Après avoir démontré que nous sommes tous appelés enfants par l’Écriture sainte ; que ce nom a été principalement donné par allégorie à ceux qui suivent les traces de Jésus-Christ ; qu’il n’y a que Dieu, le père de l’univers, qui soit parfait ; que le Fils est en lui et le père dans le Fils, nous dirons maintenant, pour suivre un ordre méthodique quel est notre Pédagogue. Son nom est Jésus ; mais lui-même se donne souvent le nom de pasteur : « je suis, dit-il, le bon pasteur. » Métaphore prise des bergers qui conduisent les troupeaux. Celui qui conduit les enfants doit être regardé comme un Pédagogue : c’est un pasteur qui gouverne les enfants. Les enfants peuvent être comparés à des brebis pour la simplicité. « Ils ne formeront plus, dit-il, qu’un seul troupeau, et il n’y aura qu’un seul pasteur. » Le Verbe est donc à bon droit appelé Pédagogue, puisqu’il nous conduit au salut, nous qui sommes ses enfants. C’est évidemment de lui-même qu’il parle, lorsqu’il prête ces paroles au prophète Osée : « Je suis votre instituteur. » L’institution est la religion qui est l’enseignement du culte divin, et la science qui nous conduit à la vérité. C’est une règle et une méthode de vie qui nous fait arriver au ciel.
Le mot d’institution se prend dans plusieurs sens. C’est l’action de celui qui est dirigé et instruit, aussi bien que celle de celui qui dirige et instruit. Ce mot se prend aussi dans le sens de conduite et enfin pour les choses même qu’on ordonne de faire telles que les préceptes. Qu’est-ce donc que l’institution divine ? C’est une direction que la vérité nous prescrit elle-même pour nous conduire à la contemplation de Dieu. C’est un modèle d’actions saintes qu’elle met incessamment sous nos yeux pour nous faire persévérer dans la justice. Comme un bon général gouverne sagement sa phalange et prend soin de la vie de chacun de ses soldats, comme un sage pilote dirige le gouvernail de son navire de manière à sauver tous ceux qui le montent, ainsi le Verbe Pédagogue, plein de sollicitude pour ses enfants, les conduit dans une route qui doit assurer leur salut. En un mot, tout ce que nous demandons raisonnablement à Dieu nous sera accordé si nous obéissons au Pédagogue. Comme le pilote ne cède pas toujours aux vents, mais lutte contre eux et leur résiste en opposant la proue de son navire à la violence de la tempête, ainsi le Pédagogue ne cède jamais au souffle inconstant des lois de ce monde, et il n’expose pas plus son enfant au choc violent et brutal des passions, que le pilote n’expose son vaisseau à être brisé par les rochers. Mais il ne déploie les voiles qu’au vent prospère de la vérité et il s’attache à maîtriser le gouvernail de son enfant ; c’est-à-dire qu’il s’empare de ses oreilles pour que le mensonge n’y pénètre jamais, jusqu’à ce qu’il l’ait conduit sain et sauf dans l’heureux port du royaume des cieux. Les coutumes auxquelles ils donnent le nom de coutumes de leurs ancêtres, passent rapidement ; les institutions divines durent éternellement.
Phœnix, dit-on, fut le précepteur d’Achille, et Adraste celui des enfants de Crésus. Alexandre eut pour précepteur Léonide, et Philippe Nausithoüs. Mais Phœnix brûlait pour les femmes d’un amour insensé. Les crimes d’Adraste l’avaient fait bannir. Léonide ne put étouffer dans le cœur d’Alexandre l’arrogance macédonienne, ni Nausithoüs guérir Philippe du vice de l’ivrognerie. Le Thrace Zopire ne réprima point l’impudicité d’Alcibiade. Zopyre d’ailleurs était un esclave acheté à prix d’argent. Les enfants de Thémistocle eurent pour précepteur Sicimus, esclave frivole et efféminé, inventeur d’une danse à qui les Grecs ont donné son nom. Personne n’ignore que les rois de Perse confiaient l’éducation de leurs enfants à quatre hommes choisis parmi les plus distingués de la nation, et qu’on appelait instituteurs royaux ; mais ces enfants des rois de Perse n’apprennent qu’à tirer de l’arc, et, à peine parvenus à l’âge de puberté, on les voit semblables à des béliers, se livrer à toutes sortes d’impudicités avec leurs sœurs, leurs mères et une infinité de femmes qu’ils rassemblent dans leur palais, sous le nom d’épouses et de concubines. Mais notre Pédagogue est Jésus, Dieu saint, le Verbe, chef suprême de l’humanité tout entière, Dieu plein de douceur et de clémence.
