Il doit, sans doute, nous être permis de reprendre ceux qui se plaisent à reprendre les autres. Le nom d’enfant ne nous est point donné, parce que notre instruction est encore faible et méprisable, comme nous le reprochent ceux à qui leur science inspire un orgueil insensé. Non, sans doute ; car du moment où nous fûmes régénérés, nous reçûmes cette perfection à laquelle tendaient tous nos efforts ; nous avons reçu la lumière, c’est-à-dire la connaissance de Dieu. Est-ce être imparfait que de connaître ce qui est parfait ; et me reprendra-t-on, si j’avoue que je connais Dieu ? Le Verbe lui-même l’a dit : celui qui connaît Dieu est libre. À l’instant même où le Seigneur recevait le baptême, une voix descendit du ciel, et, rendant témoignage à l’amour que Dieu lui portait, s’écria : « Tu es mon fils bien-aimé ; je t’ai engendré aujourd’hui. » Interrogeons donc les sages. Le Christ régénéré aujourd’hui est-il parfait ; ou, ce qui est le comble de l’absurdité, lui manque-t-il quelque chose pour l’être ? Dans cette dernière hypothèse, il aurait dû apprendre quelque chose. Mais il n’est pas convenable de croire qu’il ait eu la moindre chose à apprendre, étant Dieu. Y a-t-il eu quelqu’un de plus grand que le Verbe ? Le maître par excellence a-t-il eu besoin d’un maître ? Ou plutôt nos adversaires ne seront-ils pas forcés d’avouer, même en dépit d’eux, que le Verbe né d’un Père parfait, est parfait lui-même, et qu’il a été parfaitement régénéré d’après un ordre préexistant et mystérieux ? Pourquoi donc, s’il était parfait, fallait-il qu’il fût baptisé ? Il le fallait, disent-ils, afin qu’étant homme, il remplit tous les devoirs imposés à l’humanité. D’accord. Du moment qu’il est baptisé par Jean, il devient parfait. Je l’accorde encore. N’a-t-il point encore appris de lui quelque chose ? Nullement. Le baptême a suffi pour le rendre parfait, l’Esprit saint est descendu sur lui pour le sanctifier. Telle est la vérité.
La même chose nous arrive à nous qui sommes, si je puis m’exprimer ainsi, des copies de ce divin modèle. Baptisés, nous recevons la lumière ; éclairés, nous sommes faits enfants de Dieu ; enfants de Dieu, nous devenons parfaits ; parfaits, nous devenons immortels. « Je l’ai dit, vous êtes tous les fils du Très-Haut. » Plusieurs noms divers distinguent cette opération divine et mystérieuse. On l’appelle grâce, illumination, perfection, baptême. Baptême, parce qu’elle efface et lave nos péchés ; grâce, parce qu’elle nous remet les peines que nos péchés méritent ; illumination, parce qu’elle nous fait voir cette lumière sainte et salutaire au travers de laquelle nous apercevons les choses divines ; perfection, parce qu’il ne manque rien à celui qui la reçoit. Que manque-t-il, en effet, à celui qui connaît Dieu ? Ne serait-il pas absurde d’appeler grâce de Dieu une grâce qui ne serait point parfaite et entière ? Un Dieu parfait peut-il nous accorder des grâces imparfaites ? Non. Comme la création de toutes choses a eu lieu en même temps que l’ordre qu’il a donné, nous n’avons besoin que de sa volonté pour recevoir la pleine et entière effusion des grâces. Lorsque Dieu agit, ce qui paraît le temps aux yeux des hommes disparaît devant lui par la force de sa volonté. La fin du mal est le commencement du salut.
Nous autres Chrétiens, nous sommes les seuls qui soyons parfaits dès notre début dans la carrière. Nous vivons aussitôt que nous nous sommes soustraits à l’empire de la mort. Le salut consiste à suivre Jésus-Christ, parce que ce qui est en lui est la vie. « En vérité, en vérité, je vous le dis ; celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il ne sera point condamné. » Il a passé de la mort à la vie. Ainsi la perfection dans la vie repose sur la foi et sur la régénération. Dieu, en effet, n’est jamais ni faible ni impuissant. Comme donc sa volonté est l’ouvrage même de ses mains, et que sa volonté s’appelle le monde, ainsi sa volonté est le salut de l’homme, et cette volonté s’appelle l’Église. Il a connu, dès le commencement, ceux qu’il a appelés et sauvés. Ils ont été appelés et sauvés tout à la fois. « C’est Dieu lui-même, dit l’apôtre, qui vous a instruits. » N’est-ce pas un crime de penser que ceux qu’il instruit restent imparfaits ? Ce que nous apprenons de lui, c’est l’éternel salut que nous recevons de notre éternel rédempteur à qui grâces en soient rendues dans les siècles des siècles. Amen. À peine sommes-nous baptisés que les ténèbres qui nous aveuglaient se dissipent et que la lumière de Dieu nous éclaire.
