Stromates

LIVRE PREMIER

CHAPITRE VI

C’est l’éducation, non la nature, qui le plus souvent nous rend vertueux. La science est d’un grand secours pour nous porter à la vertu.

Cette ardeur est d’un grand secours pour s’élever à la contemplation des choses qu’il faut étudier. Or, les choses perceptibles à l’intelligence sont de trois natures différentes : Les quantités distinctes, les quantités continues, et les pensées à formuler par la parole. L’ensemble de preuves qui en résulte produit dans l’esprit de l’auditeur une foi si solide, qu’il n’a pas même la pensée que ce qu’on lui a démontré puisse être autrement ; et l’effet est d’empêcher que le néophyte ne succombe aux séductions des sophistes. Ainsi donc, par ces études préalables, l’âme se dégage des sens, s’embrase, se purifie, afin de pouvoir tôt ou tard pénétrer jusqu’à la vérité. Cette éducation de l’esprit, ces heureuses connaissances que l’on conserve créent de bonnes natures, qui vont toujours s’améliorant pour en produire d’autres encore meilleures qu’elles-mêmes, ainsi qu’il arrive dans la reproduction des autres êtres. Voilà pourquoi il est dit : Paresseux, va vers la fourmi, et deviens plus sage qu’elle. Durant la moisson, elle met en réserve, pour braver les menaces de l’hiver, une abondante nourriture, composée de provisions de toute espèce ; ou bien encore : Va vers l’abeille, vas apprendre quelle est son ardeur au travail ; elle-même, dépouillant de leur suc toutes les fleurs de la prairie, en forme un seul rayon. Mais, si vous priez dans votre chambre, pour obéir au Seigneur, qui nous a dit de l’adorer en esprit, ce n’est plus seulement de l’administration de votre maison que vous devez vous occuper, c’est de l’administration de votre âme. Il faut examiner ce que vous lui donnerez, quand et comment vous le lui donnerez ; quelles choses vous lui tiendrez en réserve ou vous amasserez en elle ; car ce n’est pas la nature, mais l’éducation qui nous rend bons et honnêtes, comme elle fait les médecins et les pilotes. Tous, nous voyons également la vigne et le cheval ; mais le laboureur sait si la vigne peut ou non produire, et le marchand de chevaux reconnaît facilement si le cheval qu’il a devant les yeux est lent ou rapide. Sans doute les résultats obtenus dans certaines études par ceux qui tiennent de la nature des facultés supérieures, nous montrent qu’il est des hommes dont l’esprit est naturellement plus propre que d’autres à la vertu ; mais ils ne prouvent nullement que la perfection de la vertu se trouve dans ces organisations privilégiées, puisque ceux même qui sont doués d’une nature contraire à la vertu parviennent à la pratique des vertus les plus éminentes, s’ils obtiennent et reçoivent les enseignements convenables ; tandis que, d’autre part, ceux dont la nature était propre a la vertu tombent dans le vice par le défaut d’éducation et par la négligence. En nous créant, Dieu a mis en nous les principes de la justice et nous a faits pour la société ; mais ce n’est pus à dire pour cela que le juste se forme par l’effet seul de ce don originel. Il faut admettre que l’éducation fait jaillir en nous les étincelles de bien que le Créateur y a déposées ; notre âme apprenant d’un maître à choisir le bien et à le préférer au mal. Mais de même que sans étude on peut être fidèle, de même sans être instruit de la foi on peut comprendre tout ce qu’elle enseigne. Ce n’est pas la foi pure et simple, mais la foi appuyée sur la science, qui sait admettre les saines doctrines et rejeter les mauvaises. Mais si l’on m’objecte que l’ignorance et le défaut d’instruction donnent, aussi bien que la science, l’intelligence des choses divines et humaines, je répondrai : De même que l’on peut bien vivre dans la pauvreté, on peut également bien vivre au milieu des richesses. Et nous disons encore qu’avec le secours d’une instruction préalable, on s’avance plus rapidement et plus facilement dans la carrière de la vertu, bien qu’on puisse arriver au terme sans un pareil secours. Mais que ne peuvent pas ceux qui ont été pourvus de ce secours, et qui ont l’intelligence plus exercée !

« Les contestations allument la haine, dit Salomon, mais la science garde les voies de la vie ; afin que nous ne soyons ni trompés, ni circonvenus à notre insu par les artifices de ceux qui ne cherchent qu’à perdre leurs auditeurs. Quiconque dédaigne la science, erre ça et là. »

Il faut donc étudier la dialectique pour repousser les arguments captieux des sophistes. Et Anaxarque, surnommé l’heureux, a eu raison d’écrire dans son livre de la Royauté :

« Une grande érudition peut être fort utile à celui qui la possède ; elle peut également lui être fort nuisible. Elle est utile à celui qui en est digne ; elle est nuisible à celui qui la prodigue à la foule, sans choix et sans retenue. Il faut savoir parler à propos ; telle est la fin de la sagesse. Mais tous ceux qui haranguent sur les places publiques, leur bouche prononçât-elle les choses les plus sensées, ne sont pas réputés sages ; ils font acte de folie. »

Hésiode a dit que

« Les muses donnaient au poète la fécondité, l’inspiration, la voix retentissante. »

Il entend par la fécondité, l’abondance des paroles ; par la voix retentissante, la force et la véhémence ; et par l’inspiration divine, l’expérience du vrai philosophe, la connaissance de la vérité.

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