Les prières de la Bible... et les nôtres

PREMIÈRE PARTIE – LES PRIÈRES DE LA BIBLE

Les personnages que la Bible va nous présenter dans leurs entretiens avec Dieu ne sont pas des personnages ordinaires. L'ordre dans lequel ils apparaissent échappe au déterminisme historique. Dieu, par eux, déploie un plan, qui est celui de sa révélation parmi les hommes. Ce plan donne à leur succession dans le temps et à leur attitude dans la prière une valeur normative pour nous.

« Comprendre cela, étudier leur manière d'être, faire son profit de leurs expériences, c'est déjà être « enseigné de Dieu  » .

ANCIEN TESTAMENT

La prière de Caïn.

« Caïn dit à l'Eternel : « Mon châtiment est trop grand pour que je puisse le supporter ! Voici, tu me chasses... Le premier qui me rencontrera me tuera ! » L'Eternel répondit à Caïn et le marqua d'un signe, pour qu'aucun de ceux qui le rencontreraient ne le frappât. » (Genèse 4.13-15).

N'est-il pas étrange que la première prière rapportée dans la Bible soit la prière d'un maudit? Et pourtant, elle est là, sous la forme d'un dialogue entre Dieu et Caïn, et le désir de Caïn est exaucé.

La prière du premier meurtrier est la prière de la peur. Elle nous révèle une vérité qui se fait jour tout le long de l'histoire et que le livre d'Esaïe résume en ces mots : « Point de paix pour le méchant. »

Nous y voyons ensuite l'angoisse où met l'isolement moral, la conviction que désormais le réprouvé s'en ira, délaissé par le Créateur, vers les hasards infortunés de la vie errante, jusqu'au jour où d'autres, aussi méchants que lui, le tueront. Prière franche et farouche, qui nous permet de lire dans la nuit d'une âme en rupture de Dieu.

Que nous apprend maintenant la réponse divine ? Que l'homme de la Chute peut fuir Dieu, mais non lui échapper ; qu'il peut se sentir seul, sans être pour cela abandonné par la Providence. L'enfant prodigue a beau trahir son père et s'en aller, cela n'empêchera pas le père de penser à lui, de le pleurer quand il travaillera dans les champs, et de se dresser pour interroger longuement l'horizon.

Je comprends maintenant pourquoi cette prière est inscrite au seuil de la révélation. Elle est là pour dire au coupable qui gémit sous l'effort d'une civilisation inaugurée par Caïn et qui porte la marque de son père dans la trace sanglante que laisse chacun de ses pas en avant : « Pour si bas que tu sois tombé, tu n'es pas sorti du rayon de la protection de Dieu. Qui que tu sois, prie ! Où que tu sois, Dieu t'entend. »

La prière d'Abraham.

« Abraham se tint en la présence de l'Eternel. Il s'approcha et dit : « Ferais-tu aussi périr le juste avec le méchant ? » (Gen. 18.21-23).

La prière d'Abraham est la seconde prière que nous rencontrions dans la Bible. Modèle d'intercession, cette requête en faveur de Lot porte au plus haut point le cachet des mœurs orientales, où le demandeur saisit inlassablement l'occasion de ce qu'il a obtenu pour essayer d'obtenir davantage. Mais on trouve surtout, dans ce morceau sublime, deux des conditions maîtresses de tout exaucement : le respect de la justice de Dieu et la confiance dans sa miséricorde. Abraham n'admet pas que Dieu puisse perpétrer un acte quelconque qui blesse l'équité, et il le Lui dit hardiment : « Celui qui juge toute la terre n'exercerait-il pas la justice ? » Il est convaincu en outre que les compassions de l'Eternel se laisseront émouvoir en faveur de la ville rebelle par la présence en elle de quelques hommes de bien. « Peut-être s'y trouvera-t-il dix justes ?... » Et l'Eternel lui promet de faire grâce à la ville pour les dix justes, s'Il les y trouve.

On dit que la révélation biblique est progressive, et je le crois. Mais je suis bien obligé de constater que sur certains principes élémentaires, beaucoup de chrétiens du xx° siècle sont moins au clair qu'Abraham. Ne nous arrivera-il jamais' de demander à Dieu des choses qu'Il ne pourrait nous accorder sans léser les droits d'autrui ? Ne cherchons-nous jamais à le faire complice de nos intérêts égoïstes, de nos antipathies ou de nos étroitesses ? Dans nos jugements devant Lui, ne nous arrive-t-il jamais de « faire périr l'innocent avec le coupable ?

Le « zèle de la Maison de l'Eternel » est, certes, une belle chose, mais pour obtenir l'exaucement du Saint des Saints, il faut que ce zèle s'inspire des scrupules d'Abraham, de sa bonté, de sa patience, et que dans la prière il ne laisse pas échapper un mot qui puisse léser la justice ou contrister la miséricorde de Dieu.

La prière d'Eliézer.

« Eternel, Dieu de mon maître Abraham, fais-moi, je te prie, rencontrer aujourd'hui ce que je désire. » (Gen. 24.12).

Que ce fût Eliezer ou non, le texte ne le dit pas ; mais la tâche de l'intendant d'Abraham était à coup sûr difficile. Partir à l'aventure, atteindre à 800 kilomètres le bourg où vivaient « les descendants de Térach », découvrir puis ramener saine et sauve une jeune fille qui pût convenir au fils de son maître ! Le serviteur n'hésite point. Il forme une caravane, franchit des pays étrangers par des pistes douteuses, arrive au puits où les filles du douar auquel appartenait la tribu de Nacor viennent puiser leur eau. Là, il imagine un stratagème qui lui permettra de reconnaître parmi les jeunes bergères celle qui a le meilleur coeur, puis il lève les yeux vers le ciel éclatant du soir : « Eternel Dieu, me voici près du puits, montre-toi propice à mon maître Abraham ! »... Et Dieu lui fit trouver Rébecca, la propre cousine d'Isaac.

Pourquoi s'étonner de sa réussite ? Il avait mis de son côté les deux conditions du succès, l'effort personnel et la prière : l'obéissance, le courage, l'habileté, actionnant toute la puissance de l'homme ; la requête humble et confiante, assurant l'intervention de l'Eternel.

Combien de serviteurs de Dieu ont échoué dans leur mission pour avoir négligé l'un ou l'autre de ces deux éléments de victoire ! Les uns ont agi mettant leur confiance en eux-mêmes, priant du bout des lèvres parce qu'au fond ils ne comptaient que sur leurs capacités. Les autres ont aussitôt demandé à Dieu d'agir, et ne se sont obligés à nulle peine, attendant tout du miracle. Si le serviteur d'Abraham avait agi ainsi, jamais Isaac n'eût épousé Rébecca.

La prière de Jacob.

« Si Dieu est avec moi, s'il me garde dans le voyage que j'ai entrepris, s'il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir, et si je retourne en paix à la maison de mon père, alors l'Eternel sera mon Dieu... Et je te donnerai la dîme de tout ce que tu me donneras. » (Gen. 28.20-22).

Si... si... si... si.,, que de conditions posées à Dieu, et comme nous sommes loin de la piété d'Abraham gravissant Morija ! Abraham croyait ; Jacob calcule. Donnant, donnant ; et dans cette religion du prêté rendu, c'est Dieu qui est jugé selon ses oeuvres.

Esaü, mauvaise tête et bon coeur, n'a point de ; Dieu ne peut donc rien faire de lui. Jacob a la foi, Dieu peut donc l'honorer de son alliance. Mais il ne lui passera rien. Jacob s'enrichira sans doute, il est si habile ! mais il expiera durement les moyens qu'il, emploiera pour acquérir sa richesse. Déjà le sentiment de son intérêt poussé jusqu'à la ruse l'a brouillé avec son frère, séparé de ses parents dont il était le favori et jeté, lui si familial, sur l'âpre chemin du désert. Maintenant, c'est Laban qu'il dépouille. Pour la seconde fois, il est obligé de s'éloigner, fuyant son oncle qui le poursuit et qui l'aurait exterminé sans la protection divine. Et il n'est pas au bout de ses soucis !... Au lieu de retourner en paix dans la maison de son père, il s'en ira mourir, ruiné par la famine, sur la terre d'exil. Lui-même résumera le bilan de sa vie errante et centenaire en disant au Pharaon : « Mes jours ont été courts et mauvais [1]. »

Grande leçon pour ceux qui ne mettent Dieu dans leur vie qu'à condition qu'Il leur rende des services. La prière de l'intérêt attire, sur celui qui la prononce, de cruelles expériences. « Faites à vos pieds un chemin droit [2]. » L'amour ne cherche point son intérêt [3]. » La prière exaucée n'est pas celle où l'on se sert de Dieu, mais celle où on Le sert.

[1] Gen. 47.9 ;

[2] Héb. 12.13 ;

[3] 1 Cor. 13.5.

Encore Jacob.

« Il lutta avec l'ange et il a triomphé, En pleurant et en demandant grâce. » (Osée 12.5).

Ces paroles d'Osée nous ramènent au gué de Jabbok, et à la lutte de Jacob avec l'Ange de l'Eternel

Jacob s'est enrichi, par des voies droites et courbes. Il est arrivé à se dégager de la colère de Laban, mais voici Esaü qui vient à sa rencontre, Esaü qu'il a trompé et qui le hait implacablement. Cette fois c'est la ruine, peut-être la mort.

Et voici un troisième antagoniste, celui qui se dresse toujours devant les consciences mauvaises : l'Ange de l'Eternel !

Fou d'angoisse, Jacob essaie une dernière fois d'en appeler à ses ressources personnelles, de l'emporter de haute lutte, et, si j'ose dire, de forcer la main à son Dieu dans un corps à corps où concourent, pour le combat suprême, toute sa vigueur et toute sa foi. Mais ici, les forces humaines ne suffisent plus. Sous l'embrassement du mystérieux inconnu, Jacob plie. Alors, dans un suprême; effort qui n'est plus un espoir de triomphe mais un appel désespéré à la miséricorde, le patriarche crie à son adversaire : « Je ne te laisserai point aller que tu ne m'aies béni !

Magnifique parole, où s'unissent l'humilité et la foi ! Parole de défaite et de victoire.

N'attendre plus rien de soi ; attendre tout de Dieu, rassembler ses dernières énergies pour retenir Celui que l'on implore et obtenir sa grâce..., voilà ce qui a valu à Jacob le surnom d'Israël, c'est-à-dire : celui qui lutte avec Dieu, et qui sort du combat, vainqueur.

Il est pour chacun de nous des orages de l'âme où, sous l'éclair de la détresse, nous nous voyons tels que nous sommes : perdus. Puissions-nous, en ces heures de crise, retrouver la prière de Jacob et comme lui, par Dieu, sortir de la lutte, vainqueurs.

Lire Genèse 32.22-31.

La prière de Moïse.

« Seigneur, tu nous a été une retraite de génération en génération... »

Lire le Psaume 90.

La « Prière de Moïse, homme de Dieu » est le texte classique des services de nouvel an. Chez mon père, on le lisait chaque année le 31 décembre, au coup de minuit, devant la grande famille assemblée.

Enfant, je n'y voyais que l'évocation impressionnante de la fragilité de la vie. Plus tard, l'expérience m'y montra un témoignage de reconnaissance, une vision de l'avenir, le « quand même ! » de la foi.

Maintenant que nos Eglises et nos oeuvres chrétiennes passent par des jours dont la crise financière est uni des côtés troublants, je voudrais donner aux âmes inquiètes la prière de Moïse comme source d'inspiration.

« Seigneur, tu nous as été une retraite de génération en génération... » Dieu est fidèle, et sa fidélité, qui s'exerce en tous temps, est particulièrement sensible au moment où nous avons besoin d'une retraite.

« D'éternité en éternité, tu es Dieu. » Ainsi, quelle que soit l'atmosphère de mirage où s'agite l'homme éphémère, le premier mot, en tout, vient de Dieu, et le dernier mot, en tout, lui appartient.

« Enseigne-nous à bien compter nos jours... » Dieu seul, présent dans ses oeuvres, est impérissable sur la terre ; ses ouvriers, collaborateurs d'une étape, ne le sont pas ; il faut qu'ils s'en souviennent avant que les circonstances se chargent de le leur rappeler.

« Affermis l'ouvrage de nos mains !... » Les hommes peuvent aider ou nuire à l'ouvrage de nos mains : Dieu seul peut l'affermir, car de Lui seul procèdent les sources créatrices. C'est en vain que le froid hiver jette au vent les feuilles lancéolées et la tige droite du lys : « L'herbe sèche, sa fleur tombe..., la place où elle était ne la reconnaît plus [1]... » Vienne le printemps et les feuilles renaissent, et la tige remonte, et le lys en fleur épanouit au soleil de juin sa blancheur immaculée. Si l'ouvrage de nos mains a semé de la part de Dieu un germe de vie dans le sillon de l'humanité, « que votre coeur ne se trouble point ». Quelles que soient les saisons adverses qui momentanément en détruisent l'effet, ce ne sont là que questions de surface. Dieu veille sur le germe. Le lys refleurira.

[1] Cf. Ps. 90 et 103.

Moïse et Amalek.

« Amalek vint combattre Israël à Rephidim. Alors Moïse dit à Josué : Choisis-nous des hommes, sors et combats Amalek ; demain je me tiendrai sur le sommet de la colline, la verge de Dieu dans ma main. Josué lit ce que lui avait dit Moïse, pour combattre Amalek. Et Moïse, Aaron et Hur montèrent au sommet de la colline. Lorsque Moïse élevait sa main, Israël était le plus fort ; et lorsqu'il baissait sa main, Amalek était le plus fort. Les mains de Moïse étant fatiguées, ils prirent une pierre qu'ils placèrent sous lui, et il s'assit dessus. Aaron et Hur soutenaient ses mains, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; et ses mains restèrent fermes jusqu'au coucher du soleil. Et Josué vainquit .Amalek et son peuple, au tranchant de l'épée. » (Ex. 17.8-13).

Moïse et Amalek. Deux forces, un combat.

Depuis que la trahison humaine en Eden a livré le séjour terrestre à l'Ennemi, celui que Jésus appellera le Prince de ce monde [1], le chemin qui mène à la Terre promise n'est plus libre. On ne peut passer sans livrer bataille. Là est tout le secret de la peine des hommes.

Encore si les armes étaient égales et si, pour vaincre, il suffisait du courage et du génie ! Mais Amalek est plus fort qu'Israël. Il le sera à toutes les étapes, dans toutes les rencontres.

Israël est-il donc destiné à mourir dans le désert ?

Non, s'il fait appel à l'intervention de Dieu, car Dieu est plus fort que Satan.

Voilà dans sa simplicité tout le drame de notre destinée telle que nous l'expose la Révélation dans la Bible. L'épisode qui met aux prises Moïse et Amalek prend dès lors une valeur prophétique. Jusque dans son détail, chacun de nous peut y trouver enseignement.

Amalek qui barre la route vers Canaan, c'est le paganisme blanc ou noir qui barre la route à Jésus-Christ. Josué et les combattants hébreux sont les milices de l'Evangile en terre païenne. Moise sur la montagne, les mains levées vers le ciel, c'est l'appel à Dieu. Que Moïse abaisse ses mains, Amalek remporte l'avantage ; que les chrétiens de prière abandonnent la vigilance de la foi, le message chrétien perd sa puissance conquérante.

S'il en est parmi les lecteurs pour dire : « Qui suis-je et que puis-je, moi ? », qu'ils pensent à Aaron et à Hur sur la montagne. Jéhovah ne leur avait pas confié comme à Moïse la verge, symbole de la puissance divine : ils étaient là pour soutenir les mains de Moise. Rôle effacé, mais combien grand ! S'ils n'avaient pas soutenu les mains du prophète, les bras de Moïse seraient retombés et Amalek eût été vainqueur. Pas de prétexte, pas d'excuses pour rester hors de l'action... On peut toujours soutenir la main levée.

 

[1] Mt 13.28 et 39 ; Jean 12.31

Moise, homme de prière.

« L'Eternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. » (Ex. 33.11).

Dans l'ordre des choses spirituelles, ce qui établit un chef, c'est la puissance de prière, et, dans la prière, l'esprit d'immolation. Moïse et saint Paul en sont de remarquables exemples.

Moïse a façonné le peuple de Dieu. Il l'a pu par les révélations célestes, par son génie personnel, par son grand caractère, par son courage indomptable ; il l'a pu avant tout parce qu'il était un homme de prière.

Suivez-le à Tabeéra, à Kibroth, dans ses luttes au désert, devant Aaron et Marie, au milieu des révoltes du peuple... Partout, Moïse prie. Ses marches sont des étapes de prière ; sa tente, une cellule de prière. Aussi a-t-il laissé de lui le souvenir qu'il causait avec Dieu « comme un homme parle à son ami » [1].

Et Moïse a laissé aussi le souvenir qu'il était « un homme très doux, plus que tout autre sur la terre » 2 Avez-vous réfléchi à ce que, dans une carrière telle que celle de Moïse, pareille douceur suppose de patience, de compréhension, d'oubli de soi, de souplesse dans la charité ? Autant de vertus qui appartiennent aux âmes d'où la prière s'exhale, constante, dans un esprit d'immolation.

« Pardonne à ce peuple ou efface-moi de ton livre » criait Moïse à l'Eternel [3]. L'effacement !... Attitude difficile aux meilleurs, inaccessible à quiconque croit, en s'humiliant, s'abaisser.

« Efface-moi... ». Saint Paul, mû par le même sentiment, disait : « Je voudrais être anathème en faveur de mes frères. » [4]. Ayant ainsi parlé, Moïse et Paul se sont affirmés par excellence prophète et apôtre de Celui qui, pour s'être humilié, pour s'être anéanti soi-même, pour avoir été obéissant jusqu'à la mort de la croix, a été établi Chef « au-dessus de tout ce qui est dans le ciel, sur la terre et sous la terre » [5].

Dans l'ordre des choses spirituelles, s'immoler c'est régner.

[1] Ex. 33.11 ;

[2] Nomb. 12.3 ;

[3] Ex. 32.32 ;

[4] Rom. 9.3 ;

[5] Eph. 1.21.

La prière de Josué.

« Josué déchira ses vêtements, se prosterna le visage contre terre, et dit : « Ah Seigneur Eternel, pourquoi as-tu fait passer le Jourdain à ce peuple, et nous as-tu livrés aux mains des Amoréens afin de nous faire périr ?... Tous les habitants du pays rapprendront : ils nous envelopperont et feront disparaître notre nom de la terre. Et que feras-tu pour ton grand nom ? » (Jos. 7.6-9).

Comment ne pas être ému par la détresse de Josué ? L'Eternel s'en était remis à lui pour la tâche écrasante d'édifier la nation élue sur le territoire de Canaan. Déjà la marche par la foi avait, devant Jéricho, accompli des miracles. Et voici qu'un interdit prive Israël de l'assistance de son Dieu. Il est battu, poursuivi, démoralisé. Josué, qui ignore encore la cause du désastre, s'en prend à Dieu : « Ah Seigneur »Eternel, pourquoi as-tu fait passer le Jourdain à ce peuple et nous as-tu livrés entre les mains des Amoréens... ? Les Cananéens l'apprendront, nous extermineront et que feras-tu pour ton grand nom ? »

On sent, ici déjà, frémir l'angoisse qui secouera l'âme des prophètes, Habacuc, Jérémie, Ezéchiel.

Josué apprendra bientôt que les plus redoutables ennemis de Dieu ne sont pas hors du camp d'Israël,

mais dans ce camp même. Première leçon, propre à éclairer notre prière. Généralement la cause de la défaite qui nous fait crier à Dieu n'est pas dans les circonstances, elle est en nous ; elle est dans l'interdit secret, peut-être encore inconscient, qui a empêché Dieu de soutenir notre combat.

Josué apprendra encore, et après lui les prophètes, que « le grand nom de l'Eternel » est à l'abri de l'atteinte des hommes. Ce qui nous est demandé, ce n'est pas de trembler pour lui, mais de trembler pour nous, et de ne jamais prendre notre parti de l'échec de sa cause sur le terrain qu'Il nous a confié.

Mettons-nous, quoi qu'il nous en coûte, dans les conditions voulues pour que le Saint-Esprit puisse nous être maintenu et travailler en nous, par nous. Nous pourrons alors comme Josué, martelé par Dieu et bâtisseur pour Sa gloire, parcourir notre carrière en vainqueurs.

La prière de Manoah.

« Manoah fit cette prière à l'Eternel: « Ah ! Seigneur, que l'homme de Dieu que tu as envoyé vienne encore vers nous, et qu'il nous enseigne ce que nous devons faire pour l'enfant qui naîtra. » (Juges 13.8).

Après Sarah, la femme d'Abraham, avant Anne de Rama et Marie la Nazaréenne, l'épouse de Manoah reçoit de Dieu la promesse d'un fils. Ce fils sera chargé d'une mission divine. Alors Manoah fait monter vers l'Eternel cette prière : « Ah ! Seigneur, que l'homme de Dieu que tu as envoyé vienne encore vers nous et qu'il nous enseigne ce que nous devons faire pour l'enfant qui naîtra ».

Arrêtons-nous devant ce père qui, saisi d'une nouvelle merveilleuse, au lieu de s'enorgueillir ou de rendre grâces, ne se préoccupe que de recevoir d'en haut des lumières pour bien élever son enfant.

Tout enfant qui s'annonce est donné de Dieu. Chacun de ces êtres fragiles aura une mission divine à remplir. Il faudra l'élever de façon qu'il puisse glorifier Dieu au cours de sa carrière terrestre. Devant cette perspective, combien de pères font la prière de Manoah ? J'aime à croire que la plupart des mères prient pour le bébé dont elles façonnent avec amour la layette, mais demandent-elles à Dieu, de leur enseigner leur vocation de maman ? Tout ne sera pas de glisser douillettement une bouillotte dans le berceau. Déjà Plutarque disait que l'âme de l'enfant est « mu foyer à réchauffer ». Comment le réchaufferions-nous si notre âme à nous est froide ?

Que d'éducations déplorables, que d'épreuves évitables seraient épargnées aux familles, si les parents qui attendent un enfant demandaient à Dieu de les qualifier pour le sacerdoce qui approche, et s'engageaient à être fidèles dans ce sacerdoce ! Le tout petit qui va faire son entrée dans le monde est riche de possibilités infinies, il porte en lui la force de l'avenir, il vient paré des vertus que doit acquérir tout candidat au Royaume des cieux. Quel privilège pour lui, quelle responsabilité pour toi à qui Dieu le confie ! Comme Manoah, prépare-toi à l'accueillir, car tu seras son protecteur et son guide.

A quoi te servirait plus tard de demander à Dieu qu'Il le garde, si tu n'as pas été toi-même son ange gardien ?

La prière de Samson.

« O Dieu ! donne-moi de la force seulement cette fois, et que d'un seul coup je tire vengeance des Philistins pour mes deux yeux ! » (Juges 16.28).

Pauvre Samson ! Avoir eu sa naissance annoncée par un ange ; avoir grandi beau, fort, victorieux ; s'être donné à Dieu par le naziréat ; avoir tenu le sceptre d'Israël ; avoir été l'effroi des princes ennemis, pour s'en aller finir, les veux crevés, dans une prison philistine, esclave, bête de somme, histrion, et mourir dans un accès de rage vengeresse, après avoir crié à Dieu la prière du désespoir !

Comment, parti de si haut, est-il descendu si bas ?

