1. Des éléments intégrants de la religion et de leurs rapports — 2. La foi, source des œuvres — 3. Importance des œuvres — 4. Etroite connexion des trois éléments — 5. Importance pratique de l’étroite connexion des éléments de la religion ; Esthétisme
Nous avons vu que la religion se compose de trois éléments essentiels, qu’on peut exprimer sous des formules diverses : idées, sentiments et actes ; croyances, dispositions, œuvres ; connaissances, affections, volitions ; foi, charité, sainteté (1 Timothée 2.15), en prenant la foi comme l’acquiescement de l’esprit à la doctrine religieuse, la charité comme le sentiment moral qui résume la Loi et la sainteté comme le produit de la foi et de la charité réunies, l’accomplissement des préceptes. Il est dans la nature de la religion de régner sur l’homme tout entier, de tenir sous son empire l’esprit, le cœur, la volonté et de régir ensemble la vie intérieure et extérieure. Il faut qu’elle se déploie dans son intégrité ; si elle n’est pas tout, elle n’est rien.
1° Croyances : Si les croyances sont erronées elles jetteront dans de fausses voies le cœur, la volonté et la conduite. Tel le Dieu, tels les adorateurs. (Cela n’est point contesté, quoique la conscience ait souvent atténué les mauvais effets de la croyance dans les religions de la nature.)
Si, quoique pures en elles-mêmes, les croyances demeurent sous forme d’idées spéculatives et stériles, sans action sur l’âme et sur la vie, elles auront, si l’on veut, une valeur logique et métaphysique, mais elles n’auront pas de valeur religieuse et morale, car elles n’auront point atteint leur but. Leur but est d’éveiller, d’éclairer, de développer les dispositions vertueuses, d’affermir, de vivifier les principes du bien, et d’imprimer à la volonté une direction élevée, régulière et ferme. La vérité est destinée à affranchir les âmes et à les sanctifier ; quand elle ne produit pas cet effet, et cela arrive souvent (formalisme de l’orthodoxie ou du culte), elle est religieusement comme non avenue.
2° Sentiments : Si les affections ne sont pas éclairées, dirigées, contrôlées par de saines notions de la vérité religieuse et de la, loi morale, elles seront exposées à aller se perdre dans les illusions et les excès du mysticisme. C’est ce qui est plus ou moins arrivé aux sectes et aux écoles qui ont pris pour guide le sentiment. Elles se sont fréquemment abandonnées à des rêveries et à des aberrations étranges ; elles se sont attribué des rapports immédiats avec le monde invisible ; elles ont allégorisé l’Ecriture quand elle n’était point d’accord avec leurs vues, de manière à y trouver ensuite tout ce qu’elles voulaient ; ou bien elles ont mis leurs révélations particulières à coté et même au-dessus des révélations bibliques. (Labadistesc et un grand nombre de Quiétistes et de Quakers…)
c – Partisan de la secte protestante fondée par Jean de Labadie (1610-1674) ; ThéoTEX
Nous ne parlons pas ici du mysticisme systématique ou absolu, dont le principe fondamental est que l’âme est une émanation ou une parcelle de la divinité et que le vrai principe de la connaissance est l’intuition, l’illumination, la lumière interne comme le terme du développement spirituel est l’absorption. Nous ne parlons que du mysticisme ordinaire, simple exagération du sentiment religieux. Quand il reste modéré et pur, c’est une forme de piété pleine de douceur et d’abandon, de résignation et de vie. On ne peut s’empêcher de vénérer et d’aimer des hommes tels que Fénelon, Lavater, Law, l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, etc. ; quoique chez eux la prédominance de l’élément mystique soit sensible, les autres éléments religieux, conservant leur empire légitime, le contiennent et le règlent.
Lors même que le mysticisme dépasse à quelques égards ces bornes, il se montre encore généralement paisible, recueilli, content de pouvoir se livrer à une oisive et solitaire contemplation, ne voulant que se perdre en Dieu par l’extase en s’élevant au-dessus du moi et du monde. C’est alors le Quiétisme. Seulement il n’est pas rare qu’il tombe dans des tendances superstitieuses, dans des idées et des pratiques puériles, où des imaginations prennent la place des réalités, le merveilleux celle du divin et du saint, et l’analyse des impressions intérieures celle de l’œuvre de la foi et de la charité. Voici un passage d’un livre hollandais intitulé le Christianisme intérieur : « J’étais saisi d’une crainte inquiète que la pensée que je suis quelque chose, que j’ai quelque chose, que je puis quelque chose, ne s’élevât dans mon cœur ; j’apprenais, par ma propre expérience, à connaître et à pratiquer ces cinq précieux riens : je ne veux rien, je ne puis rien, je n’ai rien, je ne suis rien, je ne vaux rien. » Exagération, poussée jusqu’au ridicule, d’un sentiment vrai, pur, évangélique, celui de l’humilité, du détachement de soi-même, de la dépendance à l’égard de Dieu. On pourrait relever mille traits semblables dans les écrits mystiques.
Mais le mysticisme revêt souvent une autre forme, surtout quand il cherche à se répandre et à passer dans la vie extérieure et publique. Il se change fréquemment alors en fanatisme ; et cette transformation ne doit point surprendre puisque le fanatisme religieux est d’ordinaire la perversion du sentiment dont le mysticisme est l’exagération. Le fanatisme est un égarement du cœur ou de l’imagination qui dépouille de leur action les facultés intellectuelles et morales ; il commence quand la raison n’est plus écoutée ou obéie ; quand la disposition à juger du vrai, du bon, du saint, par des impressions d’un certain genre, devient habituelle : ce qui le caractérise, c’est l’empire exclusif d’un sentiment ou d’une idée ; par là il touche à la folie. Le mysticisme fanatique s’est, en bien des circonstances, uni à une grande cruauté (Donatistes, Anabaptistes, froides atrocités commises par des hommes de ce caractère dans les persécutions et les guerres religieuses, sacrifices humains, sectaires de la Suisse allemande qui se crucifiaient entre eux pour imiter la passion du Sauveur). — D’autres fois il a porté ceux qu’il animait à s’imposer des macérations effroyables et un martyre volontaire (Fakirs, Flagellans, etc.). — Ailleurs il a produit en eux des effets physiques étonnants (prophètes et prophétesses des Cévennes, convulsionnaires de saint Médard, Shakers (trembleurs), Jumpers (sauteurs), Jakers (convulsionnaires), Rollers, Barkers (hurleurs).
La raison qui cherche dans la vérité la règle de la vie intérieure et de la vie extérieure, est une lumière dont nous devons faire usage. Ce n’est pas pour rien que Dieu nous l’a donnée. Elle doit, en s’appuyant sur l’Ecriture chez le chrétien, contrôler sans cesse le sentiment. La vérité sainte a pour objet de nourrir, d’épurer et de régler les affections religieuses ; elle éclaire et vivifie tout ensemble ; c’est dans ce but qu’elle nous a été révélée. Sans doute, il y a un mysticisme chrétien, représenté par saint Jean parmi nos écrivains sacrés, et il existe à quelque degré sous toutes les formes pures de la piété évangélique. La prière, l’obéissance elle-même n’ont aucun prix devant Dieu quand elles ne partent pas des profondeurs de notre être, quand elles s’accomplissent sans ferveur intérieure (Matthieu 15.8). Le Christianisme s’adresse à tous nos sentiments, crainte et espérance, confiance et anxiété, joie et tristesse ; il est charité, il est amour comme le Dieu qu’il annonce, mais comme Dieu aussi, il est vérité ; il veut une religion à la fois raisonnable et vivante (Romains 12.2). Tout en s’appuyant sur la raison et sur le sentiment, la foi pure n’est ni le dogmatisme, ni le mysticisme.
Ces quelques remarques devraient rendre circonspect vis-à-vis de cette théologie de la conscience ou du cœur, qui pose le sentiment comme base et comme norme de la dogmatique, en le posant comme l’essence même de la religion dont il n’est qu’un élément. Cette tendance, aujourd’hui fort commune, méconnaît la nature du sentiment et sa fonction réelle ; elle perd de vue les dépositions de l’histoire et les enseignements de l’Ecriture. Elle dépasse le but. Pour fuir l’excès de ce qu’elle nomme l’intellectualisme, elle se jette dans l’excès contraire ; elle enlève à la doctrine son rôle légitime, sous ombre d’en renverser les empiétements extrêmes. Le sentiment chrétien, de même que le sentiment religieux en général, est exposé aux influences délétères du dehors et du dedans, il peut être altéré, vicié, égaré ; il a donc toujours besoin d’être ramené à sa source et à sa règle : la révélation chrétienne. Ce n’est ni la raison seule, ni le cœur seul que nous devons consulter ; c’est la raison et le cœur éclairés l’un et l’autre par l’Evangile, ou plutôt c’est l’Evangile lui-même qui est tout ensemble doctrine et vie…
3° Volitions et œuvres. — Enfin, si les croyances et les affections réunies ne vont pas jusqu’à donner les œuvres, elles sont défectueuses dans leur nature ou dans leur intensité ; leur destination finale n’est point remplie ; elles sont aussi sans valeur au point de vue religieux.
Les œuvres, — en prenant ce mot dans la large acception que lui donnent les Ecritures, comme désignant l’ensemble des actes de piété, de charité, d’humilité, de douceur, de résignation, de tempérance, de renoncement, etc., qui constituent la vie spirituelle ; — (encore cette définition n’embrasse-t-elle pas tout le sens scripturaire du mot, les auteurs sacrés l’appliquant aux faits internes comme aux faits externes), — les œuvres sont le terme où doivent aboutir les croyances et les affections.
