François Coillard T.2 Missionnaire au Lesotho

IV
au natal
1867-1868

Le travail à Ifoumi — L’évêque Colenso. — Dans l’attente. — En exil. — Les églises de France. — Samuel. — Voyage dans le Natal. — Visite de Kémuel et de Makotoko. — Nouvelles de Léribé. — Coup de foudre. — Nouvelle maladie. — Sauvé et consacré à nouveau. — Séjour à Pietermaritzburg. — Le réveil à Léribé. — Impossibilité du retour à Léribé. — Appel à Motito. — Décision. — Départ. — Utilité du séjour au Natal.

Coillard attend les directions de la Providence ; quoiqu’il eût profondément souffert de la fourberie de Molapo et de l’ingratitude de son peuple, son cœur est resté à Léribé d’où il reçoit constamment de bonnes nouvelles ; l’œuvre s’y poursuit en l’absence du missionnaire. Par moments, il désespère de pouvoir jamais y retourner.

A Ifoumi, Mme Coillard s’est chargée de l’école fréquentée par une quarantaine d’enfants ; lui-même, à côté de l’œuvre parmi les Zoulous, consacre cinq heures par jour à instruire de jeunes Bassoutos qui l’ont suivi. Au dire d’un de ses collègues américains, Coillard apprit le zoulou avec une rapidité surprenante. « Il n’y avait pas trois mois qu’il était dans le pays qu’il composait un sermon en zoulou : c’était le premier d’une série sur l’enfant prodigue ; il fut très bien compris des noirs. Dès lors, il se mit de tout son cœur à l’œuvre, s’occupant de tous les départements, comme si cette œuvre eût été la sienne. » Un autre de ses collègues ajoute : « Je ne connais personne chez qui les fruits de l’Esprit soient aussi manifestes. Sa manière d’être avec les quelques Bassoutos qui étaient avec lui m’a vivement frappé ; sa bonté, sa courtoisie dans ses rapports avec eux étaient remarquables. »

Ifoumi, 8 février 1867.

« Nous sommes depuis presque un an à Natal, ce petit coin du monde rendu célèbre par les hérésies de Colensoa. Vous serez peut-être étonné si je vous dis que, lors de notre arrivée à Maritzburg, il est venu nous visiter ; il m’a offert ses ouvrages, et a essayé de nous arracher la promesse de le visiter à sa demeure épiscopale, car ce n’est pas un palais. Il a près de six pieds de haut, un visage portant l’empreinte de l’étude, et des manières attrayantes. C’est ce que les Anglais appellent un parfait gentleman, et je ne m’étonne pas que plusieurs de ses adhérents s’attachent plus à sa personne qu’à ses doctrines.

a – John-William Colenso, évêque anglican de Natal, né en 1814, mort en 1883. Déposé de son siège par l’évêque du Cap, pour ses opinions hétérodoxes, il en appela de ce jugement, et la polémique qui en résulta amena une scission dans l’église anglicane sud-africaine.

Sa prédication est des plus captivantes. Je suis allé l’entendre un dimanche soir, et je dois dire que j’eusse été émerveillé de son discours, si j’avais pu sympathiser avec ce qu’il nous enseignait. Ce fameux discours était une confession de foi, ou plutôt une dénégation de foi. Il commença par une apothéose de la science qui, de nos jours, a fait de tels progrès, qu’elle nous permet de démêler la vérité chrétienne de la masse de préjugés et de traditions qui l’étouffent. Dieu est amour, voilà tout le christianisme. Avons-nous besoin qu’une doctrine sanguinaire vienne sceller une vérité que tout nous prêche dans la nature, ou que Dieu condescende à nous parler par le moyen d’un parchemin ? Hélas ! l’ignorance a enfanté bien des idoles qui ont encombré le temple de Dieu et nous ont séparés de Dieu. Il est temps de savoir à quoi s’en tenir au sujet de Jésus-Christ ; il est temps de mettre la Bible à sa place, etc. La presse est une des grandes preuves de l’amour de Dieu, parce que, par elle, la vérité se propage. Lui, Colenso, a reçu la mission d’un réformateur. Comme Paul au milieu des Juifs, comme Luther au milieu des ignorants de son siècle, il est honni, persécuté, calomnié ; ses ouvrages sont mis à l’index ; mais le jour viendra où il sera mieux compris, etc. C’était un discours parfaitement blasphématoire, mais qu’on trouva admirable. Le doyen qui lui fait opposition est un puséiste qui n’a plus qu’un pas à faire pour tomber dans le catholicisme ; il est étroit et incapable de lutter avec un homme de science et de dignité comme Colenso. Les églises libres et presbytériennes seules ont de la vie, j’oublie les wesleyens. Nous avons, avec les pasteurs qui les représentent, les rapports les plus fraternels.

Ifoumi est un endroit retiré où nous menons une vie assez calme. Nous travaillons actuellement parmi les Zoulous. Je me suis mis avec courage à l’étude de leur langue ; le Seigneur m’a béni et, bien que je sente encore mon esprit comme à l’étau lorsque je dois prêcher à ces pauvres gens, je le fais pourtant avec assez de facilité. C’est une chose étrange que de parler du Sauveur dans une langue étrangère. En arrivant au Cap, j’ai prêché en français, mais jamais depuis lors. Anglais, sessouto, zoulou, sont les langues dans lesquelles mon esprit doit se replier. Cette station est intéressante. Ces temps d’incertitude et d’attente sont pénibles ; mais le Seigneur ne nous oublie pas. »

