Élie le Tishbite

3.
Le départ pour Sarepta

Un jour, les enfants d’Israël faisaient ce qui est mal devant le Seigneur, et Dieu les livra entre les mains des Madianites, peuple farouche et guerrier, qui devait ramener, par la force, les brebis infidèles sous la houlette de leur Berger.

Alors la misère était grande en Israël. Une partie considérable du peuple avait abandonné maisons et terres, pour s’enfuir dans les forêts, dans les cavernes et dans les crevasses des rochers ; d’autres s’étaient enfermés et fortifiés sur quelques hauteurs solitaires. Dès qu’une moisson couvrait la terre, les Madianites accouraient, comme une nuée de sauterelles, et ravageaient les campagnes, et ne laissaient rien en Israël, ni vivres, ni troupeaux, ni bœuf, ni âne. (Juges 6.1-5).

Cette verge terrible produisit son effet. Israël reconnut sa faute, rentra en lui-même, tendit ses mains vers le ciel, en criant partout du fond des antres et des gorges : « Reviens, reviens vers ton héritage désolé ! » Et le Dieu fidèle exauça cette prière, et prépara la délivrance.

Auprès d’Ophra, s’élève, dans la campagne, un chêne solitaire ; tout près de là est une aire, dans laquelle un jeune homme est occupé à battre du blé ; à chaque instant il s’interrompt dans son travail pour jeter un regard inquiet autour de lui ; car il craint une irruption des Madianites, des mains desquels il cherche à sauver ce froment. Il se nomme Gédéon, et son père, laboureur comme lui, se nomme Joas. Pendant qu’il travaille ainsi avec ardeur, soudain un étranger d’une figure noble et gracieuse s’approche de lui ; sur son visage repose un doux éclat, semblable à celui de l’astre du jour. Il s’assied sous le chêne, comme s’il était fatigué du voyage. Au moment où Gédéon jette les regards sur lui, le majestueux étranger ouvre la bouche et lui dit : « Le Seigneur est avec toi, ô fort et vaillant homme ! » — A l’ouïe de cette parole, Gédéon, surpris, se dit à lui-même : « Que veut dire cette salutation ? » Puis, pressentant, sans doute, quel est Celui qu’il a devant lui, il épanche toute l’amertume de son cœur : » Mon Seigneur, lui dit-il, si l’Eternel est avec nous, pourquoi donc nous est-il arrivé de telles choses ? Et que sont devenues toutes ces merveilles que nos pères nous ont racontées, disant : L’Eternel nous a fait monter hors d’Egypte. Car maintenant l’Eternel nous a abandonnés et livrés entre les mains des Madianites. » Ainsi parle Gédéon. Alors, nous dit notre récit, le Seigneur le regarda, et ce Seigneur, c’était le Fils de Dieu, et en le regardant ainsi d’un regard plein de grâce et de douceur, il lui dit :« Va, avec cette force dont tu es rempli, tu délivreras Israël de la main des Madianites. C’est moi qui t’envoie ! »

Ce n’est pas toujours une chose douce et agréable que d’être regardé par le Seigneur. Lorsque autrefois il regarda les Egyptiens, ce fut, pour eux, comme si un coup de tonnerre avait traversé leur camp ; les cœurs des braves se fondirent, et l’intelligence des sages s’obscurcit. Il regarde les montagnes, et elles tremblent. Un regard de cette espèce, parti de ces yeux qui sont comme des flammes de feu, tomba sur les hommes dont parle Daniel, et l’épouvante les saisit, de sorte qu’ils s’enfuirent et se cachèrent. Et quel cri lamentable ne pousse pas Job, comme du sein de l’enfer le plus profond, quand il gémit en disant : « Tes yeux sont attachés sur moi, c’est pourquoi c’est fait de moi. Quand cesseras-tu de me regarder ? Quand me lâcheras-tu jusqu’à ce que j’aie avalé ma salive ? Suis-je donc une mer, ou un monstre indomptable, que tu me gardes si sévèrement ! — Si j’ai péché, que puis-je te faire, ô scrutateur des hommes ! Pourquoi ne me pardonnes-tu pas mon iniquité, et n’ôtes-tu pas mon forfait de dessus moi ? » Et il y a encore l’œil de la majesté divine abaissé sur le ver de terre, il y a l’œil du Saint des saints dans nos ténèbres, il y a le regard de la justice éternelle, regard fixement attaché sur le pécheur… Oh voilà la plus épouvantable des épouvantes qu’un pauvre cœur puisse éprouver sur la terre ; et cependant il faut l’éprouver, ou l’on ne se réjouira jamais aux rayons du regard de la grâce d’en haut.

Le regard dont Gédéon fut honoré près du chêne d’Ophra, était un regard d’amour et de grâce. L’œil qu’il lui fut alors accordé de contempler, n’avait rien de terrible et d’effrayant ; mais il ressemblait à un ciel pur et serein, brillant d’un éclat doux et paisible. C’était un de ces regards de Dieu qui revivifient les morts, qui font tressaillir de joie ceux qui pleurent, de ces regards qui font descendre des torrents de paix et de joie dans les cœurs brisés, et que David célèbre en disant : « Lorsque tu fais briller sur nous ta face, nous guérissons. »

En jetant sur Gédéon un tel regard d’affection et de grâce, l’Eternel lui dit : « Va, dans cette force dont tu es rempli. — Et quelle force donc ? — La force de mon regard, ô Gédéon ! de mon regard qui t’a donné l’assurance de mon amour et de ma faveur. »