C’est de lui que l’Esprit saint dit quelque part dans le cantique : « Le Seigneur a fourni à son peuple dans le désert tout ce dont il avait besoin ; il l’a défendu contre la soif et la faim dans des lieux arides et sauvages ; il l’a instruit, il l’a gardé comme la prunelle de son œil. De même que l’aigle protège ses petits et leur donne des marques de sa tendresse, ainsi le Seigneur a étendu ses ailes sur son peuple et il l’a pris, et il l’a porté sur ses épaules. Le Seigneur seul fut son guide et aucun Dieu étranger n’était avec lui. » Ces parole de l’Écriture font, il me semble, connaître notre Pédagogue et la manière dont il nous conduit. Il avoue lui-même qu’il est effectivement notre Pédagogue, lorsqu’il dit de sa propre bouche : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai tiré de la terre d’Égypte. » Qui donc a le pouvoir de faire entrer et de faire sortir ? N’est-ce point le Pédagogue ? Il apparut à Abraham et lui dit : « Je suis le Seigneur ton Dieu, sois agréable à mes yeux. » Ensuite il lui donne les meilleurs avis qu’un Pédagogue puisse donner à un enfant qui lui est cher : « Sois irrépréhensible, lui dit-il, et j’établirai une alliance entre moi et toi ; ainsi qu’entre ta race. » Ces paroles sont bien le signe d’une amitié bienveillante et protectrice tout à la fois. Je trouve en Jacob une frappante image du Pédagogue. C’est pour cela que Dieu lui dit : « Voilà que je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, je te ramènerai en cette terre ; et je ne te délaisserai point jusqu’à ce que j’aie accompli tout ce que je t’ai promis. » On dit encore que Dieu lutta avec lui : « Il demeura seul, et voilà qu’un homme lutta avec lui jusqu’au matin. »
Cet homme était le Pédagogue qui agissait et souffrait, qui instruisait son élève, l’exerçant à soutenir et à repousser les attaques de l’esprit malin. Les paroles suivantes font assez connaître que c’était le Verbe, le Pédagogue du genre humain, qui était alors l’adversaire de Jacob : « Jacob l’interrogea, et il lui dit : Dis-moi quel est ton nom ? et il lui répondit : pourquoi me demandes-tu mon nom ? » Dieu, qui ne s’était pas encore fait homme n’avait pas encore de nom. « Jacob appela ce lieu du nom de Phanuel, disant : j’ai vu le Seigneur face à face et mon âme a été délivrée. » Le verbe est la face de Dieu, il l’éclaire et nous la fait connaître. Jacob fut surnommé Israël du jour où il eut vu le Seigneur son Dieu. C’est encore le Verbe qui est avec lui et qui lui dit longtemps après : Ne crains pas d’aller en Égypte.
Voyez comme le Pédagogue accompagne en tout lieu le juste, comme il l’exerce au combat et lui apprend à vaincre son ennemi ! C’est encore lui qui instruit Moïse à bien remplir le ministère de Pédagogue. Le Seigneur dit, en effet : « J’effacerai de mon livre quiconque aura péché contre moi ; mais, toi, va, conduis ce peuple où je t’ai dit. » Le Seigneur était dans la personne de Moïse, le Pédagogue de l’ancien peuple ; mais il est par lui-même celui du nouveau, et se montre à lui face à face. « Voilà que le Seigneur dit à Moïse : Mon ange marchera devant toi. » Cet ange représente sa puissance évangélique comme Verbe, son autorité et sa dignité comme Dieu. Le jour, dit-il, où je les visiterai, je leur ferai porter la peine de leurs crimes ; c’est-à-dire le jour où je leur apparaîtrai comme juge, je mesurerai le châtiment à l’offense. Le Verbe est, en effet, tout ensemble notre Pédagogue et notre juge : il juge et punit ceux qui désobéissent ; mais, plein d’une tendre bonté, il ne leur tait point leurs péchés, au contraire il les leur montre et les leur reproche, afin de les exciter à la pénitence. Le Seigneur, ne désire pas la mort, mais le repentir des pécheurs. Il les menace pour nous instruire, il nous montre le châtiment pour nous détacher du péché. Quels crimes n’ont-ils pas commis ? Ils ont