Le Pédagogue

LIVRE PREMIER

CHAPITRE V

Tous ceux qui marchent dans les voies de la vérité sont enfants de Dieu.

Il n’est pas besoin d’expliquer que la pédagogie a pour but la conduite des enfants, c’est-à-dire leur instruction ; l’étymologie seule de ce mot le prouve assez. Mais il nous reste à examiner quels sont les enfants dont parle l’Écriture, et à les placer sous la direction d’un Pédagogue. Ces enfants, dont parle l’Écriture, c’est nous. Elle nous donne souvent le nom d’enfants, employant à ce sujet une foule d’allégories diverses qui expriment toutes la même pensée, pour nous faire voir sous plus d’une forme quelle doit être la simplicité de notre foi. « Comme le Seigneur, nous dit l’Évangile, se fut arrêté sur le rivage, il adressa ces paroles à ses disciples qui étaient occupés à pêcher : Mes enfants, n’avez-vous là rien à manger ? » Le Seigneur appelle ici ses enfants ceux que l’usage et une longue habitude de vivre avec eux lui ont rendus familiers. « Alors, nous dit encore l’Évangile, on lui présenta de petits enfants, afin qu’il leur imposât les mains et qu’il les bénit. Or, ses disciples les repoussaient ; mais Jésus leur dit : Laissez ces petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent. » Le Seigneur nous explique le sens de sa pensée, lorsqu’il nous dit ailleurs : « Si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » Il ne parle point ici d’une régénération allégorique, il parle de la simplicité qui est naturelle aux enfants et il nous recommande de devenir simples comme eux. L’esprit prophétique nous désigne également sous le nom d’enfants de Dieu. Voyez ce que dit l’Évangile : « Une foule d’enfants coupait des branches d’olivier et de palmier ; et, sortant au-devant du Seigneur, ils s’écriaient : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » C’est-à-dire, lumière, gloire, louange et supplications au Seigneur ! car tel est le sens du mot hosanna, si on le traduit de l’hébreu en grec.

Il me semble que l’Évangile a cité la prophétie qui précède pour nous faire honte de notre paresse et de notre lenteur. Vous l’avez certainement remarqué : « C’est de la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle, que vous avez fait sortir mes louanges. » C’est encore pour cette raison que le Seigneur, prêt à se rendre auprès de son Père, excite ses disciples à l’écouter plus attentivement, et s’efforce de leur inspirer un plus ardent amour de ses instructions, leur faisant sentir qu’il ne tardera pas à les quitter, et qu’en conséquence ils doivent dévorer avec plus d’avidité la parole de la vérité, et se hâter de jouir de sa présence, tant qu’il n’est pas encore parti pour le ciel. De nouveau donc, il les appelle ses petits-enfants. « Mes petits-enfants, leur dit-il, je suis avec vous pour peu de temps encore. » Il compare de nouveau le royaume des cieux à des enfants assis dans la place publique et qui crient à d’autres enfants : « Nous avons joué de la flûte pour vous, et vous n’avez point dansé ; nous avons pleuré et vous n’avez point gémi. » Vous trouvez dans l’Évangile mille autres passages semblables et conformes à celui-ci. Mais ce sentiment n’est pas seulement celui de l’Évangile ; il est encore celui des prophètes. Écoutez ce que dit David : « Enfants, louez le Seigneur ; louez le nom du Seigneur. » Écoutez encore ce que l’Esprit saint met dans la bouche d’Isaïe : « Me voici, et les enfants que Dieu m’a donnés. »

