Nous demandions tout à l’heure, à propos de l’expérience obligatoire : une expérience de quoi ? — Nous demandons maintenant : une expérience de qui ? Malgré les apparences, la question n’est point oiseuse ou superflue. Car si c’est de l’homme qu’il s’agit évidemment, encore faut-il savoir et préciser de quel homme on parle, ou, si vous préférez, quelle est la sphère de la vie humaine dans laquelle se produit l’expérience ? Plus exactement : dans quelle partie de son être l’homme est-il immédiatement accessible à l’action imposée d’une volonté absolue ? Le problème est des plus graves, car si ce que nous venons de dire était toute la réalité, nous aurions peine à faire droit aux phénomènes d’autonomie morale qu’implique toute obligation. L’homme serait obligé par Dieu sans doute, mais il ne s’obligerait plus lui-même. Et dès lors y aurait-il encore obligation ? Et ne faudrait-il pas sacrifier l’obligation au profit d’une pure et simple dépendance (Schleiermacher) ?
Nous déterminerons rapidement dans quelle partie de son être l’homme est directement accessible à l’action imposée d’une volonté absolue, en partant du triple caractère qu’offre l’obligation de conscience, d’être un phénomène de conscience, un phénomène moral et un phénomène immédiat.
1° L’obligation est un phénomène de conscience, et cette qualification la distingue profondément de ceux que l’on pourrait appeler phénomènes de science. — Non sans doute que ces derniers ne doivent passer eux aussi, pour être perçus, par la conscience du savant. Mais ils n’ont dans la conscience que leur retentissement, leur écho, leur lieu de passage, leur prolongement intellectuel ou sensible. Ils y ont leur lieu d’entrée, mais non pas leur lieu de résidence. Ils lui sont extérieurs par leur objet et leur origine. Et la conscience n’hésite pas un instant à refléter, à projeter de nouveau sur le monde externe l’image idéelle qu’elle en a d’abord reçue. Les phénomènes de science apparaissent spontanément à la conscience comme lui étant objectivement extérieurs. — Il en va tout autrement du phénomène d’obligation. Il apparaît spontanément à la conscience comme lui étant non pas subjectif en ce sens qu’il n’aurait point d’objet, — mais objectivement interne. Perçue par la conscience, l’obligation lui reste et s’obstine à lui rester intime. Elle a un objet, sans doute, c’est-à-dire une cause transcendante ; mais il ne s’extériorise pas. Il demeure intérieur à l’être qui le perçoit autant que l’impression même qu’il provoque. Son théâtre est cet endroit mystérieux et précis où l’homme prend, en son for intime, connaissance de lui-même ; où il est se sachant être avec lui-même (con-scientia, συν–ειδός, συν–είδησισς).
C’est dire que l’homme qui est le sujet de l’expérience obligatoire n’est pas l’homme périphérique (en relations avec le monde), mais l’homme central ; non celui qui se répand, mais celui qui se concentre ; et que la sphère de la vie humaine touchée par l’obligation n’est pas celle où l’homme s’actualise et se différencie dans l’existence historique, mais celle où il existe à l’état de puissance et de virtualité pure.
2° L’obligation est un phénomène moral, et cette qualification la distingue profondément de tous les autres phénomènes, qui sont tous des phénomènes naturels. — Sans doute, ils peuvent et doivent tous, ou presque tous, devenir moraux eux aussi, lorsque l’obligation pose sur eux le sentiment du devoir. Mais ils ne le sont point d’abord, ni par nature. Ils le deviennent indirectement comme les relations sociales, par exemple, qui sont en elles-mêmes naturelles, et ne deviennent morales qu’après coup). — L’obligation au contraire est d’abord morale et n’est que cela. Le propre, l’essence de l’obligation est d’obliger, de faire naître le sentiment du devoir, de susciter des jugements de valeur, et donc d’engendrer le sujet à la vie morale. Or si rien n’oblige qu’une volonté, rien non plus n’est susceptible d’être obligé que la volonté.
Ce n’est donc ni l’homme sensible, ni l’homme intellectuel qui est soumis à l’obligation de conscience, mais l’homme moral, c’est-à-dire l’homme en tant que volonté, et en tant que volonté seulement. Le sujet en l’homme de l’expérience obligatoire, c’est la volonté humaine.
3° L’obligation est un phénomène immédiat, d’aperception directe ; et cette qualification, non seulement la met à part de tous les autres phénomènes, qui sont tous médiats, d’aperception indirecte, mais elle détermine strictement quelle est en l’homme la portion de son être moral susceptible de l’appréhender comme telle. Ce doit être sa volonté, puisque l’obligation est un fait moral ; mais ce ne peut être volonté déjà différenciée, réfléchie ou consciente. Car une volonté consciente ou réfléchie n’est plus capable d’éprouver une impression immédiate. En se réfléchissant elle a cessé d’être simple ; elle s’est différenciée en des organes ou des facultés qui sont à la fois les moyens et le résultat de sa réflexion, et qui, de toutes manières, deviennent les entremetteurs, les intermédiaires de ses impressions. Ils mettent désormais entre la volonté et les objets qui la touchent cette distance nécessaire au maintien de sa liberté, distance qui exclut nécessairement la possibilité d’une expérience immédiate, telle que se fait sentir celle de l’obligation.