Samson était admiré et il le savait. L'ivresse du pouvoir avait endormi sa conscience. Se croyant immunisé par la confiance populaire, il pensait pouvoir se tirer de tout par un coup de force, ou par une habile manoeuvre, et l'astuce d'une femme au coeur faux l'a perdu.

L'exemple du juge Samson dans l'Ancien Testament, l'exemple de Judas dans le Nouveau, nous montrent que, même sous l'élection divine, on peut bien commencer et mal finir. Ils nous avertissent qu'il n'est pas de danger plus grand que de se fier à ses dons, de s'enorgueillir du poste élevé qu'on occupe, de prendre les grâces pour des mérites, et de veiller trop mollement sur les moyens qu'on emploie pour faire triompher la cause de Dieu en servant sa vanité propre. Toutes les formes du pouvoir portent en elles une tentation ; mais le pouvoir religieux présente la plus subtile parce que la foule, prosternée devant la gloire du Seigneur, met volontiers l'auréole au front de ses ministres.

L'humilité, la surveillance de soi, l'austérité, l'entretien vigilant de la vie intérieure, la communion spirituelle avec Celui qui a étant riche, s'est fait pauvre s, voilà Les vertus qu'il nous faut cultiver si nous ne voulons pas courir le risque, en fin de course, de voir s'écrouler le travail de notre vie, et de connaître, pour suprême oraison, la prière du désespoir.

« Ainsi donc », disait saint Paul, « que celui qui croit être debout prenne garde qu'il ne tombe [1]. »

[1] 1 Cor. 10.12.

La prière d'Anne.

« Eternel des armées, si tu prends garde à l'affliction de ta servante, et si tu lui donnes un fils, je le consacrerai à l'Eternel pour tous les jours de sa vie. » (1 Sam. 1.11).

Chaque année, lorsque Anne montait avec Elkana son mari pour se prosterner devant l'Eternel à Silo, elle pleurait et demandait un fils. Un fils pour la délivrer de son opprobre, confondre sa rivale, dissiper son noir chagrin... Dieu n'exauçait pas sa prière, mais, par sa prière, Dieu travaillait son âme. Il n'est âme si sombre que la prière ne l'ouvre aux clartés transformatrices d'en haut.

Un jour vint où Anne comprit que si elle souhaitait un fils pour égayer son foyer, l'Eternel avait besoin d'un serviteur pour purifier son sanctuaire. Dès ce moment, elle ne voulut plus son fils pour elle, elle le voulut pour Dieu : « Si tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le consacrerai à l'Eternel pour tous les jours de sa vie. » Alors Dieu l'exauça, Il lui accorda même bien au delà de sa prévision, de ses espérances : le fils qu'elle avait voué à l'Eternel devait, plus tard, réformer Israël, battre les Philistins, sacrer le roi David, fonder l'école des prophètes. Parmi les hommes de l'Ancienne Alliance, Samuel, après Moïse, est le plus grand. Dieu les nomme de pair dans sa réponse à Jérémie [1].

Il ne suffit pas de prier avec ardeur pour prier comme il faut, mais la prière ardente suffit pour nous placer sous l'emprise de Dieu, qui nous façonne, nous ploie et nous amène aux conditions indispensables pour prier comme il faut.

Quand la prière demande une chose bonne, dans un esprit de sacrifice ; quand elle met l'honneur de Dieu avant le bonheur de l'homme, elle est faite selon le plan de l'Oraison dominicale, elle est la prière « au nom de Jésus » , que Dieu exauce toujours. Et quand Dieu'. donne, on ne sait jamais tout ce qu'il donne.

[1] Jér. 15.1.

La prière de Samuel.

« Parle, ton serviteur écoute. » (1 Sam. 3.10).

« Quand Moïse et Samuel intercéderaient devant moi en faveur de ce peuple, je ne me laisserais pas fléchir. » (Jér. 15.1).

Samuel, le vainqueur des Philistins, était un grand intercesseur. Il « criait » à Dieu [1]. « Loin de moi », disait-il à son peuple, « la pensée de pécher contre l'Eternel en cessant de prier pour vous ! » [2]. Et le Psaume 99 le cite, seul, comme le type de ceux à qui « l'Eternel répondait ».

Les textes ne nous ont conservé que sa première prière : « Parle, ton serviteur écoute ! » Est-il une prière plus belle que ces quatre mots ? Ils nous ramènent au centre des énergies, à la source des inspirations.

Aujourd'hui où il semble parfois que comme du temps des Juges la Parole de Dieu se fasse rare [3], n'aurions-nous pas la tendance de négliger cette prière pour lui en substituer d'autres qui, tout en voulant servir Dieu, s'adressent à des hommes ?

Parle, théologien, et instruis-moi du dernier mot de la science, afin que je puisse réfuter les adversaires du Seigneur !

Parle, financier, et trouve-moi beaucoup d'argent pour que je puisse envoyer beaucoup d'ouvriers prêcher l'Evangile !

Le théologien, s'il est pieux, peut « planter » ; le financier, s'il est généreux, peut « arroser a, mais c'est Dieu seul qui « donne l'accroissement » [4]. Aussi est-ce toujours la prière de Samuel qui assure les victoires de Dieu, à la façon d'Eben-Hézer [5].

Les heures de la plus grande crise doivent être les heures du plus grand recueillement. Discipline difficile, et pourtant seule féconde : Dieu ne bénit que ce qu'il inspire.

« Parle, ton serviteur écoute ! »

[1] 1 Sam. 7.8 ;

[2] 1 Sam. 12.23 ;

[3] 1 Sam. 3.1 ;

[4] 1 Cor. 3.6 ;

[5] 1 Sam, 7.12, 41.

La prière de David.

« Qui suis-je, Seigneur Eternel, et qu'est-ce que ma famille pour que tu m'aies fait parvenir où je suis ?... Tu as fait toutes ces grandes choses selon ton bon plaisir... Ratifie pour toujours la parole que tu as prononcée au sujet de ton serviteur afin que ton nom soit glorifié à jamais... » (2 Sam. 7).

Les pieux liseurs de la Bible ne prêtent pas une attention suffisante à cette prière de David après que Nathan lui eût annoncé que Dieu donnerait à sa descendance la royauté éternelle. Cette prière marque pourtant une heure aussi importante pour l'histoire d'Israël, que la vocation d'Abraham, ou l'appel de Moïse au Sinaï.

Enfant de Dieu par Abraham, citoyen du peuple de Dieu par Moïse, l'Israélite est, par David, ordonné chevalier pour le Royaume du Messie. « Il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tours ses ennemis sous ses pieds », dira un jour saint Paul. Pour ce règne, dont il veut tout l'accomplissement sans pouvoir encore' en soupçonner toutes les gloires, David prie.

Porté par sa triple élection, dont les réalités s'enchaînent et se conditionnent, Israël, guidé par ses prophètes, marche vers son destin qui fait de lui l'instrument du salut du monde : « Tu seras bénédiction. »

Pourquoi les prophètes, soudain, se sont-ils tus ? Pourquoi la ruine de Jérusalem par Nébucadnetsar, pourquoi la croix sur laquelle le peuple de David cloue vivant le fils de David ?

Relisez le prière de David : Tout par grâce, tout pour que le nom de l'Eternel soit glorifié. Les Juifs ont méconnu la grâce, abandonné l'idéal messianique où les prophètes leur avaient montré que la gloire de l'Eternel devait s'accomplir sur toute la terre. Quand le Messie est venu, au lieu de l'acclamer, ils l'ont tué.

Est-il sûr que les Eglises qui portent aujourd'hui si fièrement son nom parmi les hommes le reconnaîtraient et l'acclameraient, s'il apparaissait, non dans sa royauté céleste, mais dans l'humilité des jours de sa chair ?

Est-il sûr que nous-mêmes, qui nous réclamons de lui, pourrions supporter sa présence, et l'immense déconvenue qu'elle serait pour tout orgueil, pour toute propre justice, pour toute inertie devant le devoir essentiel, pour tout esprit de jugement qui ôte le discernement des esprits, bref, pour toutes les manières d'être... ou de ne pas être, par lesquelles nous ressemblons si fort aux Juifs, qui ne comprirent pas le Sermon sur la Montagne ?

Pour rentrer dans la bonne voie, revenons au point de départ, à la prière de David : « Seigneur Eternel, qui suis-je... pour que ton nom soit glorifié ?... »

La prière de Salomon.

« Jéhovah, mon Dieu..., donne à ton serviteur un coeur attentif... pour distinguer entre le bien et le mal ! » (1 Rois 3.9).

La prière dans laquelle l'héritier des gloires de David demande à Dieu d'éclairer sa conscience, inaugure son règne magnifiquement. Qu'il s'y tienne et il marchera dans la lumière, sous ta bénédiction des promesses messianiques.

Malheureusement, Salomon a fait cette prière dans un songe. Il ne s'y est pas tenu. Salomon a bâti un temple à Jéhovah, mais il ne lui a pas donné son coeur pour sanctuaire, et les penchants de son coeur l'ont perdu. Pour des femmes, il a servi les faux dieux. Par son luxe, il a ruiné ses finances. Puis vint le schisme qui déchira l'empire. Israël ne s'est jamais relevé des fautes de Salomon.

Voilà qui doit nous mettre en garde contre les paroles élogieuses : nul n'a été plus vanté que Salomon.

La grande affaire ici-bas n'est pas de parler toujours de sa conscience, ni de la mettre en avant à propos de tout. La grande affaire est d'obtenir de Dieu une conscience éclairée.

L'homme dont la conscience n'est pas éclairée obéit à des mobiles, plutôt qu'à des raisons. Or, les mobiles montent trop souvent du fond obscur de nos instincts, de notre tempérament, de nos passions. Inavouables en ce cas, nous habillons de « bonnes raisons » les actes qu'ils nous inspirent, pour justifier ces actes devant le public, parfois pour nous les justifier à nous-mêmes. Dangereuse équivoque. Quand nous bâtirions le Temple de l'Eternel, comme Salomon, la déchéance nous guette.

Lorsque notre conscience est éclairée, elle projette de la lumière sur la source de nos désirs, sur l'origine de nos actes, et elle nous arrête avant la chute. « Si quelqu'un marche de jour, dit Jésus, il ne bronche pas [1]. »

« Jéhovah, mon Dieu, donne à ton serviteur un coeur attentif... pour distinguer entre le bien et le mal ! »

[1] 1 Jean 11.9.

La prière pour l'étranger.

« O Eternel ! quand l'étranger lui-même, attiré par ton nom, viendra et priera dans cette maison..., exauce-le du haut des cieux, accorde sa demande, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom pour le craindre. » (1 Rois 8.41-43).

Albe vous a nommé, je ne vous connais plus.

Ainsi parle un héros de Corneille. Le vers est beau, l'attitude héroïque, mais notre sympathie va à l'adversaire auquel Horace adresse cette apostrophe' patriotique et inhumaine.

« Je ne vous connais plus. » Se trouverait-il des chrétiens pour exprimer dans cette parole antifraternelle les ardeurs de leur fidélité ? Fidélité envers qui ? Envers le Dieu d'amour ? Envers Jésus qui a dit : « Je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi ? » Traiter un frère en étranger parce qu'il exprime autrement que nous sa foi au Christ, n'est-ce point trahir l'esprit de la Révélation, qui veut que nous traitions en frère même l'étranger, lorsque celui-ci répond à l'attirance de Dieu ?

On sait la haine et le mépris que portait Israël à qui n'était point de la race élue. Or voici que monte du fond des âges hébraïques une prière propre à nous confondre : « O Eternel, même l'étranger, quand il viendra, attiré par ton nom, exauce-le, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom pour te craindre ».

Cette oraison oecuménique ouvre la -voie à la requête de Jésus : « Père, je ne te demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les préserves du. mal ; qu'ils soient un, comme nous sommes un, que cette unité soit parfaite, afin que le monde reconnaisse que c'est toi qui m'as envoyé [1]... »

Afin que... Afin que...

Jusques à quand refuserons-nous aux prières de la Bible la preuve qu'elles demandent, la preuve que Dieu est grand et que Jésus est son Messie ? Quand donc aimerons-nous assez le Fils de Dieu pour accueillir comme des frères tous ceux qui entrent de bon coeur dans la Maison de Dieu. ?

« O Eternel ! exauce l'étranger. »

[1] Jean 17.15, 21.

La prière d'Elie.

« C'en est assez, O Eternel ! reprends mon âme, car je ne vaux pas mieux que mes pères... J'ai déployé mon zèle... Je suis resté, moi seul.., et ils en veulent à ma vie. » (1 Rois 19).

Prière du découragement. Elie s'est dépensé pour Jéhovah, il a fait des prodiges, il a détrôné Baal, et voici toute son œuvre ruinée par le geste d'humeur d'une femme vindicative que son mari courtise pour obtenir ses bonnes grâces. Jézabel commande. Achab obéit. Elie, obligé de fuir sous la menace, crie à Dieu : « Je suis resté, moi seul ! »

Et Jéhovah répond dans la « voix de silence » qui suivit en Horeb le fracas de la tempête, le tremblement de terre, l'éclat de la foudre, et qui mit dans l'âme du prophète une harmonique de Dieu, : « Va ! retourne sur les pas ! Tu oindras Azaël... Jéhu... Elisée... Je me suis réservé sept mille hommes qui n'ont pas fléchi le genou devant Baal. »

Elie se croyait seul : ils sont sept mille ! Elie croyait Baal vainqueur, et les exterminateurs de Baal sont à la porte, déjà tout désignés par le décret divin.

Quelle leçon pour les heures où tout ici-bas concourt à nous décourager ! Le découragement est humain. Quand nous avons lutté pour Dieu, triomphé par Dieu,et que les circonstances nous trahissent ou que les hommes s'interposent, le découragement est une épreuve, il n'est pas une infériorité. Il peut atteindre les âmes chrétiennes les plus fidèles ; mais si elles veulent rester fidèles, elles ne doivent pas s'y attarder.

Qu'elles crient à Dieu comme Elie dans le recueillement de l'Horeb, et la « voix de silence » leur rendra la sérénité, en leur révélant comme à Elie les ressources insoupçonnées dont la Providence dispose pour mener à bien ses desseins.

Nous somme gens à courte vue, même quand nous n'avons à coeur que l'honneur de Dieu. Sachons rester humbles dans la déconvenue comme dans le succès. Si nous voulons sauver la maîtrise de nos âmes dans les heures adverses, gardons-nous de réduire jamais aux limites de notre action les possibilités de Dieu.

La prière d'Elisée.

« Jacob dit : « C'est ici le camp de Dieu! » (Gen. 32.2).

« O Eternel, ouvre ses yeux, afin qu'il voie ! » (2 Rois 6.17).

Israël fléchissait sous l'étreinte du terrible Ben-Hadad. L'armée syrienne bloquait Samarie. La tête d'Elisée était mise à prix. « Homme de Dieu », s'écria son serviteur, « qu'allons-nous faire ? » Elisée lui répondit : « Ne crains point. Ceux qui sont avec nous sont plus nombreux que ceux qui sont avec eux. » Puis il pria : « O Eternel, ouvre ses yeux afin qu'il voie ! » Et le serviteur vit sur les collines toute une multitude de chevaux et de chariots de feu autour d'Elisée.

C'était le « camp de Dieu ».

Tel Jacob fuyant Laban et tremblant de voir Esaü se jeter sur sa caravane sans défense, vit autour de ses troupeaux des anges qui allaient et venaient.

C'était « le camp de Dieu ».

Le Sadhou Sundar Singh nous racontait un soir comment il avait été sauvé des mains d'une horde de Thibétains en furie parce qu'au moment de le lapider ses meurtriers avaient vu autour de lui toute une foule de visages mystérieux et surhumains.

C'était « le camp de Dieu ».

Ces faits miraculeux, trouées sur l'invisible, nous révèlent le monde spirituel bien plus près de nous que nous ne le pensons. nous entoure, il nous porte... Ce que voient nos regards de chair n'est qu'apparence ; le réel, c'est l'invisible : « Dieu est Esprit.

Quand le regard de l'âme a saisi l'invisible, le croyant prend conscience du « camp de Dieu » au sein duquel il marche, et l'assurance qu'il existe entre lui et l'adversaire une zone de protection divine remplit son coeur d'une paix souveraine.

Je ne dis pas que le croyant sera épargné, mais l'échelle des valeurs, pour lui, sera renversée. Il y a des victoires qui isolent de Dieu ; il y a des défaites qui font affluer les anges. L'heure de la Puissance des ténèbres elle-même ne peut faire reculer « le camp de Dieu ». A Gethsémané, il y avait un ange...

« L'ange de l'Eternel campe autour de ceux qui le craignent et les garantit [1] »

[1] Ps. 34.8.

La prière d'Ezéchias.

« Maintenant, Eternel, notre Dieu ! délivre-nous de la main de Sanchérib, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, ô Eternel ! » (2 Rois 19.19).

Du Tigre au Jourdain, les Assyriens ont promené leur gloire et leur férocité. L'armée de Sanchérib, comme une marée formidable, bat les murs de Jérusalem. Le Rab-Schaké somme Ezéchias d'ouvrir ses portes.

Ezéchias sait qu'avec une poignée de soldats il ne peut refouler l'ennemi. Il sait aussi que les tyrans de Ninive ne pardonnent pas aux rois qui leur résistent ; qu'ils leur crèvent les yeux, leur mettent un crochet de fer dans les mâchoires et les traînent, mutilés, derrière leur char triomphant.

Mais l'Assyrien a dit : « J'ai vaincu tous les dieux, et Jéhovah ne vaut pas plus que les autres. » Si Ezéchias ouvre les portes de Sion, que deviendra l'honneur de Jéhovah ! Déjà le royaume des dix tribus est anéanti, la campagne judéenne, ravagée. Jérusalem seule reste debout, rempart ultime de la gloire du vrai Dieu.

Si ce rempart est livré, le nom de Jéhovah sera déshonoré, vaincu, rayé de dessus la terre. Ezéchias, inspiré par Esaïe, accepte le défi, lourd de menaces. Au lieu d'ouvrir, il se rend au temple et prie. Prêt à tout souffrir pour lui-même, il remet la cause de l'honneur divin entre les mains de Jéhovah, qui peut faire des miracles pour sauver l'honneur de son nom.

Et dans la nuit suivante, l'Ange de l'Eternel répandit dans l'armée assiégeante la terreur de la peste. Démoralisés, décimés, les Assyriens levèrent le camp avec précipitation et s'enfuirent loin de Jérusalem. Le miracle de Dieu avait sauvé le berceau du Messie.

Que de fois l'exaucement d'Ezéchias s'est reproduit dans la vie collective ou dans la vie individuelle des enfants de Dieu !

Dieu dispose pour nous, en tous temps, des ressources de la surnature, mais nous retenons Dieu dans les limites die la nature, parce que notre foi se refuse à les déborder.

Sans doute Jésus a dit : « Demandez et vous recevrez. » Mais la demande, dans l'Evangile de la croix, ne va pas sans conditions. Pour obtenir, il faut avoir le courage, comme Ezéchias, de s'avancer par la foi nue sur le terrain du risque.

Si nous n'obtenons pas, c'est que nous tendons la main de trop loin.

A propos d'Ezéchias.

« J'ai entendu ta prière, j'ai vu tes larmes : je te guérirai. »

(Lire 2 Rois 20.1-11).

Quand j'étais étudiant, une chrétienne militante vit mourir à 17 ans sa fille aînée, la fleur de la famille. « Jamais, me dit cette femme 'au lendemain de son deuil, je n'ai prié pour la guérison de mon enfant. J'ai demandé seulement au Seigneur de me ranger à Sa volonté. » L'attitude de cette mère m'impressionna fortement ; l'expérience m'a appris à comprendre autrement le rôle de l'intercession.

Si nous n'avions affaire qu'à Dieu, ce serait assez de laisser les événements se déployer en demandant au Père céleste de plier notre volonté à leur cours.

Jésus lui-même a dénoncé les ravages exercés sur la terre par un Ennemi dont il nous dit : « il est meurtrier dès le commencement [1] ». Par là, Jésus a introduit dans notre vocation d'intercesseurs un élément de réaction.

A Pierre, il déclare : « Satan vous a réclamés pour vous cribler... mais j'ai prié [2]... » A ses disciples, il dit : « Ne fallait-il pas délivrer cette fille d'Abraham que Satan tenait liée depuis dix-huit ans [3] ?

A la suite de Jésus nous devons, par tous les moyens, nous employer à « détruire les oeuvres du diable [4] » et de ses suppôts. Dans cette lutte pour arracher à Satan ses victimes, de merveilleux exaucements nous attendent.

Hérode emprisonne Pierre. Mais l'Eglise prie et la porte du cachot cède [5].

Paul à son, tour est mis aux fers. Ses amis prient et L'apôtre est rendu « à leurs prières » [6]. Les Epîtres à Timothée et à Tite nous apprennent tout le bénéfice que l'Eglise a retiré de cet exaucement.

Ailleurs, « la prière de la foi sauvera le malade [7], et le malade lui-même, tel Ezéchias, peut en luttant par la prière éloigner la mort de son chevet.

Comme nos vues bornées ne nous permettent pas toujours de distinguer l'origine de notre épreuve, nous devons dire avec Jésus dans son agonie de Gethsémané : « Père, que ta volonté s'accomplisse et non la mienne. » Mais avant l'abdication, nous devons avec Jésus pousser vers le ciel le « s'il est possible » où s'affirme notre liberté d'enfants de Dieu [8].

Le fatalisme n'est chrétien sous aucune de ses formes. Prenons garde que jamais notre soumission ne ressemble à de la passivité.

Dans le champ clos où se débat notre destinée, la puissance de Satan est grande, la puissance de Dieu est plus grande, et nous pouvons obtenir de grandes délivrances par la puissance de la prière. Une seule chose est petite, c'est notre foi.

[1] Jean 8.44 ;

[2] Luc 22.31 ;

[3] Luc 13.11 ;

[4] 1 Jean 3.8 ; cf. Eph. 6.10-20 ;

[5] Actes 12.15 ;

[6] Philémon 1.22 ;

[7] Jacques 5.15 ;

[8] Mat. 26.39.

La prière d'Habacuc.

« O Eternel, tu as les yeux trop purs pour voir le mal.... pourquoi donc regarderais-tu les perfides et te tairais-tu quand le méchant dévore celui qui est plus juste que lui ? » (Hab. 1.13).

C'est la prière du scandale. Le prophète, exaspéré par la conduite des Assyriens., s'en prend à Dieu, lui rappelle les exigences de sa sainteté et le somme d'anéantir les mécréants. Pour un peu, on croirait qu'Habacuc est plus jaloux de l'intégrité divine que Jéhovah lui-même.

Et nous aussi parfois, quand nous mesurons tout le mal qui s'accomplit chaque jour dans le monde ou quand nous sommes victimes d'une flagrante injustice, nous sentons notre foi se troubler : comment Dieu laisse-t-il faire ?

Au vrai, nous voulons agir comme des êtres libres et nous voudrions que Dieu agît comme si les autres êtres ne l'étaient pas. Dans cette contradiction gît notre folie et un danger mortel pour notre vie spirituelle.

Or la liberté, qui seule permet à la créature humaine de se distinguer de la pierre, de la plante et de l'animal pour devenir liliale à Dieu, la liberté suppose la possibilité du mal... Possibilité qui, en elle-même, est un bien, puisque par elle seule peut paraître sur la terre une créature image de Dieu, un être volontairement moral, sanctifié, co-ouvrier du triomphe que les enfants, de Dieu remporteront par Christ sur les puissances d'iniquité, de dissolution et de mort.

