoin que l'atmosphère intérieure soit paisible. Un trouble, même léger, la détourne ; le doute brise son élan et la dissout. Une bonne conscience est un sanctuaire où il fait clair et que la paix habite. La confiance y naît et en rayonne : elle décuple les puissances du coeur et l'élan de l'intercession. Quand on croit pouvoir obtenir et quand on aime celui pour qui on demande, la prière ne jaillit-elle pas comme une flamme ?
Lorsque les habitants de la Côte d'Ivoire vont trouver un évangéliste et lui demandent de prier pour eux, à l'occasion d'une maladie, d'un accident ou d'une épreuve quelconque, l'humble prédicateur noir refuse de prier avant que le demandeur ait confessé ses péchés, c'est-à-dire se soit mis en règle avec sa conscience. Voilà qui est bien sorti de nos moeurs.
Ces habitudes des jeunes communautés africaines nous ramènent tout simplement aux usages de l'Eglise primitive dont saint Jacques nous parle quand il dit : « Confessez vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres. » Rome a essayé de justifier par ces paroles l'institution du confessionnal. Le seul fait de mettre ensemble prière et confession montre assez qu'il ne s'agit pas pour le frère du Seigneur d'une fonction sacerdotale, mais d'une entraide fraternelle permettant au chrétien qui va prier de se présenter devant Dieu avec « une conscience pure ».
La prière révélatrice.
« Crie vers moi et je te répondrai ; je te révélerai de grandes choses, des choses cachées que tu ne connais pas. » (Jér. 33.3).
Un père cruellement tourmenté par la conduite de son fils me disait un jour : Par la tendresse, par les remontrances, par les mesures disciplinaires, je ne suis arrivé à rien ; humainement, j'ai perdu toute espérance. Mais j'ai confiance quand même, car je parle de lui à Dieu, et voici que lorsque j'ai prié et pleuré longtemps à genoux et que je reste là, abîmé dans ma douleur, il m'arrive d'entendre distinctement une voix qui me dit « Il reviendra ».
Et, en effet, il est revenu.
C'est que la prière n'a pas seulement pour but d'exercer la piété, elle est, pour la piété même, révélatrice, parce que Dieu nous y parle.
C'est dans la prière que Moïse apprend qu'il ne passera pas le Jourdain ; dans la prière, Anne connut qu'elle devait donner à Dieu le fils qu'elle demandait pour elle ; dans la prière, Simon-Pierre eut la révélation que l'Evangile était aussi pour les païens ; dans la prière, l'apôtre Paul entendit la parole : « Ma grâce te suffit, car ma force s'accomplit dans la faiblesse » ; partout dans la Bible, nous rencontrons les directions de Dieu données pendant le recueillement de la prière. L'histoire de l'Eglise est toute pleine d'expériences analogues.
Ces expériences sont à la portée du plus humble d'entre nous, pourvu que nous sachions veiller à ce que nos prières ne soient pas des redites et qu'elles ne soient pas encombrées de désirs personnels.
Et puis, il n'y faut point de hâte ! Pour nous réchauffer, il ne suffit pas que nous nous mettions au soleil : il nous y faut rester assez longtemps pour que le rayon nous pénètre. Ainsi, quand nous nous présentons devant Dieu dans le recueillement de la prière, donnons à Dieu le temps de nous parler.
La prière inspiratrice.
« Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent ! » (Luc 11.13).
« Quand lui, l'Esprit de vérité, sera venu, il vous conduira dans toute la vérité. » (Jean 16.13).
Nous avons vu que Dieu peut nous révéler, pendant le recueillement de la prière, des vérités à la hauteur desquelles notre intelligence n'aurait pu, d'elle-même, s'élever. L'expérience chrétienne montre aussi que, dans la prière, Dieu peut nous inspirer des actes vers lesquels notre bonne volonté seule n'aurait pas suffi à nous guider.
Le centenier Corneille « priait Dieu continuellement ». C'est dans un de ces moments consacrés à la prière (neuvième heure) que Dieu lui inspira l'idée de faire venir de Joppé l'apôtre Pierre ; inspiration qui a eu polir conséquence la première Pentecôte parmi les païens. C'est pendant un de ces moments d'adoration où les premiers chrétiens se disposaient, par le jeûne, à la prière, que Dieu inspira à l'Eglise d'Antioche le désir de mettre à part Barnabas et Saul pour la Mission.
Les choses n'ont pas changé depuis les temps primitifs du christianisme.
Il y a quelques années, un missionnaire nous racontait ce fait qui venait de se passer dans un de nos plus grands champs africains :
Les Eglises indigènes d'un district éloigné s'étaient tellement multipliées que la Conférence missionnaire envoya de la métropole un homme autorisé pour dire à ces Eglises : « Il est impossible à notre Société de se charger de vous. Rattachez-vous à l'oeuvre anglaise qui touche à votre contrée. a — « Attends », dit le premier groupe chrétien auquel s'adressa le messager, attends d'avoir visité notre pays, puis tu verras ce que Dieu t'inspirera de faire. » Le messager continua sa tournée. A X..., il tombe dans une réunion de prière qui durait déjà depuis une heure, et qui se prolongea devant lui durant deux heures encore, fervente, implorante, exposant au Père céleste le désir de tous de n'être point séparés du tronc aimé de la Société de Paris. Le messager retourna à la capitale : Dieu lui avait mis au coeur de plaider la cause des indigènes qui furent incorporés à notre Mission.
Il y a deux choses, je crois, dont nous ne nous doutons pas : la première, c'est que, faute d'avoir assez prié, nous menons les affaires de Dieu avec des pensées humaines, en enlisant en mille petites routines qui ligotent notre pensée et immobilisent notre action ; la seconde, c'est que la puissance inspiratrice que Dieu a mise dans la prière persévérante, peut nous débarrasser de ces routines et orienter nos pas libérés dans le chemin des victoires spirituelles.
La prière transformatrice.
« Dieu ! écoute mon cri ; sois attentif à ma prière ; conduis-moi sur la roche trop haute pour moi. » (Ps. 61.3).
En vérité, l'homme est fou qui s'imagine pouvoir atteindre au bonheur et au bien par ses seules forces, ou par sa propre vertu. L'expérience a tôt fait de nous apprendre qu'il est, dans cette vie, des roches trop hautes pour notre élan. Mais ce qui est inaccessible à l'homme est accessible à Dieu. Où nous ne pouvons monter, Dieu nous porte. Encore faut-il le lui demander.
L'enfant, pour être porté, tend les bras à sa mère... Par la prière, nous tendons les bras à Dieu. Dieu n'attend que ce geste pour nous élever au-dessus de nous-mêmes, c'est-à-dire pour nous accorder dans le domaine de l'action ou du sentiment des possibilités qui ne sont pas en nous.
Une jeune femme de pasteur me disait un jour : « Il y avait dans notre Eglise deux vieilles dames pour lesquelles j'éprouvais une aversion insurmontable ; je m'efforçais en vain de découvrir en elles quelque chose qui me parût digne d'être aimé. Aller les visiter était pour moi une corvée que j'éloignais toujours. A bout de luttes, je me jetai à genoux et je dis à Dieu : « Montre-moi les qualités de ces deux paroissiennes, libère-moi de l'antipathie qui paralyse mon ministère ». Après quelque temps de prière assidue, je sentis qu'un rayon d'en haut avait fondu ce qui glaçait mon coeur. Depuis lors, rien ne résiste en moi quand je vais voir mes deux pauvres vieilles dames. C'est même avec plaisir que je les rencontre et que je fais avec elles un bout de causette sur le chemin ».
Pour les petites choses aussi bien que pour les grandes, la prière ouvre notre coeur à l'action divine. Si nous pouvions seulement soupçonner toutes les miraculeuses transformations que Dieu ne demande qu'à opérer en nous, nos prières s'élèveraient plus variées, plus intimes, plus continues, et leur exaucement serait notre sanctification.
Demander le Saint-Esprit.
« Si vous qui êtes mauvais savez donner de bonnes choses â vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit â ceux qui Le lui demandent. » (Luc 11.13).
« Si nous n'avions pas le Saint-Esprit, il vaudrait mieux fermer nos Eglises, en clouer les portes, mettre une croix noire au-dessus, et dire : « O Dieu, aie pitié de nous ! » Si vous, les pasteurs, vous ne possédez pas cet Esprit, ne prêchez pas, et vous, les auditeurs, restez chez vous... La mort et la condamnation pèsent sur une Eglise qui ne soupire pas après l'Esprit. »
A qui pensait Spurgeon en écrivant ces lignes ? Aux habitués des temples qui suivent les sermons sans se les appliquer, qui voient la misère sans s'en émouvoir, qui entendent les appels sans s'offrir. Leur christianisme correct, mais inanimé, semble reposer sur un lit de parade,
Tu as la réputation d'être vivant, mais tu es mort [1] ». Que te manque-t-il ? La pulsation de l'Esprit.
Pulsation du sang attestant la vie du corps, pulsation de l'Esprit manifestant la vie de l'âme... L'une est aussi nécessaire que l'autre et la seconde a plus de prix que la première, puisque la vie du corps ne porte que sur une brève durée, tandis que la vie de l'âme engage l'éternité.
Or, voyez la folie où nous sommes : quand la pulsation du sang devient anormale ou faiblit, tout le monde s'inquiète. Combien s'alarment, quand ne bat pas le pouls de l'âme ? Pourtant de cette pulsation-là dépendent pour ici-bas nos énergies spirituelles et pour là-haut notre bonheur éternel.
Voilà pourquoi Jésus mettant en balance la sollicitude humaine et la sollicitude divine dit à ses disciples : « Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le Lui demandent ».
Combien plus ! Quel amour et quel gage...
O Père, que je sente en moi cette pulsation salutaire ! Que ton Esprit qui est l'animateur de toute vie depuis la Création jusqu'à la Pentecôte et qui le sera pour les hommes jusqu'à la fin des siècles s'empare de mon âme, y régénère mes affections naturelles, y crée des mouvements surnaturels, et qu'il fasse de moi sa réponse vivante en face des incroyants.
[1] Apo 3.2
La prière pour les dons spirituels.
« Recherchez avec ardeur les dons spirituels... Que celui qui parle en langues prie, afin de pouvoir interpréter. » (1 Cor. 14.12-13).
De même qu'un arbre manifeste sa prospérité par ses fruits, le chrétien montre sa santé spirituelle par ses vertus, que saint Paul appelle : « Les fruits de l'Esprit [1] ». La santé pousse à l'action. Ainsi, la possession des fruits de l'Esprit pousse à l'acquisition de la puissance. C'est pourquoi Paul dit aux Corinthiens : Recherchez avec ardeur les dons spirituels [2] ».
Il ne s'agit donc pas ici de privilèges réservés à quelques initiés, et destinés à établir dans l'Eglise une caste hors pair, la caste des super chrétiens. Paul ne prétend pas non plus dans 1 Cor. 12 et 14 inventorier les dons spirituels dans un catalogue achevé ; il n'entend point les distribuer séparément ; lui-même les a possédés tous, et il exhorte ses fidèles à les rechercher, sans poser telle ou telle limite aux ambitions de leur foi. Il sait d'ailleurs que les tempéraments étant divers, les possibilités et les situations aussi, tel chrétien accédera à tel don et le fera valoir plus aisément qu'un autre.
Ce qu'il veut, c'est que tout chrétien qui prie pour être baptisé de puissance par l'obtention d'un don spirituel, prie aussi pour que ce don soit à l'édification de l'Eglise, et que, bien loin de tout orgueil, ceux qui a recherchent avec ardeur les dons spirituels », le fassent dans a la voie par excellence : la charité ».
Aucun don de l'Esprit, qu'il soit de science, de foi, de prophétie, d'héroïsme ou d'extase, n'a de valeur durable s'il n'est animé de l'amour dont 1 Cor. 13 nous indique les traits. Cet amour, qui rend humble, compréhensif, nous retiendra de tout jugement par lequel nous nous permettrions de refuser le sceau de l'Esprit à un frère qui ne manifesterait pas, selon nos conceptions, les dons de l'Esprit. Il nous gardera aussi de toute pratique où, en voulant imposer nos méthodes pour procurer aux autres les dons de l'Esprit, nous risquerions de mettre notre volonté, notre psychisme à la place de l'action divine et de faire des ravages dans les âmes.
C'est à Dieu, non à nous, qu'il appartient de définir l'oeuvre de la Pentecôte, d'en choisir les moyens, d'en apprécier les résultats. Ce qui nous appartient, c'est de proclamer la permanence des effets de la Pentecôte ; d'éveiller nos Eglises d'un moralisme sans puissance et d'un intellectualisme où se dissout l'autorité de la révélation ; de maintenir avec saint Paul la nécessité des dons spirituels pour qui veut être ouvrier avec Dieu, et de nous souvenir que Jésus a fait du don de l'Esprit l'exaucement de la prière.
[1] Gal. 5.22-23 ;
[2] 1 Co 14.12.
« Je ne sais, Dieu le sait ».
« Il me dit : Fils d'homme, ces ossements peuvent-ils revivre ? Je répondis : Seigneur Eternel, c'est toi qui le sais » (Eze 37.3).
« Nous ne savons pas ce que nous devons demander pour prier comme il faut », dit humblement saint Paul [1]. Les difficultés de la prière ont bien des origines : l'ignorance où nous sommes de nos véritables intérêts, les déficiences de notre nature, les mystères qui nous troublent, la pédagogie divine qui nous déconcerte... et les offensives du Malin.