Nous sommes semblables à ceux qui viennent de s’éveiller d’un profond sommeil, ou plutôt à ceux qui, faisant tomber une taie de dessus leurs yeux, ne se donnent point pour cela la faculté visuelle qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de se donner, mais rendent la liberté à leur prunelle en la débarrassant de l’obstacle qui empêchait la lumière d’y pénétrer. Ainsi le baptême, en nous lavant de nos péchés, qui sont comme d’épaisses ténèbres, ouvre notre âme à l’esprit divin. L’œil de notre âme devient aussitôt clair et lucide ; l’Esprit saint descend en nous, et nous voyons clairement les choses divines. Nous sommes capables d’apercevoir les choses éternelles et la lumière éternelle. Le semblable cherche son semblable ; ce qui est saint est naturellement porté à aimer celui qui est la source de la sainteté, et proprement appelé la lumière. « Car, vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur. » C’est pour cela, je pense, que les anciens Grecs appelaient l’homme phôta, c’est-à-dire lumière. Mais, disent-ils, il n’a point encore reçu la plus parfaite des grâces. J’en conviens ; mais il marche dans la lumière, et les ténèbres ne l’arrêtent point dans sa marche. Il n’y a point de milieu entre la lumière et les ténèbres. La résurrection est la fin dernière des croyants. Il ne s’agit d’autre chose pour eux que de recueillir le fruit de la promesse. La fin et les moyens ont l’un et l’autre une époque différente. Comme le temps et l’éternité ne sont point une seule et même chose, non plus que le deuil et la jouissance. Il est vrai que l’un conduit à l’autre, et qu’ils n’ont tous deux qu’une visée. Mais je dirai que le désir est la foi qui prend naissance dans le temps, et que la jouissance est la possession de la promesse qui durera dans les siècles des siècles. Le Seigneur nous révèle lui-même la stabilité de l’état du salut : « Quiconque voit le fils et croit en lui a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. »
Nous sommes parfaits autant que nous pouvons l’être en ce monde, que Jésus-Christ appelle ici le dernier jour, et dont la durée est subordonnée à la volonté de son Créateur. La foi est la perfection de la doctrine. « Celui qui croit au fils a la vie éternelle. » Si donc la vie éternelle est le prix de la foi, peut-on dire qu’il y ait quelque chose au-dessus de la possession de ce prix ? La nature de la foi est d’être entière et parfaite. S’il lui manquait quelque chose, elle ne serait point ; elle ne peut être faible et défectueuse. Elle n’attend pas les croyants dans l’autre monde ; c’est dans celui-ci qu’elle leur donne des arrhes à tous et indistinctement ; en sorte que c’est pour avoir cru d’abord dans ce monde ce qui arrivera à la résurrection, que nous serons récompensés ; afin que cette parole s’accomplisse : « Qu’il vous soit fait selon votre foi. » La foi suppose nécessairement une promesse ; la perfection de la promesse est son accomplissement. La lumière donne la science, la science produit le repos, repos éternel dont la possession satisfait et termine nos désirs. Comme l’inexpérience est corrigée par l’expérience, et le doute détruit par la certitude, les ténèbres le sont nécessairement par la lumière. Les ténèbres sont cette ignorance qui nous entraîne dans le péché en fermant nos yeux à la vérité ; la lumière est cette science qui dissipe l’ignorance et nous communique la faculté de voir. Vous le voyez, rejeter le mal c’est déjà connaître le bien. Le bandeau que l’ignorance avait attaché sur nos yeux est arraché par la science ; les liens qui nous retenaient dans le mal sont brisés, d’un côté, par la foi de l’homme ; d’un autre côté, par la grâce de Dieu.
Le baptême, comme un remède souverain, guérit nos péchés ; oui, tous sans exception, et il en fait disparaître jusqu’à la moindre trace. Il arrive, par la grâce de la lumière qui se répand en nous, que nous ne sommes plus les mêmes qu’avant d’avoir reçu le baptême. Si la science nous apparaît en même temps que la lumière, si la lumière vient tout à coup illuminer notre esprit, si, de grossiers et ignorants que nous étions tout à l’heure, nous méritons en un instant d’être à appelés disciples, est-ce là un effet de l’instruction que nous avons reçue ? Il serait difficile d’en marquer le temps. L’instruction que nous recevons par le sens de l’ouïe nous conduit à la foi. La foi nous est enseignée par le Saint-Esprit, en même temps que nous recevons le baptême. Que la foi, en effet, soit l’universel salut du genre humain, et que la justice et la bonté de Dieu se communiquent également à tous les hommes, l’apôtre saint Paul nous l’assure en ces termes : « Or, avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la loi, qui nous retenait pour nous préparer à la foi qui devait être révélée. » Ainsi la loi a été d’abord notre Pédagogue en Jésus-Christ, afin que la foi nous justifiât. La foi étant venue, la loi n’est plus notre Pédagogue.
