Stromates

LIVRE PREMIER

CHAPITRE VII

La philosophie ouvre à l’homme une route vers le ciel. Elle n’est pas particulière à une secte, mais éclectique.

Il est donc évident que les études préparatoires des Grecs nous viennent de Dieu avec la philosophie elle-même, non pas comme but principal, mais comme les eaux de la pluie qui tombent indistinctement sur la bonne terre, sur le fumier et sur le toit des maisons. L’herbe et le froment poussent de la même manière ; le figuier croit même sur les tombes ; et s’il est quelque arbre encore plus hardi, il s’élève aussi. Et ces productions du hasard ont quelquefois plus d’apparence que les véritables, car elles participent également aux bienfait de la pluie ; mais elles n’ont pas le même privilège que les productions nées dans le sol fertile, puisqu’elles sèchent et qu’on les arrache. La parabole de la semence, expliquée par notre Seigneur, revient très-bien à notre sujet. Le seul laboureur du champ qui est dans l’homme, c’est celui qui, depuis la création du monde, répand d’en haut les semences nutritives, celui qui, dans tous les temps, a fait pleuvoir sur les hommes le verbe divin. Mais la différence des temps et des sols qui l’ont reçu est la cause des différences qui se trouvent entre les productions sorties du même germe. Et d’ailleurs le laboureur ne sème pas seulement du froment (bien qu’il en existe de plusieurs sortes), il sème encore de l’orge, des fèves, des pois, et la graine des légumes et des fleurs que l’on cultive dans les jardins. C’est la même agriculture qui s’occupe des plantations, des jardins et des vergers, enfin, des soins qui font naître et qui nourrissent toutes sortes d’arbres. De même il n’y a pas seulement la science de faire paître les brebis ; il y a encore celle de faire paître les bœufs, celle de nourrir et de dresser les chevaux et les chiens, celle d’élever les abeilles ; et pour tout dire en un mot, celle de soigner les troupeaux et de nourrir les animaux ; toutes sciences qui diffèrent plus ou moins les unes des autres, mais qui sont toutes utiles à la vie d’ici-bas. Je ne donne le nom de philosophie, ni à la doctrine stoïcienne, ni à celle de Platon, ni à celle d’Épicure, ni à celle d’Aristote ; mais seulement au choix qui se compose des meilleures maximes professées par chacune de ces écoles sur la justice, la science et la piété. Tout ce que les sophistes ont pris à la philosophie humaine en l’altérant, je n’en ferai jamais l’ouvrage de Dieu. Voyons ceux qui n’ont pas la science de bien vivre : il leur arrive par fois de faire le bien ; mais il en est qui marchent avec connaissance de cause vers la parole de vérité, comme vers un but. Or, Abraham n’a pas été justifié par ses œuvres, mais par sa foi. Ainsi donc, toutes leurs bonnes œuvres ne leur serviront de rien pour le salut, s’ils n’ont pas eu la foi. Dieu a permis que les saintes Écritures fussent traduites en grec, afin de leur ôter tout prétexte d’avoir ignoré la vérité qu’il leur était facile de connaître, il leur suffisait de le vouloir. Autre chose est d’entendre discourir quelqu’un sur la vérité, autre chose est d’entendre la vérité s’expliquer elle-même. Autre chose est d’avoir une conjecture sur la vérité, autre chose est de la posséder ; autre chose est l’image, autre chose est la réalité. Il est une science qui s’obtient par le travail ; il en est une qui est le fruit de la foi. La doctrine qui nous enseigne la piété est un don, comme la foi est une grâce ; dès lors que nous faisons la volonté de Dieu, nous la connaissons.

« Ouvrez-moi donc, dit l’Écriture, les portes de la justice, afin que j’y entre et que je célèbre le Seigneur. »

Mais les voies qui mènent à la justice sont nombreuses et variées (car Dieu, dans sa bonté, emploie divers moyens pour sauver les hommes), et tous nous conduisent à la voie et à la porte du Seigneur. Si vous demandez la voie royale et avouée par Dieu même, il vous sera répondu :

« Voici la porte du Seigneur, c’est par elle que les justes entreront. »

Toutes les portes de la justice aboutissent à celle qui mène au Christ, et dans laquelle tous les bienheureux sont entrés et ont marché selon la sainteté et la science. Saint Clément, dans son épître aux Corinthiens, fait en ces termes l’énumération des différentes voies que suivent ceux que l’Église honore :

« Que l’un soit simple fidèle, qu’un autre sache expliquer les vérités saintes ; que celui-là soit habile dans le choix des paroles ; que celui-ci étonne par ses œuvres. »

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