Nous serions coupable de partialité et d’injustice envers le moyen âge, si nous ne tenions compte, dans notre étude, que de ses erreurs et de ses fautes. Nous enlèverions, en outre, à la Réformation ses points de contact avec le christianisme historique, et, en ne voyant dans l’Église pendant plusieurs siècles que superstition et ignorance, nous la transformerions en une révolution fortuite et arbitraire. Elle est en droit de s’appuyer, pour sa défense, sur le fait que, non seulement avant elle les âmes étaient détournées de la vérité, mais qu’elle ne fait que continuer l’œuvre de ces esprits religieux et convaincus qui, pendant des siècles, restèrent attachés en secret à l’Évangile.
[Nous devons appliquer aussi ces considérations profondément vraies à l’apparition du christianisme sur la terre. Les apologètes imprudents, qui ne voient que ténèbres dans la civilisation antique, dépouillent le christianisme du plus beau fleuron de sa couronne, son caractère éminemment humain et universel. Rappelons, comme analogie, la belle pensée de Tertullien, qui invoque en faveur de la foi le témoignage de l’âme naturellement chrétienne, et l’ingénieuse théorie de l’école d’Alexandrie, qui enseigne l’action secrète du Verbe sur l’âme des Sophocle et des Platon. (A. P.)]
La Réforme peut être considérée comme la justification et comme le couronnement de l’œuvre accomplie et perpétuée à travers les siècles par quelques âmes généreuses, comme la solution du problème compliqué devant lequel avaient échoué tous les efforts des docteurs. La chaîne des temps n’est point rompue, nous voyons se continuer, à travers les siècles obscurs, l’action du Saint-Esprit ; et les apôtres et les réformateurs se tendent la main d’association dans l’œuvre du Seigneur. Si, au contraire, nous envisagions la Réformation comme un coup de tonnerre dans un ciel sombre, si nous l’arrachions à son contexte historique, l’Église nouvelle, sans tradition, sans passé, sans garantie, pourrait être considérée comme l’œuvre capricieuse d’un homme et d’un parti, comme une crise, redoutable sans doute pour l’Église romaine, mais fugitive et sans portée, et ne devant laisser aucune autre trace de son passage destructeur et infécond que quelques ruines et quelques apostasies ; ce ne serait plus, pour la papauté, que cette correction salutaire dont parle à ses lecteurs l’auteur de l’épître aux Hébreux (Hébreux 12.7-11). Pour mériter l’épithète glorieuse d’évangélique, que l’histoire impartiale a accolée à son nom, l’Église réformée doit prouver que la source pure de l’Évangile, dont Jésus-Christ avait dit qu’elle jaillirait jusque dans la vie éternelle, un moment presque tarie au sein de l’humanité détournée de la vérité, a trouvé en elle un nouveau lit., dans lequel elle déverse à flots pressés ses eaux et sa fraîcheur. La Providence ne veut point par là dépouiller l’Église romaine de la vérité, mais la purifier elle-même, et la préserver contre les conséquences de ses erreurs.
Quels sont ces éléments positifs et évangéliques qui se sont conservés au sein des erreurs du moyen âge, ces puissances saines et progressives qui ont échappé à l’action délétère de la hiérarchie ? Nous pouvons en relever trois principaux : le mysticisme, le réveil des études bibliques, les progrès des sciences et des lettres. Ces trois puissances, il est vrai, n’apparaissent pas toujours en même temps dans l’histoire et dans le monde, parfois même elles se jalousent et se combattent. Ce n’est qu’après de longs siècles de lutte et de progrès, qu’en convergeant toutes les trois vers un but unique, en s’unissant sans se détruire, et en s’harmonisant sans se confondre, elles permettent au principe de la Réforme de se déployer dans toute l’énergie de sa maturité, de surmonter victorieusement tous les obstacles, de rendre enfin à la société religieuse sa jeunesse et sa beauté premières. Si nous commençons cette étude nouvelle par la théologie mystique du moyen âge, c’est qu’elle a été la plus féconde en résultats, qu’elle a pénétré jusqu’aux sources mêmes de la vie, et préparé les âmes à accepter avec joie la vie nouvelle que la Réformation apportait dans le monde. Mieux que tout autre principe, en effet, elle était appelée à vaincre et à résoudre le dualisme du moyen âge.
Cette étude nous permettra aussi de saisir ses erreurs, son étroitesse, ses dangers, et de montrer combien elle s’est purifiée et enrichie à l’école de la vie pratique, et dans son union avec l’esprit de la véritable science.