Vous vous étonnez que le Seigneur appelle des gentils ses enfants ; vous ignorez sans doute que les Attiques, qui ont un nom différent pour les filles libres et les filles esclaves, les réunissent cependant quand elles sont jeunes sous une appellation commune, à cause de la fleur de leur âge. Lorsque le Seigneur nous dit que les agneaux seront à sa droite, il entend de simples enfants, plus semblables en effet à des agneaux et à des brebis qu’à des hommes. Le Seigneur a donné la préférence à ce terme d’agneau, pour faire voir que, dans l’homme, la douceur et la simplicité d’esprit sont la marque de l’innocence. De même, lorsqu’il nous compare à des veaux qui tètent leur mère, à une colombe innocente et sans fiel, ce sont des figures qu’il emploie pour nous désigner. Tantôt il nous ordonne par la bouche de Moïse d’offrir en expiation de nos péchés deux petits de colombes ou une paire de tourterelles. Il nous donne cet ordre afin de nous faire sentir que l’innocence du jeune âge, l’inexpérience du mal, la facilité à oublier les injures, si naturelle aux enfants, sont des vertus infiniment agréables à Dieu ; le semblable s’expie par son semblable. La timidité naturelle aux colombes est une image de la crainte que le péché doit nous inspirer. Que le Seigneur nous appelle ses petits, l’Écriture l’atteste assez lorsqu’elle s’exprime ainsi : « Comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes. » De cette manière nous sommes les petits du Seigneur ; et ce terme de tendresse dont se sert le Verbe, ce terme tiré de la faiblesse de l’enfance exprime d’une manière mystique et admirable quelle doit être la simplicité de notre âme. Il n’est point de nom doux et tendre que le Seigneur ne nous donne et qu’il ne répète à chaque instant. Mes enfants, mes petits, mes petits-enfants, mes fils ; mes chers fils, peuple récent, peuple nouveau. « Un nouveau nom, dit-il, sera donné à mes serviteurs. » Nouveau, c’est-à-dire éternel, sans souillure, simple, ingénu, véritable, couvert de bénédictions sur toute la face de la terre.

Il nous appelle encore allégoriquement de jeunes poulains, voulant dire que nous ne sommes pas soumis au joug du vice, et que nous n’avons point été domptés par la malice ; voulant dire que nous sommes simples, et que nous bondissons seulement pour courir vers notre Père ; que nous vivons dans l’heureuse ignorance de ces passions furieuses qui rendent l’homme semblable aux bêtes ; que notre âme est libre et innocente comme celle des enfants qui viennent de naître, que nous courons vers la foi et la vérité ; que nous sommes prompts pour arriver au salut ; que nous méprisons et foulons aux pieds les richesses et les voluptés du monde. « Tressaille d’allégresse, fille de Sion ; pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ; voilà que ton roi vient vers toi, juste, doux et sauveur, monté sur une ânesse et sur le fils de l’ânesse. » L’Écriture ne se contente pas de se servir du terme d’ânon, elle ajoute que cet ânon était né depuis peu, exprimant ainsi avec simplicité comment le Christ est nouveau selon la chair, et éternel selon sa génération divine. Comme le Seigneur dirige cet animal faible et timide, il nous donne à nous qui sommes ses enfants, la nourriture et la direction qui nous conviennent. L’enfance de cet animal est l’image de la nôtre. « Il attacha, dit l’Écriture, l’ânon à la vigne. » C’est-à-dire qu’il attache au Verbe un peuple simple et nouveau. C’est le Verbe qui est la vigne ; comme la vigne produit le vin, le Verbe donne son sang ; et de ces deux breuvages salutaires à l’homme, l’un nourrit son corps, l’autre guérit son âme et la sauve. Qu’il nous appelle ses agneaux, l’Esprit saint le témoigne par la bouche d’Isaïe : « Il gouverne son troupeau comme un pasteur vigilant ; il rassemble ses agneaux et les presse dans ses bras. » Les agneaux, qui sont ce qu’il y a de plus timide et de plus doux dans tout le troupeau, sont une figure allégorique de cette simplicité enfantine qui plaît au Seigneur.

Nous-mêmes, nous donnons à ce qu’il y a de plus beau et de plus précieux parmi les biens de ce monde, à l’éducation, des noms dont l’étymologie est tirée du mot enfant, et nous honorons du nom de Pédagogie, gouvernement de l’enfance, l’art qui, ayant pour but l’étude de la vertu, nous apprend à la pratiquer. Le Seigneur lui-même nous révèle tout ce qu’il y a de grand et de noble dans la qualification d’enfants qu’il nous donne, lorsqu’il résout la question qui s’était élevée entre les apôtres : « Quel est le plus grand dans le royaume des cieux ? » Car, ayant placé un petit enfant debout au milieu d’eux, il leur dit : « Quiconque s’humiliera comme ce petit enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux ? » Ce n’est donc pas, comme plusieurs l’ont pensé, parce que les enfants sont incapables de réfléchir et de faire usage de leur raison que le Seigneur nous les présente pour modèles, et il faut bien se garder d’entendre en ce sens ces autres paroles : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. » Non, cette interprétation serait extrêmement vicieuse. Depuis que nous sommes les enfants du Seigneur, nous ne nous traînons plus dans la fange ; nous ne rampons plus sur la terre comme des serpents ; c’est-à-dire que nous ne nous livrons pas tout entiers, comme auparavant, à la bassesse des grossiers appétits de notre corps ; notre âme s’élance vers le ciel. Nous avons renoncé au monde et au péché ; nous ne touchons plus la terre que du bout du pied ; et il semble que nous ne soyons encore dans ce monde que pour marcher à la poursuite de cette sagesse divine que les méchants regardent comme une folie.

