La Pèlerine

LA PÈLERINE

CHAPITRE VII

Les Pèlerins arrivent, conduits par Grand Cœur, à la colline de la Difficulté, et après avoir remporté la victoire sur le géant Sanguinaire, continuent heureusement leur voyage.

Je vis alors, dans mon rêve, que les Pèlerins continuèrent leur route jusqu'à l'endroit où Chrétien avait aperçu, couchés et endormis, Stupide, Paresseux et Présomptueux. Ils étaient maintenant pendus à des crochets de fer, de l'autre côté de la route, un peu en dehors du chemin.

Alors Miséricorde dit à celui qui était leur guide et conducteur :

— Qui sont ces trois hommes, et pourquoi sont-ils ainsi pendus ?

—Ces trois hommes étaient des personnages de nulle valeur. Ils n'avaient aucune envie de devenir pèlerins, et cherchaient à empêcher de l'être tous ceux qu'ils pouvaient. Ils aimaient la paresse et la folie, et rendaient semblables à eux, ceux qu'ils parvenaient à. persuader ; ils les assuraient que tout irait bien pour eux, à la fin. Quand Chrétien passa par ici, ils dormaient, et maintenant ; vous le voyez, ils sont pendus.

— Mais parvenaient-ils à faire partager leurs opinions à d'autres ? demanda Miséricorde.

— Oui, ils ont réussi à en détourner plusieurs de la bonne voie. Ainsi Pas Lents se laissa persuader de faire comme eux, puis, ils entraînèrent Essoufflé, Sans-Cœur, Plein de Convoitises, Tête Endormie et même une jeune femme, nommée Hébétée. Ils répandirent des calomnies sur notre Seigneur, affirmant qu'il était un maître dur et sévère. Ils dénigrèrent encore le Bon Pays, prétendant qu'il n'était pas la moitié aussi bon qu'on le disait. Ils allèrent même jusqu'à calomnier les serviteurs du Seigneur et à appeler les meilleurs d'entre eux des intrigants, des brouillons ennuyeux. Ils nommaient le pain de Dieu de la balle, les consolations de ses enfants des caprices, et les peines et les difficultés des pèlerins des choses de néant.

— Si ces gens étaient ce que vous dites, je ne les plains certainement pas, dit Christiana ; ils n'ont que ce qu'ils méritent, et j'estime qu'on a bien fait de les pendre si près de la grande route, afin qu'ils servent d'avertissement aux passants. N'aurait-on pas pu aussi graver leurs crimes sur des plaques de cuivre à l'endroit où ils ont été commis, afin que cela avertisse d'autres méchants hommes.

— Cela a été fait, comme vous pouvez vous en convaincre en vous approchant du mur, répondit Grand Cœur.

— Non, non, dit Miséricorde. Qu'ils demeurent pendus et que leurs noms soient maudits! et que leurs crimes s'élèvent contre eux, à jamais ! J'estime que c'est un grand bonheur qu'ils aient été exécutés, avant notre arrivée, car qui sait ce qu'ils auraient pu faire à de pauvres femmes telles que nous ?

Elle se mit alors à chanter :

En vous voyant pendus tous trois,
Objets d'horreur et d'infamie,
Profanateurs de Sainteté,
Ennemis de la Vérité,
Trembleront de crainte et d'effroi !
Et toi prends garde, chère amie,
Et fuis bien loin de ces méchants
Qu'un sort aussi cruel attend.

Ils continuèrent leur route et arrivèrent à la colline de la Difficulté, ce qui fournit à leur ami Grand Cœur l'occasion de leur raconter ce qui était arrivé à Chrétien lorsqu'il y parvint.

Il les conduisit d'abord à la source.

— Voici, leur dit-il, la source où but Chrétien avant de gravir la colline. Alors l'eau était claire et bonne, mais maintenant elle est salie par les pieds de ceux qui ne désirent pas que les pèlerins puissent étancher leur soif (Ezéchiel 34.18).

— Pourquoi sont-ils si envieux ? dites-le moi, demanda Miséricorde.

Mais le guide continua, en disant :

— Mettez dans un vase de cette eau, qui est malgré tout douce et bonne ; les impuretés se déposeront au fond du vase, et l'eau montera plus claire à sa surface.

Christiana et ses compagnons firent ce qui venait de leur être conseillé. Ils prirent de l’eau, la mirent dans un pot de terre, et laissèrent la saleté se déposer au fond du pot ; puis ils burent.

Le guide leur montra ensuite les deux sentiers du pied de la colline, où Formaliste et Hypocrite se perdirent.

— « La voie des transgresseurs est rude », (Proverbes 13.15) dit Christiana ; c'est étonnant qu'ils puissent entrer dans ces chemins sans courir le risque de se casser le cou.