Les principes et les sentiments religieux qui ne vont pas jusqu’à la soumission de la volonté ne sont pas ce qu’ils doivent être ; ils manquent de réalité ou de profondeur. Ils sont nuls au jugement de la raison ; car la raison nous dit que la marque la plus certaine qu’on a dans le cœur tel ou tel sentiment, tel ou tel principe, est que ce sentiment, ce principe gouverne l’âme et la vie. C’est par leur conduite, plus que par leurs protestations, qu’on connaît le sujet loyal, l’ami sincère, le serviteur fidèle, le fils soumis et dévoué ; c’est par sa conduite qu’on connaît également l’homme vraiment religieux. Les croyances et les émotions stériles sont nulles aussi au jugement de la Parole de Dieu. Cette vérité, universellement admise, est établie dans des déclarations aussi nombreuses que positives (Matthieu 7.20, 21-24, 26 ; Hébreux 12.14 ; Jacques 1.22-23 ; 1Jean 1.5-7 ; 3.16-19). Les œuvres étant la manifestation de l’état du cœur, révèlent dans le monde moral les adhérents du royaume de la lumière et de l’empire des ténèbres (1 Jean 3.10). Les bonnes œuvres deviennent, par la loi de l’exemple, un des grands moyens d’édification ; ce sont elles, d’ailleurs, et non les croyances ou les dispositions seules, qui produisent le bien réel et effectif ; or, Dieu veut que ses créatures soient les unes envers les autres, les instruments de sa bienveillance et qu’elles concourent à leur bonheur mutuel.
Le Nouveau Testament déclare en mille endroits, et donne à entendre partout, que les croyances et les affections religieuses sont réputées vaines devant Dieu, quand elles demeurent infructueuses ; c’est l’enseignement des textes précités et d’une foule d’autres (Parabole du Semeur). Nous lisons (Jean 2.23-25), que Jésus ne se fiait pas à tous ceux qui croyaient en lui, parce qu’il connaissait leurs cœurs : il voyait que chez les uns les croyances, quoique les mêmes en apparence que chez les autres, étaient fausses ou tellement superficielles qu’elles ne résisteraient point à l’épreuve, et elles étaient pour lui comme n’étant pas. Il dit ailleurs (Jean 15.8) : « C’est en ceci que mon Père sera glorifié, si vous portez beaucoup de fruit, et alors vous serez mes disciples. »
La véritable marque des disciples, c’est l’Esprit du Maître ; c’est l’empreinte de sa parole et de sa vie (1 Jean 4.17) ; c’est cette pente de l’âme entière qui porte à devenir dans ce monde tels qu’il y a été lui-même.
Ce n’est pas la simple croyance, c’est la foi que l’Ecriture exige ; et la foi, au sens biblique, est un sentiment autant et plus qu’une notion ou une conviction intellectuelle, elle a son siège dans le cœur (Romains 10.9-10). — Elle possède par là un élément moral et son caractère essentiel est d’être active. — L’Ecriture la représente constamment comme la source des vertus, la semence de la sanctification, le principe générateur de la vie spirituelle. Dieu purifie le cœur par la foi (Actes 15.9) ; la foi est un bouclier qui éteint les traits enflammés du malin (Éphésiens 6.16) ; elle opère par la charité (Galates 5.6 ; 1 Timothée 1.5) ; elle garde le fidèle (1 Pierre 1.5) ; elle donne la victoire sur le monde (1 Jean 5.4-5). Quand elle irait jusqu’à transporter les montagnes, elle ne serait rien sans l’amour divin et l’amour fraternel (1 Corinthiens 13.2). (Remarquons que cette énergique déclaration, de même que la définition de Galates 5.6, est de saint Paul qui prêche si fortement la justification gratuite, le salut par la foi sans les œuvres.) Elle est morte lorsqu’elle n’est pas suivie des œuvres (Jacques 2.20-26).
Cette connexion intime et nécessaire de la foi avec les dispositions religieuses et les œuvres morales, qui est si positivement et si fréquemment affirmée dans le Nouveau Testament, peut s’inférer d’ailleurs de la nature même des choses. Les révélations bibliques sont si grandes, si saintes, si étroitement liées à notre salut ou à notre perdition, que l’homme qui en reconnaît la vérité agirait contre les lois de son être, s’il ne leur accordait pas un intérêt suprême, s’il n’en faisait pas la lumière et la règle de sa vie. Et la foi porte ces révélations au fond de notre âme, elle nous dévoile le monde, spirituel et éternel, elle l’ouvre devant nous et nous y introduit en quelque sorte : elle est une vive représentation des choses qu’on espère et une démonstration de celles qu’on ne voit point (Hébreux 11.1). Comment n’exercerait-elle pas une souveraine influence sur nos principes, nos sentiments, nos actes ? Comment n’imprimerait-elle pas à notre existence entière une direction supérieure, quand elle a vraiment pénétré dans nos cœurs ? Partout où elle reste sans action au dehors, elle est sans réalité au dedans, quelles que soient les apparences contraires.
La foi chrétienne produit les vertus chrétiennes, comme le principe ses conséquences, comme la cause ses effets, comme l’arbre ses fleurs et ses fruits. La langueur de la charité et de la sainteté tient à la faiblesse de la foi. La foi nous pénètre de l’esprit de Christ en nous faisant une même plante avec lui, selon l’expression de saint Paul (Romains 6.5) ; elle établit le règne de Dieu dans l’âme, en y portant et y entretenant la profonde certitude que sa parole est la vérité, qu’elle se réalisera tout entière, jusqu’à un seul iota, et que c’est notre félicité et notre vie de la suivre. Or, l’empire de la vérité religieuse et de la loi morale sur l’âme fonde leur empire sur la conduite ; la vie extérieure sort d’elle-même de la vie intérieure, dont elle n’est que le complément ou ]a prolongation ; et la foi détermine la vie intérieure ; l’homme est ce qu’il croit…
Nous pouvons diviser la foi en générale et particulière, distinction importante en dogmatique.
Je nomme foi générale, la foi considérée dans son principe et non dans telle de ses applications ou de ses formes, la foi envisagée en elle-même, quel que soit le degré de ses lumières, de quelque manière qu’elle existe et se manifeste, à quelque partie de la vérité divine qu’elle s’attache. Je nomme foi particulière, la foi sous sa forme chrétienne, avec la détermination et la direction spéciale qu’elle reçoit du Nouveau Testament par la rédemption, la foi dite justifiante.
Elle nous est fréquemment présentée dans l’exemple d’Abraham, en qui elle se montre si profonde, si vive, si ferme, si forte, si constante, et qui, pour cela, a été nommé le Père ou le modèle des croyants (car le mot Ab comme le mot πατηρ désigne l’un et l’autre). Nous pouvons donc constater la vraie nature de cette disposition intérieure en étudiant la vie du patriarche…
Cette foi imprimait à sa vie une direction élevée, sainte, en quelque sorte divine, elle dominait son âme, elle gouvernait sa volonté, elle était en lui un principe puissant et constamment actif d’obéissance, en même temps que de paix et de félicité. L’auteur de l’Epître aux Hébreux célèbre les effets de la foi, non seulement chez Abraham, mais chez tous les justes de l’économie patriarcale et mosaïque ; et ce qui la caractérise toujours dans cette série de manifestations si diverses, c’est le dévouement du cœur et de la vie, fruit de la confiance en Dieu.
La foi particulière ou chrétienne est la même au fond que la foi générale ; elle n’est qu’une application spéciale de ce grand principe qui régit le monde moral. La confiance en Dieu par Christ, ou simplement la confiance en Christ, en sa parole, en son œuvre, devient chez les chrétiens le germe fécond de la sainteté, en les mettant en communion avec le Sauveur, en les pénétrant de son esprit et de sa vie. (Romains ch. 6 ; Colossiens ch. 3 ; 2 Corinthiens 5.14-17 ; 1 Pierre 2.24).
La foi sous cette forme particulière ne perd rien de sa force régénératrice, de sa vertu vivifiante ; elle acquiert au contraire une puissance nouvelle, parce qu’elle concentre toute la religion en un seul point : Christ et Christ crucifié. Là se réunissent la Loi et l’Evangile, les idées de la justice et de la miséricorde divine, celles des dangers du péché et du prix de la vertu, etc. ; là apparaît, avec un éclat nouveau, tout ce qui intéressé la justification et la régénération, tout ce qui est de nature à développer la vie spirituelle. Cette loi produit nécessairement l’amour et par suite le dévouaient. Celui qui n’obéit point à Christ ne l’aime pas, et celui qui ne l’aime pas ne croit pas en lui. (Jean 14.21, 23).
La foi particulière renferme même en un sens la foi générale, car, recevant Jésus-Christ comme Maître aussi bien que comme Sauveur, comme prophète et comme roi aussi bien que comme sacrificateur, elle se soumet à sa parole tout entière, et la parole de Jésus-Christ est la pleine révélation de la vérité divine.
Il est bien évident, que la foi, sous l’une et l’autre de ses deux formes, porte en elle les œuvres, et que lorsqu’elle ne les produit point, elle n’est pas la foi.
L’Evangile déclare que nous sommes créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres (Éphésiens 2.10 ; Tite 2.12-14 ; 3.8 ; 1 Jean 5.3). Toutes les affections religieuses, la crainte, l’espérance, l’amour, la gratitude, etc., portent à l’observation, de la loi. Ce sont des sentiments, des mobiles que le Christianisme trouve en nous et qu’il emploie alternativement ou simultanément à l’œuvre de la régénération après les avoir arrachés aux choses terrestres pour les fixer sur les choses spirituelles et célestes.