Je ne sais, Dieu le sait ». Ainsi s'exprime l'apôtre au sujet d'une extase qu'il avait eue et qu'il essayait de décrire à ses amis de Corinthe [2]. Ainsi aurait pu s'exprimer le Fils de l'Homme lorsque ses disciples lui demandèrent quand viendrait la fin du monde :
« Pour ce qui est de ce jour et de cette heure, leur dit-il, personne n'en sait rien, pas même le Fils, mais le Père seul. »
Quand l'apôtre des Gentils, convaincu que l'écharde qu'il portait dans la chair paralysait son ministère, implore par trois fois le Seigneur de le délivrer, Jésus lui répond : « Ma force s'accomplit dans la faiblesse. »
Paul avait cru, mais Dieu savait !
Et quand le Christ inexaucé se prosterne au jardin des Oliviers et, dans ses larmes et sa sueur sanglante, prie : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi, toutefois que Ta volonté soit faite », le s'il est possible signifie « je ne sais », et cette incertitude introduit l'agonie ; mais le toutefois signifie « tu le sais », et la certitude que la volonté de son Père est bonne, et qu'elle triomphera, refoule l'agonie et permet à Jésus de marcher en vainqueur vers la mort et la résurrection.
Tous les chemins de la prière traversent un jour ou l'autre Gethsémané. Quand on a prié avec ardeur pour un objet dont on ne peut douter à vues humaines qu'il soit bon et désirable et susceptible d'être accordé, et que tout à coup on se heurte à l'inexaucement, la foi est décontenancée, il semble qu'on ne comprenne plus rien à rien, et, silencieusement, l'âme pleure.
C'est le moment de prendre pour soi la parole : « Je ne sais, Dieu le sait ».
Celui qui dit : « Je ne sais, et qui le sait ? s'enfonce dans la nuit de l'abîme. Celui qui dit : « Je ne sais, Dieu le sait » traverse l'obscurité d'un tunnel. Quelle que soit la longueur du tunnel, chacun de ses pas le rapproche de la lumière.
Jamais nous ne nous ferons assez petits, jamais nous ne ferons Dieu assez grand. Dire : « je ne sais », c'est renoncer à marcher par la vue, et, comme un enfant qui a senti ses limites, se jeter humblement dans les bras du Père céleste. Dire : « Dieu le sait » c'est accepter la marche par la foi et retrouver la paix dans cette triple certitude : Dieu est tout-puissant,
Dieu aura le dernier mot en tout. Dieu nous aime,
[1] Rom. 8.26 ;
[2] 2 Cor. 12.2.
Question troublante.
« Votre Père connaît vos besoins avant que vous les formuliez. » (Mt. 6.8).
Il peut arriver que des chrétiens soient troublés par la parole de Jésus que j'ai citée ailleurs comme une affirmation rassurante :
« Votre Père connaît vos besoins avant que vous les formuliez. »
Si Dieu connaît vos besoins, disent-ils, et nous accorde lui-même dans son amour ce qui nous est utile, à quoi bon prier ? Ses bénédictions descendent sur notre vie comme les rayons du soleil sur la nature : il n'y a qu'à laisser faire. — Pardon ! le rayon de soleil ne nous atteint que si nous nous mettons au soleil. L'astre du jour aura beau rayonner sur votre demeure, si vous restez dans la cave, vous n'en serez pas réchauffé.
Dieu forme pour nous des plans d'amour. Il ne demande qu'à nous enrichir de ses trésors, mais Il ne nous donne ses trésors que si nous désirons les posséder, si nous nous sommes préparés à les recevoir, si nous sommes allés au-devant d'eux par notre attitude filiale. Ce désir, cette préparation, cette attitude, se manifestent précisément dans notre prière. C'est ici la divine moralité des bénédictions accordées par le Père céleste, qu'elles sont toujours des exaucements.
S'il en était autrement, nous seraient-elles vraiment utiles ?
Supposez que, pour des motifs estimables, une Université confère à un homme d'instruction sommaire le doctorat honoris causa. Cet honneur donnera-t-il au nouveau docteur la compétence ? Non. Tout au plus y trouvera-t-il la tentation de se prendre pour un savant et de trancher sur les questions scientifiques sans les avoir approfondies. Dieu est meilleur pédagogue que les hommes. Dans le domaine moral et spirituel il ne donne rien honoris causa. Il sait ce qu'il faut à chacun, mais il sait aussi que quiconque reçoit une grâce avant d'en avoir mesuré la valeur en abuse, et c'est pourquoi, avant de donner, Il attend que son enfant ait compris la nécessité de cette grâce, qu'il l'ait souhaitée pour lui-même, qu'il se soit mis en état de l'accueillir et qu'il l'ait implorée au nom de Jésus, bien décidé à la faire valoir pour la gloire de son Maître.
Demandez et vous recevrez.
Les refus de Dieu.
« Seigneur Eternel..., laisse-moi passer, je te prie, laisse-moi voir ce bon pays de l'autre côté du Jourdain ! »
« L'Eternel répondit : C'est assez ! ne me parle plus de cette affaire... Tu ne passeras pas ce Jourdain. » (Deut. 3.23-28).
Dans nos heures de méditation nous récapitulons les lumières et les ombres, les joies et les épreuves, les acquiescements et les refus de Dieu... Les refus ? Ces mots font froid au coeur. Et pourtant, qui dira toutes les miséricordes qu'ils renferment !
Dieu exauce toujours, mais il n'accorde pas toujours. Reconnaître cette distinction, en bénir Dieu, c'est être chrétien.
Dieu nous aime, il veut notre bien, il connaît ce bien mieux que nous, donc ses refus sont des grâces. Nul ne l'a mieux compris que l'auteur du Betbüchlein, le réformateur Luther :
« Celui qui sait prier, dit-il, ne doute jamais que sa prière est exaucée, quand bien même Dieu lui accorderait tout autre chose que ce qu'il a demandé... Il ne faut pas prescrire à Dieu ce qu'il doit faire ; il faut lui laisser le soin de nous donner quelque chose de meilleur que ce que nous envisagions... Il faut laisser à Dieu la liberté de choisir les heures, les lieux, les mesures, le but, et croire que ce qu'il fera sera bien fait... » Croire au besoin « qu'il mène à la perfection en ayant l'air de tout détruire... et qu'il exauce en contrecarrant nos désirs ».
Cet exaucement-là, Jésus avait prédit à Pierre qu'il en ferait l'expérience [1] ; l'apôtre Paul l'a bien connu : c'est d'un refus que lui est venue la force dont il se glorifie [2].
Si la crainte des refus de Dieu nous trouble, c'est qu'en nous la tyrannie du Moi n'est pas brisée. Si au contraire, nous servons Dieu avec confiance et « sans calcul intéressé », les refus de Dieu nous enseigneront « l'acceptation joyeuse » dont parle l'épître aux Hébreux [3], et l'assurance paisible qui faisait dire à l'apôtre : « Nous savons que toutes choses travaillent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu [4]. »
[1] Jean 21.18 ;
[2] 2 Cor. 12.9 ;
[3] Héb. 10.34 ;
[4] Rom. 8.28.
De peur que...
« Il m'est bon d'avoir été humilié, afin de connaître tes statuts. » (Ps. 119.71).
« Il n'y a point de proportion entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui doit être manifestée en nous. » (Rom. 8.18).
Saint Paul souffrait d'une écharde [1] qui entravait ses forces, humiliait son apparence, affligeait son apostolat. Trois fois, il a demandé au Seigneur de l'en délivrer. Le Seigneur la lui a laissée. Pourquoi ?
« De peur que je ne m'enorgueillisse », dit le grand missionnaire des Gentils.
De peur que...
Qui sait ? Si Paul avait pu ajouter aux dons merveilleux qu'il avait reçus de l'Esprit les satisfactions de la santé et du succès, peut-être l'ange de Satan, déguisé en ange de lumière, se serait-il glissé jusqu'à son coeur, y tarissant peu à peu les sources de la vie.
« Mais le Seigneur m'a dit : « Ma grâce te suffit, car c'est dans la faiblesse que ma puissance se déploie. » Je me glorifierai donc de mon impuissance, afin que la puissance de Christ habite en moi. »
Que ceux qui regrettent que Dieu n'exauce pas leur désir méditent cette parole. Il n'est pas d'épreuve, il n'est pas de déception, il n'est pas d’inexaucement qui nous fasse acheter trop cher la bienheureuse expérience que Satan nous soufflette du dehors, et que la puissance de Christ habite au dedans de nous. Car c'est cette puissance habitant en nous qui nous donne la vie sanctifiée, le rayonnement spirituel, le pouvoir conquérant et « l'espérance de la gloire » dans la félicité du ciel.
« Si nous souffrons avec Lui, nous régnerons avec Lui. »
La croix, c'est une heure ; la couronne, c'est l'éternité.
[1] Lire 2 Cor. 12.7-10.
Prière et distraction.
« Marthe était distraite par divers soins. » (Luc 10.40).
« Pour moi..., je fais une chose : je cours vers le but. » (Phil. 3.14).
« Soyez persévérants et vigilants dans la prière. » (Col. 4.2).
Tout est organisé, dans le monde où nous vivons, pour nous distraire des choses qui assurent la vie de notre âme. C'est comme si nous séjournions dans les terres marécageuses dont le climat est une perpétuelle menace. Pour nous prémunir contre les miasmes, il faut nous entourer d'une atmosphère spirituelle. Cette atmosphère, c'est la prière qui la crée.
Qui parle à Dieu se recentre en Dieu, se place au carrefour où toutes les oeuvres de Dieu se rejoignent et d'où elles partent ; il en voit la grandeur, la beauté, l'urgence ; il en entend l'appel, il leur voue ses forces. Ainsi se trouve-t-il détaché des distractions qui ne l'attiraient que parce qu'il était spirituellement désœuvré.
La prière le libère aussi du penchant qu'a l'homme de se complaire en soi-même, de s'analyser, d'étaler ses mérites, de se regarder passer même sur le chemin de Dieu, et de se préoccuper de l'effet qu'il y produit.
Par l'exercice de la prière, il devient peu à peu comme le bon frère Laurent que Duperrut nous décrit : Frère Laurent, ferme dans le chemin de la foi, qui ne change jamais, était toujours égal à lui-même, parce qu'il ne s'étudiait qu'à remplir les devoirs de la place où Dieu le mettait. Au lieu d'être attentif à ses dispositions et à examiner le chemin par où il marchait, il ne regardait que Dieu, la fin de ce chemin, et allait à grands pas vers Lui par la pratique de la justice, de la charité et de l'humilité, plus appliqué à faire qu'à considérer ce qu'il faisait. »
Prière et vigilance.
« Soyez sobres, veillez ! Votre adversaire, le diable, rode autour de vous, comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer. » (1 Pierre 5.8).
« Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas dans la tentation ; l'esprit est prompt, mais la chair est faible. » (Marc 14.38).
La tentation pour Pierre, Jacques et Jean était de céder à la fatigue et de s'abandonner au sommeil. La tentation pour nous est de céder à la lâcheté et de laisser notre conscience s'assoupir.
La vie courante trahit bien des symptômes de cet assoupissement. Pour n'en relever qu'un, observons avec quelle facilité nous tolérons, dans le milieu chrétien dont nous faisons partie, des actes que l'honnêteté pure et simple condamne. Parce que ces actes ont été drapés dans de grands mots du langage spirituel, on demeure comme paralysé ; on réprouve, certes, mais l'on s'abstient d'agir et l'on couvre du nom de charité chrétienne une complaisance qui touche à la complicité.
On pense moins aux victimes que ces écarts de la morale ont faites dans le cercle où ils se sont produits qu'au retentissement que pourrait avoir au dehors leur répudiation. Or, c'est par cette répudiation que Dieu serait glorifié. En travaillant â « sauver la face », on a ouvert des chemins secrets au scandale.
Que de chrétiens se sont ainsi perdus dans l'estime de ceux qui les voyaient vivre ! Que de chrétiens qui n'ont pas cherché pour eux-mêmes, dans la prière, un secours contre la tentation, ont connu des chutes que le monde ignore peut-être mais que Dieu sait !
Prions pour être sauvés de la tentation d'oublier ce qu'exige l'honneur de Dieu en nous et autour de nous. Prions pour que Dieu nous donne la force de savoir dire : Non !
Quand un corps cesse de réagir, c'est que la mort le guette.
Prière et perplexité.
« O Dieu, montre-moi la voie Qui seule conduit à toi ! » (Ps. 25).
Les chemins vont à travers la campagne, reliant villes et villages ; la moindre ferme a son sentier. Petits et grands, les chemins sont la trame où se brode, en va-et-vient, l'activité des hommes. Si par miracle, une nuit, tous les chemins pouvaient disparaître, la terre retournerait au chaos. Mais voici qu'au contraire, avec le temps, les chemins se multiplient. Viennent alors les carrefours où plusieurs chemins se rencontrent ; lequel choisir ? Puis, il y a les voies ferrées qui coupent les chemins d'un trait de vapeur et de feu... Passant, veille sur tes pas !
Et toi aussi, voyageur sur les chemins de la vie, sois vigilant. Méfie-toi des carrefours où plusieurs possibilités se présentent ! Observe les signaux des gardes-barrières qui te préviennent qu'un train va passer en bourrasque : une de ces passions soudaines qui font irruption à travers notre vie et menacent de tout emporter... Ah ! la terrible aventure !