[Je rappelle de nouveau que le monde de la conscience est un monde fermé, qui ne s’ouvre nulle part directement sur l’objet extérieur. La représentation en est tout ce que nous pouvons saisir directement par la conscience ; mais la représentation de l’objet n’est pas, ou n’est plus l’objet ; c’est nous-même affecté par l’objet ; c’est l’intermédiaire entre l’objet et le moi. Entre le moi et l’objet il n’y a donc pas de relation directe, de rapport immédiat, dans le conscient.]
Celle-ci ne peut donc avoir pour sujet dans l’homme que son instinct moral, le principe subconscient de sa volonté, lequel, n’étant encore ni libre, ni différencié, ni conscient, — incapable de refuser ou d’accorder aucun acquiescement à l’acte inconditionnel qui s’opère en lui, est seul susceptible de recevoir directement l’impression, en quelque sorte l’empreinte souveraine de l’obligation.
Les trois caractères de l’expérience obligatoire concordent donc ensemble et nous poussent vers une même conclusion. Comme phénomène moral, l’obligation a pour sujet la volonté humaine ; comme phénomène de conscience, l’obligation a pour théâtre cette portion de la volonté qui n’est pas encore en rapports avec le monde extérieur ; enfin sa qualité d’expérience immédiatement imposée nous permet de préciser davantage, et, dans la volonté humaine, dans la volonté antécédente à sa projection extérieure, d’attribuer à l’obligation, comme unique sujet possible, la volonté instinctive, ou l’instinct moral de l’homme.
[« Sans doute, écrit W. James (L’expérience religieuse, trad. Abauzit, p. 205), les manifestations inférieures de l’activité subconsciente ne dépendent que du sujet lui-même, en ce sens que les impressions produites sur lui par les objets matériels, recueillies, conservées, élaborées à son insu par sa conscience subliminale, suffisent à expliquer chez lui tous les phénomènes ordinaires d’automatisme. Mais on peut concevoir que la région subconsciente ait un double rôle. S’il existe, au-dessus du monde matériel, un monde spirituel qui le domine, on peut admettre que la conscience subliminale constitue un champ plus propice aux impressions spirituelles que la conscience ordinaire, tout absorbée, à l’état de veille, par les impressions matérielles, vives et abondantes, qui lui viennent des sens… Le sentiment qu’une puissance divine vous domine et vous fait agir… pourrait, dans cette hypothèse, être regardé comme légitime. Une force transcendante pourrait s’exercer directement sur l’individu, à condition qu’il possède un organe approprié, c’est-à-dire une conscience subliminale. » (Éd.)]
Nous concluons donc en statuant que le sujet de l’obligation est l’instinct moral de l’homme, sa volonté virtuelle, ou le principe inconscient de sa volonté. Trois expressions que nous emploierons dans la suite comme équivalentes.
Remarque I. — Des quatre remarques qui doivent se placer ici, la première est relative à la virtualité de la volonté, au principe inconscient de la volonté. On pourrait nous en contester l’existence, et dire que nous parlons de ce qui ne nous est pas connu, de ce qui nous est inconnaissable, puisque la connaissance ne commence qu’avec la conscience, et qu’une volonté consciente, seule cognoscible, n’est pas une volonté inconsciente. Nous répondons qu’en effet, pour une certaine psychologie (la cartésienne et par extension celle du spiritualisme officiel) une volonté inconsciente est une absurdité. Pour un cartésien, pour un représentant du spiritualisme officiel (qui n’est qu’un intellectualisme déguisé), l’être est donné avec la conscience, et la conscience avec l’être, puisque tous deux se résolvent en définitive dans la pensée. La certitude est : « je pense donc je suis ». Or la substance pensante ne comporte pas l’inconscient. L’inconscient, dans cette conception, ne fait point partie de la substance inétendue et ne saurait accéder par aucun moyen à la vie consciente. Seulement cette psychologie métaphysique est battue en brèche par une autre psychologie qui a l’avenir pour elle, parce qu’elle a les faits en sa faveur, et qui parle bien différemment. Le point de vue métaphysique fait place à l’observation, et du même coup le point de vue statique fait place au point de vue génétique ou dynamique. Les notions de virtualité, de puissance, d’inconscient jouent dès lors un rôle décisif. Outre que la conception générale de la science (évolution) y poussait de toutes parts, on a été obligé d’y recourir pour l’explication de certains faits irrécusables fournis par les études de psycho-physique, de parapsychisme, et de pathologie mentale, qui restaient autrement sans explication possible. L’accord sur ce point de la psychologie expérimentale (expérimentale, remarquez-le) avec la nôtre, qui est expérimentale et descriptive elle aussi, nous permet sans doute de parler comme elle d’inconscient, et d’attribuer cet inconscient à la volonté, sous le nom d’instinct moral ou de principe inconscient de la volonté.