Les dispositions et les affections chrétiennes constituent une nouvelle nature moraled, elles doivent, par conséquent, donner une nouvelle vie. Rendez l’arbre bon, dit le Seigneur, et son fruit sera bon. L’âme renouvelée se tourne par une pente intérieure vers Dieu et vers le ciel ; elle s’attache à Jésus-Christ en qui se trouvent les trésors de la grâce ; elle a faim et soif de la justice ; elle recherche avant tout le bien suprême auquel elle aspire ; la haine du péché et le désir de la sainteté deviennent ses mobiles prédominants ; dès que le cœur est gagné, la volonté l’est aussi, et l’homme est soumis à l’obéissance de la foi. Ce qui rend généralement la piété si incertaine, si inconstante, si partielle, si défectueuse, c’est qu’on en suit les préceptes par intérêt ou seulement, par devoir, et non par inclination ; c’est qu’on a sur les lèvres le nom de Christ sans être animés de son Esprit ; c’est qu’on prend des émotions passagères, des impressions fugitives pour des affections réelles. L’imagination seule est frappée, le cœur n’est point atteint ou ne l’est que faiblement ; on n’a que des sentiments religieux factices ou tout à fait superficiels, et ils font défaut quand vient le moment de l’épreuve et du sacrifice, le moment de l’acte ; alors ils se montrent ce qu’ils sont réellement. Chaque sentiment vrai a sa tendance propre ; c’est une force, une cause intérieure dont les effets doivent tôt ou tard se manifester au dehors. On peut la comprimer, mais ce n’est qu’en partie et pour un peu de temps. L’homme égoïste et charnel peut revêtir les apparences de la piété et de la charité ; l’homme spirituel peut se laisser aller à des œuvres mondaines ; mais, à moins qu’ils ne changent, cette déviation de leur état moral sera momentané chez l’un et l’autre. Quand la vie extérieure n’est pas conforme à l’Evangile, la vie intérieure ne l’est pas non plus ; la direction de la conduite est toujours en rapport avec l’état réel du cœur. Quel jugement sort pour le monde chrétien de ce fait incontestable et incontesté ! Quel motif de redoubler de vigilance et d’énergie ! Que d’illusions au sein de si vives lumières ! Que ces défectuosités ou ces lacunes de la vie constatent de lacunes et de défectuosités dans la foi, là même où elle est le plus sérieuse ?
d – En prenant, bien entendu, le mot de nature, non dans le sens de substance ou d’être, mais dans celui de disposition ou de tendance, ainsi qu’on dit de l’habitude qu’elle est une seconde nature.
En plaçant la piété dans l’amour de Dieu en Jésus-Christ, dans une disposition humble et cordiale à le servir, à le prendre pour sa portion, à tout abandonner pour lui, le Nouveau Testament enseigne partout, redisons-le, que cette sainte disposition ne saurait rester oisive et stérile. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole (Jean 14.23 ; 15.10,14) etc. Il n’en saurait être autrement, et ici s’applique ce mot dont le mysticisme a souvent abusé : « Aimez Dieu et faites ce que vous voudrez, parce que vous ne voudrez alors que ce que Dieu veut. » Quand le cœur porte au temple, à la prière, à la méditation de l’Ecriture, les pieds ne sauraient porter ailleurs ; quand le cœur veut se répandre en libéralités, la main ne se resserre pas ; et quand le pied, l’œil, la main servent d’instruments à l’iniquité, bien certainement il n’y a pas dans le cœur le goût de la justice.
Selon les Ecritures, les œuvres sont la marque principale de la piété, précisément parce qu’elles en sont la conséquence naturelle et le complément nécessaire. Elles la constatent en autrui ; vous les reconnaîtrez à leurs fruits (Matthieu 7.16) etc., en nous : par ceci nous savons que nous l’avons connu, savoir si nous gardons ses commandements. (1 Jean 2.3-4, 29 ; Jean 14.15, 23-24 ; 15.2, 8, 14)
L’Ecriture enseigne que les dispositions sont rendues parfaites (achevées, consommées, conformes à l’idéal, à la règle) par les œuvres ; alors seulement elles ont atteint leur fin naturelle ; alors seulement le développement religieux et moral est complet, non sans doute qu’il soit accompli, — il ne l’est jamais ici-bas, — mais en ce sens qu’il renferme tous ses principes et ses éléments constitutifs. Cette expression biblique est très remarquable et résume en quelque sorte les vues que nous exposons. Elle est appliquée à la foi (Jacques 2.22, comp. Galates 5.6 ; 1 Corinthiens 13.2), à la charité (1 Jean 2.5 ; 4.12, 17), à la patience (Jacques 1.4), à la repentance (Matthieu 3.8), à la connaissance salutaire de la véritée. (1 Jean 2.3-4 ; 3.18-19)
e – Dans le langage de saint Jean la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ est la même chose que la foi. A son point de vue, la connaissance, l’amour, la pratique des commandements ne font qu’un ; comme au point de vue de saint Paul et de saint Jacques, la foi et les œuvres. Etranger à l’abstraction théologique, l’Evangile ne sépare pas l’intelligence des autres facultés, il s’adresse à l’âme entière et prend l’homme dans son unité morale.
L’Ecriture montre de mille manières le rôle étendu des œuvres dans la vie chrétienne. Elle représente les épreuves comme tendant à découvrir l’état réel du cœur parce qu’elles le forcent à se refléter dans la conduite, et qu’elles y appliquent ainsi le critère pratique. « Que sait l’homme de lui-même, quand il n’a pas été éprouvé ? » dit l’Imitation de Jésus-Christ. Les épreuves rendent le devoir difficile, les unes (tentations) en fomentant les convoitises, les autres (afflictions) en imposant des renoncements et des sacrifices, toutes en exigeant l’immolation de la volonté propre à la volonté divine. Elles deviennent ainsi une pierre de touche qui montre si l’on est gouverné par l’affection de l’esprit ou par l’affection de la chair, si c’est le vieil homme ou le nouvel homme, la disposition terrestre ou la disposition céleste qui domine. Et les épreuves produisent cet effet, parce que, transformant en actes les sentiments et les principes, faisant en quelque manière passer au dehors ce qui est au dedans, elles manifestent si la piété dont on fait profession est réelle ou apparente, profonde ou superficielle.
Enfin l’Ecriture nous apprend que le jugement, cette grande et dernière épreuve, se fera par les œuvres (Matthieu 16.27 ; 25.19-46 ; Luc 19.15-23 ; Romains 2.6, 13 ; Apocalypse 14.12-13 ; 22.12). Les œuvres ne sont là sans doute que comme révélation des secrets des cœurs (Romains 2.5-6, 16 ; 1 Corinthiens 4.5 ; Apocalypse 2.23), car devant Dieu et dans le monde moral, l’action ne vaut que par l’intention ; mais l’intention qui n’est pas suivie de l’action, la croyance ou la disposition stérile manque de sincérité ou de force, elle est nulle en tant que fausse ou incomplète, et au jour où tout sera manifesté aux yeux de l’univers, la vie extérieure de chacun témoignera de sa vie intérieure.
L’importance des œuvres, au sens large du mot, est sans doute universellement reconnue ; mais elle n’est pas toujours suffisamment prise en considération, mise en lumière, tenue en perspective ; on ne lui fait pas toujours, à beaucoup près, la part qui lui appartient et que lui attribue le Nouveau Testament. Je ne parle point ici des imperfections de la piété même chez les plus fidèles ; je veux parler de doctrines, de tendances, de directions plus ou moins générales ; ce ne sont point les infirmités et les faiblesses du juste que j’ai en vue, ce sont les aberrations des églises et des écoles.
Dans le siècle apostolique, on plaçait on première ligne la foi et la vie, les dispositions et les œuvres saintes ; l’objet prédominant était de réaliser les exemples et les préceptes du Sauveur, en demeurant dans son amour, de travailler à être dans ce monde tels qu’il y avait été lui-même, en se pénétrant de son esprit. C’est par là surtout qu’on espérait se montrer ses disciples et faire honorer son Evangile. L’effort des fidèles, le ministère des pasteurs avaient essentiellement pour but le développement intégral de la piété et de la moralité chrétienne (voy. les épîtres des Apôtres et les lettres des Pères apostoliques) ; aussi, les apologistes pouvaient-ils dire : « Venez et voyez. »
Plus tard, le formalisme naquit avec le dogmatisme : l’idéal du vrai chrétien s’altéra et se voila. Un christianisme officiel remplaça peu à peu le christianisme spirituel ou, comme on dirait aujourd’hui, le christianisme personnel. L’intérêt suprême s’attacha aux déterminations et aux observations ecclésiastiques.
Dans les temps modernes, par suite du fractionnement de la Chrétienté, l’effort principal s’est porté sur les formes de doctrine, de discipline, de culte, devenues l’objet universel des discussions. Si la recherche de la vie chrétienne ne fut pas sacrifiée systématiquement à celle de la vérité chrétienne, il n’en est pas moins manifeste qu’elle n’obtint pas dans ]a pensée générale la place qui lui revient ; les préoccupations étaient ailleurs. Un seul fait le montrerait au besoin. Le grand dogme de la Justification, livré à la polémique, en prit un caractère essentiellement spéculatif et fut souvent exposé de manière à compromettre les sanctions et les obligations morales ; on ne sut pas rejeter, comme il l’aurait fallu, le vieux levain du dogmatisme, ce formalisme de l’orthodoxie.
