Dans ce sixième livre que nous commençons, pieux Ambroise, nous nous proposons de combattre les calomnies de Celse contre les chrétiens, et non, comme on pourrait se l’imaginer, ce qu’il emprunte de la philosophie. Car il produit plusieurs choses, surtout des écrits de Platon, pour faire voir que ce que nos saintes Écritures ont de plus capable de faire impression, même sur un esprit éclairé, nous est commun avec d’autres, voulant que cela ait été beaucoup mieux dit par les Grecs et sans tout cet appareil de promesses et de menaces de la part de Dieu ou de son Fils. Je dis donc que si les ministres de la vérité, par un effet de l’amour qu’ils ont pour tous les hommes, n’ont rien tant à cœur que de se rendre utiles au plus grand nombre qu’ils peuvent, et de faire connaître cette vérité à toutes sortes de personnes, s’il était possible, sans distinction de savants et d’ignorants, de Grecs et de Barbares ; si, dis-je, leur humanité n’éclate jamais mieux que quand ils se mettent en état de convertir les plus simples et les plus grossiers, il est clair que, pour réussir dans ce dessein, ils doivent s’étudier à parler populairement et d’une manière proportionnée à l’intelligence de tout le monde. Ceux qui, traitant de misérables, indignes que l’on s’arrête à eux, ces personnes simples dont la capacité ne va pas jusqu’à sentir les beautés d’un discours bien suivi et d’une période bien tournée, ne considèrent que les hommes nourris dans les lettres et dans les sciences, ceux-là donnent des bornes bien étroites au désir de se communiquer.
Ce que je dis pour défendre, contre les accusations de Celse et de quelques autres, la simplicité du style de nos Écritures qui semblent n’avoir aucun lustre auprès de ces compositions si brillantes, où tous les préceptes de l’art sont observés. Mais c’est que nos prophètes, notre Jésus et ses apôtres, dans les enseignements qu’il nous ont laissés, n’ont pas eu simplement en vue de dire des choses véritables, ils ont voulu aussi les dire d’une manière qui pût s’insinuer dans l’esprit des peuples jusqu’à ce qu’étant ainsi tous gagnés et attirés, chacun s’élevât selon ses forces, aux mystères cachés sous celle simplicité apparente. Et, pour dire librement ce que j’en pense, si le style étudié et fleuri de Platon et de ceux qui lui ressemblent, a fui quelque fruit, il n’en a fait qu’à l’égard d’un petit nombre de personnes, au prix de ceux qui ont profité de la manière simple, mais vive des auteurs qui ont accommodé leurs préceptes et leurs écrits à la portée du commun des hommes. Aussi voit-on que Platon n’est qu’entre les mains des gens de lettres : au lieu qu’Épictète se fait admirer des plus simples, qui sentent en eux-mêmes l’utilité de ses leçons, pour peu qu’ils aient de disposition à en profiter.
Je n’ai pas dessein, au reste, quand je parle ainsi, de me déclarer contre Platon ; car les diverses beautés qu’il a empruntées de l’art ont aussi leur usage : mais je veux faire voir quelle est la pensée de ceux qui disent : Je n’ai pas employé en vous parlant et en vaut prêchant, les discours persuasifs de la sagesse humaine, mais la démonstration de l’esprit et de la puissance ; afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (I Cor., II, 4), D’ailleurs, la sainte Écriture nous enseigne que pour toucher le cœur des hommes, il ne suffit pas que les choses qu’on leur dit soient véritables et très dignes de foi en elles-mêmes : mais qu’il faut de plus, que celui qui leur parle soit assisté d’une vertu particulière de Dieu, et qu’une grâce, qui ne peut venir que du ciel, soit répandue sur ses paroles, afin qu’il parle avec fruit. C’est ce qui fait dire au prophète dans le psaume LXVII : Le Seigneur donnera la parole aux messagers de bonnes nouvelles, qui les publieront avec une grande force (Ps. LXVIII, 12). Ainsi, quand nous accorderions sur quelques points que les dogmes de la religion chrétienne sont les mêmes que ceux des Grecs, toujours ceux-ci n’auraient-ils pas autant de vertu pour gagner l’âme et pour la bien disposer. De là vient que les disciples de Jésus qui, n’ayant nulle teinture de la philosophie grecque, ne pouvaient passer à cet égard que pour des personnes mal instruites allèrent répandre leur doctrine dans une partie de la terre, disposant leurs auditeurs à suivre, chacun à proportion de ses lumières, les règles qu’elle leur prescrivait : de sorte que, selon qu’on avait plus de penchant et plus d’inclination à recevoir de bons principes, on en devenait beaucoup meilleur.
Que les anciens sages parlent donc pour ceux qui sont capables de les entendre, et qu’ils disent avec Platon dans quelqu’une de ses lettres, pour expliquer la nature du souverain bien, que le souverain bien n’est pas une chose qui se puisse exprimer par des paroles, mais qu’il ne s’acquiert que par une longue habitude et qu’il s’allume tout d’un coup dans l’âme comme une lumière qu’on voit sortir d’un feu qui s’éprend (Lettre VII). Lorsque nous lisons cela, nous le trouvons fort beau, et nous y acquiesçons (car nous prenons à tâche de ne combattre jamais ce qui est bien dit : et quoique ceux qui le disent ne soient pas de notre créance, nous ne voulons pas les contredire, ni chercher à détruire ce qu’ils avancent de conforme à la raison). En effet, c’est Dieu qui leur a révélé tout ce qu’ils ont dit de bon, et en celle rencontre et en d’autre ; Ce qui nous donne lieu de dire que ceux qui connaissent les vérités dont Dieu est l’objet et qui cependant ne lui rendent pas un culte tel que celle connaissance exigerait d’eux sont sujets à la peine duc aux pécheur Voici comme Saint Paul parle d’eux en propres termes : La colère de Dieu éclate du ciel contre toute l’impiété et l’iniquité des hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice, puisque ce qui peut faire connaître Dieu est évident parmi eux, Dieu le leur ayant clairement découvert. Car ce qui est invisible en Dieu tant sa puissance éternelle que sa divinité, est visible en ses ouvrages, et s’y fait connaître depuis la création du monde : ainsi ces personnes sont inexcusables, parce qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces. Mais ils se sont laissés aller à leurs vains raisonnements et leur cœur privé d’intelligence a été rempli de ténèbres. Voulant passer pour sages, ils sont devenus fous au point de changer la gloire de Dieu incorruptible en des représentations et en des images d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents (Rom.. I, 18, 19, 20, 21, 22, 23). Ceux-là donc, selon le témoignage de nos Écritures, retiennent la vérité dans l’injustice qui croient et qui disent que le souverain bien n’est pas une chose qui se puisse exprimer par des paroles ; mais qu’il ne s’acquiert que par une longue habitude et une grande assiduité, qui fait enfin qu’il s’allume tout d’un coup dans l’âme, comme une lumière qu’on voit sortir d’un feu qui s’éprend ; après quoi, il s’y nourrit et s’y entretient de lui-même :
Ceux, dis-je, qui ayant ainsi parlé du souverain bien descendent au Pirée (Port d’Athènes), pour adresser des prières à Diane comme à une divinité, et pour assister aux cérémonies qui se célèbrent dans l’assemblée solennelle d’un peuple ignorant, on les entend qui disent mille belles choses sur la nature de l’âme et sur l’état où sa vertu la doit mettre après celle vie : mais, publiant aussitôt ces choses sublimes que Dieu leur a révélées, ils n’ont que des sentiments vils et bas, et ils veulent que l’on sacrifie à Esculape le coq qu’ils lui ont voué (Plat. dans le Phédon). Ils s’étaient formé des idées de ce qui est invisible en Dieu ; et par la contemplation des choses sensibles que la création du monde leur avait découvertes, ils étaient montés jusqu’aux choses intellectuelles ; de sorte qu’ils avaient des pensées assez nobles de la puissance éternelle de Dieu et de sa divinité ; mais ils se laissent aller néanmoins à leurs vains raisonnements ; et comme leur cœur est sans intelligence, il se plonge dans les ténèbres d’une ignorance grossière sur le sujet du culte de Dieu. On voit ces gens qui font tant les fiers de leur sagesse, et de leur théologie, se jeter aux pieds d’une image qui est la représentation d’un homme corruptible pour honorer, disent-ils, la Divinité : on les voit même quelquefois s’abaisser avec les Égyptiens, jusqu’aux oiseaux, aux bêtes à quatre pieds et aux serpents.
Mais quand il y en aurait quelques-uns dont l’âme semblerait plus élevée que cela, il se trouvera toujours qu’ils changent la vérité de Dieu en mensonge ; et qu’au lieu de servir et d’adorer le Créateur, ils servent et ils adorent la créature (Rom., I, 25). Ainsi, les sages et les savants d’entre les Grecs, faisant à l’égard de la Divinité des actions qui ne pouvaient venir que d’un principe d’erreur, Dieu a choisi les moins sages selon le monde pour confondre les sages ; il a choisi les plus vils, les plus faibles et les plus méprisables, ce qui n’était rien », pour détruire ce qui était de plus grand (I Cor., I, 27, 28, 29), afin que véritablement nul homme ne te glorifie devant lui.
Aussi nos premiers sages, Moïse, le plus ancien de tous, et les prophètes qui l’ont suivi, sachant que le souverain bien n’est pas une chose qui se puisse exprimer par des paroles, disent bien dans leurs écrits, lorsqu’ils parlent des apparitions par lesquelles Dieu s’est montré a ceux qui en étaient dignes et capables, que Dieu s’est fait voir à Abraham, à Isaac ou à Jacob (Gen., XII, 7 ; XXVI, 2 ; XXXV, 9) : mais quel il s’est fait voir, en quel état, de quelle manière ou sous quelle forme approchant de ce que nous connaissons, c’est ce qu’ils ne disent point. Ils le laissent à la méditation des personnes qui peuvent se mettre à peu près dans la même disposition que ceux a qui Dieu se faisait voir, non des yeux du corps, mais des yeux d’un cœur pur. Car Notre-Seigneur Jésus déclare que ceux qui ont le cœur pur sont bienheureux, parce qu’ils verront Dieu.
Quant à cette lumière qui s’allume tout d’un coup dans l’âme, comme si elle sortait d’un feu qui s’éprend (Matth., V, 8) ; nos Écritures en ont parlé les premières, lorsqu’elles nous ont exhortés par le prophète, à nous éclairer de la lumière de la connaissance (Os., X, 12). Saint Jean, qui est venu depuis, dit aussi, parlant du Verbe, que rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui ; qu’en lui était la vie, et que cette vie était la lumière des hommes ; la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde (Jean. I, 3, 4 et 9), véritable et intelligible, et qui le fait devenir la lumière du monde (Matth., V, 14). C’est cette même lumière qui luit dans nos cœurs, afin de nous éclairer par l’Évangile, qui fait éclater la gloire de Dieu en Jésus-Christ (II Cor., IV, 6 ; Matth., I, 17) : et c’est encore ce qui a fait dire à l’un des plus anciens prophètes qui a prophétisé plusieurs siècles avant que Cyrus eût fondé son empire ; car il l’a précédé de plus de quatorze générations : Le Seigneur est ma lumière et mon sauveur ; qui dois-je craindre ? La loi est la lampe qui éclaire mes pas, et la lumière qui luit dans les sentiers par ou je marche : Seigneur, la lumière de ton vissage est empreinte sur nous : nous verrons la lumière dans ta lumière (Ps. XXVII, 1 ; CXIX, 4, 7 ; XXXVI, 10). Isaïe, divinement inspiré, nous exhorte ainsi à recevoir cette lumière ; sois illuminée, Jérusalem, sois illuminée : car ta lumière est venue ; et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi (Is., LX, 1). Le même prophète prédisant l’avènement de Jésus, qui devait détourner les hommes du culte des idoles, des simulacres et des démons : La lumière s’est levée, dit-il, pour ceux qui demeuraient dans la région de l’ombre de la mort ; et, le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière (Is., IX, 2).
Voyez donc la différence qu’il y a entre ce que Platon a dit de beau touchant le souverain bien, et ce que les prophètes ont dit de la lumière des bienheureux. La vérité qu’il a proposée n’a servi de rien pour la sincère piété, ni à ceux qui ont lu ses écrits, ni à lui-même, qui a fait tant de spéculations philosophiques sur le sujet du souverain bien, au lieu que le style simple des saintes Écritures produit un divin transport en ceux qui les lisent avec toute l’application nécessaire ; et, pour nourrir celle lumière en leur âme, il leur fournit l’huile dont les cinq vierges sages de la parabole entretenaient la lumière de leurs lampes (Matth., XXV, 5)
Mais puisque Celse allègue cet autre endroit de la lettre de Platon : Si j’estimais que ces choses pussent tellement s’exprimer qu’on les dût écrire pour le peuple, que pourrais-je faire en ma vie de plus glorieux que de publier des écrits si utiles aux hommes, et de mettre la nature dans son jour, l’exposant aux yeux de tout le monde (Lettre VII) ? Disons aussi un mot là-dessus. Je ne dispute point si Platon a eu ou n’a pas eu des connaissances plus hautes et plus divines que ce qu’il fait paraître dans écrits : je le laisse examiner à chacun selon sa capacité. Mais je puis montrer qu’outre les choses que nos prophètes écriraient, ils en avaient encore de plus sublimes qu’ils n’écrivaient pas (Ezéch., II, 9 et 10 et 31).
En effet, Ézéchiel ayant reçu un livre en rouleau, écrit dedans et dehors où il y avait des lamentations, des plaintes et malédictions, et la voix céleste lui ayant ordonné de le manger, il le mangea, du peur de l’exposera des personnes indignes, en le publiant (Apoc., X, 9). Nous lisons que Saint Jean fit aussi la même chose en vision : et Saint Paul entendit pareillement des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter (II Cor., XII, 4). Jésus lui-même qui est au-dessus d’eux tous, nous est représenté enseignant en particulier à ses disciples la parole de Dieu, surtout quand il était avec eux dans la retraite : mais il ne nous est point dit quelles étaient les choses qu’il leur enseignait (Marc., IV, 34). Car ses disciples n’ont pas estimé que ces choses pussent tellement s’exprimer, qu’on les dût écrire pour le peuple. Et, si l’on peut dire librement la vérité sans blesser le respect qui est dû à de si grands hommes, je dis que ceux-ci, éclaires des lumières que la grâce de Dieu leur donnait, voyaient bien mieux que Platon ce qui devait être écrit et comment il le devait être, et ce qui ne devait pas être écrit pour le peuple, ce qu’il fallait publier et ce qu’il fallait taire. C’est cette différence des choses qui doivent être écrites et de celles qui ne le doivent pas être, que Saint Jean nous marque, lorsqu’il parle de ces sept tonnerres qui lui firent entendre leur voix, mais avec défense d’écrire ce qu’ils lui apprenaient (Apoc., X, 4).
Au reste, dans ce qu’ont écrit Moïse et les prophètes qui ont vécu, et avant Platon, et avant Homère, et avant même que les caractères grecs fussent inventés, l’on peut trouver diverses choses dignes de la grâce divine qui les animait, et pleines de noble élévation. L’on ne peut pas dire comme Celse le prétend, qu’ils les eussent empruntés de ce philosophe : car comment eussent -ils pu emprunter d’un homme qui n’était pas encore né ? Mais comme les apôtres de Jésus ne sont pas si anciens que Platon, et qu’il se pourrait faire que quelqu’un leur appliquât ce que Celse dit, voyez si ce n’est pas une chose qui choque d’elle-même la vraisemblance, que Paul dont le métier était de faire des tentes, Pierre qui était pécheur, et Jean qui quitta les filets de son père, aient eu assez de connaissance des lettres de Platon pour y prendre ce qu’ils ont dit de Dieu (Act., XII, 3). Celse, qui nous a déjà si souvent objecté que nous demandons une foi sans examen, nous le reproche encore ici comme quelque chose de nouveau : mais nous nous contenterons d’y avoir rependu ci-dessus (Matth., IV, 18 et 32).
Seulement, parce qu’il nous cite encore Platon, prétendant que, par les interrogation et les réponses dont il se sert, il donne de grandes lumières à ceux qui suivent sa philosophie, faisons voir, par des passages de l’Écriture sainte, que Dieu aussi dans sa parole nous recommande l’art de raisonner (Gr. la dialectique) Salomon dit : Que la science sans est examen est trompeuse (Prov., X, 17) ; et Jésus fils de Sirac, auteur du livre de la Sagesse, que les connaissances de l’insensé ne sont que des pensées mal digérées (Sir., XXI, 18, et 19). C’est donc nous, proprement, qui avons de doux moyens de persuader et de convaincre, sachant que celui qui a la charge d’enseigner doit être capable de convaincre ceux qui s’opposent à la saine doctrine (Tit., I, 9). S’il s’en trouve de lâches et de négligents, qui n’aient pas soin de s’appliquer à la lecture des livres sacrés, d’examiner les Écritures (I Tim. VI, 13) et, comme Jésus l’ordonne, d’en chercher le sens, de demander à Dieu qu’il les assiste, et de frapper à la porte (Jean, V, 39) quand quelqu’endroit est fermé pour eux, il ne suit pas de là que notre doctrine soit vide de sagesse (Matth., VII, 7).
Après quelques autres paroles le Platon, qui font voir que le vrai bien est connu de très peu de personnes ; parce que la plupart des hommes prévenus d’un injuste mépris pour les autres et tout pleins d’une haute, mais vaine opinion d’eux-mêmes, affirment que ceci ou cela est véritable comme s’ils avaient trouvé de grands mystère, (Plat., Lett. VII) : Celse ajoute : Mais Platon, encore qu’il parle ainsi d’abord, ne remplit point pourtant ses discours de vains prodiges, et ne ferme point la bouche à ceux qui veulent s’éclaircir davantage de ce qu’il promet. Il n’ordonne point que l’on croie avant toutes choses et sans autre examen que telle est l’essence de Dieu, qu’il a un Fils qui a telles qualités, et que ce Fils lui-même est descendu pour le lui apprendre. Je réponds qu’ai l’égard de Platon, Aristandre, si je ne me trompe, a écrit qu’il n’était pas ale d’Ariston, mais d’un spectre qui s’approcha d’Armphictione sous la forme d’Apollon : ce que plusieurs autres disciples de Platon ont dit aussi dans sa Vie. Pour ce qui est de Pythagore, qu’est-il besoin que nous rapportions ses divers prodiges supposés ? Sa cuisse d’ivoire, qu’il fit voir dans une assemblée solennelle des Grecs, son bouclier qu’il reconnut, dit-il, pour l’avoir porté étant Euphorbe, et ce qu’on lui attribue d’avoir paru le même jour en deux villes différentes ? Qui voudrait traiter de vains prodiges ce qu’on raconte de Platon et de Socrate pourrait mettre en ce rang le cygne que Socrate vit en songe, et dont on le priait de prendre soin, au sujet duquel il dit, lorsqu’on lui amena ce jeune homme pour être son disciple : Voilà le cygne que j’ai vu. On y pourrait mettre encore le troisième œil que Platon s’imagina d’avoir. Et les esprits malins qui prennent plaisir à tourner en un mauvais sens les aventures des personnes qui ont quelque chose au-dessus du commun, ne manqueront jamais de matière pour leurs médisances et pour leurs calomnies : ils traiteront de fiction le démon de Socrate, et ils en feront des railleries.
Ce ne sont donc point de vains prodiges que nous racontons de Jésus ; et jamais ses véritables disciples n’ont rien écrit de lui qui puisse passer pour tel. Mais Celse, qui se vante de savoir tout et qui rapporte divers passages de Platon, passe sous silence, et je crois qu’il le fait à dessein, l’endroit où ce philosophe parle du Fils de Dieu. Le voici tel qu’il se lit dans la lettre, à Hermée et à Corisque : Vous en prendrez à témoin le Dieu de l’univers, l’arbitre des choses présentes et des choses futures, avec le Père et le Seigneur de cette première et souveraine cause, lequel nous connaîtrons tous clairement autant que des hommes bienheureux en peuvent être capables, si nous nous appliquons comme il faut à l’étude de la philosophie (Lettre VI).
Celse allègue encore cet autre passage de Platon : Il me vient dans l’esprit de m’étendre davantage sur cette matière, car peut-être qu’en l’expliquant je dirai des choses qui la rendront en quelque sorte plus intelligible : et il y a une autre raison contraire à la première, dont ceux qui se hasardent à parler un peu de ce sujet, peuvent se servir comme d’une juste raison. Je m’en suis servi plusieurs fois ci-devant ; et j’ai dessein de m’en servir encore à cette heure. Dans tout ce qui doit nécessairement contribuer à l’acquisition de la science, il y a trois choses. La quatrième est la science elle-même : et il faut compter pour la cinquième le propre objet qui est proposé à notre connaissance, comme il est véritable en toi. La première, c’est le nom ; la seconde, le verbe ou le discours, la troisième l’idole ou l’image, et la quatrième, la science (Lettre VII). Nous pouvons dire tout de même que Jean, le précurseur de Jésus, et la voix de celui qui crie dans le désert (Matth., III, 3), répond au nom dont Platon parle, et que Jésus, précédé et désigné par Jean, Jésus, de qui il a été dit, Le Verbe a été fait chair (Jean, I, 14), répond au Verbe de Platon. Il met l’idole pour la troisième : mais nous, qui nous servons de ce mot dans un autre sens, nous dirons plus clairement que l’empreinte qui demeure en notre âme après que Jésus-Christ, le Verbe, y a peint ses plaies par sa parole, c’est Jésus-Christ lui-même que nous avons chacun au dedans de nous (Gal., III, 1). Pour ce qui est de la quatrième, savoir la science, nous laissons décider à ceux qui en sont capables, si Jésus-Christ, la sagesse de nos parfaits, y répond aussi (I Cor., I, 30, et II, 6).
