Étude sur les Miracles

Conclusion

Il est temps de conclure. Chacun sentira que loin d’avoir épuisé notre sujet, une des plus grandes difficultés a été pour nous, dans cette étude, celle de nous en tenir strictement à ce qui nous semblait indispensable pour le but que nous nous étions proposé.

Ce but ne pouvait être de traiter ici, dans tous ses détails, la question du miracle, de son mode, de sa nécessité, de son histoire, — question si vaste et si intéressante, soit qu’on la considère au seul point de vue de la science psychologique, ou bien à celui de l’étude des textes sacrés, ou bien encore à la lumière de l’histoire du dogme chrétien. — Ce à quoi nous avons dû nous contenter d’aspirer, cela a été de contribuer à bien poser cette question, en faisant ressortir, aux yeux de croyants pour lesquels les récits miraculeux que renferme l’Evangile étaient encore une occasion d’hésitation et de doutes, quelques-unes des conséquences nécessaires des vérités qu’ils professaient déjà, et en les amenant ainsi à réfléchir eux-mêmes de plus près sur leur foi.

Cependant, même à ce simple point de vue, ces pages demeurent forcément incomplètes. Au cas où l’on admît nos conclusions, il resterait, par exemple, à montrer comment elles s’accordent, soit avec la persistance ici-bas de la nature déchue dans le régénéré, soit avec l’absence de l’exercice des pouvoirs miraculeux dans Jésus lui-même jusqu’au moment de son baptême. Il resterait surtout à entrer dans ce sujet si captivant des pouvoirs originairement conférés à Adam, sujet à peine esquissé par les anciens théologiens dans leur doctrine du « dominium, » comme aussi à pénétrer dans celui de la restitution de ces mêmes pouvoirs dans le royaume de Jésus-Christ, soit déjà ici-bas, soit dans la plénitude à venir.

Bien plus, et sans parler de ces développements dont nous ne saurions ici qu’indiquer les principaux, nous sentons que ces pages, telles qu’elles sont, auraient besoin, en maint passage, d’être encore longuement motivées, et qu’il se pourrait, à cause de cela, qu’elles nous attirassent, même de la part de tel ou tel de nos amis, des critiques basées sur les conséquences qui sembleraient peut-être, à la première vue, découler des propositions que nous y avons avancées. — Mais si ces propositions sont en effet de nature à modifier telle ou telle formule soit de la doctrine de Dieu ou de celle de la nature de l’homme, soit des rapports essentiels entre Dieu et l’homme, soit enfin de la doctrine de la rédemption et de celle de la divinité persistante du Verbe de Dieu, leur justification, à ces divers points de vue, ne saurait trouver sa place dans ce premier travail. Tout ce qu’il nous est permis d’espérer, c’est qu’il ne s’y trouve rien qui soit de nature à scandaliser aucun de nos frères.

En particulier, nous frémirions à la pensée que nous aurions, aux yeux de qui que ce soit, encouru le reproche d’avoir tendu à rabaisser la sainte image de Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur. Une telle chose n’a certainement point été dans notre intention. Mais, sous peine d’être amené à exposer ici l’ensemble des doctrines christologiques, nous devions nous borner à l’étude de ce moment précis de l’histoire de la rédemption, qui est renfermé dans l’apparition terrestre de Jésus de Nazareth. L’humanité réelle du Verbe de Dieu fait chair était ce sur quoi nous devions avant tout ramener l’attention. En faisant cela, cependant, nous n’avons pu que mettre en lumière la réalité et par conséquent la grandeur de ce sacrifice dans lequel l’Evangile, non seulement nous révèle un acte irrévocable et définitif de son amour, mais dans lequel il n’hésite pas à nous faire voir un sacrifice de la part du Très-Haut lui-même, en nous montrant, dans le sacrifice de soi-même de la part du Verbe éternel, un acte auquel prend part tout d’abord le Dieu suprême et bienheureuxy.

yRomains 8.32.

Nous croyons que ce que ces vérités contribuent à rabaisser, ce n’est pas le Seigneur Jésus, mais bien nous-mêmes. C’est notre orgueil à nous tous qui, nous imaginant posséder encore des droits réels à ce saint nom d’homme, c’est-à-dire de fils même de Dieu, oserions juger d’après notre impuissance absolue, des glorieux pouvoirs qui appartiennent essentiellement à notre véritable nature.