Il a existé une erreur semblable dans le Réveil de nos jours. Elle frappa de plus en plus les personnes mêmes qui se la dissimulaient d’abord. Trop souvent, dans la lutte contre le déisme socinien qui avait tout envahi, le zèle de la doctrine a fait négliger le travail de la sanctification : à divers égards l’Evangile a voilé la Loi, et la Grâce la Justice. L’absolue nécessité des œuvres, sans être contestée, a paru cependant en péril pendant un temps. A force de faire le salut gratuit on le faisait inconditionnel. L’enseignement n’était pas assez pratique ; et quand on prêchait les devoirs, on insistait principalement sur l’observation de certaines règles ou formes pieuses, la profession de foi, le témoignage, le prosélytisme. Alors même que la vie spirituelle se manifestait avec force, on peut dire qu’elle a été plus religieuse que morale : distinction singulière à première vue, qu’il convient d’expliquer et de légitimer par quelques mots.
Nous entendons par vie religieuse celle qui porte spécialement sur les devoirs envers Dieu, et par vie morale celle qui concerne surtout les devoirs envers le prochain. En principe et dans le véritable esprit de l’Evangile, la vie religieuse et la vie morale ne font qu’un, comme l’amour du prochain et l’amour de Dieu, mais en réalité elles peuvent se séparer et elles se séparent en effet trop souvent. Dans le Monachisme et le Quiétisme, par exemple, la vie religieuse existe à peu près seule, et nous avons vu, à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, la religion réduite presque entièrement à la morale, et encore à une morale qui était l’honnêteté du monde ou la sagesse de la philosophie, beaucoup plus que la sainteté de l’Evangile.
Ce sont là, il est vrai, des extrêmes ; mais il n’en mettent pas moins en saillie le fait que nous voulons constater. Eh bien ! dans le Réveil, la vie religieuse s’est plus ou moins développée en disproportion avec la vie morale, et quelquefois à son détriment. Il y a eu toute une classe de devoirs, ceux justement auxquels le monde attache le plus de prix, l’indulgence, la fidélité, la délicatesse dans les relations et les transactions sociales, etc., — qui sont restés à moitié dans l’ombre parmi les chrétiens de profession, quoique l’Evangile les prescrive largement ; et l’on a pu accuser le sentiment religieux d’émousser ou de pervertir le sens moral.
Il faut le reconnaître, non seulement la vie spirituelle, à laquelle tout aboutit dans le Nouveau Testament et sans laquelle tout n’est rien, n’a pas été cultivée avec le soin qu’elle réclame, mais, à parler en général, elle n’a pas même été saisie dans sa profondeur et son étendue réelles. Sondez, par exemple, les préceptes du renoncement au monde et à soi-même, du dévouement à Dieu et au prochain, de l’humilité, de la charité active et passive ; et voyez par ce seul côté si l’on s’est approprié, comme on l’aurait dû, le fond vital de l’Evangile, si l’on a travaillé comme il aurait fallu le faire à fonder, à affermir, à étendre au dedans et au dehors ce Royaume de Dieu qui est justice, paix et joie par le Saint-Esprit. Le souffle évangélique n’a certes pas manqué au mouvement religieux de notre temps ; il a produit de grands renoncements et de grands dévouements, de grandes vertus et de grandes œuvres ; et il a nourri dans une foule d’âmes cette vie cachée avec Christ on Dieu qui échappe à toutes nos appréciations. Cependant, pris dans son ensemble, il s’y montre quelque chose d’incomplet, j’ai presque dit de superficiel (tenant aux principes mêmes). Il y a eu à la fois défaut et excès. N’embrassant pas l’Evangile dans sa plénitude il ne l’a pas embrassé non plus dans son intégrité. Par opposition à l’ascétisme catholique, au légalisme socinien, à la moralité mondaine, il a souvent négligé les côtés du Christianisme que relèvent outre mesure ces tendances. Oh ! que nous sommes habiles à mettre des formes de doctrine ou de culte à la place de l’esprit de vie, ingénieux à nous faire notre religion avec des fragments de la religion divine, prompts à nous arrêter à quelques apparences au lieu de suivre humblement et fidèlement le Seigneur dans la voie de la régénération ! Le Réveil a beaucoup souffert de ce rétrécissement de point de vue. Il en est sorti ce double mal : 1° On a tronqué sans le vouloir ni le savoir, et par là dénaturé, sous divers rapports, le christianisme pratique ; 2° On a fait, fréquemment l’objet capital et presque l’objet unique de la piété, de ce que le Nouveau Testament ne place qu’en seconde ligne.
La vie spirituelle embrasse dans son développement tous les sentiments et tous les’actes que prescrit la loi divine ; elle tend à se soumettre en entier l’homme individuel et social. Cela, assurément, n’a pas été méconnu, mais, quoique admis en principe, il n’a pas été en fait assez constamment, et assez fortement pressé. L’œuvre de la sanctification a été un moment comme sacrifiée à celle de la justification ; elle n’a pas été poursuivie avec l’ardeur, l’énergie, la persévérance qu’elle exige ; on a paru craindre de compromettre la gratuité du salut en prêchant la nécessité des œuvres. De plus, on a restreint en quelque sorte le cercle des obligations chrétiennes ; rattachement à certaines formes, la profession et la propagation de la foi ont dominé, sinon voilé, tout le reste. Sans doute on ne l’a pas fait systématiquement, mais on l’a fait. On a tellement relevé, tellement grandi certains devoirs, qu’ils ont été presque les seuls aperçus de la masse, et que les autres se reléguaient dans un lointain où ils disparaissaient souvent. Dès lors, le vrai type de la piété n’étant pas mis et tenu intégralement en face des âmes, il s’est faussé plus ou moins dans leur appréciation ; elles ont fini par se tranquilliser pourvu qu’elles trouvassent en elles les quelques traits considérés comme les signes distinctifs du Réveil. Que d’illusions nées de là ? et la plupart du temps ce n’était pas défaut de sincérité ; c’était ignorance, erreur, direction incomplète et imparfaite : d’où une vie religieuse quelquefois très intense, mais trop souvent fragmentaire, manquant de divers éléments essentiels et, presque toujours, par les raisons susmentionnées, de ceux-là mêmes qu’élève le plus la sagesse humaine. Or, rien n’est plus vite remarqué, et rien n’est plus propre à compromettre l’Evangile devant le monde.
La lacune que nous signalons et qu’accuse par bien des cotés la vie journalière, se trahit jusque dans les chants sacrés qu’à produits le Réveil. Ces chants respirent sans contredit l’esprit de l’Evangile ; mais ils ne le reflètent pas pleinement ; ce n’est pas dans sa large élévation ce sens du divin et du saint, cette vie en Dieu, cette vie du ciel que l’Evangile veut former. Il est telles obligations, telles dispositions, telles doctrines qui reviennent sans cesse, tandis que d’autres, non moins importantes, paraissent à peine. Ce qu’ils célèbrent d’ordinaire c’est Christ pour nous plutôt que Christ en nous, c’est l’espérance de la foi plutôt que l’obéissance de la foi, c’est le don de Dieu qui nous ouvre le ciel, plutôt que la vie en Dieu qui nous y prépare. Et c’est précisément l’inverse qui devrait avoir lieu dans le Culte.
Un autre écart est dérivé de celui-là. Les quelques obligations ou dispositions dont on a fait le sommaire de l’Evangile, en en faisant les marques caractéristiques de la conversion, ne sont en réalité et dans l’ordre divin que secondaires ; malgré leur importance propre que nous ne voudrions ni méconnaître ni déprécier. On ne se souvient pas assez que, d’après l’Ecriture, la marque la plus directe ou la plus certaine de la véritable piété est l’observation des commandements de la seconde table. C’est à cela qu’en appellent de préférence les prophètes (Ésaïe 1.11,18 ; Jérémie 7.4,10). Jésus-Christ (Luc 18.20 : sermon de la montagne) les apôtres (Romains 13.9 ; Jacques 1.27 ; 3.13 ; 1 Jean 2.29 ; 3.10, 17…). Dans l’esprit du Nouveau Testament, les devoirs moraux passent avant les devoirs religieux (Matthieu 5.23 ; 9.13 ; Marc 11.25). Sans contredit, l’amour de Dieu est le premier et le grand commandement ; il est, en un sens, la Loi tout entière. Mais il n’est réel, pur, évangélique, que quand il se produit par les bonnes œuvres, par des actes de justice, de délicatesse, d’humilité, de débonnaireté, de mansuétude, de support, de pardon, quand il se légitime par l’amour du prochain (1 Jean 4.7, 20-21). Là sont les marques, les preuves auxquelles il se fait surtout reconnaître. Son vrai critère est dans les vertus morales plus que dans les observances religieuses. Et cela probablement parce que les premières sont des indices plus certains du sacrifice de nous-même, racine et essence de la piété.
Que devient dès lors et où conduit la tendance à chercher les signes de la régénération dans la profession de foi, dans un certain rigorisme de dévotion, dans l’ardeur du prosélytisme ? Nous voyons (Matthieu 23.15) combien le dernier et le plus positif de ces caractères, le zèle de la vérité, est loin d’avoir une valeur absolue. Evidemment il y a au fond de tout cela une déviation, malgré la droiture des intentions et des sentiments ; et toute déviation comme toute altération de la règle divine, quel qu’en soit le principe, est un désordre et un mal.
Il importe souverainement que le pur idéal de la piété évangélique se relève dans sa haute et sainte grandeur en présence de l’Eglise et du monde. Car ce qu’il faut avant tout pour ranimer et propager la foi, c’est la vie de la foi, c’est la charité, fruit de la foi, avec les vertus dont elle est la source, c’est l’esprit du Fils de Dieu devenu par amour le Fils de l’homme et qui passa en faisant le bien, cet esprit descendu du ciel et opérant sur la terre une création nouvelle. Oh ! si les disciples de l’Evangile, et en particulier ses ministres, étaient des Evangiles vivants, c’est alors qu’on verrait, selon la prophétie, les royaumes du monde devenir la conquête du Christ ; car, il ne faut pas se lasser de le dire et de le redire, le Christianisme s’inocule plus encore qu’il ne se démontre.