Celse dit après cela : Vous voyez qu’encore que Platon eût assuré que ce n’était pas une chose qui se put exprimer par des paroles, toutefois de peur qu’on ne crût qu’il refusât de parler pour ne pas s’exposer à être repris, il veut bien entrer dans l’examen d’une question si douteuse et si incertaine. En effet, peut-être que la nature du néant même se peut expliquer. Puisque le dessein de Celse est de prouver par là qu’il ne faut pas simplement croire, mais qu’il faut soutenir l’examen des choses que nous croyons, nous nous servirons aussi de ces paroles de Saint Paul, où il condamne la créance téméraire : si ce n’est que vous ayez cru témérairement (I Cor., XV, 2) Il ne tient pas à Celse que par ses redites continuelles il ne nous oblige à redire avec lui ; car, après s’être vanté lui-même aussi fièrement que nous avons vu qu’il a fait, il nous dit que Platon n’est point un menteur qui se vante d’avoir trouvé quelque chose de nouveau ou d’être descendu du ciel pour nous l’enseigner : mais qu’il reconnut d’où il l’a pris. L’on pourrait opposer à Celse ces paroles enflées de Platon, qu’il met en la bouche de Jupiter dans son Timée : Dieux sortis des dieux dont je suis le créateur et le père, et ce qui suit. On les défendra par sens de celui que Platon fait ainsi parler. Mais si cela est, pourquoi ceux qui pénètreront le sens des paroles du Fils de Dieu ou du Créateur qui parle dans les prophètes, ne leur donneront-ils pas l’avantage sur la harangue que fait Jupiter dans le Timée ? Car le propre caractère de la Divinité, c’est de prédire l’avenir, d’une manière qui passe les forces humaines et qui fait bien juger par l’événement que l’Esprit de dieu est l’auteur de la prédiction.
Nous ne disons donc pas à tous ceux qui se présentent : Croyez premièrement que celui que le vous propose est le Fils de Dieu : mais nous exposons nos mystères à chacun d’une façon convenable à ses mœurs et à sa disposition, ayant appris comment nous devons répondre à chaque personne (Col, IV, 6), Il y en a que nous nous contentons d’exhorter à croire, parce que c’est tout ce dont ils sont capables. Il y en a d’autres auprès de qui nous nous servons d’interrogations et de réponses pour les convaincre par démonstrations autant que cela nous est possible. Nous ne disons pas non plus, comme Celse nous l’attribue par raillerie : Croyez que celui que je vous propose est le Fils de Dieu, quoiqu’il ait été lié honteusement, qu’il ait souffert le plus infâme de tous les supplices, que depuis trois jours il ait été traité avec la dernière ignominie aux yeux de tout le monde : croyez-le encore plus par cela même ; car nous tâchons sur chaque point d’apporter des raisons encore plus fortes que tout ce que nous avons dit ci-dessus.
Si les uns dit-il en suite, parlant des chrétiens, si les uns proposent celui-ci, et les autres celui-là, et qu’ils disent tous en commun, comme il n’y a rien de si aisé à dire : Croyez, si vous voulez dire sauvé, ou retirez-vous : que feront ceux qui désirent effectivement de faire leur salut ? Prendront-ils des dés, pour se déterminer sur le choix qu’ils doivent faire, et pour savoir à qui ils se donneront ? Je réponds, fondé sur l’évidence de la chose même que, s’il y en avait plusieurs de qui l’on nous racontât qu’ils se fussent présentés aux hommes de la même manière que Jésus, avec la qualité de Fils de Dieu, et qui, ayant tous des sectateurs, nous laissassent dans l’incertitude, parce qu’ils se vanteraient égaiement de cette qualité et que aucun serait appuyé du témoignage de ceux qui croiraient en lui, peut-être qu’alors il y aurait lieu de parler de la sorte : si les uns proposent celui-ci, et let autres celui-là, et qu’ils disent tous en commun, comme il n’y a rien de si aisé à dire : Croyez si vous voulez être sauvé, ou retirez-vous : et ce qui suit. Mais maintenant Jésus est le seul qui ait paru au monde comme Fils de Dieu, et qui ait été prêché pour tel par toute la terre. Car pour ceux qui croyant comme Celse, que ce qu’il s’attribuait de grand n’était qu’une fourbe, ont voulu l’imiter dans l’espérance d’acquérir un semblable crédit parmi les hommes, on a reconnu qu’ils n’étaient rien : témoins Simon, ce magicien de Samarie, et Dosithée qui était du même pays. (Act., VIII, 10) Le premier se vantait d’être la vertu de Dieu, qu’il nommait la grande ; et l’autre, d’être le Fils de Dieu. Cependant il ne se trouve plus nulle part de simoniens ; quoique Simon, pour se faire plus de sectateurs dispensât ses disciples de s’exposer à la mort, comme la religion chrétienne y oblige les chrétiens ; et qu’il leur fit regarder l’idolâtrie comme une chose indifférente. Lors même que cette secte parut il n’y eut point d’embûches contre elle. Le démon, ce malin esprit qui en dresse à la doctrine de Jésus, savait bien qu’il ne devait pas craindre que ses projets fussent traversés par les maximes de Simon.
A l’égard des dosithéens, ils n’ont jamais eu beaucoup d’éclat, et ils sont entièrement éteints à présent : au moins, dit-on, qu’ils ne sont pas trente en tout. Judas de Galilée voulut aussi faire croire, comme Saint Luc nous le raconte dans les Actes des apôtres, qu’il était quelque chose de grand (Act., V, 37 et 36) ; et Theudas en avait voulu faire autant avant lui ; mais comme leur doctrine n’avait point Dieu pour auteur, ils furent détruits ; et tous ceux qui s’étaient attachés à eux se dispersèrent aussitôt. Nous ne sommes donc pas réduits à prendre des dés, pour nous déterminer sur le choix que nous devons faire, et pour savoir à qui nous nous donnerons, comme s’il se pouvait faire qu’il y en eut plusieurs qui nous tirassent chacun de son côté, en se vantant tous d’avoir été envoyés de Dieu parmi les hommes.
Mais en voilà assez sur cette matière. Passons à une autre accusation de Celse. Il fait bien voir qu’il a été mal instruit des paroles dont nous nous servons, ou qu’il les a mal retenues, lorsqu’il nous fait dire que la sagesse des hommes est une folie devant Dieu : au lieu que Saint Paul dit que la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu. Celse ajoute, qu’il a déjà dit ailleurs quelle est la raison qui nous fait parler de la sorte. Il croit que la raison est que nous voulons par-là gagner seulement les ignorants et les simples (I Cor., III, 19) Mais comme il le marque lui-même, c’est une chose qu’il a déjà dite ci-dessus : et de notre rôle, nous y avons répondu le mieux qu’il nous a été possible. Cependant il veut encore faire croire que nous avons formé cette idée sur celle des savants de Grèce, qui disent que la sagesse humaine est différente de la sagesse divine ; et pour le prouver, il allègue deux passages d’Héraclite ; l’un qui dit que dans la conduite des hommes, il n’y a pas de règles certaines de prudence, mais qu’il y en a dans la conduite de Dieu : et l’autre, qu’un homme qui n’est pas instruit, apprend d’un démon, comme un enfant apprend d’un homme. A ces deux témoignages d’Héraclite, il joint encore celui de Platon, dans son Apologie pour Socrate : La réputation que j’ai, peuple Athénien, c’est la sagesse seule qui me l’a donnée. Mais quelle sagesse ? Une sagesse humaine sans doute. Car, en effet, il y a quelque apparence qu’on me peut nommer sage à cet égard. Voilà ce que Celse allègue : et j’y veux ajouter de ma part, ce que dit Platon dans la lettre à Hermée, à Eraste et à Corisque. Pour Eraste et Corisque. je leur dis, tout vieux que je suis, que la connaissance qu’ils ont des formes, quelque belle qu’elle soit, ne leur suffit pas. Ils ont besoin d’une autre qui leur apprenne à se garder des méchants et du injustes, et qui leur donne la force de s’en défendre. Car ils manquent encore d’expérience, ayant passé une bonne partie de leur vie avec nous, qui vivons dans une simplicité éloignée de toute malice. Ainsi je dis qu’ils ont besoin d’autres connaissances, pour n’être pas contraints de négliger la véritable sagesse, et de s’attacher plus qu’il ne faut à la sagesse humaine qu’il est nécessaire d’acquérir (Lett. VI).
Suivant cela donc, il y a une sagesse divine, et une sagesse humaine. La sagesse humaine est celle que nous appelions la sagesse de ce monde, laquelle est une folie devant Dieu. La sagesse divine, qui diffère de l’humaine, ne peut être, puisqu’elle est divine, qu’un présent de la grâce de Dieu, qui la donne à ceux qui se préparent convenablement pour la recevoir ; à ceux surtout qui connaissant la différence de l’une d’avec l’autre, disent dans leurs prières à Dieu : Quand quelqu’un serait parfait entre les hommes, s’il est privé de cette sagesse qui vient de toi, il sera compté pour rien (Sag. IX). Nous croyons que la sagesse humaine est un exercice pour l’âme ; mais que la divine est la fin que l’on se doit proposer. C’est cette sagesse divine qui est nommée la nourriture solide de l’âme, par celui qui dit que la nourriture solide est pour les parfaits, c’est-à-dire pour ceux dont l’esprit par une longue habitude s’est accoutumé à discerner le bien et le mal (Hébr. V, 14).
Il est certain que ce sentiment est fort ancien ; et pour en trouver l’origine, il ne faut pas remonter seulement jusqu’à Héraclite et à Platon, comme Celse se le persuade ; car longtemps auparavant les prophètes avaient parlé de cette double sagesse. Il suffira de rapporter là-dessus ce que dit David, du sage qui possède la sagesse divine. Il ne sentira point la mort, dit-il, lorsqu’il verra mourir les sages (Ps. XLIX, 10 et 11). La sagesse divine donc, qui est différente de la foi, est le premier des dons de Dieu, comme on les appelle. Le second se nomme la science, selon la distinction de ceux qui entendent exactement ces matières : et le troisième, c’est la foi ; car il fallait bien que les plus simples aussi se pussent sauver, étant conduits à la piété par des voies proportionnées à leurs forces. C’est ce qui fait dire à Saint Paul : L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit du même Esprit le don de la foi (I Cor., XII, 8, et 9). Aussi ne trouverez-vous pas cette sagesse divine indifféremment en tout le monde. Vous ne la trouverez qu’en ceux qui excellent, et qui se distinguent de tous les autres entre les chrétiens. Et l’on ne va pas en exposer les mystères aux plus stupides et aux plus ignorants de tous les hommes, à de vils et de misérables esclaves.
Quoiqu’au fond par les plus stupides et les plus ignorants de tous les hommes, par ces vils et ces misérables esclaves, Celse entende ceux qui n’ont pas été instruits comme lui dans les sciences des Grecs : au lieu que les plus stupides de tons les hommes, selon nous, ce sont ceux qui n’ont point de honte d’adresser la parole, et de présenter des prières à des choses inanimées, de demander la santé à ce qui n’a aucune force, la vie à ce qui est mort, du secours à ce qui ne peut se secourir soi-même. Je sais bien qu’il y en a qui disent que ces choses-là ne sont pas les véritables dieux ; et que c’en sont seulement des représentations et des symboles. Mais ceux-là mêmes sont des stupides, des ignorants, et de vils esclaves, de s’imaginer que la main des ouvriers puisse représenter et imiter la Divinité. Les derniers d’entre nous ne sont pas capables d’une telle stupidité et d’une telle ignorance. Selon nous, ce sont bien ordinairement les plus éclairés qui conçoivent et qui embrassent le mieux l’espérance des biens célestes ; mais nous ne disons pas pourtant qu’il soit impossible d’acquérir la sagesse divine, quand on n’a pas été nourri dans l’humaine ; et nous avouons que toute la sagesse humaine est une folie, en comparaison de la divine. Ensuite au lieu nous payer de raisons, il nous traite de charlatans, disant que nous fuyons de toutes nos forces les personnes polies, parce qu’elles ne se laissent pas aisément tromper, mais que nous tendons nos filets aux plus grossiers (Act., VII, 22). C’est qu’il ne sait pas que, dès les premiers temps, il y a eu parmi nous des sages très versés dans les sciences étrangères : Moïse, qui avait été instruit dans toute la sagesse des Égyptiens ; Daniel, Ananias, Azarias et Mizaël, qui avaient si bien appris tout ce qui s’enseignait en Assyrie, qu’on les trouva dix fois plus savants que tous les sages du pays (Dan., I, 4, et 20). A présent même, parmi ceux qui se rangent à la communion de nos églises, il se trouve de ces sages qui possédaient la sagesse, que nous appelons la sagesse selon la chair (I Cor., I, 26) ; quoique le nombre n’en soit pas grand, comparé à la multitude des autres, il s’en trouve, dis-je, qui s’en servent comme de degrés pour parvenir à la sagesse divine.
Après cela Celse, comme ayant ouï parler confusément de l’humilité, sans savoir précisément en quoi elle consiste, tâche de décrier celle que nous enseignons, et prétend que ce que nous en disons n’est qu’une imitation imparfaite de ce que Platon en a écrit dans des lois. Voici le passage de Platon : Dieu qui, selon la doctrine des anciens mêmes, renferme en soi le commencement, le milieu et la fin de tous les êtres, marche tout droit dans te grand chemin de la nature. La justice le suit toujours, pour la punition de ceux qui violent les lois divines : et ceux qui sont destinés à être heureux, suivent constamment la justice avec un air humble et des ornements modestes (IV des Lois). Mais Celse ne voit pas que des auteurs bien plus anciens que Platon parlent ainsi dans leurs prières : Seigneur, mon cœur ne s’est point enflé et mes yeux ne se sont point élevés : je ne me suis point porté aux choses grandes et admirables qui étaient au-dessus de moi, qu’en même temps je n’aie eu des pensées d’humilité (Ps. CXXXI, 1 et 2).
Par où il paraît aussi que, pour être humble, il n’est pas nécessaire de se réduire à un état indécent et malhonnête, de se traîner sur les genoux, de se jeter le visage en terre, de porter de méchants habits, de se couvrir de poussière ; car celui qui est humble, au sens du prophète, se porte bien à des choses grandes et admirables qui sont au-dessus de lui, à l’étude de ces dogmes, qui sont véritablement grands, à la méditation de ces pensées, qui sont véritablement admirables ; mais en même temps il s’humilie sous la puissante main de Dieu (I Pierre, V, 6).
S’il s’en trouve d’assez simples, pour s’arrêter à ces pratiques, n’ayant pas bien compris la nature de l’humilité, il ne faut pas s’en prendre à notre doctrine ; et l’on doit pardonner à leur ignorance qui fait, qu’encore qu’ils se proposent une bonne fin, ils ne peuvent pourtant y arriver. Mais celui-là est plus humble et mieux orné que ceux que Platon nous représente, qui cherche ses ornements dans les choses grandes et admirables qui sont au-dessus de lui, et qui témoigne son humilité en ce que, bien qu’il se porte à de telles choses, il s’humilie volontairement, non sous tout ce qui se peut présenter, mais sous la puissante main de Dieu : à quoi il est instruit par Jésus, qui est un maître propre pour de tels disciples. Car Jésus n’a point fait trophée d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, et étant reconnu pour homme par tout ce qui apparut de lui au dehors : il s’est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix (Philip., II, 6, etc.). Celle doctrine de l’humilité est d’une telle importance, que pour nous l’enseigner il ne suffît pas d’un docteur ordinaire, mais qu’il faut que notre grand Sauveur nous crie lui-même : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes (Matth., XI, 29).
Celse ajoute que, cette sentence de Jésus contre les riches : Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, que non pas qu’un riche entre dans le royaume de Dieu (Matth., XIX, 24), est manifestement prise de Platon, dont Jésus a altéré les paroles, que voici : Il est impossible d’être extrêmement riche et extrêmement honnête homme (V des Lois).
Mais qui est-ce, je ne dis pas d’entre les chrétiens, je dis même d’entre les autres hommes, pour peu qu’il ait connaissance des choses, qui puisse ne pas se moquer de Celse, lorsqu’il entend dire que Jésus avait lu Platon ; Jésus, qui était né et qui avait été élevé parmi les Juifs, qui passait pour fils du charpentier Joseph (Matth., XXIII, 55), et qui, bien loin d’être instruite dans les lettres grecques ne l’était pas même dans les sciences de son pays, comme les écrits de ses propres disciples le témoignent de bonne foi ? Après cela, Jésus trouvant dans Platon, Qu’il est impossible d’être extrêmement riche et extrêmement honnête homme et voulant se faire honneur d’un si beau mot l’aura altéré et en aura fait celui-ci, qu’il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est qu’un riche entre dans le royaume de Dieu (Jean, XVII, 18).
Si Celse, tout prévenu et tout passionné qu’il est contre l’Évangile, avait au moins de la sincérité et de la candeur, il rechercherait pourquoi un animal bossu et contrefait comme le chameau a été choisi pour être comparé avec un riche ; et ce que veut dire, par ce trou étroit d’une aiguille, le même qui avait dit que le chemin qui mène à la vie est étroit et serré (Matth., VII, 14, Lév., XI, 4) ; pourquoi encore il se sert de la comparaison d’un animal qui était impur, selon la loi, et qui avait bien l’une des conditions requises pour être pur, je veux dire de ruminer, mais qui manquait de l’autre, d’avoir la corne du pied fendue. Il aurait observé combien de fois l’Écriture sainte, parle du chameau, et en quelles occasions elle en parle, ce qui l’aurait aidé à en pénétrer le sens sur le sujet des riches. Enfin il n’aurait pas négligé d’examiner si, lorsque Jésus déclare les pauvres bienheureux et les riches malheureux (Luc, VI, 20 et 24), il parle des pauvres et des riches selon l’état extérieur et sensible, ou s’il a en vue une pauvreté qui est toujours digne de louange, et des richesses qui sont toujours dignes de blâme. Car il n’y a point d’homme qui voulut louer indifféremment tous les pauvres, puisqu’il y a plusieurs pauvres qui sont très vicieux. Mais c’est assez insister sur celle matière.
Voyons maintenant comme Celse s’efforce de rabaisser ce que nos auteurs ont écrit du royaume de Dieu. Il ne rapporte point leurs paroles, ne jugeant pas dignes d’être mêlées aux siennes, ou peut-être parce qu’il ne les a jamais lues : mais il produit des passages de Platon, tirés de ses Épîtres et de son Phèdre dans lesquels il veut qu’il y ait quelque de divin, au lieu que dans les nôtres il n’y a rien de pareil. Produisons donc aussi quelques endroits de nos Écritures pour en faire comparaison avec les pensées de Platon, qui ont une assez belle apparence, mais qui n’ont pas eu le pouvoir de le disposer lui-même à servir d’une manière digne d’un philosophe le Créateur de l’univers. Car s’il avait de la piété, il devait se donner de garde de la souiller et de la corrompre par un mélange d’idolâtrie, comme nous parlons, ou de superstition, comme d’autres parlent, se servant d’un mot qui signifie proprement la crainte que l’on a des démons. Dans le Psaume XVII il est dit de Dieu, par une façon de parler hébraïque, qu’il a mis des ténèbres autour de soi pour lui servir de cachette (Ps. XVIII, 12) ; ce qui signifie que les choses que l’on devrait connaître de Dieu, pour le connaître parfaitement, sont de choses cachées qu’on ne saurait découvrir, et qu’il s’est lui-même caché comme dans les ténèbres pour ceux qui ne peuvent le contempler ni contenir l’éclat d’une connaissance si sublime, en étant empêchés tant par les impuretés de leur esprit qui est attaché à ce corps vil et abject (Phil., III, 21), que par sa faiblesse naturelle, qui fait qu’il est trop borné pour comprendre ce que c’est que Dieu. Et afin de faire voir que cette connaissance est rare parmi les hommes, et qu’il y en a très peu à qui elle soit accordée, il est dit que Moïse entra dans l’obscurité où Dieu était. Moïse s’approchera seul de Dieu, est-il dit encore, si les autres s’en tiendront éloignés. (Ex. XX ; XXI et XXIV, 2). Un autre prophète, pour monter qu’en la science dont Dieu est l’objet, il y a des profondeurs impénétrables à ceux qui n’ont pas reçu cet esprit, qui comme il pénètre toutes les choses, pénètre aussi ce qu’il y a en Dieu de plus profond et de plus caché (I Cor., II, 10). L’abîme, dit-il, lui sert comme d’un manteau (Ps. CIV, 6). Notre Seigneur et note Sauveur lui-même ; voulant marquer la grandeur et la sublimité de la connaissance qu’il a de son Père, et qui ne convient dans toute sa perfection et dans tout son étendue qu’à lui seul, mais qui coule de lui comme de sa source dans l’esprit de ceux qu’il éclaire de ses lumières, lui qui est le Verbe de Dieu et qui est Dieu (Jean, I, 1) ; ce Verbe de Dieu, dis-je, nous dit que nul connaît le Fils que le Père, comme nul aussi ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le fils l’aura révélé (Matth, XI, 27).
En effet, nul ne peut dignement connaître ce Fils incréé, le premier né de toutes les créatures (Col., IV, 15), si ce n’est le Verbe vivant et animé qui est sa vérité et sa sagesse. C’est le Fils qui écarte des ténèbres que le Père a mises autour de soi pour lui servir de cachette, et qui le développe de cet abîme dont il se couvre comme d’un manteau : c’est par les lumières qu’il communique que tous ceux qui sont capables de reconnaître le Père le connaissent.
D’une infinité de beaux traits par lesquels les hommes divinement inspirés nous marquent ce qu’ils pensent de Dieu, j’ai cru en devoir produire ce petit nombre, pour faire voir que dans les saints écrits des prophètes on trouve des choses plus admirables que Celse admire tant dans Platon, si l’on a des yeux qui ne soient pas aveugles aux beautés de l’Écriture. Voici le passage de Platon rapporté par Celse : Tous les êtres sont autour du Roi de l’univers. Toutes les choses du monde sont pour lui, et il est l’auteur de tout ce qu’elles ont de bon. Avec celles qui tiennent le second rang, il est au second rang, et avec celles qui tiennent le troisième, il est au troisième. L’âme humaine donc désire de connaître ces choses comme ayant de l’affinité avec elles, elle les contemple et elle en cherche les propriétés ; mais il n’y en a aucune de parfaite. Il n’en est pas de même de ce grand roi ni de ce dont j’ai parlé (Lettr. II). Je pourrais opposer à cela la description qu’Isaïe nous fait des séraphins, comme les Hébreux les appellent, qui couvrent le visage et les pieds de Dieu, et celle qu’Ézéchiel fait des chérubins dont il nous représente les diverses formes, et par lesquels il dit que Dieu est porté (Is., VI, 2 ; Ezéch., I, V et X, 18). Mais parce que ces choses sont exprimées fort obscurément à cause des personnes indignes et mal disposées qui ne peuvent atteindre la hauteur et la majesté de la théologie, j’ai cru qu’il n’était pas à propos de m’étendre là-dessus dans cet écrit.