Qui n'a pas connu, au moins une fois dans la vie, l'angoisse de l'hésitation, la tragédie du choix ? L'illustre savant juif Maimonide a écrit, au XIIe siècle, un traité intitulé : Guide des perplexes, en somme un traité de casuistique. Je ne l'ai pas lu, mais j'imagine qu'en maint endroit de son ouvrage, Maimonide a été lui-même saisi par la perplexité. Pour indiquer à un homme son chemin, il faut connaître ses capacités et savoir où se trouve le but de son voyage. Nul ne connaît ses capacités et ce but que Dieu seul. Voilà pourquoi, dans la perplexité, il n'est qu'une ressource : ta prière.
Tu te demandes lequel tu dois prendre des chemins qui s'ouvrent devant toi ? Mets-toi à genoux et prie ton Père qui est dans les cieux. Dis-lui tout, remets-lui la direction de ta vie. Peu à peu, tu sentiras en toi comme un frémissement d'ondes qui s'ordonnent : un courant s'établira et, tout à coup, tu te trouveras à l'amorce d'un Chemin entres-y : c'est le chemin de Dieu.
Prière et fardeau.
« O Dieu, prête l'oreille à ma prière ! Ecoute-moi et réponds-moi... La crainte et l'épouvante m'assaillent. »
« Décharge-toi de ton fardeau sur l'Eternel et il te soutiendra. » (Ps. 55.1, 2, 6, 23).
« Décharge-toi... » n'est-ce pas bien hardi ? — Non, puisque c'est la Bible qui le propose. — De quel fardeau ? — « Chargez-vous de mon joug », a dit Jésus, « mon fardeau est léger. »
Le fardeau qui accable, c'est celui que nous chargeons nous-mêmes sur nos épaules, imitant Marthe qui s'agitait pour une foule de choses, alors qu'une seule était nécessaire.
On va, se plaignant du poids de la vie, et l'on ne prend pas garde que ce qui pèse, ce n'est pas ce que Dieu commande, c'est ce dont nous charge le monde ou notre fantaisie. Certes, dans le fardeau que Dieu nous dispense, il y a des épreuves, des tribulations, des vocations qui nous débordent, il y a le poids de la croix...
La foi est mise de nos jours à une rude épreuve. Appliquons-nous à la développer par la prière, en laissant Dieu fortifier notre foi par les moyens dont Il dispose : les difficultés, les obstacles, les dépouillements, les obscurités, les exercices de patience qui sont l'aliment propre de la foi. Tout ce qui rétrécit le champ de la vue étend le domaine de la foi; tout ce qui fait grandir en nous l'homme intérieur besogne pour notre vie éternelle ; c'est pourquoi Bacon disait justement : « Les prospérités sont les bénédictions de l'Ancien Testament, et les adversités celles du Nouveau. »
« Décharge-toi sur l'Eternel » disait déjà le psalmiste, de la part de Dieu. Il avait fait l'expérience que, lorsqu'il s'était remis entièrement à Dieu, Dieu était intervenu, s'était substitué à lui et l'avait relevé de son accablement. C'est cette même expérience qui fit dire un jour à saint Paul : « Je puis tout par Celui qui me fortifie. »
Parce qu'il avait éprouvé le soutien de l'Eternel, Duplessis-Mornay, trahi par son roi et destitué de son gouvernement de Saumur, écrit dans une méditation inédite : « Si Dieu, dans le chemin où il te conduit, te charge de ce que tu ne peux porter, c'est pour que tu ressentes ton infirmité, réclames son secours, t'humilies en ta nature, te fortifies en sa grâce. »
« En tant que sa grâce se parfait en ton infirmité, ta charge se fait sienne, ses forces, par conséquent, t'abondent lorsque les tiennes défaillent... Forces qui ne manquent jamais, qu'il promet, qu'il offre, qu'il prend mesme plaisir d'entre appelées nostre force... »
« A ceux à qui Dieu a desparti leur charge, il s'allège (s'oblige) de garantir : Je serai avec toi. Et là où il est, que peut manquer ?... »
Prions dans l'attitude de Jésus, en n'ayant, comme lui, d'autre ambition que de faire nôtre, jusqu'au bout, la cause de Dieu sur la terre... Alors, nous sentirons la main paternelle se glisser sous notre fardeau.
Dieu donne tout à qui ne lui refuse rien.
Métier ou vocation.
...« Ils le contraignirent à porter la croix. » (Marc 15.20-21).
« Dieu me garde de me glorifier en autre chose qu'en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. (Gal. 6.14).
Quand l'ouvrier sort de sa journée d'usine, il soupe, et va au cinéma.
Quand le savant, que sa recherche passionne, est interrompu par la sonnette du repas, il se fait attendre, et au dernier morceau, retourne à son laboratoire.
Le premier s'évade avec joie du labeur de métier. Le second évite comme une corvée ce qui l'éloignerait de sa vocation.
Il y a aussi des chrétiens de métier et des Chrétiens de vocation.
Les premiers, une fois la tâche pour le Seigneur accomplie, vont se distraire, sans se demander : « Que ferait Jésus à ma place ? » Ils ont bien gagné de s'ébrouer un peu.
Les seconds, même à l'heure du délassement, ne sortent pas de l'atmosphère de Jésus. Ce n'est pas un mérite, ils le préfèrent : le monde les met mal à l'aise.
Ceux-là s'ennuient parfois terriblement au métier, même quand il ne les fatigue pas outre mesure. Ceux-ci se fatiguent parfois durement à l'effort, mais la vocation ne les ennuie jamais.
D'où vient cette différence d'attitude ?
De ce que les uns sont les ouvriers d'un patron qui est au ciel, tandis que les autres sont les co-ouvriers d'un ami qui est sur la terre : ils travaillent dans la compagnie de Jésus, qui les a appelés à collaborer avec Lui.
Par cette vocation, Jésus s'est installé dans leur vie, au centre de leurs forces vives ; il en a changé toutes les perspectives, toutes les impulsions. Servir est devenu leur joie ; prier, la respiration de leur âme. D'instinct, ils ne vont plus où l'âme ne peut respirer.
« Pour moi, vivre c'est Christ », dit l'apôtre ; c'est pourquoi il peut ajouter : « Soyez toujours joyeux, priez sans cesse. »
Une prière difficile.
« Priez pour ceux qui vous persécutent. » (Mat. 5.44).
Prier pour ceux qui nous veulent du mal et qui nous en font, voilà qui est au-dessus du coeur naturel. Prier contre : oui, prier pour : non. Et c'est pourtant ce que Jésus demande à ceux qui veulent être « les fils du Père qui est dans les cieux ».
Mais quelles sont les conditions à remplir pour être « fils du Père » ? Jésus répond : être nés « d'eau et d'Esprit » ; c'est-à-dire : avoir accepté pour soi le baptême de repentance, avoir prié pour que Dieu nous révèle « la noirceur de notre âme et l'immensité de son amour », puis avoir prié pour que Dieu nous accorde, par la grâce de Christ, son Saint-Esprit. Alors seulement, ayant tout reçu en réponse à notre prière, nous pourrons en arriver, comme dit Calvin, à désirer « le bien et le profit » de ceux qui nous persécutent. Calvin confesse que c'est « une chose bien difficile et tout contraire à la nature de la chair » ; pourtant, dit-il, c'est « ce que la loi de charité requiert ».
Ne regardons point seulement à la difficulté de cette loi. Constatons plutôt qu'elle nous force à reconnaître que toute notre destinée d'enfants de Dieu est suspendue à la prière. C'est en réponse à notre prière que Dieu prépare nos coeurs à recevoir le Saint-Esprit et c'est en réponse à notre prière qu'il nous l'accorde. Or, cet Esprit régénérateur, seul, peut nous rendre capables de demander le bien pour ceux qui nous veulent du mal.
Ensuite, méditons sur les avantages que notre sanctification retire du fait de nos persécuteurs. Une sainte femme qui, par la prière, a obtenu des guérisons miraculeuses et qui a été à cause de cela persécutée, calomniée, traînée devant la justice dans un procès scandaleux par la jalousie de quelques membres du corps médical, a exposé cet ordre de bénédiction dans un enseignement que suivirent des chrétiens venus de partout et que résume ainsi l'un de ses auditeurs :
« Ses appels à la conscience frappaient comme des boulets contre un mur..., mais quand elle poursuivait les délicates exigences de la conscience chrétienne, quand elle peignait l'austère suavité des joies que le chrétien sait extraire de l'amertume ; quand elle disait le profit à tirer des ennemis, par exemple, la douceur de prier pour eux, et comment ceux qui exercent notre support et notre pardon nous font contre leur gré le plus grand bien possible, et comment nous leur en devons une reconnaissance infinie, et comment nous pouvons la leur témoigner, il semblait la musique d'un autre monde, il semblait une colombe qui sûre de sa route se perdait à nos yeux dans l'azur. »
Ces lignes ont été écrites par le philosophe Charles Secretan [1], l'un des géants de la pensée du XIXe siècle. Elles ne doivent pas tomber dans l'oubli.
[1] Notice nécrologique de Dorothée Truâel de Maennedorf dans le Chrétien Évangélique, nécrologique 1862, p 541.
La prière du soliloque.
« Je veillais pour voir ce que l'Eternel me dirait. » (Hab. 2.1)
Quand Simon-Pierre dit à Simon le Magicien : « Prie le Seigneur pour qu'il te pardonne », le Magicien lui répliqua : « Priez vous-même pour moi ! » Trop d'obstacles encombraient son âme superstitieuse et -vénale pour qu'une prière à Dieu pût s'en dégager.
Il est plus surprenant de voir des chrétiens dresser par leurs erreurs, leurs fautes, ou simplement par leurs mauvaises habitudes, des obstacles sur le chemin de la prière.
Parlant du tête-à-tête avec Dieu dans la prière individuelle, le grand théologien antipiétiste Albert Ritschl disait un jour devant sept cents futurs pasteurs parmi lesquels je me trouvais et qui pour la plupart l'écoutaient comme un oracle : « Ce duo, qui n'est en réalité qu'un solo... »
Il y a cinquante ans de cela. L'impression du scandale m'est restée. J'ai compris depuis, pourquoi cet homme, qui a formé une foule de maîtres pour la théologie, n'a guère laissé d'héritage spirituel à l'Eglise.
Mais l'expérience m'a appris aussi qu'il y a, en effet, beaucoup de prières qui ne sont que des solos. Et voici la raison : tandis que Samuel disait : « Parle, Seigneur, » « ton serviteur écoute » beaucoup de chrétiens disent en se mettant à genoux : Ecoute, Seigneur, ton serviteur parle ». Ils exposent à Dieu leurs désirs, leurs besoins, leurs douleurs, leurs espoirs, puis, quand ils ont fini de parler, ils coupent la communication, se relèvent et retournent à leurs affaires.
Que penserait un grand de ce monde si, après avoir imploré une faveur de sa bonté, nous prenions aussitôt congé de lui sans même attendre sa réponse ? Ne serait-il pas en droit d'estimer que nous ne tenons guère à ce que nous avons demandé, et que nous avons parlé par acquit de conscience plutôt que dans la confiance qu'il pouvait nous accorder l'objet de notre requête ? Ainsi, chaque jour, des milliers de prières, même ferventes, restent inexaucées. On n'a pas attendu la réponse de Dieu.
La vraie prière est celle qui nous met dans les conditions d'entendre ce que Dieu a â nous dire. Tout n'est pas de parler, il faut écouter. Il faut se ménager des moments de silence, dans le recueillement de l'attente. Après s'être tenu devant Dieu pour le prier, il faut rester devant lui et se taire. « Je veillais pour voir ce que l'Eternel me dirait... » C'est alors que la « voix de silence » [1] par laquelle Jéhovah répondit à l'attente d'Elie nous révélera Sa divine volonté. « Je crie à l'Eternel... et il me répond [2]. »
[1] 1 Rois 19.12 ;
[2] Ps. 3.5.
Prière et souvenir.
« Eternel, si tu tiens compte des iniquités,
O Seigneur, qui subsistera ? » (Ps. 130.3).
« Je ne me souviendrai plus de tes péchés. » (Esa 43.25).
« Je ne me souviendrai plus... » La volonté de Dieu d'oublier nos fautes, de faire comme si elles n'avaient point existé, nous donne tout l'espoir de notre salut, toute notre certitude de pardon et de vie éternelle.
En reconnaissance de cette miséricorde, efforçons-nous d'abolir ce qui retient notre pensée captive aux régions insalubres du doute et des souvenirs de la chair. Ces souvenirs qui, lorsqu'ils reviennent, ravivent nos instincts, réveillent nos convoitises et troublent l'atmosphère où notre âme respire.
Nous qui sommes habiles à profiter de la fuite des années pour oublier les expériences qui instruisent, les promesses qui lient, les services qui obligent, les douleurs qui sanctifient, nous ne savons pas nous en servir lorqu'elle pourrait nous être secourable.
C'est une des facultés du temps, destructeur de tant de belles choses, que de pouvoir dissoudre les souvenirs qui empoisonnent notre vie. Demandons à Dieu de nous en délivrer, car leur présence seule est déjà en nous une souillure. Prions-le instamment de nous apprendre, comme il fit pour Saul de Tarse après sa conversion, à oublier ce qui est derrière nous et â nous porter vers ce qui est devant nous, vers le prix de notre vocation céleste ; afin que notre esprit, notre âme et notre corps puissent être conservés irrépréhensibles pour le jour de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ.
« Dieu est fidèle, c'est lui qui le fera. » [1]
[1] Phil. 3.14 1 Thess. 5.23.
Prier et ne pas croire.
« Ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez obtenu et cela vous sera accordé. » (Marc 11.21).