« Nous sommes toujours ici comme l’oiseau sur la branche. Le moment ne peut tarder longtemps, ce me semble, où notre avenir doit s’éclairer. Retourner au Lesotho est une question bien grave. Sans parler le moins du monde des dispositions de l’Etat libre, qui me sont probablement plus hostiles qu’à qui que ce soit, à cause des dépositions mensongères de Molapo contre moi et à cause de la publication de ma correspondance avec le président — à laquelle on n’a jamais pu répondre — je ne me sens nullement disposé à disputer ce terrain ingrat aux Hollandais, aux anglicans et aux catholiques. Molapo est dans de fâcheuses dispositions ; il est loin d’être humilié et, dans le double jeu politique qu’il joue à présent, et qui sera sa ruine et celle de toute la tribu, il n’est pas de son intérêt de désirer notre retour. Il avait envoyé son fils Jonathan et un autre jeune homme chez Colenso ; celui-ci ne voulut pas les recevoir, et ils furent obligés de venir chez nous. Nous les avons eus pendant deux mois à notre charge, les nourrissant et leur donnant cinq heures de leçons par jour. Cela blessa tellement l’orgueil de Molapo, qu’il envoya un exprès du Lesotho pour les chercher. Il ne nous fit ni remercier, ni même saluer. Cependant, si c’est notre devoir de retourner à Léribé, et si le Seigneur nous le montre clairement, nous sommes prêts à obéir, quoi qu’il nous en coûte.

Je désirerais bien que le Comité se décidât, sans trop de délai, ou à nous laisser fonder une station dans le Natal, parmi les Zoulous ou parmi les réfugiés Bassoutos, ou qu’il nous envoyât à Maurice, où le champ est vaste et inoccupé, ou ailleurs. Je crois que le nombre des missionnaires qui sont ou pourront retourner au Lesotho suffit abondamment sans nous. Nous sommes encore jeunes, forts et dispos.

C’est pour moi un sujet de reconnaissance envers le Seigneur que je puisse maintenant prêcher assez librement en zoulou, sans avoir à écrire mes sermons. Ma femme s’en tire aussi très bien. Outre une nombreuse école journalière qu’elle dirige avec autant d’entrain que de succès, elle a, chaque semaine, deux réunions de femmes et de jeunes filles chrétiennes. Les Zoulous, supérieurs aux Bassoutos sous plus d’un rapport, sont bien moins sociaux. Cependant, ceux qui nous entourent paraissent s’attacher beaucoup à nous, et si nous avons gagné leur confiance, ils ont aussi gagné notre affection. Il y a quelques âmes d’élite parmi les membres de l’église. La bénédiction de Dieu repose sur cette station et, bien qu’il n’y ait pas eu de réveil éclatant depuis que nous y sommes, il s’y fait silencieusement une œuvre très réjouissante. Plusieurs personnes troublées, hommes, femmes et jeunes filles, sont déjà venues me parler de leur âme.

Notre santé s’est visiblement améliorée depuis que nous sommes ici. Je me sens plus fort qu’autrefois, et tout me porte à croire que j’ai encore quelque chose à faire dans ce monde. »

« Nous sommes encore loin du Lesotho, et toujours en exil, écrit Coillard à un ami, le 3 avril 1867. Si c’était notre Patmos, où le Seigneur nous ferait croître dans les insondables mystères de son amour, ou bien même notre Wartbourg, où nous nous préparerions à de nouvelles luttes et fourbirions nos armes, n’aurions-nous pas lieu de le bénir de toutes ses dispensations ?

Certainement nos afflictions ont été riches en bénédictions, tant pour nous que pour nos chères églises. Les dernières nouvelles du Lesotho parlent encore de guerre. Dans des circonstances pareilles, il est difficile de se prononcer, tant sur l’existence de nos pauvres Bassoutos que sur l’avenir de notre mission. Humainement parlant, notre infortunée tribu semble être à l’agonie ; son gouvernement ne contient que des éléments d’égoïsme, de désunion, qui ont naturellement porté leurs fruits. Notre mission, si le gouvernement vainqueur était humain, verrait encore de beaux jours.

Mais l’œuvre est indépendante de la Mission, et elle prospérera, quand même celle-ci n’existerait plus ; si elle ne se fait pas dans toutes les règles par nos missionnaires, elle se fera par les natifs eux-mêmes. Et qui sait si la gloire de cette maison ne sera pas plus grande que la première ? Le missionnaire est cosmopolite comme saint Paul, et, tout en revendiquant comme lui nos droits auprès d’un gouvernement qui nous persécute, nous devrions être prêts à suivre le Sauveur partout où sa voix nous appelle. Quand les apôtres ont été chassés de Jérusalem, c’est l’ennemi qui a dispersé les charbons du brasier ; il a enflammé le monde, sans éteindre le feu à Jérusalem.

Nous espérons pourtant que le Seigneur nous rouvrira la porte qu’il nous a si mystérieusement fermée. Dès que j’en verrai la possibilité, je laisserai ma femme à Pietermaritzburg, et je m’aventurerai à pénétrer au Lesotho, pour y visiter les églises, nos frères, et surtout Léribé. Nous recevons de temps en temps de bonnes lettres des membres de notre petite église. Tous paraissent pleins d’activité ; les uns se sont chargés de l’école journalière et de l’école du dimanche, selon mes directions ; les autres, alternativement, des réunions du dimanche et de l’évangélisation. Plusieurs personnes se sont données au Seigneur depuis notre départ et ne se taisent pas, mais proclament à leurs concitoyens les grandes choses que le Seigneur a faites à leurs âmes.

Nous devons nous estimer heureux d’avoir trouvé un asile et une œuvre parmi nos frères, les missionnaires américains. Nous nous sommes mis avec courage à l’étude de la langue des Zoulous, et le Seigneur a béni nos efforts. J’aurais pleuré d’émotion et de reconnaissance la première fois que j’ai pu parler à ces pauvres Zoulous d’un Dieu Sauveur qui les aime. Nous bénissons Dieu de ce que nous pouvons travailler en attendant ses directions. »

Les épreuves de la Mission, bien loin de vivifier en Europe le zèle pour cette œuvre, avaient ébranlé l’intérêt de certains amis. Et Coillard écrit dans son journal qu’il reprend à cette époque :

8 mai 1867. — La Société, je le vois par les premiers journaux de France que nous ayons reçus depuis le commencement de la guerre, a une dette de 70 000 francs. Cela m’afflige et me préoccupe. Je me demande si nous entrons bien dans l’esprit de renoncement de notre Maître.