Oh oui, la force de ces regards de grâce par lesquels l’homme apprend, d’une manière vivante, que le Seigneur l’aime, est grande et puissante. — Par elle, vous voyez des cœurs, qui il n’y a qu’un instant ressemblaient à une mer agitée, changés tout à coup en un sanctuaire où habite un repos céleste. Vous voyez des âmes, qui naguère gémissaient, pleurant sur le sac et la cendre, se relever subitement sur les ailes du ravissement et de la joie, comme de jeunes aigles, dès l’instant que le regard de la compassion divine a fait tomber sur elles sa lumière. Souvent vous vous êtes étonnés de voir tout à coup des gens simples s’épanouir comme les fleurs d’un nouvel Eden, répandre autour d’eux un parfum céleste, et déployer des dons et des forces, comme s’ils avaient été arrosés par une pluie d’en haut. Des hommes timides, des muets commencent à parler, à rendre témoignage d’une manière si ravissante, que l’on ne peut se lasser de les écouter ; des âmes modestes et craintives font retentir une confession de leur Sauveur, si franche, si ouverte, si courageuse, que l’on ne peut comprendre d’où leur vient tout à coup une telle hardiesse. Quels sacrifices n’offre-t-on pas alors ! De quels renoncements n’est-on pas capable ! Quelle patience ne montre-t-on pas ! Quel désintéressement, quelle ardente charité ne fait-on pas éclater à tous les yeux ! D’où proviennent donc tous ces trésors ? C’est la force du regard de grâce de l’Eternel ; c’est l’effet de ce sentiment : Mon Jésus m’aime !

« Va, dans cette force dont tu es plein ! » dit le Seigneur à Gédéon, lorsqu’il eut jeté sur lui un regard d’amour. Le Seigneur veut lui dire : « Je ne t’engage pas, ô Gédéon, à marcher contre les ennemis dans ta propre force. Je t’arme de ma force, et non de la tienne. Que ceci, ô Gédéon, soit ta force : d’avoir reçu de ma part ce regard d’ami ; que cela t’enflamme ; que ma grâce te suffise ! Va, dans cette force dont tu es plein, et sois vainqueur ! »

O précieux discours ! Sache seulement une chose, ô mon frère, savoir, que sa bénédiction est avec toi, et tu n’auras plus à craindre et à trembler. Possède seulement au dedans de toi le témoignage qu’il est ton ami, et aucun orage, aucune tempête ne doit plus t’épouvanter ; ris-toi des lances, même de milliers de lances dirigées contre toi, et ne crains point, lors même que des montagnes, en apparence insurmontables, s’accumuleraient sur ton chemin. Ne pèse pas tes forces avec inquiétude, et ne les mesure pas timidement. Que tu sois fort ou faible, armé ou dépouillé, peu importe ! Les forces de ton Emmanuel t’appartiennent ; son amour pour toi, voilà ta bannière, ton glaive, ta cuirasse, ton bouclier tout ce qui te manque et dont tu as besoin. Quelque part que tu sois envoyé, que tu aies à passer à travers le feu de l’épreuve, ou au milieu des grosses eaux de l’affliction, que tu sois jeté dans les angoisses et les embarras domestiques, ou dans les luttes difficiles et les rudes entreprises, ou même que tu sois étreint par la détresse et la mort, s’il ta regardé avec amour, si tu sais certainement cette seule chose : « Mon Jésus m’aime ! » va, va dans cette force dont tu es rempli ! Tu n’as rien à craindre, rien à redouter. Ton Jésus t’accompagnera, te couvrira, parce qu’il t’aime, son amour est fort comme la mort, ferme comme l’enfer. Il aplanira bientôt le chemin devant toi.

Ce fut aussi dans la force du regard de grâce qu’il avait reçu de l’Eternel, qu’Élie s’en alla au torrent de Kérith. C’est dans la même force que nous allons le voir aujourd’hui commencer un autre voyage non moins difficile, non moins pénible que le premier. Mais voici : le Seigneur marche avec lui : c’est un voyage de bénédiction.

1 Rois 17.7-16

7 Mais il arriva qu’au bout de quelques jours le torrent tarit, parce qu’il n’y avait point de pluie dans le pays. 8 Alors la parole de l’Eternel lui fut adressée, disant : 9 « Lève-toi et va à Sarepta, qui est près de Sidon, et demeure là ; voici, j’ai commandé là à une femme veuve de te nourrir. »

10 Il se leva donc et alla à Sarepta ; et comme il approchait de la porte de la ville, il vit une femme veuve qui ramassait du bois, et il l’appela et lui dit : « Apporte-moi, je te prie, un peu d’eau dans un vaisseau, afin que je boive ». 11 Et comme elle allait chercher l’eau, il la rappela et lui dit : « Apporte-moi aussi une bouchée de pain ». 12 Mais elle répondit : « L’Eternel, ton Dieu, est vivant que je n’ai aucun gâteau ; je n’ai que plein ma main de farine dans une cruche, et un peu d’huile dans un vase ; et voici je ramasse un ou deux morceaux de bois ; puis je m’en irai ; j’apprêterai ce peu qui me reste pour moi et pour mon fils, et nous le mangerons, et après nous mourrons ». 13 Élie lui dit : « Ne crains point ; va, fais comme tu dis ; toutefois, fais-m’en premièrement un petit gâteau et apporte-le moi ; et après tu en feras pour toi et pour ton fils ; 14 car ainsi a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : La farine qui est dans la cruche ne manquera point, et l’huile qui est dans le vase ne défaudra point, jusqu’au jour où l’Eternel fera pleuvoir sur la terre ».

15 Elle s’en alla donc, et fit comme Élie lui avait dit ; et il en mangea et elle et sa famille avec lui, plusieurs jours ; 16 et la farine ne manqua point dans la cruche, et l’huile ne finit point dans le vase, selon ce que l’Eternel avait déclaré par Élie.

Nous retrouvons aujourd’hui notre prophète là où nous l’avons laissé la dernière fois. Il n’a pas quitté le poste que son Seigneur et Roi lui a assigné. Cette sauvage solitude ne lui est pas encore devenue insupportable. Son Dieu est auprès de lui. Aussi longtemps que Dieu le trouvera bon, ces parois de rocher, ce lit de gazon, cet abri de feuillage lui suffiront. Le voilà assis, lui, l’homme de Dieu, sur son banc de pierre, se disant à lui-même : le Seigneur y pourvoira. Les noirs messagers remplissent fidèlement leur emploi ; matin et soir ils préludent, par leurs cris rauques, au nouveau chant d’action de grâces qui sort de l’âme du prophète ; le ruisseau de Kérith continue à murmurer et à fournir abondamment son onde limpide, miracle d’autant plus étonnant, que ce ruisseau tarit ordinairement beaucoup plus vite que tous les autres.