Ne savez-vous pas que nous ne sommes plus sous l’empire de cette loi sévère qui nous gouvernait par la crainte, et que nous sommes, au contraire, sous la conduite du Verbe, qui est le Pédagogue du libre arbitre ? L’apôtre ajoute ensuite des paroles qui nous font voir que Dieu n’a aucune acception de personne : « Vous êtes tous enfants de Dieu, par la foi, en Jésus-Christ. Car vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ. Il n’y a plus de juif ni de gentil, d’esclave ni d’homme libre, plus d’homme ni de femme ; car vous êtes tous un en Jésus-Christ. » Non-seulement les vrais gnostiques et ceux qui ne forment qu’une âme avec le Verbe, mais tous ceux qui ont rejeté loin d’eux les désirs charnels, sont égaux devant Dieu et vivent dans son esprit. Le même apôtre écrit ailleurs : « Car nous avons été baptisés dans le même esprit pour faire un seul corps, soit juifs ou gentils, soit esclaves ou libres, et nous buvons tous du même breuvage. »
Il n’est point hors de propos ici d’emprunter les paroles et le sentiment de ceux qui veulent que le retour au bien provienne de ce que l’âme est purgée de ses souillures ; en sorte que revenir au bien ou quitter le mal serait la même chose. Car, de ce qu’un homme se tourne vers le bien, il suit nécessairement qu’il doit se repentir d’avoir mal fait ; il est donc ramené à la vertu par le repentir. C’est ainsi que nous-mêmes, touchés du repentir de nos fautes, et renonçant au péché et à ses suites désastreuses, nous sommes lavés par le baptême, et que nous courons à la lumière éternelle, comme des enfants à leur père. C’est encore pour cela que notre Sauveur s’écrie, transporté d’une joie sainte : « Je vous rends gloire, mon père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux petits. » Il nous appelle enfants et petits, parce que nous sommes plus disposés à marcher vers le salut que les sages du monde ; ces faux sages, qui, fiers de leur sagesse, s’aveuglent eux-mêmes dans les fumées de leur orgueil. Il s’écrie donc, dans un transport de joie, et comme étant lui-même au nombre de ces enfants chéris : « C’est justice, ô mon père, puisque telle est votre volonté. » De là vient que ce qu’il a caché aux sages et aux prudents du siècle, il l’a révélé aux enfants. Nous sommes donc à juste titre enfants de Dieu, nous qui, après avoir dépouillé le vieil homme, quitté la tunique du vice, et revêtu l’incorruptibilité de Jésus-Christ, afin de devenir un peuple nouveau et saint, conservons l’homme pur et incorruptible, régénérés que nous sommes et purifiés de la souillure du vice, comme des nourrissons de Dieu.
L’apôtre saint Paul a décidé cette question en termes fort clairs, lorsqu’il a dit, dans sa première épître aux Corinthiens : « Mes frères, ne soyez point sans prudence et sans discernement comme les enfants ; mais soyez comme des enfants pour le vice, et comme des hommes faits pour la prudence. » Ces expressions du même apôtre, dont il se sert en parlant de lui-même : « Quand j’étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant ; » ces mots signifient la conduite qu’il menait, sous l’empire de l’ancienne loi, alors que ses paroles et ses actions n’étaient pas celles d’un homme simple ; mais celles d’un insensé ; alors qu’il persécutait les disciples du Verbe, qu’il outrageait le Verbe lui-même par des injures et des blasphèmes. Il faut remarquer ici que le mot nêpios, qui veut dire enfant, se prend aussi dans le sens de fou ou insensé. « Mais lorsque je suis devenu homme, ajoute-t-il, je me suis dégagé de tout ce qui était de l’enfance. » L’apôtre ne parle point ici d’un âge moins avancé, ni du temps que la nature a fixé à la vie de l’homme. Il ne fait point allusion à ces sciences profondes et abstraites où les hommes faits peuvent seuls atteindre ; il ne méprise pas non plus cette véritable enfance, dont, au contraire, il annonce le nouveau règne dans tous ses écrits. Mais il appelle enfants ceux qui, soumis à la loi, sont troublés par de vaines craintes, comme les enfants le sont par des masques de théâtre. Au contraire, il nous appelle hommes faits, nous qui, maîtres de notre volonté, obéissons au Verbe et croyons en lui ; nous qui, sauvés par son choix volontaire, n’éprouvons pas de folles terreurs, mais une crainte sage et réglée. L’apôtre rend témoignage de cette vérité, lorsqu’il dit que les Juifs sont héritiers, suivant l’ancien Testament ; et nous, suivant la promesse : « Je dis plus : Tant que l’héritier est encore enfant, il ne diffère en rien du serviteur, quoiqu’il soit le maître de tous ; mais il est sous la puissance des tuteurs et des curateurs jusqu’au temps marqué par son père ; ainsi nous, lorsque nous étions encore enfants, nous étions assujettis aux premiers éléments qui ont été enseignés au monde. Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son fils formé d’une femme et soumis à la loi, afin qu’il rachetât ceux qui étaient sous la loi, et que nous devinssions par lui enfants de Dieu. »
Voyez comme il appelle enfants ceux qui sont soumis à la crainte et au péché, comme il appelle fils, et ensuite hommes faits ceux qui vivent sous la foi, afin de les mieux distinguer des enfants ; c’est-à-dire de ceux que la loi gouverne. « Aucun de vous, dit-il au même endroit, n’est plus esclave, mais fils ; et s’il est fils, il est aussi héritier par la grâce de Dieu. » Que manque-t-il donc au fils qui hérite ? Voici l’explication qu’on peut donner à ces paroles de saint Paul : « Quand j’étais encore enfant, c’est-à-dire quand j’étais Juif (l’apôtre, en effet, était juif de naissance), je pensais en enfant, parce que je suivais la loi ; lorsque je suis devenu homme, je me suis dégagé de tout ce qui était de l’enfance, c’est-à-dire de la loi. Maintenant je pense en homme, c’est-à-dire d’une manière digne du Christ, que l’Écriture appelle l’homme par excellence, comme nous l’avons déjà dit ; je me suis dégagé de tout ce qui était de l’enfance. » Mais l’enfance, selon le Christ, est la perfection. Nous devons donc ici défendre notre enfance contre l’enfance de la loi ; et ici nous devons encore donner l’interprétation des paroles suivantes du même apôtre : « Je vous ai fait boire du lait comme à des enfants dans le Christ ; je ne vous ai pas donné une autre nourriture parce que vous n’en étiez pas alors capables ; et à présent même vous ne l’êtes pas encore. » Je ne crois pas qu’il faille entendre cette parole d’une manière judaïque, et je lui opposerai cet autre passage de l’Écriture : « Je vous conduirai dans une terre fertile où coulent le lait et le miel. » Un doute extrême naît