[Nous raccordons de notre mieux et au moyen de quelques coupures, deux rédactions plus ou moins parallèles plus ou moins divergentes aussi conservées toutes deux dans les papiers de Gaston Frommel. La première date de 1895. La seconde est plus tardive, car elle s’inspire visiblement d’un passage de M. G. Fulliquet (Essai sur l’obligation morale, 1898, p. 167-169). L’une et l’autre sont antérieures aux écrits de W. James, qui ont attiré l’attention universelle sur le rôle du subconscient en religion. (Comp. L’expérience religieuse, trad. Abauzit, p. 198-199, 205.) (Éd.)]
Il convient toutefois de serrer de plus près ? cette question du subconscient, qui est chez quelques-uns un argument décisif contre notre conception de l’obligation.
Tout d’abord je voudrais noter moins sommairement la position contradictoire des esprits scientifiques à ce sujet. Les uns, avons-nous dit, s’arrêtent avec effroi devant l’inconscient ou le subconscient psychologique et se proposent de ne pas quitter le sol inébranlable, le terrain clair de la conscience. (Ce sont les cartésiens, les partisans ordinaires du spiritualisme courant, ceux qui réduisent l’obligation à une idée, à une loi, à une catégorie ; tous ceux-là, pour telle ou telle raison, ne sortent pas de la conscience claire.) Les autres au contraire se font un jeu de connaître en détail l’inconscient ou le subconscient psychologique et d’en expliquer les mystères. (Ce sont des penseurs comme Schopenhauer, Hartmanna, Ribot, et en général tous les partisans de la psychologie physiologiste, qui fait de la conscience un épiphénomène, un événement accidentel de l’organisme vivant dont les données obscures, c’est-à-dire inconscientes, parviennent de temps à autre à la conscience.) Or ces deux positions extrêmes sont également fausses. Elles ont toutes deux leurs raisons d’être dans certains faits, mais témoignent toutes deux de la négligence de certains autres faits. — En particulier, elles sont toutes deux exclusives de la liberté, du libre pouvoir humainb.
a – Philosophie de l’inconscient (trad. Nolen 1877).
b – Dans le manuscrit de l’auteur, cette phrase et les deux alinéas suivants sont encerclés d’un trait et notés comme a à revoir ». (Éd.)
Dans la première position, l’inconscient est envisagé comme l’inconnaissable. Qui dit inconscient dit inconnaissable, inaccessible, donc ou non existant, ou inabordable à la science. — Mais dans cette position il devient impossible de maintenir l’obligation comme non contraignante. Le domaine de la conscience parfaite ne connaît et ne peut connaître que les caractères nets, tranchés et opposés de la liberté ou de la nécessité. Sur ce terrain, l’obligation n’a plus de place : ou je suis libre, d’une liberté sans obligation, ou je suis contraint d’une contrainte sans obligation. Dans le domaine conscient, une puissance, une loi, une idée, un fait contraignent… ou n’agissent pas. Il n’y a pas de pouvoir conscient qui puisse produire le phénomène spécial de l’obligation. (Observez l’influence directe d’une volonté sur une volonté, la suggestion morale : elle s’exerce en dehors de la conscience claire ; elle n’est pas analysable, pas définissable.)
[Frommel, qui tout à l’heure reprochait aux deux positions d’exclure la liberté, convient que néanmoins l’une d’elles en comporte l’hypothèse. La contradiction n’est que dans les mots, car l’hypothèse lui semble gratuite. A ses yeux, il n’y a de réelle liberté que la liberté morale, et celle que l’on suppose ici serait « une liberté sans obligation ». Il a montré ailleurs qu’une telle liberté n’existe pas (voir tome I ; voir aussi dans le présent chapitre, 8, art. C.) (Éd.)]
Dans la seconde position, tout est ramené à l’inconscient et du même coup au déterminisme. L’inconscient (physiologique) intervient constamment dans la vie, constitue le fond et la trame de la vie ; il agit seul et sans qu’on puisse dire ni pourquoi, ni comment, et son action est la négation de toute liberté. Dans ce cas l’obligation ne se distingue pas de l’inconscient universel (fond des choses universel) et n’est que l’expression particulière de l’universelle nécessité (évolutionnisme de H. Spencer).
La position que nous prenons est intermédiaire. Nous ne cherchons pas à nier l’inconscient au profit du conscient, ni le conscient au profit de l’inconscient. Nous ne faisons pas de l’un, aux dépens de l’autre, l’unique raison suffisante de tous deux. — Voici nos thèses et notre position :
1° L’homme n’est pas tout conscience claire ; il y a en lui du subconscient. Ou si vous préférez : l’homme n’est pas acte pur, il y a en lui du potentiel.
