Que personne ne dise, lorsqu’il est tenté : C’est Dieu qui me tente ; car comme Dieu ne peut être tenté par aucun mal, aussi ne tente-t-il personne, Mais chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise ; et après que la convoitise a conçu, elle enfante le péché ; et le péché étant consommé, engendre la mort. Mes frères bien-aimés, ne vous abusez point ; toute grâce excellente et tout don parfait vient d’en-haut et descend du Père des lumières, en qui il n’y a point de variation, ni aucune ombre de changement. Il nous a engendrés de sa pure volonté par la parole de la vérité, afin que nous fussions comme les prémices de ses créatures.
Mes bien-aimés frères,
Heureux est l’homme qui endure la tentation ! Cette parole si riche de promesses éveille aussitôt chez Saint-Jacques un regret. Il a la douloureuse conviction que la nature toute céleste de cette récompense échappe à un grand nombre ; il pense à tous ceux qui ne vivent que pour le présent ; à tous ceux qui, trouvant plus commode de céder à la tentation que d’y résister, de murmurer et de se plaindre que d’accepter l’épreuve, de suivre la pente naturelle de leur cœur que d’imposer silence à leurs convoitises, prétextent comme trop éloigné pour être certain le prix d’une lutte qu’ils redoutent avant tout de livrer. Et il se trouve que la tentation, permise de Dieu comme épreuve de la foi, comme instrument de salut dans le but d’amener ses créatures à crier avec foi au Tout-Puissant du sein de leur faiblesse et à faire l’expérience de sa force victorieuse, devient entre les mains d’un grand nombre un instrument de péché et de perdition dans la mesure où ils y cèdent ; au lieu de se rendre approuvés de Dieu, ils s’exposent à sa colère. Aussi Saint-Jacques, dont l’épître est d’un bout à l’autre un sérieux appel à prouver par notre vie la valeur de la foi que nous professons, met-il en garde ses lecteurs contre la tendance à s’excuser de leurs chutes comme si Dieu en était la cause. Que personne ne dise lorsqu’il est tenté, c’est Dieu qui me tente !
Pensée bien hardie, impie, semble-t-il ; et pourtant toujours la vieille histoire du cœur de l’homme. Depuis Adam rejetant la faute de sa désobéissance sur la femme que Dieu lui avait donnée, nous voyons l’humanité païenne accusant ses dieux de toutes les faiblesses, de toutes les séductions, de toutes les passions auxquelles elle-même se sentait sujette ; tel encore Israël reprochant sans cesse à l’Éternel ses soins jaloux envers son peuple et oubliant ses délivrances. Mes frères, n’avons-nous jamais été tentés de rejeter la responsabilité de nos chutes sur notre position, nos circonstances spéciales, le milieu dans lequel nous vivons ? n’avons-nous jamais mis sur le compte de notre nature ou de notre tempérament les défauts qu’on nous reproche, et prétexté l’inutilité de nos efforts ? je me sais pécheur, mais c’est plus fort que moi, je n’y puis rien, d’ailleurs c’est Dieu qui m’a fait ce que je suis. Nombreux sont ceux qui tiennent ce langage, plus nombreux encore ceux qui le pensent ! Qu’est-ce donc, sinon faire remonter à Dieu la faute et lui prêter l’intention de nous pousser au mal ? Sans compter ceux qui sont toujours disposés à trouver leurs souffrances hors de proportion avec leur faiblesse. Aussi est-ce au nom de la sainteté de Dieu que Saint-Jacques s’élève énergiquement contre une erreur aussi grave. Il établit ici deux faits opposés : le péché ne saurait venir de Dieu, mais il a sa source dans le cœur de l’homme ; d’autre part, la source de tout bien est en Dieu, dont toutes les voies, n’ont qu’un seul but : notre salut.