— Ils veulent s'y aventurer, car si, par hasard, un des serviteurs du Roi les voit, les appelle et les avertit qu'ils sont dans le mauvais chemin et courent de grands dangers, ils lui répondent en se raillant : « Nous ne t'obéirons en rien de ce que tu nous as dit au nom de l'Eternel, mais nous voulons agir comme l'a déclaré notre bouche » (Jérémie 44.16).Vous voyez cependant que ces chemins sont barrés, non seulement par des poteaux, des fossés et des chaînes, mais aussi par des haies. Malgré cela, beaucoup de gens les choisissent.

— Ce sont des paresseux, dit Christiana ; ils n'aiment pas à se donner de la peine ; gravir la colline leur déplaît. Ainsi est accomplie cette parole : « Le chemin du paresseux est comme une haie d'épines » (Proverbes 15.19). Ils préfèrent tomber dans un piège, que de gravir la colline, et de suivre la route qui conduit à la Cité céleste.

Les Pèlerins poursuivirent leur route, et commencèrent à grimper. Mais avant qu'ils fussent arrivés au sommet de la colline, Christiana eut des palpitations de cœur.

— C'est une colline qui essouffle, dit-elle ; rien d'étonnant à ce que ceux qui aiment leurs aises plus que leur âme, choisissent un autre chemin.

— Je dois m'asseoir un moment, dit Miséricorde. Le plus jeune des enfants se mit à pleurer.

— Allons, venez, leur dit Grand Cœur ; ne vous arrêtez pas ici, car un peu plus haut est le bosquet du Prince.

Il prit le petit garçon par la main, et l'aida à monter.

Quand ils furent arrivés au bosquet, ils éprouvèrent de la satisfaction à s'asseoir, car leurs cœurs battaient très fort.

— Comme le repos est doux à ceux qui sont fatigués ! (Matthieu 11.28) dit Miséricorde. Qu'il est bon, le Prince des Pèlerins, de leur procurer ces lieux de repos ! J'avais beaucoup entendu parler de ce bosquet, mais je ne l'avais jamais vu. Prenons garde, toutefois, de ne pas nous endormir, car j'ai appris que cela avait coûté cher au pauvre Chrétien.

— Venez, mes chers petits, dit Grand-Cœur aux garçons ; que pensez-vous maintenant de votre pèlerinage

— Monsieur, dit le plus jeune, mon cœur battait à se rompre je vous remercie de m'avoir tendu une main secourable dans ma détresse. Je me souviens maintenant que ma mère m'a dit : « Le chemin qui monte au ciel est semblable à une échelle, tandis que celui qui descend en enfer est une pente rapide ». J'aime mieux grimper à l'échelle qui conduit à la vie, que descendre la pente qui mène à l'enfer.

— Mais le proverbe dit : « Descendre la pente est facile », remarqua Miséricorde.

Jacques — c'était le nom du garçon — répondit :

— Le jour vient où, à mon avis, descendre la pente sera ce qu'il y aura de plus dur.

— Tu es un bon garçon, lui dit son guide ; tu as bien répondu.

Miséricorde sourit, et le petit garçon rougit.

— Voulez-vous manger un morceau pour occuper votre bouche, tandis que vous êtes assis pour reposer vos jambes ? demanda Christiana. J'ai ici des grenades qui m'ont été mises dans la main par Monsieur l'Interprète, au moment où je passais le seuil de sa porte. Il m'a aussi donné un rayon de miel et une petite bouteille de cordial.

— J'ai pensé qu'il vous avait donné quelque chose, dit Miséricorde, quand j'ai vu qu'il vous prenait à part.

— Oui, en effet. Mais, ajouta Christiana, tu partageras avec nous ce cadeau, comme je te l'ai promis quand nous avons quitté la maison et que tu es devenue si volontiers notre compagne.

Elle leur distribua ses provisions, et ils se mirent tous à manger. S'adressant à Monsieur Grand-Cœur, Christiana lui dit :

— Monsieur, voulez-vous suivre notre exemple ?

Mais il répondit :

— Vous avez encore un grand voyage à faire, tandis que moi, je vais m'en retourner. Que ce que vous mangez vous fasse du bien ! A la maison, j'ai les mêmes aliments.

Quand les Pèlerins eurent mangé et bu, et causé avec leur guide, celui-ci leur dit :

— Le jour décline ; si vous le voulez, préparons-nous à partir.

Ils se levèrent donc, et les garçons marchèrent les premiers.

Mais Christiana ayant oublié de prendre avec elle sa bouteille de cordial, elle renvoya, son fils cadet la chercher.

— C'est une place où l'on perd tout, dit Miséricorde, car Chrétien y perdit son rouleau, et Christiana y oublie sa bouteille ! D'où cela vient-il, Monsieur ?

