Le jour d’une tardive réparation a lui en France pour Calvin. Trop longue a été la période d’oubli, de préjugés, d’injustice, envers sa mémoire dans des Eglises qui, après Dieu, lui doivent leur existence. Il n’est pas nécessaire de partager toutes les vues dogmatiques du grand Réformateur, ni de tout approuver dans sa vie, pour prononcer ce blâme. Il ne faut qu’avoir pris la peine de se familiariser un peu avec lui, avec sa vivante piété, son incorruptible caractère, ses immenses travaux, ses longues souffrances ; il ne faut que se demander ce que, humainement parlant, serait devenue sans lui la Réforme française, qui, en France, s’affaissait dans un vague et impuissant mysticisme, tandis que, dans la Suisse romande, elle remplaçait tumultueusement le papisme par une conception superficielle de l’Evangile. Où seraient aujourd’hui nos Eglises, si la forte organisation qu’il leur donna, le souffle vivant dont il les anima ne les avaient soutenues pendant les deux siècles d’orages qu’elles ont traversés ?
Jamais l’Allemagne n’eut à déplorer une ingratitude semblable à l’égard de Luther, pas même durant les plus mauvais jours de son histoire religieuse. Il serait difficile de dire combien de biographies du Doctor Martinus ont popularisé ce nom depuis le seizième siècle, combien d’éditions complètes ou partielles de ses œuvres ont propagé sa pensée dans la nation, quelle place il occupe dans les annales de son pays, depuis les écrits des savants jusqu’à l’école de village où les enfants récitent aujourd’hui encore son catéchisme. — Que dis-je ? l’Allemagne nous a devancés dans le soin de faire revivre notre Calvin au sein de la génération actuelle. Elle a retracé longuement son histoire, tandis que nous en sommes encore, ou peu s’en faut, à l’imparfaite esquisse de son ami Théodore de Bèze ; elle a réimprimé ses écrits exégétiques, répandus par milliers d’exemplaires, et retraduit son Institution pour la mettre à la portée du peuple. — Et nous dont il a parlé et presque créé la langue… Nous sommes à l’œuvre, oublions le passé. Déjà un savant éditeur nous a donné ses Lettres françaises, et nous fait espérer sa Correspondance latine ; ses principaux Commentaires nous ont été rendus, et voici enfin son chef-d’œuvre, le travail de toute sa vie, l’Institution. — Puisse le Protestantisme français prouver enfin, par l’usage qu’il fera de ces trésors de science et de piété, qu’il est digne encore de ses glorieuses origines !
Remontons d’abord un instant vers ces sources de notre vie religieuse pour esquisser rapidement l’histoire et les caractères du livre dont nous offrons au public une édition nouvelle.