Mais maintenant la scène change ; les choses prennent une tournure, au premier abord, bien imprévue, fort affligeante, et qui devient ensuite comme incompréhensible et mystérieuse, mais qui, à la fin, est aussi réjouissante que propre à glorifier Dieu. Nous avons, aujourd’hui, trois points à considérer : la détresse d’Élie, le départ d’Élie, et sa merveilleuse délivrance.

I

Commençons d’abord par une remarque générale. Durant toute une année, comme nous savons, Élie fut entretenu et conservé par miracle. Or, un miracle longtemps prolongé cesse à la fin de nous paraître miracle. La chose nous semble avec le temps toute naturelle, et comme ne pouvant être autrement ; et nous finissons par n’y plus voir la main, l’œuvre et la présence de Dieu Vous connaissez sans doute ce conte oriental d’un enfant qui pria un jour son maître de lui confirmer la doctrine de l’existence de Dieu par un miracle. Le prêtre, dit-on, fit remplir de terre un vase, y déposa une graine aux yeux de l’enfant et le pria de faire attention à ce qui arriverait. O prodige ! A l’endroit où la semence venait d’être déposée, pousse un faible rejeton, qui devient une tige, laquelle pousse à son tour des rameaux et des branches et couvre en peu d’instants l’appartement tout entier d’un dais de feuillage. Au milieu de cette verdure éclosent des boutons, puis des fleurs, les fleurs se fanent et se transforment en fruits éclatants ; dans l’espace d’une heure, un arbre magnifique s’élevait là ou auparavant ne se trouvait qu’un informe grain de semence à peine visible. A cette vue, le jeune homme s’écrie hors de lui : « Maintenant je sais qu’il y a un Dieu ; car, j’ai été témoin de sa force. » Mais le prêtre souriant lui répond : « O insensé, c’est seulement maintenant que tu crois ! ce que tu viens de voir, tu le vois régulièrement chaque année tout autour de toi ; cela est déjà arrivé des milliers de fois, seulement d’une manière plus lente et plus ordinaire ; pour cela en est-ce moins un miracle ? »

Mais nous sommes tous cet enfant insensé. Si en nous levant un jour le matin, nous trouvions dans notre armoire un pain que ni nous ni personne d’autre n’y aurait mis, il nous serait difficile de ne pas reconnaître là la main du Seigneur ; or, ce pain nous le trouvons en réalité chaque matin ; que ce soit par le secours de Dieu qu’il est venu, personne n’en doute ; mais parce qu’il l’a fait d’une manière plus lente et moins extraordinaire, par l’entretien de nos forces, par la bénédiction de notre travail, et qu’il le fait sans cesse tous les jours, il nous devient fort difficile de reconnaître ici sa puissance et sa bonté. — Oui, et même lorsqu’il se fait sentir à nous d’une manière extraordinaire, tellement que nous sommes forcés de nous écrier : « C’est un miracle de Dieu ! » pour peu qu’un tel témoignage de sa présence se prolonge, le merveilleux et même le divin dans cette voie de Dieu échappent bientôt à nos yeux. Une, deux fois de la manne dans le désert… Oh, c’est là un miracle fait devant nos yeux, et nous louons Dieu, le Seigneur. Tous les jours de la manne, on s’y habitue ; il nous semble bientôt que c’est tout naturel, qu’il ne saurait en être autrement ; on ne voit plus que la manne, et on oublie celui qui la donne. Une fois de l’eau du rocher, puis la disette et la sécheresse oui, cela nous apprend à donner gloire à Dieu. Mais que le rocher qui nous suit, versât tous les jours ses torrents d’eau et nous abreuvât sans interruption, et que nous ne sussions plus ce que c’est que la disette, cela ne nous serait pas utile ; Dieu serait bientôt oublié malgré ce miracle journalier qu’il ferait pour nous.

Je ne prétends pas sans doute que chose semblable fût arrivée à Élie à l’égard du miracle du ruisseau de Kérith. A Dieu ne plaise que nous lui imputions sans raison positive de tels sentiments ! Mais saint Jacques dit : « qu’Élie était un homme sujet aux mêmes faiblesses que nous, » et un homme comme nous courrait grand risque de perdre de vue ce que ce fait avait de merveilleux, de fortifiant pour la foi, de bienfaisant pour l’homme intérieur, d’élevant pour le cœur et pour les pensées, et de finir avec le temps par se dire à soi-même : « le ruisseau de Kérith coule comme les autres ruisseaux coulent, aussi longtemps qu’ils ont de l’eau et que leur source est bien fournie. »

C’est ainsi que nous avons coutume d’agir envers Dieu, nous autres enfants des hommes, comme pour mettre sa patience à l’épreuve, et, s’il était possible, l’impatienter et le lasser. Mais entre autres pénibles fonctions que ce bon Père s’est imposées envers ses enfants, est celle dont parle Esaïe ch. 46 : « Je vous porterai jusqu’à votre blanche vieillesse. » Oui en vérité, il a quelque chose à porter avec des enfants comme nous ! Et comme il sait qu’une bénédiction non interrompue cesse si aisément d’être pour nous une bénédiction, il a soin que les variations ne manquent pas dans notre vie ; il nous envoie alternativement l’été et l’hiver, le jour et la nuit, la pluie et le soleil, l’inquiétude et la délivrance, la détresse et le secours. De cette manière nous sommes dans un continuel exercice sous le rapport spirituel ; nous ne pouvons nous écarter si facilement de la porte de sa maison par les pensées de nos cœurs ; il y a sans cesse pour nous quelque bien à demander, quelque délivrance à implorer, quelque action de grâce à rendre, quelque humble confession à faire, ou quelque grâce à attendre et à saisir.

Voilà pourquoi ce bon Père céleste faisait ainsi aller de droite et de gauche et par mille contours, le chemin de notre Prophète. Aussi combien la vie d’Élie est variée. C’est comme un tissu formé de fils de toutes couleurs. On y voit entremêlées successivement toutes les sortes de détresses et toutes les sortes de délivrances ; mais c’est précisément là ce qui en fait une vie pleine d’abondantes et éternelles bénédictions.