En tout ceci, le mystère nous déborde ; mais Dieu ne nous a pas demandé de dominer le mystère, c'est-à-dire d'être assez haut pour contempler dans leur harmonie toutes les lignes de l'édifice universel que, dans son amour, il construit. Dieu nous demande seulement d'avoir confiance.

C'est ce qu'Il demandait à Habacuc. Voyez plutôt ce qu'il répond à son fidèle et bouillant serviteur : « L'orgueilleux s'égare, mais le juste vivra par sa foi [1]. L'orgueilleux, c'est celui qui se met à la place de Dieu et voudrait lui dicter sa conduite. Le juste est celui qui a compris qu'entre Dieu et nous, ce n'est pas affaire de science mais affaire de confiance.

Quand une âme est filiale, elle ne demande pas de comptes à Dieu. Elle sait que le péché peut troubler le plan de Dieu, non l'empêcher de s'accomplir ; qu'il peut faire clouer Jésus sur la croix, mais non l'empêcher de ressusciter le matin de Pâques ; qu'il peut, dans l'histoire humaine et même dans l'Eglise, donner momentanément l'avantage à Satan, mais qu'il ne peut empêcher la victoire finale de Celui qui a dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. »

Acceptons donc de souffrir et de voir souffrir, nous souvenant que nulle souffrance n'atteindra jamais l'agonie de Jésus librement, filialement consentie.

[1] Hab. 2.4.

La prière d'Agur.

« Ne me donne ni pauvreté, ni richesse, nourris-moi du pain qui m'est nécessaire : de peur que, dans l'abondance, je ne te renie en disant : qui est l'Eternel ? Ou que dans la pauvreté je ne sois entraîné au vol et je ne déshonore le nom de mon Dieu. » (Prov. 30.8-9).

Voilà une prière qui nous met en garde contre deux dangers :

Le danger d'être élevé à une position qui nous dépasse, nous illusionne sur nos capacités, nous confère des moyens d'action hors de proportion avec notre mérite, et nous amène à nous attribuer des louanges qui retiennent à notre état, non à notre personne. C'est le péril que courent toutes les royautés, même celles dont la couronne est de carton ; il enlève à ceux qui y succombent le contrôle de la vie morale et tarit en eux les sources de l'Esprit.

Le danger d'être maintenu dans une misère chronique, qui nous ôte la joie du service, l'indépendance du caractère, la paix dans les affections. L'insuffisance des ressources, provoque une détresse que l'on tait par fierté, mais qui use le tempérament et conduit, si l'on ne veille, aux vices de la servitude. C'est le péril que courent toutes les vassalités même celles dont le collier est d'or.

A part les âmes d'élite qui ont la vocation du, martyre, il est difficile à un enfant de Dieu de conserver, dans cet abaissement, la maîtrise de sa vocation et le rayonnement de l'Esprit.

Jésus savait cela ; il avait lu la prière d'Agur ; c'est pourquoi Il nous apprend à dire dans l'Oraison dominicale : « Notre Père... donne-nous notre pain quotidien, et ne nous induis pas en tentation. »

La prière d'Esaïe.

« Me voici, envoie-moi ! » (Esa. 6.8).

Quatre mots... Toute une vie donnée à Dieu. Et quelle vie ! Un ministère de cinquante années durant lesquelles l'action du jeune Hébreu, devenu, prophète, arrêta la décadence d'Israël, provoqua la réforme d'Ezéchias, interdit à l'Assyrien l'entrée de Jérusalem et alluma dans le ciel des croyants l'espérance messianique, étoile qui ne devait pas s'éteindre avant d'avoir conduit les mages à la crèche de Bethléem. Chantre d'Emmanuel et héraut de la sainteté de Jéhovah, Esaïe fut déjà salué par l'Ancienne Alliance comme le prince des voyants.

Nul ne peut calculer toutes les possibilités que la grâce éveille dans une âme qui se met à la disposition de Dieu. Mais il faut, comme Esaïe, s'offrir sans marchander, après avoir entendu l'appel d'en haut, s'être senti perdu dans sa déchéance et purifié par le charbon ardent pris sur l'autel divin [1].

S'il se fait aujourd'hui si peu de miracles parmi les ouvriers de l'Evangile, c'est que beaucoup se sont offerts aux hommes pour le service de Dieu, plutôt qu'à Dieu pour le service des hommes.

« Offrez à Dieu, dit saint Paul, offrez vos corps (c'est-à-dire vos moyens d'action sur la terre) en sacrifices vivants, saints, et que Dieu puisse agréer : c'est là votre culte rationnel. »

Les chrétiens, en général, prient pour obtenir, mais combien prient pour s'offrir ? Beaucoup se prêtent, combien se donnent ? Il y a dans notre protestantisme contemporain d'immenses réserves en argent et en énergies. Ce qui manque, c'est l'élan de la prière d'Esaïe : « Me voici ! »

Et pourtant, l'appel de Dieu est aussi pressant qu'au temps du fils d'Amots ; par le déficit des oeuvres, par l'attiédissement des Eglises, par le débordement du luxe, par le relâchement des moeurs, par les besoins religieux des foules, par les adjurations du monde païen, Dieu nous crie aujourd'hui comme autrefois à Israël : « Qui enverrai-je, et qui ira pour nous ?

Ne voulez-vous pas lui. répondre : « Envoie-moi ? »

[1] Esa 6.5-6.

La prière de Jérémie.

« O Eternel..., serais-tu pour moi comme une onde tarie, »

« Comme une eau dont on n'est pas sûr ? » (Jér. 15.18).

Jésus demandait un jour : « Qui dit-on que je suis ? Quelqu'un répondit : « Que tu es Jérémie ressuscité. » Tant Jérémie avait laissé dans la tradition le souvenir d'un homme en qui Dieu vivait, aimait, souffrait, se donnait pour son peuple. Nul comme Jérémie n'a préfiguré Jésus-Christ.

Pourtant, c'est dans son coeur qu'est monté contre Dieu le terrible soupçon dont l'Oriental mieux que nous mesurait la portée : la caravane mourante de soif arrive au ruisseau coutumier, onde tarie. Les chameliers alors se traînent vers l'étang où l'on pouvait encore boire l'étang n'est plus qu'un marais croupissant, une eau dont on n'est pas sûr.

Trompée par le désert, la caravane n'a plus qu'à se coucher sur le sable et attendre la mort. Dieu, lui aussi, tromperait-il ?

Les plus intrépides champions du Seigneur ne sont pas à l'abri du doute. Que dis-je ? Ils lui sont rendus plus accessibles qu'à d'autres par l'exceptionnelle difficulté de leur combat. Aux grandes âmes, les grandes secousses.

Ce qui est grave, ce n'est pas le doute lui-même, né d'un moment de fatigue, de dégoût ou de désespoir ; ce qui est grave, c'est l'attitude que l'on prend vis-à-vis de Dieu lorsque le doute, entré dans l'âme, la tenaille.

Quand le doute est entré dans l'âme de Judas, Judas s'est tu. Il a dissimulé, et c'est dans l'atmosphère créée par l'isolement moral de son hypocrisie que s'est développé le germe de la trahison.

Quand Jérémie a douté, aussitôt il s'en est ouvert à son Dieu, il Lui a crié sa douleur, il l'a apostrophé, il l'a sommé et, poursuivant avec emportement le Tout-Puissant qui lui échappait, il l'a trouvé.

Dieu était là. Il est toujours là.

Dans les heures de crise, ce n'est pas son étreinte qui se desserre, c'est la nôtre. Si nous nous croyons abandonnés, suivons la méthode de Jérémie ; au doute, opposons la prière. Jetons-nous à genoux, soyons francs devant Dieu, vidons avec Lui notre querelle, débridons la plaie de peur qu'elle ne s'envenime. Quand nous aurons ouvert à Dieu notre coeur tout grand pour qu'Il y rentre, nous nous apercevrons qu'il ne l'avait jamais quitté.

La prière de Baruc.

« Seigneur tout-puissant, Dieu d'Israël,

Une âme dans l'angoisse, un esprit inquiet crient à toi,

Ecoute, Seigneur, aie pitié, écoute la prière des morts d'Israël » (Baruc 3.1-4)

Chaque année revient la Toussaint, le mois de la prière pour les morts et des fleurs dans les cimetières. Et chaque année fleurs et oraisons s'en vont dans le vent fripeur de novembre. Dieu ne demande pas aux vivants de prier pour les morts ; il demande que les morts qui ont prié soient exaucés par les vivants. Quant aux fleurs... Se voir « couvrir de fleurs » quand on se sait trahi, est déjà sur la terre une impression intolérable ; que doit-ce être dans le ciel, si, comme je le crois, le monde des esprits voisine avec le nôtre ! Vous imaginez-vous que ceux qui sont partis, emportant nos larmes et nos promesses après nous avoir lancés dans la vie, légué leur oeuvre et remis leur idéal, se désintéressent de nous dans le pays de gloire où ils s'associent à l'activité du Seigneur, notre avocat auprès du Père ? Si nous abandonnons la ligne qu'ils nous ont tracée, la responsabilité nous en est légère aujourd'hui, mais demain, devant eux, devant Dieu, comme elle sera lourde »

« Ceux-là sont morts que notre coeur oublie » a dit un poète chrétien. Ceux-là honorent leurs morts et les font revivre qui les continuent.

Prieurs portés et orientés par la vie de prière des chrétiens qui nous ont devancés dans la paix glorieuse des enfants de Dieu, restons fidèles, non seulement à leur mémoire, mais à leurs principes ; gardons leur vision, continuons-les par notre effort ; travaillons dans des conditions qui permettent à Dieu de les exaucer ; alors nous pourrons faire nôtre la supplication de Baruc : « Seigneur tout-puissant, écoute la prière des morts d'Israël ! »

[1] Baruc a été le disciple et le secrétaire de Jérémie. C'est lui qui nous a conservé les discours de son maître (cf. Jér. 32.12 ; 36.4 ; 43.3 ; 45.1). La Bible grecque renferme dans son canon un livre qui porte le nom de Baruc et qui contient des passages de la plus haute inspiration. Sous sa forme actuelle, ce livre date du 1er siècle avant Jésus-Christ. La Bible catholique l'a conservé aussitôt après les Lamentations de Jérémie. On le retrouve entre l'Ancien Testament et le Nouveau Testament, parmi les Apocryphes, dans la Bible de Luther.

La prière d'Ezéchiel.

« Je me jetai la face contre terre et je m'écriai à haute voix : Hélas ! Seigneur Eternel, tu veux donc exterminer ce qui reste d'Israël ? » (Eze 11.13).

On croit volontiers que le découragement est le propre des âmes faibles. C'est une erreur. Le découragement, le vrai, est la marque des forts. Les plus grands hommes de Dieu l'ont connu : Moïse, Samuel, Elie, Jérémie, Ezéchiel, Jean-Baptiste. Pour éprouver ce découragement il faut s'être donné tout entier à la tâche, avoir le coeur passionné pour Dieu, frissonner ,d'épouvante au contact des puissances infernales, de la malice humaine, mesurer sa propre faiblesse, trembler à la menace du jugement de Dieu... Ce découragement-là, voisin du désespoir, son frère, c'est la crise des âmes héroïques, momentanément submergées. Où trouveront-elles un recours contre la ruine qui les guette ? Dans la prière. Voyez l'exemple des grands prophètes et d'autres, comme Néhémie. Découragé par l'œuvre de Dieu, Néhémie en appelle à Dieu ; Jean-Baptiste, découragé par l'attitude de Jésus, en appelle à Jésus.

Le découragement est le vacillement de l'âme au choc des événements. Quand un enfant marche à côté de son père, si quelque accident de terrain lui fait perdre l'équilibre, il saisit aussitôt la forte main toujours prête à le secourir. Enfant de Dieu, suis son exemple. Quand tu chancelles, saisis la main de ton Père céleste. C'est dans la prière que tu la saisiras. Si tu dis : je suis trop découragé pour prier, c'est Satan qui te tente, qui veut t'enlever ton suprême moyen de défense, qui cherche à t'attirer sous les eaux sans retour, où sombrent toutes les énergies, toutes les espérances, toutes les puissances de réaction contre l'asphyxie de la personnalité. Ressaisis-toi ! Tiens-toi à Dieu !

Ne plongent que ceux qui s'abandonnent.

La prière d'Esdras.

« Mon Dieu..., nous avons abandonné tes commandements... Nous voici devant toi, coupables, et nous ne saurions ainsi subsister devant ta face. » (Esd. 9).

Les derniers siècles du judaïsme, qui devaient servir de portique au Messie, nous ont conservé quatre prières, brûlantes confessions des péchés : celle d'Esdras, celle de Néhémie, celle des survivants de Sion qui a été annexée au livre d'Esaïe (chap. 63-65), et celle de Daniel. Il y a dans ces appels au Dieu « réparateur des brèches », une gradation trop inaperçue. La confession d'Esdras toute tournée vers le passé se résume en un cri d'angoisse : « Nous voici devant toi, coupables... [1]. » Celle de Néhémie, forte des résultats du présent, pousse un cri d'espérance : « Bénissez l'Eternel », et implore pour l'avenir « au nom de toutes les épreuves subies [2] ». Celle du peuple ruiné et dépossédé s'élève plus haut et en appelle à Dieu, au nom de sa paternité : « Tu es notre père, te contiendras-tu plus longtemps [3]? » Celle die Daniel, enfin, atteint le sommet en donnant à Dieu pour motif de son intervention libératrice l'honneur de son nom.

Esdras est arrivé sur les ruines de Jérusalem. Il veut rebâtir. Mais les Judéens ont pactisé avec le monde, les mariages mixtes les ont rendus inaptes au Royaume de Dieu. Esdras prend avec lui tous ceux que « faisaient trembler les paroles de Dieu ». A genoux, il avoue les péchés du peuple, il s'humilie, il implore, il s'engage... L'assemblée s'unit à sa confession par des larmes. De cette réunion de prières est sortie la restauration d'Israël. Ainsi, à chaque tournant de l'histoire, c'est la prière qui répare les brèches de la Cité de Dieu.

Il y a lieu de s'inquiéter aujourd'hui du fléchissement de la prière, tout autant que du fléchissement des dons qui lui est consécutif. Deux faces d'une même misère, double indice que quelque chose ne va pas.

Ce n'est pas en repeignant la pompe qu'on augmente son volume d'eau, c'est en recreusant la source. Veillons aux sources de la vie intérieure, faisons le nécessaire pour ranimer l'ardeur de l'intercession.

Il en va de l'organisme spirituel comme de l'organisme matériel : quand le corps se refroidit, la mort menace.

[1] Esd. 9 ;

[2] Néh. 9 ;

[3] Esa 64.

La prière de Néhémie.

« O Eternel ! écoute la prière de ton serviteur... Fortifie-moi... Toi qui guidas nos pères... Souviens-toi, souviens-toi ! »

(Lire Néh. 1, 5, 6, 9, 13).

Néhémie avait fait un rêve immense : ressusciter son peuple. Il l'a réalisé. Son livre nous indique les difficultés de l'entreprise ; il nous révèle surtout le point d'appui qui permit à Néhémie de soulever la masse judéenne : « Eternel, sois attentif, fais-moi grâce, souviens-toi, souviens-toi, souviens-toi !... »

Néhémie nous montre ce que c'est que la prière : prier, ce n'est pas couler comme un robinet, c'est jaillir comme une source. Il nous' fait voir aussi comment la prière domine l'action, l'inspire et l'assure. Par là, il s'agrège à la plus haute lignée des ouvriers de Dieu : Moïse, Jérémie, Paul, lignée que continuent à travers les siècles jusqu'à nous toute une pléiade d'hommes et de femmes : Jeanne d'Arc, saint François d'Assise, Catherine de Sienne, Félix Neff, François. Coillard, Alfred Boegner. Je ne cite que quelques grands noms. Mais Dieu. sait que cette faculté, cette grâce de fonder l'action sur la prière peut aussi être possédée par les enfants die Dieu les plus humbles, les plus obscurs. Le monde les ignore, l'Eglise les connaît mal et généralement les sous-estime ; c'est qu'ils n'ont nul souci de s'étaler devant les hommes ; leur face est tournée du côté de Dieu. Mais au bien qu'ils font, au rayonnement de leur âme, on peut s'apercevoir que la qualité de leur énergie n'est pas d'ici-bas. Installés dans l'invisible, ils ne discernent que mieux les pièges du monde visible. Devant les obscurités qui brisent l'élan des hommes, ils opiniâtrent ; là où l'amour ordinaire se lasse, ils continuent d'aimer ; quand on s'abandonne avec eux aux entretiens intimes, on se renouvelle. Ils possèdent, comme Néhémie, une puissance de résurrection.

A qui veut faire de grandes choses pour Dieu, le chemin le plus court, c'est la vie de prière. Mais combien le comprennent, dans la fièvre qui nous tient ?

Prière des survivants de Sion.

« Eternel, tu es notre Père...

Ne sois pas courroucé à l'excès ;

Vois, daigne regarder : nous sommes tous ton peuple. » (Esa 64.7-8).

« Voici, je crée de nouveaux cieux Et une nouvelle terre. » (Esa 65.17).

C'est en vain que l'on chercherait dans l'Ancien Testament une page plus pathétique que celle-ci. Elle renferme une prière de prophète et la réponse de l'Eternel. L'une et l'autre se peuvent résumer ainsi :

Le prophète : Eternel, tu as aimé ton peuple, tu l'as béni, quand il était dans l'angoisse tu étais avec lui dans l'angoisse [1]. Il t'a trahi, et tu l'as châtié, combattu. Maintenant, vois ! Il souffre, il se meurt dans l'opprobre « Oh ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais » [2], car nous sommes tes enfants. Si tu restes sourd à nos prières, où est ton amour ? Si tu nous laisses écraser par les ennemis de ton nom, où est ta justice ? Devant l'excès de notre douleur « te contiendras-tu ? » [3].

L'Eternel : Qui donc ose mettre mon amour et ma justice à la mesure de ses appréciations misérables ? Mon amour s'étend à toutes les créatures. A celles qui me désirent sans me connaître, j'ouvre mes bras [4] ; celles qui, me connaissant, s'obstinent dans leur mauvaise voie, je refuse toute raison de vivre [5]. Je ne puis supporter qu'on se prétende religieux sans se courber sous ma volonté [6]. Mais que mes serviteurs se rassurent, eux, le petit troupeau ; rien ne sera perdu de leur fidélité. J'exaucerai avant qu'ils aient crié, [7] et je leur apprête un séjour où les oeuvres seront récompensées [8]. La prière rappelle celle d'Habacuc. La réponse annonce les Béatitudes de Mt. 6, les « Malheur ! » de Lev 6 et la prophétie de Jésus dans Mt. 8 : « Plusieurs viendront d'Orient et d'Occident et seront à table dans le Royaume des cieux... tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors. »

Merveilleuse unité de l'enseignement des Ecritures. Prions pour que Dieu nous apprenne à ne pas mépriser ses avertissements, à nous souvenir qu'il ne suffit pas d'être parmi les appelés pour compter parmi les élus. Ce qui s'écarte du plan divin n'a point de durée.

[1] Esa 63.9 ;

[2] Esa 64.1 ;

[3] Esa 64.11 ;

[4] Esa 65.1 ;

[5] Esa 65.2-7 ;

[6] Esa 65.5 ;

[7] Esa 65.24 ;

[8] Esa 65.20-25.

La prière d'un rescapé.

« Du sein du séjour des morts, j'ai crié, Et tu as entendu ma voix...

Tu m'as fait remonter vivant de l'abîme ! »

(Lire Jonas 2) .

Dans le livre de Jonas, qui fut de son temps un acte, de grand courage, et dont la conclusion tout évangélique a la douceur des paroles du Poverello, on a inséré un psaume ; ce psaume évoque une prière : l’appel déchirant d'un sinistré que les flots engloutissent, roulent, étouffent, plongent dans l'obscurité mortelle « jus qu'aux racines des montagnes ». Jonas crie à Dieu, Dieu le ramène à la surface, dans la lumière, l'air libre la chaleur du soleil, toutes les harmonies ravissantes la vie.

Ce récit apparaît très naïf. Pourtant, c'est une histoire éternelle de vérité. Pourquoi la catastrophe ? Parce que Jonas s'était éloigné de Jéhovah, avait déserté la mission que Jéhovah lui avait confié. Le naufrage du coeur avait précédé le naufrage du navire.

Parfois, sans que rien à l'extérieur le décèle, notre âme est submergée par les soucis, bousculée dans le remous des circonstances comme une pauvre petite chose dans le ressac des vagues ; moralement, c'est l'asphyxie ; intellectuellement, la plongée dans la nuit. Heures d'agonie... Quand nous sentons que tout nous quitte, c'est que nous avons quitté Dieu. Que faire ? « L'algue tenait ma tête, j'étais descendu jusqu'aux racines des montagnes, alors je me suis souvenu de l'Eternel. »

La prière de Jonas, c'est le coup de pied au fond de l'abîme, qui fait remonter et permet à notre main de saisir en haut la main de Dieu. Alors le Tout-Puissant, quelles que soient les difficultés de l'heure, nous ramène à la surface, à la lumière, à la vérité, à la santé morale, à la joie de vivre, car trouver Dieu, c'est aussi se trouver soi-même, et ce double bonheur passe toutes les épreuves.

PRIÈRES DE PSALMISTES. 1. La prière de l'égaré.

« Pardonne-moi les égarements que j'ignore...

« O Eternel ! mon Rocher et mon Libérateur. »

(Ps. 19.13, 15)

Par la voix de notre conscience, accordée avec l'Evangile, Dieu nous dit : Si tu veux me servir, sois humble, renonce à toi-même, ouvre ton cœur à la grâce, suis les directions de l'Esprit ; et nous mettons à Son service notre orgueil, nos préférences, nos ambitions, notre théologie et les inspirations de notre zèle humain. A la place de la justice de Dieu, nous avons mis notre justice. Au lieu d'être jaloux pour Dieu, nous sommes jaloux de nos frères. Ainsi dévoyés, nous ne comprenons plus les mots révélation et élection qui traversent toute la Bible comme un courant de vie; l'action de grâces, l'eucharistie, a perdu sa vertu, la vertu par laquelle Jésus nourrit les foules en multipliant le pain du corps et régénère les croyants en se donnant lui-même comme le pain de l'âme !.

Le Christ nous avait commandé d'établir son « Royaume » sur la terre avec les principes du. Sermon sur la Montagne, et nous avons établi le « christianisme », qui tolère la guerre, le nationalisme, le capitalisme, les misères sociales et les accommodements de la morale humaine. Dieu nous avait dit de construire l'Arche ; nous avons construit la Tour de Babel ; et dans la confusion où s'agite l'Eglise, les pauvres âmes qui cherchent, luttent, souffrent, prient, espèrent, ne voient point venir sur la terre le Royaume de Dieu.

Voilà l'égarement dont nous avons besoin de prendre conscience, que nous devons confesser, pour lequel nous devons implorer le pardon et dont nous devons revenir, comme individus et comme Eglise, si nous voulons qu'un jour la volonté de Dieu « soit faite sur la terre comme au ciel ».

1 Marc 8.6 ; 14.23.

PRIÈRES DE PSALMISTES. 2. La prière de repentance.

« O Dieu ! aie pitié de moi... »

(Lire le Psaume 51).