2° Ce potentiel ou ce subconscient n’est pas le magique ; ce n’est pas non plus l’inconnaissable absolu. Nous en avons, sinon une connaissance claire, du moins un sentiment direct, obscur, mais très certain.
3° Ce subconscient qui nous est directement accessible par le sentiment, mais qui n’entre pas comme tel dans la conscience claire, — directement senti, mais non directement connu, — nous le reconnaissons, nous le constatons clairement et directement dans les perturbations qu’il produit au sein des activités conscientes. En d’autres termes, nous l’induisons des effets qu’il produit dans la libre conscience et qui ne sont pas attribuables à celle-ci. Reprenons :
1° L’homme n’est pas tout conscience claire.
a) L’instinct, en effet, commun à l’animal et à l’homme, est une détermination, une propulsion, une impulsion volitive subconsciente. L’instinct, chez l’homme, peut arriver à la conscience, être réfléchi par la conscience, et alors il cesse d’être instinct ; mais jusque là il est potentialité subconsciente.
b) Le développement de l’être humain (nous devenons ce que nous sommes) se définit : le passage du virtuel à l’actuel, la prise de conscience de soi-même que l’homme effectue graduellement. Phénomène qui suppose du potentiel, et donc du subconscient.
c) Même constatation si, des phénomènes de psychologie normale, nous passons aux phénomènes de psychologie anormale, ou de parapsychisme : somnambulisme ou hypnose, médianimisme, suggestion, double et triple personnalité ; tout cela est en quelque sorte la preuve du subconscient, tout cela manifeste qu’il y a un domaine subconscient de l’être humain.
2° Le subconscient n’est ni le magique, ni l’inconnaissable absolu.
Il n’est pas le magique puisque les instincts parviennent chez l’homme à la conscience réfléchie et deviennent alors motifs et mobiles d’actions conscientes ; il n’est pas le magique puisque le développement, ou la prise de conscience de soi, c’est-à dire du virtuel subconscient, est un phénomène normal, on pourrait dire le phénomène normal de l’existence humaine, celui qui exprime le mieux le fond même de sa destinée. « Les idées claires sont faites pour écrire ou pour parler ; les idées sourdes conduisent la vie » (Doudan).
Il n’est pas l’inconnaissable complet ; nous en avons (à certains moments du moins) un sentiment sûr quoique obscur. J’en appelle sur ce point à ces sentiments mêmes de virtualité, de puissance non encore réalisée, de croissance, de développement, qui à certaines heures nous saisissent et, en particulier, font la joie et la force, l’ivresse et la poésie de l’adolescence. Nous aspirons à quelque chose qui sera, qui n’est pas encore, que nous sentons en nous, qui bouillonne au fond de nous-même, qui nous exalte au-dessus de nous-même, c’est-à-dire au-dessus de la conscience actuelle que nous avons prise de nous-même, et nous fait pressentir, nous révèle une réalisation consciente de nous-même encore obscure, impliquée, mais plus pure, plus large, plus forte, plus intégrale. — De même ces intuitions fugitives, mais radieuses, d’une pensée, d’une faculté, d’une aptitude, d’une fonction qui n’est pas encore la nôtre, mais sera la nôtre, que nous ne possédons pas encore, mais que nous allons posséderc ; etc… Tout cela, c’est, non sans doute la conscience directe de l’inconscient comme tel, mais le sentiment direct du subconscient en voie de devenir conscient, sur le point de se traduire à la conscience, et pour le dire en une formule : le sentiment que notre vie est distincte de notre existence, supérieure à notre existence, et antérieure à notre existence historique et consciente. Nous avons le sentiment immédiat d’une vie, d’où procède notre existence historique et consciente. Nous avons donc le sentiment direct d’un potentiel en nous qui n’est pas le conscient, mais le subconscient.
c – Le génie, l’inspiration géniale s’expliquent-ils autrement que par une puissance de potentiel subconscient incarné, accumulé dans un individu ? — Or l’homme de génie en a très nettement le sentiment.
[Une preuve encore, c’est ce qui se passe quand nous cherchons un souvenir sans le trouver de suite. Nous avons le sentiment de savoir une chose sans la savoir actuellement. Il y a donc du subconscient, de l’accumulé en nous qui subsiste en nous, alors même que nous n’en avons pas la conscience claire ou immédiate.]
Si ces deux thèses sont vraies, à savoir qu’il y a en nous du subconscient potentiel, et qu’il n’est ni magique ni absolument inconnaissable puisque au moins nous avons le sentiment de l’avoir, nous ne voyons plus les objections qu’on peut nous faire à statuer un principe subconscient de notre volonté, ou un instinct moral. Nous prétendons même que la position que nous prenons est parfaitement scientifique.
3° Que faisons-nous, en effet ? Nous ne prétendons pas persuader que l’homme a connaissance de l’inconscient ; qu’il y a un moyen (un truc) pour faire comparaître l’inconscient ou le subconscient devant la lumière de la conscience. [Et cependant ce moyen existe : c’est le sommeil hypnotique. Mais l’inconscient qui paraît alors ne paraît qu’à la conscience des tiers, non à celle du sujet (qui l’a précisément perdue). Ce qui change la question, puisqu’il s’agit en ce moment d’introspection personnelle.]