La prière toujours exaucée est celle qui est faite « au nom de Jésus », c'est-à-dire dans l'esprit de soumission du « non pas ce que je veux » de Gethsémané. Mais, dans l'ordre des choses que Dieu peut et veut nous accorder, que de prières inexaucées uniquement parce que celui qui prie souhaite en priant, mais ne croit pas à l'exaucement. « Ce serait trop beau ! » murmure Satan au fond du coeur, et le coeur se laisse aller à ne plus compter sur la réponse divine au moment même où il implore.
Tels les disciples de la chambre haute, réunis en prières' pour obtenir la délivrance de Simon-Pierre [1]. Dieu, par un miracle, accomplit leur désir ; voilà Pierre devant la porte. Il frappe..., lui ouvre-t-on ? Non. « Tu es folle ! » disent les intercesseurs à la servante qui assure qu'elle a reconnu sa voix. Pierre continue à frapper. Ils se décident enfin à ouvrir, le reconnaissent et sont tout stupéfaits. Stupéfaits de quoi ? De ce que Dieu leur a accordé précisément l'objet de leur intercession.
Voilà qui est très humain.
Prions pour que Dieu nous délivre des deux aberrations qui consistent, lorsque le monde promet, à prendre des fantômes pour des réalités, et lorsque Dieu promet, à prendre des réalités pour des fantômes.
Acceptons, en ployant les genoux, que Dieu nous refuse ce qui pourrait dans nos demandes â courte vue nous amener à une épreuve trop forte, ou nous distraire de notre véritable bien. Cela fait, cette discipline consentie, refoulons tous les doutes, prions avec la foi filiale et triomphante que Jésus mettait à ses oraisons et qui lui faisait dire devant le tombeau de Lazare encore endormi au linceul : « Père, je savais bien que tu m'exauces toujours [2] »
« Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu [3] »
[1] Ac 12
[2] Jean 11.42 ;
[3] Jean 11.40.
La prière qui congédie.
« Les habitants de la contrée des Géraséniens se mirent à prier Jésus de quitter leur territoire... » (Marc 5.17).
Jésus vient d'opérer une guérison miraculeuse sur terre païenne. Un malheureux, un forcené, un homme qui terrifiait les autres et qui se martyrisait lui-même, se trouve, par la puissance de Jésus, rendu à la santé, à l'honnêteté, au bonheur. Mais l'événement a occasionné la perte d'un troupeau de pourceaux. Les Géraséniens, au lieu de se réjouir de la guérison d'un de leurs semblables, de la régénération d'un homme, n'ont d'yeux que pour la disparition du gain qu'ils escomptaient de leurs pourceaux. Et ils prient Jésus de quitter leur territoire. Laisse-nous avec nos porcs.
Transposons le fait dans le monde juif.
Les Pharisiens avaient du zèle pour Dieu, mais ils aimaient l'argent, le pouvoir, les honneurs. Jésus paraît. 11 guérit, il console, il ressuscite, il sauve, il fonde le Royaume de Dieu sur la terre. Mais en même temps, il parle d'humilité, de repentance, de pauvreté, de sacrifice. Au lieu d'acclamer en lui le Messie et d'entrer dans son oeuvre, les Pharisiens le combattent ; ils voudraient l'expulser de leur territoire ; n'y réussissant pas, ils le crucifient.
Traduisons maintenant en langage chrétien.
Voici un homme que Jésus a appelé. Il est troublé, il comprend que la vérité est vivante. Mais il faut qu'il vive, lui aussi ! il a des charges, des habitudes, des ambitions, des passions... Il pressent que tout va être bouleversé dans son existence par l'irruption du Christ. Terrifié, il esquisse le geste qui dit à Jésus : Laisse-moi.
Voici un milieu où l'on se dépense avec éclat pour le Christ qui confond les sages de ce monde, qui opère des miracles, qui soulage des misères et qui subjugue des nations. Mais sitôt que Jésus s'incarne lui-même dans le pauvre, l'affamé, le malade, le prisonnier, on s'esquive. S'agit-il de porter son opprobre devant les hommes, on ne le connaît plus. Trop d'intérêts à ménager. Sans doute la prière des Géraséniens n'est pas prononcée avec les lèvres, mais elle est vécue dans les attitudes, elle est entrée dans les mœurs où l'égoïsme, la propre justice, la soif de l'autorité, la vanité sociale, l'amour des louanges se sont installés. L'air a été rendu irrespirable à la colombe de l'Esprit, et la colombe s'est envolée. Beaucoup de paroles, des administrations hautaines, un grand déploiement de zèle et de ressources... Pas de puissance spirituelle. Jésus a quitté le territoire.
N'allons pas chercher ailleurs la cause pour laquelle le monde s'est détourné de l'Eglise.
La prière et le sport.
« Un coeur calme est la vie du corps. » (Prov. 14.30).
« Le calme prévient de grands péchés. » (Eccl. 10.4).
Une des caractéristiques de notre temps est que le calme lui est de plus en plus insupportable. A tous les motifs d'agitation que lui donnaient la lutte pour la vie et les rapports multipliés entre les hommes, il a ajouté le sport.
Le sport est à la fois un sursaut de l'instinct guerrier avec sa morale du risque, et un réveil de l'esprit féodal avec sa morale de l'honneur, ses tournois. Il peut être une chose excellente pour le corps et rendre même à l'occasion des services à l'âme, pourvu qu'on n'oublie pas l'avertissement de l'apôtre :
« L'exercice corporel est d'une utilité limitée, tandis que la piété est utile à toutes choses, ayant la promesse de la vie présente et de celle qui est à venir [1]. »
Mais le sport est le dieu du jour, il est le maître des dimanches, il remplit les colonnes des journaux, il défraie toutes les conversations. Ainsi exalté, le sport rend difficiles la vie de famille, le devoir dominical et le recueillement personnel où l'on rejoint Dieu.
Qui ne voit ici le danger ?
Il est des cristallisations chimiques que les laboratoires n'obtiennent que dans leur profondeur isolée et secrète où rien, pas même la parole humaine, ne vient troubler de vibrations les mystérieuses réactions qui s'opèrent. De même, les réactions spirituelles de l'âme en contact avec Dieu ont besoin de silence, d'abandon et de solitude pour rendre possible en nous la germination surnaturelle.
Nous pouvons voir par là combien folle est notre vie, toute enfiévrée d'activité, soit pour nous distraire, soit pour travailler, soit pour multiplier les oeuvres d'Eglises. On y trouve tout, sauf le calme qui seul peut donner aux âmes le loisir de s'ouvrir aux bienfaits de la création divine. Ainsi, nous pouvons nous épuiser à faire sans Dieu même ce que nous faisons pour Dieu.
Demandons â notre Père céleste, avant toute chose, qu'Il nous apprenne à ramener en nous le calme, condition première de toute prière féconde, le calme qui permet â l'homme de se retrouver pour se ressaisir, et de se ressaisir pour se remettre à Dieu ; car, comme l'a fort bien dit Vinet : « Pour se donner, il faut s'appartenir. »
[1] 1 Tim. 4.8.
Torrents de montagne.
« Toute grâce excellente et tout don parfait viennent d'en haut et descendent du Père des lumières. » (Jacq. 1.17).
Dans une vallée des Alpes, où j'étais en séjour, je voyais, de mon étroite fenêtre, le lit de cinq torrents qui sillonnent les parois de la montagne.
Deux d'entre eux roulent vers la plaine des eaux blanches et chantantes.
Les trois autres « coulent à sec » comme diraient les frères Reclus.
Pourquoi ? Parce qu'ils prennent leur source dans les névés de l'alpage, à l'altitude inférieure où l'été ramènera le gazon, les fleurs, les pâtres et les sonnailles des troupeaux. Le soleil fond la neige et les trois torrents meurent jusqu'au printemps prochain.
Les deux autres torrents, au contraire, remontent jusqu'aux solitudes recueillies qui n'ont à faire qu'avec Dieu. C'est la région d'en haut où se rencontrent face à face, dans l'étendue immense, le glacier bleu et le ciel bleu.
L'été peut venir, le soleil fondre la neige de l'alpage : l'immuable glacier, avec ses réserves infinies, alimente leurs sources : les deux torrents coulent toujours.
Le cours de nos prières ressemble à ces cours d'eau.
Quand il est intermittent, c'est qu'il vient d'une spiritualité d'altitude moyenne où les intérêts de Dieu et les intérêts du monde sont encore indifférenciés.
Pour qu'il soit permanent, il faut qu'il s'alimente plus haut, dans une vie consacrée à Dieu, et qu'il s'amorce aux sources éternelles.
Prier mal.
« Vous demandez et vous n'obtenez pas, parce que vous priez mal.., pour satisfaire vos passions. » (Jacq. 4.3).
La prière n'est pas une affaire de zèle, mais une affaire d'attitude morale. « Je reconnais qu'ils ont du zèle pour Dieu », disait saint Paul des Juifs, « mais leur zèle est sans discernement [1]. » L'orgueil, une des plus redoutables passions contre laquelle les croyants aient à lutter, ôtait toute valeur à leur prière. La bonne prière est celle de l'humilité, qui rend le cœur charitable.
Elle est plus rare qu'on ne pense.
De même qu'il existe, dans le monde de la nature, des atmosphères lumineuses où flottent des miasmes mortels, il existe, dans le monde de l'Eglise, des atmosphères de ferveur où flottent des interdits.
Les chrétiens au caractère entier, à l'humeur hautaine, qui ne supportent pas la contradiction, qui ne reconnaissent pas leurs torts, qui ne pardonnent pas les offenses, tombent sous le coup de la parole de Jacques : « Vous demandez et vous n'obtenez pas, parce que vous demandez mal. »
Seraient-ils zélés jusqu'au martyre, ils n'obtiendront pas : « Quand je livrerais mon corps pour être brûlé », écrivait saint Paul aux Corinthiens, « si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien [2]. »
Dieu ne dirige pas dans des voies qui ont besoin d'être redressées, il ne sanctionne pas les œuvres, même faites pour lui, qui ne sont pas conduites selon l'esprit d'humilité et d'amour que son Fils a apporté sur la terre.
Si nos prières restent inexaucées, ne disons pas : « Dieu ne prend pas garde à moi », disons plutôt : « Dieu me voit tel que je suis », et prions avec le psalmiste: « O Dieu, crée en moi un coeur pur [3] »
[1] Rom 10.2 ;
[2] 1 Cor. 13.3 ;
[3] Ps. 51.12.
Prière et amateurisme.
« Epaphras, votre compatriote, serviteur de Jésus-Christ, ne cesse de combattre pour vous dans ses prières. » (Col. 4.12).
« Un athlète n'est couronné que s'il a combattu selon les règles. » (2 Tim. 2.5).
Jésus a dit à ses disciples : « Quand vous priez, dites : Que ton règne vienne [1]. » Pour que cette prière soit efficace, il faut que la déclaration du Maître : « Dieu a tellement aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point [2] », ait pour réplique la déclaration du serviteur : Le racheté de Jésus-Christ aime tellement Dieu qu'il se donne lui-même pour le salut du monde. « A ceci, dit saint Jean, nous avons connu l'amour, qu'il a donné sa vie pour nous ; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères [3]. »
Ainsi l'avait compris Jean Calvin qui, pour pouvoir accomplir la Réforme, formula sa devise : « O Dieu, je t'apporte mon coeur comme immolé. » Ainsi l'avait compris David Livingstone qui, pour pouvoir libérer les esclaves, s'était enfoncé dans le coeur de l'Afrique et fut trouvé par ses noirs, mort au pied de son lit dans l'attitude de la prière. Ainsi l'avait compris le P. Charles de Foucauld qui s'en alla bâtir, en plein Sahara, une « centraie de prières », poussa jusque chez les Touareg, ouvrit leur terre jusque là fermée à l'influence de l'Evangile et périt de la main d'un traître tandis qu'il s'entretenait avec Dieu. Ainsi l'avait compris la « grande nuée de témoins », héros, martyrs ou simples confesseurs dont parle l'épître aux Hébreux 4. Ainsi le comprend cette autre nuée qui, depuis dix-neuf siècles, par un chemin de sacrifices et de miracles bien souvent ignorés, relie les temps du Christ à nos jours.
En présence de tels exemples, « dans la carrière qui nous est ouverte », ne nous faisons-nous pas à nous-mêmes l’impression, avec notre morale accommodante et notre religion velléitaire, de marcher en amateurs à la suite de Jésus-Christ ?
[1] Luc 2.2 ;
[2] Jean 3.16 ;
[3] 1 Jean 3.16 ;
Prière et loyauté.
« Eternel, tu m'as sondé..., lit me connais parfaitement... Avant que la parole soit sur ma langue, tu la connais entièrement... Regarde si je suis sur une voie funeste et conduis-moi sur le chemin de l'éternité. » (Ps. 139).
Dans notre siècle de réclame, de propagande et de bluff, les milieux chrétiens ne savent pas toujours se mettre en garde contre la contagion de l' « insincérité ». Que nous sommes loin du scrupule de vérité et de la rude franchise de nos aïeux !
Pour justifier un acte, pour accréditer une cause ou pour louer une oeuvre, on hésite moins qu'autrefois à présenter au public des photographies retouchées. On lui montre les choses comme il importe qu'il les voie plutôt que comme elles sont.
Les succès obtenus par ce procédé moderne peuvent être rapides : ils ne sont pas durables. La vérité, plus encore que le temps se moque de ce qu'on fait sans elle, et l'on s'expose, en cette pratique, à poursuivre l'oeuvre de Dieu sans la bénédiction de Dieu. Car Dieu, lui, ne s'arrête pas à la façade ; les habiles coups d'estompe ne voilent rien aux yeux de Celui qui est lumière. La chose dont on parle, Il la connaît en sa réalité, et si les paroles déguisent cette réalité, Dieu s'en détourne.