Quant à Jésus-Christ, l’abaissement où nous le voyons réduit constitue son plus grand titre de gloire. Ce n’est pas par une nécessité à lui imposée, c’est librement, c’est pour nous que le Verbe de Dieu a voulu être fait homme. Ce n’est pas tant pour nous révéler notre misère, dont nous souffrions déjà sans cela, mais d’un côté c’est pour nous révéler le caractère central et foncier de cette misère, et cela afin que nous laissions là les efforts inutiles que nous faisions pour nous en guérir nous-mêmes, et d’un autre côté c’est afin de dévoiler à nos yeux ravis la véritable nature de notre être, pour ensuite nous la donner cette nature, en vertu de ce fait que Dieu l’a élu pour être le Roi, le Seigneur et la Vie de nous tous.

En effet, sans parler de ce grand et vaste sujet du salut, et pour nous en tenir spécialement au côté de ce salut que nous avons ici à préciser, ces pouvoirs miraculeux qui apparaissent en Jésus sont à nous ; ce sont des pouvoirs humains, conçus en vue de l’homme, attribués réellement à l’homme au jour où Dieu forma le premier Adam, mais qui ont été de nouveau manifestés à nos yeux, et reconquis pour nous par le second Adam, — par celui auquel nous devons encore être faits semblablesz dans l’avenir, si aujourd’hui nous lui donnons notre foi.

zJean 3.2.

Relevons donc enfin nos yeux si constamment fixés sur la terre ! Ne cherchons plus l’homme, la gloire, la force, la vie de l’homme dans cette existence déchue et imparfaite à laquelle nous sommes tous actuellement condamnés ! Ne cherchons plus parmi les morts celui qui est vivant ! Ce n’est pas ici, ce n’est pas dans l’observation et dans l’expérience des faits de cette vie terrestre qu’est la vérité éternelle sur l’homme ; c’est en Christ que nous la devons chercher. N’hésitons pas à le dire ! Il y a une psychologie chrétienne, il y a même une physiologie chrétienne, comme il y a une histoire, comme il y a une morale chrétiennes. Christ a renouvelé, régénéré notre vie tout entière, ou il n’a rien fait pour nous.

Ne nous sentons donc pas, si ce n’est par le fait d’un devoir saint, comme tout devoir, mais passager et imposé pour quelques jours, les citoyens de ce pays étranger où nous sommes tous exilés ! Notre patrie définitive, la vraie patrie de nous tous est ailleurs ! Et cette patrie n’est pas une abstraction insaisissable. C’est une patrie humaine, la véritable patrie de l’être humain tout entier, la demeure que Dieu avait formée pour lui en le créant, qu’il a perdue pour un temps, mais en laquelle le Fils de l’homme veut le ramener pour qu’il y demeure à toujours. C’est le paradis de Dieu, c’est cet Eden primitif que nous regrettons tous. Ce n’est pas une simple idée où ne pénètre que la seule vie de l’esprit, que les seules aspirations de l’enthousiasme. C’est une réalité concrète, et qui deviendra sensible et actuelle pour nous : ce sont « de nouveaux cieux et une nouvelle terre. » — Et nous le savons déjà maintenant, notre patrie n’est pas le ciel de Dieu, c’est bien le ciel de l’homme. Ce n’est pas la demeure inaccessible de l’Absolu lui-même ; car « il y a plusieurs demeures dans la maison de notre Père. » Notre patrie est cette habitation « qui n’est pas faite de main, » que Christ nous a préparé » dans les cieux. C’est donc une demeure formée, préparée pour nous, spécialement adaptée à notre nature, et qui ne diffère de celle où nous gémissons encore, que par ce fait que notre corps animal y sera un corps spirituel, que là l’homme ne meurt plus, qu’il ne s’y fatigue plus, parce que là il a cessé d’être un pécheur.