Nous avouons que l’instinct moral de l’homme sur lequel s’exerce l’action obligatoire n’est pas directement analysable, puisqu’il précède en l’homme l’avènement de la conscience, et qu’on n’analyse et ne connaît directement que ce qui est devenu conscient. Mais voici ce que nous faisons : nous observons dans la vie morale consciente les effets de l’obligation, savoir précisément le sentiment qui lui en est imposé. Et de cet effet caractéristique, que nos éliminations antérieures nous empêchent d’attribuer à une cause à laquelle ces caractères seraient étrangers, nous concluons à l’existence nécessaire d’une cause qui soit susceptible de produire ces caractères. Ce n’est pas notre faute si la cause spécifique de ces effets spécifiques, nous ne la trouvons pas ailleurs que dans une action inconditionnelle s’exerçant sur le principe subconscient de la volonté humaine. Ce n’est pas notre faute si l’intervention du subconscient est la seule manière possible de conserver à l’obligation son caractère intégral ; si c’est depuis le subconscient seulement que peut agir une puissance qui oblige ; et si nous constatons dans les libres activités de l’homme, en plein domaine de sa libre conscience, un effet (le sentiment d’une obligation immédiate et imposée) qui ne nous paraît pouvoir être attribué qu’à une cause subconsciente, et que donc, en vertu du principe de causalité, nous attribuons à cette cause. Il n’y a rien là que de scientifique, que de légitime, que de rationnel ; rien que la science n’ait fait et ne fasse encore partout ailleurs sans que nul le lui reproche. L’emploi du subconscient psychologique est ici absolument justifié.
Je le répète, nous avons suivi une marche et observé une méthode appliquée sans scrupule et avec une entière sécurité par les sciences naturelles : celle de l’induction. Ce n’est pas autrement que Leverrier concluait, et qu’en général toute l’astronomie conclut, des perturbations observées sur le cours des astres connus, à l’existence d’un astre inconnu, seule cause possible, parce que seule adéquate, de ces effets (astre que par hypothèse il aurait pu ne jamais constater directement). Ce n’est pas autrement qu’en physique l’existence de l’éther, absolument inaccessible à l’expérience directe, ne fait doute pour personne. Pourquoi ? Parce qu’il est la seule cause ou le seul moyen possible de certains effets connus (par exemple, de la lumière).
[« Plongés comme nous le sommes dans un espace illimité, rempli de corps composés de groupements d’atomes ou de molécules, nous ne connaissons ces derniers que par les impressions qu’ils produisent sur nos organes sensoriels… Aucun physicien n’a jamais vu l’éther autrement que par les yeux de l’esprit, qui dans ce cas conduisent cependant à un degré de certitude au moins aussi grand que les yeux du corps. L’hypothèse de l’existence de l’éther est prouvée par l’explication qu’elle donne d’à peu près tous les phénomènes physiques. Nous sommes enserrés dans ce dilemme : l’accepter comme vraie, et dès lors nourrir l’espoir de tout comprendre ; ou la nier, et renoncer à nous rendre compte de ce qui se passe dans l’univers.) E. Yung (Semaine littéraire, 15 févr. 1896).]
[Exemple très malheureux choisi par Frommel, puisque si dans sa génération les physiciens admettaient l’existence d’un éther (c-à-d d’un fluide hypothétique remplissant l’espace intersidéral, assez subtil pour permettre aux corps célestes de se mouvoir sans frottement, et cependant assez rigide pour propager les vibrations lumineuses à la plus haute vitesse connue), quelques années après sa mort, la théorie de la relativité d’Albert Einstein obligeait à abandonner complètement l’idée d’un milieu matériel nécessaire à la propagation de la lumière, comme il en faut un pour celle du son. Cet éther, dont la physique parlait depuis cinquante ans, dut donc s’en aller rejoindre le phlogistique dans les oubliettes des anciennes conceptions erronées de la science. (ThéoTEX)]
Ce n’est pas autrement qu’en biologie générale on est forcé d’admettre une inconnue à jamais inconnaissable en elle-même, mais qui se démontre par ses effets : la vie même. — Et c’est encore pour les mêmes raisons que la psychologie se voit acculée de plus en plus à l’admission du subconscient psychologique général, qu’elle expérimente, il est vrai, directement dans les phénomènes de parapsychisme, mais qu’elle est obligée d’induire partout ailleurs.
Qu’on ne nous empêche donc pas de faire dans notre sphère spéciale ce que toutes les sciences font dans la leur. Nous contester le droit de parler du principe subconscient de la volonté sous prétexte qu’étant inconscient il n’est pas connaissable, reviendrait à nier l’instinct, le développement, le potentiel, le sentiment obscur que nous en avons ; à contester à la psychologie le droit de statuer l’inconscient psychologique, à la biologie le droit de statuer la vie, à la physique le droit de statuer l’éther, à l’astronomie enfin le droit de statuer, par delà les mondes visibles, les mondes inaccessibles au télescope, si jamais l’influence de ceux-ci sur le cours des astres perceptibles venait à être constatée.