Peu après (28 mai 1867), Coillard écrivait à M. Casalis :

« Lorsque vous étiez parmi les Bassoutos, c’était l’âge d’or ; ils ont bien changé depuis. C’est ce que l’on ne veut pas admettre, en France j’entends, et l’on est tout prêt à jeter la pierre au missionnaire qui, dans l’intimité la plus sacrée, va trop loin dans la voie des révélations. On doute de sa vocation et de son amour pour ce peuple auquel il consacre sa vie. « On ne tient pas à savoir vos épreuves en France, gardez-les pour vous ; ce qu’on veut savoir, ce sont vos succès ! » nous disait quelqu’un. Il y a là de l’exagération, mais la leçon, quelque pénible qu’elle soit, était sans doute utile, et nous tâcherons de la mettre à profit.

Il est bon de vous entendre dire « que les églises nous portent sur leurs cœurs ». Les églises de France ! oh ! qui douterait de l’intérêt qu’elles nous portent ? Nous savons qu’ici et là, il est d’humbles amis, à nous inconnus, qui prient pour nous, et cela nous a soutenus. Mais il nous a été douloureux de nous savoir mal compris et sévèrement jugés, et de nous voir délaissés par quelques-uns. Quoi qu’il en soit, notre attachement pour la Société est aussi sincère que jamais, notre amour pour les Bassoutos n’a jamais été altéré, et notre vocation n’a jamais été ébranlée, bien loin de là ; Dieu le sait.

Les nouvelles que nous recevons de Léribé, les voici : Molapo, nous écrit-on, reste tranquille et apparemment heureux sous le joug de ses nouveaux maîtres. Il s’est emparé de cette maison que nous avions bâtie avec tant de peine, et deux maçons experts la complètent et la transforment pour son propre usage et sa commodité. Une large prison est déjà bâtie là où nous n’avons jamais pu avoir une église ! »

13 mai 1867. — Je suis bien préoccupé de nos enfants : Samuel, pauvre enfant, est très aimable. Joas, lui, nous donne, sous bien des rapports, de la satisfaction, mais il est à un âge critique. Ses progrès sont lents dans ses études. Je prie ardemment pour sa conversion. Quel bonheur si nous le voyions aimer Dieu et se dévouer à l’évangélisation de ses compatriotes. Ma chère femme, elle aussi, prie. Comme tout devient facile et doux avec la prière !

Les affaires du Lesotho, notre avenir, des attaques dans les journaux, me préoccupent beaucoup. Quand pourrai-je rejeter ma charge sur l’Éternel, et le laisser, lui, prendre soin de nous ?

11 mai 1867. — J’ai brûlé la plus grande partie de ma correspondance. A quoi bon les reliques ? Elles s’accumulent tellement ! Mais quel remuement d’impressions, d’émotions, de souvenirs ! Tout mon passé est là devant moi. Que ne puis-je recommencer la vie à seize ans ! Mais non, en avant ! Que d’amis j’ai eus, mais combien peu j’en possède encore ! Pourquoi ? Je n’ai pas su les conserver, et pourtant tous ceux que j’ai aimés, je les aime encore !

Ce séjour mit Coillard en relation avec un grand nombre de missionnaires et l’initia à diverses méthodes. En juin 1867, il se rendit, avec sa femme, aux assemblées annuelles de la mission américaine à Inanda et, au retour, il visita plusieurs stations ; en juillet 1867, il écrit à M. Casalis, se souvenant des décisions prises au Lesotho et que la guerre avait empêché de mettre à exécution :

« Depuis deux ans, nos frères ont ouvert, sous la direction de M. Ireland, une école centrale qui compte déjà vingt-cinq élèves. Nous l’avons souvent visitée, cette école, et nous nous sommes sentis saisis d’une douce émotion en contemplant le commencement de la réalisation d’une grande idée. Là, comme partout, les déceptions nous attendent ; mais évidemment, l’Afrique, si elle doit être évangélisée, doit l’être par ses propres enfants. Réjouissons-nous donc de voir ce nouveau principe appliqué aux missions de ce pays. Avec le temps, il y causera une révolution dont nous pouvons prévoir mais non calculer les conséquences.

Pendant ce petit voyage, nous passâmes quelques jours à Hermannsburg où nous fûmes reçus avec beaucoup d’amabilité. Là nos frères allemands cherchent à réaliser la belle utopie du communisme. On respire parmi eux une atmosphère de piété simple et vraie. L’œuvre de la mission y est en souffrance ; c’est d’ailleurs plus une petite colonie qu’une station de missionnaires. Leur école pour les enfants de la mission est une des meilleures de la colonie. Rien de plus intéressant et de plus instructif que de voir comment diverses nationalités et différentes dénominations comprennent l’œuvre des missions, et de comparer les résultats de leurs systèmes.

Arrivés à Vérulam le lundi 10 juin, dans l’après-midi. C’est un village placé dans la position la plus pittoresque que j’aie jamais vue, sur une colline boisée au pied de laquelle coule une belle rivière. Les wesleyens y ont une des plus belles chapelles du Sud de l’Afrique. Leur influence s’y fait sentir et le peu que nous avons eu à faire avec les marchands de l’endroit, nous a convaincus que le dernier réveil opéré par le moyen de M. Taylor était bien une réalité. Les marchands paraissent sérieux et obligeants. J’avais besoin d’une bouteille de vin ; l’un d’eux me répondit avec quelque dédain que j’en trouverais plus bas, Un autre me répondit : « Nous ne vendons rien de pareil. » Je rougis, craignant qu’on se méprit ou sur mon caractère ou sur mes habitudes, mais l’aubergiste était le seul qui eût une licence pour le débit des liqueurs, et comme je ne me souciais pas d’aller dans un tel lieu, je préférai m’en passer. »

Hermannsburg, 23 juin 1867. — Quel dimanche ! Nous avons assisté à la messe luthérienne, si je puis ainsi dire. L’autel, les bougies, les allées et venues du pasteur, les litanies chantées en répons, tout cela m’a étonné. Cependant une belle idée prédomine en tout cela, que nous avons perdue de vue dans notre culte réformé, c’est l’adoration. Nous allons au prêche, nous, et tout est dit.