Le « Fils de l’homme » y est à cette heure, et c’est de là qu’il nous attire tous à lui. — Laissons ceux qui se contentent de parler de lui s’entendre sur les titres qu’ils lui accordent ou lui prodiguent ! Pour nous, qui ne sommes que des hommes faibles et harassés par la vanité d’une vie qui nous échappe incessamment, levons-nous lorsqu’il vient à passer devant nousa  ! Suivons-le tel qu’il se présente à nous, semblable à chacun de nous, sympathique à nos maux et à nos joies d’homme, et, loin de reculer dès qu’il se manifeste comme étant supérieur à nos faiblesses, loin de nous retirer, peut-être même de nous scandaliser lorsqu’il interrompt ses simples et lumineuses paroles pour un des miracles où éclate, d’une manière si naturelle, sa foi en Dieu et son amour pour nous, réjouissons-nous bien plutôt et acclamons à cette vue avec ceux qui, malgré les murmures des « docteurs, » glorifiaient Dieu à haute voix « de ce qu’il avait donné de tels pouvoirs aux hommes ! »

aMarc 10.47.

Que dès aujourd’hui le récit de ces faits nous enseigne la noblesse de notre nature, la grandeur toute divine de notre première origine ! Qu’en voyant cette domination sur le monde extérieur, laquelle le premier Adam avait perdue, reconquise pour nous tous par Celui qui a quitté les hauteurs de la divinité pour devenir le second Adamb, « nous hâtions par nos désirs » les jours du règne de ce Rédempteur qui n’a pas cessé, dans la gloire, d’être le « Fils de l’homme, » et qui doit venir associer, à son pouvoir tous ceux qui « auront aimé son apparition ! »

bHébreux 12.2 ; 2 Corinthiens 8.9.

Nous ne pouvons assez le redire : ce glorieux salut n’est pas une abstraction, il ne concerne pas un seul côté de notre être ! Christ a sauvé l’homme tout entier, parce qu’il l’a trouvé tout entier perdu, déchu tout entier. Nous ne perdrons donc rien à le suivre : c’est auprès de lui seul, au contraire, que nous retrouverons notre véritable viec. — Non ! nous ne perdrons rien à le suivre ! Tout ce que cet univers périssable renferme de vraiment digne de nous, de véritablement sympathique à notre nature éternelle, nous le retrouverons dans le paradis de Dieu, mais nous l’y retrouverons impérissable et glorieux ! Rien de ce qui, dans ce monde, parle déjà de Dieu à nos cœurs, rien de ce qui y saisit de sa part notre être sensible, rien de ce qui y élève et rajeunit notre âme, rien de tout cela ne saurait être perdu pour nous ! Art, poésie, saintes affections de la terre, émotions enivrantes que produit en nous la vue de tout ce qui est beau ici-bas, Christ a senti toutes ces choses dans ce monde, et certes Christ n’a rien perdu en quittant cette terre ! — C’est le péché seul qu’il n’a pas ressenti. Les « joies du péché » sont aussi les seules que nous ayons à perdre pour pouvoir le suivre, mais ces joies-là nous les connaissons tous, et nous savons « que leur fruit est la mort. » C’est à regret que l’on s’arrache à un semblable sujet. Tout y est vibrant d’actualité, tout y touche aux plus profonds intérêts de notre être, aussi bien qu’aux plus saintes aspirations de notre foi. — Mais si nous avons dû ainsi entrer jusque dans le cœur même de la vérité chrétienne, notre but, nous le répétons en terminant, n’était après tout que de dissiper les doutes qui assiègent quelques croyants à l’endroit des miracles, et de leur montrer, dans cet ordre de faits, non pas, ainsi qu’on le dit d’ordinaire, en se mettant au point de vue de l’homme déchu, des faits surnaturels, c’est-à-dire supérieurs, et par conséquent étrangers à la nature humaine, mais de leur y faire voir, à la lumière de leur conscience et à celle de l’Evangile, l’aurore éclatante de ce qu’a été sur notre terre et de ce que doit être de nouveau dans l’avenir promis aux fidèles, la gloire, la puissance et la liberté que Dieu avait données à l’homme au jour où il créa en lui le fils de son amour, et dont il veut que nous soyons tous de nouveau revêtus en Jésus-Christ.

cPhilippiens 1.21.

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