Celse dit ensuite qu’il y a des chrétiens qui, sur des paroles de Platon dont ils n’ont qu’une connaissance confuse, font sonner haut le Dieu qui est au-dessus des cieux, et s’élèvent ainsi au-dessus du ciel des Juifs. Il ne marque point clairement s’ils s’élèvent au-dessus du Dieu même des Juifs, ou seulement au-dessus du ciel par lequel les Juifs jurent (Matth., V, 34). Nous n’avons donc rien à dire ici de ceux qui, outre le Dieu adoré par les Juifs, font profession d’en reconnaître encore un autre. Nous nous contenterons de nous défendre nous-mêmes, et de faire voir que nos prophètes, c’est-à-dire ceux des Juifs, n’ont pu rien prendre de Platon, ayant vécu avant lui. Tant s’en faut que nous ayons copié ce qu’il dit, que tous les êtres sont autour du Roi de l’univers, et que toutes les choses du monde sont pour lui ; que nous trouvons dans les écrits des prophètes des choses bien plus excellentes, dont Jésus et ses disciples nous ont donné l’intelligence en nous découvrant les secrets de l’esprit qui a parlé par les prophètes, et qui n’est pas autre que l’esprit de Jésus-Christ (I Pierre, I, 11). Ce philosophe n’a pas non plus été le premier qui ait parlé d’un lieu plus haut que les cieux. David, longtemps auparavant, voulant marquer le grand nombre et la profondeur des belles connaissances de ceux qui, pour contempler Dieu, s’élèvent au-dessus des choses sensibles, a dit dans le livre des Psaumes : Cieux des cieux, louez Dieu, et que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur (Ps. CXLVIII, 4).
Et je ne crois pas hors d’apparence que Platon ait eu commerce avec les Juifs, ou même, comme quelques-uns l’ont écrit, qu’il ait lu les livres des prophètes, d’où il ait appris ce qui se lit dans son Phèdre : Aucun de nos poètes n’a jusqu’ici chanté le lieu qui est au-dessus des cieux, et personne ne le chantera jamais assez dignement ; et ce qui suit, comme quand il ajoute un peu plus bas : Cette essence qui existe véritablement, et qui est sans couleur, sans figure et sans aucunes qualités sensibles, je veux dire l’âme, ne se sert pour conducteur et pour guide que de l’entendement qui contemple tout : avec elle, toutes les espèces de la véritable science occupent ce lieu. C’est pour s’être instruit dans ces mêmes écrits des prophètes que notre Saint Paul n’aspirait qu’à ce qui est au-dessus des cieux et au-delà des bornes du monde, et qu’il n’y avait rien qu’il ne fît, afin d’en pouvoir obtenir la jouissance. Ce qui lui fait dire dans la seconde Épître aux Corinthiens :
Car le court moment des légères afflictions que nous souffrons nous produit le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire : ainsi, nous ne regardons point les choses visibles, mais les invisibles, parce que les choses visibles sont temporelles, mais le : invisibles sont éternelles (II Cor., IV, 17, 18).
Pour peu qu’on ait d’intelligence, on comprend d’abord que ces choses visibles dont il parle sont les mêmes que les sensibles : comme les choses invisibles sont les mêmes que les spirituelles, qui ne se voient que des yeux de l’esprit. Ces choses sensibles et visibles sont encore, selon lui, les mêmes que les temporelles ; comme les spirituelles et les invisibles sont les mêmes que les éternelles. Désirant donc de contempler celles-ci, et se soutenant par l’ardeur de ce désir, il compte pour rien toutes ses afflictions ; elles lui semblent légères ; et dans le temps même qu’il souffre les peines les plus rudes, bien loin de s’en trouver accablé, il soulage tous ses maux par la considération de ces biens invisibles. Aussi avons-nous pour grand pontife Jésus, Fils de Dieu, qui, par la grandeur de sa puissance et de ses lumières, a pénétré les cieux (Hébr., IV, 14), et qui a promis à ceux qui voudraient faire une étude sérieuse des choses divines, pour vivre d’une manière qui en fût digne, de leur montrer le chemin au-delà des limites de ce monde ; afin, dit-il, que vous soyez avec moi où je m’en vais (Jean, XIV, 3). C’est pour cela qu’après nos peines et nos travaux d’ici-bas, nous espérons être élevés au plus haut des cieux, afin que, comme nous aurons eu en nous, selon l’enseignement de Jésus, ces sources d’eau qui rejaillissent jusque dans la vie éternelle (Jean, IV, 14), et que nous aurons été remplis des fleuves de la connaissance ; nous nous joignons aussi à ces eaux qui sont au-dessus des cieux et qui louent le nom du Seigneur (Ps. CXLVIII, 4). En le louant ainsi nous ne serons point emportés par le mouvement du ciel, mais nous demeurerons toujours occupés à la contemplation des vertus invisibles de Dieu (Rom., I, 20), lesquelles nous ne connaîtrons plus par ses ouvrages que la création du monde expose à nos yeux. Car alors, suivant ce que dit le fidèle disciple de Jésus-Christ, nous verrons Dieu face à face ; et comme nous serons dans l’état de perfection, tout ce qui est imparfait sera aboli (I Cor., XIII, 12 ; I Cor., XII, 10).
Pour ce qui est du nombre des cieux, les Écritures, dont les Églises de Dieu reconnaissent l’autorité, ne le déterminent ni à sept, ni à aucun autre. Elles nous parlent seulement des cieux au pluriel, soit qu’elles entendent par là ce que les Grecs appellent les cieux des planètes, ou qu’elles nous veuillent enseigner quelque autre chose de plus caché. Celse veut, selon la pensée de Platon, que pour venir du ciel en terre et pour aller de la terre au ciel, les âmes passent par les planètes. Mais Moïse, le plus ancien de tous nos prophètes, décrivant la vision du patriarche Jacob, dit qu’il eut un songe divin d’une échelle qui touchait au ciel, par laquelle les anges de Dieu montaient et descendirent, et qui avait le Seigneur appuyé sur le haut (Gen., XXVIII, 12 et 13) : soit que le prophète ait voulu signifier cela même, savoir, que les âmes descendent du ciel en terre, et remontent de la terre au ciel, soit qu’il ait eu dessein de représenter quelque chose de plus grand sous l’emblème de cette échelle. Le traité que Philon a fait là-dessus mérite d’être lu avec soin et avec attention par ceux qui aiment la vérité.
Celse voulant faire montre de son savoir, pour relever ce qu’il écrit contre nous, y mêle aussi quelques mystères des Perses. Les Perses, dit-il, représentent la même chose dans leurs cérémonies de Mithras, où ils ont une figure symbolique des deux grands mouvements du ciel, du mouvement des étoiles fixes, et de celui des planètes et du passage des âmes par là. Cette figure est une haute échelle, composée de sept portes, avec une huitième porte au-dessus. La première porte est de plomb, la seconde d’étain, la troisième de cuivre, la quatrième de fer, la cinquième d’un mélange de métaux, la sixième d’argent, ta septième d’or. Ils attribuent la première à Saturne, marquant par le plomb la lenteur de cet astre ; la seconde à Venus, qui a du rapport avec l’éclat et la mollesse de l’étain ; la troisième qui, étant de cuivre, ne peut qu’être ferme et solide à Jupiter ; la quatrième a Mercure, qui est propre et endurci comme le fer, à toutes sortes d’ouvrages et de travaux d’où l’on peut tirer du profit ; la cinquième, qui à cause de ce divers mélange est variée est irrégulière, à Mars ; la sixième à la Lune, et la septième au Soleil, à cause de la ressemblance de leur couleur avec celle de l’argent et de l’or.
Il examine ensuite les raisons de l’ordre où ces astres sont ici disposés, lesquelles sont aussi marquées symboliquement par les noms de l’autre porte. A cette théologie des Perses, il joint des spéculations de musique : et non content de ces premières, il nous en propose encore d’autres par une nouvelle ostentation. De rapporter ces choses-là, ce serait à mon avis perdre son temps et imiter Celse qui, dans les accusations qu’il forme contre les chrétiens et contre les Juifs, ne croit pas que ce soit assez d’avoir allégué hors de propos, des passages de Platon, mais qui nous produit de plus et qui nous explique les mystères de Mithras, comme il parle qu’il va chercher jusque chez les Perses. En effet, qu’il y ait quelque fondement on qu’il n’y en ait point, à ce que les Perses et les dévots de Mithras ont en vue dans leurs cérémonies ; quelle raison a-t-il d’en parler plutôt que des autres mystères et de leur signification ? Ce n’est pas, je pense, que les mystères de Mithras soient plus estimés parmi les Grecs, que ceux d’Éleusine ou ceux qu’on célèbre dans Égine, à l’honneur d’Hécate. S’il voulait s’attacher aux mystères des Barbares et à leur explication, que ne proposait-il plutôt les mystères des Égyptiens, qui ont tant d’admirateurs ; ou ceux des Cappadociens, à l’honneur de Diane Comanienne ; ou ceux des Thraces, ou même ceux des Romains, auxquels les principaux du sénat se font initier ? Et, s’il a jugé ne se pouvoir raisonnablement servir de tous ces exemples, parce qu’ils ne faisaient rien ni contre les Juifs ni contre les chrétiens, pourquoi n’a-t-il pas fait aussi le même jugement des mystères de Mithras ?
Qui voudra s’appliquer à des recherches curieuses, sur l’entrée des âmes dans les voies de Dieu, et se fonder, non pas comme Celse fait, sur les sentiments de la plus méprisable de toutes les sectes, mais tant sur les livres qui se lisent dans les synagogues, et qui sont reçus par les chrétiens comme par les Juifs, que sur les livres des chrétiens seuls, qu’il lise la vision décrite par Ézéchiel à la un de sa prophétie (Ezéch., XLVIII), et particulièrement ce qu’il dit des diverses portes qui lui furent montrées, pour marquer la différente manière dont les âmes les plus divines entrent dans le bon chemin. Qu’il lise aussi dans l’Apocalypse de Saint Jean, la description de la ville de Dieu (Apoc., XXI), la Jérusalem céleste, de ses fondements et de ses portes. Et s’il est capable d’apprendre ce chemin qui nous est marqué par des symboles, et qui conduit aux choses divines, qu’il lise encore le livre de Moïse, nommé les Nombres (Nombr., II), cherchant quelque bon guide qui puisse l’initier aux mystères, désignés par le camp des Israélites, et lui faire remarquer quelles bandes y tenaient le premier rang et occupaient la partie Orientale, quelles autres étaient placées vers le Midi, quelles vers la mer, et quelles vers le Septentrion, comme les dernières de toutes. Il y découvrira des enseignements qui ne sont pas à mépriser, et dont on ne peut pas dire, comme fait Celse, qu’ils ne sont dignes d’être proposés qu’à des fous ou qu’à de vils esclaves. Il y trouvera surtout des choses peu communes, touchant la nature des nombres qui sont rapportés selon qu’ils convenaient chaque tribu, mais dont nous n’avons pas jugé que ce fut ici le lieu de donner l’explication.
Que Celse sache au reste tant lui que ceux qui pourront lire son livre, qu’en aucun endroit des Écritures, qui sont reconnues pour être véritablement divines, il n’est dit qu’il y ait sept cieux : et qu’il cesse de prétendre que nos prophète », les apôtres de Jésus-Christ, ou le Fils de Dieu lui-même aient jamais rien pris, soit des Perses, soit des Cabires.
Après avoir ainsi parlé des mystères de Mithras, il déclare que si l’on veut se donner la peine d’examiner certaines cérémonies des chrétiens sur ces cérémonies des Perses, les comparant ensemble et découvrant ce que le » chrétiens tiennent caché, l’on verra la différence qu’il y a des unes aux autres. Lorsqu’il a pu dire le nom des sectes, il n’a pas manqué de faire montre de ce qu’il a cru savoir mais ici qu’il y avait bien plus de nécessité de nommer, s’il le pouvait faire, la secte qui se sert de la figure qu’il décrit sous le nom de diagramme, il ne la nomme point.
Pour moi, autant je croie qu’il a tiré en partie sa description de ce qu’il peut avoir ouï dire confusément des ophites, la plus vile de toutes les sectes. Comme j’ai toujours été curieux d’apprendre, j’ai fait en sorte de voir ce diagramme, et j’y ai trouvé des visions dignes de ces gens qui, comme saint Paul en parle, s’introduisent dans les maisons, et tiennent captives de pauvres femmes chargées de péchés et possédées de diverses passions, lesquelles apprennent toujours, et ne peuvent jamais parvenir à la connaissance de la vérité (II Tim., III, 6). Au reste, ce diagramme est tellement contre toute sorte de vraisemblance, qu’il n’y a point de femme assez simple, ni de personne assez grossière pour y ajouter foi, quelque disposé que l’on pût être, d’ailleurs, à courir après tout ce qui a la moindre ombre d’apparence. Aussi, quoique j’aie beaucoup voyagé et que j’aie cherché partout ceux qui se piquaient de savoir quelque chose, je n’ai jamais rencontré personne qui fît profession de l’approuver.
C’était une figure composée de dix cercles, séparés l’un de l’autre, mais joints ensemble par un autre cercle qu’on disait être l’âme de l’univers, et qu’on nommait léviathan, d’un nom connu des Juifs. Car les anciennes Écritures disent, quelque puisse être le sens caché là-dessous, que Dieu a fait le léviathan pour servir de jouet : Tu as tout fait avec sagesse, dit le psalmiste ; la terre est pleine des biens que tu as créés. Cette mer si grande et si vaste est traversée par les navires qui s’y promènent ; elle est remplie de grands et de petits animaux ; c’est là qu’est ce dragon que tu as fait pour t’en jouer (Ps. CIV, 24, etc.). Au lieu de dragon, il y a léviathan dans l’hébreu. Il est évident que le prophète parle désavantageusement du léviathan, mais cet impie diagramme en fait l’âme universelle qui est répandue partout. J’y vis aussi ce qu’ils nomment Béhémoth, qui était placé comme au-dessous du plus bas cercle ; et je remarquai que l’inventeur de cette pièce abominable avait écrit le nom de Léviathan en deux endroits, au centre du cercle et à la circonférence.
Celse ajoute que le diagramme est partagé par une grosse ligne noire, et qu’elle se nomme la géhenne, autrement le tartare (Matth., V, 30). Dans l’Évangile il est parlé de la géhenne comme d’un lieu de supplices, ce qui m’a donné occasion de chercher si ce mot est employé quelque part dans les anciennes Écritures, voyant surtout qu’il est en usage parmi les Juifs. J’ai trouvé qu’il avait pris son origine de cette vallée que l’Écriture nomme la vallée du fils d’Ennon (Jér., VII, 31) ; car j’ai découvert que, selon le texte hébreu, la vallée d’Ennon et la géhenne (Jos., XVIII, 16) sont la même chose. J’ai encore remarqué, en lisant, que la géhenne ou la vallée d’Ennon est comprise dans le lot de la tribu de Benjamin, dans lequel était aussi Jérusalem : et faisant réflexion sur ce qui résulte de ce que la Jérusalem céleste et la vallée d’Ennon sont du partage de la même tribu, j’y trouve de quoi appuyer ce qui se dit des peines préparées pour les âmes qui doivent être purifiées par des tourments, selon cette parole : Voici le Seigneur, qui vient comme un feu de fonte et comme l’herbe aux foulons. Il sera comme un homme qui s’assied pour faire fondre et pour épurer de l’argent et de l’or (Mal., III, 2 et 3).
C’est donc proche de Jérusalem qu’est le lieu destiné pour le châtiment de ceux qui doivent être mis à cette fonte, parce qu’ils ont reçu dans leur âme les impuretés du vice, désigné figurément par le plomb dont il est parlé quelque part ; comme quand Zacharie nous représente l’iniquité assise sur une masse de plomb.
Mais ce n’est pas ici le lieu de s’étendre, autant qu’on le pourrait, sur cette matière qui, d’ailleurs, n’est pas pour tout le monde. En effet, ce ne serait pas sans péril qu’on écrirait ce qu’on pense là-dessus la plupart t des hommes n’ayant besoin d’autre instruction que de celle-ci, c’est que les pécheurs seront punis. Il serait dangereux d’aller plus avant, à cause de ceux que la crainte des supplices éternels retient à peine, qu’ils ne s’abandonnent entièrement au péché et à tous ces désordres.
Ni les auteurs donc du diagramme, ni Celse, ne savent ce que c’est que la géhenne : autrement ceux-là ne feraient pas tant valoir leurs peintures et leurs diagrammes, comme s’ils pouvaient par là nous enseigner la vérité ; et Celse, en écrivant contre les chrétiens, ne mêlerait pas, parmi ses accusations, des choses que les chrétiens n’ont jamais dites et qui n’ont jamais été dites que des gens, qui ou qui peut-être ne subsistent plus du tout, la secte s’en étant tout à fait éteinte, ou qui du moins sont réduits à un très petit nombre : de sorte que, comme les platoniciens n’ont que faire d’entreprendre l’apologie d’Épicure et de ses dogmes impies, nous ne devons point non plus nous mettre en peine de défendre le diagramme contre les objections de Celse. Nous lui laisserons dire là-dessus tout ce qu’il voudra, sans nous arrêter à des choses si vaines et si inutiles ; car nous parlerons toujours plus fortement que lui contre ces erreurs, pour en retirer ceux qui pourraient s’y être laissé surprendre.
Après le diagramme, il propose je ne sais quelles autres extravagances, mêlées de demandes et de réponses, qu’il se forge à plaisir, touchant ce que les écrivains ecclésiastiques nomment le sceau ; car je ne pense pas qu’il ait jamais rien entendu dire d’approchant à qui que ce soit. Il veut que celui qui applique le sceau s’appelle le père ; que celui qui en reçoit l’impression s’appelle le jeune ou le fils, et qu’il réponde : Je suis oint de l’onction blanche, prise de l’arbre de vie : ce qui ne se pratique pas même, que je sache, parmi les hérétiques. Il détermine ensuite le nombre des anges dont parlent ceux qui se servent de ce sceau. Il en pose sept, qui se tiennent de côté et d’autre, auprès de l’âme des personnes mourantes. Les uns sont des anges de lumière, les autres sont de ceux qu’on nomme archontiques : et il dit que le chef de ceux-ci se nomme le dieu maudit.
Là-dessus, s’attachant à ces paroles, il s’emporte avec beaucoup de raison contre ceux qui ont l’audace de s’exprimer ainsi. Et il n’y a personne qui ait plus d’indignation que nous contre ces gens, s’il est vrai qu’il s’en trouve, qui nomment le Dieu des Juifs un dieu maudit ; le Dieu, dis-je, qui fait pleuvoir et tonner, le Dieu qui a bâti ce monde, le Dieu de Moïse et l’auteur de la création, dont Moïse fait l’histoire. Mais il semble que Celse, au lieu de suivre l’honnêteté, n’ait ici consulté que la haine aveugle qu’il a pour nous, qui est une haine indigne d’un philosophe. Car il a eu dessein de surprendre les personnes qui ne nous connaissent pas, et de les animer contre nous par la lecture de son livre, comme si nous disions que l’admirable architecte de ce monde soit un dieu maudit. En quoi l’on dirait qu’il a voulu imiter les Juifs lui, lorsqu’on commença à prêcher le christianisme, semaient du faux bruits contre ceux qui l’avaient embrassé ; que les chrétiens immolaient un petit enfant et qu’ils en mangeaient la chair ensemble ; que pour faire les œuvres des ténèbres, ils éteignaient les flambeaux, et qu’alors chacun s’abandonnait à l’impureté avec la première qu’il rencontrait. cette calomnie, toute grossière qu’elle est, a fait longtemps impression sur l’esprit d’une infinité de gens qui, n’ayant aucune habitude avec nous, se laissaient persuader que le portrait qu’on leur faisait des chrétiens était fidèle : et à présent encore, il y en a quelques-uns qui en sont tellement prévenus, qu’ils ne voudraient pas même entrer en conversation avec un chrétien.
C’est donc, à mon avis, dans le même esprit, que Celse accuse les chrétiens de nommer le Créateur un dieu maudit. Il fait ce qu’il peut pour disposer ceux qui croiront son accusation bien fondée à se porter aux dernières extrémités contre nous, et à nous exterminer comme les plus impies de tous les hommes. Mais, par un désordre qui lui fait tout confondre, il dit, pour rendre raison de ce nom de dieu maudit, donné à l’auteur de la création, dont le récit est fait par Moïse, Qu’à la vérité il mérite bien ce nom, suivant les principes de ceux qui le lui donnent, puisqu’il a maudit le serpent, de qui les premiers hommes reçurent la connaissance du bien et du mal.
Celse devait savoir que ceux qui pour enchérir sur les titans et les géants de la fable prennent le parti du serpent, comme s’il avait donné un bon conseil aux premiers hommes, et qui, à cause de cela, sont appelés ophites, sont si éloignés d’être chrétiens, qu’ils n’ont pas moins d’animosité contre Jésus que Celse lui-même, de sorte qu’ils ne reçoivent personne dans leur assemblée, que premièrement ils ne lui aient fait prononcer des imprécations contre Jésus. Voyez combien c’est être déraisonnable, en écrivant contre les chrétiens, d’alléguer, comme chrétiens, des gens qui ne peuvent souffrir qu’on leur parle même de Jésus comme d’un homme sage ou de bonnes mœurs. Qu’y a-t-il donc de plus fou et de plus furieux, non seulement que ces misérables qui ont voulu tirer leur nom du serpent, comme de l’auteur de tout ce qu’il y a de bon au monde, mais aussi que Celse qui prétend que les chrétiens s’intéressent en ce qu’il objecte aux ophites. Ce philosophe, qui a fait autrefois parmi les Grecs profession de pauvreté, et qui a voulu faire voir, par son exemple, que l’on peut être heureux sans posséder rien, se donna le nom de cynique ; mais ces impies, comme s’ils étaient des serpents, et non des hommes, qui ont une horreur naturelle pour le serpent, leur plus mortel ennemi, font gloire d’être appelés ophites ; et ils parlent avec grande estime d’un certain Euphrate, l’auteur de leurs abominables maximes.