M. et Mme Coillard, après une absence de cinq semaines, rentraient à Ifoumi le vendredi 5 juillet. Quelques jours après, ils éprouvaient « une grande surprise et une grande joie » : le jeudi 18 juillet, Kémuel, Makotoko et six autres Bassoutos arrivaient de Léribé pour voir leur missionnaire :

« Je vous laisse à deviner, écrit celui-ci le 27 juillet 1867, si les heures s’écoulaient lentement pendant que nous les écoutions nous donner des nouvelles du Lesotho et particulièrement de notre station.

Les membres de notre petit troupeau ont été en butte a bien des vexations, pour ne pas dire des persécutions. Le chef Molapo a fini par les chasser de la station sous prétexte qu’il avait besoin de celle-ci pour son harem et ses champs. « Dieu, leur disait-il, avec un navrant sarcasme, dans une assemblée publique, serait-il un oiseau qui ne vive que de blé pour que vous persistiez à le prier ici ? Ne pouvez-vous pas le prier chacun pour vous dans les cavernes et sous les rochers des montagnes ? » Nous fûmes heureux d’apprendre que, néanmoins, nos chrétiens ont été fidèles et unis, et qu’ils travaillent à l’évangélisation avec un zèle admirable. L’un d’eux, Josiélé, tient l’école journalière. Pendant longtemps elle fut très bien fréquentée, mais une lettre toute récente de lui nous apprend que les pratiques infâmes de la circoncision viennent de lui enlever le plus grand nombre et les meilleurs de ses élèves.

Il y a quelques mois, il se manifesta dans toute la tribu un désir extraordinaire d’apprendre à lire. Les païens venaient de toutes parts chercher des livres d’épellation, si bien que tous ceux que nous avions laissés et ceux qui furent envoyés des autres stations furent vite épuisés. Malheureusement, l’ennemi ne tarda pas à s’effrayer de ces bonnes dispositions et ne réussit que trop à les étouffer.

Toutefois, quelques personnes furent converties et prouvent par leur constance et une conduite irréprochable la sincérité de leur profession. Makotoko lui-même, que nous avions laissé travaillé dans son âme, a depuis longtemps trouvé la paix et s’est ouvertement déclaré pour Jésus. Il a eu et aura encore à souffrir ; puisse-t-il rester fidèle jusqu’à la fin. Il est plus facile d’imaginer que de décrire l’émotion avec laquelle nous l’écoutâmes nous raconter les grandes choses que le Seigneur a faites en lui. Nos prières sont enfin exaucées et nous pouvons le recevoir comme un frère, cet homme dont l’affection et le dévouement ne nous ont jamais fait défaut au milieu de toutes nos difficultés.

Nous conduisîmes nos Bassoutos aux fabriques de sucre et sur le rivage de la mer, les mettant ainsi en présence du génie de l’homme et de la puissance de Dieu. A la sucrerie leur étonnement fut aussi bruyant que les machines elles-mêmes ; ils voulaient tout voir et tout se faire expliquer, et j’ignore s’ils sont bien convaincus que tout cela sort du cerveau de l’homme. Mais ils étaient éperdus et muets d’admiration en contemplant ce vaste océan toujours murmurant et agité. Ils ne restèrent qu’une dizaine de jours avec nous. »

Dans son journal, Coillard donne encore des détails sur le magnifique mouvement qui se manifesta à Léribé en son absence et notamment sur la conversion de Makotoko. Tant que celui-ci fut sous l’influence directe de son missionnaire, il était vacillant et influençable ; sitôt qu’il fut privé de cet appui, il devint ferme. Le phénomène est digne d’être noté : Léribé était un terrain particulièrement dur, un réveil ne s’y produisit parmi les Bassoutos que lorsqu’ils furent abandonnés à eux-mêmes.

24 juillet 1867. — L’Évangile fait des progrès à Léribé. C’est une puissance que Molapo lui-même a dû constater dans les quelques hommes que j’ai laissés derrière nous. Makotoko disait qu’immédiatement après notre départ, les ennemis de l’Évangile se réjouissaient et disaient hautement que maintenant, puisque le missionnaire était parti, l’Évangile périrait. Les chrétiens eux-mêmes, ajoutait-il, parlaient comme s’ils étaient tristes et honteux ; mais bientôt ils se relevèrent et parlèrent d’une manière étonnante.

Nos chrétiens sont pleins de vie et sont unis. Ils sont actifs. Ils se sont entendus pour ne pas aller au lékhotla le dimanche et aussi pour se diviser la besogne, afin que, pendant que les uns exhortent sur la station, les autres puissent aller évangéliser au dehors.

On nous avait déjà annoncé la conversion de Makotoko, mais c’était édifiant de l’entendre ! Oh ! sûrement, s’il y a eu de la joie au ciel pour ce pauvre pécheur amené à la repentance, nous pouvons, nous aussi, nous réjouir sur la terre. Je l’avais laissé à Léribé travaillé et chargé ; ce beau passage : « Dieu a tant aimé le monde… » fut le rayon de lumière qui perça la nuit de son cœur. Aussi grande avait été sa tristesse, aussi grande fut sa joie. Dès lors plus de tergiversations, ses yeux sont ouverts à la lumière ; il croit, il a trouvé son Sauveur.

Son humilité, sa piété, nous ont frappés et m’ont, moi, profondément humilié. Je lui ai donné beaucoup de conseils ; je sentais, en lui parlant, qu’il les recevait avec avidité. J’ai prié avec lui aussi ; aujourd’hui, avant de nous séparer, nous nous agenouillâmes sous les arbres de la forêt, et il offrit au Seigneur une prière pleine d’onction et d’amour. Il priait pour « son père et sa mère » qu’il avait été si heureux de revoir et demandait au Seigneur de leur rouvrir le chemin de Léribé. Que le Seigneur l’entende ! Il a aussi parlé en particulier à Joas et prié avec lui ce matin, avant de partir.

