Le don de parler diverses langues

CHAPITRE 4

LE TROISIÈME TEXTE DE LUC

Actes 19.6

dans le contexte de Actes 1-7

et en rapport avec Actes 18.24-26

« Pendant qu'Apollos était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les hautes provinces de l'Asie, arriva à Éphèse. Ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit quand vous avez cru ? » Ils lui répondirent : « Nous n'avons pas même entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit ». Il dit : « De quel baptême avez-vous donc été baptisés ? » Et ils répondirent : « Du baptême de Jean ». Alors Paul dit : « Jean a baptisé du baptême de repentance, disant au peuple de croire en celui qui venait après lui, c'est-à-dire, en Jésus ». Sur ces paroles, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Lorsque Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit vint sur eux et ils parlaient en langues et prophétisaient. Ils étaient en tout environ douze hommes ».

Au commencement de son évangélisation à Éphèse, Paul rencontre une douzaine de Juifs qui se disent disciples du Messie, du Christ ; pourtant il remarque chez eux la même carence que Philippe avait remarquée chez les Samaritains : Actes 8 il leur manque l'essentiel. Car Paul leur pose la question directement : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit lorsque vous avez cru ? » (plus exactement traduit du grec : « Reçûtes-vous l'Esprit Saint à l'instant de croire ? »). Leur réponse est négative, ils n'ont même jamais entendu parler d'Esprit Saint ! Ils ne savent d'ailleurs pratiquement rien de Jésus. Ils ne connaissent pas l'Évangile apostolique : ils ont seulement entendu le message de Jean-Baptiste transmis, sans doute, par Apollos, dont nous lisons le récit dans le chapitre précédent ? Actes 18.24-28

Apollos était venu avant Paul à Éphèse, prêchant parmi les Juifs le message et le baptême de Jean-Baptiste. C'est tout ce qu'il savait. Ces douze hommes avaient accepté le message dans la mesure où ils l'avaient compris ; ils étaient donc disciples de Jean-Baptiste et non de Jésus. Ils avaient même été baptisés au nom de Jean-Baptiste, non pas au nom de Jésus-Christ (versets 3-5).

Paul, à son arrivée, leur annonce toute la vérité concernant Jésus (verset 4). Il juge même nécessaire de les rebaptiser au nom de Jésus (verset 5). Pourtant, l'Esprit de Dieu n'honore pas ce geste ; il n'est pas encore satisfait de leur attitude, il n'agit pas.

Nous voyons ici la raison qui amena Paul à imposer les mains à ces douze disciples de Jean. Comme toujours dans la Bible, cet acte signifie une identification. Paul leur avait expliqué la différence entre l'enseignement de Jean et l'Évangile de Jésus ; il les avait même baptisés au nom du Seigneur Jésus ; mais rien ne s'était passé. Ils n'avaient toujours pas reçu l'Esprit de Dieu, ils n'étaient donc pas régénérés.

Paul s'aperçoit immédiatement de l'existence d'un empêchement, au fond de leur cœur, d’un « blocage » spirituel, comme chez les Samaritains dans le chapitre 8 des Actes. Cet obstacle les empêchait d'être de véritables disciples de Christ : ils étaient encore retenus par leur attachement à Jean-Baptiste. Or, Jean-Baptiste avait vécu et enseigné encore sous l'ancienne alliance. Matthieu 11.13-14 Par cet acte d'identification qu'est l'imposition des mains, Paul indiquait la seule voie d'issue : il leur fallait dépasser l'Ancien Testament pour entrer dans le Nouveau ; il fallait qu'ils lâchent Jean pour suivre Christ seul. Ils devaient reconnaître la souveraineté absolue de Christ, car il ne peut y avoir deux maîtres dans le royaume de Dieu. Les douze hommes ont alors accepté l'imposition des mains de Paul ; ils ont compris que Jésus était la seule source de salut et en cet instant l'Esprit leur fut donné, leur âme a été transformée, ils sont devenus enfants de Dieu. Ils sont dès lors intégrés par l'Esprit dans le corps de Christ.

Cet incident a paru suffisamment important aux yeux de Luc pour être incorporé dans son histoire de l'Église. C'était un moment de crise, un point crucial dans l'œuvre de Dieu. Tout au long de l’apostolat de Paul, partout où il passait, un même problème surgissait : les Juifs n'admettaient pas que Jésus-Christ dépasse les limites de l'ancienne alliance de Moïse. Paul, lors de sa rencontre à Éphèse avec ces « hommes de l'Ancien Testament », leur fait comprendre une fois pour toutes que même le plus grand des prophètes, Jean-Baptiste lui-même, cédait la place de maître à Jésus seul. En acceptant le geste de Paul, ces hommes signalaient leur accord absolu avec l'Évangile qu'il prêchait. Ils se sont identifiés à Christ et à son Église, dont Paul faisait partie.

Sans cette identification, il y aurait eu sur la terre deux églises contradictoires et cela le Saint-Esprit ne l'admettait pas. Il exigeait l'adhérence à l'unique corps de Christ.