massacré des hommes dans leur colère, ils ont mutilé des animaux ; colère horrible et abominable ! Quel maître est donc plus doux et plus humain que le Verbe ? La crainte était le mobile de l’ancienne loi, l’amour est celui de la nouvelle. La crainte s’est changée en amour. Le Verbe était un ange terrible ; il est le doux, le tendre Jésus. Tu craindras, disait-il, le Seigneur ton Dieu ; il dit maintenant : Tu l’aimeras. Voici donc ses nouveaux ordres : Ne péchez plus comme autrefois, accoutumez-vous à bien faire, fuyez le mal, faites le bien, brûlez d’amour pour la justice et d’horreur pour l’iniquité. Cette nouvelle alliance est une suite de l’ancienne. Ne lui reprochez donc pas sa nouveauté. « Ne dites pas, dit le Seigneur, dans Jérémie, ne dites pas que je suis jeune. Avant que je vous eusse formé dans le sein de votre mère, je vous ai connu, avant que vous en fussiez sorti, je vous ai sanctifié. » Cette prophétie, appliquée à l’homme, peut signifier ceux que Dieu voyait et savait fidèles, avant la création du monde, ces élus de Dieu, qui sont appelés ses enfants, parce que, appelés depuis peu au salut, ils ont depuis peu accompli sa volonté. L’Esprit divin ajoute : « Je t’ai établi prophète pour les nations, prophétise et ne prends pas pour une injure un nom nouveau qui convient à ceux qui le sont. » La loi est l’ancienne grâce que le Verbe donnait aux hommes par le ministère de Moïse. Remarquons la manière dont l’Écriture s’exprime à ce sujet. La loi a été donnée par Moïse, c’est-à-dire par le Verbe, dont Moïse était le serviteur et l’envoyé ; voilà pourquoi la loi n’a duré qu’un temps. Mais la grâce et la vérité nous sont venues directement de Jésus-Christ ; voilà pourquoi la nouvelle grâce est éternelle. L’Écriture dit de la loi qu’elle a été donnée, elle ne dit point de la vérité, qui est la grâce du Père, et l’éternel ouvrage du Verbe, qu’elle ait été donnée ; elle dit qu’elle a été faite par Jésus-Christ sans lequel rien n’a été fait. Moïse, animé d’un esprit prophétique, voit le Verbe dans l’avenir ; et, cédant à sa perfection, il recommande au peuple d’obéir fidèlement aux préceptes de ce nouveau guide. « Dieu, leur dit-il, suscitera du milieu de vous un prophète semblable à moi. » Il parle ici de Josué ; mais nous savons que Josué est, dans l’Écriture, la figure de Jésus-Christ. Il donne au peuple les conseils qu’il sait leur devoir être utiles : « Vous écouterez ce prophète, leur dit-il ; celui qui ne l’écoutera point, sera puni. » Cette prophétie nous apprend le nom de notre divin Pédagogue et nous montre son autorité. Elle met entre ses mains les marques de sa sagesse, de son empire et de sa puissance. Ceux que le Verbe ne guérira point par la persuasion seront menacés ; ceux que les menaces ne guériront point seront châtiés ; ceux que le châtiment trouvera incorrigibles, le feu de l’enfer les dévorera. Un rejeton naîtra de la tige de Jessé. C’est le Pédagogue, plein de sagesse, de douceur et d’autorité. Il ne jugera point, selon les vains discours, les vaines opinions des hommes ; mais il rendra justice à l’humble, et confondra les orgueilleux. « Le Seigneur, disait David, m’a châtié avec sévérité, mais il ne m’a pas laissé en proie à la mort. » Être châtié par le Seigneur, c’est être instruit par le Pédagogue, c’est être délivré de la mort. Le même prophète dit encore : vous les conduirez avec une verge de fer. C’est la même pensée qui agite l’apôtre lorsqu’il dit aux Corinthiens : « Lequel aimez-vous mieux, que je vous aille voir, le reproche à la bouche ou avec charité et dans un esprit de douceur ? Le Seigneur, dit David, va faire sortir de Sion le sceptre de votre autorité. » Le même prophète dit ailleurs : « Votre houlette me fortifie, votre verge me console. » La puissance du Pédagogue est donc, vous le voyez, une puissance, grave, vénérable, consolante et salutaire.