Les Bassoutos repartirent pour Léribé le 24 juillet, Coillard espérait pouvoir les suivre sans tarder ; deux jours après, cet espoir s’était effondré.

Vendredi 26 juillet 1867. — Reçu hier la nouvelle que le Volksraad, après avoir pris connaissance de ma lettre du 4 mai, me refuse l’autorisation de retourner à Léribé. Coup de foudre ! Seigneur, apprends-moi l’obéissance ! « J’ai attendu patiemment l’Éternel et il s’est tourné vers moi et a ouï mon cri, » disait David (Psa.40.1).

Dimanche 28 juillet. — Ce ne sont que conflit et ténèbres. Mais je puis prier et rejeter tout mon fardeau sur l’Éternel : « Je te guiderai de mon œil, » dit-il.

Le 9 août, Coillard, qui n’était pas encore tout à fait remis de sa maladie de l’année précédente, fut de nouveau saisi d’une terrible inflammation d’entrailles : « Pendant quatre jours, écrit Mme Coillard (9 septembre), on a tout essayé pour soulager mon bien-aimé, mais en vain, et alors le médecin nous a dit qu’il n’y avait plus d’espoir. Nous n’avons pas cessé de crier à Celui qui peut et qui veut aider ses enfants dans leur détresse. Il nous a entendus et il a exaucé la prière que nous lui avons adressée avec tant d’ardeur. Vous pouvez bien comprendre dans quel état de faiblesse cette nouvelle secousse a laissé ce pauvre corps qui n’était pas remis d’une première maladie. »

Le docteur avait déclaré qu’un seul médicament pouvait sauver le malade, l’huile de croton, mais il ne pouvait s’en procurer ; on en envoya chercher à Amazimtoti et on en trouva un flacon dans les caisses du docteur Adams, mort quelques années auparavant. Il avait acheté ce remède, de provenance française, à Boston et l’avait apporté à Natal en 1835 et là, le flacon était resté intact, jusqu’au moment où, rapporté en hâte à Ifoumi, il fut le moyen dont Dieu se servit pour sauver son serviteur. Coillard avait été soigné par M. et Mlle Daumas, accourus de Pietermaritzburg, et par le docteur Duff, le fils du missionnaire. Dès que cela fut possible, dans la seconde moitié de septembre, le docteur le fit transporter à Pietermaritzburg.

Si sa précédente maladie avait marqué une étape dans la voie de la consécration celle-ci en marque une nouvelle, plus importante encore, s’il est permis et possible de juger des étapes qui mènent à Dieu. « J’ai remarqué, écrit un missionnaire, que quoique le caractère de notre ami nous parût parfait, il avait, après sa maladie, quelque chose de plus beau encore, une spiritualité plus intense dans sa vie journalière et même dans l’expression de son visage. Le résultat de ces souffrances fut évidemment, en une nouvelle et plus grande mesure, un fruit paisible de justice. » (Hébr.12.11) Coillard se remet au travail à Pietermaritzburg, malgré un état de santé encore précaire.

Dimanche 8 décembre 1867. — Prêché en sessouto et en zoulou sur Héb.2.13. Entendu deux bons sermons de M. Smith. [Pasteur de l’église presbytérienne avec lequel Coillard se lia d’amitié et entretint une correspondance suivie.]

9 décembre. — Mon esprit a été très préoccupé de l’importance de commencer une œuvre parmi les prisonniers et dans le quartier pauvre de la ville.

22 décembre. — Encore une attaque de maladie dont, grâce à Dieu, je me remets. Été deux fois à l’église entendre M. Smith. Je me sens d’une tristesse que je ne puis surmonter ! Oh ! quand serai-je donc délivré de ce corps de mort ! Dieu aie pitié ! pitié !

« Oui, écrit-il au Comité, le 9 janvier 1868, il a plu au Seigneur de nous faire encore passer par les grandes eaux, mais il a été avec nous ; et, bien loin de murmurer, nous n’avons qu’à bénir. Il nous a été bon d’être affligés, et nous espérons sortir du creuset avec une foi plus vive, un amour plus ardent et plus pur et un dévouement plus vrai. Tout n’est pas amertume dans la coupe que le Seigneur présente à ses enfants, nous l’avons éprouvé.

Le Dr Duff, de même que mon ami Eugène Casalis en pareilles circonstances, par son dévouement et ses services éclairés, s’est acquis des droits inaliénables à notre gratitude et à notre affection.

Le séjour de Pietermaritzburg ne m’a pas fait tout le bien que nous en attendions. Je suis encore capable de peu de choses et cela m’attriste. M’étant remis à prêcher, trop tôt me dit-on, je payai cet acte d’imprudence par une indisposition qui menaça de devenir grave. Je m’en prends, moi, aux grandes chaleurs, et aux changements soudains de température. L’on a dit, avec beaucoup de raison, qu’il est plus facile de faire que de souffrir la volonté de Dieu. Puissions-nous apprendre les deux ! Je m’excuserais de tant parler de nous et de moi, si votre intérêt ne m’en avait fait un devoir.

Vous partagerez, notre joie en apprenant que le mouvement religieux, dont je vous ai déjà parlé, se continue à Léribé. Un membre de notre troupeau, un chrétien vénérable du nom d’Ézéchiel, vient de nous arriver. L’église l’a chargé de lettres touchantes.