Les événements du chapitre 19 des Actes ne sont pas comparables à ceux du chapitre 10, puisque l'Église était déjà pleinement établie parmi les païens. Pourtant, celle-ci n'existait pas encore à Éphèse. C'est peut-être la raison pour laquelle ce passage, lui aussi, présente des aspects très particuliers : il signifie en fait la rupture définitive avec l'Ancien Testament.

Pourquoi des langues miraculeuses à Éphèse ?

Pourquoi, en effet, l'Esprit de Dieu s'est-il manifesté à cette occasion, par le don des langues ? Il a certainement jugé cet incident suffisamment important pour qu'il soit marqué, comme les événements de Jérusalem et de Césarée (c'est-à-dire des chapitres 2 et 10 des Actes), par une démonstration du caractère international de l'Évangile. En fait, la nouvelle alliance ne pouvait demeurer une « affaire juive ». C'est pourquoi l'Esprit s'est exprimé en plusieurs langues, qui étaient de véritables langues humaines. Ces Juifs, au lieu de parler leur langue seulement, se sont exprimés en « d'autres langues », celles des nations que Dieu incorporait dans le corps de Christ. L'Évangile dépassait le cadre de la révélation hébraïque.

Le contexte dans lequel cet incident a eu lieu démontre à quel point cette action de l'Esprit était raisonnable. Éphèse était la plus grande ville d'Asie Mineure, un port très important, une ville extrêmement cosmopolite et, de ce fait, polyglotte, certainement encore plus que Marseille ou New-York aujourd'hui. L'Asie Mineure elle-même comptait une multitude de localités, chacune avec sa langue particulière.

Dieu ne nous dit pas dans ce texte pourquoi les douze disciples de Jean-Baptiste ont parlé en d'autres langues au moment de croire en Christ ; mais il y avait certainement une raison valable, digne de la sagesse de Dieu. Le texte ne nous interdit pas de penser qu'il y avait — ce serait logique — dans l'assistance d'autres personnes qui étaient inconverties et dont la langue maternelle n'était pas le grec. Puisque ce texte, comme celui du chapitre 10 des Actes, ne nous fournit aucune explication, ni même une description, nous ne pouvons que l’interpréter à la lumière du passage le plus clair, le plus développé, qui est évidemment Actes 2. C'est là une règle indispensable d'honnêteté dans l'interprétation du texte. Si nous n'en tenons pas compte, nous risquons de remplacer le Saint-Esprit par notre imagination.

Nous pouvons donc affirmer que les langues du chapitre 19 des Actes sont, comme celles du chapitre 2 (et celles du chapitre 10, pour la même raison), de véritables langues humaines, inspirées du Saint-Esprit dans le même but, c'est-à-dire : pour convaincre les non-croyants qui étaient présents.

Comme nous l'avons dit, si les langues miraculeuses des chapitres 10 et 19 des Actes avaient été d’un autre genre que celles du chapitre 2, Luc nous l'aurait certainement dit. Sans cela, nous pourrions lui reprocher de vraiment nous induire en erreur. Son silence nous oblige à croire que, pour lui, il s'agissait d'un même phénomène : des langues humaines authentiques, destinées à capter l'attention de certains inconvertis dans l'assistance en vue de leur salut.

Notons encore quelques points :

Conclusion sur les textes de Luc

Le récit des Actes des apôtres couvre une trentaine d'années d'histoire, depuis la résurrection de Jésus-Christ en l'an 30 environ jusqu'en 62, la deuxième année de l'emprisonnement de Paul à Rome. Pourtant, il ne contient que trois cas de langues miraculeuses. Si ce phénomène avait été aussi courant et aussi important qu'on veut souvent nous le faire croire, pourquoi Luc n'y fait-il allusion que trois fois au cours de ses vingt-huit chapitres ? Trois cas en trente-deux ans d'histoire, c'est vraiment peu.

Bien que nous ne puissions pas affirmer que les trois cas de « langues » dans les Actes soient les seuls qui eurent lieu, ces textes de Luc ne nous permettent pas d'affirmer qu'il y en eût d'autres. L'unique passage qui nous le laisserait croire est le texte de Paul que nous allons examiner ensuite. Luc ne nous éclaire pas sur cette question.

De toute manière, il est indéniable que ces trois mentions dans le livre des Actes se réfèrent chaque fois à une occasion spéciale, on peut dire unique, surtout dans Actes 2 et 10 :

  1. l'ouverture de la porte du royaume de Dieu aux Juifs ;
  2. l'ouverture de la porte du royaume de Dieu aux païens ;
  3. la rupture définitive entre l’ancienne et la nouvelle alliances.

Retenons également ces deux points saillants :

Pour autant que Luc nous le dise, il ne s'agit jamais d'une répétition, ni même d'une utilisation du don dans un culte personnel.

Il est donc évident que les textes de Luc ne nous fournissent aucun argument en faveur d'une glossolalie généralisée telle que nous la voyons dans les milieux chrétiens de notre siècle. (Voir dans le présent ouvrage Appendice G pour une discussion sur le rapport entre le baptême de l'Esprit et le parler en langues.)

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