[Et notre droit est d’autant meilleur que, tandis que ni l’astronome n’a le sentiment direct des astres qu’il ignore, ni le physicien celui de l’éther, nous avons l’appréhension immédiate de la vie au sein de l’existence, du subconscient au soin de la conscience.]
Remarque II. — Elle concerne le rapport de la souveraineté divine à la liberté humaine, c’est-à-dire le problème religieux et métaphysique par excellence : celui de la liberté humaine, qui semble exclure la souveraineté divine : celui de la souveraineté divine, qui semble exclure la liberté humaine.
Nous avons été conduits à poser, comme sujet en l’homme de l’obligation de conscience, le principe subconscient de sa volonté, et cela pour deux raisons : 1° que l’homme était le sujet d’une expérience immédiate de volonté absolue ; 2° que l’homme ne pouvait l’être dans sa volonté consciente, c’est-à-dire réfléchie et différenciée. Une expérience incontestable dont l’homme conscient, c’est-à-dire l’homme libre, était néanmoins incapable, ne pouvait donc avoir d’autre lieu en lui que son être encore inconscient, c’est-à-dire cette partie de lui-même qui ne peut encore ni accepter, ni refuser l’expérience, qui ne peut que la subir, parce qu’elle n’est pas encore libre. Ce faisant, nous avons résolu le problème dans lequel Schleiermacher avait échoué : celui de concilier la souveraineté divine avec la liberté humaine. L’une et l’autre sont garanties.
Le rapport de la volonté humaine avec une volonté absolue reste, en effet, immédiat et direct ; mais il ne détruit pas la liberté humaine, parce qu’il engage une volonté encore inconsciente, et qu’il l’atteint antérieurement à l’avènement de sa liberté ; bien plus, parce qu’il est à la source même de sa liberté. Car la liberté de l’homme n’est pas engagée dans le rapport absolument primaire qui s’établit entre le facteur objectif et le facteur subjectif (instinct moral) de l’expérience obligatoire ; si la liberté était engagée là, elle serait perdue ; mais elle n’y est pas engagée, par la bonne raison qu’elle n’existe pas encore ; elle ne saurait donc y être compromise. La liberté de l’homme commencera au moment où sa volonté consciente (différenciée) réfléchira en oui ou en non, affirmativement ou négativement, l’expérience de sa volonté inconsciente, c’est-à-dire le sentiment de l’obligation ou du devoir être. Remarquez, en effet, que l’homme n’acquiesce pas à l’expérience souveraine dont il est le sujet, et il ne la rejette pas non plus ; elle lui est imposée ; mais l’homme acquiesce aux conséquences, au résultat de l’expérience imposée, ou bien il s’y refuse, c’est-à-dire qu’il cède ou qu’il résiste à l’impression d’un devoir-être qui est déjà le sien, puisqu’il est imprimé par l’expérience obligatoire dans son instinct moral, mais qu’il doit mettre consciemment et librement en œuvre, c’est-à-dire traduire en actes par sa volonté réfléchie. — L’action de la volonté objective qui oblige l’homme reste donc absolue (la souveraineté divine est garantie). L’obligation reste donc un rapport immédiat de cette volonté souveraine avec la volonté humaine (le caractère religieux de l’obligation est garanti). La réponse de l’homme à l’action souveraine qui s’impose à sa volonté reste donc libre (la liberté humaine en face de la souveraineté divine est garantie). — Le problème religieux par excellence, métaphysiquement insoluble, se résout par la psychologie de l’obligation.
Remarque III. — Elle concerne la donnée de Kant selon laquelle il représentait l’obligation de conscience comme l’expression du rapport entre la volonté pure (nouménale) et la volonté sensible (phénoménale) de l’homme. — Cette conception se heurtait aux difficultés du dualisme propre à toute la philosophie kantienne, et c’est pourquoi nous l’avons rejetée. Elle avait néanmoins en sa faveur de faire droit non seulement à l’essence même de l’obligation qui est d’être un rapport de volonté à volonté ; mais encore à cet autre caractère de l’obligation qui est de se faire valoir comme un accord de soi-même avec soi-même, comme une manifestation de sincérité (autonomie). Jusqu’ici, en insistant sur l’expérience imposée, nous n’avions expliqué que l’hétéronomie dans le devoir ; et pourtant, dans le devoir, tout n’est pas hétéronomie ; il y a autonomie aussi. Cette autonomie, comment l’entendre sinon par une relation de la volonté avec elle-même ? Et cette relation, comment l’entendre à moins d’admettre deux volontés en l’homme ? Si l’obligation est liée à la sincérité, si elle se présente comme un accord de soi-même avec soi-même, n’est-il pas clair que l’obligation (qui est une relation de l’homme avec autre chose que lui-même) est aussi une relation de l’homme avec lui-même ? qu’il y a donc en lui deux volontés, l’une qui commande et l’autre qui obéit ; deux volontés, dis-je, dont l’harmonie est précisément la condition du devoir ? L’obligation ne peut-elle pas se traduire ainsi : je dois être, ou je dois devenir ce que je suis en principe ?