Le réveil, semble-t-il, si on peut appeler ainsi ce mouvement, a pris des proportions qui étonnent les païens et les chrétiens eux-mêmes. Nous sommes tous portés, et les Bassoutos plus que nous encore, à identifier l’Évangile avec l’homme qui le prêche, et à oublier que c’est bien cet Évangile et non le prédicateur qui est la « puissance de Dieu en salut à tout croyant ». Il n’est donc pas étonnant qu’immédiatement après notre expulsion, nos chrétiens se sentissent tristes, abattus et peu préparés à supporter les railleries des païens. Bientôt pourtant, ils comprirent qu’ils avaient autre chose à faire qu’à se lamenter. Leurs oppresseurs, en exilant leur pasteur, leur auraient-ils arraché l’Évangile, leur Dieu, leur Sauveur, leur foi, leur amour ? Non. La semence jetée en terre avec tant de larmes et arrosée de tant de prières, ne germera-t-elle jamais, et doit-elle pourrir sous les mottes, parce que le pauvre semeur est absent ? Non, la Parole de Dieu est certaine. C’est avec cette foi simple, mais ferme et vraie, c’est dans un esprit d’union et d’amour qui commande notre admiration, que cette poignée de chrétiens, abandonnés à eux-mêmes, se partagèrent l’œuvre. Ce ne fut pas l’enthousiasme d’un moment, car voilà près de deux ans qu’ils sont seuls ; ce ne fut pas le résultat d’une influence étrangère, car personne ne les a visités depuis notre départ. A Dieu seul, donc, tout honneur et toute gloire !

Nous n’oublierons pas de sitôt la salutation d’Ézéchiel : « Réjouissez-vous, mon père et ma mère, nous disait-il, en nous baisant les mains ; réjouissez-vous, tous vos enfants sont convertis ! » Quand il eut recouvré le calme, et que nous eûmes pris connaissance des lettres dont il était le porteur, nous apprîmes que cinq femmes du chef sont converties, de même que vingt-deux autres personnes qui sont reçues dans une classe dirigée par les membres les plus âgés de l’église. Plusieurs autres sont travaillés par le sentiment de leurs péchés, et quelques renégats déplorent leur égarement et recherchent le Seigneur. Il paraît de plus que l’œuvre n’est pas limitée aux grandes personnes, mais que la plupart des jeunes gens et des jeunes filles, et même des enfants qui avaient fréquenté notre école, sont troublés et demandent avec anxiété ce qu’ils doivent faire pour être sauvés. Que de fois, en voyant cette jeunesse nous échapper pour les rites abominables de la circoncision, ne nous sommes-nous pas répété, pour relever notre courage : « Jette ton pain à la surface des eaux, et, après quelque temps, tu le retrouveras. » La promesse serait-elle sur le point de s’accomplir ?

« Le mouvement est si prononcé que Molapo lui-même a été contraint d’y rendre témoignage, et, dans une réunion publique, il a déclaré qu’il n’empêcherait personne de suivre la voix de sa conscience et de servir Dieu. Je mentionnais, dans ma dernière lettre, que ce pauvre Molapo a fini par obliger nos chrétiens à quitter la station pour une gorge un peu plus éloignée de son village. Ceux-ci s’en consolent d’autant plus facilement qu’ils trouvent quelques avantages à ce changement, et espèrent avoir plus de liberté. La première fois qu’ils se réunirent, pour le culte public, dans cette gorge, la congrégation était nombreuse, et telle était la puissance et la solennité des sentiments qui s’étaient emparés de cette foule réunie en plein air, que personne ne put élever la voix pour exhorter les autres. Ce ne furent que sanglots et prières. « Voici quatre dimanches, m’écrit l’un de nos gens, que la station a été transportée ici au nouvel endroit. La parole de Dieu opère avec puissance. Nous ne cessons de supplier ardemment le Seigneur de rétablir la paix et de hâter le jour où nous reverrons vos visages parmi nous. Nous demandons aussi au Seigneur qu’il vous fasse toujours penser à nous. O mon père ! Souviens-toi de ces quelques épis de blé, crûs après la moisson, et que tu as laissés derrière toi. Ils se tiennent encore debout au milieu des mauvaises herbes qui croissent dans ce champ dont le maître est absent. Mais le vent souffle avec force ; les orages se succèdent les uns aux autres, et tes pauvres épis sont encore tout verts ! Oh ! puissions-nous vous revoir et vous posséder bientôt parmi nous, notre mère et notre pasteur bien-aimé ! »

Ce vœu, c’est aussi le nôtre, et il serait déjà accompli si la maladie et des circonstances indépendantes de notre volonté n’eussent entravé nos plans. Je ne puis risquer un si long voyage à cheval, c’est hors de question. Nous avons fait le projet de nous mettre en route, en wagon, à la fin du mois ou au commencement de février, et nous hâtons nos préparatifs. Mais peut-être devrons-nous céder aux instances de nos prudents amis qui ne nous prédisent rien de bon de la part des Boers et voudraient que nous attendissions au moins le résultat de la levée en masse décrétée par le gouvernement de l’État libre pour le 15 courant. J’espère que nous ne ferons rien à la légère, mais aussi que nous ne perdrons pas l’occasion de faire quelque chose. Que nos amis se souviennent de prier pour nous, afin que, tout en cherchant à faire la volonté de notre Maître, nous ne suivions pas les impulsions trompeuses de nos cœurs. »

Coillard reprend, au commencement de 1868, une pleine activité. Il prêche en zoulou, en sessouto, en anglais ; il visite, il évangélise, collaborant avec des frères de diverses églises, faisant ses observations, s’instruisant ; il est en relation avec le lieutenant-gouverneur du Natal, M. Keate, et le secrétaire des Affaires des Natifs, M. Shepstone. Sa pensée est toujours au Lesotho ; il en reçoit des nouvelles et des visites, mais ses projets de retour définitif, de réinstallation à Léribé sont constamment entravés et différés. En effet, tandis qu’au commencement de 1868 les Bassoutos acceptaient le protectorat de la Grande-Bretagne et que les missionnaires français reprenaient leur travail au Lesotho, Léribé restait encore la possession de l’Etat libre d’Orange, et Coillard ne pouvait pas, en dépit du gouvernement, y aller exercer son ministère.

Pietermaritzburg, jeudi 2 janvier 1868. — La société ne se compose ici que des principaux employés du gouvernement et des officiers. Chacun aspire à monter l’échelle et regarde avec dédain ceux au-dessous de lui.