Née des larmes de David, répétée de génération en génération par les Israélites qui ont pleuré sur leur péché cette prière porte l'empreinte des siècles, qui l'ont démarquée pour l'adapter à leurs circonstances et faire de la supplication d'un homme le confiteor d'une nation. C'est ainsi qu'elle porte en conclusion l'implicite aveu de la faute collective qui a pour conséquence, quatre cent cinquante ans après David, la démolition des remparts de Jérusalem et la suppression des offices du Temple.

Mais le plan primitif y est encore à fleur de coin. Dans les trois strophes de son oraison, le roi-poète nous donne l'analyse la plus achevée de ce que doit être la prière de repentance. Il décompose, si j'ose dire, les attitudes intérieures de l'âme, comme s'il voulait nous montrer tout ce qu'implique le mouvement de la repentance qui obtient le pardon de Dieu.

D'abord l'aveu : connaître son péché et le reconnaître, ne pas chercher d'excuses, n'accuser que soi, se rendre compte que toute faute morale est une atteinte à l'honneur de Dieu et se livrer à merci : « J'ai péché contre toi, contre toi proprement, en sorte que tu seras juste dans ta sentence... »

Ensuite le recours : conscient d'être né d'une race déchue, le coupable confesse qu'il ne trouve en lui-même aucune puissance de réhabilitation, aucune ressource de salut. Il ne s'agit pas pour lui de se redresser, de s'améliorer, mais de se prêter à une transformation radicale de son être, et il implore pour cette transformation l'initiative de Dieu : « Purifie..., efface..., crée..., renouvelle !... »

Enfin, la promesse : sauvé, il se veut sauveteur. Avant même d'avoir obtenu sa grâce, il l'escompte. Il va au-devant d'elle, dans la reconnaissance d'une vie par avance consacrée. Il chantera, il enseignera, il publiera. Champion du Dieu qui lui aura rouvert les portes de la vie, il détournera les autres des fausses pistes où l'adorateur formaliste s'égare, il les amènera à son expérience à lui, à la seule démonstration salutaire : « Un coeur brisé et contrit. »

Telle, pour porter ses fruits, doit être la prière de repentance, la vôtre, la mienne ; telle fut celle du roi David. Qu'un seul élément vienne à manquer, la prière pourra traîner devant Dieu nos soupirs, nos illusions, nos infortunes ; elle n'élèvera pas notre coeur à portée de la voix libératrice : « Va en paix ! »

PRIÈRES DE PSALMISTES. 3. La prière d'actions de grâces.

Mon âme, bénis l'Eternel !

Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom !

Mon âme, bénis l'Eternel,

Et n'oublie aucun de ses bienfaits !

(Lire le Ps. 103).

Comme l'ingratitude est naturelle à l'âme humaine Voyez ici le pieux Israélite qui encourage et qui exhorte son âme à la reconnaissance envers Dieu. Il s'y reprend à deux fois, il la somme de n'oublier aucun de ses bic, faits, il l'avertit que la reconnaissance du bout des lèvres ne saurait suffire : il faut que tout l'être, tout ce qui c. en moi, dise merci à Dieu. Puis, comme pour échauffer, une reconnaissance lente à venir, il fait passer devant son âme, dans un impressionnant raccourci, tout ce qu'il doit à l'Eternel, dans la vie collective ou individuelle « C'est Lui..., c'est Lui..., c'est Lui!... »

Oh ! si nous savions nous inspirer de cet exemple au lieu de penser toujours à nos efforts et à nos droits, et (le dire à notre âme : « C'est moi..., c'est moi..., c'est moi !... »

Nous recevons de Dieu tous les jours infiniment plus que nous ne méritons : voilà la réalité méconnue, et cette méconnaissance paralyse en nous l'action de grâces. Apprendre à regarder, c'est apprendre à bénir.

Bénir, comment ? Dans le secret de la prière ? Oui, sans doute, Mais pas là seulement. Dans la langue hébraïque, l'âme et la vie sont une seule et même chose, désignée par le même nom. Sauver son âme égale sauver sa vie. Quand le psalmiste dit : « Mon âme, bénis l'Eternel ! », il entend : Ma vie, bénis l'Eternel ! Il s'engage à ce que son action, dans ses rapports avec ses semblables, manifeste la reconnaissance qu'il a pour son Dieu.

Comme nos moeurs chrétiennes seraient transfigurées si nous cherchions dans l'action de grâces leur inspiration ! Quels égards, quelle humilité, quelle miséricorde, quelle douceur ! Ce serait la vie normale de l'enfant de Dieu, la véritable orthodoxie. Car le mot orthodoxie, dans son étymologie grecque, ne signifie pas seulement doctrine droite, mais louange droite. Le chrétien orthodoxe est le chrétien dont la vie est une louange au Seigneur.

Eternel, enseigne-nous la vraie prière d'actions de grâces, celle qui fait de la vie un cantique.

PRIÈRES DE PSALMISTES. 4. La prière du Pèlerin.

« Eternel !... Je tiens mon âme dans le calme et le silence,

« Tel un enfant sevré sur le sein de sa mère,

« Tel un enfant sevré, mon âme est calme en moi. »

(Ps. 131).

Quelle poésie dans cette image, et quel réalisme !

L'enfant du premier âge n'aspire au sein de sa mère que pour s'en nourrir. Avide, il le cherche, le mord, et parfois le meurtrit. Quand le sein maternel l'a assouvi, l'enfant s'en détache et s'endort. Jusqu'à ce que l'instinct l'y ramène par l'aiguillon de la faim, sa mère n'est rien pour lui.

Mais, tandis que renversé sur les bras qui le pressent, l'enfant plonge ses longs regards dans les yeux maternels, jour après jour un grand mystère s'accomplit, une transfusion d'âmes, une révélation d'amour, et des liens s'établissent qui seront les plus forts à travers toute la vie. La nourrice est devenue « maman ».

Voilà pourquoi, quand l'enfant est sevré, il recherche le sein qui ne le nourrit plus, mais d'où toutes les grâces lui sont venues. Petit pèlerin qui s'en va trébuchant sur le chemin de la vie, son instinct l'avertit que :

« L'asile le plus sûr est le sein d'une mère. »

Pour être paisible et heureux, il suffit qu'il soit « avec maman ».

Et nous aussi, comme le pieux Israélite qui chantait sa prière sur les chemins montants de Sion, comme l'enfant qui fait ses premiers pas en s'accrochant aux meubles de la chambre, nous sommes des pèlerins. En vain, chaque année, le 1° janvier, ouvrant sur la vie une étape nouvelle, nous donne un agenda tout neuf avec ses pages toutes blanches : notre coeur, notre vieux coeur de l'année écoulée, entre avec nous dans l'an nouveau, y apporte ses soucis, ses espoirs, ses craintes, ses meurtrissures, son expérience des choses qui est incertaine, son expérience des hommes qui est décevante... Qu'écrirons-nous sur les pages blanches ? Cela dépendra de notre vie de prière.

Si notre foi n'a pas dépassé le stade de la première enfance, si nous ne recherchons Dieu que quand le besoin nous presse, si nous ne crions à lui que si l'intérêt nous y pousse, le cours de nos années sera sans profit spirituel, sans progrès, sans puissance. Il n'y aura pas de lumière paisible sur notre chemin, et nous ne mettrons pas de lumière pacifiante sur le chemin des autres.

Si la prière accoutumée nous a mis avec Dieu dans une intimité telle que nous l'aimions pour Lui et non pour nous, que nous voulions Son avantage avant le nôtre, chaque année nous dispensera des grâces insoupçonnées, nous permettra une action féconde, et notre coeur, même au sein de l'épreuve, sera tranquille en Dieu.

La prière de Daniel.

« Seigneur, Dieu grand et redoutable, nous ayons péché... Maintenant, pour l'amour du Seigneur, fais briller ta face sur ton sanctuaire dévasté, écoute, pardonne, agis, pour l'honneur de ton nom, car c'est ton nom qui a été donné à ta ville et à ton peuple. » (Dan. 9).

Après s'être préparé à la prière par le jeûne, sur le sac et la cendre, Daniel confesse à Dieu les péchés de son peuple, puis il supplie, il adjure le Seigneur d'intervenir et de sauver : « Selon tes justes desseins... écoute ô notre Dieu, exauce, pardonne, agis, pour l'amour du Seigneur, pour l'honneur de ton nom... »

L'honneur de Dieu : motif suprême de notre combat, de notre endurance, de notre soumission à souffrir et à mourir. « Nul ne vit ni ne meurt pour lui-même », a dit l'apôtre Paul [1]. L'entreprise qui s'accomplit dans l'univers, le drame de la vie humaine n'ont pas pour fin notre succès, notre bonheur personnels, mais l'honneur de Dieu, sa gloire réalisée et reconnue.

C'est pour avoir compris l'honneur de Dieu et l'avoir donné comme fondement à toute sa théologie que Calvin a été le prince des réformateurs et le maître écouté de l'école du martyre.

Avec Daniel, l'Ancien Testament, atteignant aux cimes de la foi, se dépasse lui-même pour introduire le Nouveau Testament et amener sur la scène de ce monde le Fils de l'Homme dont l'unique raison d'être dans la vie et dans la mort a été la gloire du Père céleste : « Père, glorifie ton nom [2] !

Rachetés du Christ, nous sommes chrétiens dans la mesure où, par notre vie de prière, l'honneur de Dieu est le premier servi ; dans la mesure où notre santé, nos désirs, nos affections terrestres, la demande relative à notre pain quotidien et même aux grâces qui font vivre notre âme, sont subordonnés à la requête que Jésus nous commande de mettre en tête de tout : « Notre Père, que ton nom soit sanctifié et que ton règne vienne. »

Tant que nous voyons notre bonheur dans la satisfaction de nos exigences, nous ne sommes pas mûrs pour cette prière-là. Mais du jour où nous pouvons de bon coeur la faire monter vers Dieu, nous nous élevons à la joie totale qui surmonte toute douleur : nous respirons dans l'atmosphère des huit Béatitudes.

[1] Rom. 14.7 ;

[2] Jean 12.28.

NOUVEAU TESTAMENT

La prière de Marie.

« Mon âme magnifie le Seigneur... »

(Lire Luc 1.46-55).

Dans sa réaction contre le culte de Marie, étranger à la lettre comme à l'esprit des Ecritures, la piété protestante n'a pas su conserver la place qui lui était due à la Mater dolorosa. Tout cœur chrétien devrait entretenir la flamme perpétuelle de la reconnaissance envers la femme qui guida les premiers pas du Sauveur sur la terre et qui assista, en mère, à la Passion de Jésus-Christ. Ceux en particulier que la vie a obligés de déchanter durement, devraient méditer son exemple.

Comment se fait-il que l'ardente Galiléenne, qui attendait le Messie vengeur de l'apocalypse juive et qui pensait enfanter ce Messie-là au monde, ait pu, tous ses rêves déçus, toutes ses illusions perdues et le coeur transpercé par le glaive, aller sans défaillance de l'agonie de la croix aux prières de la chambre haute ?

Relisez son Magnificat ; mettez-le en style direct : Seigneur, mon âme te magnifie... » et vous comprendrez. Ruine du paganisme, triomphe de la révélation hébraïque, chute des couronnes, établissement de la théocratie par le grand acte de justice qu'annonçaient les prophètes, il y a tout cela dans l'action de grâces de Marie, et tout cela, elle le voit déjà accompli dans la carrière terrestre de « l'Etre saint » dont elle a accepté, par amour pour son peuple et pour Dieu, la charge maternelle. S'il n'y avait eu que cela, sa foi s'en serait allée avec son espérance.

Mais lisez bien : ce qui, dans la prière de Marie, domine toutes les expressions de l'attente messianique, c'est l'humilité. L'humilité est le fond même de l'adoration de Marie. Humilité pour elle : « Le Seigneur a abaissé son regard sur l'humilité de sa servante. Humilité dans le règne social que le Messie veut inaugurer : « Il exalte les humbles. » En dépit de toutes les gloires attendues, le règne messianique sera d'abord le triomphe des humbles : « Heureux les humbles », dira Jésus, « car le Royaume des cieux est à eux ».

Etre humble comme Marie, s'en remettre comme elle à la miséricorde, se reconnaître trop petit pour savoir sous quelles formes viendront à nous les grâces que Dieu nous offre : voilà le secret de l'obéissance dans les jours adverses, le salut de la foi dans les heures crucifiantes, la seule attitude qui nous permette, quand nos plans personnels se sont écroulés, de nous joindre comme Marie aux prières des disciples du Seigneur.

La prière de Siméon.

« Seigneur, tu laisses aller ton serviteur en paix... » (Luc 2.29).

L'enfant Jésus est accueilli et béni dans le Temple, non par un prêtre, mais par un prophète. Ceci est de grande portée.

Rencontre émouvante : un enfant qui porte en lui l'Israël nouveau, un prophète qui incarne l'attente de l'Israël ancien, et dont les paroles indiquent qu'il est aux termes de sa course. « Tu laisses aller ton serviteur en paix. »

« Tu laisses aller... » Siméon mourra donc avant que le Messie ait grandi, se soit manifesté. Siméon ne verra rien de ce qu'il eût souhaité voir. « En paix... » Comment peut-il s'en aller en paix à l'aube d'une journée dont il prédit lui-même les orages ? Contradiction, chute, glaive acéré dont la pointe va labourer le cœur de Marie... Ce que Siméon pressent, ce qu'il annonce, ne devrait-il pas le porter à dire : « Seigneur, ton serviteur s'en va dans l'angoisse... ce qui se prépare est si troublant ! » Ou bien : « Seigneur, renouvelle mes forces et donne-moi de vivre, afin de pouvoir prendre part au combat, et aider au succès du programme messianique... » Mais non. Siméon part en paix. Pourquoi ? Parce qu'il fait confiance à Dieu.

Dieu se sert des hommes pour l'accomplissement de ses desseins, mais il n'a besoin d'aucun homme, pas même du pieux Siméon. Dieu, quand c'est l'heure, veut trouver le croyant à son poste ; il fallait que Siméon fût au Temple. Mais si demain Siméon meurt, Dieu saura bien, sans Siméon, tirer gloire du Messie. Le vieux prophète l'a compris, et c'est pourquoi il part en paix.

Il n'est pas de circonstance sur la terre, où tel serviteur soit indispensable à Dieu. Ce qui est indispensable à Dieu, c'est la confiance de Ses serviteurs dans Son service. Sur cette confiance, Dieu bâtit Son règne comme il veut, où il veut, avec qui il veut. A Dieu le plan, à Dieu les moyens, à Dieu la victoire. Si nous avons compris cela comme Siméon, nous pouvons, comme lui, faire monter la prière du coeur qui s'en remet, qui s'abandonne : la prière de « l'esprit doux et paisible, qui est d'un grand prix devant Dieu » [1].

[1] 1 Pierre 3.4.

L'entrée en charge de Jésus.

« Pendant qu'il priait, le ciel s'ouvrit et l'Esprit descendit sur lui. » (Luc 3.21).

« Aussitôt l'Esprit le poussa au désert. » (Marc 1.12).

Jésus, après avoir reçu, en réponse à sa prière, la puissance messianique, resta quarante jours dans la retraite. Temps perdu, diront ceux pour qui agir c'est s'agiter, organiser, plaider. Temps gagné, diront ceux pour qui agir c'est obéir, servir, témoigner ; et ils auront raison.

Dans sa rencontre avec Satan, son tête-à-tête avec Dieu et le commerce des anges, Jésus a acquis la maîtrise spirituelle qui devait le rendre « Saint à Dieu, terrible au démon » (Pascal), et établir son ministère dans une vie de prière dont il dira devant le tombeau de Lazare : « Je savais bien que tu m'exauces toujours. » Quarante jours de retraite avant de commencer son oeuvre, une nuit de prière avant d'élire ses apôtres, des heures à Gethsémané avant d'affronter la croix : telle est la méthode de Jésus qui attend tout des initiatives divines ; aussi appelle-t-il les hommes groupés autour de Lui : ceux que le Père attire, ceux que mon Père me donne.

Si nous savions, à l'imitation de Jésus, faire de la prière le grand levier de notre action, nous éviterions bien des erreurs, bien des fautes, et bien des tourments aussi, car notre action, rattachée directement à Dieu, partirait de Dieu, irait par la force de Dieu.

Dans la mesure où nous faisons fond sur l'initiative de l'homme, notre activité se poursuit dans l'inquiétude humaine. Ce n'est pas assez de travailler pour Dieu, il faut travailler par Dieu. Ce travail ne s'accomplit que là où la prière, reconnue dans sa valeur agissante, est mise au premier plan, je veux dire là où l'on ne fait pas deux parts dans la vie : la prière et l'action, mais où l'on considère la prière comme la plus indispensable, la plus constante et la plus efficace des actions.

« L'argent est à moi et l'or est à moi, dit l'Eternel. [1] »

Ce n'est donc pas à nous, c'est à Dieu de demander à ses enfants les ressources nécessaires pour son oeuvre. Demander à Dieu, c'est obtenir des hommes ; car le coeur de hommes est entre les mains de Dieu comme leur argent et leur or. Vivre une vie de prière, puiser dans cette vie l'autorité d'unir les Eglises dans un grand effort d'intercession : voilà la cible que nous avons à atteindre nous-mêmes, si nous voulons que les autres soient atteintes. Cette cible-là ne risque pas de nous décevoir, car elle dépend, non de la générosité de l'homme, mais de la fidélité de Dieu.

[1] Agg. 2.8.

La prière de Jean-Baptiste.

« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Luc 7.20).

Un pont d'une seule arche jeté de l'ancienne alliance à la nouvelle, tel fut Jean-Baptiste. Tendu entre deux mondes qu'il relie sans leur appartenir, énigme pour les autres, énigme pour lui-même, il souffre, l'âme écartelée. Pour comble, cet homme du grand: air est jeté en prison. Le Galiléen qu'il avait présenté aux foules comme le Messie libérateur ne le délivre pas. Dans son cerveau, que l'inaction exalte, le doute point.

Mais Jean-Baptiste est un habitué de la prière ; bien plus, il est un instructeur de la prière. C'est au fait qu'il avait enseigné à ses disciples à prier que nous devons l'Oraison dominicale. De sa vie de prière, toutes les paroles sont perdues, mais un geste demeure, et ce geste dit tout. Quand le doute s'est emparé de lui, il n'en a pas fatigué ses bourreaux, il n'en a pas nourri ses fidèles, il n'en a pas savouré dans le silence l'amertume et l'orgueil; Voici ce qu'il a fait. Il a appelé deux de ses disciples et les a envoyés directement porter au Seigneur son trouble. Il s'est plaint de Jésus à Jésus. Et Jésus, aussitôt, par un acte, l'a raffermi.

Si les circonstances ébranlent votre confiance au Sauveur, souvenez-vous qu'il n'y a jamais eu une position sur la terre plus difficile à la foi que la position de Jean-Baptiste. Suivez son exemple. Etalé devant les hommes, le doute peut devenir contagieux ; enfoui dans le mutisme de l'âme qu'il torture, il anémie et tue aussi sûrement que le poison. Mettez-vous à genoux, appelez-en de Jésus à Jésus, confessez-lui sans détour les raisons bonnes ou mauvaises de votre trouble. Dites-lui avec larmes que vos regards l'ont perdu, dites-lui tout, tout, et il vous rétablira dans sa communion. Ce n'est que par Jésus qu'on retrouve Jésus

Comme il faisait encore obscur.

« Vers le matin, comme il faisait encore obscur, Jésus se leva et sortit pour aller dans un lieu désert, où il pria. » (Marc 1.35).

Au matin du 25 avril 1913, « comme il faisait encore obscur », j'étais allé me recueillir sur le bord du lac de Galilée. A l'Occident, la lune descendante argentait le profil des monts de Samarie. Bientôt, à l'Orient, le soleil, brusquant l'aube, marqua d'un filet d'or les crêtes du Hauran. Sous la moire de sa surface, le lac dormait. Partout la paix flottait dans la fraîcheur de l'ombre. C'était l'heure et c'était le cadre de la prière matinale de Jésus.

Oh ! la prière matinale ! Rosée de l'âme, aussi nécessaire avant la lutte quotidienne que la rosée des champs avant l'ardeur du jour ! En elle, les forces réveillées se retrempent, l'intelligence s'offre au reflet du ciel, la volonté rectifie ses positions, la conscience prend les ordres pour commander ensuite et les énergies d'en haut s'emparent du centre de notre être avant que les tentations aient repris leur attirance, ou que les obstacles aient fatigué notre effort.

On peut bien commencer et mal finir ; mais pour bien finir, le plus sûr n'est-il pas de bien commencer ? La prière matinale fait entrer Dieu le premier dans l'arène où Satan va revenir nous combattre ; la prière matinale nous élève avec Jésus jusqu'aux sources de sa victoire. Une journée vécue sans recours matinal à Dieu est une bataille livrée sans chef : conduite dans le désordre, elle a pour bilan la défaite. « Le matin, comme il faisait encore obscur, Jésus se leva et sortit pour aller dans un lieu désert, où il pria. »

La prière du démoniaque.

« Jésus.., ne me tourmente pas ! » (Marc 5.7).

Quand une puissance de ténèbres contrecarre en nous l'action divine, à quoi peut-on le reconnaître ? Au trouble qui nous saisit, sitôt que la prière nous met en présence de Jésus.

Du temps où le Christ vivait parmi les hommes, le ciel était descendu sur la terre, mais aussi l'enfer y était monté. Les démons reconnaissaient Jésus ; fascinés par lui ils le confessaient dans leurs clameurs : « Fils de Dieu ! Messie ! Tu es le Saint de Dieu ! » Ils le priaient de ne pas les renvoyer, le démoniaque lui-même supplie : « Jésus, ne me tourmente pas ! » Etrange parole dans la bouche d'un malheureux que l'esprit impur tyrannise et qu'un mot du Christ va libérer en refoulant les démons dans leur nuit.

Combien de pauvres coeurs, tenus en un repli secret par quelque possession mauvaise, prennent dans leur prière une attitude qui ne signifie pas autre chose que : Jésus, ne me tourmente pas ! Ils lui parlent toujours de leurs épreuves, jamais de leurs faiblesses ; ils implorent le Christ qui dispense les grâces, ils redoutent le Christ qui chasse les démons. Pourtant, leur trouble devrait les avertir que c'est de ce Christ-là, d'abord, qu'ils ont besoin.

Dic pereo, ne perens ! « Dis je péris, de peur que tu ne périsses ! » Ce cri sublime, inspiré à saint Augustin, par Pierre qui enfonce [1], ne convient pas seulement à l'apôtre qui perd pied sur les flots en démence, il convient aussi au disciple, dont la morale sombre dans le tumulte d'un coeur partagé, ce coeur que Jacques compare justement « aux flots démontés de la mer et dont il dit : « Que celui-là ne s'attende pas à rien recevoir du Seigneur [2]. »

Dic pereo !... Si tu dis à Jésus: « Ne me tourmente pas ! » tu optes pour les ténèbres ; si tu lui dis : « Je me corrigerai », tu t'illusionnes : un possédé ne peut lui-même briser ses liens. Si tu cries avec Pierre oscillant sur le gouffre : « Seigneur, sauve-moi ! », tu sentiras aussitôt l'étreinte de la main souveraine qui seule peut ramener les naufragés de l'abîme, et faire du démoniaque guéri l'évangéliste de Sa piété [3].