Sous la nouvelle direction théologique, la vie religieuse a revêtu un caractère plus large, plus profond, plus intime et, comme on dit, plus personnel. Y gagne-t-elle plus qu’elle n’y perd ? Il vaut la peine de se le demander. Elle brise des formes et des entraves qui la retenaient, en bien des sens, captive ; elle est plus libre, mais elle est aussi moins énergique, moins ferme, moins active ; en somme, et pour la juger d’un seul mot, qu’il ne faut pourtant pas trop presser, c’est un idéalisme mystique plutôt qu’un réalisme pratique. On se place davantage dans l’intérieur du Christianisme, je le veux ; mais c’est surtout pour s’en rendre compte par une sorte d’intuition ou d’expérimentation, comme si en rendant sa puissance intelligible on la rendait par cela même effective. Une explication du renouvellement spirituel, fut-elle exacte et certaine, n’est pas ce renouvellement et ne le produit pas, tant s’en faut ; la notion métaphysique ou mystique peut être tout aussi stérile que la formule ecclésiastique. Dans la sphère religieuse, ce n’est pas la science qui importe, c’est la foi ; la foi seule soumet le cœur et la volonté ; et la foi est tout autre chose que la science de la foi.
A l’encontre de la grave assertion que j’ai à justifier, la nouvelle tendance paraît au premier abord essentiellement pratique. Elle l’est en effet par plusieurs côtés. Elle fait une guerre décidée au formalisme et au dogmatisme ; elle pose et maintient à sa base l’union des âmes avec Christ ; une de ses maximes axiomatiques c’est que le Christianisme est moins une doctrine ou une loi qu’un sentiment et une vie ; pour relever l’œuvre de Christ en nous, elle fait généralement prédominer la notion morale du salut, jusqu’à fondre la justification dans la régénération. Il semble donc qu’elle doive pousser avec force dans les voies de la sainteté. En fait, cependant, il n’en est point ainsi. Jugée par ses fruits, la nouvelle tendance est inférieure à la tendance qu’elle travaille à remplacer : elle est loin d’avoir produit au même degré les œuvres elles vertus chrétiennes, en particulier ce sacrifice de soi, condition première du christianisme évangélique (Luc 9.23). Et cette donnée de l’observation, la réflexion l’explique et la légitime. Le trait distinctif de cette direction sous ses diverses formes, c’est la prépondérance extrême qu’elle attribue au sentiment, dont elle fait et la racine et la substance de la religion. Ce qui la caractérise et la constitue, à vrai dire, c’est une sorte de mysticité, modérée sans doute, fort éloignée de l’illuminisme, infiniment attrayante chez ses grands représentants, mais qui, au point de vue religieux et moral, sous lesquels nous l’envisageons, ne peut donner que ce qu’elle contient, car, dans la sphère pratique de même que dans la sphère théorique, les conséquences se proportionnent finalement aux principes, les effets aux causes. Le mysticisme, surtout quand il est éclairé et réglé comme il l’est ici, présente certainement des faces pleines de charme et de vérité : par la communion qu’il établit avec Dieu en Christ et dont il fait son point fondamental, il met en relief une des dispositions les plus hautes de la vie chrétienne. Mais cette vie, il sait mieux la décrire que la développer et l’activer. Repliant les âmes sur elles-mêmes, par une pente qui tient à sa nature et où il se place toujours plus ou moins, se préoccupant de l’état du cœur plus que de la lutte avec le monde, il pousse peu au dehors. Et pourtant c’est aussi au dehors, c’est dans le monde que le Christianisme doit déployer ses vertus. Cela certes n’est pas méconnu par les écoles que nous avons surtout en vue, mais il n’est pas suffisamment inspiré, alimenté, cultivé. Et puis, par l’indétermination où on laisse d’ordinaire la règle de foi et de vie, en haine de l’autorité et dans l’intérêt de ce qu’on nomme la religion personnelle (l’individualisme chrétien), la foi et la vie livrées à elles-mêmes manquent de fermeté, faute de base et de loi.
Ajoutez que ce mouvement, né des péripéties de la science allemande, étant au fond plus théologique que religieux, doit conserver dans ses développements et dans ses effets l’empreinte de ses origines. Ainsi, par exemple et pour aller au cœur des choses, tout en faisant de l’état de péché où nous sommes son point central et vital, il n’en fait pas sentir, comme la vieille orthodoxie, la criminalité et le danger ; c’est moins une conviction expérimentale qu’une notion métaphysique ou psychologique. Voilant plus ou moins la justice divine sous l’amour divin, qui lui sert de principe et de facteur, il arrive d’ordinaire à mettre en question, quand il ne les nie pas formellement, et le dogme, fondamental de l’Evangile, l’expiation, et son dogme final, les rétributions éternelles. On comprend combien ces atteintes au mystère de piété doivent affaiblir le mystère d’iniquité : les terreurs du péché étant proportionnelles au sentiment des justices du Ciel. De plus, ce mouvement sort d’un travail critique qui s’est attaqué aux bases du Christianisme autant qu’à ses doctrines, et il se ressent de l’ébranlement qui l’a produit. Le principe constitutif du protestantisme, la divinité des Saintes Ecritures, lui fait souvent défaut ou ne lui reste que quintessencié et chancelant. (Voy. Schleiermacher). Les convictions reposent sur l’intuition ou l’expérimentation individuelle, plutôt que sur la Parole de Dieu religieusement reçue, écoutée, saisie : l’attestation d’En-haut ne leur suffit pas, il leur faut le contrôle de la conscience, le témoignage de l’esprit ou du cœur ; ce sont des conceptions, des aspirations souvent très vives et très pures, mais toutes personnelles, qui varient d’un esprit à l’autre jusque dans la même école, manquant d’assurance par cela seul qu’elles manquent d’autorité. Et le trouble passe rapidement de la sphère théorique à la sphère pratique : autonomie et antinomie ne font qu’un. Le droit que s’attribue l’intelligence est réclamé par la volonté. Quand on ne veut croire qu’à soi, on n’est pas loin de ne vouloir obéir qu’à soi.
En thèse générale, la foi ne me semble pas aussi fermement assise, ni par conséquent aussi confiante et aussi forte dans cette direction que dans l’ancienne ; elle n’a pas, au même degré, ce plein abandon, cet entier dévouement intérieur qui fait sa vertu ; elle renferme quelque chose d’indécis, d’incertain, de flottant qui la ramène sans cesse sur elle-même, soit parce que le sol ou elle a ses racines est de toutes parts miné, soit parce qu’un idéalisme métaphysique ou mystique s’y substitue de mille manières au réalisme évangélique.
Non, ce n’est point encore ce réveil du christianisme pratique que le monde réclame et que l’Eglise attend. On passe d’un objectivisme excessif à un subjectivisme qui ne l’est pas moins. Il n’y a pas là le fond réel, le développement normal de l’œuvre de la foi, cette pierre de touche des théories théologiques et des tendances religieuses. On traverse une fois de plus la voie scripturaire, qui est la seule sûre parce qu’elle est la seule vraie.
La Religion, redisons-le, est tout ensemble doctrine, sentiment et vie. Partout où elle est réelle, les trois termes se rencontrent et se combinent. Seulement, chacun peut s’étendre outre mesure, et tout fausser pour vouloir tout dominer. Voilà l’écart qu’il s’agit de rectifier ou de prévenir. Si l’on est d’accord aujourd’hui à condamner l’aride dogmatisme et le moralisme superficiel qui ont régné tour à tour, on penche vers un individualisme idéaliste ou sentimental, tout aussi trompeur, contre lequel on ne saurait trop veiller ; car là est l’entraînement et le péril.
Ce qu’il faut, c’est le christianisme intégral et vivant, saisissant d’une seule prise l’esprit, le cœur, la volonté, développant simultanément et harmoniquement les croyances, les dispositions et les œuvres, la foi, la charité, la sainteté ; c’est en un mot le christianisme évangélique simplement et pleinement suivi.
Qui nous poussera dans cette voie où s’effaceraient bien des antagonismes, où le Christianisme se revêtirait d’une évidence et d’une puissance nouvelles, parce qu’il pourrait dire comme aux premiers temps : Venez et voyez ? Ce retour à l’esprit de l’Eglise des anciens jours amènerait cette Eglise de l’avenir dont on parle tant et si vainement.
On a fait bien des tentatives pour ramener à l’unité les trois éléments constitutifs de la religion en posant l’un d’entre eux comme principe générateur des deux autres. Tous les trois ont été alternativement érigés ainsi en principe. Cette place appartint longtemps à l’élément intellectuel ; on parut confondre la religion avec la simple notion de la vérité religieuse. L’école de Kant donna la priorité à la pratique ; elle plaça dans la vie morale la preuve et l’essence de la religion, qui ne fut plus que le complément de la loi du devoir. D’autres ont cherché la source première de la religion dans le sentiment, cette voix du cœur qui, suivant eux, éveille dans l’humanité la foi au monde invisible, et donne l’idée religieuse aussi bien que l’acte moral. (Jacobi, Schleiermacher).
Ces trois systèmes sont également incomplets et, par conséquent, erronés et dangereux. Ils altèrent dans des sens différents le grand fait qu’ils prétendent expliquer et simplifier.