Ne connaître que Dieu seul pour père, être simple, ingénu, innocent, sans artifice, sans détours, tels sont les caractères de la véritable enfance. Aussi est-ce à ceux qui sont déjà avancés dans la doctrine du Verbe que le Seigneur ordonne de rejeter loin d’eux tout souci importun des choses nécessaires à la vie, et d’imiter les petits enfants qui laissent ce soin à leur père. C’est dans ce sens qu’il faut entendre les paroles suivantes : « Ne vous inquiétez point pour le lendemain ; à chaque jour suffit sa peine. » C’est-à-dire quittez tout soin inutile, attachez-vous seulement à votre père. Votre père vous donnera tout ce dont vous aurez besoin. Celui qui accomplit ce précepte est véritablement enfant ; il l’est aux yeux du monde et aux yeux de Dieu. Le monde, en effet, le méprise comme un insensé ; Dieu l’aime comme son enfant. S’il n’y a qu’un seul maître, comme dit l’Écriture, et si ce maître est dans le ciel, il en résulte nécessairement que ceux qui sont sur la terre ne doivent porter que le nom de disciples. Qui le peut nier ? La science et la perfection sont l’apanage du Seigneur ; l’ignorance et la faiblesse sont le nôtre. À Dieu la charge d’instruire ; à l’homme, celle d’apprendre.

Cependant les prophètes donnent le nom d’homme à tout ce qui est parfait, c’est-à-dire achevé, consommé soit dans le bien, soit dans le mal. La prophétie dit par la bouche de David, en parlant du démon : « Le Seigneur abhorre l’homme de sang. » David lui donne le nom d’homme parce que le démon est parfait et consommé dans le mal. Le nom d’homme est aussi donné au Seigneur pour exprimer la perfection de sa justice. Voici, en effet, ce que dit l’apôtre dans une de ses épîtres aux Corinthiens : « Je vous ai fiancés à cet unique époux, qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure. » Il s’explique encore plus clairement dans son épître aux Éphésiens, et il y éclaircit en ces termes la question qui nous occupe : « Jusqu’à ce que nous parvenions tous par l’unité de la foi et de la connaissance du fils de Dieu, à être l’homme parfait et à atteindre la nature complète de l’âge de Jésus-Christ, afin que nous ne soyons plus flottants comme des enfants et que nous ne nous laissions plus emporter à tout vent de doctrine par la malice des hommes et par l’adresse qu’ils ont à nous envelopper dans l’erreur ; mais que, proférant le langage de la vérité en toute charité, nous croissions en Jésus-Christ. » L’apôtre s’exprime ainsi pour arriver à l’édification du corps de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est la tête et l’homme en quelque sorte, le seul qui soit parfait et consommé dans la justice. Mais nous, qui sommes des enfants, nous devons prendre garde d’être emportés par les vents de l’hérésie et ne point ajouter foi aux paroles de ceux qui nous instruisent d’une manière contraire aux doctrines de nos pères. Le seul moyen de devenir parfaits est d’accepter Jésus-Christ pour notre chef, et de faire partie de son Église.