On est étonné parfois de voir des prières ferventes se perdre dans le silence des cieux. La chose demandée n'était-elle pas excellente, urgente ? Sans doute, mais la question est de savoir si la demande a été faite dans une atmosphère de vérité, je veux dire si celui qui prie a tenu aux hommes le même langage qu'à Dieu. C'est ici le lieu de rappeler l'affirmation de Paul : « Nos armes ne sont pas charnelles », et de méditer la parole de Jacques : « Que l'homme au coeur double ne s'attende pas à recevoir quelque chose de la part du Seigneur.
Puisque le Dieu Saint nous « connaît parfaitement », le seul moyen de lui plaire est la parfaite sincérité [1]. La « voie funeste » est celle qui nous amène à dire ce qui est opportun plutôt que ce qui est.
Eternel, rends-moi conscient de mes défaillances. Apprends-moi à résister à l'esprit de mon siècle et « conduis-moi sur le chemin de l'éternité ».
[1] Ce n'est pas un des moindres mérites de la méthode des Groupes d'Oxford que d'avoir remis l'accent sur ce principe où réside, pour une bonne part, l'explication de son succès.
« Donne-moi quelque chose ».
« Je ne t'ai pas caché mon iniquité. » (Ps. 32.5).
« O Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur. »
« Celui qui s'abaisse sera élevé. » (Luc 18.13-19).
Quand tu pries, de quoi parles-tu à Dieu ?
— De mes besoins, de mes craintes, de mes aspirations, des intérêts de son règne, des ennemis dont il doit me délivrer, des êtres chers que je lui demande de bénir... Je lui parle de tout, avec La liberté d'un enfant devant son père.
— De tout ? Es-tu bien sûr de ne rien oublier ? Saint Jérôme entendit un jour cet appel du Seigneur :
« Jérôme, Jérôme, donne-moi quelque chose. »
« Mais, Seigneur, ne t'ai-je pas tout donné ?... Ma vie, elle est à toi... Mes biens, je te les ai livrés... Mes forces, mon honneur... Prends tout, Seigneur, tout est à toi ! » — « Jérôme, donne-moi quelque chose ! » — « Eh ! mon Dieu, y aurait-il dans mon coeur quelque mouvement secret qui ne serait pas pour toi ? » — « Jérôme, Jérôme, tu gardes quelque chose, tu ne me donnes pas ce que je veux » — « Que veux-tu donc, Seigneur ? » —
« Jérôme, donne-moi tes péchés. »
Ici se révèle tout le sens des paroles bibliques : « Il a été meurtri à cause de nos péchés... Il a donné sa vie en rançon... Traité à notre place comme s'il avait commis le péché... Fait malédiction pour nous.. Il a porté dans son corps nos péchés sur le bois [1]. »
C'est parce que Jésus a accepté d'être cela, de faire cela pour nous, que nous pouvons aller à Dieu en confiance et lui parler de tout le reste. Présentons-nous d'abord à lui dans la pleine conscience de ce que Jésus a accompli pour nous, et de ce qu'il nous demande d'accomplir pour lui. La prière victorieuse « au nom de Jésus-Christ » ne peut être faite que par le chrétien qui a, d'abord, « donné ses péchés à Jésus-Christ ».
Pour celui-là, la prière ne sera jamais assez humble, assez repentante, assez reconnaissante, assez adorante.
[1] Esa 53.5 ; Mat. 20.28 ; 2 Cor. 5.21, gr. Il l'a fait péché ; Gal 3.13 ; 1 Pierre 2.24.
La prière et les dons.
« Qui veut encore présenter aujourd'hui, volontairement, ses offrandes à l'Eternel ! » (1 Chr. 29.5).
« Dieu aime celui qui donne gaîment. » (2 Cor. 9.7).
L'avare de la fable avait, dans son armoire, de belles pommes. Il ne se décidait à les en sortir que lorsque la pourriture les avait dépréciées. Ainsi, au lieu de se régaler de pommes fraîches, il ne mangeait en soupirant que des pommes gâtées.
Je ne sais pourquoi cet homme me fait penser aux contribuables d'Eglise qui ne se décident à verser leur argent que quand il a perdu une partie de sa valeur.
Quoi ? Dix francs ne valent-ils pas toujours 10 francs ?
Non. Il en est de l'argent comme des remèdes, il faut le donner à temps.
Quand une entreprise chrétienne — qu'elle soit oeuvre ou paroisses — a vainement sollicité, pendant les trois quarts de l'année, le concours financier des chrétiens, quand elle a dû, faute de fonds, renoncer à des créations utiles, réduire son personnel, végéter dans ses activités essentielles, faire la sourde oreille à des appels venus de Dieu ; quand elle a dû, pour obtenir des secours tardifs, multiplier à ses frais des tournées de conférenciers et de collecteurs, des expositions, des ventes, des annonces dans les journaux et des brochures de propagande, quand elle a dû pour vivre emprunter à des taux élevés, s'imagine-t-on que ses recettes de la dernière heure lui sont un pur profit ? Ne dit-on pas que le pauvre paye plus cher que le riche parce qu'il n'a pas de crédit ? Ne sait-on pas qu'un don qui sert à couvrir une dette est sans rendement effectif ?
Par surcroît, ces retardataires, qui compliquent et qui enrayent le travail des ouvriers de Dieu, sont les premiers à gémir : « Toujours des déficits, toujours des quêtes, toujours la question d'argent dans les cultes... » Ils mangent, en soupirant, les pommes gâtées, alors qu'ils pourraient, avec un peu d'empressement, se réjouir de ce qu'ils ont contribué à une oeuvre saine.
Au lieu de nous faire prier, prions Dieu de nous faire comprendre qu'un argent versé en retard est un argent dévalué, et que tout disciple de Christ doit donner avec entrain et avec promptitude. L'exaucement de cette oraison pratique changerait bien des choses pour les ouvriers du Seigneur, il nous rétablirait dans notre rôle d'enfants de Dieu, et pour tout dire, nous rendrait notre dignité.
Pourquoi manquer d'empressement, quand ceux qui appellent donnent leur vie ?
Pourquoi laisser passer l'heure, quand il s'agit de l'heure de Dieu ?
Pourquoi ramper, quand on a des ailes ?
La prière et les fautes cachées.
« Seigneur, tu mets devant la lumière de ta face nos fautes cachées... Aie pitié de tes serviteurs ! » (Ps. 90.8).
Il y a des fautes cachées. Les unes sont dissimulées par l'hypocrisie d'habiles manoeuvriers. D'autres sont couvertes par la pudeur de coupables qui n'osent pas avouer. Quelques-unes sont telles, qu'il résulterait à les confesser plus de mal que de bien. Qu'on ne les livre pas en pâture à la curiosité humaine : on n'en doit compte qu'à Dieu. Mais celles-ci sont l'exception.
De façon générale, la faute cachée est dans l'âme comme un abcès sous la peau. Elle travaille, elle infecte, elle entretient une fièvre maligne qui, du jour au lendemain, peut devenir mortelle. Pour que le corps guérisse, il faut que l'abcès soit ouvert, le bourbillon expulsé de la plaie. Pour que l'âme retrouve la santé, il faut que le mal vienne à la lumière. « Confessez vos péchés les uns aux autres », a dit le frère du Seigneur [1].
Il ne s'agit point ici de s'abandonner aux mains d'un prêtre et de chercher l'absolution dans l'ombre d'un confessionnal. Il s'agit de l'acte loyal par lequel, librement, après avoir été trouver celui à qui on a fait tort, on s'avoue coupable et prêt à réparer, dans la mesure du possible. Il faut du courage pour cela ; un courage dont les âmes basses sont incapables, et qui ne vient aux âmes hautes que sous l'impulsion de l'Esprit ; aussi devons-nous prier pour que Dieu nous aide. Confessons-lui nos fautes à lui d'abord, sans rien cacher, et il nous donnera la force de les confesser aux hommes.
Hâtons-nous, car le jour vient où le Seigneur mettra toutes nos fautes, confessées ou non, « devant la lumière de sa face ».
[1] Jacq. 5.16 ; cf. Mat. 5.2,3 ; 1 Jean 1.9.
« Nous sommes bien décidés ».
« Par la grâce qui m'a été donnée, je dis à chacun de vous de n'avoir point de lui-même une plus haute opinion qu'il ne doit... » (Rom. 12.3).
« Jean prit la parole et dit : « Maître, nous avons vu quelqu'un qui chassait les démons en ton nom et nous l'en avons empêché, parce qu'il ne te suit pas avec nous. Mais Jésus lui dit : Ne l'en empêchez point... » (Luc 9.49).
Quand j'étais jeune pasteur, on parlait encore d'un Anglais qui, envoyé par un Comité d'Outre-Manche pour fonder une oeuvre d'évangélisation parmi les protestants du Gard, aurait dit dans une réunion de prières : « O Dieu ! fais que nous ayons raison, parce que nous sommes bien décidés. »
J'ai toujours pensé que cette parole avait été mal rapportée, ou que le pieux Anglo-Saxon maniait gauchement la langue française. Mais dans le fond, soyons francs : ne nous arrive-t-il pas de prier pour communiquer à Dieu notre intention, plutôt que pour lui demander son inspiration ? Ne connaissons-nous pas ces oraisons où tout est mis en oeuvre pour que Dieu sanctionne un projet que nous avons résolu et auquel nous nous attachons obstinément ?
Par ailleurs, n'arrive-t-il pas que l'on rencontre de ces chrétiens tellement convaincus d'être seuls dans la vérité qu'ils prennent l'Evangile en tutelle et font la police du Royaume de Dieu ? En vain, l'Esprit de Christ démontre tous les jours l'inanité de leur prétention en multipliant, sur d'autres terrains que le leur, les fruits de la vie spirituelle. Ils s'opposent à tout, rompent avec tout ce qui ne peut entrer dans le cadre étroit de leurs conceptions particulières. Ceux-là aussi sont « bien décidés ». Ils ressemblent â ces chrétiens judaïsants qui, dans leur zèle, poursuivaient saint Paul d'Eglise en Eglise, le réfutaient, le calomniaient, l'accusant de détruire la foi traditionnelle, et qui se glorifièrent certainement d'avoir remporté un triomphe pour l'Evangile, quand ils surent que Paul, mis aux fers à Césarée, avait enfin cessé de nuire.
Cet exemple, venu de l'âge apostolique, est de nature à calmer nos velléités d'intransigeance.
Prions Dieu tous les jours qu'Il nous apprenne à ne pas avoir de nous-mêmes une trop haute opinion, à ne pas juger, à nous souvenir de la méthode du Seigneur : « C'est aux fruits qu'on connaît l'arbre [1] », et à comprendre qu'il n'est ici-bas pire hérésie que de repousser la main d'un frère dont l'autre main est dans la main de Jésus-Christ.
[1] Mat. 7.16-20.
« Seigneur, ôte la paille ! »
« Ote premièrement la poutre qui est dans ton oeil et alors tu verras à ôter la paille de l'oeil de ton frère. » (Mat. 7.5).
Lors de la Conférence Universelle de Stockholm, le Pape, tout en interdisant à la chrétienté catholique romaine d'y participer, avait fait savoir qu'il prierait en faveur de cette Assemblée. Il y a là une pensée touchante dont on ne doit pas sous-estimer la valeur. On se demande, toutefois, ce qu'a bien pu être cette prière. Si le Pape approuvait l'Assemblée, pourquoi ne s'y est-il pas associé ? S'il la condamnait, a-t-il bien pesé la valeur morale et les oeuvres spirituelles de ceux pour qui il demandait à Dieu qu'Il les retirât de l'erreur et de l'infidélité ?
Je suppose qu'au temple de Jérusalem le Pharisien, après avoir jeté un regard méprisant sur le péager et l'avoir condamné devant Dieu, ait fait tomber de ses lèvres hautaines une prière condescendante en faveur de ce pauvre frère égaré. Il s'en serait suivi cette situation originale que celui que Dieu ne justifiait point aurait intercédé pour celui que Dieu renvoyait justifié dans sa maison.
Voilà qui mérite réflexion. Car je ne veux m'occuper ici ni de Rome ni de Jérusalem, mais bien de notre façon d'intercéder, où Dieu, qui voit et qui sait toutes choses, peut démêler parfois une satisfaction de nous-mêmes et une sous-estimation du prochain qui rendent notre prière irrecevable.
Jésus condamnait celui qui dit à son frère : « Permets que j'ôte la paille de ton oeil », alors qu'il a lui-même une poutre dans le sien. Il est des prières qui ne signifient pas autre chose que ceci : « Seigneur, ôte la paille qui est dans l'oeil de mon frère ! » Mais la poutre ? La poutre qui empêche l'oeil de notre conscience de mesurer notre petitesse et de rendre justice à notre prochain, la poutre ne se met-elle pas en travers du chemin quand notre prière monte vers Dieu ?
La prière d'intercession est le plus haut des sacerdoces, à condition qu'elle ait pris sa source dans l'humilité.
La grâce de la solitude.
« Je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur. » (Osée 2.14).