« Au bout de quelques jours. » — Ainsi recommence notre récit. Il semblerait, d’après cela, qu’Élie n’eût été que peu de jours au torrent de Kérith. Mais il n’en est point ainsi. Dans le quatrième chapitre de la Genèse, où est raconté le récit de la naissance de Caïn et d’Abel, il est dit aussitôt après : « Et après quelques jours, il arriva que Caïn offrit un sacrifice à l’Eternel. » Il est évident que dans cet endroit, cette expression, quelques jours, ne saurait désigner un court espace de temps, mais embrasse un espace de plusieurs années. Dans notre récit actuel, l’expression : quelques jours, doit renfermer environ une année ; telle fut la durée du temps qu’Élie passa dans sa solitude. Le Seigneur Jésus nous apprend lui-même (Luc 4.25) et l’apôtre Jacques aussi, (Jacques 5.17) que la sécheresse dura trois ans et demi. Or (1 Rois 18.1), nous voyons que lorsque la sécheresse prit fin, le prophète avait passé deux ans et quelques mois, (probablement six), à Sarepta. Où a-t-il donc passé l’année restante… où, si ce n’est au ruisseau de Kérith ? Ce petit calcul servira de réponse à ceux qui ont taxé de pure hypothèse notre assertion de dimanche dernier, qu’Élie avait passé toute une année dans le désert.

Voici donc, qu’avec l’aide de Dieu, l’année était à sa fin, remplie tantôt par la foi, tantôt par la vue, non, sans doute, sans beaucoup de peine, mais, au total, mille fois plus heureuse et plus agréable qu’il n’eût osé l’imaginer en commençant. En effet, que lui avait-il manqué ? Les corbeaux faisaient leur office ; le ruisseau continuait à couler, et s’il avait coulé cette année, pourquoi tarirait-il l’année suivante ? Telles pouvaient être les pensées du prophète au commencement de la nouvelle année. Mais bientôt il allait entonner un autre chant. O désolation ! Au bout de quelque temps il lui sembla apercevoir une diminution dans l’eau du torrent. Il peut à peine en croire ses yeux. Dieu n’a-t-il pas dit : « Tu boiras de l’eau du torrent, » et par là même n’a-t-il pas donné l’assurance que l’eau ne lui manquerait pas. Mais il observe, il mesure : en effet, le ruisseau baisse d’heure en heure ; le fond se montre de plus en plus, et bientôt, au lieu d’un ruisseau limpide, il n’a plus devant les yeux qu’un lit de cailloux desséchés. Qu’est-ce donc, Seigneur, s’écrie-t-il ? Est-ce là l’eau avec laquelle je dois étancher ma soif ? — Eh bien, Élie, que vas-tu faire maintenant ? De l’eau, il ne s’en trouve nulle part. O voies étonnantes de Dieu ! ô dure épreuve ! Qu’est-ce donc, se dit Élie ; si longtemps conservé par miracle, et maintenant abandonné ! Des promesses si positives… et maintenant une telle fin ! Comment m’expliquer cela ? Ne suis-je plus son prophète ; ai-je péché contre lui en sorte qu’il m’ait rejeté ? Se repent-Il de s’être engagé envers moi ? Telles pouvaient être ses pensées, avec toutes les autres que le vieil homme ne manquait sans doute pas de lui suggérer, pensées de murmure, soupçons méchants et pleins de défiance, enfin, projets pleins d’orgueil et de présomption. Élie se trouvait dans une grande presse, extérieurement, car le danger de périr de soif était devant ses yeux ; intérieurement, car la tentation d’abandonner le Seigneur le serrait de près, et sa foi semblait devoir tarir tout entière avec l’eau du torrent.

Oui, mes chers frères, c’est sans contredit l’une des plus fortes et des plus dures épreuves qui puissent nous être infligées, quand, à la suite d’une délivrance que l’on sent devoir tout entière à la grâce de Dieu, et au milieu d’une position heureuse qui remplit le cœur d’actions de grâces, l’on est tout à coup frappé, dans ces dons mêmes de Dieu ; que le cantique de louange est en quelque sorte étouffé sur nos lèvres, et changé en lamentations par un malheur inattendu.

Par exemple, vous vous trouvez dans le besoin, et vous êtes pressés par toutes sortes d’embarras domestiques. Il faut payer une dette, ou marcher en prison. Vous luttez avec Dieu. Il vient à votre aide. le montant de votre dette vous arrive par une voie merveilleuse et inespérée. Votre cœur déborde de reconnaissance et d’actions de grâces. « Oui, oui, dites-vous, je le sais maintenant ; je l’ai vu, que Dieu est vivant, et qu’il entend les prières. » Mais qu’arrive-t-il ? Pendant la nuit on s’introduit dans votre maison, votre argent est enlevé, et le matin vous voilà jeté en prison. Un autre exemple : A force de travail et de sueur, vous êtes parvenu à pouvoir acheter un coin de terre. Vous tombez à genoux, et vous dites : « Seigneur, bénis maintenant mon travail, que je puisse me nourrir moi et mes enfants. » Et voici, tout prospère au gré de vos désirs ; vos champs se couvrent d’une riche moisson. C’est à la main du Seigneur que je dois cela, vous dites-vous à vous-même ; maintenant, je vois de mes yeux qu’il est fidèle, et qu’il a compassion de ses créatures. Mais tandis que votre cœur est ainsi rempli de joie et de louange, et que vous voudriez pouvoir crier à tous les hommes : « O voyez mes gerbes ; combien le Seigneur est fidèle, » quelques jours de sécheresse arrivent, et vos champs sont changés en un désert, comme les champs de tous les autres. Que dites-vous maintenant ? Ce sont là de cruelles épreuves ; et elles sont d’autant plus cruelles, que le malheur dont nous sommes frappés arrive d’une manière plus naturelle et plus commune. Supposez que cet argent que vous aviez reçu si miraculeusement, vous eût été enlevé d’une manière Semblable, par la foudre, par exemple, il ne vous serait peut-être pas si difficile de dire avec Job : « Le Seigneur l’avait donné, le Seigneur l’a ôté, » et de conclure comme lui : « Que le nom de l’Eternel soit béni ! » Vous auriez toujours cette conviction :« Le Seigneur a agi ici ; sa main est proche ; il saura bien me tirer de peine. » Mais lorsque votre perte vous est arrivée d’une manière si complètement naturelle, et, qui plus est, criminelle et contraire à la volonté de Dieu, par d’indignes larrons, oh, vous êtes beaucoup plus porté à vous dire : « Le Seigneur ne l’a pas ôté ; par conséquent ce pourrait bien n’être pas lui qui me l’avait donné ; car sans cela pourquoi ne me l’eût-il pas conservé ! » Dès lors, tout semble s’accorder pour vous convaincre que Dieu s’inquiète fort peu de vous ; et vous voilà en danger de regarder toute votre reconnaissance précédente comme le résultat d’une illusion, et le secours comme vous étant arrivé d’une manière surprenante, sans doute, mais au fond accidentelle et toute naturelle. Et voilà ce qui aggravait aussi l’épreuve de notre prophète, je veux dire, la circonstance que le torrent n’avait point tari subitement et par un miracle, ou d’une manière incompréhensible, mais d’une manière toute ordinaire, insensiblement, comme les autres ruisseaux, et par suite de l’ardeur du soleil. Cela semblait démontrer avec évidence que la nature était plus Dieu que Dieu lui-même. Notre récit mentionne expressément la cause toute naturelle qui fit tarir le ruisseau : « Le ruisseau tarit, parce qu’il n’y avait point de pluie dans le pays. » Pourquoi la mention expresse de cette circonstance ? Vous pouvez maintenant le comprendre. Le saint Esprit a voulu que nous puissions nous représenter dans toute sa vivacité, l’épreuve qui vint alors assaillir Élie.

