Bien que, par tout ce qui précède, on puisse déjà entendre clairement comment le chrétien se revêt de Christ, nous voulons y insister encore un peu, sachant que, pour l’âme pieuse, s’entretenir de Christ et de ses dons ne peut jamais paraître long et fatigant, dût-on se répéter mille fois.
Je dis donc que le chrétien sait que par la foi Christ est à lui avec toute sa justice, toute sa sainteté et son innocence. — Or, de même qu’un homme se pare de vêtements magnifiques et précieux quand il veut se présenter devant un grand seigneur, de même le chrétien, orné et couvert de l’innocence de Christ et de toutes ses perfections, se présente devant Dieu, le Seigneur de l’univers, se confiant dans les mérites de Christ, exactement comme s’il avait lui-même mérité et acquis tout ce que Christ a acquis et mérité. La foi fait que nous possédons Christ et tout ce qui est de lui, comme chacun de nous possède son propre vêtement. Ainsi, se revêtir de Christ n’est pas autre chose que tenir ferme l’assurance que Christ est à nous, et que par ce vêtement céleste nous sommes agréables et acceptés devant Dieu. Il est très certain que Dieu, comme un tendre Père, nous a donné son Fils, et qu’il veut que toute sa justice et tout ce qu’il est, tout ce qu’il peut, tout ce qu’il a, soit en notre possession ; de sorte qu’il nous est permis de nous en glorifier comme si, par nos propres forces, nous l’avions opéré et mérité. Quiconque croit, ne se trouvera point trompé, mais éprouvera la parfaite vérité de ce qu’il a cru, comme nous l’avons démontré ci-dessus. Le chrétien doit donc avoir une foi ferme, une conviction inébranlable que tous les biens, toutes les grâces, toutes les richesses de Christ sont à lui, car Dieu nous ayant donné Christ, comment ne nous donnerait-il pas aussi toutes choses avec lui ? (Romains 8.32) Si cela est vrai, et cela est vrai, le chrétien peut dire en toute réalité : Je suis enfant de Dieu, Christ est mon Frère, je suis Seigneur du ciel, et de la terre, et de l’enfer, et de la mort, et de la loi ; car la loi ne peut plus ni m’accuser ni me maudire, la justice de mon Christ étant ma justice.
Cette foi, mais cette foi seule, fait que l’homme mérite le nom de chrétien, et le revêt de Christ, comme on vient de le dire. Cela peut s’appeler le grand mystère de piété dans lequel sont renfermées les choses merveilleuses et ineffables de Dieu. Ces choses ne peuvent pénétrer dans le cœur de l’homme si Dieu ne l’ouvre par sa grâce, comme il le promet par la bouche d’Ézéchiel (Ézéchiel 36.26), disant : « Je vous donnerai un cœur nouveau et un esprit nouveau ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. »
Celui donc qui ne croit pas de cette manière, c’est-à-dire que Christ est à lui avec tous les biens qu’il possède, celui-là ne peut s’appeler chrétien ; il ne peut jamais avoir une conscience paisible et joyeuse, ni un esprit bien disposé et fervent pour les bonnes œuvres. Ces œuvres, même s’il en fait, ne seront pas véritablement bonnes.
Cette foi seule, cette confiance que nous avons dans les mérites de Christ, fait les vrais chrétiens, des hommes forts, joyeux, sereins, pénétrés de l’amour de Dieu, prompts aux bonnes œuvres, possesseurs du règne de Dieu et ses enfants bien-aimés, dans lesquels habite véritablement l’Esprit saint. Quel est l’esprit abject, vil et froid, qui puisse considérer la grandeur du don inestimable que Dieu nous a fait, en nous donnant son Fils bien-aimé avec toutes ses perfections, sans se sentir embrasé du plus ardent désir de lui ressembler dans toute sa vie ? Ne nous a-t-il pas été donné par le Père comme un modèle auquel nous devons regarder sans cesse pour transformer notre vie de manière à ce qu’elle devienne un reflet de la vie de Christ ? C’est pour cela que, comme le dit saint Pierre (1 Pierre 2.21), Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin que nous suivions ses traces.