La religion ne consiste pas dans la connaissance, elle ne sort pas nécessairement de la notion de la vérité ; si cela était, elle s’acquerrait comme les autres sciences, et le degré des lumières donnerait la mesure de la piété, ce qui n’est pas, bien certainement.
Quoique la vraie religion et la vraie moralité soient étroitement unies, la moralité n’est pourtant pas la religion. Le sentiment moral peut être très énergique là ou le sentiment religieux reste engourdi, et vice versa.
Enfin, si la religion a dans le cœur sa principale racine, il n’en est pas moins vrai que le sentiment, abandonné à lui-même, privé des lumières et des directions qu’il doit puiser sans cesse dans l’étude de la vérité et dans la pratique de la loi, s’égarerait dans des erreurs et des illusions sans fin.
La religion est tout à la fois connaissance, sentiment et moralité, parce qu’elle saisit ensemble l’esprit, le cœur, la conscience et la volonté. Que gagne-t-on à vouloir unifier ses trois éléments constitutifs ? Ces efforts d’analyse sont vains et périlleux. Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint ! Le Christianisme, qui est pour nous la religion, échappe à toutes les théories absolues. Aucune ne le rend dans sa plénitude et sa profondeur divine, parce qu’aucune n’en embrasse intégralement tous les aspects, n’en maintient à leur place tous les éléments. Tenons-nous aux faits de conscience et de révélation, sans trop nous inquiéter des systématisations de la science.
Au lieu de chercher à ramener à l’unité les trois éléments ou principes religieux, étudions l’influence qu’ils exercent l’un sur l’autre ; cette étude sera beaucoup plus utile.
Un lien intime unit ensemble l’idée, le sentiment et la volition. IL y a action et réaction constantes de l’esprit sur le coeur et du cœur sur l’esprit, de l’esprit et du cœur sur la conduite, et de la conduite sur l’esprit et sur le cœur.
1° L’action de f esprit sur le cœur (ou des connaissances et des croyances sur les dispositions intérieures) est évidente. Il est incontestable que la vérité est, sous la bénédiction du Seigneur, le grand moyen de régénération ; l’expérience le démontre, et la Bible le déclare formellement et fréquemment (Jean 8.31-32 ; 17.17 ; Romains 1.16 ; 10.14, 17 ; 1 Pierre.1.23 ; Jacques 1.18, 21 ; Éphésiens 6.17). D’étroits rapports existent entre les facultés intellectuelles et les facultés morales, car l’homme est un. L’ordre direct de filiation est d’arriver au cœur par l’esprit, de restaurer les dispositions par les convictions, d’amener à la sainteté par la vérité, l’erreur étant généralement la racine du mal. En ce sens, tout paraît dépendre de la connaissance ou de la croyance. C’est ce qui a fait dire : « L’homme est ce qu’il croit. » C’est ce qui l’onde la puissance de la prédication et de l’enseignement, c’est ce qui produit les églises et les écoles. Une église est une direction spéciale de la vie chrétienne, née d’une conception spéciale de la doctrine chrétienne.
Cependant cette marche logique fait souvent défaut. L’action de la croyance n’est pas, à beaucoup près, aussi générale et aussi sûre qu’on se l’est figuré pendant longtemps. On pensait qu’il suffit de répandre les lumières pour avoir les vertus, et la pure doctrine pour avoir la vie sainte. Erreur fatale qui réduisait l’éducation à l’instruction et faisait de la religion une science, s’imaginant tout emporter par la conviction de l’entendement. Elle a dominé pendant des siècles en théologie comme en pédagogie, et c’est ce qui explique l’empire du dogmatisme, (symb. d’Athanase). Elle était générale à l’époque de la Réformation et elle faussa ou rétrécit sous bien des rapports cette grande restauration religieuse. Elle se pose comme un principe jusque dans les confessions de foi (conf. helv.). Nous pouvons l’apprécier par ses effets sur notre culte. D’un avis unanime, le culte protestant est beaucoup trop didactique : au lieu de s’adresser à l’âme entière, il ne s’adresse guère qu’à l’intelligence ; ce n’est presque qu’un enseignement ; le sermon est tout, à tel point que la lecture de l’Ecriture sainte, le chant sacré, la prière elle-même, c’est-à-dire les vrais éléments du service divin, n’occupent qu’une place secondaire, et ne sont pour ainsi dire que des hors-d’œuvre. Aussi a-t-on mis en question, même parmi nous, si nous avons un culte.
Mais l’acquiescement de l’intelligence (alors même qu’il est éclairé et sincère) n’entraîne pas nécessairement celui de la conscience, du cœur, de la volonté ; la croyance n’est pas la foi au sens évangélique ; l’adoption et la profession de la vérité religieuse n’est pas la religion. On peut admettre le Christianisme par tradition, le respecter et en observer les rites par habitude, sans que l’âme s’ouvre à la vie spirituelle qui fait le chrétien. On peut l’admettre, après une étude sérieuse, sur l’évidence et l’autorité de ses preuves, comme le système religieux le seul vrai, le seul divin, et par suite se vouer avec zèle à le défendre ou à le propager, sans en avoir éprouvé la puissance salutaire et sanctifiante. Bien plus, on peut reconnaître le devoir et le besoin de la régénération intérieure qu’il exige, on peut en établir par des arguments irréfragables la nécessité, la nature, le moyen ; on peut devenir pour les autres l’heureux instrument de ce profond changement moral, et y demeurer soi-même complètement étranger. IL y a loin entre la connaissance spéculative et le sentiment actif des choses spirituelles. Il est possible d’être pleinement convaincu qu’elles sont, l’objet le plus digne, ou même le seul digne des recherches de l’homme, sans leur donner dans ses affections la préférence qui leur est due. Et quand on passe de cette religion morte à une religion-vivante, quand la croyance se transforme en foi, ce n’est pas ordinairement par un progrès de plus dans la connaissance de l’Evangile ; cette connaissance reste la même, seulement elle saisit l’empire qui lui appartient on descendant de la tête dans le cœur ; de notion idéale qu’elle était, clic devient réalité vivante. — A cette donnée d’observation, malheureusement trop commune pour être ignorée ou contestée, on peut en joindre une autre tout aussi décisive. La vérité porte souvent ses fruits de repentance et de justice chez des gens qui n’en ont qu’une vue incomplète et défectueuse, tandis qu’elle demeure stérile chez des personnes qui en ont une intelligence beaucoup plus étendue et plus exacte. Dans le monde moral, comme dans le monde physique, il y a une lumière sans chaleur ; la connaissance religieuse ne produit pas toujours la vie religieuse ; la triste expérience du catéchiste le démontrerait suffisamment à défaut d’autres preuves ; on a beau dire que cela doit être, cela n’est pas. La conviction de l’esprit n’emporte point par elle-même la soumission du cœur ; les saintes dispositions de la foi et de la piété réclament une culture spéciale. (Ascétique).
Sans doute la culture morale se fait en partie par la culture intellectuelle. En thèse générale, la vérité, répétons-le, est dans l’âme la semence de la sanctification ; sa tendance naturelle est d’éveiller la conscience, à laquelle elle donne plus de sensibilité, de délicatesse et d’énergie, d’imprimer aux affections une direction normale, d’arracher la volonté aux voies du mal, qui sont celles de l’erreur, et de l’affermir dans la voie du bien. Mais, et il importe de le répéter aussi, l’étude de la vérité peut se faire uniquement sous une forme et dans un but logiques, de telle sorte que ne cherchant que la science, on ne trouve que la science. La vérité est un instrument, et elle ne sert qu’à qui l’emploie, elle est un aliment, et elle ne profite qu’à qui s’en nourrit et se l’assimile : la posséder ne suffit point.
2° L’action du cœur sur l’esprit (ou des dispositions intérieures sur la formation et le développement des croyances) peu remarquée et mal appréciée jusqu’ici, est aujourd’hui bien reconnue. Ayant eu occasion de la constater à diverses reprisesa nous n’ajouterons qu’une ou deux remarques.
a – A l’article de l’union de la religion avec la morale et à celui de l’origine du polythéisme.
En général l’intelligence est beaucoup plus qu’il ne le semble au service de la volonté et la volonté au service du cœur. C’est pour cela que l’impression des preuves et des doctrines de la religion est presque toujours en rapport avec l’état intérieur des personnes à qui on les présente. (Parabole du « Semeur »). Bien certainement nous ne pouvons ni croire ce qui nous paraît faux, ni ne pas croire ce qui nous paraît vrai ; quand la vérité et l’erreur sont reconnues, l’esprit est contraint par sa nature de donner sa foi à l’une et de la refuser à l’autre.
Mais à d’autres égards nos croyances dépendent en grande partie de nous. Nous sommes maîtres de diriger nos méditations et nos recherches dans tel ou tel sens, d’aborder ou de négliger tel ou tel ordre d’idées, d’envisager une question sous telle ou telle de ses faces, etc. Voyez ce qui se passe dans les controverses religieuses, dans les luttes politiques, dans les procès ; examinez comment chacun saisit et fait ressortir presque uniquement les côtés favorables des choses, comment tout plie, principes et faits, comment les exigences de parti ou de système donnent de la valeur aux arguments les plus faibles et éludent les plus forts ; étudiez l’influence prodigieuse de la position et des intérêts sur le jugement qu’on porte, et vous reconnaîtrez par cela même l’influence du cœur et de la volonté sur les opinions qu’on se forme. Remarquez que si nous avons la faculté de tenir loin de nous les sujets qui nous répugnent ou de ne les envisager que sous la face qui nous convient, nous devons en user surtout avec les vérités religieuses, car, comme elles ont pour but final de changer l’âme et la vie, le cœur charnel les craint ; dès lors, ou il les néglige et s’en distrait en se plongeant dans les affaires, les études, les dissipations, c’est le cas de la masse des hommes ; ou il ne les prend que du côté des difficultés et des objections qu’elles soulèvent, c’est le parti auquel s’arrêtent bien des gens.