— La cause en est le sommeil ou la négligence, répondit le guide. Les uns dorment quand ils devraient se tenir éveillés, et les autres oublient quand ils devraient se souvenir. Et voici pourquoi souvent, dans ces lieux de repos, les pèlerins perdent certaines choses. Ils devraient veiller, et se souvenir de ce qu'ils ont déjà reçu avec tant de joie; mais faute de le faire, leur joie se change en larmes, et leur soleil se cache derrière les nuages, comme le prouvent les expériences de Chrétien, ici même.

Quand ils furent arrivés à l'endroit où Méfiant et Timoré rencontrèrent Chrétien, et cherchèrent à le persuader de retourner sur ses pas de crainte des lions, ils aperçurent une sorte d'estrade, et devant elle, dans la direction de la route, une large plaque où des vers étaient gravés. Au-dessous était indiquée la raison pour laquelle cette estrade avait été élevée.

Voici les vers :

Que cette estrade, ô passants, vous enseigne,
Qu'il faut veiller sur vos langues et vos cœurs,
De crainte qu'un jour, il ne vous advienne
Ce qu'il advint à deux vils malfaiteurs !

Au-dessous était écrit ce qui suit :

« Cette estrade a été construite pour punir ceux qui, par méfiance et timidité, craindraient de continuer leur pèlerinage. C'est sur cette estrade que Méfiant et Timoré eurent la langue brûlée avec un fer chaud, pour avoir essayé d'empêcher Chrétien de poursuivre son voyage ».

Alors Miséricorde dit :

— Cela ressemble beaucoup aux paroles du Bien-Aimé : « Que te donne, que te rapporte une langue trompeuse ? Les traits aigus du guerrier, avec les charbons ardents du genêt » (Psaumes 120.3-4).

Ils continuèrent leur route, et arrivèrent en vue des lions. Monsieur Grand-Cœur était un homme fort et vigoureux, aussi n'avait-il aucune crainte d'un lion. Quand ils atteignirent l'endroit, où se tenaient ces bêtes, les garçons, qui allaient en avant, prirent une attitude plus humble. Ayant peur, ils s'arrêtèrent et revinrent en arrière.

Le guide, voyant cela, sourit et leur dit :

— Eh bien, mes garçons, êtes-vous de ceux qui vont volontiers les premiers quand il n'y a pas de danger, et qui préfèrent marcher derrière quand les lions apparaissent ?

Ils continuèrent à s'approcher. Alors Monsieur Grand-Cœur tira son épée pour frayer un passage aux Pèlerins en dépit des lions. A ce moment apparut un personnage qui semblait s'être chargé d'aider les lions. S'adressant au guide des Pèlerins, il lui dit :

— Que venez-vous faire ici ?

Le nom de cet homme était Horrible ou Sanguinaire, parce qu'il égorgeait les pèlerins. Il était de la race des géants.

Le guide lui répondit :

— Ces femmes et ces enfants vont en pèlerinage ; ils doivent passer par ce chemin, et ils le feront, malgré toi et tes lions.

Pour dire la vérité, ce chemin avait été peu fréquenté depuis quelque temps, grâce à la férocité des lions et à l'attitude effrayante de celui qui les excitait ; aussi était-il presque entièrement envahi par l'herbe.

Alors Christiana s'écria :

— « Les routes étaient abandonnées, et ceux qui voyageaient prenaient des chemins détournés, quand je me suis levée comme une mère en Israël» (Juges 5.6-7).

Sanguinaire jura par les lions, qu'elle et ses compagnons ne passeraient point ; il leur ordonna de retourner sur leurs pas et de quitter la route. Mais Grand-Cœur, leur guide, se précipita sur Sanguinaire, avec son épée, si violemment que le géant dut reculer.

— Me tueriez-vous sur mon propre terrain ? dit celui qui voulait seconder les lions.

— Nous sommes dans le chemin du Roi, quoique tu y aies placé tes lions ; et ces femmes et ces enfants, bien qu'ils soient faibles, poursuivront leur route en dépit de ces bêtes.

En disant cela, il lui porta un coup droit qui le fit tomber à genoux, et brisa son casque. Un second coup lui coupa un bras. Alors le géant se mit à rugir si affreusement que sa voix effraya les femmes ; cependant elles étaient contentes de le voir à l'agonie, se rouler sur le sol en se débattant.

Les lions étaient enchaînés et ne pouvaient par conséquent faire aucun mal. Lorsque Sanguinaire, qui avait cru pouvoir les seconder, fut mort, Grand-Cœur dit aux Pèlerins :

— Venez maintenant et suivez-moi ; aucun mal ne vous atteindra par ces fauves.

Ils avancèrent donc, mais les femmes tremblaient en passant près d'eux ; les garçons aussi semblaient vouloir mourir de peur. Cependant ils passèrent tous sans aucun dommage.

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