« Toutes nos pensées et toutes nos actions sont ligotées ; Elles ne peuvent d'elles-mêmes frayer le chemin vers Dieu. Mais Lui nous a donné le don divin de la prière. »
« C'est ce don qui met tout notre effort dans la lumière de sa grâce. Au-dessus de la vie, au-dessus de la mort, par delà les étoiles, »
« Il y a une voie céleste pour la prière, — Dieu l'a voulu ainsi, — Et cette voie, franchissant tous les lointains, l'atteint, Lui [1]. »
Comme nous ne saurions nous offrir méthodiquement au soleil sans que la vertu de ses rayons pénètre notre corps d'énergies salutaires, nous ne saurions atteindre Dieu sans que son Esprit pénètre notre âme d'effluves régénératrices. C'est ainsi que la prière, qui est en elle-même une grâce, nous ouvre le chemin de toutes les grâces. Indiquons-en ici quelques-unes.
Et d'abord, la grâce de la solitude.
« La solitude est à l'esprit ce que la diète est au corps », a écrit Vauvenargues. Il montre par là qu'il ignore les sources spirituelles et qu'il méconnaît les trésors apportés au patrimoine de la foi par les grands solitaires, depuis ceux de l'Eglise des premiers siècles jusqu'à ceux de Port-Royal.
La solitude n'est pas l'isolement. C'est l'isolement qui anéantit et qui tue. C'est à l'isolement que se rapporte le cri désespéré de Maine de Biran : « Vae soli ! » malheur à l'homme seul [2] !
La solitude, au contraire, est une grâce ; elle est bienfaisante à qui la recherche, comme Jésus, pour se recueillir et se refaire. Les temps de fièvre où nous sommes nous condamnent à une agitation, à une activité de surface qui nous enlèvent tout contrôle de nous-mêmes. Nous vivons d'imitation et d'entraînement ; cette perpétuelle mise en dehors nous épuise, nous dénature ; elle nous empêche de nous centrer en Dieu.
Remarquons le rôle qu'a joué le désert dans la formation des hommes de la Bible : Abraham, Moïse, Elie, Amos, Osée, Jérémie, Jean-Baptiste [3]... C'est dans son séjour au désert que Jésus démasque le tentateur [4]. C'est dans la nuit solitaire de Gethsémané qu'il accepte la coupe expiatoire [5].
Agissons, luttons, dépensons-nous sans compter pour les autres ; mais si nous voulons que notre passage féconde les âmes autour de nous comme le cours d'eau en coulant fertilise ses bords, n'oublions pas que les fleuves, mêmes les plus tumultueux, ont pris leur source dans la solitude des sommets.
[1] TRYGVE GULBRANSSEN : Les vents soufflent sur les rochers
[2] Cf. Eccl. 4.10 ;
[3] Gen. 12.6 ; Ex. 3 ; 1 Rois 19.4 ; Am 1.1 ; Os. 2.16 ; Jér. 2.2, etc. ; Marc 1.4 ;
[4] Mat 4.10 ;
[5] Marc 14.36.
La grâce de bien compter nos jours.
« Seigneur enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que nous en ayons un coeur sage ! » (Ps. 90.12).
Nous allons vers une échéance. Que l'homme, suivant le génie de sa race, se la représente sous la forme d'une balance, du Karma ou du Pont Cinvat, ou autrement encore, il sait qu'il doit mourir, et qu'il n'est pas en son pouvoir d'éluder les conséquences de ses actes.
La fanfaronnade : « Quand on est mort tout est mort », ne rassure personne, car le fait de ne pouvoir éviter, ni retarder d'une seconde l'événement qu'il redoute le plus, montre au mortel qui réfléchit son impuissance à disposer de sa vie et à pénétrer le secret de ce qui l'attend.
Chacun, nous dit la Parole de Dieu, sera jugé selon ses oeuvres [1]...
Un poète chrétien a comparé nos années à des corbeilles où s'entassent les événements de notre vie. Chaque 31 décembre, notre ange passe et les emporte à Dieu.
Que va-t-il emporter le 31 décembre prochain ? Chacun de nous a devant lui trois corbeilles : celle de ses joies, celle de ses douleurs, celle de ses devoirs.
Voici la corbeille de nos joies... Que de choses heureuses nous n'avons pas comptées au nombre des bénédictions, que de grâces pour lesquelles nous n'avons pas dit merci, que d'exaucements obtenus et oubliés : la corbeille de nos joies serait-elle la corbeille de nos ingratitudes ?
Voici la corbeille de nos douleurs... Elle est trempée de nos larmes ; mais que d'occasions où, par une soumission filiale, telle maladie, tel chagrin, tel revers auraient pu être transformés en leçon qui profite, en discipline qui corrige, en épreuve qui sanctifie : la corbeille de nos douleurs serait-elle la corbeille de nos endurcissements ?
Voici enfin la corbeille de nos devoirs... Comme elle est grande et moins remplie que les autres ! Que de circonstances qui nous poussaient à l'action par amour pour Dieu, pour les frères, et où nous sommes demeurés passif ! La corbeille de nos devoirs serait-elle la corbeille de nos trahisons ?
Avant que soit consommé l'irréparable, avant que je paraisse devant Toi non tel que je voudrais être, mais tel que je serai, ô Eternel, accorde â ma prière la grâce qu'implorait le Psalmiste : Enseigne-moi à bien compter mes jours afin que j'en aie un coeur sage !
[1] Rom. 14.12 ; 1 Pierre 1.17, etc...
La grâce du sommeil.
« Je n'ai plus de sommeil,
« Et je suis comme l'oiseau solitaire sur un toit. » (Ps. 102.8).
« Mon lit est baigné de mes pleurs,
« Mon oeil est consumé par le chagrin. » (Ps. 6.7).
« Quand je pense à toi sur ma couche,
« Passant mes veilles à méditer sur toi, « Tu me viens en aide,
« Et je chante de joie à l'ombre de tes ailes. » (Ps. 63.7).
L'insomnie ! Tourment des nuits. C'est l'insomnie qui aggrave les souffrances du malade et qui alourdit les infirmités du vieillard. Elle isole pour martyriser.
Privés de distractions, énervés par l'inaction, l'imagination s'affole ; la mémoire acquiert une lucidité maladive ; le coeur est livré en pâture à des craintes sans fondement ; la pensée dévergondée se laisse envahir par tous les oiseaux noirs du souci. Harcelé par lui-même, le veilleur sombre dans l'océan de son cauchemar. Il agonise. « Là où est le corps mort, a dit Jésus, là s'assemblent les vautours. »
« La nuit, quand je ne puis dormir », confessait une chrétienne âgée, « je prie pour mes enfants. » Parole touchante qui, dans sa simplicité, met en clarté la sollicitude et la piété d'une mère. Elle livre aussi le seul remède à l'insomnie.
Les fantômes s'en vont quand les anges s'approchent.
Monter à Dieu par l'oraison, lui parler à l'heure où rien ne sollicite du dehors et où tout facilite le recueillement, lui parler des bien-aimés ou des oeuvres qui ouvrent à nos intérêts les plus élevées des perspectives infinies, c'est maintenir le contrôle sur nous-mêmes, remplir le vide de notre insomnie, la purifier des miasmes qui l'enfièvrent, l'orienter vers un exercice qui la délivre de l'excitation et ramener le veilleur qui s'alarme dans les bras de son Père céleste. Tandis qu'il prie, tout en lui se rythme et s'harmonise. Il ne se sent plus seul. A mesure que son intercession se prolonge, son imagination se calme, sa mémoire se discipline, son coeur se soulage, sa pensée, appuyée sur Dieu, retrouve sa sécurité. Il émerge sur un paisible rivage. Et Dieu, qui compatit, fait descendre sur l'âme qui prie le bienfait du sommeil.
La grâce de l'offrande.
« Jésus, levant les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc. Il vit aussi une pauvre veuve qui y mettait deux pites. Et il dit : En vérité, je vous le déclare, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Car tous ceux-là, pour offrandes, ont donné de leur superflu ; mais celle-ci a donné de son indigence, tout ce qu'elle avait pour vivre. » (Luc 21.1-4).
Une personne s'est approchée de moi, une chrétienne dont les ressources sont loin de suffire à sa vie bienfaisante. Elle m'apportait une petite somme destinée à l'Union de prières pour les Missions. J'objectai que cet argent ne pouvait être distrait de son budget sans y faire un trou à combler. « Non, répondit-elle en souriant, il s'est amassé tout seul ! Je me suis confectionné une tirelire, et j'ai pris l'habitude d'y mettre régulièrement un sou toutes les fois que je m'agenouille pour implorer Dieu. Un sou, ça va et ça vient, sans jamais faire un trou considérable. Et je vous apporte le produit de mon année de prière. »
Une tirelire pour l'intercession ! Voilà bien la première fois que je me trouvais en présence d'un objet concrétisant cette réalité spirituelle que l'oraison stimule le sacrifice et que le sacrifice stimule l'oraison. Et j'entrevis dans une éclair l'action triomphante qu'aurait, pour user la pierre des déficits de nos oeuvres, cette goutte de charité tombant tous les jours, de tous les coeurs, dans toutes les intercessions. Un sou, ça va et ça vient...
Elle trouvait cela très simple, très naturel ; elle n'en aurait pas parlé et tout le monde aurait ignoré, si je n'avais hésité à accepter la somme.
Comme elle prenait congé en s'excusant, je remarquai l'angélique clarté que mettent dans un regard ces deux signes jumeaux de consécration : l'offrande et la prière.
La grâce de l'adoration.
« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » (Mat. 4.10).
« Tous les anges autour du trône se prosternèrent et adorèrent Dieu en disant : Amen ! Louange, gloire, sagesse, actions de grâces, honneur, puissance et force soient à notre Dieu au siècle des siècles ! » Apoc 7.12).
L'esprit de prière est un esprit d'adoration. Demander n'est pas prier. Quand tu te mets à prier, qui donc est au centre de ta prière ? Est-ce Dieu est-ce toi ? Ta prière te met-elle au service de Dieu, ou cherches-tu par elle à mettre Dieu à ton service ? L'esprit d'adoration est celui qui nous tient dans une humilité telle que nous reconnaissons à Dieu tous les droits avant de lui parler et que nous renonçons d'avance, dans ce que nous appelons parfois, fort égoïstement, « nos besoins », à tout objet qui pourrait, dans notre vie, faire obstacle au plan de Dieu, à sa gloire, à son honneur. C'est d'ailleurs en prenant cette attitude que nous arrivons à satisfaire nos véritables besoins, nos besoins profonds, dont le principal est de nous savoir assurés de notre salut.
L'esprit d'adoration, en exerçant notre foi, nous fera même apparaître les droits de Dieu avec une majesté telle, les élèvera à ce point au-dessus des préoccupations de nos intérêts les plus hauts, que nous serions prêts à préférer, si l'opposition était possible, la gloire de Dieu à notre propre salut.
C'est dans cet esprit que Moïse priait : « Pardonne à ce peuple ; sinon, efface-moi de ton livre [1] » ; que saint Paul disait : « Je voudrais être anathème, pour mes frères [2] » ; que Calvin écrivait â la reine de Navarre : « Nous avons soin de votre salut, voire d'une chose plus digne et plus précieuse : c'est de la gloire de Dieu et de l'avènement du règne de Jésus-Christ où consiste le salut de vous et de tout le monde » ; enfin, que Luther notait dans son Commentaire des Romains : « La vie chrétienne consiste en ceci : vouloir en toute chose ce que Dieu veut, vouloir sa gloire et ne rien désirer pour soi-même, ni ici-bas, ni dans l'au-delà. »
L'Eglise est bien déchue de ces sommets de l'amour et du désintéressement ; aussi a-t-elle perdu la puissance que donne le souffle des hauteurs. Demandons à Dieu de lui rendre, par l'exercice de la prière, l'esprit d'adoration ; elle apprendra ainsi qu'elle doit se mettre à part des agitations du monde, et s'organiser dans l'obéissance en vue du Royaume de Dieu.
[1] Ex. 32.32 ;
[2] Rom. 9.3.
La grâce de l'acceptation.
« Je reconnais que tu peux tout et que rien ne s'oppose â tes pensées... J'ai parlé sans les comprendre de merveilles qui me dépassent... Mais maintenant, mon oeil t'a vu c'est pourquoi je me condamne et me repens. » (Job. 42.2-6).
« O profondeur de la richesse et de la sagesse et de la science de Dieu, que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables ! » (Rom. 11.33).
« Souffre avec moi pour l'Evangile par la force que Dieu donne. » (2 Tim. 1.8, cf. Ac 9.16)
Le livre de Job met en scène un croyant, frappé sans l'avoir mérité, condamné par les courtes vues de ses amis, et qui, sans cesser de clamer son innocence, après sa rencontre avec l'Eternel, s'humilie, reconnaît que les pensées de Dieu lui sont incompréhensibles mais s'y soumet, et se repent d'avoir desservi par son attitude les desseins impénétrables du Tout-Puissant. Le drame en vers est encadré par deux chapitres en prose de saveur très antique et qui sont là pour nous révéler : 1° qu'il peut y avoir, en effet, aux dispensations divines à notre égard, une raison très haute qui nous échappe ; 2° que la victoire de la foi sur l'épreuve entraîne une récompense hors de proportion avec les malheurs endurés.
Voilà qui trouve une application directe dans la vie de bien des affligés.