Celse continue ses invectives contre ceux qui disent que le Dieu de Moïse, le Dieu de qui Moïse reçut ses lois, est un dieu maudit ; mais il suppose toujours que ce sont les chrétiens qui le disent, et il prétend que ce soit à eux que ses reproches s’adressent : Qu’y a-t-il de plus fou, dit-il, et de plus furieux que cette sagesse insensée ? Car, dites-moi, que trouvez-vous à reprendre dans le législateur des Juifs ? Et si vous n’en êtes pas satisfaits, comment vous appliquez-vous, par des allégories et par des types, comme vous parlez, la création, qui est son ouvrage, et la loi judaïque, dont il est l’auteur ? Vous êtes contraint, méchant et malheureux impie, de louer malgré vous l’Ouvrier du monde, celui qui avait donné aux Juifs de si belles promesses, de les faire multiplier jusqu’à s’étendre aux bouts de la terre, et de les ressusciter des morts avec leur même chair et leur même sang ; celui qui inspirait leurs prophètes : cependant, d’un autre côté, vous lui dites des injures. Quand vous vous sentes pressé par la considération de toutes ces choses, vous faites profession de servir le même Dieu : mais quand votre maître Jésus et le Moïse des Juifs ne sont pas d’accord, alors vous cherchez un autre Dieu, différent du Père.
Ici encore ce digne philosophe outrage visiblement les chrétiens, en disant que quand ils le sentent pressés par les Juifs, ils font profession de servir le même Dieu qu’eux ; mais que, quand Jésus et Moïse ne sont pas d’accord, alors ils en cherchent un autre. Car, soit que nous conférions avec les Juifs, soit que nous discourions entre nous, nous ne connaissons qu’un seul et même Dieu, celui que les Juifs adoraient autrefois et qu’ils font profession d’adorer encore ; et nous n’avons point de lui des sentiments impies. Nous ne disons point aussi que Dieu nous ressuscitera des morts avec notre même chair et notre même sang, comme cela a été montré ci-dessus (I Cor., XV, 42-44). Nous ne croyons pas que ce corps animal qui, quand on le met en terre, est dans un état de corruption, d’ignominie et d’infirmité, doive ressusciter dans le même état. Mais les choses que nous avons déjà dites sur ce sujet doivent suffire.
Il retourne ensuite à ses sept principaux démons que les chrétiens ne connaissent point, mais dont je crois que les noms ont été empruntés des Ophites. En effet, dans le diagramme que j’ai voulu avoir pour connaître cette secte, j’ai trouvé le même ordre et la même disposition que Celse garde ici dans ce qu’il rapporte. Il dit que le premier de ces démons a la forme et la figure d’un lion ; mais il ne dit point quel nom lui donnent ces gens, qu’on peut véritablement appeler de méchants et de malheureux impies. Dans l’abominable diagramme dont je viens de parler, ce démon, revêtu de la figure d’un lion, était nommé Michel qui, dans les livres sacrés, est le nom d’un saint auge du Créateur.
Celse ajoute que le second a la forme d’un taureau, et c’est celui que le diagramme nommait Suriel. Le troisième, selon Celse, est un amphibie qui pousse d’horribles sifflements (Dan., XII, 1) ; et selon le diagramme, ce troisième, qui se nommait Raphaël, avait la figure d’un dragon. Celse dit que le quatrième a la figure d’un aigle ; le diagramme le disait aussi, et il le nommait Gabriel. Celse donne au cinquième la forme d’un ours, que le diagramme donnait tout de même à son Thaultabaoth.
Le sixième, à qui Celse, après ses auteurs, attribue la forme d’un chien était nommé Eralaoth. dans le diagramme. Et le septième, à qui Celse donne la figure d’un âne et le nom de Taphabaoth ou d’Onoèl, avait la même figure, dans le diagramme, avec le nom d’Onoèl ou de Thartharaoth.
J’ai estimé devoir faire ce détail, de peur qu’on ne crût que nous ignorions des choses que Celse faisait vanité de savoir, et pour montrer même que nous les savons plus exactement que lui, non en qualité de chrétiens, tels que nous sommes, mais comme les ayant prises chez des gens entièrement éloignés de la doctrine du salut, et qui ne reconnaissent Jésus ni pour leur Sauveur, ni pour Maître, ni pour Dieu, ni pour Fils de Dieu.
Si quelqu’un veut encore connaître les artifices par où ces imposteurs, qui font semblant de cacher de grands mystères, ont tâché de se faire des disciples, quoique avec peu de succès, qu’il écoute ce qu’ils obligent à dire après qu’on a passé ce qu’ils nomment les barrières du vice, les portes de ces principaux anges, chacun desquels en a une qui relève de sa puissance. Voici donc ce qu’ils font dire : Je salue le roi uniforme, le bandeau de l’aveuglement, l’oubli sans réserve, la Première puissance gardée par l’esprit de la providence et par la Sagesse, d’auprès de qui je sors pur et net, faisant déjà partie de la lumière du père et du fils. Que la grâce soit avec moi ! oui, mon père, qu’elle soit avec moi /Et ils disent que c’est là que commence leur Ogdoade. Ensuite ils veulent qu’on dise en passant auprès de celui qu’ils nomment Jaldabaoth : Toi qui est né pour commander avec assurance, Joldabaoth, qui es le premier et le septième, souveraine raison de la pure intelligence, qui produis une œuvre parfaite au père et au fils, je te présente le symbole de la vie dans l’empreinte de ce caractère et, ouvrant la porte que tu as fermée au monde sous ton règne, je traverse encore ton empire avec liberté. Que la grâce soit avec moi ! oui, mon père, qu’elle soit avec moi ! Ils disent au reste que cet ange, qui est revêtu de la forme d’un lion, a de la sympathie avec l’astre de Saturne. Quand on a passé Jaldabaoth et qu’on est arrivé auprès d’Iao, ils croient qu’on doit dire : Toi qui présides aux mystères secrets du père et du fils, second Iao, qui te fais voir la nuit, premier prince de la mort, qui es la portion de l’innocent, je viens maintenant t’offrir ma barbe pour symbole, et je traverse promptement ton empire, ayant donné de nouvelles forces à celui qui est né de toi par la parole vivante. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu’elle soit avec moi ! De là on arrive auprès de Sabaolh, à qui l’on doit dire, selon eux : Prince de la cinquième puissance, redoutable Sabaoth, premier auteur de la loi de tes créatures, que la grâce a mises en liberté par la vertu du puissant nombre de cinq, reçois-moi, voyant le symbole irrépréhensible de ton art, que je conserve dans l’empreinte de cette image, savoir, un corps délivré par ce même nombre. Que la grâce soit avec moi, mon père ! qu’elle soit avec moi ! Celui qui suit, c’est Astaphée, à qui ils estiment qu’il faut dire : Prince de la troisième parle, Astaphée, directeur du premier principe de l’eau, regarde-moi comme l’un de tes dévots purifié par l’esprit de la Vierge, et reçois-moi en voyant la substance du monde. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu’elle soit avec moi ! Le suivant se nomme Eloée, à qui l’on doit dire : Prince de la seconde porte, Eloée, reçois-moi, voyant que je t’apporte le symbole de ta mère, la grâce cachée dans les vertus des puissances. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu’elle soit avec moi ! Ils nomment le dernier, Horée, et ils veulent qu’on lui dise : Toi qui, pour avoir franchi sans crainte les remparts du feu, as reçu l’empire de la première porte, Horée, reçois-moi, voyant le symbole de la puissance empreint dans la figure de l’arbre de vie et dans cette image faite sur le modèle de l’innocent. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu’elle soit avec moi !
Le grand savoir de Celse, comme on en parle, ou plutôt sa vaine curiosité et l’indiscrétion de sa plume, m’ont obligé de rapporter tout cela, pour montrer à ceux qui liront son écrit et ma réponse qu’il n’y a rien de nouveau pour moi dans les sciences dont il se pique, et où il cherche matière de calomnie contre les chrétiens, qui ne savent ce que c’est et qui n’ont que faire de le savoir. Quoique pour moi j’aie été bien aise de m’y instruire et de mettre au jour ce que j’en sais, afin que les imposteurs, qui se vantent d’avoir des connaissances que nous n’avons pas, n’aient pas lieu de séduire par-là ceux qui se laissent prendre aux apparences de quelques grands mots. J’en pourrais rapporter encore beaucoup davantage, pour faire voir que la doctrine de ces séducteurs ne nous est pas inconnue, mais que nous la rejetons comme une doctrine étrangère et pleine d’impiété, qui n’a rien de commun avec la créance des véritables chrétiens, cette créance que nous confessons jusqu’à la mort.
Cependant il faut remarquer que ceux qui ont inventé ces dogmes, n’ayant pas une connaissance exacte ni de la magie ni de la sainte Écriture, ont tout mêlé et tout confondu ensemble. Ils ont emprunté de la magie leur Jaldabaoth, leur Astaphée et leur Horée ; et ils ont tiré des écritures judaïques Iao ou Ia, comme on le nomme en hébreu, Sabaoth, Adonée et Eloée. Tous ces mots au reste, qui sont tirés des Écritures, ne sont que de différents noms d’un seul et d’un même dieu ; mais les ennemis de la Divinité ne comprenant pas cela, comme ils en tombent eux-mêmes d’accord, se sont persuadé que Iao diffère de Sabaoth, et Sabaoth d’Adonée, qui est l’Adonai de l’Écriture, et Adonée d’Elœe, que les prophètes appellent en hébreu Eloï.
Celse passe ensuite à d’autres fables, comme s’il y avait des hommes qui prissent la forme de ces démons, se changeant, les uns en des lions, les autres en des taureaux, ou en des dragons, ou en des aigles, ou en des ours, ou en des chiens. Nous avons aussi trouvé dans notre diagramme ce que Celse nomme la figure carrée et ce que ces malheureux posent au sujet des portes du paradis. L’épée de feu y était peinte comme le diamètre d’un cercle de flamme, et semblait faire la garde devant l’arbre de science et l’arbre de vie. Celse n’a pas voulu ou peut-être n’a pas pu rapporter les harangues que ces impies inventeurs de fables veulent qu’on fasse en passant à chaque porte. Pour nous, nous l’avons fait, afin de montrer à Celse et à tous ceux qui liront cette dispute, que nous connaissons le fond de ces abominables cérémonies, mais que nous les regardons comme des choses très éloignées de la piété des chrétiens et des sentiments qu’ils ont de la Divinité.
Après ce que Celse a dit sur cette matière, où il nous a donné lieu d’entrer plus avant qu’il n’avait fait, il ajoute : Ils entassent encore l’un sur l’autre je ne sais quels discours de prophètes et je ne sais combien de cercles ; des ruisseaux de l’Église qui est sur la terre, et de la circoncision, une vertu qui émane d’une certaine vierge Prunice ; une âme vivante ; un ciel qui, pour vivre, souffre la mort ; une terre que l’on tue avec l’épée ; plusieurs à qui l’on ôte la vie pour la leur donner ; la mort qui doit cesser dans le monde lorsque le péché y sera mort ; une nouvelle descente par des lieux étroits ; et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Partout au reste ils mêlent le ; bois (ou l’arbre) de vie, et la résurrection de la chair par le bois ; ce qui vient, à mon avis, de ce que leur maître a été cloué sur une croix, et qu’il était charpentier de profession. S’il avait été roulé dans un précipice, ou jeté dans un gouffre, ou attaché à un licou, s’il avait fait le métier de cordonnier ou de tailleur de pierres, ou de serrurier, on nous mettrait au-dessus des deux le précipice de la vie, le gouffre de la résurrection, ou la corde de l’immortalité, on ne nous parlerait que de la pierre bénite, du fer de la charité ou du cuir saint. Y a-t-il une vieille qui n’eût honte de faire des contes semblables pour endormir un enfant Celse brouille ici et mêle ensemble dus choses dont, à mon avis, il n’a qu’une connaissance confuse ; car, sous prétexte qu’il a peut-être ouï dire quelques petits mots de certaines hérésies, desquels même il ne prend pas bien le sens, mais qu’il tourne comme il lui plaît, il veut passer, parmi ceux qui ne savent rien ni de notre créance ni de celle des hérétiques, pour un homme qui entend toute la doctrine des chrétiens. C’est ce que justifient assez les paroles que je viens de rapporter ; car, pour les discours des prophètes, c’est nous, chrétiens, qui nous en servons quand nous prouvons que Jésus est ce Messie que les prophètes ont prédit, et quand nous montrons dans leurs écrits les choses que les Évangiles nous font voir accomplies en sa personne ; mais pour ce qui est des cercles entassés les uns sur les autres, cela peut encore convenir à l’hérésie dont nous venons de parler, qui renferme les sept cercles de ses sept principaux démons, dans un autre cercle, qu’elle nomme l’âme de l’univers ou léviathan. Il se peut aussi que ce soit là une fausse explication de ce passage de l’Ecclésiaste : Le vent tourne comme dans un cercle, et ayant achevé un cercle, il en recommence un autre (Ecclés., I, 6).
Les ruisseaux de l’Église qui est sur la terre et de la circoncision, sont pris peut-être de ce qui est dit par quelques-uns : que l’Église, qui est sur la terre, est un ruisseau d’une autre Église qui est dans le ciel, sous une forme bien plus excellente, et que la circoncision légale était le symbole d’une autre circoncision par laquelle on se purifie là-haut dans un certain lieu destiné à cet usage. Les Valentiniens, dans les rêveries de leur fausse science, parlent d’une certaine Prunice à qui ils donnent le nom de Sagesse, et dont ils veulent que cette femme de l’Évangile, qui avait eu une perte de sang durant douze ans (Matth., IX, 20) ait été le symbole. Celse qui en a entendu parler, et qui fait un mélange confus des pensées des Grecs, des Barbares et des hérétiques, change cela en la vertu qui émane d’une certaine vierge Prunice. Son âme vivante peut venir de quelque expression mystérieuse des mêmes Valentiniens, sur le sujet du créateur animal, comme ils l’appellent ; ou bien il se peut faire que par là on ait voulu élégamment exprimer la différence de l’âme du régénéré, qui est proprement vivante, d’avec l’âme morte en ses péchés, je ne sais ce que c’est qu’un ciel qui souffre la mort, ni une terre que l’on tue avec l’épée, ni plusieurs à qui l’on ôte la vie pour la leur donner, et il y a grande apparence que Celse tire cela de son propre fonds.
Au regard des paroles suivantes, que la mort doit cesser dans le monde lorsque le péché y sera mort, nous pourrions nous en servir pour représenter le mystère que l’Apôtre renferme dans celles-ci : Le dernier ennemi qui sera détruit, après que tous les autres ennemis de Jésus-Christ lui auront été mis sous les pieds, ce sera la mort (I Cor., XV, 20, 26, et 54) : et dans ces autres : Quand ce corps corruptible aura été revêtu de l’incorruptibilité, alors cette parole de l’Écriture sera accomplie : la mort a été abîmée pour jamais (Os, XIII, 14). La nouvelle descente par des lieux étroits pourrait être de ceux qui croient que l’âme, après être montée dans le ciel, retourne animer un autre corps ; et il est assez vraisemblable que les portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes sont de quelqu’un qui a eu en vue et qui a voulu éclaircir ce passage : Ouvrez-moi les portes de la justice, afin que j’y entre pour rendre grâces au Seigneur ; c’est la porte du Seigneur, dans laquelle les justes doivent entrer (Ps. CXVIII, 19). Il est dit aussi dans le psaume IX (v. 14 et 15) : Tu me retires des portes de la mort, afin que je publie toutes tes louanges aux portes de la fille de Sion. Par les portes de la mort qui conduisent à la perdition, l’Écriture entend les péchés, comme au contraire elle entend les actions saintes par les portes de Sion ou les portes de la justice qui sont les mêmes que les portes de la vertu ; et ces portes sont toujours prêtes à s’ouvrir pour les personnes qui s’étudient aux actions vertueuses.
Pour ce qui est de l’arbre de vie (Gen., II, 8), ce serait mieux le lieu d’en parler, en expliquant ce qui nous est dit, dans la Genèse, du paradis planté par Dieu même. La résurrection a déjà servi plusieurs fois de matière aux railleries de Celse, parce qu’il n’entend pas bien la chose ; mais n’étant pas encore content, il ajoute qu’on parle de la résurrection de la chair par le bois, ce qui n’est, à mon avis, qu’un mauvais usage qu’il fait de cette façon de parler symbolique : La mort est venue par le bois, et par le bois vient la vie, la mort en Adam, et la vie en Jésus-Christ (I Cor., XV, 22). Il se moque ensuite de ce bois, et il l’attaque de deux côtés, voulant que ce que nous en disons vienne, ou de ce que notre Maître a été cloué sur une croix, ou de ce qu’il était charpentier de profession. Mais il ne voit pas que le bois (ou l’arbre) de vie se trouve dans les livres de Moïse, et que d’ailleurs il n’est dit en aucun endroit des Évangiles reçus par les Églises que Jésus ait été charpentier.
Il s’imagine que c’est pour faire des allégories sur la croix, que nous avons inventé ce bois de vie, et, conformément à celle fausse imagination, il dit que si Jésus avait été roulé dans un précipice, ou jeté dans un gouffre, ou attaché a un licol, nous forgerions au-dessus des deux le précipice de la vie, ou le gouffre de la résurrection, ou la corde de l’immortalité. Il dit tout de même, sur la profession de charpentier, que, puisqu’elle a donné lieu à cette fiction du bois de vie, il faut croire que si Jésus avait été cordonnier, on parlerait aussi du cuir saint ; s’il avait été tailleur de pierres, ce serait la pierre bénite qu’on vanterait ; et s’il avait été serrurier, le fer de la charité. Mais qui ne voit en cela la faiblesse d’un adversaire qui s’amuse à dire des injures à des gens qu’il avait entrepris de détromper et de convertir ?
Ce qu’il dit encore dans la suite ne convient pas mal à ces conteurs de fables qui mettent en leurs principaux anges la figure d’un lion, la tête d’un âne, la forme d’un dragon ou quelque autre bizarrerie pareille ; mais il ne touche en aucune sorte ce qu’on fait profession de croire en l’Église, et j’avoue qu’une vieille, quand elle serait ivre, aurait honte d’endormir un enfant en lui chantant des chansons remplies de contes semblables à ceux que débitent ces rêveurs, avec leurs têtes d’ânes et leurs nouvelles espèces de harangues à chaque porte. Dans l’Église on a bien d’autres sentiments, mais Celse les ignore, et peu de personnes les étudient. La connaissance distincte n’en est que pour ceux qui, selon le commandement de Jésus, consacrent toute leur vie à examiner les Écritures (Jean, V, 39), et qui emploient bien plus de soin à en pénétrer le sens, que les philosophes de la Grèce n’en ont jamais employé à apprendre je ne sais quelle doctrine qu’ils nomment science.
Notre généreux adversaire ne croyant pas avoir assez fait de nous objecter un diagramme auquel nous ne prenons aucun intérêt, a voulu encore pour grossir ses accusations, y entremêler certaines autres choses qu’il tire de la même source, mais sous un nom différent : Ceci, dit-il, n’est pas une de leurs moindres merveilles ; c’est qu’entre ces plus hauts cercles qui sont au-dessus de tous les deux, il y a je ne sais quoi d’écrit dont ils vous donnent l’explication, et entre autres choses ces deux mots : Le plus grand et le plus petit ; l’un pour le Père, l’autre pour le Fils. J’ai vu aussi dans le diagramme un grand et un petit cercle sur le diamètre desquels étaient ces mots : Le Père et le Fils. Entre ce grand cercle, dans lequel le petit était renfermé, est un autre cercle composé de deux, l’un jaune qui était le plus en dehors, l’autre bleu, qui était en dedans, était peinte une espèce de barrière en forme de hache. Au-dessus, il y avait un petit cercle qui touchait le plus grand des deux premiers, avec celle inscription : La charité ; Au-dessous il y en avait un autre qui touchait encore le même cercle, avec celle inscription : La vie. Dans le second cercle qui était composé de lignes entrelacées, et qui renfermait deux autres cercles avec une figure en forme de rhombe, étaient écrits ces mots : La providence de la Sagesse ; et sur leur commune section étaient ceux-ci : La nature de la Sagesse. Au-dessus de cette section commune, il y avait un cercle avec ce mot : La science ; et au-dessous un autre cercle avec cet autre mot : L’intelligence. Nous avons bien voulu insérer ceci dans notre réponse à Celse, pour faire connaître à ceux entre les mains de qui elle tombera, qu’encore que nous désapprouvions ces choses, nous les savons pourtant plus exactement que lui qui ne les sait que par ouï dire. Assurer si ces gens qui veulent se faire valoir par-là, font aussi profession de quelque art magique et si tout leur savoir s’y rapporte, c’est ce que nous ne faisons point, n’en ayant jamais rien vu. C’est à Celse qui a déjà souvent été convaincu de mensonge et de calomnie, à voir s’il ment encore en celle rencontre, ou si, comme il le dit dans son écrit, il a effectivement découvert quelque chose de tel en des personnes qui sont entièrement éloignées de notre créance.