[1] Mat. 14.30 ;

[2] Jacques 1.6-7 ;

[3] Marc 5.19.

La prière sans paroles.

(Lire Marc 2.1-12 ; Luc 8.42-49).

La prière sans paroles ?

Dès le début du ministère de Jésus nous en trouvons deux exemples : le paralytique, dévalé par le toit jusqu'aux pieds de Jésus ; la femme malade, qui se faufile derrière le Maître à travers la foule, en se disant : « Si seulement je touche le bord de son manteau, je serai guérie. » L'un et l'autre, sans avoir proféré une parole, ont été exaucés. Par ailleurs, nous trouvons ce jugement du Christ dans le Sermon sur la Montagne : « N'imitez pas les païens qui pensent être exaucés en parlant beaucoup » [1].

Que conclure de tout ceci ? Que la prière chrétienne n'est pas une affaire de parole, mais d'attitude. Quand Paul dit : « Priez sans cesse » [2], il n'entend pas que nous devons passer toute la journée en oraison, mais que notre activité doit être tout le long du jour un geste vers Dieu. Lorsque nous tendons les bras à l'ami qui entre, nous n'avons pas besoin de lui dire : « Je t'accueille avec joie ». Un passant se jette à la tête de chevaux emportés, a-t-il besoin de crier au cocher : « Je viens à ton secours » ? Ainsi, au cours de la vie chrétienne fidèlement vécue, il est des attitudes qui parlent, des silences qui prient.

Bienheureuse certitude pour les croyants à qui la multiplicité des devoirs ne laisse point de répit. S'entretenir avec Dieu dans la paix du recueillement, pouvoir en tout temps tout lui dire, voilà certes un privilège incomparable où s'exprime la condition normale de l'enfant de Dieu. Mais il est des enfants de Dieu à qui notre société dénaturée par l'égoïsme ne fait pas de condition normale. Et même, pour tout enfant de Dieu, peut arriver un jour, où, bien que sa vie soit toute tendue vers Jésus, la fièvre de l'action, des obligations auxquelles il ne peut se soustraire, la fatigue d'un dévouement soutenu ou d'une souffrance continue, l'ont pris et comme broyé heure après heure jusqu'au soir, si bien qu'au bout de sa journée il tombe épuisé sur son lit et s'endort avant d'avoir achevé sa prière. Qu'il dorme. De celui-là, Jésus ne dit pas : « Qui m'a parlé ? » mais : « Qui m'a touché ? » Et, comme la malade silencieuse, il sera exaucé par la vertu du Christ.

[1] Mat. 6.7 ;

[2] 1 Thess. 5.17.

La prière d'une mère.

« O femme, ta foi est grande » (Mat. 15.28).

Rien ici-bas ne ressemble au coeur de Dieu comme le coeur d'une mère. C'est que la femme, de par la volonté du Créateur, est elle-même créatrice, comme l'indique son nom inaugural : Eve, la donneuse de vie.

Par le berceau, elle tient en ce monde tous les commencements. L'enfant, père de l'homme, est son œuvre. Avant de l'attendre, elle le désire ; avant de le connaître, elle le chérit. Pour l'élever, rien ne lui coûte ; pour le soigner, rien ne la rebute ; quand il lui est infidèle, elle lui demeure fidèle, et sa sollicitude veille sur lui, même au delà de la mort : telle Ritspa se tenant jour et nuit sur un rocher pendant tout le temps des moissons, pour défendre le cadavre de ses fils contre les oiseaux de proie et les bêtes sauvages [1].

S'il y a plus de religion chez les femmes que chez les hommes, c'est parce que la femme, plus près par vocation des sources de la vie, a moins de peine à les atteindre. Dans les combats de sa maternité contre tous les agents de la mort, elle est amenée par son instinct et contrainte par sa tendresse à se replier sur Dieu, à l'invoquer, à le sommer de lui prêter secours pour la tâche qui leur est commune : la création. Quand il s'agit de son enfant, une mère est reine dans l'intercession.

Voyez la Cananéenne aux pieds de Jésus : en vain les disciples réclament qu'on la renvoie, en vain le Maître lui-même fait le geste de l'écarter, elle ne lâche pas prise ; le génie de l'amour lui inspire des réponses qui transforment en moyens les obstacles et la rendent, par une sainte violence, victorieuse de Dieu « O femme, ta foi est grande ; qu'il te soit fait comme tu le désires ».

Le royaume du Christ sur la terre marcherait dans le triomphe si nous savions prier pour nos Eglises, pour ses oeuvres, pour les païens, comme une mère prie pour son enfant.

[1] 2 Sam. 21.

La prière d'un soldat.

 

« Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit... mais dis une parole, et mon serviteur sera guéri. » (Luc 7.6-7).

Quelle humilité dans l'âme de ce centurion, et quelle logique ! Plié par sa carrière de soldat romain à la hiérarchie des puissances et à l'autorité qu'on ne discute pas, ce prosélyte transpose sur le plan spirituel ses expériences du plan social : puisque mon action à moi, simple capitaine, peut s'exercer au loin par l'envoi d'un soldat, combien plus celui qui commande au monde des esprits doit-il pouvoir exercer au loin son influence toute puissante par l'envoi d'un messager spirituel !

Cette conclusion peut nous paraître élémentaire. Pourtant elle excita l'admiration de Jésus, qui s'exclama devant la foule : « Je n'ai pas trouvé foi si grande, même en Israël ! »

C'est que les Juifs, aux jours de Jésus, attendaient qu'il passât, qu'il parlât, qu'il agît devant eux, il leur fallait « mettre le doigt dans la marque des clous » Le centurion, lui, n'exige pas que ses yeux contemplent, que ses mains touchent. Penché seul sur son serviteur qui agonise, il croit, il sait que Jésus invisible est présent, muet et agissant, aux prises avec les mille obstacles de la terre et victorieux. Il croit sans voir, et son âme en paix compte sur la guérison. « Heureux a dira Jésus, ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru »

Sommes-nous sûrs d'avoir la foi du centurion ? Ne nous arrive-t-il jamais de dire : « Ah ! si Jésus passait par ici, si je pouvais lui parler, me jeter à ses pieds, toucher comme la veuve le bord de son manteau !...

Et ces réflexions soufflées par Satan dans le cœur qui doute nous font, à l'heure de l'épreuve, désespérément seuls.

Cependant, Jésus avait déclaré à Nathanaël, au premier jour de son ministère : « Dès maintenant, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme [3] ». Ce que Jacob avait pressenti dans son rêve tandis qu'il dormait, proscrit, sur la pierre de Béthel [4], Jésus l'a réalisé dans sa personne et dans son oeuvre. En lui, habitant parmi nous, le ciel ouvert s'est relié à la terre ; par Lui, opérant en nous, les anges, ses messagers, montent et descendent, dispensateurs des grâces, intendants des miracles, témoins et acteurs de la présence constante, dynamique du Christ dans notre vie mortelle, mais rachetée. « Je dis à l'un : Va, et il va ».

« Laissez » disait Rothe mourant, aux amis penchés sur son lit, « laissez approcher les anges !

Quand tu pries seul, dans ta chambre, si tu crois comme le centurion à la présence spirituelle du Christ, présence réelle, attentive, agissante, si tu y crois vraiment, la prédiction du Psaume 91 se réalisera pour toi : tu te sentiras « porté par la main des anges » [5].

[1] Jean 20.25 ;

[2] Jean 20.29 ;

[3] Jean 1.51 ;

[4] Gen. 28.11-15 ;

[5] Ps 91.11-12.

Le tressaillement de Jésus.

 

« Jésus tressaillit de joie et dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre!.... puis, se tournant vers ses disciples : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez. » (Luc 10.21-23)

S'il est vrai que la vie avec Dieu est la suprême félicité, tout service qui nous rapproche de Dieu est une source de joie. De même que, dans les feux champêtres, la flamme claire s'élance parmi les épines et la fumée, la joie jaillit du coeur chrétien, même à travers les heures les plus cruelles et les plus sombres. L'histoire nous la montre illuminant le lit des mourants et le cachot des martyrs. Jésus, au cours de son dur ministère, a tressailli de joie.

Couronnant l'action de grâce des psalmistes et le magnificat de Marie, la prière de Jésus, au retour des soixante-dix disciples, exprime au Père la joie du Fils pour la mission qu'il a reçue, pour la puissance qui lui a été donnée, pour les espérances infinies que cette mission et cette puissance font resplendir à ses yeux [1]. Dans la veillée de la croix, au moment où il passe à ses disciples les consignes qui les mettent sur le chemin du Calvaire, Jésus ouvre pour eux la source de la joie que personne ne pourra leur ravir [2] : Je suis le cep et vous, les sarments... si vous demeurez en moi... demandez tout ce que vous voudrez et cela vous sera accordé... afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15.5-11).

Magnifique enchaînement ! Etre unis au Christ vivant, demeurer dans son action, demander que cette action s'étende en nous, autour de nous, par une prière fille du ciel et certaine que le ciel l'exauce.., n'est-ce pas, pour les pauvres créatures que nous sommes, avoir retrouvé, en dépit des épreuves de ce monde, la destinée de l'enfant de Dieu ?

Bergson [3] a écrit : « La nature nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. La joie annonce toujours que la vie a réussi... Plus riche est la création, plus profonde est la joie. » Par cette parole, la philosophie la plus moderne et la plus scientifique nous aide à comprendre pourquoi le chrétien le plus authentique est aussi le plus joyeux.

[1] Luc 10.17-24 ;

[2] Jean 16.22 ;

[3] L'Energie spirituelle, page 24. Bergson ajoute : « La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu'elle a conscience de l'avoir créé physiquement et moralement. » Jésus avait déjà dit : « Quand l'enfant est né, la femme ne se souvient plus de son angoisse dans la joie qu'elle a de ce qu'un homme est né dans le monde. » Jean 16.21.

L'ORAISON DOMINICALE. 1. Le plan.

« Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; ne nous induis pas dans la tentation, mais délivre-nous du Malin, car c'est à Toi qu'appartiennent dans tous les siècles le règne, la puissance et la gloire. Amen ! » (Mat. 6.9-13).

Prier « au nom de Jésus », c'est prier en conformité avec Sa volonté. Comment s'exprime Sa volonté vis-à-vis du chrétien en prière ? Elle s'exprime dans l'Oraison dominicale. L'Oraison dominicale est, non la formule, mais le programme de la prière au nom de Jésus. La réciter telle quelle est une joie pour le chrétien. Faire d'elle l'inspiration de sa prière personnelle est une force pour lui, une source d'exaucement, une occasion bénie de conformer sa prière au plan de la vie de prière de Jésus.

Qu'y voyons-nous ? Que la prière du chrétien doit être filiale (Père), fraternelle (notre), qu'elle doit faire passer avant tout les intérêts de Dieu (sanctifié), vouloir que Son Royaume s'établisse ici-bas (vienne), et demander la réalisation intégrale de ses desseins sur la terre (comme dans le ciel). Le chrétien peut ensuite implorer le Dieu qu'il glorifie pour tous ses besoins personnels : matériels (le pain), moraux (le pardon), spirituels (ne pas être induit en tentation), éternels (être délivré de l'esprit mauvais, le Malin, qui n'a pas le droit de dominer sur nous, puisque e le règne, la puissance et la gloire » appartiennent à Dieu seul).

Merveilleuse unité de l'Oraison dominicale, qui fait tout partir de Dieu et qui ramène tout à Lui ! Essayez de trouver quelque chose d'utile qui ne soit pas compris dans ses brèves demandes, vous n'y parviendrez pas ; et dans la mesure où vous vous écarterez de son ordonnance, vous sortirez du naturel, vous affaiblirez le spirituel, vous mettrez la créature avant le Créateur, votre moi à la place de Dieu.

De même qu'on peut réciter les mots du « Notre Père » comme une vaine redite, on peut faire une prière où les mots du e Notre Père » ne sont pas reproduits, mais où se retrouve le programme de l'Oraison dominicale et son inspiration. Cette prière-là transfuse dans les préoccupations de notre vie de prière les volontés, les désirs, les puissances du Christ en prière... Qu'elle s'épanche sans crainte, dans la certitude d'être entendues : c'est une prière « au nom de Jésus ».

L'ORAISON DOMINICALE. 2. L'invocation.

Voici comment vous devez prier : Notre Père qui es aux cieux... (Mat. 6.9).

« Père ! » Ce mot résume toutes les grâces apportées au monde par Jésus-Christ. Il n'apparaît, dans la prière païenne, que comme un poétique espoir ; quand on le retrouve dans l'Ancien Testament, il exprime une foi où se mêle encore la crainte. Dans l'Evangile, Il est chez lui. Il rayonne de confiance et d'amour. La Rédemption lui a rendu, en plénitude, sa réalité pratique et mystique. e L'Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu 1.

En nous rendant le Père, Jésus nous rend les frères. C'est pourquoi il veut que nous disions, non pas mon, mais notre. Quels que soient les droits et les mérites de l'individualisme, il ne saurait, sans se pervertir, nous retenir en deçà de la solidarité. Le chemin qui mène au, coeur du Père passe par le cœur des frères. C'est en aimant les autres que nous prouvons le mieux notre amour au Dieu qui a donné son fils unique pour le salut de tous. Devant lui, plus encore que devant les hommes, le « moi » est haïssable.

« Qui es aux cieux. » Au commencement, la terre et le ciel ne formaient qu'un séjour. L'Eden où vivait l'homme était le jardin où Dieu s'entretenait avec sa créature comme un père avec son enfant.

La chute a séparé ce que Dieu avait uni. Le péché a creusé un abîme entre le ciel où Dieu habite et la terre tombée au pouvoir de Satan. Désormais l'homme fera figure d'exilé sur sa planète obscure, et Dieu sera le père lointain qui demeure dans les cieux.

Mais ni l'un ni l'autre n'en prendront leur parti.

« Qui es aux cieux. » Il y a donc un séjour de gloire, il y a une maison paternelle ; des cieux, le Père a parlé ; des cieux, le Fils est venu ; des cieux, l'Esprit a été répandu pour créer l'humanité nouvelle dans l'unité des frères ; des cieux, le Christ reviendra « en grande gloire », et c'est des cieux qu'après la réalisation du Royaume de Dieu sur la terre descendra la Jérusalem céleste, le « Tabernacle de Dieu au milieu des hommes » [2]. Que de certitudes, que de grâces, que d'espérances dans l'invocation « Notre Père qui es aux cieux » ! Jésus nous l'a enseignée pour faire naître en nos coeurs l'abandon et l'adoration, c'est-à-dire les vrais sentiments de la prière.

[1] Rom. 8.16 ;

[2] Apoc. 21.3.

L'ORAISON DOMINICALE. 3. La prière pour Dieu.

« Notre Père... Que ton nom soit sanctifié. » (Mat. 6.9).

L'Antiquité établit, entre le nom et la puissance, une relation mystérieuse. Le nomen romanum, c'était la puissance de Rome. Quand David dit à Goliath : Je marche contre toi avec le nom de Jéhovah » 1, il entend : toi, tu as pour arme une épée, moi, la puissance de Jéhovah. Je vaincrai. D'autre part, 4 sanctifié » est l'équivalent de « consacré », sanctus et sacer sont de même famille et le mot grec ici a les deux sens. « Que ton nom soit sanctifié » signifie donc, que ta puissance soit consacrée, sanctionnée, tenue pour sainte et honorée comme telle ; c'est-à-dire qu'il y ait des gens qui reconnaissent, proclament, mettent en oeuvre ta puissance providentielle sur la terre ; que ta puissance soit servie par des saints (la notion de sainteté n'est pas une notion de perfection, mais une notion de consécration), alors ton Royaume pourra venir, ta volonté se faire ici-bas comme au ciel.

Cette prière, c'est la prière pour Dieu. Est-elle bien nécessaire ? Certes ! L'homme est libre, il peut, par son activité rebelle, chasser Dieu de la famille, de l'école, de l'Etat, des relations internationales, de la nature, même, car en violant la nature, en l'épuisant, en la saccageant par la guerre, en employant ses ressources à des fins opposées aux desseins de Dieu, il dérobe au Créateur sa création et la met au service de l'Ennemi.

Tel est le pouvoir de l'homme fait à l'image de Dieu, c'est-à-dire libre. Voilà pourquoi, après lui avoir donné en Eden la loi de l'obéissance, Dieu commande à l'homme, par Moïse, de respecter son saint nom, et lui enseigne par Jésus-Christ la prière : « Que ton nom soit sanctifié [2]. Dans cette requête, portique de toutes les autres, le croyant, avant de rien demander pour lui-même, demande à Dieu, pour Dieu, des hommes de bonne volonté, des serviteurs vivant pour le Dieu vivant. De fait, tant que cette prière-là n'est pas exaucée, aucune des autres ne peut l'être, car les grâces viennent sur la terre par les co-ouvriers de Dieu [3].

Quel honneur Jésus nous a fait de nous confier une prière pour son « Père et notre Père » [4] ! Mais aussi, quand nous prions « que ton nom soit sanctifié », quelle responsabilité pour nous et quel engagement de consacrer à Dieu, pour que sa puissance puisse hâter la venue de son Royaume, tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes !

[1] 1 Sam. 17.45.

[2] Gen. 2.16 ; Ex. 20.7 ; Mat. 6.9. Voir l'explication du 3° commandement et son rapprochement avec la première demande de l'Oraison dominicale dans notre livre 4 Jéhovah », 4° éd., 3° part., pp. 207-212.

[3] Marc 16.15 ; Rom. 10.14.

[4] Jean 20.17.

L'ORAISON DOMINICALE. 4. La prière et le devoir présent.

« Notre Père... Que ton règne vienne. » (Mat. 6.10).

Bien des gens aiment à faire deux parts dans leur vie, la part de l'Eglise, et la part du monde ; ils affectent de se représenter la terre comme une salle d'attente, un mauvais lieu, où l'on fait ses affaires en soupirant, avec l'espoir de quitter bientôt ce séjour d'exil voué à la ruine, pour aller jouir enfin des félicités éternelles dans la vraie patrie : le ciel.

La deuxième demande de l'oraison dominicale coupe court à cette illusion.

Certes, Jésus a dit : « Votre récompense sera grande dans les cieux [1]. » Mais pour qui ? Pour ceux qui, dans la mesure de leurs forces, l'auront aidé à reconquérir pour Dieu le Royaume usurpé par Satan : notre pauvre planète égarée et douloureuse. Il ne nous apprend pas à prier : notre Père, que nous allions à toi ; mais : notre Père « que ton règne vienne » ; — que ta volonté soit faite dans le ciel ! mais : que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » ; il ne dit pas : je vous attends au ciel, mais : « je reviendrai » [2] ; — je bénirai ceux qui auront vécu d'extase pour le ciel, mais : je bénirai ceux qui auront visité, nourri, vêtu, consolé les malheureux et fait venir ainsi mon royaume sur la terre [3].

« Il faut qu'Il règne » [4]. Où ? Partout. Et d'abord, partout où nous sommes, partout où ceux qui se réclament de lui sont appelés par lui : la lumière du monde » et « le sel de la terre »

C'est sur la terre que Jésus a planté sa croix. Par sa croix, il a pris possession de la terre et c'est sur nous qu'il compte pour lui en assurer la domination. Dés lors, la vie terrestre du chrétien n'est pas écartelée en sacré et profane, dimanche et semaine, Eglise et monde, terre et ciel. La vie chrétienne est une ; elle est un service de tous les jours. Le but de ce service est qu'un jour arrive où il n'y aura plus ni ciel ni terre, parce que tout sera Royaume de Dieu.

Prier : Que ton règne vienne, c'est s'engager à agir.

[1] Mat. 5.12 s ;

[2] Mat. 25.31 ;

[3] Mat 25.34 ss ;

[4] 1 Cor. 15.25 ;

[5] Mat 5.13 ss.

L'ORAISON DOMINICALE. 5. Terre et ciel.

« Notre Père... Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » (Mat. 6.10).

Dans cette prière, Jésus nous oblige à confesser qu'il n'y a pas de différence spécifique entre la terre et le ciel, mais que, suivant le mot profond de Bengel : « Le ciel est la norme de la terre ». Une même puissance les a créés, une même intention les vouait à la gloire de Dieu, une même volonté les régit. L'obéissance à cette volonté doit les réunir en un même royaume. Mais depuis que la terre est tombée sous la puissance de Satan [1], il y a ici-bas une autre volonté qui s'exerce ; des réactions se sont établies au coeur même de l'humanité.

En demandant « que ta volonté soit faite sur la terre », les enfants de Dieu s'engagent à donner leur concours à l'expulsion de Satan.

L'activité du témoin de Jésus-Christ dans une nature altérée par la chute et dans une société pervertie par sa rébellion, se trouve chaque jour placée devant des problèmes infiniment complexes, ceux-là mêmes devant lesquels se trouva, du jour de son baptême au ternie de la passion, le Fils de l'homme, le divin obéissant, Jésus-Christ.

A sa suite et dans sa communion, nous devons librement accepter que notre obéissance soit tantôt l'obéissance active qui travaille joyeusement à la réalisation des desseins de Dieu, même dans les circonstances les plus difficiles, tantôt l'obéissance passive qui consiste à accepter la volonté divine même lorsqu'elle brise la nôtre, même lorsque nous ne comprenons pas, même lorsqu'elle nous accule à une totale immolation.

Dans un cas comme dans l'autre, l'obéissance est sûre du triomphe puisque nous concourons par elle à établir un état de choses où la sainte volonté de Dieu est engagée, de Dieu qui aura le dernier mot, au jour qu'Il a fixé pour rétablir l'harmonie entre la terre et le ciel. Et ce sera la glorieuse théocratie que Moise avait entrevue, pour laquelle les prophètes ont lutté, et que Jésus a rendue possible par son oeuvre rédemptrice : « Maintenant, le Prince de ce monde va être jeté dehors [2] »

Tant que le « comme au ciel » ne sera pas exaucé, le chrétien qui adresse à Dieu cette prière ne saurait prendre ici-bas d'autre devise que celle de Marnix : « Repos... ailleurs ! »

[1] Gen 3 ;

[2] Jean 12.31.

L'ORAISON DOMINICALE. 6. La prière et le pain.

« Notre Père.... donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » (Mat. 6.11).

Que d'enseignements en une seule ligne !

« Donne-nous notre pain ». L'aliment de notre vie matérielle nous vient donc chaque jour de Dieu, aussi bien que les grâces de notre vie spirituelle. Ne disons donc pas : « J'ai acquis », mais « Dieu m'a donné ».

En nous invitant à demander à Dieu même les choses les plus élémentaires, les plus nécessaires à notre subsistance, celles qu'on ne refuse pas à un miséreux, Jésus nous avertit que le Père céleste ne trouve point déplacé, qu'Il désire au contraire que nous le fassions entrer dans tous les détails de notre existence, que nous l'entretenions d'un morceau de pain. Oh ! la belle vie que la vie toute pénétrée de Dieu, toute reçue du Père céleste qui sait de quoi nous avons besoin !

Notre pain quotidien. « A chaque jour suffit sa peine », a dit Jésus... A chaque jour suffit son pain. Comment se fait-il que tant de chrétiens recherchent le luxe et tiennent un train de maison pareil à celui des grands de ce monde, alors que le Maître dans son modèle de prière ne parle que du pain quotidien ? Un enfant de Dieu ne doit pas convoiter les choses pour lesquelles il ne peut pas prier.