Nous ne nous arrêterons pas à considérer le fait de la tentation en lui-même, nos expériences en disent assez. Mais à qui la faute lorsque nous sommes tentés ? De ce que certaines tentations nous viennent du dehors, de nos circonstances, de notre milieu, des occasions auxquelles nous ne savons pas résister, des faux amis que nous écoutons, de la lutte incessante, et toujours plus amère pour l’existence, s’en suit-il que Dieu en soit responsable ? Lui, la source et l’auteur de tout bien, qu’aucun mal ne peut tenter ni même approcher, le Dieu trois fois saint qui a les yeux trop purs pour voir le mal, comment en serait-il l’auteur ? En contradiction avec l’essence même de Dieu, une telle accusation est en outre contraire à tout ce que nous connaissons de son amour. Le Dieu des mains duquel l’homme est sorti bon comme toute son œuvre, qui plus tard, pour sa créature déchue, a décrété et préparé un salut, qui, dans son amour, a accompli ce salut et qui l’offre à tous ne voulant pas qu’aucun périsse, comment, à moins de se renier soi-même, tenterait-il les hommes au mal ? Golgotha, en proclamant le salut accompli, ne dit-il pas bien plus haut encore l’horreur qu’éprouve pour le péché ce Dieu dont la sainteté a réclamé cette terrible expiation, les souffrances et la mort de son Bien-Aimé ?
Si nos tentations extérieures ne peuvent avoir Dieu pour auteur, encore moins oserons-nous lui attribuer celles qui sont éveillées en nous par nos propres désirs. Non, mes frères, accuser Dieu, c’est le langage qu’a tenu le serpent ancien, mais aussi qui est menteur dès le commencement. Le coupable, le seul coupable, c’est nous-mêmes ! C’est du dedans, du cœur des hommes, que viennent toutes les mauvaises pensées, dit Jésus, et c’est là ce qui souille l’homme. Ce qui fait que l’homme succombe à une tentation, c’est qu’il se laisse attirer et amorcer par sa propre convoitise ; les convoitises de l’un ne sont pas celles de l’autre ; chacune d’elles se présente sous les traits les plus propres à captiver, à attirer, à amorcer la volonté ; qu’il s’agisse d’une mauvaise pensée montant à notre cœur, qu’il s’agisse d’un désir provoqué par des occasions extérieures, la convoitise met tout en œuvre, elle découvre le point faible et s’en empare, elle éblouit par ses promesses flatteuses, elle nous dira même que le mal n’est pas mal, elle saura faire appel à une passion favorite pour nous représenter combien sans elle notre vie serait décolorée et perdrait de ses charmes ; toujours le même serpent d’Eden, les mêmes artifices pour nous attirer vers le fruit défendu !
Mais, direz-vous peut-être, cette convoitise, ce désir intérieur, est-ce déjà du mal, puisqu’il ne dépend pas de nous d’en être exempt ? Sans doute, notre nature de péché ne nous rend pas responsables des désirs qu’elle-même fait naître au-dedans de nous ; mais, semblables à ces infiniment petits qui, à peine éclos, commencent déjà leur œuvre de destruction, ces désirs cherchent bien vite à attirer et à amorcer la volonté. Si alors, au lieu de les repousser dès que nous nous en apercevons, nous les écoutons avec complaisance, si nous leur laissons le temps de concevoir une résolution mauvaise, dès ce moment il y a péché, quand même il ne demeurerait qu’à l’état de projet ou de résolution ; et si nous croyons que le péché réside dans les intentions du cœur, nous en conclurons que penser du mal est déjà faire le mal ; si la pensée n’est pas allée jusqu’à l’acte, c’est que les circonstances ne l’ont pas permis. Rappelons-nous cette série de douloureuses expériences que coûte une seule convoitise ; on en vient peu à peu à croire qu’elle a sa raison d’être, à s’y familiariser, à l’accepter, à y trouver du plaisir, à y céder par exception ; mais voici, les occasions se multiplient ; bientôt c’est un besoin dont on se rend esclave, et qui absorbe peu à peu à son profit le temps, les forces, la santé même, semblable au lierre qui finit par tuer le chêne auquel il a lié sa vie. Nous-mêmes, mes frères, n’avons-nous jamais cédé à un désir de nos cœurs ? n’avons-nous jamais été tentés de prendre pour la volonté de Dieu tel projet depuis longtemps caressé dans notre esprit ? n’avons-nous jamais cherché la réalisation d’une idée favorite, sous les apparences du désintéressement, peut-être sous celles de l’amour du devoir ? Que de fois, frères dans le ministère, nous avons besoin de dire à Dieu : Ne nous abandonne pas dans la tentation, ne permets pas que nous y arrêtions nos pas, mais délivre-nous du malin ! Et cela d’autant plus que notre position et notre charge nous exposent à des tentations plus subtiles !