de la comparaison de ces deux passages. Si le commencement de la foi en Jésus-Christ est l’enfance désignée par le lait, et si cette enfance doit être méprisée comme futile et de nul prix, comment se fait-il que le repos accordé après le festin à l’homme parfait et au vrai Gnostique soit figuré par le lait, qui semble ne devoir être que le soutien de l’enfance ? Ne pourrait-on pas éclaircir la difficulté que présentent ces deux passages, en lisant le premier de la manière suivante : « Je vous ai donné un breuvage en Jésus-Christ, » et ajouter, après un court intervalle, « comme à des enfants, » afin que de la séparation que j’indique dans la prononciation il résulte ce sens : Je vous ai instruits en Jésus-Christ, j’ai fait couler dans votre âme une nourriture simple, naturelle, spirituelle, telle qu’est le lait, qui est la nourriture des animaux, jaillissant de mamelles pleines d’amour, comme une fontaine de sa source. Ainsi, on entendra le passage de l’apôtre de la manière suivante : « Comme les nourrices prodiguent leur lait aux enfants naissants ; ainsi que je vous ai nourris du Verbe, du lait de Jésus-Christ, en versant dans votre âme une nourriture spirituelle. »
Le lait est donc le plus parfait des aliments, et il conduit à la vie éternelle. De là vient que l’Écriture nous promet le lait et le miel après la cessation de nos fatigues. C’est avec justice également que le Seigneur promet le lait aux justes, afin de prouver que le Verbe est deux choses tout à la fois, l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. Il semble qu’Homère ait deviné, comme malgré lui, cette nature mystérieuse du lait, lorsqu’il donne aux hommes vertueux, un nom qui signifie qu’ils se nourrissent de lait. On peut encore prendre dans le même sens cette parole du même apôtre : « Et moi, mes frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ; et comme des enfants en Jésus-Christ. » L’apôtre entend par les personnes spirituelles ceux qui croyaient déjà au Saint-Esprit, et par les personnes charnelles, les catéchumènes, qui n’étaient pas encore purgés de leurs anciennes erreurs. Il les appelle charnels, parce que leurs pensées, comme celles des Gentils, étaient encore des pensées selon la chair. « Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n’est-il pas visible que vous êtes charnels et que vous vous conduisez selon l’homme ? » C’est donc pour cela qu’il leur dit : « Je vous ai nourris de lait, » c’est-à-dire j’ai répandu en vous, par une instruction, des connaissances qui vous serviront de nourriture pour la vie éternelle. Ce mot, je vous ai donné à boire du lait, est le symbole de la félicité parfaite qu’ils attendent. En effet, les hommes faits boivent, et les enfants tètent. « Mon sang, dit le Seigneur, est un véritable breuvage. » Lors donc que l’apôtre dit qu’il nous a donné à boire du lait, n’est-il pas clair qu’il veut parler de cette joie parfaite, c’est-à-dire la connaissance de la vérité qu’on trouve dans le Verbe, qui est notre lait, notre nourriture ? Ces mots qu’il ajoute, « je ne vous ai pas nourris de viandes solides, parce que vous n’en étiez pas encore capables, » peuvent signifier, sous la figure d’une plus forte nourriture, cette grande révélation qui aura lieu dans la vie future, lorsque nous verrons Dieu face à face. – « Car maintenant, dit le même apôtre, nous voyons comme à travers un miroir, nous verrons alors face à face. » Poursuivant le même sujet, il ajoute : « Mais vous ne le pouvez pas maintenant, car vous êtes encore charnels. Vos pensées, vos désirs, vos amitiés, vos jalousies, vos colères enfin sont toutes charnelles. » Car nous ne serons plus alors dominés par la chair, comme quelques-uns l’ont pensé, mais ayant avec notre chair un visage semblable à celui des anges, nous verrons la promesse face à face.
Comment donc, si l’accomplissement de cette promesse nous attend au sortir de la vie, comment peuvent-ils se vanter de savoir « des choses que l’œil n’a point vues, que l’esprit humain ne saurait comprendre, » puisque tout ce qu’ils savent ils l’ont appris par le ministère des hommes plutôt que par le ministère du Saint-Esprit ? Comment comprendraient-ils ces mystères qui n’ont été révélés qu’à celui qui fut ravi au troisième ciel, mystères impénétrables qu’on lui ordonna de couvrir d’un profond silence ? Mais si c’est la sagesse humaine qui les fait parler, et c’est le seul motif que nous puissions leur prêter, ne peut-on pas dire qu’ils tirent une vaine gloire de leur science ? Écoutez la règle que prescrit l’Écriture : « Que le sage ne se glorifie point dans sa sagesse, ni le fort dans sa force ; mais que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur. » Nous donc que le Seigneur a instruits, nous nous glorifions dans le nom du Christ. Comment donc ne pas supposer que l’apôtre a parlé ici du lait que l’on donne aux enfants, puisque nous sommes les pasteurs qui gouvernons les églises à l’image du bon pasteur, et que vous êtes les brebis qui nous sont confiées ? En disant que le Seigneur est le lait du troupeau, ne dit-on pas allégoriquement qu’il en est le gardien ? Mais appliquons de nouveau notre esprit au véritable sens de ces paroles : « Je ne vous ai nourris que de lait, et non point d’une nourriture solide, parce que vous n’en étiez pas alors capables. » C’est-à-dire que vous ne soupçonniez pas qu’il y eût d’autre nourriture que le lait qui est cependant une nourriture aussi substantielle que les autres. Car le Verbe est tour à tour doux et fluide comme le lait, tour à tour compacte et resserré comme les autres aliments. En y réfléchissant bien, nous comparerons le lait à la prédication de la parole divine qui coule et se répand de tous côtés, et la nourriture solide à la foi qui, aidée de l’instruction, devient le fondement inébranlable de toutes les actions. Par cette nourriture, notre âme se change pour ainsi dire en un corps ferme et solide. Telle est la nourriture dont le Seigneur nous parle dans l’évangile selon saint Jean, lorsqu’il nous dit : « Mangez ma chair et buvez mon sang. » Cette nourriture est une image évidente de la foi et de la promesse. Par ce breuvage et cet aliment l’Église, semblable à un homme formé de plusieurs membres, est arrosée et solidifiée. Elle nourrit son corps et son âme : son corps, de foi ; son âme, d’espérance. Elle devient comme le Seigneur, qui est un composé de chair et de sang. L’espérance est le sang de la foi, c’est elle qui l’anime et la fait vivre dans notre âme. Détruisez l’espérance, la vie de la foi s’éteint comme celle d’un homme qui perd son sang.