Or, comme nous venons de faire droit à la donnée religieuse de l’obligation (dépendance immédiate de l’homme vis-à-vis de Dieu, hétéronomie), nous avons fait droit dans le même temps à la donnée morale de l’obligation (autonomie, accord de soi-même avec soi-même). En effet, il y a, dans le phénomène obligatoire, tel que nous venons de l’expliquer, accord de soi-même avec soi-même, obéissance de soi-même à soi-même (en même temps qu’il y a obéissance religieuse). Cet accord, c’est celui de la volonté devenue consciente avec la volonté encore inconsciente ; cette obéissance est celle de la volonté réfléchie à l’instinct moral affecté par l’obligation. En un mot : c’est l’accord de la volonté avec son principe. La condition du devoir reste donc bien la sincérité avec soi-même. La maxime de l’obligation reste celle-ci : deviens ce que tu es ; deviens en fait, dans tes actes historiques, dans l’activité de ta volonté réfléchie, ce que tu es (du fait de l’expérience obligatoire) en puissance, en devoir-être, dans le principe inconscient de ta volonté ; sois sincère, sois conséquent avec toi-même.
[Je n’ai pas besoin de faire observer combien cette remarque confirme ce que nous disions du subconscient psychologique et de sa place comme facteur subjectif de l’obligation. S’il y a dans l’obligation phénomène de sincérité, si on ne peut expliquer le sentiment d’obligation indépendamment du sentiment de sincérité, et si cette sincérité est celle d’un accord de soi-même avec soi-même dans un développement, un devenir (deviens ce que tu es), il est clair que cet accord et ce devenir impliquent ce que nous avons dit du principe subconscient de la volonté.]
Le tort de Kant était de parler d’une volonté nouménale (intelligible) absolument réfractaire à l’expérience et à la pensée, au lieu de parler du principe de la volonté. Son erreur était de statuer la première autonome — alors qu’elle est essentiellement théonome.
Remarque IV. — M. H. Bois dans son discours sur Le sentiment religieux, écrit les lignes suivantes (en critiquant notre conception) : « Dieu exerce une action absolue sur la partie subconsciente de notre être. Et il paraît — par un mystère que je ne me charge pas d’expliquer, ne l’ayant jamais bien compris que l’être absolument déterminé dans sa partie subconsciente, quand il prend conscience de soi, prend conscience de soi non pas comme absolument déterminé et nécessité, — ce qui serait pourtant naturel, mais comme libre et obligé. N’insistons pas sur la difficulté de cette genèsed. » — L’objection n’est pas clairement formulée ; si je l’ai bien comprise cependant, elle porte sur deux points différents, que j’aborderai ici parce qu’indépendamment de toute objection ils ont une importance propre. C’est d’abord (1°) que nous pourrions paraître poser le subconscient comme explication du conscient, et le passage de l’un à l’autre comme explication de la liberté ; c’est ensuite (2°) qu’on ne voit pas pourquoi le principe de la volonté, absolument déterminé par Dieu à l’état subconscient, apparaît comme obligé à la conscience, ou plus exactement : oblige la volonté consciente.
d – Et il ajoute, en note, qu’il ne conteste ni le subconscient, ni l’action de Dieu sur le subconscient. Ce qui provoque ses doutes et ses objections, c’est l’explication qu’on en donne, les conclusions qu’on en tire, la théorie dont on l’enveloppe.
1° Affirmons d’emblée qu’on se tromperait du tout au tout en nous faisant dire que l’existence du subconscient explique le conscient et la liberté. Il n’en est rien. Le passage du subconscient au conscient n’est pas explicatif de la liberté. La liberté est inexplicable ; elle n’a point de généalogie d’où on la puisse faire provenir. Le conscient est inexplicable ; il n’a point de généalogie d’où on le puisse faire provenir. Tous deux sont ensemble, dès qu’ils sont, parce qu’ils sont. Ils sont donnés. On ne peut les expliquer : on les constate. De même le passage du subconscient au conscient ; on le constate, on ne l’explique pas. La liberté et la conscience (deux synonymes) sont un commencement nouveau par rapport au déterminisme du subconscient. L’un n’explique pas l’autre, mais l’un est condition de l’autre, ce qui est bien différent. Le passage du subconscient au conscient est condition de la liberté ; cela est vrai de la vie psychologique tout entière. N’est libre dans l’individu, n’accède à la sphère de la vie libre dans l’individu, que ce qui a passé de l’un de ces états dans l’autre, que ce qui est monté des profondeurs de l’inconscient à la claire lumière du conscient. Cela est vrai de l’instinct, du tempérament, des aptitudes, bref de toutes les fonctions de la vie psychologique. Le sujet n’en fait librement usage qu’à partir de la consciencee. Si cela est vrai de tout le reste, pourquoi cela ne serait-il pas vrai de l’instinct moral, du sentiment de devoir, de l’obligation ? En réclamant pour l’instinct moral ce qui se réalise pour tout le reste, nous ne faisons rien d’extraordinaire ou d’exceptionnel. Nous appliquons simplement la loi générale au phénomène particulier ; nous soumettons simplement le fait particulier à la condition générale de tous les autres. Et cette condition, je le répète, n’est pas explicative : elle est donnée par l’observation.