Es-tu croyant ? Souviens-toi que la souffrance est fille de la chute et mère de la rédemption. Quelle qu'elle soit, la souffrance ici-bas renferme une part de mystère. Dans la coupe présentée à Jésus à Gethsémané, il y avait une part de mystère. C'est pourquoi il prie : « Père, s'il est possible...[1] »
« Vous boirez ma coupe s, a dit Jésus à ses disciples. Et l'histoire de l'Eglise est toute remplie de larmes de la souffrance mystérieuse, inexplicable et qui pourtant doit être acceptée. Si Jésus a besoin de ta douleur, donne-la-Lui. S'il t'associe à son agonie, c'est pour te solidariser avec son effort. Aime assez sa venue pour prendre ta part des afflictions qui la préparent. Dans la milice de Dieu, il n'y a pas de héros sacrifiés, il y a des martyrs consentants. Dussé-je verser mon sang pour le service de votre foi, écrit saint Paul aux Philippiens, je m'en réjouirai, et vous tous avec moi [2]. »
Quelle sera la récompense d'un tel amour ? « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons avec lui [3]. »
Toi qui souffres sans comprendre, comprends du moins que le Juste a souffert avant toi, pour toi, et que, par ta douleur, tu l'aides â remporter le prix de Sa douleur : la Rédemption de l'humanité. Ouvrier avec Christ, prie, et Dieu te donnera la grâce de l'acceptation.
[1] Rapprocher cette demande et celle de saint Paul, relative à son écharde (2 Cor. 12.7). Dans les deux cas, la prière et la grâce de l'acceptation sont indissolublement liées.
[2] Grec : « Servir de libation pour le sacrifice et pour l’offrande de votre foi ». Phil. 2.17 ; cf. 2 Tim. 4.6.
[3] Tim. 2.12 ; cf. 2 Cor. 4.17 ; Luc 22.28-29.
La grâce des miracles.
« Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé ! Je savais bien que tu m'exauces toujours »... Quand il eut dit cela, il cria d'une voix forte : Lazare, sors !... et le mort sortit. » (Jean 11.41-43).
Par la prière, Jésus obtient la résurrection de Lazare. Mais qu'avons-nous besoin d'invoquer un des miracles les plus sensationnels du ministère de Jésus ? Dans toute son activité, le miracle et la prière sont liés. La prière appelle le miracle. Le miracle, d'ailleurs, est partout. Dans la création, qui nous a donné la vie, dans la rédemption, qui nous l'a rendue, clans la Pentecôte, qui met le Saint-Esprit en nous ; l'Esprit qui « nous aide dans notre faiblesse » intercède pour nous « par d'ineffables soupirs » et nous enseigne à « prier comme il faut » [1].
Par la prière, le croyant peut obtenir des miracles ; c'est ce que Jésus nous enseigne quand, il dit à ses disciples que, par la prière de la foi, ils pourraient transporter des montagnes et triompher des pires démons [2]. Dans l'Ancien Testament déjà, des prophètes comme Moïse et Elie obtenaient, par la prière, des interventions surnaturelles [3].
Depuis les temps apostoliques, les miracles consécutifs à la prière ne se comptent pas, qu'ils soient matériels ou moraux. Il y a ceux que l'on sait et que l'on célèbre dans la vie d'une Jeanne d'Arc ou d'un François d'Assise, comme dans l'expérience d'un Georges Muller ou d'un lord Radstock. Il y a ceux que l'on ignore et qui, tous les jours, changent le cours des événements, parce que la prière de la foi transforme les énergies spirituelles en forces agissantes dans la société des humains.
« Le monde où nous vivons, a dit Duclaux, est peuplé d'influences que nous subissons sans les connaître. ) Les plus subtiles parmi elles sont les voix de silence, voix pénétrantes, ondes hertziennes des âmes dont les vibrations font et défont en nous, à notre insu, les directives auxquelles notre vie solidaire est soumise. De toutes ces ondes la plus puissante est la prière. Car Dieu qui agit sur nous quand il le veut par des interventions dont il a seul l'initiative a donné à l'âme humaine la vertu de produire des impulsions psychiques susceptibles de créer, dans les autres âmes, des courants parfois irrésistibles. Que ces impulsions soient portées jusqu'à Dieu par une invocation intense, et que Dieu les actionne : elles produiront des miracles. Quand la prière de Monique obtint la conversion d'Augustin, elle produisit un miracle qui devait engendrer d'autres miracles.
Si nous pouvons mesurer un instant le rôle de la prière ici-bas dans la marche du Royaume de Dieu, et l'arme de victoire que Dieu nous a confiée en nous permettant de prier, nous resterons confondus, et du pouvoir qui a été donné aux enfants de Dieu et de la responsabilité qu'ils encourent en priant si peu et si mal.
[1] Rom 8.26
[2] Mat 21.21-22 ; Marc 9.29 ;
[3] Nomb. 11.2 ; 21.7 ; 1Ro 17.20 ; 18.36 ; Jas 5.17, etc.
La grâce des guérisons.
« La prière de la foi sauvera le malade et le Seigneur le relèvera. » (Jacq. 5.15).
« Tous ont-ils le don de guérison ? » (1 Cor. 12.30).
La guérison par la prière est, pour beaucoup de chrétiens, une pierre d'achoppement.
Les uns n'y croient pas et se privent ainsi d'une grâce. D'autres y croient au point de refuser le médecin et méprisent ainsi les secours que Dieu lui-même donne dans la nature. D'autres enfin voient, dans la puissance de guérir, une marque de piété supérieure et faussent ainsi leur jugement sur les valeurs spirituelles.
Où donc la parole de Dieu établit-elle une hiérarchie des vertus chrétiennes en mettant au sommet la puissance de guérir ? Ne nous montre-t-elle pas plutôt que, dans ce monde plongé dans le mal [1], où le ministère de la souffrance prépare ceux qu'il exerce à une gloire éternelle [2], Dieu se sert, tantôt de la santé et tantôt de la maladie pour l 'accomplissement de ses desseins ?
Jésus est venu sur la terre, non pour accomplir le rétablissement de toutes choses en détruisant le mal physique, mais pour rendre ce rétablissement possible par la guérison du mal moral. Dans cette préparation du Royaume à venir à laquelle tous les fidèles du Christ sont employés, il y a une vocation pour ceux qui se portent bien et une vocation pour ceux qui se portent mal. La guérison des malades n'était pas pour Jésus le but essentiel, c'était, sur son passage, une aumône divine.
Le pouvoir de guérir qu'il a légué à ses rachetés n'est pas une vertu, mais un don [3], et ce don n'appartient pas toujours aux chrétiens dont l'action spirituelle est la plus grande. Il en est qui l'exercent sans y joindre un effort positif pour convertir les âmes : tel fut Vignes [4], le Cévenol. D'autres chrétiens obtiennent des réveils qui transforment la vie religieuse d'une contrée et n'ont aucune puissance pour guérir les malades : tel Spurgeon. D'autres enfin ont accompli les plus belles oeuvres de l'Esprit dans le martyre de leur chair : tel Calvin. Par ailleurs, que de guérisons physiques ont été obtenues sur le plan spirituel comme fruit direct de la régénération morale [5] !Telle fut l'expérience qu'on faisait chez les Blumhardt. Laissons à Dieu le choix de ses moyens. L'Esprit souffle où il veut.
Prenons pour règle la prière de Gethsémané : « S'il est possible... toutefois que ta volonté soit faite. » Que le malade à qui Dieu ôte son écharde Le glorifie dans la délivrance, comme le démoniaque guéri [6] ; que le malade à qui Dieu maintient son écharde Le glorifie dans la souffrance comme l'apôtre Paul [7], et que tous, attentifs au service dans l'état où ils se trouvent, manifestent par une foi sereine que a soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » 8.
[1] 1 Jean 5.19 ;
[2] 2 Cor. 4.17 ;
[3] 1 Cor. 12.4-11 ;
[4] Paysan de Vialas (Lozère), appelé communément a le père Vignes s. Il exerçait encore en 1907, âgé de 83 ans. Il ne priait pas avec ses malades, mais leur reprochait leur manque de foi en rappelant les promesses de jésus, spécialement celles de l'évangile de saint Jean. Il procédait par ordres impératifs. Par son don de guérir, de soulager à distance et de lire dans les coeurs, il était devenu célèbre jusque chez les piétistes d'Allemagne ;
[5] Méditer le rapport établi par saint Paul entre l'état de péché, la maladie et la mort, 1 Cor. 11.30 ;
[6] Marc 5.20 ;
[7] 2 Cor. 12.9 ;
[8] Rom. 14.8.
La grâce de l'amour.
« L'a-t-on regardé, on est illuminé... » (Ps. 34.6).
Il est impossible d'approcher Dieu sans participer aux vertus divines. Le regard qui se tourne vers lui s'illumine, le coeur qui s'ouvre à lui s'embrase. C'est ainsi que la prière devient génératrice d'amour.
Si, après l'oraison, nous restons froids c'est que nous avons prié de trop loin ou que nous avons laissé subsister entre Dieu et nous l'écran du péché.
Connaissons-nous donc nous-mêmes, et mettons-nous dans les conditions voulues pour obtenir la grâce de l'amour. Le coeur qui l'aime, c'est celui que Dieu exauce.
Le curé d'Ars était une âme simple et de pauvre culture ; s'il a pu accomplir des merveilles dans son ministère de campagne, c'est que tout en cet homme de prière exprimait l'amour pour Dieu :
« Je vous aime, ô mon Dieu, et mon seul désir est de vous aimer jusqu'au dernier soupir de ma vie. Je vous aime, ô Dieu infiniment aimable, et j'aime mieux mourir en vous aimant que de vivre un seul instant sans vous aimer. Je vous aime, ô mon Dieu, et je ne désire le ciel que pour avoir le bonheur de vous aimer parfaitement. Je vous aime, ô mon Dieu, et je n'appréhende l'enfer que parce qu'on n'y aura jamais la douce consolation de vous aimer. »
« O mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tout « moment que je vous aime, du moins je veux que mon « coeur vous le répète autant de fois que je respire. Ah ! Faites-moi la grâce de souffrir en vous aimant, de vous aimer en souffrant et d'expirer un jour en vous aimant et en sentant que je vous aime. Et plus j'approche de ma fin, plus je vous conjure d'accroître mon amour et de le perfectionner. Ainsi soit-il. »
Méditons cette prière ; comparons-là aux nôtres, et nous connaîtrons l'origine de notre stérilité. Ce qui fait la grandeur du curé d'Ars, ce n'est pas qu'il ait été béatifié, puis canonisé par Rome, c'est qu'il a aimé Dieu comme nous devons tous l'aimer.
La grâce de la liberté.
« Approchez-vous de Dieu et il s'approchera de vous. » (Jacq. 4.8).
« Si le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. » (Jean 8.36).
Dans les religions naturelles, qui mettent les adorateurs à la discrétion de l'arbitraire des dieux, la prière rabaisse l'homme au rang d'esclave. Dans la religion biblique, fondée sur un contrat, la prière élève l'homme au rang de créature libre. Le Dieu saint qui a fait l'homme à son image provoque ses initiatives et les respecte.
Sans doute, l'homme reçoit tout de Dieu, — « Qu'as-tu, que tu ne l'aies reçu [1] ? » — mais Dieu a voulu, dans son paternel amour, que l'homme ne reçût rien qu'il n'ait demandé : « Demandez, et l'on vous donnera [2]. »
Il y a donc un chemin qui va de l'homme à Dieu ; c'est le chemin de la libre prière. On peut même dire, en un sens : tant que ce chemin-là est désert, le chemin qui va de Dieu à l'homme l'est aussi. Ou plutôt, Dieu n'y descend que pour solliciter de l'homme la prière qui rend possible la bénédiction d'en haut. C'est au point que, dans un renversement où se marque tout le respect de Dieu pour la liberté de l'homme, la Bible nous montre Jéhovah dans une attitude implorante : « J'ai tendu les mains tout le jour vers un peuple rebelle » [3], et Jésus comme une solliciteur qui se tient à la porte et qui frappe: « Si quelqu'un m'ouvre la porte, j'entrerai [4]. »
Le coeur qui prie, c'est le coeur qui ouvre. Quand Jésus entre, il apporte avec lui toutes les grâces de la nouvelle créature. L'homme passe de la mort à la vie. Mais entre cette mort et cette vie, il y a la porte. Et cette porte, nul ne l'ouvre que l'homme libre.
C'est ici que nous apprenons à comprendre la condescendance de Dieu, la responsabilité de l'homme, et le sens du mot de saint Paul : Nous sommes ouvriers avec Dieu [5]. »
[1] 1 Cor. 4.7 ;
[2] Luc 11.9 ;
[3] Esa 65.2 ;
[4] Apo 3.20 ;
[5] 1 Cor. 3.9.
La grâce de la joie.
« Demeurez en moi... dans mon amour... »
« Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jean 15).
« Je prie pour eux.., et je dis ces choses, afin qu'ils aient ma joie accomplie en eux. » (Jean 17).
Ces deux textes nous présentent la prière comme génératrice de joie. Jésus prie pour ses disciples à haute voix, devant eux, afin que, comme dit Luther, « ils puissent s'appuyer sur ses paroles avec une joyeuse assurance en se disant : voilà ce qu'à dit mon Seigneur et comment il a prié pour moi de tout son coeur. »
D'autre part, puisque Dieu accorde son Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent et que la prière est notre organe de communion avec le Sauveur, n'est-il pas vrai de dire que la prière, avec les grâces qu'elle obtient, est à l'origine de la joie parfaite ? Joie d'être couverts par la prière de Jésus, joie de nous épancher dans le coeur de Jésus qui nous comprend parfaitement et qui dispose pour nous de toutes les grâces du support [1], joie de pouvoir prier « au nom de Jésus », c'est-à-dire en bénéficiant de la puissance de Jésus.
Amis affligés, troublés, délaissés, passés au crible, avez-vous pensé à cette triple source de joie que la prière ouvre dans notre vie ? Et si nous restons accablés, cela ne viendrait-il pas de ce que nous faisons trop cas de nous-mêmes et de la vie terrestre, de ce que nous ne veillons pas assez à « demeurer » dans l'amour du Christ, le divin supportant [2] ?