De cette considération naît une autre manière de se revêtir de Christ, laquelle nous pouvons appeler exemplaire. En effet, le chrétien doit régler toute sa vie sur l’exemple du Sauveur, devenant semblable à lui dans toutes ses pensées, ses paroles, ses actions, abandonnant sa mauvaise vie passée et se revêtant de la nouvelle, qui est celle de Christ. De là les paroles de saint Paul (Romains 13.12 et suiv.) : « Rejetons les œuvres de ténèbres, et soyons revêtus des armes de la lumière. Marchons honnêtement comme de jour, non dans la gourmandise et l’ivrognerie, non dans la luxure et l’impudicité, non dans les contestations et les jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et n’ayez pas soin de la chair dans ses convoitises. »
Ainsi le vrai chrétien, animé de l’amour de Christ, se dira à lui-même : Puisque Christ, qui n’avait pas besoin de moi, m’a racheté par son propre sang, étant devenu pauvre afin de m’enrichir, moi aussi, de même, je veux donner mes biens et ma vie pour l’amour et pour le salut de mon prochain. Et comme je me suis revêtu de Christ par l’amour qu’il m’a témoigné, je veux que mes frères, par l’amour que je leur témoignerai en Christ, se revêtent de moi et de tout ce que je possède. Quiconque n’agit pas ainsi n’est pas encore un vrai chrétien ; car de quel droit dirait-il : j’aime Christ, s’il n’aime pas les membres et les frères de Christ ? Si nous n’aimons pas notre prochain pour qui Christ a versé son sang précieux, nous ne pouvons pas dire en vérité que nous aimons Christ, qui, étant égal à Dieu, fut obéissant à son Père jusqu’à la mort de la croix (Philippiens 2.6-8), et qui nous a aimés et rachetés en se donnant lui-même à nous avec toutes ses œuvres et tout ce qu’il possédait. De la même manière, enrichis des biens abondants de Christ, nous devons être obéissants à Dieu et offrir nos œuvres, nos biens et nous-mêmes à nos frères en Christ, les servir dans tous leurs besoins, être pour eux comme un autre Christ. De même que Christ fut humble, doux, éloigné de toutes contestations (Matthieu 12.19), ainsi nous devons nous étudier à acquérir la même humilité, la même douceur, fuyant les querelles et les disputes non moins dans nos paroles que dans nos actes. Christ supporta toutes les persécutions, tous les opprobres du monde pour la gloire de Dieu ; ainsi, nous devons souffrir avec joie les ignominies et les mauvais traitements que les faux chrétiens réservent à tous ceux qui veulent vivre paisiblement selon Dieu. Christ laissa sa vie pour ses ennemis, et il pria pour eux sur la croix ; ainsi nous devons toujours prier pour nos ennemis et volontiers abandonner notre vie pour leur salut. C’est là suivre les traces de Christ, comme le dit saint Pierre. Quand nous connaissons Jésus-Christ, quand nous le possédons avec toutes ses richesses, quand nous nous sommes revêtus de Lui, quand par Lui nous avons été purifiés de toutes nos souillures, que nous reste-t-il, sinon à glorifier Dieu par l’imitation de Christ et à faire pour nos frères ce que Christ a fait pour nous ? D’autant plus qu’il nous a appris par sa propre Parole que tout ce que nous faisons pour nos frères qui sont aussi ses frères, il l’accepte comme fait à lui-même. Et sans aucun doute, les vrais chrétiens étant membres de Christ, nous ne pouvons leur faire ni bien ni mal, que nous ne le fassions en bien ou en mal à Christ lui-même, car il jouit et il souffre dans ses membres. Ainsi, comme Christ est devenu notre vêtement par la foi, nous devons être, par amour pour Lui, le vêtement de nos frères. Le même soin que nous avons de notre corps, nous devons l’avoir du leur, car ils sont les vrais membres de notre corps, duquel Jésus-Christ est la tête. (Éphés.4.15) Tel est l’amour divin, la charité qui naît d’une foi non feinte, d’une foi que Dieu opère dans ses élus par son Esprit et dont saint Paul dit (Galates 5.6) qu’elle est agissante par la charité.