Il ne dépend sans doute pas de nous de croire ou de ne pas croire, en disant : je le veux ; mais il n’en est pas moins vrai que notre volonté influe considérablement sur la formation de nos croyances. C’est pour cela que l’Ecriture place partout la foi et l’incrédulité dans le domaine de l’obligation morale et qu’elle en jette constamment sur l’homme la pleine responsabilité.
Mille autres considérations viendraient démontrer encore cette action profonde du cœur sur l’esprit. La religion s’adressant à nos facultés morales autant qu’à nos facultés intellectuelles, il est presque impossible de n’en pas méconnaître la nature et l’importance ou de ne pas s’en faire des idées fausses, lorsque les premières de ces facultés restent engourdies. La religion, répondant à des besoins d’un ordre supérieur, ne peut être comprise là où ces besoins ne sont pas sentis, elle apparaît comme une chimère là où dominent absolument l’affection de la chair, la sollicitude des richesses et l’orgueil de la vie. Le Christianisme, en particulier, étant une dispensation de grâce et reposant sur notre état de corruption et de condamnation, celui qui n’a pas aperçu sa misère spirituelle le dédaignera ou ne le concevra pas, ou l’altérera ; tandis que celui qui se voit tel qu’il est devant la Loi et devant Dieu, sera prédisposé à admettre la parole de l’Evangile : « Ceux ne sont pas ceux qui sont en santé qui ont besoin de médecin, ce sont ceux qui se portent mal. » (Matthieu 9.12-13).
Le Nouveau Testament est rempli de témoignages à cet égard. Il est dit que le désir de faire la volonté de Dieu amène à la foi, qu’une conscience pervertie la fait perdre, que la vraie connaissance religieuse dépend du renouvellement de l’esprit et de l’amour pour Dieu (Jean 12.17 ; 3.19 ; Matthieu 12.34 ; Luc 13.5-15 ; 1 Timothée 1.19 ; Romains 12.1-2 ; 1 Corinthiens 8.1-4 ; 1 Jean 4.12).
Dans tous les temps ce fait a été plus ou moins signalé. « Rien n’oppose plus d’obstacles à l’a perception de la vérité, dit saint Augustinb, qu’une vie licencieuse et la constante impression des choses sensibles ; ce sont les fausses images du monde portées sans cesse à l’âme par le corps qui engendrent et nourrissent les erreurs. » Voulez-vous com- prendre et goûter les paroles de Jésus-Christ, dit l’Imitation, efforcez-vous de conformer votre vie à la sienne. »
b – De vera religione, Cap. III.
Sur ce point, comme sur mille autres, le revirement de l’opinion se fait voir à l’œil et toucher du doigt. Il y a quelques années, il fallait combattre la direction qui, méconnaissant l’action profonde du cœur sur l’esprit, faisait tout dépendre de la pureté de la doctrine, et inclinait vers le dogmatisme. Aujourd’hui, il faut se prémunir contre la direction, contraire qui, s’exagérant le rôle du sentiment, subordonne la doctrine à la vie et penche vers le mysticisme. Ce sont là des tendances, extrêmes, où l’on aboutit au faux en outrepassant le vrai dont on part. Elles ont à la fois tort et raison toutes les deux : raison dans ce qu’elles affirment et tort dans ce qu’elles nient. L’influence secrète de l’état moral sur le développement de la foi est un fait aussi certain qu’important ; mais l’action des croyances sur les dispositions est un autre fait non moins réel et non moins capital. En thèse générale même, ce dernier ordre est l’ordre commun, l’ordre logique, biblique et historique. Apologie et théologie, œuvre pastorale et missionnaire, tout a essentiellement pour but de propager la vie chrétienne par la vérité chrétienne.
3° L’action collective de l’esprit et du cœur sur la volonté (ou des croyances et des affections sur la conduite) est tellement positive et visible qu’il n’est pas nécessaire de nous y arrêter. Nous avons eu d’ailleurs l’occasion de la constater souvent et de montrer que la vie extérieure sort d’elle-même de la vie intérieure, dont elle est le reflet ou le produitc.
c – Article « des œuvres. »
Mais peut-être n’observe-t-ou pas assez la réaction de la vie extérieure sur la vie intérieure. Chaque acte fortifie la tendance dans laquelle il a sa racine ; s’il est bon, il affermit et étend l’empire du bien au fond du cœur ; s’il est mauvais, l’empire du mal. C’est la loi qui régit toutes les puissances natives de notre être. De là une importante règle d’ascétique. Si nous pouvons agir directement sur nos sentiments par le recueillement, la prière, la vigilance, etc., nous pouvons aussi les atteindre indirectement en leur refusant ou leur accordant les œuvres qu’ils commandent : favoriser ou arrêter leurs manifestations au dehors, c’est les affermir ou les affaiblir au dedans. Si, en un sens, notre vie extérieure n’est qu’un produit, et en quelque sorte, un prolongement de notre vie intérieure, dans un autre sens elle en est, à vrai dire, le facteur. Maîtres de nos actes, nous le sommes par cela même de nos sentiments, plus qu’on ne se le figure d’ordinaire. Quelqu’un a dit : « Agissez comme si vous aimiez et, je vous le promets, vous aimerez. » Cette parole, qui étonne parce qu’elle paraît renverser l’ordre naturel, n’en est pas moins pleine de vérité. Le retour de l’inclination, dépend en bien des cas de la fidélité à l’obligation.
On se jette souvent par une marche différente dans des mécomptes et des tourments infinis. Il n’est pas rare de voir des gens altérés et affamés de la justice, se replier constamment sur eux-mêmes, faire l’anatomie de leur cœur, observer avec anxiété les mouvements qui s’y passent, s’efforcer de fixer leurs impressions fugitives, et se travailler en vain, parce qu’ils oublient le chemin je plus sûr, après la prière, savoir les œuvres ou la bonne direction de l’activité extérieure. Sans doute l’importance attachée à la pureté du cœur est légitime, car là sont les sources de la vie. Sans doute l’étude de soi-même est obligatoire et nécessaire ; mais, outre que c’est par notre conduite que nous jugeons le mieux de notre état intérieur, nos dispositions ne prennent leur développement complet et normal, elles ne se changent en habitudes, elle ne s’incorporent à notre être que lorsque nous leur laissons ou leur faisons porter leurs fruits ; ce n’est que par là qu’elles se fixent et s’achèvent.
Ce fait d’expérience, la réflexion l’explique et le confirme. La même loi régit toutes nos facultés, nos tendances, nos affections ; toutes se fortifient et se développent quand on les exerce, s’alanguissent et se paralysent quand on les néglige, s’éteignent et s’atrophient quand on contrarie leur action : puissance incalculable des actes sur les sentiments et sur les principes, qu’il importe de bien connaître afin de la bien régler. C’est un fait important pour l’ordre et le progrès moral, trop peu remarqué ou trop peu apprécié par l’ascétique protestante, tandis que l’ascétique catholique l’exagère et le fausse.
En nous résumant sur cet article, nous trouvons donc que l’influence réciproque des trois éléments religieux (croyances, dispositions, volitions) est plus complexe qu’on ne se le figure ordinairement. Il y a entre eux action et réaction constantes. Dans la sphère morale, l’effet est mille fois la cause de sa cause, et la conséquence le principe de son principe.
De même qu’on entre dans la foi par des portes et des routes très diverses, la chaîne de la vie spirituelle se forme et se déroule aussi de bien des manières ; chacune des parties de la religion, chacune des facultés de l’homme peut en devenir le premier anneau. Peu importe sans doute, pourvu que le reste suive ; mais il est bon de remarquer cette différence de marche, cette diversité de formation. Ce qui produit dans un cas, est produit dans un autre ; celui-ci commence par où celui-là finit ; ici le sentiment éveille la croyance, là, la croyance enfante et développe le sentiment, ailleurs les œuvres saintes vont ranimer les sentiments et les croyances qui s’éteignaient. Dans cette histoire intérieure, la série des faits est mille fois intervertie et souvent comme renversée, quoique le fond, du moins quand il est de bon aloi, reste essentiellement le même ainsi que le résultat final. Et l’on adore cette sagesse de Dieu infiniment diverse, dont les œuvres et les voies ne sauraient être enserrées dans aucun système d’homme. Il y a là les mystères du cœur unis à ceux de la Providence et de la Grâce.
L’étude approfondie des trois éléments religieux et de leurs rapports donnerait lieu à bien d’autres observations intéressantes et utiles. C’est un fait fort simple que la religion complète se compose des croyances, des dispositions et des œuvres, et qu’il y a entre elles une action et une réaction constantes ; mais ce fait est d’une portée plus haute et d’une plus grande importance pratique qu’on ne se le figure d’ordinaire. Il peut nous servir de pierre de touche pour juger de notre état réel. Quelle est notre piété ? a-t-elle tous les éléments essentiels à la véritable religion ? les a-t-elle dans ce développement régulier, dans cette proportion normale, qui constitue en grande partie leur pureté, leur valeur et leur force ? Nos notions religieuses se transforment-elles sans cesse en foi, et notre foi en vie ? L’esprit est-il éclairé, le cœur gagné, la volonté soumise, la conscience délicate et ferme ? Savons-nous vivifier l’un par l’autre, en suivant tantôt l’ordre direct, tantôt l’ordre inverse, les divers éléments qui doivent concourir ensemble à notre renouvellement spirituel ? Si l’un domine au point d’absorber presque tout le reste, il est à craindre que nous n’ayons que les apparences de la religion pure.