C'est de cela que, dans sa vie de prières, François d'Assise avertissait le frère Léon quand il lui disait, un jour, en chemin, par le froid le plus cruel : « O mon frère Léon si nous savions, tout trempés de pluie et gelés de froid, souillés de boue et tourmentés de faim, supporter les injures de bon coeur et subir avec patience les peines que nous inflige le Christ bienheureux, alors, nous connaîtrions la joie parfaite. Car, entre toutes les grâces du Saint-Esprit que le Christ a accordées et données à ses amis, il n'y en a point de plus précieuse que de se vaincre soi-même et de supporter volontiers toutes les opprobres pour le Christ et pour l'amour de Dieu. »
Aussi vrai que « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » [3], là où la prière abonde, la joie surabonde.
[1] Jésus nous apprend à supporter comme nous avons été supportés. Rapprocher Rom. 2.4 et 1 Cor. 13.7 ;
[2] Cf. Mat. 17.17 ; Hébr. 12.3 ;
[3] Rom. 5.20.
La grâce de la reconnaissance.
« Rendez grâces en tout temps pour toutes choses à Dieu, notre Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. » (Eph. 5.20).
Rendre grâces ! c'est ce que les anciens Hébreux appelaient : « Se réjouir devant l'Eternel. »
Il est plus facile de pleurer avec ceux qui pleurent que de se réjouir avec ceux qui se réjouissent ; il est plus facile de pleurer devant l'Eternel que de se réjouir devant l'Eternel. C'est qu'il y a plus de désintéressement dans la reconnaissance que dans les larmes.
Si nous comptions les bienfaits de Dieu, notre prière, au lieu de gémir, chanterait. Plus que la douleur, l'action de grâces à fait les Psaumes. A compter les bienfaits de Dieu, nous verrions vite qu'ils sont innombrables ; cette constatation nous rendrait plus humbles et l'action de grâces, même aux heures les plus desséchantes, ouvrirait en nous les sources de la prière.
La pratique journalière du « Merci à Dieu » a encore d'autres effets. Elle nous habitue à découvrir, dans chacune de nos journées, les sujets de reconnaissance, à y voir moins ce qui nous manque que ce qui nous est donné. Et cela déjà dans les mille riens qui sont la menue monnaie de notre vie. Devant un bouquet sur la table, nous ne dirons plus : « Il y a déjà des fleurs fanées ! » mais : « Il y a encore des fleurs fraîches ! » Devant une carafe à demi remplie, nous ne dirons plus : « Elle est à moitié vide ! » mais : « Elle est à moitié pleine ! » Savez-vous que c'est toute une révolution cela ?
Et dans les grandes choses !...
Aux heures où la tâche parait ingrate parce qu'elle coûte plus qu'elle ne rapporte, seul le souvenir de ce que nous devons à Dieu nous rappellera ce que nos devons aux hommes et nous donnera la force de vaincre notre lassitude, de sacrifier notre préférence à notre devoir.
Relisez le récit de la Chute : ce que vous verrez tout au fond, c'est l'ingratitude. Informez-vous, par contre, de ce que donnent aujourd'hui les anciens païens dans nos champs de mission, vous verrez qu'ils donnent déjà pour l'oeuvre missionnaire plus que l'Eglise qui est censée les évangéliser. Les païens convertis rendent grâces.
Si nous voulons aller au bon combat avec le sain optimisme et l'enthousiasme chrétien nécessaires à la fondation du Royaume de Dieu ici-bas, si nous voulons affermir notre âme en vue de l'épreuve qui, tôt ou tard, fondra sur elle, et des glorieuses perspectives ouvertes â la fi lité, ne négligeons pas la grâce de la reconnaissance que donne la prière, et redisons chaque matin avec le psalmiste : « Mon âme, bénis l'Eternel !
La prière espérante.
« O Eternel, nous espérons en toi ! » (Jér. 14.22).
« Mon âme attend le Seigneur,
« Plus que les gardes n'attendent le matin,
« Oui, plus que les gardes n'attendent le matin. » (Ps. 130.6).
Le pire état est celui de l'homme qui n'attend rien. Attendre est la raison de vivre. Celui-là est heureux qui vit de ce qu'il attend. La Bible, dans toutes ses pages, présente le croyant comme un homme qui attend : sentinelle qui guette le matin de Dieu.
Ne jamais se contenter de ce qu'on est, ne jamais se replier sur soi-même, se vouer à une attente qui élargit nos facultés d'aimer, de vouloir, et qui nous élève vers un idéal auquel, par avance, nos âmes se sont livrées, voilà la vocation du chrétien et sa noblesse, voilà qui l'oriente vers les célestes perspectives. « Oh ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais [1] ! »
Ce qui est vécu est mort. C'est ce qui nous reste à vivre qui détient toute notre espérance et quand cette espérance est une promesse de Dieu, quand elle est attestée à nos coeurs par des arrhes divines, quelle puissance illuminatrice sur le chemin de la terre enténébrée par notre péché et encombrée de nos illusions perdues !
Mais le chrétien ne doit pas se résigner à attendre, de peur d'oublier ce qu'il attend. Sans cesse par la prière il doit demander à Dieu de réaliser sa promesse, d'accomplir en nous ce que Jésus, sur la croix, a accompli pour nous, de hâter la venue de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre où la justice habitera [2]. Que dis-je : la prière ne se contente pas de demander ; par la foi, « vive représentation de l'invisible a [3], elle va au-devant de ce qu'elle demande, elle s'y implique, elle s'y installe, et le prieur s'avance dans un halo qui met sa clarté sur tout ce qui l'entoure. Tel l'oeil qui a fixé le soleil pose partout des taches blondes.
C'est là le propre de la prière que de nous tenir le front levé, le coeur aux aguets, l'âme lumineuse, et, dès ici-bas, de nous faire vivre dans le climat de Dieu.
[1] Esa 63.19 ;
[2] Esa 65.17, cf. 1 Pierre 3.13 ;
[3] Héb. 11.22.
Communion avec l'au-delà.
« Soit la vie, soit la mort..., toutes choses sont à vous et vous êtes à Christ et Christ est à Dieu. » (1 Cor. 3.22).
« Quelqu'un est-il dans l'affliction ? Qu'il prie. » (Jacq. 5.13).
Les portières sont fermées. Penché hors de la fenêtre, le partant aspire les suprêmes tendresses qui montent du groupe aimé massé devant le 'wagon. Le signal est donné. Dans un sourd gémissement, le monstre d'acier tend ses muscles. Et soudain, sur l'écran du mur blanc, le groupe aimé vacille. Est-ce lui qui se dérobe ? Est-ce moi qui pars ?... Gestes désordonnés, cris d'adieu perdus dans le fracas d'une plaque tournante. Plus rien.
Partir, c'est mourir un peu.
Le voyageur en détresse s'est rejeté au fond de son compartiment ; il ferme les yeux et se met à prier pour ceux qu'il a quittés. Il prie.., et voici, ô miracle, qu'ils reviennent ! Il les voit, il les entend, il les emporte avec lui... Dans le pays lointain, ils l'aideront à vivre.
Vient le moment du grand voyage ; celui dont nul n'est revenu. Dieu vous a repris un être aimé. Cette fois, partir, c'est bien mourir. Vous retournez au lieu où il a vécu : tout est vide. Vous vous entourez de ses objets familiers : leur âme s'est envolée. Vous parcourriez le monde entier pour revoir ce qu'il a vu, ce qu'il a fait, le monde entier vous crierait : il n'est pas ici, tu l'as perdu !
Alors, dans votre affliction, vous fermez les yeux et vous cherchez l'être aimé dans la prière. Vous parlez de lui à Dieu.., et voici que le monde matériel disparaît ; dans la sphère supérieure où vous êtes entré, l'être aimé revient. Il est proche, combien plus proche Il vous pénètre, il est en vous !
Disparue, la dualité corporelle qui limite la communion de deux âmes sur la terre ; dissipées, les ombres qui passent ici-bas dans le ciel des intimités les plus claires. Compréhension, paix, certitude, ondes spirituelle révélant à votre cœur la présence du vivant que vous pleurez et qui, délivré, attend votre délivrance.
« O sépulcre, où est ta victoire ? »
Pour l'affligé qui prie, il n'y a plus d'absents, il n'y a que des invisibles.
Le ciel qui s'ouvre.
« Pendant qu'il priait, le ciel s'ouvrit. » (Luc 3.21).
Du recueillement à l'extase, de la prière à la vision céleste, le passage est moins grand qu'on ne pense. Le monde spirituel est tout près de nous, et notre âme, sans s'en douter, le côtoie. Mais pour qu'il la pénètre, il faut qu'elle s'abandonne à Dieu sans hésitation, sans distraction, avec une foi sans fêlure.
Une fêlure suffit pour que la cloche ne vibre pas sous le coup du battant ; une fêlure suffit, qu'elle vienne des sens, de la raison ou des agitations de la vie, pour que l'âme ne réagisse pas au choc de l'Esprit. Voilà pourquoi sont rares, dans la société chrétienne, les contacts avec l'invisible : ravissements, révélations, intuitions soudaines toutes chargées de directives divines, visions des mourants à qui l'au-delà se dévoile avant qu'ils aient quitté la terre.
Que le monde les ignore ou qu'il les bafoue, ces mouvements de l'Esprit sont les lames de fond qui portent en avant le vaisseau de l'Eglise. Pour avoir été soulevés par elles, certains enfants de Dieu, parfois fort modestes et ignorants, possèdent un rayonnement, exercent une contagion spirituelle auxquels d'autres chrétiens, malgré leur science et leur zèle, ne pourront jamais prétendre.
Ouvrez l'Evangile, interrogez l'expérience, et vous rencontrerez les miracles de la prière qui ouvrent l'âme aux réalités divines, depuis Jésus lors de son baptême et de sa transfiguration, Etienne au moment de son martyre, Pierre sur la terrasse de Jaffa, Paul dans ses ravissements, Jean exilé à Patmos jusqu'à Jeanne d'Arc oyant des voix aux champs de Domrémy, François d'Assise qui vivait dans la société des anges, Frédéric Fabri [2] à qui Dieu répondait dans ses promenades solitaires, et Charles Secretan, le visage inondé de larmes, s'écriant aux pieds de Mutterli [3] : « C'est le ciel qui s'ouvre ! »
[1] Luc 3.21 ; 9.29-36 ; Ac 7.54-60 ; 10.9-16 ; 2 Cor. 12.1-10 ; Apo 1.9 ;
[2] Fabri, disciple de Jacob Boehme, fut au siècle dernier directeur de pressaient ;
[3] Voir Dédicace. Riches et pauvres, savant et ignorants se pressaient confondus autour de la modeste chaire de Dorothée Trudel, pour avoir part à ses prières et aux messages prophétiques qu'elle délivrait avec douceur et simplicité.
La prière cessera.
« Je reviendrai et je vous prendrai avec moi. » (Jean 14.3).
« En ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur rien. » (Jean 16.23).
« Je reviendrai. » Il reviendra ! Il reviendra dans sa gloire à l'heure du rétablissement de toutes choses [1]. Il reviendra dans son intimité vers chacun de nous, quand l'heure sera venue pour nous « de passer de ce monde au Père » [2] ; alors, comme Etienne [3], nous le verrons.
Tant que nous luttons et que nous souffrons sur cette terre dans l'infirmité de notre corps de chair, nous ne voyons Jésus que par les yeux de la foi, dans un miroir, confusément [4], et nous faisons monter vers lui, du fond de notre trouble, nos intercessions, nos interrogations, nos supplications.
« Je vous prendrai avec moi. » Quand il reviendra, il nous prendra avec lui, « alors ce qui est imparfait sera aboli » [5] ; là où il est, nous serons [6] ; nous le verrons tel qu'il est, nous verrons sa gloire [7] ; son moi s'emparant de tout notre être nous deviendra plus réel que notre moi : nous connaîtrons comme nous avons été connus [8]. La contemplation immédiate de Jésus « nous rendra semblables à lui » [9]. Et ce sera l'aboutissement, l'exauce ment de cette lente transformation à son image qui, nous dit saint Paul, s'accomplit dès ici-bas « de gloire en gloire par l'action de l'Esprit du Seigneur » [10].
Nous étions dans le combat, nous serons dans la paix. Nous étions dans l'ombre, nous serons dans la lumière. Nous étions dans l'espérance, nous serons dans la possession. Qu'aurons-nous encore à demander, puisque Dieu nous aura tout donné pleinement en Lui [11] ? La mort aura été engloutie dans la vie [12], et la prière dans l'adoration.
Vivant dans la gloire de cette attente qui est certaine et qui est prochaine, n'est-ce pas une aberration folle que de nous laisser distraire par des choses qui pourraient la compromettre et d'attacher du prix à ce qui ne la prépare pas ? Ah ! plutôt, comme dit Quesnel : « Commençons dès maintenant à former les traits de cette ressemblance qui nous est promise, si nous voulons la porter dans le ciel. »
[1] Mat. 25.31 ;
[2] Jean 13.1 ;
[3] Ac 7.56 ;
[4] 1 Cor. 13.12 ;
[5] 1 Cor. 13.10 ;
[6] Jean 14.3 ;
[7] 1 Jean 3.2 ; Jean 17.24 ;
[8] 1 Cor. 13.12 ;
[9] 1 Jean 3.2 ;
[10] 2 Cor. 3.18 ;
[12] 1 Cor. 15.54.