Sans doute, cette fournaise n’aura pas peu exercé le prophète, et il n’en sera pas sorti sans beaucoup de luttes, de cris et de prières. Un sévère examen de lui-même aura été le premier effet que produisit en lui cet événement ; car, quoi de plus naturel pour lui que cette pensée : « c’est à cause de tes péchés que cela t’arrive. » Le douloureux sentiment de l’abandon de Dieu ne manqua pas de tourmenter son âme, et le vieil homme de s’agiter et de faire entendre sa voix. Comment, en effet, eût-il pu se taire dans une semblable situation ? N’était-ce pas, pour lui, le moment de se montrer, de juger des choses non selon Dieu, mais selon l’homme, de murmurer, d’exciter au blasphème, de railler amèrement la foi du prophète, et de lui donner ce conseil : « Maintenant, lève-toi, et tire-toi toi-même de danger ; car pour le Seigneur, il est inutile de te confier en lui ! Cependant, Élie tint bon, persévéra dans la foi, et resta maître du champ de bataille. Il avait en main un glaive acéré contre toutes ces tentations. C’était cette parole de son Dieu : « Pars d’ici, et cache-toi au torrent de Kérith, qui coule vers le Jourdain, et tu boiras de son eau. — Seigneur, voilà ton ordre. Je suis ici sur ta parole. L’eau est maintenant tarie. Cependant, aussi certainement que tu te nommes le Fidèle et le Véritable, aussi certainement tu ne me laisseras pas périr, pour l’amour de ton nom et à cause de ta promesse infaillible. » Ainsi dit Élie, et il ne quitta point son poste ; il se recueillit en paix devant son Dieu ; attendit avec foi, et par cette foi crucifia sa chair avec ses désirs et ses convoitises.

O vous, compagnons d’Élie au torrent de Kérith et dans les lieux sauvages, vous, enfants de Dieu, qui gémissez au bord des ruisseaux desséchés et des sources taries, ô si vous saviez demeurer en paix et attendre, comme vous seriez forts ; si vous croyiez, comme vous verriez bientôt la gloire de Dieu ! Quand on songe à toutes les promesses qui vous sont faites, on serait tenté d’éprouver contre vous une véritable indignation pour tous vos gémissements et toutes vos craintes, ô gens défiants et de peu de foi ! Pourquoi t’abattre, ô Israël, et pourquoi t’épouvanter, ô Jacob ! — Oui, pensez-vous, peut-être, tout cela te plaît à dire ; mais nous voudrions te voir une fois, comme nous, traversé et contrarié dans tous tes desseins. — Eh ! mes frères, Jean-Baptiste n’a-t-il pas dit que ce qui est de travers sera redressé. — Bien, pensez-vous peut-être ; mais qu’il t’arrive un jour de voir tout aller au rebours des promesses que Dieu t’a faites ! — Non, non, mes frères, de telles choses n’arrivent pas. Vous vous trompez. Les choses vont contre vos souhaits et votre volonté, mais jamais contre la parole de Dieu. Vous avez, de votre chef, décidé comment et en quelle manière le Seigneur doit exécuter ses engagements envers vous, et, parce que les choses marchent autrement, vous pensez que Dieu ne tient pas ce qu’il a promis. Sa promesse deviendra certainement oui et amen ! Mais quant au comment, il faut vous en remettre à sa sagesse et à son amour ; prenez patience, restez en paix ; jetez sur lui votre souci, il mènera tout à bien. Car, répondez-moi, quel est-il donc celui sur qui l’Eternel a fixé ses regards, et pour l’amour duquel l’éternelle charité a quitté le ciel afin d’habiter la terre ? Quel est-il l’enfant de son cœur, le fils pour qui palpitent les entrailles de sa miséricorde ? N’est-ce pas toi, ô Jacob ? Ne crains donc pas, ô vermisseau de Jacob, pauvres débris d’Israël, c’est moi qui t’aiderai, moi, l’Eternel, ton Sauveur, le Saint d’Israël ! (Ésaïe 41.8-12)