Il dit ensuite, parlant de ces magiciens qui se servent de conjurations pleines de certains noms barbares, pour évoquer les démons, qu’ils font comme ceux qui par la seule différence des mots tâchent d’étonner le peuple qui ne sait pas qu’un même sujet s’appelle d’un nom parmi les Grecs, et d’un autre parmi les Scythes. Il cite donc Hérodote oui dit que les Scythes nomment Apollon, Etosyre ; Neptune, Thamimasade ; Vénus, Artimpase ; et Vesta. Tabiti (Liv. IV). Ceux qui auront assez de loisir examineront si Celse ne s’éloigne point encore ici de la vérité, avec Hérodote ; car entre ces différents sujets à qui l’on donne le nom de dieux, les Scythes ne connaissent pas les mêmes que les Grecs. En effet y a-t-il de l’apparence qu’Etosyre soit le nom d’Apollon parmi les Scythes ? Je ne pense pas que si l’on traduisait en grec le mot d’Etosyre selon son étymologie, il répondît à celui d’Apollon ; ni que le mot d’Apollon traduit en la langue des Scythes répondit à celui d’Etosyre. Je n’ai pas non plus, jusqu’ici, rien entendu dire de pareil à l’égard des autres noms ; car si les Grecs ont eu souvent occasion de donner telle ou telle origine aux dieux qu’ils adorent ; les Scythes, de leur côté, en ont eu aussi, lien est de même des Perses, des Indiens, des Éthiopiens, des Lybiens, qui ont tous inventé des noms à leur fantaisie, en s’éloignant de la première et de la plus simple idée qui est celle du Créateur de l’univers. Mais l’ai ci-devant parlé de celle matière, lorsque j’ai tâché de faire voir que Jupiter n’est pas le même que Sabaoth, où j’ai fait aussi quelques réflexions tirées de l’Écriture sainte sur la diversité des langues. Je n’ai donc pas dessein de m’arrêter davantage ici, ni de m’engager en de vaines redites pour suivre Celse : Il ajoute encore et il brouille quelques autres choses touchant les illusions de la magie, et peut-être qu’il n’a personne en vue, y ayant peu d’apparence que personne s’applique à la magie sous prétexte d’une religion du caractère de celle a qui il en veut ; mais peut-être aussi qu’il désigne par là quelques gens qui peuvent user de celle adresse pour persuader aux simples qui les voient agir, qu’ils agissent par une Vertu divine. Qu’est-il besoin, dit-il, que je fasse ici la liste de tous ceux qui ont enseigné à user d’expiations, à guérir les maladies, ou à détourner quelque malheur par des chants et par des paroles, à faire des figures et des images de démons, à se munir de divers préservatifs qu’on prétend trouver dans les habits, dans les nombres, dans les pierres, dans les plantes, dans les racines et généralement en toutes sortes de choses ? A cela nous n’avons rien à répondre, la raison ne voulant pas que nous nous défendions d’un crime dont il n’y a pas le moindre soupçon contre nous.
Quand je lis ce qu’il dit ensuite, il me semble entendre de ces gens qui, par un excès de haine contre les chrétiens assurent à ceux qui n’ont aucune connaissance du christianisme, qu’ils savent, par des preuves de fait, que les chrétiens mangent de la chair de petits enfants, et qu’ils se mêlent, sans distinction et sans pudeur, avec les femmes de leur secte. Car, comme les accusations dont je parle sont maintenant démenties par la voix publique et reconnues pour des calomnies par ceux mêmes qui sont les plus contraires à notre profession, il ne serait pas difficile non plus de convaincre de faux ce que Celse avance ici. J’ai vu, dit-il, chez les prêtres de leur religion certains livres barbares qui contenaient des noms de démons et des prestiges. Il ajoute que ces prétendus prêtres chrétiens ne se vantaient pas de pouvoir faire du bien aux hommes, mais seulement du mal. Plût à Dieu que toutes les accusations de Celse fussent pareilles à celles-là, afin que la fausseté en fut reconnue des plus simples qui, vivant avec grand nombre de chrétiens, savent par leur propre expérience que c’est une pure supposition, et qu’ils n’en ont même jamais entendu parler.
Il dit après cela, comme s’il avait oublié qu’il dispute contre des chrétiens, qu’il a connu un certain Égyptien, nommé Denis, musicien de profession, qui disait que la magie n’avait de pouvoir que sur les ignorants et les débauchés ; mais que contre les philosophes qui usent d’un bon régime de vivre, elle n’avait aucune vertu.
S’il était question de la magie, nous pourrions ajouter ici quelque chose à ce que nous en avons dit ci-dessus ; mais il vaut mieux, dans cette réponse, s’arrêter au plus essentiel. Nous nous contenterons donc de dire sur le sujet de la magie, que qui voudra savoir si elle peut faire impression sur les philosophes, ou si elle ne le peut pas, n’a qu’à lire les choses mémorables d’Apollonius, magicien et philosophe, né à Tyane. Méragène, qui en est l’auteur et qui n’était pas un chrétien, mais un philosophe, rapporte que des philosophes de réputation se laissèrent surprendre à la magie d’Apollonius, et s’en firent une raison pour l’aller trouver, comme fit, entre les autres, si je ne me trompe, le célèbre Euphrate et un certain épicurien. Pour nous, nous pouvons affirmer, comme une chose dont nous avons fait nous-mêmes l’expérience, que ceux qui rendent au grand Dieu, par Jésus, le culte que le christianisme prescrit, et qui vivent suivant les préceptes de l’Évangile, usant nuit et jour avec persévérance et avec ardeur, des prières qu’ils ont apprises, ceux-là n’ont rien à craindre ni de la magie, ni des démons. Car c’est une vérité constante, que les anges du Seigneur campent autour de ceux qui le craignent, pour les garantir de tout mal (Ps. XXXIV, 8), et que les anges des petits de l’Église, c’est-à-dire les anges à qui le soin en est commis, voient sans cesse la face du Père céleste (Matth., XVIII, 10), quelque chose qu’il faille entendre par celle face et par cette vue.
Voici une nouvelle accusation que Celse puise à une autre source. Ils ont aussi, dit-il, en parlant de nous, des erreurs pleines d’impiété, où ils sont tombés par une suite de leur extrême ignorance, qui leur a encore fait mal prendre les énigmes dont on couvre les choses divines ; et ils veulent que Dieu ait un adversaire qu’ils nomment le diable, ou, en hébreu, Satan, ce qui est une pensée très injurieuse à la Divinité, et qui la réduit à la condition des êtres mortels. Le grand Dieu, voulant faire du bien aux hommes, trouve donc un ennemi qui lui résiste et qui l’en empêche. Le Fils de Dieu est donc vaincu par le diable, et les peines qu’il souffre sont des enseignements qu’il nous donne de mépriser celles que son vainqueur nous pourrait faire souffrir comme à lui ; car il nous avertit que Satan devait aussi, à son tour, paraître au monde et y faire de grandes et de surprenantes merveilles, s’appropriant la gloire de Dieu, mais que, sans nous y arrêter, nous devions demeurer fermes dans le dessein de rejeter ce nouveau venu, et ne croire jamais que lui seul qui nous donnait cet avis. Ne sont-ce pas là évidemment les paroles d’un imposteur, qui prend toutes ¡es précautions qu’il peut pour prévenir ceux qui voudraient introduire des dogmes contraires aux siens et s’établir à son préjudice ?
Voulant ensuite rapporter ces énigmes d’où il prétend que nous avons pris mal à propos ce que nous disons de Satan, Celse ajoute : Les anciens parlent énigmatiquement d’une certaine guerre divine. Héraclite le fait en cet termes : S’il faut dire qu’il y ait une guerre et une discorde générale, et que tout se fasse et se gouverne par cette dissension. Phérécyde, beaucoup plus ancien qu’Héraclite, représente, dans une fable mystérieuse, deux armées ennemies, dont l’une a pour chef Saturne, et l’autre Ophionée : il raconte leurs défis et leurs combats suivis de cette convention mutuelle, que celui des deux partis qui serait repoussé dans l’Océan se confesserait vaincu ; et que les autres qui y auraient précipité leurs ennemis, demeureraient, comme vainqueurs, les maîtres du ciel. L’histoire des Titans et des Géants, qui firent la guerre aux dieux, renferme de semblables mystères, aussi bien que celles du Typhon, de l’Horus et de l’Osiris des Égyptiens.
Après avoir ainsi rapporté ces choses, sans se donner la peine de les expliquer, pour faire voir qu’elles ont un sens bien plus sublime, et que nous les avons mal copiées, il recommence à nous dire des injures. Ce ne sont pas là, dit-il, de ces contes que l’on fait du diable ou du démon, qui, selon la vérité, est plutôt un autre imposteur qui veut établir une doctrine contraire. Il joint encore Homère à Héraclite, à Phérécyde et à ceux qui nous parlent des Titans et des Géants, et il prétend que ces vers de Vulcain à Junon n’aient pas un sens moins mystérieux :
Il me prit mal un jour d’épouser ta querelle,
Que saisi par un pied pour tout fruit de mon zèle,
J’éprouvai ce que peut Jupiter irrité,
Et du plus haut des deux je fus précipité.
Ni ces autres de Jupiter à Junon,
il t’en doit souvenir, quand du ciel suspendue
Et par ton propre poids dans les airs étendue,
Tu me vis l’attacher deux enclumes aux pieds.
Des nœuds d’or sur tes mains étroitement liés,
A l’épreuve du temps portaient toute la masse.
Les dieux autour de loi déploraient la disgrâce ;
Mais pour le délivrer nul n’était assez fort :
Et qui pour ton secours hasardait quelque effort,
Ce bras, ce même bras qui lance le tonnerre,
Le jetait demi-mort du haut des cieux en terre.
Ce qu’il explique de la sorte : Ces paroles de Jupiter à Junon, dit-il, ce sont les paroles de Dieu à la matière, et cela veut dire que Dieu, au commencement, ayant trouvé la matière toute brouillée et toute difforme, il lui avait donné de l’ordre et de l’ornement par la justesse des liens, dont il en avait joint les parties ; et que pour punir les démons, qui s’occupaient à y entretenir le désordre, il les avait précipités dans ces bas lieux. Phérécyde prenait en ce sens les vers d’Homère, lorsqu’il disait : Au-dessous de cette région est la région du Tartare, dont la garde est commise aux Harpies et à la Tempête, filles de Borée ; et c’est là que Jupiter jette les dieux qui veulent causer du trouble. Les mêmes choses sont encore représentées par le voile de Minerve, que l’on expose aux yeux du public, dans la pompe des jeux panathénaïques : car les figures qu’on y voit signifient qu’il y a une divinité sans mère et sans alliance, qui réprime l’audace des géants nés de la terre. Après avoir ainsi applaudi aux fictions des Grecs, il ajoute, en se moquant de nous : Mais qu’y a-t-il de plus ridicule que de dire que le Fils de Dieu, par les peines que le diable lui fait souffrir, nous enseigne à subir courageusement celles que le diable nous pourrait faire souffrir à nous-mêmes ? Il y avait bien plus de justice, ce me semble, de punir ce calomniateur, que de dénoncer des peines et des supplices aux personnes qui seraient exposées à ses calomnies.
Voyez, je vous prie, si cet homme, qui nous accuse d’erreurs impies et de peu d’intelligence sur le fait des énigmes sacrées, ne se trompe pas lui-même manifestement. Il ne considère pas que le malin esprit et sa chute du ciel en terre se trouvent dans les écrits de Moïse, beaucoup plus ancien, non seulement qu’Héraclite et que Phérécyde, mais qu’Homère même ; car le serpent (En gr. Ophis) de Moïse, d’où Phérécyde a emprunté son Ophionée, nous représente quelque chose de semblable ; le serpent, dis-je, qui fut cause que l’homme fut chassé hors du paradis de Dieu (Gen., III, 5), s’étant laissé tromper, après la femme, aux promesses qu’il leur fit de les élever au rang de la divinité et au comble du bonheur. Et le destructeur dont le même Moïse parle dans l’Exode, qu’est-ce autre chose que cet ennemi des hommes (Exode, XII, 23) qui cause la perte de ceux qui suivent ses malheureux conseils, au lieu d’y résister de toutes leurs forces ? C’est lui encore qui était représenté par le bouc de la propitiation, que le texte hébreux du Lévitique nommait Azazel (Lév., XVI, 8), qu’il fallait chasser et envoyer au désert, comme une victime dévouée à qui le sort ne donnait que ce partage : car ceux qui, à cause de leurs vices, sont à ce mauvais maître, et qui font son lot opposé à l’héritage de Dieu, sont tous comme dans un désert à l’égard de Dieu, avec qui ils n’ont nul commerce. Et ceux qui, dans le livre des Juges, sont nommés enfants de Béliar (Jug., XIX, 22), à cause de leur méchanceté, ne sont-ce pas les enfants de ce même père ? Mais outre tout cela, l’histoire de Job, plus ancien que Moïse même, dit en termes formels que le diable se présenta à Dieu pour lui demander la permission de faire éprouver à ce saint homme les afflictions les plus sensibles (Job., I et II) : premièrement, la perte de tous ses biens et de ses enfants, et ensuite, une lèpre maligne, comme on l’appelle, dont il lui couvrit tout le corps. Je n’allègue point ici ce que les Évangiles nous disent du diable qui tenta notre Sauveur (Matth., IV, 1, etc.), de peur qu’il ne semble que, sur le fait qui est en question, je veuille me servir contre Celse du témoignage d’auteurs trop récents. Mais les derniers chapitres de ce même livre de Job, où le Seigneur est représenté lui parlant d’un tourbillon formé dans les nues, nous pourraient encore fournir diverses preuves tirées de la description du dragon (Job., XL, 20). Pour ne point citer ce que dit Ézéchiel, comme s’il parlait de Pharaon, de Nabuchodonozor et du prince de Tyr (Ezéch., XXXII et 28), ni la plainte que fait Isaïe sur la chute du roi de Babylone (Is., XIV, 4, etc.), quoiqu’il y ait là plusieurs choses remarquables touchant la nature et l’origine du mal, d’où l’on apprend qu’il doit son commencement à ceux qui, ayant perdu leurs ailes, suivirent celui qui les avait perdues le premier ; car il n’était pas possible que le bien, qui n’était bien que par accident et par communication, fût semblable au bien qui est essentiellement tel. Ce bien communiqué ne se perd jamais tant qu’on a soin, pour parler ainsi, de manger le pain vivant (Jean, VI, 51), afin de se conserver soi-même : et qui le perd, le perd par sa propre faute, parce qu’il néglige de prendre le pain vivant et le vrai breuvage, d’où ses ailes tirent le suc qui est nécessaire pour les nourrir et pour les renouveler. C’est l’enseignement du sage Salomon, qui dit de celui qui est véritablement riche, qu’il se fait comme des ailes d’aigle pour retourner au lieu où habite son Seigneur (Prov., XXIII, 5). Car Dieu, qui sait faire un bon usage de la méchanceté de ceux qui sont assez malheureux pour l’abandonner, a dû leur marquer dans l’univers un certain endroit où ils servissent à exercer les athlètes de la vertu, qui s’efforcent de combattre comme il faut (II Tim. II, 5), pour pouvoir encore l’acquérir et la posséder. Les premiers sont comme le feu, et les autres comme l’or que l’on met au creuset. Après que ceux-ci ont été bien purifiés, et qu’ayant donné tous leurs soins à la partie raisonnable de leur être pour la conserver exempte de tout mauvais aloi, ils se sont montrés dignes d’aller jouir des biens célestes, ils sont élevés par le Verbe à la souveraine félicité ou, s’il faut que je parle ainsi, au sommet de la montagne des délices.
Le mot hébreux, Satan, veut dire adversaire : et tout partisan du vice qui, dans la conduite de sa vie, prend le chemin opposé à celui de la vertu, est un satan, c’est-à-dire un adversaire du Fils de Dieu, qui est la justice, la vérité et la sagesse (I Cor., I, 30 ; Jean, XIV, 6 ; Luc, X, 18) : mais l’adversaire par excellence, c’est celui qui, le premier de tous les êtres qui jouissaient d’une paix et d’une félicité parfaite, ayant perdu ses ailes, est déchu de cette heureuse condition. C’est celui qui, comme en parle Ézéchiel, avait été irrépréhensible dans toutes ses voies, jusqu’au jour où il se trouva de l’iniquité en lui, qui était comme l’empreinte d’un cachet bien gravé et comme une riche couronne dans le paradis de Dieu (Ezéch., XXVIII, 15, 12 et 13) ; mais qui, s’étant lassé des biens qu’il y possédait, est tombé dans la perdition, selon ces paroles mystérieuses : Ta perte est sans ressource, tu ne t’en relèveras jamais (Ibid., XIX).
Je me suis témérairement hasardé à écrire ici ce peu de choses, qui peut-être même ne sont rien. Mais si, après avoir bien étudié les livres sacrés, l’on voulait prendre le soin de faire un recueil, et comme un corps, de tous les passages où ils parlent du mal, de sa première origine et de la manière qu’il se détruit, l’on verrait que la pensée de Moïse et des prophètes touchant Satan n’a été aperçue, non pas même en songe, ni par Celse, ni par aucun autre de ceux qui, ayant laisse séduire et gagner leur âme à ce mauvais démon, ont perdu la véritable idée de Dieu et se sont détournés tant de lui que de son Verbe.
Il faut dire maintenant deux mots de l’antéchrist, puisque Celse en touche aussi quelque chose sans avoir lu ni ce que Daniel et saint Paul en ont écrit (Dan., VIII, 23 ; II Thess., II, 3) ni ce que notre Sauveur en a prédit dans les Évangiles (Matth., XXIV, 21). Je dis donc que comme les cœurs des hommes ne sont pas plus semblables les uns aux autres que leurs visages (Prov., XXVII, 19) ; il faut sans doute que ceux qui suivent la vertu soient fort différents entre eux pour le cœur, n’étant pas tous également avancés, ni formés sur le même modèle. Tout de même à l’égard de ceux qui prennent le chemin opposé sans se mettre en peine de bien vivre, dont les uns sont bien plus abandonnés que les autres. Cela posé, est-il surprenant que les deux extrémités, s’il faut ainsi dire, se trouvent parmi les hommes, l’une pour le bien et l’autre pour le mal ; la première, en la personne de Jésus considéré comme homme, de Jésus, dis-je, l’auteur d’une si admirable conversion et d’un si grand et si heureux changement dans le genre humain, l’autre en la personne de celui qui doit remplir l’idée qui nous est donnée de l’Antéchrist ? Dieu qui voit clairement l’avenir et qui savait qu’elle devait être celle contrariété, a voulu en avertir les hommes par ses prophètes, afin que ceux qui liraient leurs prophéties avec intelligence apprissent à s’attacher au bien et à éviter le mal. Il était juste au reste que celui de cet deux sujets, qui tient l’extrémité du côté du bien, fût nommé le Fils de Dieu, à cause de son excellence, et que celui qui tient l’extrémité opposée fut appelé le fils du mauvais démon de Satan et du diable. Mais comme le dernier degré du mal et le caractère de son plus haut période, c’est de se déguiser sous l’apparence du bien, ce méchant, cet enfant du diable doit venir accompagné des signes, des prodiges et des miracles du mensonge, par la puissance de son père (II Thess., II, 9) ; car la vertu que le diable lui communique pour séduire le genre humain, surpassera de beaucoup celle que les démons prêtent ordinairement aux plus insignes imposteurs qui abusent des hommes.
Saint Paul parle de cet antéchrist, et quoiqu’il en parle avec quelque obscurité, il nous marque pourtant de quelle manière, en quel temps et pour quelle cause il doit venir au monde. Voyez si ce qu’il en dit mérite la moindre raillerie, et s’il n’en parle pas plutôt en des termes pleins de grandeur et de majesté. Nous vous conjurons, dit-il, mes frères, par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus Christ, et par notre réunion avec lui, que vous ne vous laissiez pas légèrement ébranler ni troubler, vous mettant dans l’esprit, sur la foi de quelque discours de quelque prophétie ou de quelque lettre qu’on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur est près d’arriver. Que personne ne vous séduise en quelque manière que ce soit ; car ce jour-là ne viendra point que l’apostasie ne soit auparavant arrivée et que l’on n’ait vu paraître cet homme de péché, ce fils de la perdition qui, s’opposant à Dieu, s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses, lorsque j’étais encore avec vous ? Et je sais ce qui le retient maintenant, afin qu’il paraisse quand son temps sera venu ; car le mystère d’iniquité se forme dès à présent : il faut seulement qu’il demeure caché jusqu’à ce que celui qui le retient présentement soit détruit ; et alors se découvrira l’impie que le Seigneur Jésus consumera par le souffle de sa bouche, et qu’il perdra par l’éclat de son avènement. Cet impie, dis-je, qui doit venir accompagné de la puissance de Satan, avec tous les miracles, les signes et les prodiges du mensonge, et avec toutes les tromperies de l’iniquité pour séduire ceux qui périssent, parce qu’ils n’ont pas reçu et aimé ta vérité pour être sauvés. C’est à cause de cela même que Dieu leur enverra une efficace d’erreur pour croire le mensonge, afin que tous ceux qui n’ont pas cru la vérité et qui ont pris plaisir à l’iniquité soient condamnés (II Thess., II, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12). Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer toutes ces choses.
La prédiction de Daniel sur le même sujet est exprimée en des termes qui ont si bien le caractère de l’esprit divin et prophétique, qu’elle est capable de ravir en admiration bus ceux qui la lisent avec discernement et sans préjugé. Chacun y peut voir, s’il le souhaite la description des empires qui devaient s’établir sur la terre depuis le temps de Daniel jusqu’à la fin du monde ; mais voyez si ce qui est dit de l’antéchrist en particulier n’est pas du caractère dont j’ai parlé : Sur la fin de leur règne, dit-il, lorsque leurs péchés seront au comble, il s’élèvera un roi portant l’impudence sur le front et savant en subtilité ; ses forces seront grandes et ses ravages surprenants. Il réussira, il fera des progrès, il détruira les puissants et le peuple saint ; il mettra tout sous son joug et dans ses chaînes ; il aura la fraude dans la main et la fierté dans le cœur ; il fera périr un grand nombre de personnes pour ses tromperies, et il ne subsistera que par la ruine de plusieurs ; il les brisera comme on brise des œufs avec le poing (Dan., VIII, 23, 24, 25). Ce que j’ai allégué de Saint Paul, que l’homme dont il parle doit s’asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour dieu (II Thess., II, 4), se lit aussi dans les prophéties de Daniel où il est exprimé en ces termes : L’abomination qui causera des désolations sera dans le temple, et la durée de la désolation s’étendra jusqu’à l’accomplissement du temps (Dan., IX, 27). J’ai cru que je ne ferais pas mal de rapporter ici ces passages choisis entre plusieurs autres, afin que par cet échantillon le lecteur pût juger de ce que les saints écrits nous enseignent touchant le diable et l’antéchrist. Mais comme cela suffit pour notre dessein, nous passerons maintenant à une autre objection de Celse et nous tâcherons d’y satisfaire autant qu’il dépendra de nous.