L’application de notre principe nous dévoile aussitôt l’erreur d’une foule de tendances religieuses et morales ; telles que l’orthodoxie stérile qui place l’essence de la piété dans la vérité des croyances et fait dépendre le salut de la profession de foi. [L’orthodoxie stérile tient à une disposition plus générale, le dogmatisme, qu’on pourrait désigner sous le nom de rationalisme ou de gnosticisme, en dépouillant ces mots de leur acception usuelle et en ne leur conservant que leur acception étymologique. Ils exprimeraient alors exactement la tendance religieuse qui fait prédominer l’élément intellectuel, la connaissance, la notion du vrai. Plaçant la foi et la vie sous la seule direction de la raison, sous le contrôle souverain des idées, des croyances, soit parce qu’on attend tout de là, soit parce qu’on craint qu’en donnant trop d’empire au sentiment on n’ouvre la porte à la mysticité, à la superstition, au fanatisme, on néglige alors plus ou moins la culture du cœur. Sous prétexte de prévenir les écarts des affections, on va presque jusqu’à exclure les affections elles mêmes. Cette tendance est manifeste chez un grand nombre d’écrivains du dernier siècle (W. Paley, etc.). Elle veut une religion raisonnable ou rationnelle. Le rationalisme, ainsi entendu, peut être négatif ou positif, selon qu’il opère par voie de retranchement ou par voie d’addition dans son élaboration du Christianisme. Il peut être et il est souvent très dogmatique. L’orthodoxie elle-même est donc bien des fois rationaliste en ce sens-là, soit quant à son contenu, soit quant à son principe formel. La tendance à sacrifier l’élément mystique à l’élément rationnel en morale s’est aussi montrée dans la philosophie ; le stoïcisme fit de l’apathie la vertu fondamentale du sage, — le kantisme a banni le sentiment de la morale, son principe est qu’il faut pratiquer le devoir par devoir.] ; — le pharisaïsme ou le formalisme qui l’attache surtout aux pratiques du culte ; — le sadducéisme qui le met dans la simple moralité et qui, sous sa forme vulgaire, se réduit à cet adage si commun : la véritable religion c’est d’être honnête homme ; — l’antinomisme qui détruit l’obligation morale sous prétexte d’exalter la grâce ; — le mysticisme qui ouvre la porte à tant d’illusions et d’aberrations.
Toutes ces tendances sont fausses, parce qu’elles sont partielles et qu’elles s’arrêtent trop exclusivement à l’un ou à l’autre des éléments constitutifs de la religion véritable, au lieu de les embrasser et de les développer tous. Il en est de même de cette tendance, si commune aujourd’hui, et qu’on pourrait désigner sous le nom d’esthétisme chrétien, disposition vague et rêveuse, vain simulacre de la piété, qui n’est que l’ombre d’une ombre, car en réalité elle reste aussi étrangère au sentiment religieux qu’au sentiment moral. L’affaiblissement général des croyances, la pente universelle à considérer chez l’homme l’être social ou l’être sensible plus que l’être immortel, et à n’apprécier que ce qui sert de quelque manière à notre existence terrestre, a fait matérialiser le Christianisme lui-même. Frappé de sa grandeur, de sa durée, de sa puissance au milieu des ruines qui s’amoncellent sans arrêter sa marche, on revient à lui après avoir tout épuisé et s’être lassé de tout, mais ce n’est pas le salut qu’on lui demande, ce sont des émotions et des jouissances nouvelles ; ce n’est pas avec la conscience et le cœur qu’on l’aborde, c’est avec l’imagination ; c’est le beau que l’on cherche, non le saint, et l’art prend la place de la foi. On célèbre le Christianisme, parce qu’il favorise la poésie ou la peinture, comme ou aurait célébré le polythéisme grec ; c’est par là qu’on s’y rattache et qu’on veut y ramener les peuples. Le catholicisme a exploité avec habileté cette tendance de notre époque ; elle lui a donné quelques adhésions et quelques conversions dont il s’est fort glorifié ; elle lui a concilié la littérature ; de même que son principe d’unité et d’autorité lui a attiré la faveur d’une certaine politique. C’est sur ces deux ordres de moyens qu’il a basé son apologétique et sa prédication dans ces derniers tempsa. Et cependant que valent-ils en réalité et au véritable point de vue religieux ? Que sont-ils pour des âmes qui se posent la question capitale de la Conscience et de l’Evangile : Que faut-il faire pour être sauvé ?
a – Chateaubriand, Lamennais, Lacordaire, etc.
L’esthétisme a fourni bien des articles à nos journaux religieux. Il n’a pourtant pas encore été exposé et jugé d’une manière assez complète. Il n’est pas aussi étranger au protestantisme qu’on le pense communément, quoiqu’il ne puisse s’y produire sous les mêmes formes et avec la même étendue que dans le catholicisme… On a signalé les illusions et les dangers de cette tendance religieuse, sans en avoir peut-être pénétré suffisamment le principe. On a bien vu qu’elle repose essentiellement sur l’imagination, plutôt que sur la faculté morale où la religion à sa véritable racine ; mais on n’a pas assez remarqué et relevé l’équivoque du mot sentiment, dont on fait également usage des deux côtés, et qui empoche de distinguer exactement les réalités des apparences, car l’esthétisme religieux retient tout le langage évangélique ; il produit à sa façon toutes les émotions chrétiennes, il parle sans cesse de foi, d’adoration, d’amour divin, de repentir, de dévouement, etc. ; à première vue, on lui croirait tous les mouvements du pur christianisme comme il en a tous les termes, mais pour peu qu’on le sonde, on reconnaît bientôt que tout cela est simulé.
L’étude approfondie de cette piété poétique intéresse la psychologie comme la religion. L’école philosophique actuelle réduit les facultés de l’homme à trois principales : l’intelligence, la sensibilité et la volonté. Cette division est universellement reçue. Cependant le terme de sensibilité, par la double acception dont il est susceptible, donne lieu à de graves méprises. Ce mot a un sens moral et un sens physique ; il sert à désigner et le sentiment et la sensation, faits tellement distincts qu’ils tiennent à nos deux natures, l’un appartenant essentiellement à l’âme, l’autre au corps. Mais cette distinction profonde que donne la conscience intime et que constatent toutes les langues, s’efface et se perd dans la classification commune de nos facultés. Comme la sphère de la sensibilité comprend à la fois le domaine physique et le domaine moral ; comme les impressions et les affections sont également accompagnées de jouissance ou de peine, on s’est attaché à ce dernier fait, en le prenant même par le côté matériel, on a voulu ramener au plaisir les affections les plus saintes, telles que l’amour maternel, l’amour filial, l’amour divin lui-même, ne considérant pas que c’est expliquer le renoncement, le dévouement, le sacrifice par l’égoïsmeb. A ce point de vue, le sentiment, cette vie de l’âme, le cœur, cette partie supérieure de l’homme, disparaît presque complètement ; la sensibilité n’est plus que l’émotion nerveuse qu’on cherche dans la religion comme dans l’art. Aussi identifie-t-on l’art et la religion par la confusion la plus étrange. On met des affections toutes factices à la place des affections réelles, parce qu’on porte dans le temple l’imagination et non la conscience et le cœur ; le divin, c’est le beau, le grand, le sublime, plus que le saint ; on parle de poésie et de musique plus que de la vérité salutaire, et des cérémonies du culte plus que des doctrines de la grâce et du renouvellement intérieur : christianisme stérile et vain, piété trompeuse, qui substitue une sorte d’admiration et d’attendrissement extatique à la foi et à la régénération, et qui reste aussi étrangère à la véritable vie religieuse que le froid rationalismec.
b – Une littérature très active ne se propose que de produire de vives impressions et de frapper fortement ; elle se matérialise jusque dans son style : on dirait qu’elle s’adresse au corps plus qu’à l’esprit.
c – Il serait urgent d’examiner si l’équivoque du mot de sensibilité, dans la science de l’homme, ne contribue pas pour une large part à ces graves erreurs, et s’il n’est pas nécessaire de réformer la nomenclature de nos facultés, telle que la pose la psychologie.
Disons, du reste, que l’esthétisme mérite une part dans la religion, et qu’il faut la lui faire. L’imagination, comme toutes les facultés de notre âme, doit, trouver son emploi dans l’œuvre de la foi et de la piété. N’en faisons pas la maîtresse du sanctuaire, la prêtresse du temple, mais accordons-lui les fonctions qui lui reviennent. Le Christianisme veut régner sur l’homme tout entier, et il a de quoi saisir et satisfaire toutes les tendances légitimes de notre nature.
De plus, c’est là aujourd’hui un des filets de l’Evangile, si je puis ainsi parler. Bien des gens sont attirés peu à peu du monde à Christ par ce genre de considérations et d’arguments. Il est des âmes à qui cette vie de formes et d’apparences sert de passage aux réalités de la vie chrétienne. Et peu importe le chemin pourvu qu’on arrive. Si donc l’esthétisme religieux est pauvre et vide comme but, il ne l’est pas absolument comme moyen. Seulement ne le prenons que pour ce qu’il est.
Ces quelques considérations sur les divers éléments de la religion, démontrent combien il importe de la saisir dans sa plénitude, de lui livrer notre âme et notre vie tout entière, de lui soumettre toutes nos facultés, d’examiner soigneusement qu’elle est notre tendance dominante, afin de ne pas lui laisser prendre un empire exclusif qui altérerait et mutilerait notre foi. C’est un danger dont la sincérité et la ferveur ne préservent point, et contre lequel chacun doit par conséquent se tenir en garde.