Tout cela est vrai dans l’ordre temporel, et l’est également dans l’ordre spirituel. Sous ce dernier rapport non plus, il n’est pas doux de voir tarir le torrent de Kérith. Quelle misère, lorsque la joie disparaît du cœur, que toute sève spirituelle tarit, que le zèle se refroidit, que la dévotion se ralentit, que l’on ne peut même plus prier, tant est grande la sécheresse intérieure, et que l’esprit de louange et d’action de grâces se perd, pour ainsi dire, dans le sable brûlant du désert — Et cependant Dieu n’a-t-il pas dit qu’il arroserait sa vigne continuellement, et qu’il ne nous laisserait manquer d’aucun bien. C’est aussi là un genre d’épreuve ! Mais prenez courage ! Dieu tient sa parole ; et, pour le moment, n’en doutez pas, cette sécheresse intérieure que vous éprouvez est précisément pour vous la rosée la plus salutaire, et dans cette aridité même sont renfermés la bénédiction et le vrai bien. Il tient sa parole. Quant au comment, que le vase de terre ne prétende pas contester là dessus avec le potier ! Qu’il fasse comme il lui plaît ! la fin du chant sera toujours : « Seigneur, à toi la fidélité, et à nous la confusion de face ! »

II

Élie demeura où il était, au nom du Seigneur qui l’y avait placé, et il attendit. Voilà qui est bien. Abandonner arbitrairement un poste que nous a assigné le Chef suprême, c’est ce qui ne convient pas à qui s’est enrôlé sous la bannière de la croix. Élie tint bon, et le libérateur arriva enfin. Et comment arriva-t-il ? Tout autrement qu’Élie ne l’eût attendu. Avec de l’eau et des secours sensibles ? Non, avec un ordre qui pouvait être du goût de la foi, mais assurément pas de celui de la chair. « Lève-toi, dit la voix divine, et te rends à Sarepta, et demeure là ; car j’ai ordonné là à une veuve de t’y nourrir. » Eh bien, soit ! encore cette fois la raison doit céder la place. Il faut partir pour Sarepta en Phénicie ; voyage long, pénible, à travers des déserts, et dans un temps de famine universelle et de brûlante sécheresse. « Va à Sarepta, qui est près de Sidon. » Ainsi, hors du territoire d’Israël, dans la terre des païens et des idolâtres, dans la patrie de Jézabel, son ardente ennemie, dans le pays où régnait le père de Jézabel, qui, sans doute, de concert avec Achab, son beau-fils, n’avait rien négligé pour trouver et saisir Élie. — « Et une veuve te nourrira là. » Singulière consolation ! Une femme qui elle-même a perdu son appui, une veuve phénicienne, une païenne, contre les idoles de laquelle Élie s’élevait avec tant d’ardeur. Et enfin quelle veuve ? Comment, parmi les mille veuves de ce pays, trouver celle dont il s’agit ? Encore là un ordre d’une espèce toute particulière, et pas une main visible pour en assurer l’exécution. Mais paix ! Presque toutes les voies par lesquelles le Seigneur conduit les siens, sont comme le jour qui tire son origine de la nuit, commençant par un sombre crépuscule, se revêtant bientôt de l’éclat brillant de l’aurore, et arrivant enfin de degrés en degrés jusqu’à la pleine clarté du midi. « Lève-toi, et va à Sarepta qui est près de Sidon, » entre Sidon et Tyra. Ici s’offre à nous une douce et consolante pensée. Toute position dans laquelle la chair est froissée et crucifiée, le cœur orgueilleux humilié et abattu dans la poussière, toute circonstance qui fait pénétrer le regard de l’homme plus avant dans les profondeurs de sa misère, et lui met plus vivement son impuissance devant les yeux, toute situation, enfin, où les eaux brûlantes de l’affliction passent sur nous, et où nous sommes exercés dans la foi par le feu de l’épreuve, tout état dans lequel ce qui nous restait encore de confiance en nous-mêmes, est couvert de confusion, et chaque petit appui, autre que Jésus-Christ, brisé et réduit en pièces entre nos mains, tout état, toute circonstance de ce genre est en quelque sorte une fonderie où nous sommes jetés tels que du métal. — « Car voici, dit le Seigneur, je les fonderai et les affinerai ; car, que me reste-t-il à faire, puisque mon peuple se pare ainsi ? » — Mais lorsque l’or est dans le creuset, le fondeur n’est pas éloigné. Et qui est ce fondeur, sinon Jésus-Christ ? dont Malachie dit : « Il se tiendra assis près de la fournaise, et il les purifiera comme on purifie l’argent. » C’est Lui qui rend l’affliction efficace, et dirige l’épreuve vers le but qui lui est assigné ; c’est Lui qui souffle le feu lorsqu’il est nécessaire, et qui le modère lorsque la flamme est trop ardente ; c’est lui qui fait que les scories seules sont consumées, tandis que l’or demeure intact, et qui garantit du désespoir ceux qui gémissent dans le creuset. Oh oui, c’est une grande consolation que de savoir ainsi que Jésus est près, et un riche butin ne manque jamais de se trouver à côté des fourneaux célestes où Dieu purifie ses enfants. « Voici, dit le Seigneur dans Esaïe, je te purifierai, et je te ferai mon élu dans le fourneau de l’affliction. » Et David déclare : « C’est en m’humiliant que tu m’as rendu grand. » Et Jérémie : « Le peuple qui est échappé à l’épée, a trouvé grâce. » Et où donc ? « Dans le désert. » Et Paul dit : « Tout châtiment paraît d’abord un sujet de tristesse, et non pas de joie ; mais il produit ensuite un fruit paisible de justice chez ceux qui ont été ainsi exercés. »

a – Nous retranchons ici les étymologies auxquelles Krummacher rattache les réflexions qui suivent : Sarepta signifie fonderie ; Tyr, rocher ; Sidon, butin. La fonderie se trouve donc entre le rocher et le butin.

Certainement, le prophète envoyé à Sarepta ne pouvait se considérer que comme envoyé dans la fournaise de l’épreuve. Mais cette mission venait de Dieu, cela suffisait. En avant, au nom du Seigneur ! Le prophète dit un dernier adieu à sa paisible retraite, peut-être avec regret, car il s’était si bien familiarisé avec elle ; il bénit le lieu où Dieu avait fait tant de bien à son âme, car le Seigneur avait été l’aide de sa face ; il ceint son vêtement, prend en main son bâton, le bâton avec lequel il a coutume de voyager, le bâton de la parole de Dieu dans la main de la foi, et se met en route du côté de la Phénicie. Dans ce voyage de foi, nul lion ne l’a dévoré, nul serpent ne l’a mordu. A la vérité, ce n’était pas une route jonchée de roses, c’était une voie de renoncement, mais cependant Il était auprès de lui, l’Homme qui aplanit les montagnes, et qui calme les flots de la mer ; ainsi, c’était bien inutilement qu’il avait ouvert son âme à l’inquiétude et au souci.