Pour le nom de Fils de Dieu, ajoute-t-il, je vous dirai d’où il leur est venu dans l’esprit de le donner à leur Jésus ; c’est que les anciens ont donné le même nom au monde comme à l’ouvrage et à la production toute divine de Dieu. Il faut avouer qu’il y a grand rapport de l’un de ces fils de Dieu à l’autre ! Il s’imagine que nous avons emprunté le nom de Fils de Dieu de ce qui a été dit du monde qui est l’ouvrage et le fils de Dieu ; que même il est dieu. Mais c’est n’avoir pas fait de réflexion sur le temps de Moïse et des prophètes, pour reconnaître que beaucoup avant ces auteurs grecs qu’il nomme anciens, les prophètes des Juifs avaient positivement parlé d’un Fils île Dieu : c’est même ne se vouloir pas souvenir du passage que nous avons rapporté ci-dessus des Épîtres de Platon, où il parle de l’Ouvrier de cet univers comme du Fils de Dieu. Il a eu peur de se voir contraint par l’autorité de ce même Platon qu’il a souvent cité avec tant d’éloges, de reconnaître que celui qui a bâti cet univers est le Fils de Dieu ; que le grand Dieu, le Dieu souverain est son Père.
Si nous disons au reste que l’âme de Jésus a été unie d’une union très intime à ce grand et admirable Fils de Dieu, pour n’en être jamais séparée, il n’y a rien de surprenant en cela, car les livres sacrés nous apprennent qu’il y a d’autres choses qui, bien qu’elles soient deux de leur nature, ne laissent pas d’être censées et d’être en effet une seule et même chose. Témoin ce qu’ils disent de l’homme et de la femme : Ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair (Gen., II, 24) ; et de l’homme parfait qui s’attache au véritable Seigneur, la parole (le Verbe), la sagesse et la vérité : Celui qui demeure attaché au Seigneur est un même esprit avec lui (I Cor., VI, 17). Si celui qui s’attache au Seigneur est un même esprit avec lui, qui est-ce qui peut surpasser, qui peut même égaler en aucune sorte l’union qui attache l’âme de Jésus au Seigneur qui est la parole (le Verbe) ; la sagesse, la vérité et la justice même ? Ainsi l’on peut dire de l’âme de Jésus et de Dieu le Verbe, Le premier né de toutes les créatures (Col., I, 15), qu’ils ne sont plus deux.
Les stoïciens disent que la vertu étant la même en l’homme qu’en Dieu, le Dieu souverain n’est pas plus heureux que leur sage, mais que la félicité de l’un est égale à celle de l’autre, et Celse ne s’en moque point ni ne tâche point de tourner leur dogme en ridicule. Mais quand l’Ecriture sainte dit que l’homme parfait est attaché et uni par la vertu à celui qui est essentiellement le Verbe, d’où nous inférons qu’à plus forte raison l’âme de Jésus ne peut être séparée du premier-né de toutes les créatures, il s’en moque et ne peut souffrir que Jésus soit nommé le Fils de Dieu : ce qu’il n’aurait garde de faire, s’il pénétrait le sens mystique et caché de ce que les livres divins nous en disent. Mais pour les personnes qui désirent entendre des vérités bien suivies et en profiter nous les disposerons à recevoir ce que l’Écriture sainte nous apprend là – dessus, en leur faisant remarquer que, selon les enseignements, toute l’Église de Dieu est le corps de Jésus-Christ (Col., I, 24) animé par le Fils de Dieu, et que les particuliers qui croient sont les membres de ce corps considéré comme un tout : car comme l’âme anime le corps et lui donne le mouvement animal qu’il n’a pas de lui-même, ainsi le Verbe agissant dans tout son corps qui est l’Église, pour lui donner les mouvements convenables, fait aussi mouvoir chacun des membres qui la composent, de sorte que toutes leurs actions étant dirigées par le Verbe, elles le sont par la raison. Si donc il n’y a rien là, comme je me le persuade qui ne se suive parfaitement, est-il déraisonnable de dire que l’âme de Jésus soit unie au Verbe essentiel d’une union très étroite et d’une manière inconcevable ; que Jésus même tout entier ne puisse être séparé de ce Fils unique de Dieu, le premier-né de toutes les créatures, et qu’il ne soit plus qu’une même chose avec lui ?
Mais cela suffit.
Voyons ce qu’il ajoute, pour critiquer ce que dit Moïse de la création du monde. C’est une critique qui ne consiste qu’en paroles, et il ne l’appuie pas de la moindre preuve. Il n’y a rien d’extravagant, dit-il, comme leur création du monde. S’il s’était mis en devoir de montrer cette prétendue extravagance, et qu’il en eût allégué quelques raisons, nous tâcherions de nous en défendre. Mais il ne serait pas raisonnable, à mon avis, de nous arrêter, pour un mot dit en l’air, à prouver que son accusation est mal fondée. Si quelqu’un a la curiosité de s’instruire de ce qui nous persuade la création du monde telle que Moïse l’a décrite, et de voir les démonstrations dont nous croyons l’avoir appuyée, il peut lire ce que nous avons écrit sur la Genèse, depuis le commencement du livre jusqu’à ces mots : C’est ici la généalogie des hommes (Gen., V, 1) : où nous tachons de faire voir, par la parole de Dieu, ce que c’est que ce ciel et que cette terre, qui furent créés d’abord ; ce que c’est que cette invisibilité et que cette confusion attribuées à a terre ; ce que c’est que l’abîme, et que les ténèbres qui le couvraient ; ce que c’est que l’eau, et que l’Esprit de Dieu qui était porté dessus ; ce que c’est que la lumière créée ; ce que c’est que le firmament distingué du ciel qui fut créé le premier (Gen.. I, 1, etc.), et ainsi du reste.
Il traite aussi d’extravagante l’histoire de la création de l’homme, mais sans rapporter et sans combattre nos preuves. C’est sans doute qu’il ne pouvait opposer rien de solide à ce qui nous est enseigné, que l’homme fut fait selon l’image de Dieu (Gen., I, 27). Il ne comprend pas non plus ce que c’est que le paradis que Dieu avait planté, ni quelle y devait être, dans sa première destination, la vie de l’homme, qui a été changée par accident, lorsque l’homme ayant péché, il fut chassé de ce jardin de délices, et logé à l’opposite. Puisqu’à l’en croire, ce sont là autant d’extravagances, qu’il examine chaque chose en détail, et en particulier celle-ci : Dieu posa des chérubins avec une épée de feu, qu’ils tournaient de tous côtés pour garder le chemin de l’arbre de vie (Gen., III, 24). Si ce n’est, peut-être, que quand Moïse a écrit cela, il n’ait eu d’autre dessein que de faire un conte divertissant, à peu près comme les auteurs de l’ancienne comédie, lorsqu’ils disent que Prète fit mourir Bellérophon, et que Pégase était d’Arcadie. Mais pour eux, ils proposaient de faire rire, au lieu qu’il n’est pas vraisemblable que Moïse, qui écrivait des lois pour tout un grand peuple, et qui voulait qu’il les reçut comme de la part de Dieu, ait dit des choses vaines et sans raison ; qu’il n’ait voulu cacher aucun sens sous ces paroles : Dieu posa des chérubins avec une épée de feu, qu’ils tournaient de tous côtés pour garder le chemin de l’arbre de vie ; ni sous les autres qui expliquent l’origine des hommes, et dont les mystères font l’étude des sages d’entre les Juifs.
Celse touche ensuite les divers sentiments que quelques anciens ont eus sur l’origine du monde et des hommes ; et sans faire autre chose que les proposer tout simplement, il ajoute, que Moïse et les prophètes, qui nous ont laissé leurs écrits, ne connaissant ni la nature du monde ni celle des hommes. Ils ont dit là-dessus de hautes impertinences. S’il marquait ce qui lui fait regarder ces saint écrits comme de hautes impertinences, nous tâcherions encore de combattre ses raisons ; mais, pour imiter ses manières agréables, nous disons à notre tour que Celse ne connaissant point la nature de l’esprit prophétique, et n’en pouvant pénétrer le sens, il a écrit de hautes impertinences, qu’il a eu la vanité de nommer Discours véritable.
Il est vrai qu’il croit avoir nettement conçu et clairement exprimé ce qu’il nous objecte des jours de la création, dont les uns ont précède la lumière, le ciel, le soleil, la lune et les étoiles, et les autres les ont suivis. Mais je n’ai sur cela qu’une question à lui faire : savoir, si quand Moïse dit : C’est là l’histoire de l’origine des hommes, le jour que Dieu créa le ciel et la terre (Gen. II, 4) ; il ne se souvenait plus qu’il venait de dire, que Dieu avait achevé l’ouvrage de la création en six jours (Gen., II, 2).
Il n’y a nulle apparence que Moïse, après avoir ainsi parlé des six jours, ajoute incontinent, sans vouloir signifier quelque chose de mystérieux. Le jour que Dieu créa le ciel et la terre (Ibid., I, 1). Quelqu’un pourrait s’imaginer que cela se doit entendre de ce qui est dit, qu’au commencement Dieu créa le ciel et la terre (Ibid., I, 3) : mais qu’il prenne garde que ces mots. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, sont avant ceux-ci. Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite (Ibid., I, 5) : et avant ces autres, Dieu donna à la lumière le nom de jour.
Aller maintenant discourir de la nature des êtres intelligibles et des êtres sensibles, et montrer comment il y a eu des jours destinés pour chacune de ces deux espèces, ce n’est pas ce dont il s’agit ; et nous ne saurions ici entrer dans ce détail. Il faudrait des livres entiers, pour expliquer la création telle que Moïse la raconte : et nous l’avons fait, autant que nous en avons été capables, plusieurs années avant cette dispute contre Celse, lorsque nous avons traité, selon notre portée d’alors, des six jours que Moïse attribue à la création du monde. Mais il ne faut pas oublier que dans Isaïe, les oracles divins promettent aux justes, qu’un jour viendra où le soleil ne les éclairera plus ; mais où le Seigneur lui-même sera leur lumière pour une éternité, et où Dieu, sera leur gloire (Is., LX, 19). Ce que Celse ajoute est pris des dogmes d’une pernicieuse hérésie dont il a sans doute ouï parler, qui suppose, contre le bon sens, que ce fut par forme de souhait que Dieu dit, Que la lumière soit faite. Il ne se faut pas imaginer, dit-il, que le Créateur ait emprunté d’en haut la lumière, comme quand nous allumons notre chandelle à celle de notre voisin. C’est encore la légère connaissance qu’il peut avoir des maximes impies d’une autre hérésie, qui lui fait dire : Si l’auteur de toutes ces choses est un dieu maudit qui les ait faites malgré le grand Dieu auquel il est opposé, pourquoi ce dernier prêtait-il la lumière à l’autre ? Nous sommes si éloignés de vouloir soutenir ces rêveries, que nous sommes tout prêts à les condamner ouvertement comme des erreurs, et d’en entreprendre même la réfutation, non comme Celse, sans les bien savoir, mais avec la connaissance exacte que nous en avons, tant par le rapport de ceux qui y sont engagés, que par la lecture soigneuse de leurs livres.
Il ajoute encore : Je n’examine point maintenant quelle est l’origine, ni quelle doit être la fin du monde ; s’il est incréé et éternel, ou s’il a eu un commencement, mais qu’il ne doive jamais finir, ou si c’est tout le contraire. Je ne suis pas d’avis de l’examiner non plus ; car le dessein que je me suis proposé ne m’y oblige pas. Nous ne disons point aussi sur ces paroles : L’Esprit de Dieu était porté sur les eaux (Gen., I, 2), que l’esprit du grand Dieu se soit mêlé en ces choses comme en des choses où il n’avait nulle part, ni qu’un autre Créateur que le grand Dieu, ayant fait des entreprises injurieuses à cet esprit, sans que le Dieu souverain s’y opposât, il ait été nécessaire de les ruiner. Nous laissons donc à et ceux qui parlent de la sorte, et Celse qui ne les réfute pas comme il devrait ; car il fallait ou qu’il n’en dit rien du tout, ou, qu’après avoir nettement rapporté leur créance, il combattit, selon les mouvements de la charité, ce qu’il y remarquait d’impie. Nous n’avons jamais entendu dire que le grand Dieu, ayant donné son esprit au Créateur, le lui ait redemandé dans la suite.
C’est pourtant cette impiété que Celse attaque lorsqu’il continue ainsi : Quel Dieu a jamais donné une chose pour la redemander ! Si l’on redemande ce que l’on a donné, c’est que l’on en a besoin ; mais Dieu n’a besoin de rien. A quoi il ajoute comme un trait excellent contre ceux à qui il en veut : Comment ignorait-il, lorsqu’il le prêta, qu’il le prêtait à un mauvais être ? Et encore : Comment se met-il si peu en peine de ce Créateur injuste qui s’élève contre lui ?
Ensuite, mêlant et confondant, autant que j’en puis juger, hérésie avec hérésie, sans marquer qu’il prend ceci de l’une, et cela de l’autre, il produit ce que nous objectons à Marcion ; et comme ceux de qui il le lient ne l’ont pas peut-être bien instruit, il veut réfuter la réfutation même ; mais il le fait d’une manière si basse et si peu digne d’un homme de lettres, qu’il n’y saurait paraître moins de lumières. Voici donc comme il rapporte nos arguments contre Marcion ; mais sans avertir que c’est lui qu’il attaque : Pourquoi, dit-il, envoie-t-il secrètement pour détruire les ouvrages du Créateur ? Pourquoi y fait-il des entreprises secrètes, subornant et séduisant ceux qu’il peut ? Pourquoi flatte-t-il ceux que leur Créateur a condamnés et maudits, comme vous parlez ? Pourquoi les enlève-t-il comme un plagiaire ? Pourquoi leur apprend-il à se dérober à leur maître comme des esclaves fugitifs ? Pourquoi leur persuade-t-il de fuir leur père ? Pourquoi les adopte-t-il lui-même sans que le père y consente, affectant de prendre te nom de père pour des enfants qui sont à un autre ? Sur quoi il s’écrie par forme d’admiration : Voilà, certes, un Dieu bien digne du nom qu’il porte, dont l’ambition est que des criminels, condamnés par un autre que lui, de misérables bannis qui, selon eux-mêmes, ne doivent être regardés que comme des excréments, le reconnaissent pour leur père ? Un Dieu qui n’a pas le pouvoir de prendre et de châtier son envoyé, qui se rebelle contre lui !
Continuant après cela comme s’il parlait à nous qui avouons que ce monde n’est pas l’ouvrage d’un autre dieu, d’un dieu étranger : Si c’est lui, dit-il, qui ait fait toutes ces œuvres, comment, étant Dieu, en a-t-il fait de mauvaises ? Comment est-il incapable d’exhorter et de persuader ? Comment est-il sujet à se repentir, ne voyant que de l’ingratitude et de la méchanceté en ceux qu’il avait faits ? Comment est-il réduit à se plaindre et à se vouloir mal de son art, à menacer ses propres enfants et à les détruire ? ou s’il ne les détruit pas, en quel lieu peut-il les transporter hors de ce monde qu’il a fait lui-même ? Je ne crois pas qu’il se mette en peine de nous expliquer ici quelle est la nature du mal, bien que les Grecs mêmes, selon qu’ils ont été partagés en diverses sectes, aient eu des opinions différentes touchant les biens et les maux. Il se contente de supposer, comme, une suite de notre créance, de nous qui disons que ce monde est l’ouvrage du grand Dieu ; il suppose, dis-je, que, selon nous, Dieu est l’auteur du mal ; mais que Dieu en soit l’auteur ou qu’il ne le soit pas, ce n’est toujours que par une suite et par une dépendance du principal dessein. Je suis fort trompé, au reste, si, comme de ce que nous dirons que, ce monde est l’ouvrage du grand Dieu, Celse veut qu’il s’ensuive que Dieu soit l’auteur du mal, on ne peut pas aussi tirer la même conséquence des sentiments auxquels il souscrit ; car on peut lui dire tout de même : Si, selon vous, c’est Dieu qui a fait toutes ces œuvres, comment en a-t-il fait de mauvaises ? Comment est-il incapable d’exhorter et de persuader ? Il ne se peut rien de plus inexcusable dans la dispute, que de reprocher à ses adversaires que leurs dogmes sont pernicieux, pendant que les dogmes qu’on tient sont beaucoup plus sujets aux mêmes reproches.
Mais voyons nous-mêmes, brièvement, ce que la sainte Écriture nous enseigne, touchant les biens et les maux ; et répondons ainsi à ces questions : Comment Dieu a-t-il fait de mauvaises choses ? Comment est-il incapable d’exhorter et de persuader ? Selon la sainte Écriture, les biens proprement dits ce sont les vertus et les actions vertueuses : comme les maux proprement dits sont les choses contraires à celles-là. Il suffit maintenant de rapporter là-dessus le passage du psaume XXXIII : Mais ceux qui cherchent le Seigneur, ne manqueront d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi et je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Qui est l’homme qui aime la vie et qui souhaite de voir des jours bons et heureux ? Gardez votre langue du mal et vos lèvres de la tromperie : détournez-vous du mal et faites le bien (Ps. XXXIV, 11, etc.) ; car ces paroles, détournez-vous du mal et faites le bien, ne doivent pas s’entendre des biens et des maux corporels, comme quelques-uns les nomment, ni des biens et des maux extérieurs, mais des biens et des maux de l’âme. Celui donc qui fuit ainsi le bien par l’amour de la vraie vie, ne saurait manquer de la posséder : celui qui souhaite de voir ces jours heureux, ces bons jours auxquels la parole de la justice sert de soleil, il les verra selon son souhait, Dieu le délivrant du présent siècle qui est mauvais (Gal., I, 4), et de ces mauvais jours dont parle Saint Paul, quand il dit : Rachetons le temps, car les jours sont mauvais (Ephés., V, 16).
L’on trouve aussi quelquefois, lorsque l’Écriture parle moins proprement, que des choses extérieures et corporelles, celles qui contribuent à l’entretien de la vie que nous tenons de la nature, sont nommées biens, comme celles qui y sont contraires, passent pour des maux ; car c’est en ce sens que Job disait à sa femme : Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, ne nous soumettrons-nous pas aux maux qu’il nous envoie (Job, II, 10) ?
Comme donc l’Écriture sainte introduit en quelque endroit Dieu disant de lui-même : C’est moi qui donne la paix, et c’est moi qui crée les maux (Is., XLV, 7), et que ailleurs elle dit de lui : Il est descendu des maux, de la part de Dieu, sur les portes de Jérusalem ; un grand bruit de chariots et de cavalerie : (Mich., I, 12, et XIII). plusieurs n’ont pu lire cela sans en être embarrassés, ne comprenant pas ce que l’Écriture entend quand elle parle des biens et des maux. Il y a de l’apparence que c’est de là aussi que Celse a pris occasion de se former ce doute : Comment Dieu a-t-il fait de mauvaises choses ? Peut-être même qu’il s’est rencontre quelqu’un qui, s’exprimant et se défendant sur ces matières d’une façon peu exacte, lui a donné lieu de parler de la sorte. Pour nous nous disons que Dieu n’est point l’auteur du mal, c’est-à-dire du vice et des actions vicieuses ; car si Dieu était l’auteur du mal proprement ainsi nommé, comment pourrait subsister la doctrine du dernier jugement, où les méchants doivent être punis de leurs crimes à proportion que leurs crimes seront grands, et où les gens de bien, qui se seront adonnés à la vertu, doivent être mis en possession du bonheur et des récompenses que Dieu leur préparé ? Je sais que ceux qui sont assez téméraires pour soutenir que Dieu est même l’auteur de ces sortes de maux, allégueront ici quelques passages de l’Écriture, ne pouvant l’accorder avec elle-même, lorsque d’un côté elle condamne les pécheurs et loue les justes, et que de l’autre elle ne laisse pas de dire des choses qui, bien qu’en petit nombre, semblent capables de donner d’autres pensées à ceux qui ne la lisent pas avec le discernement nécessaire. Le nombre de ces passages n’est pas néanmoins si petit, et l’explication ne s’en peut pas faire en si peu de paroles que je juge à propos de m’y arrêter en ce lieu.
Je me contenterai donc de dire, que s’il s’agit des maux proprement ainsi nommés, Dieu n’en est point l’auteur ; quoiqu’il y en ait quelques-uns, en petite quantité, si on les compare au grand ouvrage de l’univers, qui sont une suite et une dépendance de ses véritables œuvres : comme le charpentier par une suite du travail qu’il a entrepris, fait les copeaux et la sciure de bois ; et comme l’architecte semble être l’auteur de ces éclats de pierre et de ces superfluités de mortier qui font des monceaux d’ordures dans les places où l’on bâtit.
Mais si l’on entend les maux extérieurs et corporels qui ne portent ce nom qu’improprement, on peut accorder que Dieu ait fait quelquefois de ces maux-là à dessein de convertir quelqu’un. Et je ne vois pas que l’on y puisse rien trouver à redire ; car comme quand nous donnons improprement le nom de mal à la douleur de ceux qui sont châties par leurs pères, par leurs maîtres ou par leurs gouverneurs, ou à celle que le médecin cause, à ses malades par le fer et par le feu qu’il emploie pour leur guérison, nous ne prétendons pas blâmer ni ces pères, ces gouverneurs et ces maîtres, ni le médecin, en disant qu’ils ont fait du mal à ceux qu’ils ont traités de la sorte : tout de même quand on dira que Dieu a fait cette espèce de maux pour la conversion et pour la correction de ceux qui avaient besoin de ce remède, on ne doit trouver là rien d’absurde. On ne doit point s’étonner qu’il descende des maux de la part de Dieu sur les portes de Jérusalem (Mich., I, 12), des maux qui ne sont autre chose que les peines qu’elle souffre, par les mains de ses ennemis, et dont sa conversion sera le fruit, ni que Dieu châtie avec la verge les fautes de ceux qui abandonnent sa loi, et qu’il punisse leurs iniquités par des fléaux (Ps. LXXXIX, 31 et 33), ni qu’il dise : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus, et tu y trouveras du secours (Is., IV, 14, 15). Nous expliquerons encore dans le même sens ces autres paroles : C’est moi qui donne la paix, et c’est moi qui crée les maux (Ibid., XLV, 7). Dieu crée les maux extérieurs et corporels, pour châtier et pour corriger les personnes qui n’ont pas voulu se rendre aux enseignements de la parole et de la sainte doctrine. Voilà pour la question : Comment Dieu a-t-il fait de mauvaises choses ?