Si quelques personnes veulent s’opiniâtrer à dire que l’apôtre, sous le symbole du lait, a entendu parler des premières instructions qui sont comme la première nourriture de l’âme, et que par les aliments plus solides il a entendu les connaissances spirituelles qui leur servent de degré pour arriver à une plus haute science, qu’ils sachent, lorsqu’ils disent que la chair et le sang de Jésus-Christ sont une nourriture solide, que cette science, dont ils sont si vains, les abuse. Le sang est, en effet, la première chose qui se fasse dans la formation du corps de l’homme. C’est même pour cela que quelques philosophes n’ont pas craint de le regarder comme l’essence de l’âme. Le sang, après que la femme a conçu, change de nature comme par une espèce de coction. Il s’épaissit, il se décolore, il perd de la vie. L’amour matériel croît en même temps pour assurer l’existence de l’enfant. Le sang est plus fluide que la chair ; car il est comme une espèce de chair liquide, et le lait est la partie la plus douce, et la plus subtile du sang. Cependant il n’est que du sang qui a changé de forme : ou c’est le sang que la mère fournissait dans son sein au fœtus par l’étroit canal qui sert à nourrir l’enfant, ou c’est le sang de l’écoulement mensuel qui, trouvant fermé son passage ordinaire, monte vers les mamelles qui commencent de là à se gonfler, par l’ordre de Dieu, auteur de la génération et qui nourrit tout : là, changeant de nature, à l’aide d’une douce chaleur, il s’élabore en une nourriture très-agréable à l’enfant. Le lait provient donc du sang. De toutes les parties du corps, il n’y en a point qui aient autant de rapports ensemble que la mamelle et l’utérus. Lorsque, par suite de l’accouchement, le canal qui servait à transmettre la nourriture à l’enfant se trouve coupé, le sang ne reprend pas pour cela son ancien cours ; mais il s’élance avec impétuosité vers les mamelles, il les gonfle, il les tend par la quantité d’humeurs qu’il y amasse ; et alors il se forme en lait, à peu-près comme nous voyons le sang se changer en pus à la surface d’un ulcère. Partant des veines nombreuses qui traversent en tous sens les mamelles, le sang se réfugie dans les réservoirs naturels ou se forme le lait. Ce sang, agité par les esprits vitaux, blanchit comme blanchissent les vagues de la mer lorsque bouleversées par le souffle impétueux des vents, elles vomissent leur écume sur le rivage. Cependant la substance du sang ne change pas, pour nous servir de l’expression des poètes.
C’est ainsi que l’eau des fleuves, lorsqu’elle est emportée par un courant rapide et qu’elle lutte contre les vents, se change à sa surface en une blanche écume qui rejaillit au loin sur ses rives. C’est ainsi que la salive blanchit dans notre bouche sous l’influence de notre haleine. Qu’y aurait-il donc d’extraordinaire à prétendre que le sang pût prendre cette couleur éclatante à l’aide de la chaleur intérieure ? Le lait ne change pas de substance, mais de qualités ; et certes vous ne trouverez pas d’aliment qui soit plus nourrissant, plus doux et plus blanc que le lait. Le lait est donc semblable en tout à la nourriture spirituelle, qui est douce comme la grâce, nourrissante comme la vie, blanche comme le Christ. Nous avons déjà prouvé que le sang du Verbe possède toutes les propriétés du lait. Le Christ nous offre son sang de la même manière que le lait est fourni à l’enfant après l’accouchement. Les mamelles, qui se tenaient droites et fermes, il semble qu’elles soient instruites à lui présenter une nourriture facile à prendre, nourriture élaborée précédemment par la nature. C’est ainsi que le fidèle puise le lait du salut. Les mamelles ne sont pas pleines d’un lait disposé d’avance, comme les sources qui contiennent une onde pure : le lait s’y élabore à mesure que les aliments changent de nature, et il en jaillit. C’est ainsi que Dieu, nourricier et père de tous les êtres engendrés et régénérés, prépare de ses propres mains la nourriture la plus convenable à l’enfant nouveau-né ; comme la manne, aliment céleste des hommes, était répandue du haut du ciel pour les anciens hébreux. De là vient sans doute que les nourrices donnent encore aujourd’hui le nom de manne au premier lait qui s’épanche de leur sein. Au reste, les femmes enceintes, lorsqu’elles deviennent mères, donnent naturellement du lait. Notre Seigneur Jésus-Christ, le fruit d’une vierge, n’appelle point heureuses les mamelles d’une femme. Il n’en tire point sa subsistance : mais, envoyé du haut du ciel, comme une rosée, par un père plein de bonté et d’amour pour les hommes, il se donne lui-même aux hommes sages, comme une nourriture spirituelle.