Je dois faire remarquer ici, à propos du terme d’enfant, nêpios, qu’on ne donne pas ce nom aux insensés ; on les appelle nêputioi. Quand on dit nêpios, c’est la douceur qu’on veut exprimer. Nêpios est composé de la syllabe nê et de êpios, qui veut dire doux. C’est ce que le bienheureux saint Paul exprime clairement en ces termes : « Lorsque nous aurions pu vous être à charge comme apôtres de Jésus-Christ, nous avons été doux (êpioi) au milieu de vous, semblables à des petits enfants qu’une nourrice échauffe sur son sein. » L’enfant est naturellement simple et doux ; mais ceux qui sont enfants selon Dieu ajoutent à cette douceur une simplicité qui ignore la ruse et la dissimulation, un cœur plein de droiture et d’élévation. C’est là le véritable fondement de la simplicité et de la vérité. « Sur qui arrêterai-je mes regards, dit le Seigneur, si ce n’est sur l’homme doux et tranquille ? » Les jeunes gens parlent avec une franchise en quelque sorte virginale ; on ne remarque dans leurs discours ni ruse ni dissimulation. De là vient que nous avons coutume d’appliquer aux jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, des épithètes qui expriment la flexibilité et la douceur de leur caractère. Quant à nous, ce n’est point la faiblesse de notre âge qui nous rend semblables aux enfants, mais la facilité avec laquelle nous nous laissons persuader et conduire au bien, l’absence de toute espèce de fiel et de tout mélange de perversité. L’ancienne génération est perverse et a le cœur dur ; la nouvelle l’a simple et innocent comme celui d’un enfant. C’est nous, dis-je, qui sommes cette génération nouvelle, et l’apôtre exprime vivement combien lui plaisent cette simplicité et cette innocence, lorsque, dans son épître aux Romains, il définit, pour ainsi dire, en ces termes, le véritable caractère de l’enfance : « Je désire que vous soyez sages dans le bien et simples dans le mal. »

Dans le mot nêpios, qui veut dire enfant, la particule nê n’est point privative, quoique les grammairiens décident que telle est ordinairement la force de cette particule. Si donc quelques personnes, se fondant sur le sens faux qu’ils attribuent au mot nêpios, nous traitaient d’insensés, ce serait Dieu lui-même qu’ils blasphémeraient, en regardant comme des insensés ceux qui se réfugient dans le sein de Dieu. Si, au contraire, en nous appelant nêpious, ils veulent parler de notre simplicité, nous acceptons volontiers leur qualification. La simplicité de l’enfance remplace en nous l’orgueil de la raison, depuis que les lumières du nouveau Testament nous ont éclairés. Nous devons depuis peu au Christ la véritable connaissance de Dieu. « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. » Nous sommes donc un peuple nouveau, distingué de l’ancien peuple. Nous sommes jeunes, parce que nous avons appris à connaître les nouveaux biens. Nous trouvons dans la loi nouvelle une source intarissable de vie, une jeunesse qui ne connaîtra jamais la vieillesse, une vigueur sans cesse renaissante pour nous élever à la connaissance de Dieu, une paix imperturbable. Il est nécessaire, en effet, que les disciples d’un Verbe nouveau soient nouveaux comme lui, et que ceux qui s’attachent à celui qui est éternel deviennent incorruptibles aussi bien que lui. Notre vie ressemble à un printemps perpétuel, parce que la vérité qui est en nous ne connaît point la vieillesse, et que cette vérité, qui se répand dans toutes nos actions, nous renouvelle sans cesse.

La sagesse qui nous éclaire est comme un arbre toujours vert. Cette sagesse est éternellement la même, loin d’être changeante et variable. « Les enfants, dit le prophète, seront portés entre ses bras et consolés sur ses genoux. Comme une mère console son enfant, ainsi je vous consolerai. » De la même manière qu’une mère rassemble ses enfants autour d’elle, ainsi nous nous réunissons autour de l’Église qui est notre mère. Tout ce qui est jeune et faible encore nous inspire un vif intérêt, nous charme, nous touche, nous attendrit par cette faiblesse même qui réclame nos secours. Nous sommes naturellement disposés à soulager les êtres qui ont besoin de nos soins. Comme donc les pères et les mères ne voient rien de plus doux que leur progéniture ; les chevaux, leurs jeunes poulains ; les vaches, leurs petits veaux ; les lions, leurs lionceaux ; la biche, son faon ; l’homme, son enfant : ainsi le Père commun de tous les êtres reçoit avec plaisir ceux qui se réfugient dans son sein. Les voyant pleins de douceur et régénérés par le Saint-Esprit, il les adopte comme ses enfants, il les aime, il les secourt, il combat pour eux, il les défend et leur donne le doux nom de fils. Isaac me semble être l’image des véritables enfants ; le nom d’Isaac veut dire le rire. Un jour qu’il jouait avec Rebecca, son épouse et son soutien, un roi examinait leurs jeux avec une curieuse attention. Ce roi, dont le nom était Abimélech, me semble être l’image de cette sagesse, bien au-dessus de celle du monde ; sagesse qui se plaît à étudier les mystères renfermés dans les jeux et l’éducation des enfants. Le nom de Rebecca se traduit par celui de patience. Quels jeux aimables ! quelle sage instruction ! le rire est secouru par la patience, et le roi, qui les considère, s’étonne et admire l’esprit de ceux qui sont enfants selon Dieu, et dont toute la vie est un exercice de patience et de douceur. Ces jeux renferment je ne sais quoi de mystérieux et de divin.