Quant à l’autre : Comment est-il incapable d’exhorter et de persuader ? nous avons déjà dit que si cette objection était bien fondée, elle regarderait tous ceux qui reconnaissent la Providence. Qui voudrait y répondre pourrait dire que Dieu n’est nullement incapable d’exhorter, puisqu’il fait de continuelles exhortations, et dans toute son Écriture, et par la bouche de ceux qui sont établis par un effet de sa grâce, pour enseigner les autres hommes. Si ce n’est que l’on veuille attribuer une nouvelle signification au mot d’exhorter, comme s’il voulait dire, toucher celui que l’on exhorte et lui faire passer l’exhortation jusque dans le cœur, ce qui est fort éloigné de l’usage commun.
Sur le, Comment est-il incapable de persuader ? où tous les défenseurs de la Providence n’ont pas moins d’intérêt, on dirait pareillement que le verbe être persuadé, étant du nombre de ceux qui marquent une double action, comme être rasé en marque deux, l’une de celui qui rase, et l’autre de celui qui se fait raser, Il est nécessaire que dans la persuasion, il y ait et l’action de celui qui persuade et la soumission, s’il faut ainsi dire, de celui qui est persuadé, ou l’acte par lequel il reçoit ce qu’on lui propose. Ainsi quand les hommes ne sont pas persuadés, on doit dire que cela vient non de ce que Dieu est incapable de persuader, mais de ce que quelque capable qu’il en soit, ils ne reçoivent pas les vérités qu’il leur présente.
On peut sans se tromper en dire autant de ces hommes qu’on appelle les artisans de la persuasion ; car il se eut faire qu’un homme sache parfaitement tous les préceptes de la rhétorique et qu’il les mette en pratique avec toutes les finesses de l’art, n’oubliant rien de ce qui est capable de persuader, sans que pourtant il persuade, à en juger par l’événement, parce qu’il ne peut vaincre l’obstination de celui à qui il a affaire. Qu’il soit vrai au reste, qu’encore que Dieu parle d’une manière très propre à persuader, la persuasion néanmoins ne vienne pas de lui, c’est ce que Saint Paul enseigne évidemment lorsqu’il dit : La persuasion où vous êtes ne vient pas de celui qui vous appelle (Gal., V, 8). C’est encore ce qui se recueille de ces autres paroles : Si vous voulez m’obéir, vous serez rassasiés des biens de la terre ; mais si vous ne le voulez pas et que volis me résistiez, l’épée vous dévorera (Is., I, 16, 20). Car afin qu’un homme défère aux exhortations qui lui sont faites et qu’ainsi il se rende digne de ce que Dieu promet à ceux qui lui obéissent, il faut qu’il acquiesce à ce qu’on lui dit et qu’il y soumette sa volonté ce qui ne pouvait être plus vivement exprimé, à mon avis, que par ces paroles du Deutéronome : Maintenant, Israël, qu’est-ce que le Seigneur votre Dieu désire de vous, si ce n’est que vous craigniez le Seigneur, votre Dieu, que vous marchiez dans toutes ses voies, que vous l’aimiez et que vous observiez ses commandements (Deut., X, 12, 13).
Il faut présentement répondre à ceci : Comment est-il sujet à se repentir, ne voyant que de l’ingratitude et de la méchanceté en ceux qu’il avait faits ? Comment est-il réduit à se plaindre et à se vouloir mal de ton art, à menacer ses propres enfants et à les détruire ? C’est une altération et une falsification de ce passage de la Genèse : Le Seigneur Dieu voyant que les crimes des habitants de la terre s’étaient multipliés, et que les hommes n’avaient tous chaque jour dans le cœur d’autre soin ni d’autre pensée que de faire du mal, il fit réflexion que c’était lui qui avait fait l’homme sur la terre, et rentrant en lui-même, il dit : J’exterminerai tant les hommes que le bétail, tant les reptiles que les oiseaux du ciel. Car j’ai fait réflexion sur ce que c’est moi qui les ai faits (Gen., VI 5, 6). Celse veut que ce qu’il exprime soit la même chose que ce qui est écrit ; quoique ce qui est écrit ne soit pas pourtant ce qu’il exprime ; car il n’est point-là parlé du repentir de Dieu ; il n’est point dit qu’il se plaigne et qu’il se veuille mal de son art.
S’il semble qu’il use de menaces et qu’il détruise ses propres enfants par le déluge, il faut dire à cela que l’âme de l’homme étant immortelle, ce qu’on prend pour des menaces sont des moyens pour convertir ceux à qui elles s’adressent ; et que le déluge qui a détruit les hommes, a servi a nettoyer la terre conformément à ce que de grands philosophes d’entre les Grecs ont dit : Quand les dieux viennent nettoyer la terre (Platon dans son Timée). Pour les expressions humaines dont on se sert en parlant de Dieu, nous en avons assez traité ci-devant.
Celse soupçonnant ensuite ou voyant même clairement ce qu’on lui peut répondre sur le sujet de ceux qui périrent par le déluge ajoute : Ou s’il ne détruit pas ses propres enfants, en quel lieu peut-il les transporter, hors de ce monde qu’il a fait lui-même ? Nous lui dirons donc que ce n’est pas hors de ce grand monde composé du ciel et de la terre, que Dieu transporta ceux qui moururent dans les eaux du déluge ; mais qu’il les retira de cette vie charnelle, et que leur faisant quitter leurs corps, il leur fit aussi quitter la terre, qui dans l’Écriture porte souvent le nom de monde, principalement dans l’Évangile selon Saint Jean. Comme quand il y est dit : C’était la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde (Jean, I, 9), le monde, c’est-à-dire ces lieux terrestres, lit ailleurs, Vous aurez des afflictions dans te monde, mais avez confiance, j’ai vaincu le monde (Jean, XVI, 33). Si donc, par le monde, on entendait cette basse région, il n’y aurait rien d’absurde à dire que Dieu transporte quelqu’un hors du monde. Mais si par le monde, on entend l’univers qui renferme le ciel et la terre, ce n’est pas hors du monde pris en ce sens que ceux qui périrent par le déluge furent transportés. Quoiqu’à considérer ces paroles : Nous ne regardons point les choses visible mais les invisibles (II Cor., IV, 18) ; et ces autres : Ce qui est invisible en Dieu est visible en ses ouvrages, et s’y fait connaître depuis la création du monde (Rom., I, 20), on puisse dire que ceux qui s’attachent aux choses invisibles et immatérielles, sont sortis hors du inonde ; le Verbe (qui est la souveraine raison), les en ayant tirés et les ayant transportés au-dessus des cieux pour contempler ce qu’il y a de plus beau et de plus noble.
Après cela comme si Celse ne se proposait que de grossir son livre, il répète en d’autres termes les mêmes choses à peu près qu’il venait de dire et que nous ne faisons que d’examiner. Il n’y a rien de plus ridicule, que de partager la création du monde en plusieurs jours avant qu’il y eût des jours ; car comment pouvait-il y en avoir avant que les deux fussent faits, que la terre fut bâtie, et que le soleil eût commencé à se mouvoir ? C’est ce qu’il venait de dire. Et qu’est-ce autre chose que ce qu’il dit maintenant ? Considérons encore, reprenant les choses de plus haut, combien il est absurde de faire dire au grand Dieu, au Dieu souverain par forme de commandement : Que ceci ou que cela se fasse ; et de l’introduire, travaillant le premier jour à une chose le lendemain à une autre, et avançant de plus en plus, le troisième, le quatrième et le cinquième jour jusqu’au sixième.
Nous avons déjà fait ce qui dépendait de nous pour éclaircir ces commandements, Que ceci ou que cela se fasse ; en rapportant ce passage : Il a parlé, et tout a été fait ; il a commandé et tout a été créé (Ps. XXXIII, 9, et CXLVIII, 5), et en montrant que l’Ouvrier immédiat du monde celui qui, pour ainsi dire, a mis la main à l’ œuvre, c’est le Fils de Dieu nue nous nommons le Verbe ; mais que le Père du Verbe en est l’ouvrier primitif, en ce qu’il a commandé à son Fils de faire le monde.
Pour ce qui est des six jours de la création (Gen., I, 3, etc.) ; comment la lumière fut faite le premier jour, et le firmament le second ; comment le troisième, les eaux qui étaient sous le ciel, furent rassemblées dans leur grand réservoir, et qu’ainsi la terre poussa ce qu’elle produit par la seule force de la nature : comment le quatrième jour, les grands astres furent créés avec les étoiles : le cinquième, les animaux aquatiques le sixième, les terrestres et l’homme, c’est ce que nous avons expliqué selon notre pouvoir dans nos Commentaires sur la Genèse Et ci-dessus même, pour montrer qu’il ne faut pas prendre les choses à la lettre, comme font ceux qui croient que l’espace de six jours a été effectivement employé à la création du monde, nous avons allégué ces paroles : C’est là l’histoire de l’origine du ciel et de la terre ; c’est ainsi qu’ils furent faits, le jour que Dieu créa le ciel et la terre (Gen.. II, 4)
Celse fait bien voir dans ce qui suit qu’il n’entend pas ce passage : Dieu acheva ses œuvres le sixième jour, et les ayant toutes faites, il cessa de travailler le septième. Dieu donc bénit le septième jour et il le sanctifia ; parce que ce jour-là il avait cessé de travailler à toutes les œuvres qu’il avait entreprit de faire (Ibid., II, 2 et 3). Il s’imagine que ces deux façons de parler : Il cessa de travailler le septième jour ; et il se reposa le septième jour, soient la même chose, et dans relie pensée, il ajoute : Après tout cela, l’on dirait d’un lâche ouvrier qui, tout fatigué, a besoin de ne rien faire pour rétablir ses forces par le repos. Mais il parle ainsi, parce qu’il ne sait pas ce que c’est que ce jour du sabbat, ou du repos de Dieu, qui doit succéder à la création continuelle dont la durée du morde est la mesure (Hébr., IV, 9) : ce jour qui sera un jour de fête pour ceux aussi qui. comme Dieu, auront fait toutes leurs œuvres pendant les six jours précédents, et qui pour n’avoir négligé aucune partie de leur devoir, auront été élevés à la contemplation des biens célestes, et reçus en l’assemblée des saints et des bienheureux qui en jouissent. (Hébr. XIII, 23) Il continue comme s’il trouvait dans l’Écriture ou que nous disions, au moins nous-mêmes que, Dieu étant fatigué, eut besoin de repos. La nature du choses ne permet pas, dit-il, que le grand Dieu se fatigue ni qu’il travaille de la main, ni même qu’il commande. Celse dit qu’il ne se peut faire que le grand Dieu se fatigue. Mais nous disons de Dieu le Verbe qu’il ne se peut fatiguer non plus ; nous le disons même de tous ces êtres d’un ordre supérieur, et voisins de la Divinité : car la fatigue n’est que pour les êtres corporels. Je vous laisse à examiner si c’est pour tous les êtres corporels, quels qu’ils soient, ou seulement pour les corps terrestres et pour ceux qui sont d’une condition peu élevée au-dessus des corps terrestres. Il ajoute que le grand Dieu n’est pas pour travailler de la main. Si l’on prend proprement les mots de travailler à la main, ce qui est dit du grand Dieu se peut dire et d’une divinité du second rang, et de tous les êtres qui ont quelque chose de divin.
Mais posé que cela se doive entendre en un sens impropre et figuré, de la manière que nous entendons ce passage : Le firmament publie ¡es ouvrages des mains de Dieu (Ps. XIX, 1), et celui-ci : ses mains ont formé le ciel (Ps. CII, 20) ; et s’il y en a quelque autre de semblable, où nous expliquons allégoriquement les mains et les autres membres attribués à Dieu, qu’y a-t-il d’étrange que Dieu travaille de la main en ce sens ? Et s’il n’est pas étrange que Dieu travaille de la sorte, il ne l’est pas non plus qu’il commande : car ce qui est exécuté par celui à qui le commandement s’adresse ne peut être que bon et louable, puisque c’est Dieu qui en donne l’ordre.
Je ne sais si c’est de lui-même que Celse, en poursuivant, donne un mauvais sens à ces paroles : Le Seigneur a prononcé cela de sa bouche (Is., I, 20), ou si elles lui ont été mal expliquées par des personnes peu intelligentes ; mais quoi qu’il en soit, il ignore que c’est l’usage de l’Écriture d’exprimer les vertus de Dieu par les noms des parties de notre corps, lorsqu’il ajoute, que Dieu n’a ni bouche ni voix.
Il est très constant que Dieu n’a point de voix, si la voix est un air ébranlé, ou une secousse de l’air, ou une modification de l’air, ou telle autre chose, suivant la définition qu’en donnent ceux qui sont savants en ces matières. Mais ce que l’on nomme la voix de Dieu est de telle nature, qu’il est dit de celle voix, qu’elle a été vue du peuple, selon ce passage : Tout le peuple voyait la voix de Dieu (Exode. XX, 18) : en prenant le mot de voir, spirituellement, pour parler avec l’Écriture. Il dit ensuite qu’il n’y a même en Dieu aucune autre de ces choses qui tombent sous notre connaissance. Mais il n’explique point quelles sont ces choses qui tombent sous notre connaissance. S’il entend par là des membres corporels, nous sommes d’accord avec lui, supposant que les choses qui tombent sous notre connaissance ne sont autres que celles que nous connaissons d’une manière corporelle et par la voie la plus commune qui est celle des sens. Mais s’il faut entendre en général toutes les choses que nous connaissons, nous connaissons beaucoup de choses, que l’on peut attribuer à Dieu : car il possède la vertu, la béatitude, la Divinité. Enfin si l’on veut prendre ces paroles en un sens plus sublime, comme rien ne tombe sous notre connaissance qui ne soit infiniment au-dessous de Dieu, nous ne croirons point nous éloigner de la raison en reconnaissant avec Celse, qu’il n’y a en Dieu aucune de ces choses qui tombent sous notre connaissance ; car ce qui se trouve en lui est bien plus excellent que toutes les choses qui tombent sous la connaissance, non seulement des hommes, mais des êtres mêmes auxquels la nature humaine est inférieure. Si Celse avait lu dans les prophètes ce que dit David : Mais toi, tu es toujours le même (Ps. CII, 28), et ce que dit Malachie, si je ne me trompe : Je ne change point (Malach., III, 6), il saurait qu’aucun de nous ne dit qu’il y a du changement en Dieu, soit de fait, soit de pensée ; car Dieu demeurant toujours le même, dispose des choses sujettes au changement, et il les gouverne conformément à leur nature par les soins que son Verbe en veut prendre.
Ce qu’il dit ensuite fait voir qu’il ne connaît pas la différence qu’il y a entre être fait selon l’image de Dieu et être l’image de Dieu (Col., I, 15). L’image de Dieu, c’est le premier né de toutes les créatures (Sag., VII, 26 ; son Verbe divin, la sagesse et la vérité même, qui est l’image de sa bonté (Gen., I, 27) : mais pour l’homme, il a été fait selon l’image de Dieu. D’ailleurs, tout homme qui a Jésus-Christ pour chef, est l’image et la gloire de Dieu (I Cor., XI, 3, 7). Celse ne s’arrête point à cela, et sans examiner quel est en l’homme ce caractère de l’image de Dieu, savoir, de posséder une nature qui n’a jamais eu ou qui n’a plus le vieil homme, ni ses œuvres, ce qui fait dire de ceux qui sont en ces termes, qu’ils sont faits à l’image de leur Créateur, Dieu n’a point fait l’homme, dit-il, pour être son image. Car Dieu n’a point la forme de l’homme, ni d’aucune autre chose sensible (Col., III, 9, 10). Que veut-il dire, de supposer comme il fait que dans un composé tel que l’homme, ce soit le corps, la partie la moins noble qui porte l’image de Dieu ? S’il n’y avait que le corps qui portât cette image, l’âme, la principale partie, n’en aurait aucun trait ; le seul corps, qui est périssable, serait fait à l’image de Dieu, ce qu’aucun de nous n’a jamais dit. Si l’on dit que cela regarde les deux ensemble, il faudrait que Dieu fût composé, et comme fait lui-même d’un corps et d’une âme, afin que son âme eût du rapport à ce qu’il y aurait de plus excellent dans cette image, et son corps, ce qui le serait moins : ce que nous ne disons point non plus. Il reste donc que l’avantage d’être fait à l’image de Dieu appartienne à ce que nous nommons l’homme intérieur qui se renouvelle (Ephés., III, 16), et qui est propre à représenter l’image de son Créateur (Col., III, 16) : ce qui se rencontre en ceux qui sont parfaits comme leur Père céleste est parfait (Matth., V, 4, 8) ; en ceux qui veulent être saints comme le Seigneur leur Dieu est saint (Lév., XIX, 2) ; et qui ayant appris à être les imitateurs de Dieu (Ephés., V, 1), reçoivent dans une âme vertueuse les traits de son image. Le corps même de ceux qui ont une âme ainsi disposée est le temple de Dieu (I Cor., III, 16 ; VI, 19) : car, étant formés à l’image de Dieu, ils ont Dieu lui-même dans leur âme, puisqu’ils y ont reçu l’empreinte de ses vertus.
Celse fait après cela de lui-même une longue liste d’autres choses qu’il nous attribue, comme si c’était notre créance, bien qu’aucun chrétien de bon sens ne les admette. Car qui de nous a jamais dit que la figure et la couleur convinssent à Dieu ? Le mouvement ne lui convient point non plus, à lui qui, ayant une nature ferme et stable, exhorte le juste à l’imiter en cela. Toi, dit-il, demeure ici avec moi (Deut., V, 31). S’il y a des passages qui semblent marquer en Dieu quelque mouvement, comme quand il est dit : ils entendirent sur le midi la voix du Seigneur Dieu, qui se promenait dans le jardin (Gen., III, 8), il ne faut entendre ce mouvement de Dieu que par rapport aux pécheurs qui se le figuraient, ou il faut l’entendre de la même manière que l’on entend le sommeil, la colère (Ps. XLIV, 24 ; Ps. LXXVIII, 31) et les autres choses semblables qui sont attribuées à Dieu par allégorie. Il en est de même encore de la substance.
Dieu n’y participe point : car c’est à lui que les autres êtres participent plutôt qu’une participe à quoi que ce soit. En effet ceux qui reçoivent l’esprit de Dieu sont faits participants de Dieu. Et notre Sauveur ne participe point à la justice ; mais étant la justice même, les justes sont faits participants de lui. Cette question de la substance est d’une discussion longue et difficile, surtout quand on veut examiner si la substance permanente et immatérielle est la substance proprement dite, pour savoir si Dieu est hors des bornes de la substance, et s’il n’est substance qu’en puissance et en office, la communiquant aux autres êtres par son Verbe et à son Verbe même : ou si Dieu lui-même est substance, quoique de sa nature il soit invisible ; selon ce qui est dit de notre Sauveur, qu’il est l’image du Dieu invisible (Col., I, 15). Invisible, au reste, est ici la même chose qu’immatériel. Il y aurait encore à examiner si le Fils unique de Dieu, le premier-né de toutes les créatures doit être nommé l’essence des essences, l’idée des idées, et le principe de toutes choses, pendant que Dieu son Père sera considéré comme un être beaucoup au-delà de tout ce que ces termes signifient.
Par ce que Celse ajoute, en parlant de Dieu, que tout est de lui, il détruit je ne sais comment, toutes ses propres maximes. Pour ce qui est de notre Saint Paul, il dit, que tout est de Dieu, que tout est par Dieu, et que tout est pour Dieu (Rom., XI, 36) : De Dieu, c’est-à-dire que toutes choses lui doivent leur origine et les principes de leur être : Par Dieu, c’est-à-dire qu’il est la cause de leur subsistance et de leur conservation : Pour Dieu, c’est-à-dire qu’il est la fin à laquelle elles se rapportent. Mais c’est une vérité constante que Dieu n’est d’aucune chose. Sur ce qui suit, que le Verbe même n’y peut atteindre ; il faut user de distinction ; car s’il entend le Verbe qui est en nous, soit l’interne, qu’on nomme la raison, soit l’externe, qu’on nomme la parole, nous dirons avec lui que le Verbe même ne peut atteindre jusqu’à Dieu : mais si on l’entendait par rapport à ce passage : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu (Jean, I, 1), nous soutiendrons à l’égard de ce Verbe-là, qu’il peut atteindre jusqu’à Dieu, puisque non seulement il le conçoit, mais qu’il le fait même concevoir à ceux a qui il fait connaître le Père (Matth., XI, 27) ; et ainsi nous regarderions comme faux ce que dit Celse, que le Verbe même ne peut atteindre jusqu’à Dieu.
Ce qu’il dit encore, qu’on ne peut l’exprimer par des noms, n’a pas moins besoin de distinction ; car s’il veut dire que ni dans nos paroles, ni dans les idées qu’elles renferment, il n’y a rien qui puisse exprimer les propriétés de Dieu, ce qu’il dit est très vrai, puisque dans les autres choses mêmes il y a diverses qualités que nous ne saurions exprimer par des noms. Qui peut, par exemple, trouver des termes capables d’exprimer la différence qui se rencontre entre la douceur du fruit de palme, et celle de la figue ? Et qui peut marquer distinctement par des paroles, les différentes qualités qui sont propres à tous les autres sujets en particulier ? Il n’est donc pas surprenant qu’il n’y ait point de noms pour exprimer ce qu’est Dieu. Mais si par le mot exprimer, l’on entendait employer certains termes en parlant de Dieu, pour aider ceux devant qui l’on s’en sert, à concevoir quelques-unes de ses vertus, autant qu’il est permis à des hommes, il n’y aurait rien d’absurde à dire que Dieu peut de la sorte être exprimé par des noms. La même distinction peut s’appliquer à ce qu’il ajoute, que Dieu ne souffre aucun de ces accidents que nos paroles signifient : car il est certain qu’à la rigueur Dieu est incapable de rien souffrir.
Voilà qui suffit à cet égard.