III

Mais déjà, avant même qu’il y ait songé, le voilà au terme de son voyage. Sarepta s’élève devant lui sur ses rocailleuses collines, avec ses fonderies et ses ateliers fumants ; c’était là, en effet, l’industrie d’où cette petite ville avait tiré son nom. « Eh bien, Seigneur, maintenant, de quel côté me diriger, et où aller ? » Paix seulement, Élie, et patience ! Le Seigneur a déjà passé ici avant toi, et a tout préparé pour ta réception !

Élie marche lentement. Le chemin traverse une forêt située devant la ville. Non loin de lui, au milieu des brouillards, il remarque tout à coup une femme, pauvrement vêtue, occupée à ramasser quelques morceaux de bois. « Voilà la veuve » lui dit une secrète voix. — « Elle, la veuve ? pense-t-il. Cette pauvre femme, qui semble elle-même être réduite à la dernière misère, à la mendicité. Mais, ajouta-t-il aussitôt en lui-même, si c’est elle qui doit me nourrir, elle recevra aussi de quoi le faire. Celui qui m’a nourri pendant une année par le moyen de corbeaux, trouverait-il rien d’impossible ? Et n’est-ce pas là la conduite ordinaire de Dieu, de délivrer contre toute raison et toute espérance, et par des moyens qui, en eux-mêmes, ne promettaient aucune aide, afin qu’à Lui et à son nom en revienne toute la gloire. » Ainsi s’entretenait sans doute Élie avec lui- même, dans son cœur. Oui, il a cette confiance en son Seigneur, que, si c’est sa volonté, il peut facilement faire de cette pauvre femme son hôtesse ; il est assez humble, ce pieux serviteur de Dieu, pour se livrer en toute simplicité à l’idée que cette chétive cabane pourrait bien devenir son habitation, et son cœur n’est point péniblement affecté de cette pensée.

Avant tout, il lui importe donc de savoir quelle est cette femme. « Hé ! bonne femme, lui crie-t-il, apporte-moi, je te prie, un peu d’eau dans un vaisseau, afin que je boive ; car j’ai fait une longue marche. » La femme considère un moment l’étranger, puis pose son bois, et court à la ville pour lui chercher de l’eau ; cette obligeance de la part d’une femme païenne surprend agréablement Élie ; il serait prêt à affirmer : « C’est la veuve. » Cela l’encourage à demander encore davantage. « Je te prie, lui dit-il de nouveau, apporte-moi aussi une bouchée de pain. » Mais cette demande rouvre tout d’un coup les plaies que la pauvre femme portait avec elle dans son cœur ; cela lui rappelle sa situation. Son cœur, gonflé de chagrin, éclate ; sa douleur se fait jour ; elle est comme forcée d’épancher dans le sein de l’étranger toute sa détresse : « L’Eternel ton Dieu est vivant, s’écrie-t-elle les yeux humides, que je n’ai pas un gâteau ; je n’ai que plein ma main de farine dans une cruche, et un peu d’huile dans un vase ; et voilà que je ramasse quelques morceaux de bois ; puis je m’en irai, et je l’apprêterai pour moi et pour mon fils, et nous le mangerons ; après quoi nous mourrons. »

O Dieu ! quelle misère ressort de ces paroles ! Que cette réponse est bien faite pour affliger et fendre le cœur ! Un peu de farine dans une cruche, et d’huile dans un vase, voilà tout son bien. Elle veut s’en apprêter quelque nourriture, pour elle et pour son enfant, et après cela se coucher, et attendre que la faim leur donne la mort. En entendant cette triste réponse, peu s’en faut qu’on ne joigne ses larmes à celles de la pauvre femme.

Eh bien, Élie, maintenant, que dis-tu ? Penses-tu encore que ce soit la veuve ? Oui, assurément, il le pense, et même il en est certain. Il a vu clairement par ses paroles que c’est une veuve, car elle a parlé seulement d’elle et de son fils, et non de son mari. Quant à sa pauvreté, Ce point ne l’inquiète guère. Si c’est bien la veuve, Dieu y pourvoira. Et ces mots : « ’L’Eternel ton Dieu est vivant » que signifie donc cela ! Quels accents délicieux et inattendus dans la terre étrangère, dans ce pays païen ! Elle connaît donc le Seigneur ; c’est une secrète adoratrice du Dieu vivant, une rose dans le désert, au milieu des épines, une âme convertie, l’une de ces âmes païennes en si petit nombre, jusqu’aux oreilles desquelles a pénétré la parole du Dieu d’Israël. O bienheureuse découverte ! Qui pourrait décrire la joie de notre prophète ! Une sœur dans le désert ! Et que dit-elle ? « L’Eternel, ton Dieu, est vivant. » L’Eternel ton Dieu ? Et d’où a-t-elle appris cela d’où sait-elle que je suis un serviteur du Dieu vivant ? Qui le lui a dit ? O merveilleuse dispensation de la sollicitude maternelle de Dieu ! O rencontre admirable, délicieuse reconnaissance ! Ah ! Élie comprend maintenant pourquoi elle l’a ainsi regardé d’un air de connaissance et d’amitié ; il ne s’étonne plus qu’elle lui ait ainsi tout aussitôt ouvert son cœur, et qu’elle soit si profondément désolée de n’avoir plus qu’une poignée de farine et un peu d’huile. Oui, oui, c’est la veuve ; maintenant il en est sûr, et quoique le récit ne le dise point expressément, nous n’hésitons point à ajouter : « Et Élie se retira à l’écart dans le bois, et s’agenouilla, et pleura de joie, de reconnaissance et d’admiration des voies merveilleuses de Dieu. »