Mais voici la conséquence inévitable de ce péché engendré par la convoitise, une fois consommé, il engendre à son tour la mort ! Au jour où vous en mangerez, vous mourrez, avait dit Dieu ; et du jour où nos premiers parents ont mangé le fruit défendu, la mort est entrée dans le monde. Le péché une fois consommé se développe jusqu’à ce qu’il ait atteint un jour ou l’autre la limite de la patience de Dieu. Que de pécheurs dont les années ne sont qu’une longue ruine, jusqu’à ce qu’une circonstance en apparence fortuite les jette dans l’éternité ! Le péché a tué leur corps ! Peut-être plusieurs s’étaient-ils encore à temps reconnus et jetés dans les bras de la miséricorde de Dieu sans que le corps ait pu se remettre des outrages du péché. Mais ceux qui meurent impénitents, que leur réserve l’avenir ? La condamnation, sans laquelle Dieu serait complice du mal, la sentence de mort éternelle prononcée par Celui qui est la source de toute vie, pour avoir préféré ici-bas se soustraire à son influence salutaire. Avenir aussi de tant de chrétiens selon le monde, honnêtes et moraux du reste, mais qui tuent leur âme dans l’indifférence, dans le formalisme, dans une foi de tête, parfois aussi dans la matière et dans la satisfaction d’eux-mêmes ! Quelle issue effrayante, mes frères, que celle du péché à quelque degré qu’il soit ! Et pour celui qui ne serait pas encore convaincu de sa responsabilité, qui croit pouvoir reculer indéfiniment la réalité, lorsqu’il sentira s’approcher l’heure suprême, quel moment que celui où ses illusions ruinées feront place aux remords le poursuivant, l’assiégeant, lui criant sans relâche : Tu as péché, malheur à toi ! Oh ! s’ils eussent été sages, dirons-nous avec le patriarche, s’ils eussent connu ce qui leur arriverait à la fin !
Non seulement ce serait s’abuser étrangement que de supposer que le mal puisse venir de Dieu, mais considérons le second fait que pose Saint-Jacques en faisant appel à notre sincérité. Frères bien-aimés, dit-il, ne vous abusez point ; toute grâce excellente et tout don parfait vient d’En-haut ; c’est dire d’abord que d’en bas ne peut venir rien de bon ; les plus beaux dons, les qualités les plus aimables, les capacités, les vertus les plus distinguées, les plus chrétiennes même, en apparence, ne nous ouvriront jamais les portes du ciel, si c’est affaire de simple tempérament, et si le souffle de la grâce d’En-haut n’a pas pénétré nos cœurs ; le jour viendra où le feu éprouvera l’ouvrage de chacun. — C’est dire ensuite, mes frères, que d’En-haut ne peut venir que grâce excellente et don parfait ; de Dieu, tout est grâce, bienfait, secours ; ne les attendons que de lui ; prêts à lui rendre toute la gloire ; et si parfois il intervient d’une manière directe et miraculeuse, sachons aussi voir et attendre ses délivrances dans le domaine des moyens naturels et raisonnables qu’il a mis à notre portée. Sentons-nous la convoitise prête à nous saisir ? Recourons à l’Auteur de toute grâce excellente et de tout don parfait. Il est appelé le Père des lumières, il est lui-même cette lumière éternelle dont les mondes resplendissants qui font notre admiration ne sont qu’une bien pâle image ; en Dieu point d’alternances d’obscurité et de lumière, tout en lui est lumière, tout en lui est grâce excellente et don parfait. Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres. Toujours il reste le Dieu de lumière, qui fait concourir les heures les plus ténébreuses de la vie à l’accomplissement de ses desseins de salut. La nuit, le mauvais temps, l’orage, sont utiles chacun à sa manière à la végétation ; de même, conduire nos âmes à la lumière, telle a toujours été, même à travers les ténèbres de l’adversité, la manière d’agir de notre Père céleste qui seul est la lumière ; pas un détail de la vie, pas une épreuve, pas une contrariété, pas une tentation, qui ne soit un anneau de la chaîne non interrompue de ses dispensations d’amour et de salut. Ne l’oublions jamais, mes frères ; appliquons-nous toujours à découvrir la bénédiction cachée au fond de telle peine, de tel châtiment ; sachons croire et accepter, surtout ne nous croyons pas dans l’obscurité quand nous avons le Père des lumières !