e – Ou si l’on veut, le sujet n’est conscient qu’à partir du moment où il en fait librement usage. Comp. tome I, (Éd.)
A ce point de vue donc, nous croyons qu’il n’y a pas lieu, en effet, « d’insister sur la difficulté de cette genèse ». La difficulté est nulle, ou si elle existe, elle est commune à l’ensemble total des phénomènes psychologiques du même ordre, c’est-à-dire de ceux qui ont leur origine au-dessous de la conscience.
2° Mais la difficulté reparaît sur le second point, et l’objection à laquelle vise M. Bois est probablement celle-ci : pourquoi la volonté subconsciente, déterminée elle-même absolument par l’action divine, ne détermine-t-elle pas la volonté consciente, mais l’oblige-t-elle au contraire ?
Pourquoi ? Pour deux raisons : une raison de constatation et une raison d’explication.
La première, c’est qu’il en est ainsi tout simplement. Il y a en nous quelque chose qui précède la conscience de nous-même, et qui, en accédant à la conscience de nous. même, oblige notre volonté. Ce n’est pas une théorie, c’est un fait (au moins à notre avisf). Et ce quelque chose qui oblige notre volonté consciente, nous l’appelons instinct moral, principe de la volonté, ou volonté subconsciente, précisément pour le distinguer, pour le mettre à part du reste du subconscient.
f – Cela découle de ce que nous avons dit sur l’obligation-sentiment, l’obligation-expérience, et sur le sujet en nous de l’expérience obligatoire.
Il faut remarquer, en effet, que tout le subconscient n’oblige pas le conscient. Ce que nous appelons en nous nature, instinct ou tempérament et qui est la source profonde, également subconsciente, de toutes nos facultés et fonctions psychologiques conscientes, ne nous oblige pas. La nature, l’instinct, le tempérament sollicitent la liberté, qualifient la liberté, entraînent partiellement la liberté, tentent la liberté, exercent sur la liberté une prise de contrainte totale ou partielle. Ils ne l’obligent pas. La tentation n’est pas l’obligation, l’entraînement n’est pas l’obligation ; toute qualification ou sollicitation de la liberté n’est pas l’obligation. Il y a donc dans le subconscient des facteurs qui atteignent et touchent la conscience sans l’obliger ; mais il y en a un qui l’oblige en la touchant. Nous appelons les premiers : nature, instinct, tempérament, etc., pour les distinguer de l’autre ; nous appelons le second : volonté subconsciente, principe de la volonté ou instinct moral, pour le distinguer des premiers. Voilà le fait et sa constatation.
Voici maintenant son explication. On demande pourquoi la volonté subconsciente, elle-même absolument dépendante de l’action divine, ne détermine pas la volonté consciente, mais l’oblige au contraire ? A cette question, il n’y a qu’une réponse : parce que nous sommes ici dans un ordre de relations, celui de volonté à volonté, qui n’a qu’un mode possible, celui de l’obligation. Nous avons vu ailleurs (dans l’analyse de l’obligation sociale) que la volonté seule oblige la volonté. Or ici nous sommes exclusivement dans la sphère de la volonté. D’une part la volonté divine, de l’autre la volonté subconsciente, de l’autre enfin la volonté consciente. D’une part la volonté divine oblige absolument (c’est-à-dire sans résistance possible) la volonté subconsciente ; de l’autre la volonté subconsciente, ainsi obligée, oblige la volonté consciente. Elle l’oblige absolument, mais avec une résistance possible, parce qu’il s’agit ici de conscience, c’est-à-dire de liberté.
Voici, si vous préférez, la même réponse en d’autres termes : l’obligation c’est la volonté sollicitée, non plus contrairement au mode de la volonté (comme dans le cas de la nature, de l’instinct, ou du tempérament), mais conformément au mode de la volonté et donc par une volonté. La volonté explique l’obligation comme son effet ; l’obligation implique la volonté comme sa cause. La volonté divine peut donc obliger absolument la volonté subconsciente de l’homme, parce qu’elle la touche conformément à son mode ; la volonté subconsciente, bien qu’absolument obligée, peut obliger la volonté consciente de l’homme, parce qu’elle la touche encore conformément à son mode. L’obligation, c’est la prise de conscience par la volonté d’une action touchant la volonté conformément au mode de la volonté.