Oui, celui qui l’a éprouvé, connaît quel bonheur, quel trésor c’est, lorsqu’on se voit relégué dans un pays étranger où les rues de Sion sont désertes, au bord du fleuve de Babylone, au milieu des enfants du monde…, de rencontrer tout à coup dans ce désert un compatriote de Galilée, un frère ou une sœur dans le Seigneur ; c’est une joie inexprimable ; et n’en rencontrât-on qu’un seul, aussitôt le désert commence à fleurir, et la campagne s’embellit comme les lys. Dans de tels moments, il devient manifeste que l’amour fraternel entre les rachetés n’est pas encore si refroidi qu’on serait quelquefois tenté de le croire ; et que cet amour dont le Seigneur a dit :« C’est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres, » que cet amour existe réellement en eux, lors même qu’il peut momentanément y rester caché. La joie d’Élie se renouvelle, se goûte encore sur la terre, Dieu soit loué ! Partout, là même où des mercenaires et des loups en peaux de brebis font paître les troupeaux, le Seigneur a ses brebis, nous en avons l’assurance ; souvent aussi, les brebis qui paissent dans les plus maigres pâturages, portent la plus fine foison, et, chose merveilleuse, ces enfants de Dieu se reconnaissent.

Maintenant qu’Élie sait que c’est la veuve dont Dieu lui avait parlé, il ne craint plus de la consoler en toute assurance. Dieu même le lui ordonnait : « Ne crains point, lui dit Élie, demeure en paix, et reprends courage ! Tu ne mourras pas de faim, ni toi, ni ton fils, ni moi-même. Va, fais comme tu as dit ; seulement, prépare-moi aussi un gâteau, et apporte-le moi, et ensuite tu t’en apprêteras un pour toi et pour ton fils. » Mais Élie, que dis-tu ? Quelques gouttes d’huile et quelques poignées de farine suffiront-elles pour trois gâteaux ? Eh ! pour trois mille, s’il le fallait, pense Élie ; car c’est le Seigneur qui va maintenant moudre, verser et apprêter pour nous. Hâte-toi de faire ce que j’ai dit. — Quelle dut être la surprise de la pauvre veuve, en entendant cette parole ! Apprêter trois gâteaux avec si peu de chose ! Cela est impossible, pensait-elle, sans doute. Mais comme Dieu vit que l’épreuve surpassait la mesure actuelle de sa foi, son Esprit saisit le prophète et le pousse à lui crier encore ; « Ainsi, dit l’Eternel : La farine ne manquera point dans la cruche, et l’huile ne défaudra point dans le vase, jusqu’au jour où l’Eternel fera pleuvoir sur la terre. » Cette promesse fortifie sa foi ; elle part pleine de confiance ; elle fait comme Élie lui avait dit, apprête les trois gâteaux, en apporte un à Élie ; puis elle en mange, elle et son enfant ; et ainsi tous furent rassasiés de la manière la plus surprenante. Oh ! précieux chemin que celui de la foi !

Voyez-le là, assis, l’homme de Dieu, dans la cabane solitaire, non loin du rivage de la mer ; car telle était, d’après une vieille tradition, la situation de la maison de la veuve. Son cœur est joyeux dans cette demeure, et tous se réjouissent autour de lui dans la maison, non pas seulement à cause des dons temporels, mais bien plus encore à cause des dons spirituels dont il leur fait part. Israël l’a perdu ; une pauvre mendiante l’a trouvé. C’est là le sort d’un peuple qui devient las de se convertir au Seigneur, et qui refuse de mettre la main à l’œuvre, quoiqu’on lui dise. Le pain lui est enfin ôté et il est donné aux petits chiens qui périssaient dehors. C’est là ce que le Seigneur Jésus prêchait aussi aux gens de son temps (Luc 4.25) : « En vérité, je vous dis, il y avait plusieurs veuves en Israël au temps d’Élie, lorsque le ciel fut fermé trois ans et six mois ; néanmoins Élie ne fut envoyé chez aucune d’elles, mais chez une femme veuve, de Sarepta, dans le pays de Sidon. » Le voilà donc assis, plein de joie, dans cette maison. Plus de détresse ; la farine ne manque pas dans la cruche ; chaque jour le vase d’huile se remplit de nouveau, selon la promesse du Seigneur. Oh ! comme la pauvre veuve se réjouit de pouvoir ainsi, tous les jours, s’asseoir aux pieds de l’homme de Dieu, recevoir ses enseignements sur les choses d’en haut ; et avec quel plaisir Élie ouvre la bouche pour instruire ce cœur simple et aimant ! Ils prient ensemble, lisent ensemble dans Moïse et dans les Prophètes, s’entretiennent ensemble du Messie promis et de son avènement, entonnent de temps en temps un saint cantique en l’honneur du Seigneur ; le temps est toujours trop court à leur gré ; et les anges de Dieu contemplent avec ravissement cette petite église dans le désert. Voyez, voyez, ô mes chers frères, voilà l’issue d’une voie au commencement si obscure. C’est ainsi que Dieu, au temporel et au spirituel, conduit toujours ses enfants au but le plus glorieux.

« Et il se leva et partit, » est-il dit d’Élie. Magnifique témoignage ! Faites qu’on puisse toujours vous en rendre un semblable, et dire de vous, quel que soit le lieu où le Seigneur vous envoie : « Et il se leva et partit. » Le voyage fût-il pénible, partez, partez seulement ; avancez par la foi ; demeurez en paix, et tenez bon ; vous finirez par la vue, d’une manière ou d’une autre. — Et que celui dont la nacelle est maintenant ballotée par la tempête et lancée en pleine mer ne tremble point ; mais qu’il jette son ancre dans le sein de l’inébranlable fidélité de Dieu, sur le rocher de ses éternelles promesses ; qu’il prenne courage, et qu’il dise avec le Psalmiste-Roi :« Pourquoi t’abats-tu, ô mon âme, et pourquoi frémis-tu au dedans de moi ; attends-toi à Dieu ; tu le célébreras encore, car il est ma délivrance à laquelle je regarde, il est mon Dieu ! » (Psaumes 42.11-12).

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