Et pour mieux nous convaincre que tout don excellent vient de lui, tandis que la tentation et le péché viennent de nous, notre texte ajoute : « il nous a engendrés de sa pure volonté par la Parole de la vérité, afin que nous fussions comme les prémices de ses créatures. Il nous a enfantés à la vie, tandis que le péché engendre la mort ; engendrés de Dieu, mes frères, nous devenons en Jésus-Christ les enfants de son adoption, jouissant de tous les privilèges de l’enfant, abandonnant la source empoisonnée pour nous désaltérer à la source d’eau vive qui jaillit en vie éternelle. Enfants de Dieu, dès à présent, mes frères, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais si nous acceptons ce privilège glorieux en nous laissant affranchir du péché pour devenir esclaves de Dieu, consacrés à lui, nous avons pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle ; nous devenons les prémices de ses créatures, nous, enfants de colère, à qui il a été fait grâce, nous devenons les bien-aimés du Père portant sur leurs fronts la marque de l’Agneau en attendant que s’ouvrent pour nous les portes de la gloire !
Voilà, mes frères, le décret de sa pure volonté ; pas un n’est écarté des desseins de salut de ce Dieu qui ne veut pas qu’aucun périsse. Et le canal par lequel il nous communique ce don parfait, c’est la Parole de la vérité. Perdus par la parole du père du mensonge à nos premiers parents, nous sommes engendrés par la Parole de la vérité. Sanctifie-les par ta vérité, disait Jésus à son Père, ta Parole est la vérité. C’est grâce à cette Parole que la croix de Jésus-Christ est proclamée chez les païens ; semence incorruptible, cette Parole demeure toujours la même. Et nous, que notre charge appelle à la porter à toutes les âmes qui réclament notre ministère, gardons fidèlement ce précieux dépôt et veillons à ne pas nous en rendre indignes en donnant autour de nous par nos inconséquences l’occasion de mal parler de l’Évangile ; ne laissons pas cette Parole dévier entre nos mains du seul but qu’elle se propose : amener des âmes à Jésus-Christ. Par elle, Dieu nous transmet sa vie ; si elle reste lettre morte, sans produire en nous sa vie, c’est que nos cœurs n’avaient pas soif de pardon et de vie ; car aujourd’hui comme autrefois, elle est toujours vivante et efficace pour régénérer les âmes, pour triompher des tentations à l’exemple de notre divin Maître, pour surmonter l’épreuve, pour soutenir, pour encourager, pour bénir, parce qu’elle est la vérité ; vérité sur notre péché. vérité sur notre salut. Affranchissement du péché, vie nouvelle et de jour en jour sanctifiée au contact de cette Parole, ou mieux de Celui qui est la Parole vivante, oh ! que tels soient les fruits que produise de plus en plus cette Parole de vérité déposée dans nos demeures, ce puissant moyen de salut et de relèvement pour nos Églises, pour nos familles, pour nous-mêmes, en attendant le plein épanouissement de cette vie dans le ciel !
Quand nous aurons éprouvé les bienfaits de cette Parole, que nous en aurons vécu, alors nous ne nous laisserons plus abuser, nous connaîtrons la vérité, et par elle nous nous laisserons toujours docilement enseigner. Nous nous convaincrons toujours plus qu’en nous habite le mal ; et ce sentiment du péché, à mesure qu’il nous dominera, ce qui ne peut avoir lieu qu’en nous mettant jour après jour en face de nous-mêmes et de la croix de Jésus-Christ, nous formera à l’humilité, il nous apprendra, par une vigilance soutenue, à garder avec soin notre cœur ; il nous forcera à crier au Seigneur pour qu’il pardonne et qu’il affermisse ! Puis en nous faisant contempler l’Auteur de tout don parfait, cette Parole nous attirera à lui le cœur débordant de reconnaissance et de foi, décidés à ouvrir nos âmes à la vie divine pour que celle-ci agisse, consume et purifie, et qu’elle fasse ainsi de notre cœur un foyer de vie nouvelle à la gloire de Dieu ! Que de plus en plus cette Parole éclaire, humilie, relève, transforme, qu’elle sauve des âmes, en les amenant aux pieds de Jésus. Demandons cette grâce excellente avec la conviction que Dieu ne la refusera jamais aux âmes altérées ; et que cette grâce, descendue du Père des lumières, illumine nos ténèbres, dissipe nos obscurités, en attendant le jour où nous serons nous-mêmes lumières dans le Seigneur ! Amen !
A. Du Pasquier
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