Ô miracle mystique ! Il n’y a qu’un Père, un Verbe, un Saint-Esprit. Ce Dieu unique est le père de tous les êtres, et il est présent par tout. Il n’y a qu’une mère qui soit vierge, c’est l’Église, à qui j’aime de donner ce nom. C’est la seule mère qui n’ait point eu de lait parce qu’elle est la seule qui n’ait point été femme. Elle est tout ensemble vierge et mère, pure comme une vierge, tendre comme une mère. Elle appelle et réunit autour d’elle ses enfants, qu’elle nourrit du lait de sa parole ; elle n’a point eu de lait parce que le corps de Jésus-Christ est la nourriture qu’elle donne à ses enfants, à ce peuple nouveau que les souffrances du Seigneur ont produit, dont lui-même a enveloppé le corps naissant et qu’il a lavé de son sang précieux. Ô saint enfantement ! ô soins admirables ! le Verbe est tout pour l’enfant à qui il a donné la naissance. Il est son père et sa mère, son Pédagogue et sa nourrice. « Mangez ma chair, nous dit-il, et buvez mon sang. » C’est la nourriture exquise que le Seigneur nous donne : il offre sa chair, il verse son sang, afin que ses enfants ne manquent de rien pour se nourrir et pour croître.
Ô mystère qui surpasse la raison. Il nous ordonne de dépouiller l’homme charnel et corrompu ; de nous abstenir des anciens aliments, afin que, participant à la nouvelle nourriture qu’il nous a préparée, et le recevant lui-même dans notre sein, lui notre Père et notre Sauveur, nous puissions par sa présence purifier notre âme des passions ! Désirez-vous de ces mystères une explication moins savante et plus commune ? Écoutez ce que je vais vous dire. Le Saint-Esprit, qui a formé la chair du Sauveur, est le symbole de la chair ; le sang nous désigne le Verbe. Le Seigneur, qui est à la fois l’esprit et le Verbe, car le Verbe s’est répandu dans la vie, comme un sang riche et fécond, le Seigneur est la réunion du Verbe et de l’Esprit. Le Seigneur, qui est à la fois l’Esprit et le Verbe, est la nourriture des enfants. Cet aliment est notre Seigneur Jésus-Christ ; cet aliment est le Verbe de Dieu ; cet aliment est l’Esprit fait chair, la chair céleste sanctifiée, le lait du Père, la seule nourriture des enfants ; le Verbe qui est notre ami et notre nourricier, dont le sang a coulé pour nous, le Sauveur de l’humanité, par qui nous croyons en Dieu, par qui nous courons nous désaltérer à la mamelle du Père, dont le lait nous fait oublier nos peines. C’est lui seul qui dispense à ses enfants le lait de l’amour. Heureux, véritablement heureux ceux qu’il abreuve et nourrit de cette mystérieuse boisson !
Voilà pourquoi l’apôtre saint Pierre disait : « Dépouillez-vous donc de toute sorte de malice, de tromperie, de dissimulation, d’envie et de médisance ; et comme des enfants nouvellement nés, désirez le lait spirituel, afin qu’il vous fasse croître pour le salut, si toutefois vous avez goûté combien le Seigneur est doux. » Nos adversaires prétendent-ils que le lait n’est point un aliment solide ? il est facile de leur prouver qu’ils se trompent et qu’ils n’ont pas bien étudié les opérations mystérieuses de la nature. Lorsque l’hiver resserre les pores du corps, et ne laisse à la chaleur intérieure aucune issue pour s’exhaler, les aliments bien digérés portent une grande abondance de sang dans les veines, d’autant plus que le corps ne perd rien par la transpiration. De là vient que les nourrices ont plus de lait en cette saison qu’en toute autre ; car nous avons prouvé un peu plus haut que le sang se change en lait dans les femmes enceintes, sans que ce changement altère en rien sa substance. Il en est de même de la chevelure des vieillards, qui devient blanche, de blonde qu’elle était auparavant. Pendant l’été, au contraire, les pores étant plus ouverts, cette circonstance est cause que la nourriture se digère plus rapidement ; aussi le lait est moins abondant, et le sang pareillement, parce que la nourriture n’y contribue pas tout entière.
Si les aliments préparés par la chaleur naturelle se changent en sang, et si le sang se convertit en lait, on ne peut nier que le sang ne soit la matière première du lait, comme le vin vient de la vigne. À peine sommes-nous sortis du sein de nos mères, qu’on nous donne du lait, symbole de la nourriture dont le Seigneur fait vivre nos âmes ; à peine sommes-nous régénérés, que nous sommes bercés de l’espérance du repos dans la céleste Jérusalem qu’on nous annonce, où il doit pleuvoir du miel et du lait, suivant l’Écriture : marquant ainsi par un aliment matériel la nourriture spirituelle qui nous est promise. « Car le corps ne s’y nourrira point d’aliment, » comme dit l’apôtre. Mais la nourriture dont il est parlé ici sous l’emblème du lait, nourrit les habitants de la cité céleste et ceux qui conduisent les chars des anges, et elle a pour objet de nous ouvrir les portes du ciel. Comme le Verbe est une source d’où jaillit la vie, et qu’il est appelé un fleuve d’huile, c’est pour continuer cette allégorie que saint Paul lui donne avec raison le nom de lait, et qu’il ajoute : « Je vous ai donné à boire. » Car le Verbe se boit ; le Verbe, nourriture de vérité. La boisson est certainement un aliment liquide ; la même substance peut fournir à boire et à manger, selon les diverses manières de l’envisager ; le lait condensé sert d’aliment, le lait liquide sert de boisson. Je ne veux point présentement chercher d’autres exemples ; il me suffit de dire que la même substance peut donner deux espèces d’aliment. Le lait seul suffit pour nourrir les petits enfants ; il les désaltère et les nourrit. « J’ai à manger, dit le Seigneur, d’une nourriture que vous ne connaissez point ; ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé. » Voici donc encore une autre espèce de nourriture, allégorique comme le lait, la volonté de Dieu.