En conclurons-nous que Dieu condamne les richesses et les moyens qui permettent d'y parvenir ? Condamnerait-il le travail de l'argent, levier du progrès parmi les hommes' ? J'ai connu un chrétien que son génie commercial avait mené à la fortune ; il vivait modestement, et, après avoir prélevé sur ses revenus le nécessaire pour la bonne marche de ses affaires, il donnait tout le reste, c'est-à-dire la grosse partie, à l' oeuvre de Dieu. Voilà un chrétien qui savait être riche en Dieu » [2] et riche pour Dieu. Il avait compris que Jésus en nous apprenant à prier « Donne-nous notre pain », voulait que nous assurions aussi la subsistance de nos frères. Jésus, dans ses tournées, a mangé le pain des saintes femmes qui « l'assistaient de leurs biens » [3]. Ce qu'Il ne veut pas, c'est qu'on amasse pour soi des trésors sur la terre [4] ; ce qu'Il demande, c'est que l'on partage son pain avec celui qui a faim : « En tant que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à Moi que vous l'avez fait ».

[1] Méditer la réponse du maître au serviteur inutile. Mat. 25.27.

[2] 12.21 ;

[3] Luc 8.3 ;

[4] Mat. 6.19 ;

[5] Mat. 25.40.

L'ORAISON DOMINICALE. 7. La prière et le pardon.

« Notre Père !... Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » (Mat. 6.12).

La prière, pour être exaucée, doit monter d'un coeur qui pardonne. Mais l'Evangile n'enseigne pas le pardon à tout prix. L'Oraison dominicale met en scène le débiteur insolvable qui s'humilie et implore. Pour être bien compris, le « comme nous pardonnons » de Mt. 6.12 doit être lu à la lumière de la parabole du serviteur impitoyable (comp. Le 11.4 et Mt. 18.23-35). Un deuxième type du pardon chrétien est donné par Jésus dans sa réponse à Pierre : à qui se repent, pardonne toujours (Mt. 18.22 ; méditer Mt. 18.15-20, à la lumière de Mt. 5.43-47. Là où la communion Rom. 12.10 n'est plus possible, que l'amour demeure avec l'action bienfaisante). Un troisième type nous est fourni par l'exemple de Jésus au Calvaire, exemple suivi par Etienne au moment de son martyre. C'est le pardon accordé à ceux qui « ne savent ce qu'ils font » (Le 23.34 ; Actes 7.60 ; comp. Rom. 10.2). C'est ici le pardon le plus difficile, et aussi le plus rare. Il faut, pour l'accorder, s'oublier soi-même, s'immoler à Dieu sur l'autel des hommes. Il faut accepter en vérité aux heures crucifiant d'achever en son corps, comme Paul, les souffrances du divin Crucifié.

Mais l'Evangile ne dit pas qu'il faut pardonner à ceux qui, tournant le dos à la lumière, font le mal sciemment, en goûtent le bénéfice et se tiennent en dehors des conditions de pardon posées par le Maître lui-même. C'est en ce sens que Jésus, dans l'instant le plus miséricordieux de sa vie, sur le seuil de Gethsémané, dit au Père qui l'avait « envoyé dans le monde afin que le monde soit sauvé par lui » : « J'ai achevé ]'oeuvre que tu m'avais donnée à faire... Je ne te prie pas pour le monde... » (Jn. 3.17 ; 17.4, 9). Nous ne voyons pas que Jésus ait eu à pardonner à Hérode, le païen, à Caïphe, le Juif, à Judas, le disciple, sans quoi Jésus n'aurait pas dit de Judas : « Mieux vaudrait pour cet homme n'être jamais né; il vaut mieux être né, si l'on doit aboutir au pardon du Christ. Ce pardon, tendu vers les Pharisiens, n'arrive pas à les atteindre ; aussi Jésus leur annonce-t-il qu'ils « ont rendu inutile à leur égard le dessein de Dieu ». Son coeur, qui met la grâce à la portée des plus petits, ne l'abaisse jamais jusqu'à une compromission.

Le pardon doit être un acte de courage, non un signe de faiblesse ; un geste de sainteté, non de lassitude ; un renoncement, non une complicité. Le monde, « entièrement plongé dans le mal », pardonne aisément à qui lui pardonne. Si Jésus avait pardonné au monde, le monde n'aurait pas dressé la croix.

Mais voici : dans la vie de tous les jours, beaucoup de chrétiens pardonnent là où il ne faut pas, et ne pardonnent pas là où il faut. Quand l'honneur de Dieu est lésé, ils pardonnent ; quand leur amour-propre est blessé, ils ne pardonnent pas.

Seigneur, enseigne-nous à pardonner comme Jésus !

L'ORAISON DOMINICALE. 8. Prière et tentation.

« Notre Père... Ne nous induis pas dans la tentation... » (Mat. 6.13).

Toutes les demandes de l'Oraison dominicale sont formulées sous la forme positive, sauf une : « Ne nous induis pas dans la tentation. » Pourquoi cette négation ? Et comment Jésus a-t-il pu parler comme si Dieu pouvait nous tenter ?

On a cherché à écarter cette troublante pensée en traduisant : « Ne nous laisse pas tomber... » Mais le texte grec dit formellement : « Ne nous conduis pas dans, ne nous induis pas. » Il s'agit donc d'une chose que Dieu pourrait accorder, mais par laquelle nous nous trouverions exposés à la tentation, conduits dans une épreuve trop dure pour nos forces.

Dieu, — cela va sans dire et la Bible, au surplus, le déclare, — Dieu ne veut introduire personne dans la tentation. Mais ce fait ne suffit pas pour établir notre communion avec Lui. Ce qu'il faut, c'est que nous non plus, nous ne voulions rien obtenir de Dieu qui puisse devenir occasion de chute.

Mais comment discernerions-nous par nous-mêmes, dans la foule de nos demandes, le cas de l'exaucement périlleux ?

Pierre ne se doutait pas des limites de son courage,quand il dit à Jésus : « Ordonne que j'aille vers toi sur les eaux. » Heureusement pour lui que l'Educateur divin était là pour lui tendre la main. Quand, plus tard,le Maître enseigna à ses disciples la prière : « Ne nous induis pas en tentation », Pierre, mieux que tous les autres, dut en comprendre l'intention.

Nous aussi, comme Pierre, nous sommes exposés à nous jeter, par nos demandes inconsidérées, au-devant de situations qui nous livreraient à des flots bien plus redoutables que ceux où Pierre se serait noyé : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps... craignez celui qui a le pouvoir de jeter dans la géhenne [1]. »

Voilà pourquoi Jésus veut que nous aussi nous demandions : « Notre Père, ne nous induis pas en tentation. »

Quiconque prie dans cette attitude, peut prier hardiment : il a remis préalablement à Dieu l'entière direction de sa vie.

En priant : « Ne nous induis pas... », l'enfant de Dieu dit à son Père : Je récuse tout désir qui pourrait mettre en danger ma vie spirituelle ; je souscris à ta volonté, qui est, non de m'exposer à l'épreuve, mais de me façonner pour les biens éternels ; je m'engage à me courber sous ta discipline, quand même il m'arriverait de ne pas la comprendre, quand même elle me coûterait... et si quelque terrestre amour menaçait de me ramener aux idoles,

« Sous ton ciseau, divin sculpteur de l'âme, Que mon bonheur vole en éclats »

[1] Luc 12.5 ;

[2] Vinet. Méditer 1 Jean 5.21.

L'ORAISON DOMINICALE. 9. Prière et délivrance.

« ...Mais délivre-nous du Malin... » (Mat. 6.13 b).

...« Mais délivre-nous... » de quoi.. de qui ? L'Oraison dominicale, par la demande relative à la tentation, nous a mis sur la voie : Ne m'accorde pas ce que je te demande, si l'exaucement doit m'exposer aux attaques de l'adversaire. Maintenant, ce que le prieur demande dans une requête suprême qui comprend toutes les autres, et où toutes les autres seront exaucées, c'est d'être délivré de l'Adversaire lui-même. Ce jour-là, les effets de !a chute seront anéantis, les tentations mauvaises n'auront plus de prise ; toi, ô notre Père qui règnes dans les cieux, et régneras aussi sur la terre : Tu seras « tout en tous ! »

On voit, par ces quelques paroles, que la traduction : délivre-nous du mal, répond moins au mouvement général de la prière du Sauveur que la traduction : délivre-nous du Malin. Chrysostome avait déjà compris qu'il s'agit ici de « l'Ennemi » [1] que Jésus est venu combattre sur la terre, le semeur d'ivraie, le prince usurpateur de ce monde, celui que le Seigneur a désigné connue le meurtrier originel, et le père du mensonge [2], Satan, d'autant plus redoutable qu'il peut venir à nous déguisé en ange de lumière [3].

Oh ! si nous arrivions à comprendre en quel danger nous met, dans cette vie, le fait du « Diable qui rôde autour de nous comme un lion rugissant cherchant qui il pourra dévorer » ! Danger rendu, pour ainsi dire, insurmontable à l'humanité de la Chute, parce que le Diable qui assiège le cœur de l'homme a dans ce coeur des complicités secrètes. Il le sait, voilà pourquoi il insiste.

Le Diable ne recule que devant Jésus. « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair [4]. » Si nous voulons être sauvés de l'étreinte infernale, il faut que Jésus soit dans la place et la libère : « Délivre-nous du Malin ! »

Quiconque fait monter cette prière vers Dieu, de toute l'énergie de son être, entre par elle dans le combat du Christ, communie avec sa Passion, et remportera avec lui la victoire. Il a, dès à présent, la vie éternelle

[1] Mat. 13.39

[2] Jean 8.44 ;

[3] 2 Cor 11.14 ;

[4] Luc 10.18 ;

[5] Jean 6.47 cf 5.24

L'ORAISON DOMINICALE. 10. La Doxologie.

« ...Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. » (Mat. 6.13).

L'Evangile de Luc ne rapporte pas la fin de l'Oraison dominicale. Son texte s'arrête à : « Ne nous expose pas à la tentation. » Il est clair, cependant, que sans les mots : « Mais délivre-nous du Malin », la prière du Seigneur n'est pas fermée.

Comme la conclusion : « Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire », manque dans les plus vieux manuscrits connus de Matthieu, des théologiens ont pensé que ces derniers mots de l'Oraison dominicale ne sont pas de la bouche du Sauveur et constituent une doxologie ajoutée par la liturgie de l'Eglise grecque. L'Eglise de Rome les a rejetés. L'Eglise protestante les maintient. Plus on les médite à la lumière des événements qui inaugurèrent le ministère de Jésus, et plus on s'affermit, malgré la réserve qu'impose le silence des textes les plus anciens, dans la conviction qu'ils ont fait partie du modèle de prière tel que le Maître l'a donné, et qu'ils se lient organiquement à : « Délivre-nous du. Malin », comme : « Délivre-nous du Malin » est lié à : « Ne nous expose pas à la tentation. »

On ne peut ici diviser sans déchirer, raccourcir sans mutiler.

Reportons-nous à la scène de la Tentation, à l'assaut suprême où Satan (appelé ailleurs par Jésus le Malin — le Malfaiteur : Mt. 5.37 ; 13.19-38) déploie devant le jeune Messie les royaumes de ce monde, et lui offre de lui en céder la « puissance « et la « gloire », pourvu que Jésus reconnaisse son règne, car, dit Satan, « toutes ces choses m'ont été données, et je les donne à qui je veux ». Jésus repousse Satan, mais Satan ne se tient pas pour battu et se retire « jusqu'à une autre occasion » [1]. « L'occasion » revient à Gethsémané [2], et Jésus sait qu'elle reviendra quand ses disciples continueront son combat [3].

Sorti vainqueur de la crise terrible, Jésus n'a pas oublié l'habileté de l'infernal suggesteur, ni le danger de son emprise. Il sait combien aisément les hommes lui font des concessions pour obtenir la maîtrise dans les affaires de ce monde. Il frémit pour ses disciples. C'est pourquoi, ramenant dans les derniers mots de l'Oraison dominicale le souvenir de ses propres luttes, Jésus dénonce le Tentateur, prémunit ses apôtres contre la tentation, et les agrège à sa victoire sur le Malin qui a usurpé pour un temps, ici-bas, « le règne, la puissance et la gloire », lesquels appartiennent pour tous les siècles à « Notre Père qui est aux cieux ».

« Que votre cœur ne se trouble point » : Dieu aura le dernier mot en tout. Dans la conclusion : « Car c'est à Toi... », Jésus réconforte les siens en leur donnant une formule où l'on entend déjà sonner la trompette de leur triomphe, en même temps qu'elle exprime le témoignage de la parfaite adoration.

[1] Luc 4.5-13 ;

[2] Jean 14.30 ;

[3] Luc 22.31.

L'ORAISON DOMINICALE. 11. Amen.

« Amen, je vous le dis, il ne passera pas de la loi un trait de lettre, qu'il ne soit accompli. » (Mat. 5.18).

« Car c'est à toi qu'appartiennent, dans les siècles, le règne, la puissance et la gloire, Amen ! (Mat 6.13).

Voilà un petit mot qui peut se vanter de grandes choses. Dans la loi de Moïse, dans l'oracle des prophètes, sur les lèvres de Jésus-Christ, dans les discours des apôtres, on le retrouve, marquant tour à tour la crainte de Dieu, la conviction de l'homme, la gravité des discours du Christ, la ferveur de la vie chrétienne, et l'Apocalypse le projette au ciel où il exprime pour l'éternité l'adoration des bienheureux.

Amen veut dire : « Qu'il en soit ainsi », « en vérité », ou « c'est bien ». Amen, c'est la formule de l'acquiescement, de l'abandon entre les mains paternelles. Notre prière, l'Oraison dominicale elle-même quand nous la récitons, vaut ce que vaut l'amen qui la termine, comme une pièce écrite vaut ce que vaut la signature qui l'atteste.

D'où viennent les agitations qui nous troublent, les contradictions qui nous épuisent, les révoltes qui nous égarent, les convoitises qui nous livrent sans force aux entreprises de Satan ? Elles viennent de ce que notre amen n'a pas sonné clair et loyal à la fin de l'oraison où notre âme, en paroles, se confiait à Dieu.

Notre malheur est que nous passons notre temps à nous donner et à nous reprendre. Amen a précisément pour but de barrer la route à ces retours vers nous-mêmes des élans qui nous ont porté vers Dieu.

Tous nos efforts ne sauraient nous délivrer des mécomptes, des calamités, des épreuves, des atteintes, de la malice humaine qui, sur notre chemin semé d'obstacles, nous surprennent, nous désaxent, nous désolent et avivent en nous la peur de la mort.

O Dieu d'amour, Dieu créateur, qui fait sortir le bien du mal, comme tout en nous s'apaiserait si notre vie était un Amen ! Le ton ne serait pas toujours le même, il y aurait l' «  amen sanglotant » et l' « amen triomphant »... Il y aurait aussi l'amen qui, dans les jours mornes, exhale toute notre prière, mais du moins, à lui seul, cet amen te dirait que nous nous en remettons à Toi.

Prier au nom de Jésus.

« Jusqu'à présent, vous n'avez rien demandé en mon nom. » (Jean 14.24).

La famille universelle des chrétiens récite tous les jours le « Notre Père » et termine chaque prière par les mots : « Au nom de Jésus. » Elle fait ainsi parce que le Maître a dit : « Quand vous priez, dites » [1] et : « Ce que vous demanderez au Père en mon nom Il vous le donnera » [2]. Touchante et pieuse habitude. Mais en écrivant le mot habitude, n'ai-je pas mis le doigt sur le danger des formules, même les plus saintes ? Jésus a-t-il donné le « Notre Père » comme un formulaire à réciter ? Et si, en disant de prier en son nom, il a entendu fournir à ses fidèles le mot de passe pour les divins exaucements, comment se fait-il qu'il n'ait point terminé l'Oraison dominicale : donne-nous..., pardonne-nous..., délivre-nous..., au nom de Jésus ?

Pour comprendre la formule : « Prier au nom de Jésus », il faut l'envisager dans le mouvement des idées, ou mieux, dans l'enchaînement des faits qui la présente et lui donne son sens.

Jésus parle à ses disciples [3] ; il leur dit en substance : Ayez confiance en moi 4. Vous ferez mes œuvres, et même de plus grandes 5. Pour que vous le puissiez, je prierai le Père qui vous donnera le Saint-Esprit [6]. Alors,bien qu'absent matériellement, vous me verrez parce que je serai en vous [7]. Vous partagerez ma joie ; nous aurons par l'esprit toutes choses communes [8] et moi, je n'aurai plus à prier pour vous, c'est vous qui prierez en mon nom, et l'exaucement vous sera accordé non parce que j'intercéderai pour vous, mais parce que j'habiterai en vous : nous serons un devant le Père [9], Tout ceci s'accomplit sur le plan spirituel où nous transporte la Pentecôte.

Prier « au nom de Jésus », ce n'est donc pas seulement prier dans la communion de Jésus, c'est prier avec la puissance que donne l'entente préalable avec Jésus. Dans la prière « au nom de Jésus », c'est Jésus qui prie par la bouche de ses rachetés. Si nous voulons prier réellement « au nom de Jésus », disons-nous en nous agenouillant : « Que demanderait Jésus à ma place ? » et : « dans quels sentiments le demanderait-il ? » Alors, nous ferons la prière nouvelle dont Jésus est venu enrichir la terre et qui est toujours exaucée : « Père, je savais bien que tu m'exauces toujours ! [10] »

[1] Luc 11.2 ;

[2] Jean 16.23 ;

[3] Jean 14 et 16

[4] Jean 14.11 ;

[5] Jean 14.12 ;

[6] Jean 14.15-17 ;

[7] Jean 14.19-20 ;

[8] Jean 16.22, 23 et 25 ;

[9] Jean 16.26 et l'ensemble du ch. 15 ;

[10] Jean 11.42.

La prière à Jésus.

« Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » (Actes 7.59).

Jésus a dit à ses disciples : « Quand vous priez, dites : « Notre Père... ». Ailleurs, il exhorte à prier « en son nom ». Nulle part il ne dit : « Priez-moi ».

La prière à Jésus est-elle donc défendue ? Toute prière doit-elle aller directement à Dieu ?

Il est certain que « le Fils », d'un bout à l'autre de son enseignement, oriente ses rachetés vers « le Père ». Aux jours de la tentation, il avait déjà dit : « Tu le serviras Lui seul [1]. » Aux apôtres, il déclare : « Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne n'en sait rien, pas même le Fils, mais le Père seul » [2]. « Quand tout aura été soumis à Dieu, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous 3.  »

Mais il est également certain que Jésus a dit : « Venez à moi [4] » ; « qu'Il a été souverainement élevé afin que tout genou fléchisse devant lui » [5], et qu'il est « notre avocat auprès du Père » [6].

La portée de ce double enseignement, la portée de cette double série de versets a été comprise par les prieurs de tous les siècles dans son harmonieuse unité. Les onze, dans la chambre haute, prient Jésus glorifié d'indiquer le successeur de Judas. Etienne mourant dit : « seigneur Jésus, reçois mon esprit ». Paul prie Jésus trois fois de le délivrer, et Jésus répond : « Ma grâce te suffit. »

Toutes les heures de réveil spirituel dans l'histoire ont été marquées par des cantiques qui sont des prières à Jésus :

« J'ai soif de ta présence, Divin chef de ma foi. »

La prière à Jésus n'est pas commandée dans les Evangiles, mais elle jaillit spontanément des coeurs que Jésus a ramenés vers Dieu. Elle suit le regard porté vers la croix. Elle répond à la sollicitation intérieure du Christ qui « demeure en nous ».

Comment le chrétien ne parlerait-il pas au Christ qui lui parle ?

1 Mat 4.10 ;

2 Marc 13.32 ;

3 1 Cor. 15.28 ;

4 Mat. 11.28 ;

5 Phil. 2 ;

6 1 Jean 2.

La prière de la mère de Jésus.

« Ils persévéraient dans la prière avec les femmes, avec Marie, mère de Jésus, et avec ses frères. » (Actes 1.12-14).

Parmi les mystères que nous offre la lecture des Evangiles, il n'en est pas de plus grand que la maternité de Marie. Respectons-le, et laissons la Nazaréenne au rang qu'elle s'est assignée elle-même quand elle a dit : « Je suis la servante du Seigneur. » [1] Ne nous laissons pas aller à accorder à la mère, par la subtilité d'une théologie que d'ailleurs la masse des dévots ne saurait entendre [2], un caractère et une action qui n'appartiennent qu'au Fils. Ce n'est pas à Jésus qu'il faut comparer Marie, mais à Jean-Baptiste.

Comme le précurseur, Marie est associée à l'oeuvre rédemptrice sans participer à la nature divine. Comme à Jean, il arrive à Marie de perdre pied dans un rôle qui la dépasse. Jean envoie demander à Jésus : « Es-tu celui qui devait venir ? » et il s'attire la réponse : « Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute [3] ». Marie cherche Jésus pour l'enlever car elle le croit « hors de sens » [4] et elle s'attire cette réponse où le froid du glaive dut effleurer son coeur [5] : « Qui est ma mère ? Ma mère c'est quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux [6]. » Comme Jésus dit de son précurseur : « Un prophète ? Oui vous dis-je et plus qu'un prophète... et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui [7] », il aurait pu dire de celle qui l'avait porté dans ses flancs : une mère ? Oui vous dis-je, et plus qu'une mère ; cependant la plus petite dans le royaume des cieux est plus grande qu'elle.

Jean a été décapité avant d'avoir vu par l'effusion de l'Esprit la fondation du Royaume céleste sur la terre. Marie a vécu assez pour s'associer aux prières de la chambre haute et voir avec la Pentecôte l'avènement du règne de Christ ici-bas. Elle est entrée dans le Royaume comblée de grâces, bénie entre toutes les mères, heureuse entre toutes les femmes [8] ; mais pas une ligne, pas un mot dans la Révélation divine du Nouveau Testament ne lui attribue un rôle de médiatrice, pas une promesse n'est attachée à son intercession. La prier pour qu'elle obtienne en notre faveur des exaucements de son fils, serait un manque de foi envers Celui qui a dit : « Venez à Moi. Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde, demandez en Mon nom et vous recevrez. »

N'oublions pas Marie. Mais quand notre pensée s'absorbe en elle pour vénérer, pour aimer, pour compatir et pour bénir, prions Dieu qu'Il nous apprenne à obéir, à souffrir, à triompher comme elle, et souvenons-nous de l'exhortation de saint Jean : « Mes petits-enfants, gardez-vous des idoles [9]. »

[1] Luc 1.38 ;

[2] Voir Ecclesia, pp. 159, 207-210 ;

[3] Mat. 11.2-6 ;

[4] Marc 3.21 et 31 ;

[5] Luc 2.35 ;

[6] Mat. 12.48-50 ;

[7] Mat 11.9-11 ;

[8] Luc 1.28, 42, 48 ;

[9] 1 Jean 5.21.

La prière des Scribes.

« Quelques-uns des scribes et des pharisiens lui dirent : « Maître, nous voudrions te voir faire un miracle. » (Mat 12.38).

 

Les Juifs s'imaginaient que si Jésus s'accréditait auprès d'eux par un prodige, ils n'auraient plus de difficulté à le reconnaître comme Messie. Ils se trompaient. Tout le long de son ministère, Jésus leur a montré des miracles. Qu'ont-ils fait au bout ? Ils l'ont crucifié. C'est que la foi naît des dispositions du coeur. Elle ne dépend pas des curiosités de l'esprit. Qui veut conditionner sa foi par la vue ne croira jamais. Qui accepte de croire pour les raisons du coeur, sans autre preuve que l'évidence spirituelle, verra des miracles, en lui, autour de lui, et jusqu'aux extrémités de la terre.