Vendredi 3 janvier. — Assisté à une réunion de prière ; j’y ai pris part. Ces wesleyens sont des travailleurs. L’Esprit de Dieu est une puissance. Oh ! que j’ai donc encore à apprendre ! Les choses spirituelles se découvrent à mes yeux comme une succession de merveilles.

Mardi 7 janvier. — Le wesleyanisme, comme organisation, ne m’est pas sympathique, mais c’est un pouvoir qui remue les masses. Ils utilisent tous leurs matériaux ; rien n’est perdu.

Mardi 28 janvier. — Chez le photographe pour nos portraits.

Jeudi 30 janvier. — Nous avons reçu la grande nouvelle que le gouvernement anglais se propose de prendre possession du Lesotho, ce qui nous rouvre la perspective de retourner sur nos stations. Cette nouvelle nous est venue d’Aliwal North. De Paris, M. Casalis écrit qu’il a eu une entrevue avec l’empereur et avec le secrétaire des Colonies en Angleterre et qu’on l’a écouté favorablement.

Lundi 3 février. — Envoyé Azor au Lesotho chez Molapo avec une lettre au sujet de notre retour. Nous ne sommes pas. sans quelque appréhension sur ce qui nous attend, surtout au sujet de l’emplacement de la station. Que Dieu nous soit en aide.

7 février. — Visité, avec Tiny, Mme Keate. Bonne conversation avec elle et le gouverneur sur les affaires. Il se prépare à partir le mois prochain et nous engage à ne pas bouger jusqu’à son retour.

12 février. — Nous avons été, à l’église écossaise, à ce qu’on appelle réunion de prière, où personne ne prie si ce n’est le pasteur. Il y avait dix personnes en nous comptant. Reçu une longue visite de M. et Mme Shepstone. Parlé des affaires.

Jeudi 13 février. — Je me sens très préoccupé au sujet de la station. La Société a un déficit de 96 000 francs, et il nous faut maison, église, etc. Que Dieu nous fournisse les moyens ; la terre est à lui et tout ce qui est en elle.

Dimanche 16 février. — J’ai prêché à l’église wesleyenne ce matin à 11 heures. Cette grande église était pleine. C’est beau de voir une telle congrégation. J’avais écrit tout mon sermon (Jean.7.12), mais je ne l’ai pas lu. Je me suis senti bien soutenu.

Samedi 22 février. — Johanné et Josiélé viennent d’arriver par une pluie battante. Pauvres gens ! qu’il fait bon les revoir ! Nous avons plus d’une anxiété au sujet de notre station.

Lundi 24 février. — Passé la plus grande partie de la matinée à écouter Johanné et Josiélé raconter le réveil qui s’est opéré à Léribé.

Le 6 février 1868, Coillard écrit à sa mère :

« … Que le Seigneur est bon de m’avoir rendu la santé ! Oh ! que je désire lui être plus fidèle et plus dévoué ! Et combien je prie qu’il me fasse croître dans sa grâce, qu’il fortifie ma foi et réchauffe mon amour ! Je sens que, si je ne vivais pas pour lui, il ne vaudrait pas la peine de vivre. »

9 mars 1868.

« Ma bien-aimée mère, je suis triste de n’avoir pas pu finir la lettre que je vous avais commencée. Mais j’ai été très occupé. Presque tous les dimanches j’ai à prêcher en anglais, et, à part cela, nous avons eu des visites de gens de notre station. Six sont encore ici, dont quatre sont membres de l’église. Ils réjouissent nos cœurs par les bonnes nouvelles qu’ils nous apportent. Ils m’ont donné les noms de trente-neuf personnes qui ont tout à fait brisé avec le paganisme et qui se sont converties. Plusieurs autres, paraît-il, sont aussi travaillées par le sentiment de leurs péchés. Cinq femmes de Molapo sont chrétiennes. L’une d’elles a eu beaucoup à souffrir : jeune et jolie, elle était une des favorites du chef ; dès qu’il vit qu’elle commençait à prier, il menaça de la battre, mais en vain. Un jour pourtant, ne pouvant plus la supporter et ayant appris qu’elle se trouvait dans une maison avec quelques chrétiens, il s’y rendit plein de rage, avec un bâton muni d’une grosse crosse. Après avoir déversé sur sa tête un flot d’injures : « Promets-moi, dit-il, que tu cesseras de prier Dieu, ou je te tue. » — « Mon Seigneur, tu peux me tuer, mais abandonner mon Dieu, jamais ! » — « Répète cela encore, dit-il, en s’avançant et levant son bâton, répète cela encore et je te tue ! » La pauvre femme, toute ébranlée, fondit en larmes : « Tout est bien, dit-elle, tu peux me tuer, mais jamais je n’abandonnerai Dieu. » Le tyran, en présence de ce mélange de faiblesse et de fermeté, se sentit désarmé. Il laissa tomber son bâton : « Eh bien, mon enfant, dit-il, sers Dieu, sois fidèle et souviens-toi de moi dans tes prières ! » Cette pauvre femme a eu encore beaucoup à souffrir, elle a été persécutée de mille manières, cependant elle a tenu ferme et maintenant on la laisse tranquille.

Je pourrais vous parler de beaucoup d’autres personnes ; mais ce sera pour plus tard. Ce qui nous fait surtout plaisir, c’est d’apprendre qu’un grand nombre des enfants de notre école sont convertis et, parmi eux, des enfants jeunes encore et qui ont aussi à souffrir pour Christ.

Le Journal des Missions vous aura appris que nous avons l’espoir de rentrer bientôt dans nos stations. Le gouvernement anglais, à la requête des chefs bassoutos, va prendre possession du pays. De sorte que non seulement nous pourrons retourner chez nous, mais y vivre en sécurité.