Bien plus, il a donné le nom de calice aux souffrances destinées à sa passion ; à ce calice amer qu’il devait boire seul et jusqu’à la lie. Ainsi la nourriture de Jésus-Christ, c’était l’accomplissement de la volonté de son Père. À nous autres qui sommes enfants, à nous autres qui suçons en quelque sorte le lait du Verbe, le Christ est notre nourriture. Les Grecs se servent du mot masnusai, pour exprimer l’action d’un enfant qui cherche la mamelle de sa mère. Nous ressemblons à ces enfants, lorsque nous recherchons le lait du Verbe, dont la tendresse pour nous est inépuisable. Enfin le Verbe déclare lui-même qu’il est le pain des cieux : « En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel ; mais mon Père vous donne le véritable pain du ciel ; car le pain de Dieu, c’est celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde. Le pain que je vous donnerai est ma chair, ma chair que je donnerai pour la vie du monde. » Remarquez ici le mystère de ce pain que Jésus-Christ appelle sa chair. Comme un grain de blé est ensemencé, et pourrit avant de s’élever en épi, de même elle sortira du tombeau. Elle sera également une nourriture qui comblera l’Église de joie, comme le blé, lorsqu’il se trouve transformé en pain par la cuisson.
Mais nous traiterons plus ouvertement de cette matière au livre de la résurrection. Le Seigneur a dit : « Le pain que je vous donnerai, c’est ma chair. » Or, la chair est arrosée par le sang, à qui l’on donne allégoriquement le nom de vin. Il faut savoir que le pain, coupé par petits morceaux et jeté dans du vin trempé, attire le vin à lui et laisse l’eau. Ainsi la chair du Seigneur, qui est le pain des cieux, attire le sang ; c’est-à-dire qu’elle nourrit pour l’incorruptibilité ceux qui aspirent au ciel, et qu’elle abandonne à la corruption les passions charnelles. On représente le Verbe sous plusieurs allégories. On l’appelle chair, pain, sang, lait, tout ce qui nourrit et désaltère, parce que le Seigneur se donne à nous qui croyons en lui, sous toutes ces formes, pour nous faire jouir de lui. Qu’on ne me blâme donc point de donner le nom de lait au sang de notre Seigneur, puisque l’Écriture lui donne aussi le nom de vin : « Celui qui lave sa robe dans le vin et son manteau dans le sang de la vigne. » L’Écriture dit qu’elle aimera dans son esprit le corps du Verbe, comme elle nourrira dans son esprit ceux qui ont faim du Verbe. Que le sang fait le Verbe ou la parole, cela est prouvé par le sang d’Abel, qui crie vers Dieu. Le sang n’élèverait point la voix, si le sang n’était pas le Verbe. L’ancien juste est l’image et le type du nouveau juste ; l’ancien sang qui crie vengeance, crie vengeance pour le nouveau. Le sang qui est le Verbe, interpelle Dieu, pour indiquer les souffrances futures du Verbe.
Mais la chair et le sang qui est en elle sont arrosés de lait, en retour de ce qu’ils le produisent, et lui doivent une nouvelle reproduction. Car la formation de l’enfant, dans le sein de sa mère, a lieu par suite du mélange de la semence de l’homme avec le sang de la femme, après la purification mensuelle. Cette semence a la faculté de réunir le sang en globules autour d’elle, comme la présure fait coaguler le lait, et forme enfin une substance, qui devient le corps de l’enfant, ni trop froide, ni trop ardente ; une nature bien tempérée est généralement productive ; les tempéraments dont les qualités sont extrêmes, sont une cause de stérilité. C’est ainsi que le grain pourrit dans une terre trop délayée par les eaux, et qu’il se flétrit dans une terre excessivement sèche. Au contraire, une terre où les sucs abondent, ni trop humide, ni trop ferme, conserve le grain et le fait pousser. Quelques naturalistes établissent que la semence des animaux est l’écume de leur sang. Aussi Diogène Apolloniate a appelé ces opérations aphrodisia, mot qui veut dire provenant de l’écume.