Si seulement les croyants étaient attentifs aux oeuvres de leur Maître dans le monde ! ils raisonneraient moins, ils trembleraient moins, ils seraient moins sujets au découragement, ils ne montreraient pas aux hommes des visages moroses. Ils croiraient non seulement à l'amour de leur Sauveur, mais à sa victoire. Ils vivraient, ils mourraient en vainqueurs.

Mais qui sait regarder avec les yeux de la foi ? Qui fait passer en première ligne dans ses relations les chrétiens authentiques, ceux dont la vie consacrée est une parole de Dieu ? Qui prend la peine de se documenter et de s'instruire sur les progrès de l'évangélisation, sur les conquêtes de la Mission en terre païenne qui montrent, sur tous les points de notre globe, l'Evangile en marche ? Si les croyants s'exerçaient à cela au lieu de chercher leurs distractions dans la société mondaine ou dans la littérature profane, pour eux se renouvellerait le miracle du serviteur d'Elisée qui vit, à une heure de guerre où tout semblait détresse, se déployer sur les montagnes la cavalerie de Jéhovah [1].

« Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru », ils sont les prédestinés de la vue : s Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu [2]. »

[1] 2 Rois 6.17 ;

[2] Jean 20.29 ; 11.40.

Péager et Pharisien.

« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. » (Luc 18.9-14).

Deux hommes..., deux tempéraments, deux destinées. Ils suivent la même route et n'ont rien en commun ; ils vont au même lieu, mais leurs âmes divergent. Que de gens ici-bas, compatriotes, parents et enfants, frères et soeurs, époux, marchent côte à côte sans se comprendre, sentant leurs âmes étrangères les unes aux autres jusque dans la prière !

D'où viennent ces incompréhensions qui font tant souffrir, ces divorces moraux dont la conséquence est de briser l'action et de paralyser la vie spirituelle ?

Parfois d'un préjugé, d'une maladresse, d'une situation dont les développements sont allés au delà des intentions de ceux qui l'avaient créée. Il semblerait dès lors que le mal puisse être réparé...

Avec la prière du péager, la chose serait facile : « O Dieu, sois apaisé envers moi qui suis un pécheur ! » Quand on a de soi-même une petite opinion, confesser une erreur soulage, réparer un tort grandit. Mais écoutez la prière du pharisien : O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes. » Celui de qui l'orgueil s'est à ce point haussé, n'a pas de prochain. Trop distant pour compatir à la peine des autres, n'attendez pas qu'il s'accuse ou qu'il cède : s'il s'avouait faillible, il se diminuerait.

L'orgueil installe le coeur dans l'atmosphère des résistances. L'orgueil est le grand isolant. S'il nous isole des autres, comment ne nous isolerait-il pas de Dieu dont on ne peut approcher qu'à travers l'atmosphère de la grâce ?

Tous les deux ont prié, mais la paix n'est descendue que dans le coeur du péager.

« Celui qui s'abaisse sera élevé. »

Demandons à Dieu de nous apprendre à tirer enseignement de ces deux prières, car elles sont de tous les temps, et leurs conséquences aussi.

Une prière qui s'égare.

« Maître ! qu'il fait bon être ici ! Dressons trois tentes... » (Luc 9.33).

Oui, certes, il fait bon !... Bien meilleur que sur le dur chemin des courses apostoliques, au milieu des places publiques, dans le service haletant des malades, ou même dans la synagogue au public mélangé sous le regard hostile des pharisiens. Sur les cimes avec Moïse, Elie, Jésus, quelle compagnie ! quel séjour !

En attendant, là-bas, dans la plaine, un lunatique se tord dans la poussière devant les disciples impuissants, son père se désole, Satan triomphe... Debout ! dit Jésus à Pierre, et, l'éveillant de son extase, il le ramène avec Jacques et Jean aux âpres luttes de la vie.

Monter sur la montagne est une grâce ; en redescendre est un devoir. Toute prière qui demande d'y séjourner est une prière qui s'égare. Jésus est venu sur la terre non pour faire contempler sa transfiguration, mais pour nous appeler à transfigurer le monde. « La moisson est grande, il y a peu d'ouvriers ; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers [1]. »

La moisson ne se fait ni sur un Thabor, ni dans une cellule de moine, ni dans une chambre haute. Quiconque recherche avec complaisance la piété retirée, l'orgueil des sélections spirituelles, la jouissance de l'entre-soi chrétien, se laisse distancer par le Maître qui, Lui, marchait sur la route du peuple, allait droit aux souffrants et ne craignait pas de se souiller à leur contact.

L'atmosphère des pieux conventicules est comme l'atmosphère des serres chaudes : on y cultive l'artificiel. Or, jésus ne nous a pas appelés à l'artificiel, mais au surnaturel. Tant que Celui qui a été a donné au monde » (Jn. 3.16) sera « en agonie » pour le monde (Pascal), nous n'avons pas le droit de nous attarder hors du monde, son champ d'action et le nôtre.

« Si quelqu'un veut venir avec moi, qu'il se charge tous les jours de sa croix et qu'il me suive » (Luc 9.23). Demandons à Dieu qu'Il nous apprenne, non à dresser des tentes sur le Thabor, mais à exaucer la prière de notre Maître : « Père... Je ne te prie pas les ôter du monde, mais de les préserver du Malin [2].

[1] Mat. 9.38 ;

[2] Jean 17.15. Cf. p. 120 : Prière et délivrance. Voir aussi 1 Jean 2.13-44 ; 3.12 ; 5.18-19.

La prière de Salomé.

« Ordonne que mes deux fils, que voici, soient assis l'un à ta droite, l'autre à ta gauche, dans ton Royaume. » (Mat. 20.21).

Salomé était une ardente messianiste. Ses deux fils, Jacques et Jean, vivaient dans l'intimité de Jésus. Elle-même faisait partie de la petite intendance attachée aux pas du Maître, et qui faisait les frais de ses tournées.

Voici la suprême étape. Jésus monte à Jérusalem pour la Pâque. Tout Jéricho est en rumeur. La foule des pèlerins exaltés croit déjà que Jésus va confondre ses adversaires et se manifester à Sion Messie-Roi.

Salomé s'avance vers lui et se prosterne : « Que veux-tu ? — Que mes deux fils, dans ton règne, soient assis l'un à ta droite, l'autre à ta gauche. »

Que dut éprouver Jésus, qui venait de parler de son abaissement, de ses souffrances, de son martyre, quand il vit la mère de ses deux amis tout occupée d'obtenir pour eux les plus hautes positions dans la gloire !

Mères de famille, qui trouvez avec raison la demande de Salomé bien osée, que demandez-vous quand vous priez pour vos fils ? Salomé, du moins, sollicite pour les siens les premières places dans le Royaume de Dieu. Ne Fous arrive-t-il pas de demander tout simplement pour les vôtres les meilleures places dans le royaume de ce monde ? Vous priez pour leur bien-être, pour leur succès, pour leur bonheur sur la terre ; priez-vous avec la même instance pour que Dieu les convertisse, leur donne la vertu du renoncement, les consacre à Jésus, afin que Jésus puisse les employer comme il voudra, les envoyer où il voudra ?

Vos prières maternelles vous disposent-elles à donner vos fils comme Anne donna Samuel pour t'office du Temple, comme Eunice donna son Timothée pour les courses périlleuses de l'apostolat ?

La prière chrétienne a-t-elle pour but de mendier des privilèges ou d'implorer des grâces ? Quand vous demandez pour vos fils tout le confort possible ici-bas, songez-vous que votre prière sera présentée à Dieu par un crucifié, son Fils à Lui ?

Les familles n'auraient pas à pleurer sur tant d'enfants prodigues et l'Eglise ne connaîtrait pas la crise des vocations, si les mères, après avoir enseigné à leurs enfants la prière : « Que ton règne vienne et que ta volonté soit faite sur la terre », savaient demander pour leurs fils, avec plus de modestie, mais non moins de ferveur que Salomé, une place dans le Royaume messianique, le plus près possible de Jésus.

Prière et renoncement.

« Je suis venu jeter un feu sur la terre. Comme je voudrais qu'il fût déjà allumé ! » (Luc 12.49).

« Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, délivre-moi de cette heure ? Mais c'est pour cela même que je suis venu jusqu'à cette heure. Père, glorifie ton nom ! Alors il vint une voix du ciel qui dit : Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. » (Jean 12.27-28).

Jésus est venu jeter un feu sur la terre. Ce feu, qui doit consumer notre égoïsme incurable, Jésus sait qu'il ne pourra l'allumer qu'au prix de sa mort sur la croix. A l'approche de la Passion, son âme se trouble. Demandera-t-il à son Père d'être délivré de cette heure ? Fera-t-il appel aux légions d'anges qui l'arracheraient aux mains de ses bourreaux ? Non. Il a une mission pour la gloire de son Père et il. l'accomplira. « C'est pour cela que je suis venu... Père, glorifie ton nom ! » Par ces paroles, Jésus s'est chargé de nos douleurs [1]. Il portera « nos péchés sur le bois » [2]. Aussi la voix céleste, en réponse à son obéissance, lui annonce-t-elle son triomphe : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Nous aussi, nous avons une mission : transmettre le feu de l'amour rédempteur aux générations qui nous suivent. Cette mission, nous ne pourrons l'accomplir que dans la mesure où nous accepterons, en même temps que les promesses de Dieu, les exigences de Dieu.

Quand viendra l'heure crucifiante, quand notre âme se troublera au bord du sacrifice, refusons-nous comme le Christ à implorer la délivrance, et, suivant son exemple, disons à notre tour : « C'est pour cela que je suis venu... Père, glorifie ton nom. » Alors, ayant accepté de « souffrir avec lui » [3], nous entendrons la parole qui nous associera à son règne : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. »

[1] Esaïe 53.4 ;

[2] 1 Pierre 2.24 ;

[3] Rom. 8.17 ; 2 Tim. 2.12.

La prière de Philippe.

« Seigneur, montre-nous le Père. » (Jean 14.8).

Ne soyons pas trop sévères pour la prière de Philippe. Jésus ne l'a pas été.

Il v a beaucoup de vrai dans le dicton populaire : « Je ne crois que ce que je vois. » L'homme n'est pas un pur esprit. Pour que les réalités spirituelles lui soient assimilables, il faut qu'elles lui deviennent sensibles, que tout son être soit saisi et conquis. Il faut, pour que Dieu s'impose à l'homme, qu'il se pose d'abord devant lui. Pour annoncer la révélation, il fallait les miracles. Pour allumer dans les coeurs la foi en l'amour du Père, il fallait la venue du Fils : Jésus vivant, agissant, souffrant, mourant, se montrant ressuscité aux yeux de ses disciples.

Le tort de Philippe est de n'avoir pas su reconnaître, clans la sainteté unique du Christ, les caractères de la présence de Dieu, comme le tort de Thomas a été, dans la chambre haute, d'avoir douté, devant la transformation de ses condisciples et leur allégresse, qu'ils avaient contemplé le Christ ressuscité.

Une fois que le monde spirituel est, par le surnaturel. rentré dans l'histoire, et qu'il s'y est incarné, qu'a-t-on besoin de l'attendre encore de l'extérieur et de réclamer des prodiges ? Nos sens peuvent nous tromper. La plus incontestable, la plus concluante des preuves de l'action divine sera toujours une personnalité renouvelée à l’image de Dieu ; là où cette personnalité existe et agit, l'incrédulité ne peut plus être considérée que comme une maladie de l'âme ou une faiblesse de la chair.

Ici se dévoile toute notre responsabilité de chrétiens. Jésus pouvait dire : « Qui m'a vu a vu mon Père » ; par là, il condamnait les Juifs et ouvrait le ciel à ses rachetés. S'il ne transparaît pas, Lui, à travers notre manière d'être, comment nos contemporains connaîtraient-ils le péché qui les perd et la grâce qui nous sauve ?

Ce ne sont pas les miracles d'autrefois, c'est le miracle d'aujourd'hui qui peut amener à Christ ceux qui nous entourent. Ce miracle, c'est Jésus dans nos vies.

L'intercession royale.

« Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire » (Jean 17.24).

La page d'où cette parole est tirée présente un fait unique dans l'histoire de l'humanité. Ce n'est pas une révélation de Dieu, ce n'est pas une prière de l'homme, c'est la déclaration des droits du Christ que son oeuvre expiatoire a rétabli roi dans le ciel et sur la terre.

Fort de son acceptation de mourir qu'il vient de figurer dans l'institution de la Cène, Jésus se voit déjà, — par delà Gethsémané où il livrera la lutte suprême, par delà la croix où il portera les péchés du monde, par delà le matin de Pâques où resplendira sa victoire, —sur les marches du trône où son Père l'attend.

« Père, l'heure est venue... j'ai achevé l'œuvre... Je t'ai glorifié sur la terre... maintenant, toi, Père, glorifie-moi !... je veux... »

« Je veux... » C'est la seule fois dans les Evangiles que Jésus dit au Père : « Je veux. » Et ce « je veux » ne dénonce pas un manque de soumission filiale, il exprime, au contraire, les droits que Jésus s'est acquis par son entière obéissance. Bientôt, la Pentecôte et la floraison de l'Eglise, en attendant son glorieux retour, manifesteront que ces droits ont passé dans la réalité et que Jésus, souverainement, les exerce : e Je donne ma vie, personne ne me l'ôte, je la donne de moi-même. Quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi. Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Toutes les tribus de la terre verront le Fils de l'Homme venir en grande gloire [1]...

Ils le virent lié, le voici les mains hautes. [2]

« Je veux... »

Toi qui lis ces lignes, ne sens-tu pas courir en ton âme le frisson de la majesté divine ? Détourne-toi d'un monde pour lequel Jésus n'a pas prié, et au sein duquel tu ne peux pas le prier. Prosterne-toi dans l'obéissance au Maître des âmes. Ce « je veux » te concerne. Prépare-toi à la rencontre de ton Roi.

[1] Jean 10.17 s. ; Jean 12.32 ; Mat. 28.18 ; Mat. 24.30 ; cf. 25.31.

[2] Agrippa D'AUBIGNÉ. Le jugement dernier. (Les Tragiques, 1, VII).

La prière à Gethsémané.

« Père, s'il est possible, éloigne de moi cette coupe... Toutefois, ta volonté soit faite et non la mienne. » (Mat. 26 ; Luc 22).

« S'il est possible ?... » Jésus n'a-t-il pas dit : « Toutes choses sont possibles pour celui qui croit » ? N'a-t-il pas déclaré à Pierre qu'il lui suffirait de demander à son Père douze légions d'anges pour les obtenir aussitôt ?

O grandeur et mystère de la liberté humaine ! Grandeur et misère de la faute originelle ! Dans l'oeuvre de la rédemption, la seule prière qu'il ne soit pas possible à Dieu d'exaucer est la prière du seul croyant sans reproche, son Fils unique, le Christ de son amour.

C'est que rien, pas même le bouleversement des mondes, ne pourrait redresser la liberté déchue, ni allumer la repentance dans l'âme pécheresse, hormis la croix ; la croix qui expose aux yeux du coupable le martyre volontaire du Saint et du Juste. Librement l'homme est allé par la vie à la mort ; il faut que, librement, il aille par la mort à la vie. Mais cette liberté-là, un seul la possède, Celui sur qui la mort n'a pas d'emprise parce qu'Il est sans péché. Jésus le sait. Il s'est offert. Voilà pourquoi, à la supplication d'agonie : « Père, s'il est possible, éloigne de moi cette coupe », il ajoute : « Toutefois, ta volonté soit faite et non la mienne. »

Arrêtons-nous devant cette parole : elle emporte toute la rédemption. En disant à Dieu par ses actes : « Non pas ce que tu veux, mais ce que je veux », le premier Adam a fermé le paradis à sa postérité charnelle. lin disant à son Père, au seuil de la Passion : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux », le second Adam a rouvert le paradis à sa postérité spirituelle. Mais au prix de quels renoncements ! La souffrance de l'incarnation, l'attouchement de la mort, la séparation d'avec Dieu, tout l'insondable de l'expiation dans le cri : « Eloï, Eloï, lamina sabachtani ! »

Quand tu ploies le genou, mon frère, pense à Gethsémané, pense aux renoncements de Jésus. Sans esprit de renoncement, il n'y a pas de prière au nom de Jésus-Christ, et c'est la prière au nom de Jésus-Christ que Dieu exauce.

La prière et les anges.

Jésus s'étant mis à genoux priait... Alors lui apparut un ange venu du ciel, qui te fortifia. (Luc 22.41, 43).

Une belle soirée d'août. Deux enfants regardent au-dessus de leur tête s'entrecroiser des météores qui strient de traits de feu la nuit transparente. L'un demande : « Qu'est-ce que c'est, les étoiles filantes ? » L'autre, grave : « On me l'a dit. Ce sont les anges qui descendent et qui montent, comme dans le songe de Jacob. Quand ils entrent dans l'air, ils s'éteignent pour pouvoir faire leur travail sans être vus. Quand ils ressortent de l'air, ils se rallument pour remonter au ciel. » Explication naïve mais où se peint en parabole un fait vrai.

Comme le ciel d'été foisonne de particules de comètes qui s'enflamment en traversant notre atmosphère, comme l'éther qui nous enveloppe et nous pénètre vibre d'ondes sonores que la radio nous rend perceptibles, l'espace entre notre tente terrestre et la Maison du Père est sillonnée par des messagers angéliques, ouvriers des desseins de Dieu [1]. Des anges vinrent vers Jésus et le servirent [2] ; un ange ouvrit à Pierre les portes de sa prison [3] ; même les plus petits d'entre nous ont des anges qui, nous dit Jésus; « contemplent sans cesse la face de mon Père » [4].

Le croyant, ici-bas, n'est donc pas un orphelin qui marche dans le désert sous le mutisme implacable des cieux ; « L'ange de l'Eternel campe autour de ceux qui le craignent et les garantit » [5].

Ce monde spirituel, c'est la prière qui l'ouvre, le recueillement qui y introduit. Voulons-nous pouvoir dire comme le Christ : « Je ne suis jamais seul ? » Demandons à Dieu de former nos yeux à voir l'invisible [6], nos oreilles à entendre la « voix de silence » [7], et de rendre sensible à nos coeurs le va-et-vient des anges.

[1] Heb 1.14 ;

[2] Mat. 4.11 ;

[3] Act. 5.19 ;

[4] Mat. 18.10 ;

[5] Ps. 34.8 ;

[6] 1 Rois 19.12 ;

[7] 2 Rois 6.17.

Le pourquoi de Jésus.

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mat 27.46)

Quand Jésus, parfaitement pur, est allé au baptême de Jean, il s'est solidarisé avec l'humanité pécheresse, l'humanité que la chute avait séparée de Dieu. Pour pouvoir « porter nos péchés sur le bois » [1], Jésus devait subir l'épreuve de la séparation d'avec Dieu, séparation qui est le caractère propre et le châtiment de l'humanité déchue qu'il représente sur la croix.

L'approche de cette séparation fait trembler toute sa chair. C'est de la voir venir que Jésus, à Gethsémané, se prosterne et pleure ; elle est la coupe qu'il veut éloigner de ses lèvres.

Jésus aime-t-il assez les hommes pour supporter en leur compagnie l'isolement d'avec Dieu ? Pour plonger avec eux dans cet inconnu de ténèbres qu'est l'interruption divine, le spasme de silence, où s'exprime l'abandon de Dieu ?

Jésus accepte la mission rédemptrice. Le voici cloué sur la croix. La mort approche ; écrasé sous le poids de son humanité, Jésus s'écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Anges, qui vîntes au désert récompenser Jésus de sa victoire sur la tentation ; anges, qui vîntes au Jardin des Oliviers, essuyer sa sueur de sang : assemblez-vous autour de la croit, contemplez en silence le Fils de l'Homme qui, sans pouvoir pénétrer l'énigme qui le tue, lance vers le ciel le mot « pourquoi », et, privé de tout soutien, se soumet, anéantissant dans cette soumission expiatoire les conséquences mortelles de toute la rébellion de sa race.

Et nous, dont la foi menace si souvent de sombrer au choc des brutalités, des injustices et des mystères de la vie, nous qui, devant les faits qui nous révoltent et sous les fardeaux qui nous accablent, crions aussi à Dieu : « Pourquoi ? », n'oublions pas que Jésus, notre modèle, a passé avant nous par la même torture, qu'il y a passé avec une capacité divine de souffrir, et qu'il a fait confiance à l'amour de son Père, et que cette confiance nous a sauvés. Parlons à Jésus de notre détresse, il nous rappellera la sienne et nous rendra la paix.

[1] 1 Pierre 2.24.

La prière du brigand crucifié.

« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne ! » (Luc 23.42).

Au moment de mourir, le brigand sur la croix prononce une prière qui lui ouvre le paradis. C'est assez pour que la lâcheté de beaucoup de demi-chrétiens s'accroche à cette espérance : à l'article de la mort, je serai toujours à temps de faire comme lui !

Qu'a donc fait ce supplicié, qu'après lui vous vouliez le refaire ?

Cloué sur une croix, en proie à d'horribles tortures, il voit auprès de lui agoniser un homme abandonné de tous. On attendait un miracle suprême de ce faiseur de miracles : « Toi qui sauves les autres, descends de la croix ! » Mais rien ; rien que des chairs saignantes et la soumission pour mourir. Les passants invectivent ce thaumaturge dont l'impuissance finale démasque l'imposture. Les pharisiens le bafouent ; c'est leur triomphe ! Ils l'avaient bien dit que Jésus n'était pas fils de Dieu. Les soldats, ses bourreaux, le couvrent d'outrages et devant lui, encore vivant, tirent au sort sa robe sans couture. A toutes ces insultes s'ajoutent, dernière misère, les railleries qu'un autre crucifié lui adresse dans les hoquets de sa propre agonie.

Mais enfin, son parti, ses amis où sont-ils ? Le laisseront-ils mourir ainsi ?... L'un l'a vendu ; l'autre l'a renié ; un troisième l'a suivi d'un coeur timide. Chez tous, l'espérance est éteinte.

Quoi, tout est donc fini ? Jésus n'a plus qu'à s'écrier lui-même : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Non ! Du sein de toutes ces haines et de toutes ces trahisons, une voix soudaine a parlé. Seul contre tous, un malfaiteur, un crucifié, se prononce pour celui qu'on abandonne et se met du côté de la victime. A l'heure où l'on dirait que Dieu et les hommes le renient, il affirme, lui seul, sa foi au Couronné d'épines, le venge par une confession sublime, lui remet le sort de son âme, et, dans un cri qui semble défier l'incrédulité universelle, acclame en Jésus son Sauveur et son Roi !

Et c'est cette prière-là, qui jaillit de l'émoi d'une rencontre unique dans l'histoire ; c'est cet appel, le plus spontané, le plus difficile, le plus héroïque qui fut jamais, c'est ce cri, qu'un mourant, après s'être refusé à Jésus toute sa vie, serait capable de faire monter vers le ciel ? Où en trouverait-il l'occasion, l'élan, le courage ? Certes, tout miracle est possible à Dieu, mais non pas à l'homme. Voulez-vous savoir l'expérience commune ? Regardez la croix de l'autre brigand.

La plupart des hommes meurent comme ils ont vécu.