Mais, comme la vie de Christ, dont nous devons nous revêtir pour l’imiter, fut une croix perpétuelle pleine de tribulations, de persécutions et d’ignominies, si nous voulons nous conformer à sa vie, nous devons aussi porter continuellement la croix. (Galates 5.24) Il le dit lui-même (Luc 9.23) : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même et prenne chaque jour sa croix. » La raison principale de cette croix est que notre Dieu veut par cet exercice mortifier en nous les affections de l’esprit et les appétits de la chair, afin que nous arrivions à cette perfection dans laquelle Christ nous a embrassés en nous incorporant à lui. Il veut que notre foi, raffinée comme l’or au creuset des tribulations, resplendisse à sa louange. Et d’un autre côté il veut, par notre infirmité même, glorifier sa puissance que le monde voit en nous, quand cette infirmité devient forte sous les tribulations et les persécutions, et que plus elle est abattue et opprimée, plus il la rend invincible et constante. (2Corinth.12.9) C’est pourquoi saint Paul dit (2 Corinthiens 4.7 et suiv.) : « Nous avons ce trésor dans des vases de terre, afin que l’excellence de la puissance soit de Dieu et non de nous, étant de toute manière pressés par la tribulation, mais non pas réduits à l’extrémité ; dans la perplexité, mais non pas dans le désespoir ; persécutés, mais non pas abandonnés ; abattus, mais non pas perdus ; portant toujours avec nous, en notre corps, l’état de mort du Seigneur Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée en notre corps. »
Voyant donc que Christ et ses chers disciples ont toujours glorifié Dieu par leurs tribulations, recevons-les aussi joyeusement, disant avec saint Paul (Galates 6.14) : « A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. » Faisons en sorte que le monde connaisse et voie de ses propres yeux les étonnants effets de la puissance divine en ceux qui embrassent sincèrement la grâce de l’Évangile.
Que les hommes du monde voient avec quelle tranquillité d’esprit les vrais chrétiens supportent la perte de leurs biens, la mort de leurs enfants, les ignominies, les infirmités du corps et les persécutions des faux chrétiens ; qu’ils voient comment eux seuls adorent Dieu en esprit et en vérité, acceptant de sa main tout ce qui leur arrive ; estimant bon, juste, saint, tout ce qu’il fait ; dans la prospérité comme dans l’adversité, louant et bénissant Dieu comme le meilleur des pères ; reconnaissant comme un grand don de Dieu de pouvoir souffrir pour l’Évangile et pour l’imitation de Christ ; sachant que la tribulation produit la patience, la patience l’épreuve, l’épreuve l’espérance, et que l’espérance ne confond point. (Romains 5.3-5)
Je dis que la patience produit l’épreuve. En effet, Dieu ayant promis de secourir dans leurs tribulations tous ceux qui se confient en lui, nous connaissons par l’épreuve, dans laquelle nous restons forts et constants, que nous sommes soutenus par la main de Dieu, vu que nous ne pouvons rien par nos propres forces. Ainsi, par la patience, nous faisons l’expérience que le Seigneur nous fournit le secours qu’il nous a promis dans tous nos besoins, et notre espérance s’affermit. Ne serait-ce donc pas une trop grande ingratitude de ne pas attendre pour l’avenir le même secours et la même faveur que nous avons éprouvés d’une manière si certaine et si constante ?
Mais pourquoi tant de paroles ? Il doit nous suffire de savoir que les vrais chrétiens se revêtent par les tribulations de l’image de Christ crucifié. Si nous portons volontiers cette image, nous serons bientôt revêtus de celle de Christ glorifié. (1Corinth.15.49) « C’est pourquoi comme les souffrances de Christ abondent, ainsi par Christ abondera notre consolation. Si nous endurons, nous régnerons aussi avec lui. » (2 Timothée 2.12)
Sommaire :
- Les chrétiens suivent l’exemple de Christ.
- Cause de la croix des fidèles.
- Ce qu’entendent saint Paul et saint Jacques en disant que la patience produit l’épreuve.