Il est donc clair, d’après ce que nous venons de dire, que le sang est la substance du corps humain. D’abord, le sang déposé dans l’utérus est une espèce de substance humide et laiteuse. Cette substance devient compacte et se fait chair ; elle devient embryon et prend vie. C’est le même sang qui nourrit l’enfant, lorsqu’il a vu le jour. Il est dans la nature du sang de couler en lait. Le lait est la source de la nourriture pour l’enfant. C’est la marque par où l’on connaît qu’une femme est véritablement mère, et le principe de cette tendresse naturelle qu’elle a pour ses enfants. C’est pourquoi le Saint-Esprit, qui était dans l’apôtre, nous dit mystiquement en se servant du langage du Seigneur : « Je vous ai donné du lait à boire. » Si, en effet, nous sommes régénérés dans le Christ, celui qui nous a régénérés nous nourrit du lait qui lui est propre, c’est-à-dire de sa parole. Car il est juste que celui qui donne la vie prenne aussitôt le soin de nourrir l’enfant à qui il l’a donnée. Comme cette régénération est toute spirituelle, il faut aussi que la nourriture le soit. Nous sommes donc intimement unis à Jésus-Christ ; d’abord, nous sommes ses parents et ses alliés par son sang, qui lui a servi à nous racheter ; nous sympathisons avec lui par la parole dont il nous nourrit ; enfin, nous serons incorruptibles, si nous voulons suivre ses institutions. « Il arrive souvent que les nourrices ont pour les enfants qui leur sont confiés un amour plus vif et plus tendre que les véritables mères de ces enfants. » Ce sang donc, qui est la même substance que le lait est le symbole de la passion et de la doctrine de Jésus-Christ.
Chacun de nous est donc en droit de se glorifier d’être enfant de Dieu et de s’écrier : « Je me glorifie d’être issu d’un bon père et d’un sang illustre. » Il est évident que le lait se forme du sang, comme nous l’avons déjà prouvé. Ce qui arrive aux vaches et aux brebis en est encore une autre preuve. En effet, ces animaux, durant la saison du printemps, où l’air est plus humide et où les herbes qui les nourrissent, tout imprégnées de rosée, ont plus de suc, se remplissent d’abord de sang, comme on peut le voir à la grosseur des veines de leurs mamelles entièrement tendues. Cette abondance de sang produit aussi une grande abondance de lait. Au contraire, en été, leur sang, brûlé et desséché par la chaleur, fournit peu de lait : aussi les traites sont-elles moins abondantes qu’au printemps. Il y a de grands rapports entre le lait et l’eau, comme entre la nourriture spirituelle et le baptême spirituel. Les personnes qui mêlent un peu d’eau froide dans leur lait en éprouvent de suite d’heureux résultats. L’affinité qui existe entre l’eau et le lait ne permet pas à ce dernier de s’aigrir, à cause de l’espèce de sympathie que ces deux liqueurs ont entr’elles. Il y a entre le lait et l’eau le même rapport à peu près qu’entre le Verbe et le baptême. Le lait qui est celui de tous les liquides qui supporte le mieux le mélange de l’eau, purifie le corps de l’homme, comme le baptême purifie l’âme par la remise des péchés. On mêle encore le lait et le miel, et ce mélange est une nourriture agréable pour le corps et le purge en même temps. Le Verbe, la parole tempérée par l’amour des hommes, nous guérit tout-à-la fois de nos passions et nous purge de nos vices. Ces paroles : « Ses discours couleront plus doux que le miel, » me paraissent pouvoir être appliquées au Verbe, qui est le miel. Les prophètes, en mille passages, élèvent la douceur du Verbe au-dessus de celle d’un rayon de miel. On mêle enfin le lait avec le vin doux. Ce mélange est fort salutaire pour le corps : il me présente l’image des passions corrigées par une union avec la pureté. Le vin attire les sérosités du lait et tous les corps étrangers qui pourraient le troubler et l’altérer. Telle est aussi l’union spirituelle de la foi avec l’homme qui est sujet aux passions. Elle étouffe la malignité de ses concupiscences charnelles, le conduit à l’éternité et lui fait partager l’immortalité de Dieu. Il en est qui se servent de la partie grasse du lait qu’on appelle beurre pour nourrir le feu de leur lampe. C’est encore une allégorie représentant la miséricorde infinie du Verbe lumineux qui seul nourrit, fait accroître, et éclaire les enfants. C’est pour cela que l’Écriture dit du Seigneur : « Il les a nourris des productions des champs ; ils ont exprimé avec leur bouche le miel de la pierre et l’huile du rocher, le beurre des vaches et le lait des brebis et la graisse des agneaux. » Et plus loin on lit : « voici ce qu’il leur a donné. » Un autre prophète prédisant la naissance de l’enfant, disait : « Il mangera le beurre et le miel. » Je me surprends souvent à admirer l’audace de ceux qui ne craignent pas de se regarder comme parfaits et vrais Gnostiques, qui sont enflés de leur vaine science, et qui ont d’eux-mêmes une opinion beaucoup plus haute que l’apôtre n’avait de son propre mérite. Voyez, en effet, ce qu’il dit : « Non que j’aie déjà atteint jusque-là, ou que je sois déjà parfait, mais je poursuis ma course pour tâcher de parvenir où Jésus-Christ m’a destiné en me prenant. Non, mes frères, je ne pense point être encore arrivé au but. Mais tout ce que je prétends, c’est qu’oubliant ce qui est derrière moi et m’avançant vers ce qui est devant moi je m’efforce d’atteindre le but pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ. » L’apôtre ne se croit parfait que parce qu’il a renoncé à son ancienne vie pour s’attacher à une meilleure ; il ne se vante point d’avoir des connaissances parfaites, mais il désire la perfection. Voilà pourquoi il ajoute : « Nous donc qui voulons être parfaits soyons dans ce sentiment, » nous donnant ainsi à entendre que la perfection consiste à renoncer au péché et à être régénéré dans la loi de celui qui est seul parfait pour marcher dans une voie tout-à-fait différente de celle qu’on a laissée par-derrière soi.