La prière du Christ mourant [1].

« Père, je remets mon esprit entre tes mains. » (Luc 23.46).

C'est ici le dénouement de l'expiation. L'heure de la mort de Jésus. Les Juifs le crucifient ; l'enfer le tue ; le ciel se tait. Fut-il jamais témoignage plus tragique de la gravité du péché dont le Christ nous lave ?

Pour comprendre ce que Jésus a supporté, il suffit de méditer les paroles de la croix :1 souffrance du corps, « J'ai soif ! » souffrance du coeur, « Voilà ta mère ! » ; souffrance de l'âme, « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Tension des muscles suspendus aux clous ; tension de la volonté, dans l'écartèlement de l'effort qui unit l'homme et Dieu...

La personnalité sainte a tenu. Aucune secousse, d'où qu'elle vint, n'a pu déraciner l'amour : Jésus pardonne aux soldats romains, ses bourreaux. Il entreprend, de croix à croix, son œuvre rédemptrice. Que manque-t-il encore ? Rien. Et c'est pourquoi Jésus s'écrie, non pas « Tout est accompli » — parole dogmatique, — mais simplement comme dit le texte grec : C'est fait ! télé-lestai [2].

La crise achevée, le ciel s'éclaire, et du tréfonds de son être rendu à la paix, Jésus exhale cette parole où s'inscrit son triomphe : « Père, je remets mon esprit entre tes mains ». Il a vaincu.

Depuis dix-neuf siècles, l'Eglise vit de sa victoire. Puisse chacun de nous, par la grâce acquise au Calvaire, mourir en vainqueur.

[1] Lire : Mat. 27.32-50 ; Marc 15.21-41 ; Luc 23.26-49 ; Jean 19.17-37 ;

[2] Jean 19.30 ;

[3] Luc 23.46 ; cf. Ps. 31.6.

La prière des disciples d'Emmaüs.

« Reste avec nous. » (Luc 24.29).

« Reste avec nous ! »... A qui les pèlerins du chemin d'Emmaüs adressent-ils cette prière dans le crépuscule du soir ? Ils ne savent pas. Un inconnu. Mais ce mystérieux étranger, qui vient de Jérusalem et semble y avoir ignoré le drame du Calvaire, comme il connaît bien les raisons qui ont dressé la croix ! Il leur a expliqué Moïse et les prophètes, il leur révèle leur propre coeur, il oblige leurs espoirs à reprendre l'envol.

A mesure que le jour baisse, leur âme s'éclaire. Elle retombera dans la nuit si l'étranger les quitte, ils ne veulent pas qu'elle y retombe : « Reste avec nous !

Ils devront à cette prière de se mettre à table avec Jésus le soir même de sa résurrection. Leurs yeux dessillés reconnaissent son geste, le geste de la Cène, la main qui donne le pain de vie.

Que de gens ici-bas marchent comme les disciples d'Emmaüs, à côté de Jésus sans le savoir ! Comme eux, ils voient que le jour décline... Une voix inconnue leur a parlé de justice, de -vérité, d'amour, de sacrifice, et ils ont obéi, tendus par l'effort. Ils pratiquent les devoirs du christianisme sans connaître la douceur de l'Evangile et sa puissance. Ils donnent à la voix inconnue des noms abstraits : conscience, raison, etc. S'ils acceptaient d'y voir une personne, s'ils poussaient vers cette personne le cri des pèlerins d'Emmaüs : « Reste avec nous ! » Jésus entrerait aussitôt dans leur vie et ils acclameraient Celui qu'on reconnaît sans l'avoir jamais vu, quand on a l'âme déjà tournée vers ce qu'Il aime.

Que de fois ne nous arrive-t-il pas à nous-mêmes de devoir faire la confession de Jacob : « L'Eternel était ici et je n'en savais rien ! » Quand la marche devient difficile, notre attention va aux obstacles plutôt qu'à la promesse de Jésus : « Je suis tous les jours avec vous. , Et notre coeur incrédule le pleure, au moment même où sur notre chemin tout est rempli de Sa présence.

« Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est Celui qui te parle [1]... »

[1] Jean 4.10.

L'invocation de Thomas.

« Mon Seigneur et mon Dieu ! » [1] (Jean 20.28).

Comme elle est courte, et comme elle est belle ! Elle témoigne et elle implore. Dans ce cri d'adoration, Thomas veut effacer la tristesse éprouvée par le Maître devant le doute de son disciple.

« Mon Seigneur et mon Dieu ! » « Mon Dieu ! » c'est la proclamation de la divinité de Jésus. « Mon Seigneur ! » c'est la profession d'obéissance à Jésus.

Dans les premiers temps de l'Eglise, le chrétien jouait sa tête en faisant cette profession. L'Apocalypse est toute frémissante de la bataille entre la Rome impériale et les disciples du Christ qui refusaient à tout autre le nom de Seigneur. Polycarpe n'aurait pas subi le martyre s'il avait seulement accepté de prononcer la formule : Kurios Kaiser, Seigneur César.

Quand nous donnons aujourd'hui à Jésus le titre de Seigneur, nous doutons-nous encore de tout ce à quoi ce mot nous engage ?

Prions, pour qu'en notre âme affadie Dieu rende leur mordant aux exigences de notre vocation. Ces exigences, Jésus les a fixées à jamais dans ces deux paroles : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume des cieux [2] », et « Si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés [3]. »

Faisons nôtre l'invocation de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » et nous entendrons comme lui le Sauveur nous dire dans sa miséricorde : Ne deviens pas incrédule, mais croyant [4].

[1] Voir p. 128, La prière à Jésus.

[2] Mat. 7.21 ;

[3] Jean 8.24 ;

[4] Jean 20.27.

La prière de l'Eglise avant la Pentecôte.

« Il faut que parmi ceux qui nous accompagnent... il y en ait un qui soit témoin avec nous de la résurrection de Jésus... Alors ils firent cette prière : Seigneur..., montre-nous lequel de ces deux hommes tu as choisi pour occuper la place de Judas. »

(Lire Act. 1.15-26).

Cette prière appartient à un épisode d'un caractère unique dans le Nouveau Testament. Elle est rattachée à un usage du sort pour connaître la volonté de Dieu. Ce tirage au sort est dû à l'initiative de Simon-Pierre. Ah ! les initiatives de Pierre ! Il veut marcher sur les eaux, il réprimande Jésus, il frappe de l'épée.. Comme il a besoin de la Pentecôte pour dompter son coeur magnifique et tenir son action sous l'inspiration ! Aussi Jésus, avant de partir, avait-il prévenu ses disciples de rester dans le recueillement et de ne rien entreprendre avant d'avoir reçu la « puissance d'en haut ». Le Saint-Esprit devait les consacrer témoins et les orienter dans l'apostolat.

Pierre, avant la Pentecôte, décide qu'il faut remplacer Judas. L'Eglise naissante le suit dans cette initiative. Elle prie, elle tire au sort, elle nomme. Matthias, son élu, ne réapparaît pas dans les pages du Nouveau Testament, et celles-ci sont toutes remplies des actes de Saul de Tarse, le persécuteur, que Jésus, qui avait choisi directement Pierre et ses condisciples, choisit aussi directement sur le chemin de Damas.

Contentons-nous ici de constater, et laissons à Dieu le jugement sur un acte accompli dans les temps dont la piété nous domine. Mais cet acte nous donne occasion de rappeler que la prière au nom de Jésus-Christ ne doit pas être une mise en demeure pour Dieu de sanctionner une initiative humaine.

Dieu ne doit pas être mis devant le fait accompli. Il demande à diriger, non seulement les dévouements, mais les initiatives, et jamais, dans l'activité de l'Eglise, les initiatives ne doivent précéder l'effusion de l'Esprit. Que d'erreurs, que de crimes auraient été épargnés au peuple de Dieu si ses chefs s'étaient humblement abstenus de prononcer des « il faut » avant d'avoir reçu les directions d'en haut !

Ce qui est vrai pour la collectivité est vrai pour l'individu. Combien de chrétiens, dont l'activité eût été autrement utile à l'Eglise, s'ils n'avaient pas commencé par bâtir de toutes pièces, sur l'impulsion de leur propre coeur, tel programme, telle organisation, présentés ensuite à la ratification de Dieu ! Le Seigneur a dit : « Je suis le commencement et la fin [1] » Nous oublions volontiers le premier terme, tant l'orgueil de l'homme a de peine à s'effacer devant la présence de Dieu. Prions, répandons filialement notre coeur dans le coeur de notre Père céleste, mais pour savoir ce qu'il faut demander, attendons le « soupir de l'Esprit » [2].

[1] Cf. Apocalypse 7.8.

[2] Rom. 8.26.

Ames embrasées.

« Tous persévéraient d'un commun accord dans la prière... Vint le jour de la Pentecôte..., des langues de feu se posèrent sur chacun d'eux et ils furent tous remplis du Saint-Esprit. » (Act. 1.14 ; 2.1-4).

Prière et Pentecôte...

La corrélation entre la prière persévérante et l'effusion du feu divin ne saurait être trop remarquée.

Une âme qui ne prie pas est une âme froide, spirituellement éteinte.

Par la prière, l'âme s'ouvre à Dieu qui entre en elle et l'embrase.

Il l'embrase, et son feu y consume tout ce qui est corrompu et corruptible ; les mauvais éléments de notre personnalité.

Il l'embrase, et son feu y fait plier et fondre en nous toute velléité d'usurper la direction des bons éléments de notre nature plutôt que de les soumettre à Dieu et de laisser Dieu gouverner.

Il l'embrase, et sa flamme fait bouillonner en elle, comme en une cuve ardente, les sentiments d'amour pour le Père céleste, pour le Fils rédempteur, pour les malheureux qu'il faut assister et sauver.

Il l'embrase... et c'est le baptême d'Esprit qui crée les apôtres. Pour annoncer ce baptême de feu, Jean-Baptiste a bravé la colère d'Hérode ; pour allumer ce feu qui devait régénérer le monde, Jésus a consumé sa propre vie dans les affres de la croix.

La Pentecôte, c'est la puissance spirituelle renouvelant les âmes que la prière a ouvertes au feu divin.

Vous voulez agir pour Dieu ? Ouvrez, ouvrez par la prière, Dieu fera le reste : c'est par les âmes embrasées qu'Il triomphe.

« Esprit, descends, Et baptise-nous de feu ! »

La prière de la chambre haute.

« Maintenant, Seigneur, donne à tes serviteurs d'annoncer ta Parole avec une pleine hardiesse. » (Act. 4.29).

Voilà la prière selon Dieu, la prière au nom de Jésus-Christ. Elle est toute fondée sur l'ordre de Jésus et sur l'impulsion de l'Esprit. Jésus avait dit : « Allez et enseignez. Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit et vous serez mes témoins [1]. » Le jour même où la Pentecôte inaugurera l'humanité nouvelle et l'Eglise du Rédempteur, l'Esprit pousse l'apôtre Pierre à la rencontre de la foule, lui inspire sa harangue et lui donne des âmes pour salaire. « Ce jour-là, environ trois mille personnes furent ajoutées à l'Eglise [2].

Des obstacles se dressent ; voici la résistance des autorités, la prison, les menaces, c'est l'approche du martyre... Les apôtres, au lieu d'en être intimidés, en sont comme exaltés dans leur fidélité au Maître. La chambre haute prie. Que demande-t-elle ? Seigneur, épargne-nous ? Non, mais : Donne à tes serviteurs d'annoncer ta parole avec une pleine hardiesse et d'accomplir des oeuvres dignes de toi. A cette prière, née de l'impulsion du Christ et toute imprégnée de son renoncement, le ciel répond aussitôt, et de façon sensible : « Le lieu où étaient les apôtres trembla », et tous connurent, par un nouveau baptême de l'énergie divine, qu'ils étaient exaucés.

On crie au miracle devant la rapidité avec laquelle l'Evangile gagna des âmes aux temps apostoliques. C'est qu’il était prêché par des hommes qui avaient rompu leurs attaches avec les moeurs de l'époque et qui vivaient comme suspendus à Dieu. Ne demandant rien pour eux, ils n'avaient au cœur qu'une passion : Jésus ; dans la vie qu'un but : son Royaume ; dans l'action qu'un animateur : l'Esprit. C'est cette cohésion de tout l'être qui obtient les exaucements miraculeux, comme c'est le cas des « coeurs partagés » de ne « rien recevoir du Seigneur » [3].

Ce qui s'est passé aux jours des Actes s'est passé, toutes proportions gardées, au temps de la Réforme, se passe de nos jours aux heures de réveil et dans les champs missionnaires. Je sais d'humbles paroisses de France où; sans éclat, progressivement, grâce à une grande concentration du ministère, le même miracle s'accomplit.

[1] Mat 28.19 ; Act. 1.8 ;

[2] Act. 2.41 ;

[3] Jacq. 1.7 ss. cf. Mat. 21.21 ss.

La prière d'Etienne.

« Jésus disait : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » (Luc 23.34).

« Pendant qu'ils le lapidaient, Etienne cria à haute voix : Seigneur, ne leur impute point ce péché. » (Act 7.60).

On rapproche souvent ces deux prières. Elles n'ont de commun que la sublime charité qui les inspire.

« Ils ne savent ce qu'ils font », dit Jésus. Il s'agit de soldats romains, païens, ignorant tout de Jésus et qui obéissent à la consigne. Ils seraient en faute s'ils ne clouaient pas les condamnés sur le bois. Le crucifiement de Jésus est le plus grand crime de l'histoire, mais pour les exécutants, point de péché.

Etienne dit au contraire de ceux qui le lapident : « Ne leur impute point ce péché. » C'est que ces Affranchis et leurs complices s'en sont pris à un homme qu'ils connaissent, à un Juif observateur comme eux de la Loi, à un évangéliste qui leur parlait de la puissance de l'Esprit. Ils l'assaillent, ils produisent des faux témoins ; leur propre justice, leur fanatisme, la cruauté d'une exécution illégale, voilà leur péché. Etienne prie pour ses compatriotes assassins ; il prie pour Saul de Tarse... et sa prière est exaucée. Saul, converti, fait sienne la théologie de sa victime, en développe les lignes, entre toi-même dans la carrière d'apôtre et devient le grand missionnaire du monde occidental, le grand docteur du christianisme de tous les temps.

La prière d'Etienne nous apprend que la charité doit croître en nous dans la mesure même où nous nous croyons en état d'apporter aux autres des lumières nouvelles, de les exhorter de la part de Dieu et de leur montrer le chemin du salut. Cette charité doit se surpasser elle-même au jour de la persécution, au point de faire de nous des intercesseurs en faveur de ceux que leur jalousie, leur orgueil, leur aveuglement, a poussés à nous faire du mal.

Il n'est point de façon de nous élever plus haut dans l'imitation de Jésus, que de reprendre à notre compte la prière d'Etienne. Prière difficile, prière impossible sans l'assistance de l'Esprit, mais prière qui peut ouvrir une carrière illimitée aux œuvres de la grâce, car Dieu exauçant la requête de ses enfants martyrs peut, en tout temps, faire d'un Saul de Tarse un saint Paul.

La prière de Paul.

« Il m'a été imposé une écharde... Trois fois j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi. »

(Lire 2 Cor. 12.7-9).

Au début de son expérience, le croyant estime volontiers que toute maladie paralyse son action chrétienne. Il lui semble que l'intérêt de son apostolat exige qu'il soit en pleines forces. C'est ainsi que Paul, dans les premières années de son ministère, prie instamment pour que l'écharde de sa chair lui soit enlevée.

Il est certain que, dans un monde normal, la santé est l'état normal, l'état du meilleur rendement ; mais au sein du désordre où nous a plongés la Chute, dans les rapports actuels de la chair et de l'esprit, est-il certain que les choses en vont de même ?

Jésus répond à Paul : « Ma grâce te suffit. » A l'école de la souffrance, la foi de Paul atteindra les hauteurs qu'elle n'aurait pas connues dans la prospérité. A l'école..., cela ne se fait pas tout seul ; Paul s'y reprend à trois fois pour obtenir ce qu'il croit désirable, et ce n'est qu'à la fin de sa course qu'il peut dire : « J'ai appris à être content de l'état où je me trouve [1]. » Etat d'infériorité ? Non. Etat de supériorité, car la force de Dieu « s'accomplit dans la faiblesse ». Sans parler des grâces qui n'entrent dans nos coeurs que par leurs blessures, il est des actes d'abandon, de consécration, d'héroïsme spirituel, et pour tout dire d'intimité avec le Maître, connus seulement de ceux qui ont communié avec son martyre et tout attendu de Lui, parce qu'ils ne pouvaient, en fait, rien attendre d'eux-mêmes.

Qui peut dire ce qui eût manqué à Adèle Kamm, à Vinet, à Calvin, à saint Paul lui-même, si Dieu eût retiré l'écharde qui mortifia leur chair jusqu'au bout ? « Seigneur, disait Calvin, tu me piles, mais il suffit que c'est ta main. »

De même que la plante aromatique ne livre tout son parfum que lorsqu'elle est broyée, la « bonne odeur de Christ » ne se dégage nulle part avec autant d'intensité que dans une vie extérieurement brisée et toute remise à Dieu. Ce qui a décidé l'humanité à suivre le Christ, ce n'est pas la façon dont il accomplissait les miracles, c'est la façon dont il a accepté la croix.

Amis chrétiens, que le mal physique réduit en apparence à une vie diminuée et comme anéantie, dites-vous bien que la révolte est une faillite de l'âme ; le découragement, un narcotique pour le coeur ; la résignation, une abdication de notre liberté. Dans un monde où l'on ne croit qu'à l'exemple, l'exemple d'une écharde supportée avec soumission et confiance est la démonstration la plus irrésistible de la victoire de l'Esprit.

[1] Phil 4.11.

La prière des adieux.

« Maintenant je vais à Jérusalem..., le Saint-Esprit m'avertit de ville en ville que des chaînes et des afflictions m'attendent. Vous ne verrez plus mon visage... » Quand il eut dit cela, il se mit à genoux, et pria avec eux tous. Ils fondirent tous en larmes et, se jetant au cou de Paul, l'embrassèrent tendrement... Puis ils l'accompagnèrent jusqu'au navire. »

(Lire Act 20).

Est-il possible d'imaginer une scène plus touchante et plus réaliste dans sa poésie que cette scène d'adieux ? Le cadre : un port de mer, un navire qui se balance sur les vagues et va emporter vers Jérusalem un apôtre destiné au martyre. Le tableau : un pasteur qui parle à des pasteurs. Prêt à mourir, il leur lègue les Eglises qu'il a fondées et, pour les exciter à la fidélité, il leur résume sa propre vie.

Quel service ! « Au milieu des épreuves et des embûches. » Quels auditoires ! « Aux Juifs et aux Grecs. » Quelle cure d'âme ! « De maison en maison », et dans quel tête-à-tête ! « Chacun, nuit et jour, avec larmes. » Quel scrupule ! « Je n'ai rien négligé. » Quel désintéressement ! « Je n'ai désiré ni l'argent, ni l'or. » Quelle dignité ! « Les mains que voici ont pourvu. » Quelle devise ! « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir », et, dominant tout, expliquant tout, enveloppant tout, la prière apostolique : « Je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce. »

Si Paul a confiance en remettant ses Eglises aux anciens, c'est qu'il a remis les anciens à Dieu. On comprend, après de tels adieux, que tous soient tombés à genoux avec lui ; on comprend les sanglots et les étreintes, et les baisers et la désolation de ce qu'on ne verrait plus son visage.

Combien d'actuels pastorats pourraient se mesurer sans trouble à un pareil ministère ? La méditation de ce tableau des Actes ne devrait-elle pas inspirer à tous ceux qui souffrent de « l'assoupissement pastoral » à tous ceux dont les forces frémissent sous la charge écrasante d'un apostolat dont l'exercice menace si facilement l'esprit, le désir d'instituer une retraite annuelle où, faisant trêve à tout, ils iraient ensemble faire le compte de leur service, se confesser leurs fautes les uns aux autres, repenser leur foi, retremper leur zèle, guérir leurs meurtrissures et restaurer leur âme aux sources éternelles, dans le silence et la prière ?

1 Ces mots ont été écrits par un des hommes de l'Esprit auxquels aujourd'hui les jeunes regardent ; l'état qu'il signale existe, hélas ! ci et là.

Le suprême appel.

« Seigneur Jésus, viens ! » (Apoc 22.20).

Toute l'histoire humaine racontée par la Bible s'écoule entre deux paroles où s'inscrit la gloire divine : « Au commencement, Dieu [1]... », « Seigneur Jésus, viens [2] »

« Au commencement, Dieu... » proclame la gloire passée de Celui qui créa le monde. « Seigneur Jésus, viens ! » proclame la gloire à venir de Celui qui a reconquis le monde en son Fils.

Aux heures de son tourment, Jésus a prononcé cette parole : « Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre [3] ? » A cette question de Jésus, l'Eglise répond, trente ans après sa mort : « Oui, Seigneur Jésus, viens ! » Dans ce « viens » de l'Epouse, prononcé à l'heure où Rome victorieuse écrasait sous ses pieds les adorateurs de Christ, il y a l'assurance que les croyants méprisés, molestés, exilés, condamnés aux derniers supplices pour le nom de Jésus, soutiendront l'épreuve, maintiendront leur témoignage, graviront à leur tour leur calvaire plutôt que de renier Celui qui s'est laissé crucifier pour eux, ressusciteront dans les cendres de leur martyre, et, surmontant tout, inonderont le monde du message de l'Evangile.

La prophétie de l'Apocalypse a dit vrai. Par la grâce de Dieu, la promesse des croyants a été tenue. Chaque jour que le soleil éclaire Jésus « vient », gagne des batailles et accroît son empire. Il l'accroîtra... jusqu'au jour du grand exaucement de l'Epouse : le retour de l'Epoux dans sa gloire.

Pensez au Paradis perdu, à l'humanité égarée loin de Dieu, aux millénaires du paganisme, à la croix dressée par le judaïsme, à tout ce qui semblait, déjà sous les Césars, marquer la victoire de Satan et la défaite du ciel sur la terre, et dites-moi si je n'avais pas raison de dire que le « Seigneur Jésus viens ! » qui clôt le livre des révélations dresse, au terme du chemin terrestre des hommes, l'arc de triomphe de Dieu.

Expression des trois vertus cardinales : Foi, Espérance, Amour, l'appel de l'Epouse : « Seigneur Jésus, viens ! » affirme tout ensemble l'union mystique de Jésus avec son Eglise et l'action militante des chrétiens qui., après avoir lutté pour établir le Royaume de Dieu sur la terre, aspirent à y saluer leur roi.

Mais ces trois mots ont encore un sens intime, individuel et de portée libératrice. Par eux, chaque matin, les disciples de Christ, quelle que soit la saison de leur âge, demandent à Jésus de « venir » dans leur vie personnelle pour donner à leur printemps une lumière plus pure, à leur été une ardeur plus sainte, à leur automne les fruits de l'Esprit, à leur hiver la blancheur des cimes, et de bénir l'ascension de leur âme, jour après jour, jusqu'au jour qui n'aura point de soir. Alors, quand sonnera l'heure de la relève, quand paraîtra la grande inconnue, la mort, quand le souffle de l'au-delà passera sur mon agonie : pour nie prendre dans tes bras et m'emporter à Dieu... « Seigneur Jésus viens ! »

[1] Gen. 1.1 ;

[2] Apoc 22.20 ;

[3] Luc 18.8.

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