Héraclite suppose que son dieu Jupiter jouait ainsi. Quoi de plus convenable, en effet, à un homme sage et parfait, que de jouer, pour ainsi dire, et de se réjouir dans l’attente des biens véritables, et de célébrer des fêtes en l’honneur de Dieu ! Cette prophétie peut signifier encore que nous devons nous réjouir, comme Isaac, à cause de notre salut. Délivré de la crainte de la mort, il joue avec son épouse, image de l’Église qui est notre soutien, pour nous aider à nous diriger vers le salut. On donne à l’Église le nom d’upomonê, qui signifie patience, stabilité, soit qu’on veuille dire par là qu’elle demeure éternellement dans une joie inaltérable, soit qu’on exprime qu’elle se soutient par la patience et la constance des fidèles qui la composent, et qui, membres de Jésus-Christ, rendent constamment témoignage à sa divinité par de perpétuelles actions de grâces. Ce serait donc là ce jeu mystérieux de la joie et de la patience pour consoler et soutenir les fidèles tout à la fois. Jésus-Christ, qui est notre roi, contemple nos jeux du haut de sa gloire, et lorsque, pour me servir des termes de l’Écriture, il voit à travers la fenêtre nos actions de grâces, nos bénédictions, notre joie, cette patience qui prête son appui à tout, l’ensemble enfin, la réunion de toutes ces choses, il reconnaît son Église, et, lui montrant sa face, il lui donne la perfection qui lui manquait.

Mais quelle est cette fenêtre au travers de laquelle se montre le Seigneur ? Cette fenêtre est la chair dont il s’est revêtu. Lui-même est Isaac ; car Isaac (nous pouvons encore le prendre en ce sens) est le type et la figure du Seigneur, comme enfant et comme fils. Il est en effet le fils d’Abraham, comme le Christ est le fils de Dieu. Victime offerte en holocauste comme le Seigneur ; quoique son sacrifice n’ait pas été accompli, ainsi que celui du Christ, il a porté le bois qui devait le consumer comme Jésus-Christ le bois de sa croix. Son rire mystérieux exprime la joie dont le Seigneur doit nous remplir en nous délivrant de la corruption et de la mort par l’effusion de son sang. Isaac n’est point immolé, afin de laisser au Seigneur la plus noble part du sacrifice. On peut même dire qu’en ne mourant pas, il fait voir la divinité et l’immortalité du Christ. De même qu’Isaac échappe à la mort, de même Jésus-Christ sort du tombeau, victorieux et impassible.

Je citerai encore un autre passage qui appuie et défend, on ne peut mieux, le sujet que je traite. Le Saint-Esprit, prophétisant par la bouche d’Isaïe, donne le nom d’enfant à Jésus-Christ : « Voilà qu’un enfant nous est né ; un fils nous est donné ; il porte sur son épaule le signe de sa domination et est appelé l’ange du grand conseil. » Quel est cet enfant ? C’est celui que nous imitons en nous faisant enfants. L’Esprit saint, par la bouche du même prophète, nous raconte et nous fait admirer la grandeur de cet enfant divin. Il l’appelle l’admirable, le conseiller, Dieu, le fort, le Père éternel, le prince de la paix. Il lui donne ce nom, parce qu’il sait compléter notre éducation, et que la paix qu’il apporte au monde n’aura point de fin. Quelle puissance dans ce Dieu ! quelle perfection dans cet enfant ! Comment les instructions que nous recevons de cet enfant ne seraient-elles pas parfaites, ces instructions, dis-je, qu’il nous donne comme Pédagogue, à nous qui sommes ses enfants ? Il étend sur nous ses mains, ses mains qui ont répandu la foi dans le monde. Saint Jean, le plus grand des prophètes entre les enfants des femmes, rend aussi témoignage de cet enfant : « Voici, dit-il, l’agneau de Dieu. » Et, en effet, l’Écriture qui donne le doux nom d’agneau aux petits enfants, donne également au Verbe qui est Dieu, qui s’est fait homme à cause de nous, et qui a voulu nous ressembler en tout, le nom d’agneau de Dieu, de fils de Dieu, d’enfant du Père.

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