Dès que ces nouvelles nous furent parvenues nous envoyâmes immédiatement un messager au Lesotho. Les membres de notre église se hâtèrent d’envoyer deux des leurs, Johanné et Josiélé, pour venir nous chercher. Makotoko arriva ensuite. Pauvres gens ! je ne puis pas vous dire leur joie et la nôtre de nous retrouver après une si longue absence. Ils sont toujours affectueux et zélés. Malheureusement la guerre les a, comme nous, dévalisés. Nous avons perdu beaucoup et nous dépensons extrêmement ; il a pourtant bien fallu les aider, donner à celui-ci un pantalon, à celui-là une chemise, à cet autre une veste, et ainsi de suite. Nous espérons que le Seigneur y pourvoira. »

Puis le journal continue :

Vendredi 6 mars. — Makotoko est arrivé du Lesotho. Que nous avons été heureux de le voir ! Azor est revenu avec lui. Mais ils n’apportent aucune nouvelle qui hâte notre départ ! Nous attendrons jusqu’au retour du gouverneur. Molapo ne paraît pas très bien disposé.

Mardi 10 mars. — Makotoko, Johanné et Cie sont partis. Pauvres gens, ils étaient si contents surtout de ce que nous leur ayons enseigné un air pour les enfants de l’école ! Avant de partir, il a fallu, à leur requête, le chanter encore et prier. Que Dieu les accompagne !

A la date du 1er juin 1868, le journal contient cette simple mention :

Reçu une lettre des frères nous demandant d’aller à Motito pour un temps. Sérieuse question, sujet de prières.

Motito, une des premières stations de la Mission de Paris en Afrique, fondée par Rolland et Lemue en 1831, ne faisait pas partie du Lesotho ; elle était située à près de 400 kilomètres au nord-ouest de ce dernier pays, chez les Béchuanas et à quelque distance de Kourouman, station de la Mission de Londres où travaillait Robert Moirat. M. Frédoux, gendre de celui-ci et beau-frère de Livingstone, travaillait à Motito, depuis vingt ans environ, lorsqu’en 1866 un marchand anglais ivre fit sauter avec un baril de poudre le wagon où se trouvait le missionnaire. Pendant deux ans, Moffat veilla sur cette station ; mais il fallait repourvoir le poste et les missionnaires du Lesotho adressèrent un appel à Coillard, car il semblait qu’étant donné la prépondérance que l’Etat libre continuait à exercer sur le district de Molapo, Léribé serait, de toutes les stations, celle dont l’accès resterait le plus longtemps fermé. Une distance de 700 kilomètres environ en ligne droite séparait Motito de Pietermaritzburg ; c’était un voyage de deux mois et demi à travers l’État libre d’Orange et le Transvaal. Cet appel bouleversait tous les projets de Coillard :

Mardi 6 juin. — Après toute une semaine de prières, nous avons décidé d’aller à Motito, seulement pour visiter la station. Nous croyons avoir suivi la volonté de Dieu, mais nous avons dû faire taire bien des considérations personnelles.

Coillard écrit au Comité, à propos de cet appel inopiné :

« Nous n’étions plus préoccupés que de la réalisation de notre projet de rejoindre nos frères du Lesotho, quand nous reçûmes d’eux l’invitation de visiter Motito. Cet appel nous prit par surprise et jeta d’abord quelque trouble dans nos esprits et dans nos plans. L’idée d’un tel voyage dans une saison où il est presque impossible de voyager au Sud de l’Afrique, la pensée de nous éloigner du Lesotho quand le chemin de notre station pouvait être rouvert bientôt, sans parler de l’état de ma santé toujours peu satisfaisant, étaient de sérieuses objections. D’un autre côté il s’agissait d’un devoir immédiat, de l’œuvre de Dieu, des intérêts d’une de nos églises et de ceux de notre Société, et, comme aucun de nos frères ne se sentait libre d’aller si loin, nous crûmes, après en avoir fait un sujet de prières, y reconnaître un ordre du Maître. Aussi, faisant taire toutes considérations personnelles, nous nous disposâmes à obéir. »

Ainsi prit fin ce séjour à Natal.

« Nous en emportons de doux souvenirs, écrit Coillard. Nous y arrivâmes étrangers, persécutés et calomniés ; nous ne demandions que le calme et le repos de la sécurité pour rétablir nos santés ébranlées. Les autorités nous y reçurent avec bienveillance ; des personnes de toutes classes nous y témoignèrent une chaleureuse sympathie ; de nombreux amis, dont les noms sont devenus chers à nos cœurs, nous y ont entourés d’affection et le Seigneur y a répandu sur notre sentier d’abondantes bénédictions. »

Au Natal, Coillard apprit à connaître de nouveaux champs de mission et de nouvelles méthodes ; au point de vue spirituel, ce séjour fut pour lui ce qu’il désirait, un Patmos, un temps de recueillement et de communion lumineuse avec Dieu. M. et Mme Coillard étaient enclins à s’isoler. Lui-même n’était pas alors très sociable, il était porté à une extrême réserve, il manquait peut-être, dans les relations, d’une certaine simplicité ; ce manque de simplicité, cette réserve, provenaient de sa première éducation et parfois de scrupules exagérés. Le 31 juillet 1866, encore à Durban, il écrivait : « La perspective de faire de nouvelles connaissances nous est si pénible que, la nuit avant de quitter Durban, Christina n’en dormit pas. » Forcé d’entrer constamment en rapport avec des personnes nouvelles, dans les circonstances les plus variées, il dut se simplifier ; il dut apprendre à se sentir à son aise dans des milieux les plus divers ; il devint homme du monde, et un collègue américain de Coillard a pu dire de lui en se reportant à cette époque : « Il faisait l’impression d’un homme d’une très fine éducation et d’une profonde spiritualité ; de plus, il était toujours poli et courtois, bref un « gentleman » dans le vrai sens du mot. » Enfin Coillard terminait ce séjour à Natal par un acte d’obéissance ; faisant taire toute autre considération, il acceptait à nouveau, pour un temps indéterminé, cette vie d’étranger et de voyageur ; il ne pouvait prévoir qu’étranger et voyageur par obéissance, il le serait toute sa vie.

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