Voyons la suite, où par une espèce de prosopopée il introduit quelqu’un qui, sur ce qui vient d’être dit, s’écrie : Comment donc pourrai-je connaître Dieu ? Qui m’enseignera le chemin pour aller à lui ? Comment, dis-je, me montrerez-vous Dieu ? Vous me couvrez les yeux de ténèbres si épaisses, que je ne vois plus rien de distinct. Puis, comme pour répondre à cette difficulté et pour rendre raison des ténèbres dont celui qui la fait se plaint d’avoir les yeux couverts : Ceux, dit-il, qu’on fait passer des ténèbres à la lumière du grand jour, comme ils ne peuvent en soutenir tout l’éclat qui leur fait mal aux yeux et qui leur blesse la vue. Ils s’imaginent être aveugles. Nous disons, pour nous, que tous ceux-là sont logés et enfonces dans les ténèbres, qui, arrêtent leurs yeux sur les malheureux ouvrages des peintres, des sculpteurs et des graveurs ; sans vouloir v détacher des choses visibles et de tout ce qui frappe nos sens pour élever leur esprit jusqu’au Créateur de l’univers qui est la lumière. Nous disons que tous ceux-là sont dans la lumière qui éclairés des rayons du Verbe, et apprenant de lui avec combien d’ignorance, d’impiété et d’aveuglement sur le fait de la Divinité, l’on met ces choses en la place de Dieu pour les adorer, suivent la voie par où il conduit les âmes qui désirent faire leur salut, à cet Être incréé qui est le Dieu souverain. Car le peuple qui habitait dans les ténèbres, savoir les Gentils, a vu une grande lumière : et la lumière, c’est-à-dire Jésus qui est Dieu, est venu éclairer ceux qui demeuraient dans la région des ombres de la mort (Matth., IV, 16). Il n’y aura donc aucun chrétien qui fasse cette demande à Celse ou à quelque autre des calomniateurs de la parole divine : Comment pourrai-je connaître Dieu ? car, parmi les chrétiens chacun connaît Dieu, autant qu’il le peut connaître. Il n’y en aura aucun qui lui dise : Qui m’enseignera le chemin pour aller à lui ? puisqu’il n’y en a point qui n’ait entendu celui qui dit : Je suis la voie, la vérité et la vie, et qui marchant dans cette voie n’ait goûté les douceurs qui s’y trouvent (Jean, XIV, 6). Nul chrétien ne dira non plus à Celse : Comment me montrerez-vous Dieu ?
Ce que Celse dit ici de véritable, c’est qu’après avoir entendu ce qu’il avance, quelqu’un voyant combien ses discours sont ténébreux lui pourrait faire cette réponse : Vous me couvrez les yeux d’épaisses ténèbres. En effet Celse et ses pareils nous veulent répandre des ténèbres devant les yeux ; mais pour nous, nous dissipons les ténèbres des dogmes impies par les lumières de la parole de Dieu. La réponse qu’un chrétien pourrait encore faire à Celse, qui ne dit rien de net ni de vif, c’est celle-ci : Je ne vois rien de distinct dans vos paroles. Bien loin donc de nous faire passer des ténèbres à la lumière du grand jour, il veut nous entraîner de la lumière dans les ténèbres, changeant les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres et s’exposant ainsi à la malédiction de ce bel oracle d’Isaïe : Malheur à ceux oui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres (Is., V. 20). Mais nous qui, des yeux de notre âme ouverts par le Verbe, voyons la différence de la lumière et des ténèbres, nous faisons tous nos efforts pour demeurer dans la lumière, et nous ne voulons avoir rien de commun avec les ténèbres. Au reste, comme la vraie lumière est une lumière animée, elle sait à qui il se faut montrer dans tout son éclat, et à qui il ne faut laisser voir que quelques-uns de ses rayons : car il y en a à qui elle ne découvre pas sa plus vive splendeur, parce que leurs yeux sont encore trop faibles.
Mais s’il faut dire de quelques-uns, que le grand jour leur fait mal aux yeux et qu’il leur blesse la vue, de qui le peut-on dire plutôt que de ceux qui ne connaissant point Dieu, croupissent dans leur ignorance, et qui étant offusqués par leurs passions, ne peuvent voir la vérité ? Pour les chrétiens, ils ne s’imaginent point être aveuglés par les discours, soit de Celse, soit de quelque autre ennemi de la véritable religion. Ceux, qui se connaissent être aveugles en ce qu’ils suivent le torrent de l’erreur, imitant le peuple qui célèbre des fêtes en l’honneur des démons, ceux-là n’ont qu’à s’approcher du Verbe. Il leur fera la même grâce qu’il fit à ces aveugles qui mendiaient sur le chemin et qui ayant crié : Fils de David, ayez pitié de nous (Matth., XX, 30), furent guéris par Jésus. Ce Verbe divin aura aussi pitié d’eux : il leur rendra la vue, il leur donnera de bons yeux dignes de la main qui les aura formés.
Si Celse donc nous demande : Comment nous espérons connaître Dieu et obtenir de lui le salut, nous lui répondrons que le Verbe de Dieu, qui habite en ceux qui le cherchent ou qui l’ont reçu depuis qu’il s’est manifesté, est suffisant pour leur révéler et pour leur faire connaître son l’ère qui, avant celle manifestation, n’avait été vu de personne (Jean, I, 14). Et quel autre que le Verbe, qui est Dieu, peut sauver les âmes des hommes et les faire approcher du Dieu souverain ? Ce Verbe, qui étant au commencement avec Dieu, s’est fait chair (Ibid., I, 1 et 14) pour l’amour de ceux qui sont liés à la chair et qui ne sont eux-mêmes que chair, afin que par ce moyen il fût compris d’eux, qui ne le pouvaient voir en tant qu’il était le Verbe, qu’il était avec Dieu, qu’il était Dieu ; ce Verbe qui, comme couvert d’un corps et comme revêtu de chair, adresse ses discours et ses promesses à ceux qui sont chair, et qui les appelle à soi pour les rendre premièrement conformes au Verbe qui s’est fait chair, et pour les élever ensuite jusqu’à le contempler dans l’état où il était avant que de se faire chair (Ps. LXXVIII, 39). De sorte que passant de cette première condition, qui est selon la chair, à une autre condition beaucoup plus haute et beaucoup meilleure, ils s’écrient : Bien que nous ayons autrefois connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant (II Cor., V, 16). Il a donc été fait chair, et comme tel, il a habité au milieu de nous (Jean, I, 14) : car il ne s’est point tenu hors de nous. Habitant ainsi et se tenant au-dedans de nous, il n’y est pas demeuré sous sa première forme ; mais il nous a fait monter sur la haute montage de sa parole où il s’est fait voir à nous, sous sa forme la plus glorieuse et où il nous a montré l’éclat de ses habits (Matth., XVII, 1, etc.). Il s’est, dis-je, fait voir à nous dans cet état glorieux non tout seul, mais accompagné de la loi spirituelle représentée par Moïse, qui parut environné de gloire, avec Jésus. Il nous a aussi montré toute la prophétie, non celle qui est morte et finie depuis qu’il est venu paraître parmi les hommes, mais celle qui a été élevée dans le ciel et dont Élie était la figure. Après quoi les spectateurs de tant de merveilles peuvent bien dire : Nous avons vu sa gloire, telle que la gloire du Fils unique du Père plein de grâce et de vérité (Jean, I, 14). C’est donc avec très peu de réflexion que Celse s’est figuré la réponse que nous pourrions faire à sa demande : Comment nous espérons de connaître Dieu et d’obtenir de lui le salut. Car nous n’avons pas d’autre réponse à lui faire que celle qu’on vient de voir : mais pour lui, voici celle qu’il nous attribue par une conjecture qui lui paraît vraisemblable : Comme Dieu est grand et difficile à connaître par la voie de la contemplation il a envoyé son Esprit dans un corps semblable au nôtre et il l’a fait descendre vers nous, afin que nous pussions l’entendre et recevoir ses instructions. Le Dieu souverain, qui est le Père, n’est pas le seul que nous reconnaissions pour grand : il s’est communiqué avec toute sa grandeur à son Fils unique, Le premier né de toutes les créatures (Col., I, 15) ; afin que ce Fils, qui est l’image du Dieu invisible, portât l’image de son père, à l’égard même de la grandeur ; car il n’était pas possible qu’une image du Dieu invisible fût parfaite, et, s’il faut ainsi parler, qu’elle eût de la proportion avec lui, qu’elle n’eût aussi le caractère de sa grandeur. Il est certain que, selon nous, Dieu est invisible, puisqu’il n’est pas corporel ; mais les personnes qui aiment la contemplation, le peuvent contempler du cœur, c’est-à-dire de l’entendement. J’entends au reste un cœur, non quel qu’il puisse être, mais un cœur pur. Car il est impossible que Dieu soit l’objet d’un cœur impur. Comme il est la pureté même, il ne faut rien que de pur pour le contempler dignement (Matth., V, 8). Je veux que Dieu soit difficile à connaître par la voie de la contemplation. Il ne l’est pas seul : son Fils unique l’est aussi ; car Dieu le Verbe est difficile à connaître de la sorte (Prov., III, 19). La sagesse de Dieu, par laquelle, il a créé toutes choses, l’est pareillement. Qui peut, en effet, connaître par le menu et en détail celle sagesse par laquelle Dieu a fait chaque partie de ce grand tout, considérée en particulier ? Ce n’est donc pas parce que Dieu est difficile à connaître, qu’il nous a envoyé son Fils, Dieu comme lui, mais plus aisé à connaître. Celse, qui entend peu ces matières, nous fait bien dire que Dieu étant difficile à connaître par la voie de la contemplation, il a envoyé son Esprit dans un corps semblable un nôtre, et il l’a fait descendre vers nous, afin que nous pussions l’entendre et recevoir ses instructions. Mais ce que nous disons, c’est que le Fils, qui, comme nous venons de le voir, est lui-même difficile à connaître, en tant que Dieu le Verbe, par lequel toutes choses ont été faites, que ce Fils est venu habiter au milieu de nous (Jean, I, 3 et 14).
Si nos sentiments touchant l’esprit de Dieu étaient mieux connus à Celse, et s’il savait que, selon nous, Tous ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu sont enfants de Dieu, il ne se ferait pas à lui-même cette réponse, comme de notre part que Dieu ayant envoyé son Esprit dans un corps, il l’a fait descendre vers nous (Rom., VIII, 14). Dieu communique toujours de son Esprit à ceux qui sont capables d’entrer dans sa communion, quoiqu’on le communiquant à chacun de ceux qui en sont dignes, il ne le divise pas ni ne le partage pour cela. Car cet Esprit duquel nous parlons, n’est pas un corps, non plus que le feu, dont il est dit que notre Dieu est un feu dévorant. Toutes ces façons de parler sont figurées, pour faire comprendre la nature des êtres intelligibles, par des expressions tirées des êtres corporels auxquelles nous sommes accoutumés. Si l’on dit que les péchés sont du bois, du foin, de la paille (Héb., XII, 29), l’on n’en conclura pas que les péchés soient des corps ; et si l’on dit que les bonnes actions sont de l’or, de l’argent et des pierres précieuses (I Cor., III, 12), on n’en inférera pas non plus que les bonnes actions soient quelque chose de corporel. Ainsi, quand il est dit de Dieu qu’il est un feu dévorant qui consume ce bois, ce foin, celle paille et généralement tout ce qui, dans son essence, est péché, il ne le faut pas pourtant prendre pour un corps.
Comme donc Dieu n’est pas un corps, quoiqu’on lui donne le nom de feu ; tout de même, bien qu’il soit dit que Dieu est esprit (Jean, IV, 24), qui est comme qui dirait qu’il est un vent, il n’est pas un corps pour cela. Car l’Écriture a accoutume de donner aux choses intellectuelles le nom d’esprits ou de choses spirituelles, pour les distinguer des choses sensibles. C’est en ce sens que Saint Paul dit : Si nous sommes capables de quelque chose, cela vient de Dieu, qui nous a rendus capables d’être les ministres de la nouvelle alliance, non pas de la lettre, mais de l’esprit : car la lettre tue, et l’esprit donne la vie (II Cor., III, 5 et 6). Par la lettre, il entend la manière sensible et charnelle d’expliquer l’Écriture sainte, et par l’esprit il en marque l’explication intellectuelle et sublime. Il en est tout de même de ces paroles, Dieu est esprit. Et les Samaritains et les Juifs observaient les ordonnances de la loi corporellement, s’arrêtant à la figure. Notre Sauveur, ayant cela en vue, dit à la Samaritaine : Le temps vient que l’on n’adorera plus le Père, ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem : Dieu est esprit ; et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 21 et 24). Par où il nous enseigne que l’on ne doit pas adorer Dieu charnellement, ni lui présenter des victimes charnelles ; mais qu’il faut l’adorer en esprit : car on donnera lieu de conclure qu’il est Esprit, à proportion de ce qu’on lui rendra un culte spirituel et qui consiste en des choses intellectuelles. Un esprit ne doit pas être non plus adoré avec des figures ; il doit être adoré en vérité. Et la vérité a été apportée par Jésus-Christ (Jean., I, 17), comme la loi avait été donnée par Moïse. Car quand nous nom convertissons au Seigneur (or le Seigneur est esprit), le voile que nous avions sur le cœur, pendant qu’on nous lisait Moïse, en est alors ôté (II Cor., III, 15, 16 et 17).
Tout ce que nous venons de dire de l’esprit de Dieu sont des choses où Celse ne pénètre point ; car l’homme animal et charnel n’est pas capable et ce qui regarde l’esprit de Dieu ; il prend cela pour une folie, ne pouvant comprendre les choses pour lesquelles il faut un discernement spirituel (I Cor., II, 14). Il nous fait donc parler selon sa pensée, et il nous attribue les sentiments qu’il lui plaît : comme si, quand nous disons que Dieu est esprit, nous le disions dans le sens des stoïciens, qui soutiennent parmi les Grecs que Dieu est un esprit répandu partout et renfermant tout en soi. Les soins et la Providence de Dieu sont bien répandus partout ; mais ce n’est pas de la manière que les stoïciens l’entendent de leur esprit. Cette même Providence encore renferme bien et contient toutes les choses qu’elle gouverne ; mais ce n’est pas comme un corps en renferme un autre qui est de même nature que lui, c’est comme la vertu et la puissance de Dieu renferme et embrasse tout ce qui lui est soumis.
Ainsi, selon les stoïciens, qui croient que les principes des choses sont corporels et qui de la sorte n’exemptent rien de corruption, jusque-là qu’ils assujettiraient presque le grand Dieu lui-même sans l’absurdité trop visible qu’ils remarquent ; selon ces philosophes, dis-je, le Verbe de Dieu, qui est descendu jusqu’aux hommes et jusqu’à ce qu’il y a de plus bas et de plus abject au monde, n’est autre chose qu’un esprit corporel. Mais selon nous, qui nous efforçons de faire voir que l’âme raisonnable elle-même est d’une nature beaucoup plus excellente que tous les êtres corporels ; que c’est une substance invisible et immatérielle ; on peut bien moins dire encore, que Dieu le Verbe, par qui toutes choses ont été faites, soit un corps ; lui qui, afin que tout dans le monde fût fait avec sagesse, a fait sentir sa présence non seulement aux hommes, mais aux choses mêmes qui semblent les plus petites entre celles sur qui la nature étend ses soins. Que le Portique condamne donc tout à passer par le feu : pour nous, nous ne croyons pas qu’une substance immatérielle y soit sujette ; nous ne saurions nous persuader que l’âme humaine, que les Anges, les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances (Col., I, 16), soient d’une nature à se résoudre en feu.
C’est sur un vain fondement que Celse raisonne ; et il montre qu’il n’entend rien en ce qui regarde l’esprit de Dieu, lorsqu’il dit, Que si le Fils de Dieu, qui s’est revêtu d’un corps humain, est un esprit que Dieu ait fait descendre ici-bas, ce Fils même de Dieu ne sera pas immortel. Il s’embrouille de plus en plus, quand il suppose qu’il y en a entre nous qui ne sont pas dans le sentiment que Dieu soit esprit : mais qui disent que c’est son fils : sur quoi il nous fait cette réponse, Qu’il n’y a aucun esprit qui soit de nature à durer éternellement. C’est comme si, lorsque nous disons que Dieu est un feu dévorant, il nous répondait, qu’il n’y a point de feu qui soit de nature à durer éternellement : sans vouloir comprendre en quel sens nous disons que notre Dieu est un feu, ni quelles sont les matières qu’il dévore, savoir, les vices et les péchés ; car il fallait que ce Dieu, qui est tout bon, après avoir vu comment chacun se serait acquitté de son devoir et quels efforts on y aurait faits, consumât les vices par le feu du châtiment. Il continue encore à nous faire dire des choses auxquelles nous n’avons jamais pensé, Qu’il fallut de nécessité que Jésus, en mourant, rendit l’esprit par lequel il était Dieu : d’où il suit qu’il ne put le redonner à son corps par la résurrection ; car l’esprit qu’il avait reçu de Dieu ayant été souillé par le commerce du corps. Dieu n’aurait pas voulu le reprendre (Luc, XXIII, 46). Ce serait folie à nous de nous arrêter à ces paroles, comme si nous y prenions quelqu’intérêt, nous qu’elles ne regardent en aucune sorte.
Ce qu’il ajoute n’est qu’une répétition ennuyeuse de ce qu’il a dit ci-devant, où il s’est fort étendu et où il a fait bien des railleries sur la naissance d’un Dieu, mis au monde par une vierge ; à quoi aussi nous avons tâché de satisfaire autant qu’il nous a été possible. Si Dieu voulait, dit-il, maintenant envoyer son esprit ici-bas, qu’avait-il besoin de souffler dans les flancs d’une femme ? Il savait déjà l’art de faire des hommes, et il pouvait bien bâtir un corps à son esprit sans le faire passer par un lieu si plein d’ordures. S’il l’eût fait ainsi descendre immédiatement d’en haut, c’eût été le moyen d’aller au-devant de l’incrédulité des hommes. Il ne dirait pas cela, s’il savait combien pure et combien exempte de toute corruption a été la naissance de ce corps qui sortit du sein d’une vierge, pour servir a la rédemption du genre humain. Mais il veut parler en stoïcien ; et cependant, il feint d’ignorer la condition des choses indifférentes : et il s’imagine que la nature divine s’est souillée, ou qu’elle s’est mêlée avec des ordures, soit en demeurant dans le sein d’une femme, jusqu’à ce que son corps y fût formé, soit en prenant ce corps même. C’est comme ceux qui croient que les rayons du soleil se salissent, en passant sur des bourbiers ou sur de mauvaises odeurs ; et qu’ils n’y conservent pas toute leur pureté. Au reste, quand selon la supposition de Celse, le corps de Jésus aurait été formé par une autre voie que celle de la naissance, ceux qui auraient vu ce corps n’auraient pas d’abord reconnu pour cela qu’il n’était pas né comme les autres ; car les choses que nous voyons ne portent point de caractères évidents du principe qui les a produites. Supposons, par exemple, que du miel ait été produit par une autre cause que des abeilles, on ne jugerait jamais, soit par le goût, soit par la vue, que ce ne sont pas des abeilles qui l’ont produit ; comme ce n’est pas non plus par les sens que celui que produisent les abeilles nous fait connaître son origine, c’est l’expérience qui nous enseigne que c’est à elles que nous le devons. Il en est tout de même du vin : c’est l’expérience et non le goût qui nous apprend qu’il est une production de la vigne. Ainsi donc un corps, quoique sensible, ne fait point juger quelle est la cause qui le fait être ce qu’il est. Pour en être convaincu, vous n’avez qu’à considérer les corps célestes : nos yeux qui les voient si lumineux ne nous permettent pas de douter de leur existence ; mais nous ne saurions connaître par le ministère de nos sens, s’ils ont eu commencement ou non. Aussi les hommes ne sont-ils pas tous d’un même sentiment là-dessus : et ceux-là même qui croient que les corps célestes n’ont pas toujours été, ne conviennent pas entre eux de la manière dont ces corps ont commencé d’être ; car après que la force de la raison nous a persuadés que leur existence n’est pas éternelle, les sens ne nous disent point encore de quelle sorte elle a commencé.
Il répète ensuite ce qu’il a déjà dit plusieurs fois des sentiments de Marcion, qu’il rapporte, tantôt tels qu’ils sont, tantôt d’une manière qui fait voir qu’il n’en est pas bien instruit ; mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire que nous nous arrêtions à montrer que nous ne les approuvons pas, ni à relever les fautes que Celse y a faites. De là, il passe encore à ce qu’on peut dire pour et contre Marcion ; le justifiant d’une partie de ce dont on l’accuse, et le reconnaissant coupable de l’autre. Sur quoi il dit nettement, pour soutenir contre Marcion et ses disciples que Jésus-Christ a été prédit par les prophètes : Comment pourrait-on faire voir qu’un homme qui a souffert de tels supplices soit le Fils de Dieu, si ses souffrances n’avaient pas été prédites ?
Mais après cela, il raille et se divertit à son ordinaire, introduisant deux fils de dieu, l’un fils du créateur, l’autre fils du dieu de Marcion. Il décrit les combats de l’un contre l’autre et les compare à ceux des cailles. Il parle aussi des combats de dieu à dieu, entre les deux pères. Si ce n’est, ajoute-t-il, que les pères étant déjà faibles de vieillesse et commençant à radoter, ils ne se battent plus eux-mêmes, et qu’ils laissent faire leurs enfants. Nous ne pouvons que lui appliquer ici ce qu’il a dit ailleurs : y a-t-il de vieille femme qui n’eût n’eut honte d’endormir son enfant avec des sornettes pareilles à ce qu’on nous débite dans un Discours auquel on donne le titre de véritable ? Car au lieu de s’attacher sérieusement à la dispute qu’il a entreprise, il abandonne sa matière, et s’amuse à railler et à bouffonner, comme s’il écrivait quelque farce ou quelque satire, ne voyant pas que cette manière d’agir est contraire au dessein qu’il a de nous faire renoncer au christianisme pour entrer dans ses sentiments. S’il les proposait avec quelque gravité, peut-être qu’us paraîtraient plus probables ; mais puisqu’il ne fait que railler, que bouffonner et que tourner les choses en ridicule, on aura sujet de dire qu’il manque de bonnes raisons, et que comme il ne peut faire mieux, il se jette dans ces plaisanteries.
Il ajoute : Puisque l’esprit de Dieu voulait prendre un corps, il fallait au moins qu’il s’y fît distinguer, ou par la grandeur, ou par la force, ou par la beauté, ou par la majesté, ou par le ton de la voix, ou par l’éloquence ; car il n’est pas possible qu’une personne ait quelque chose de divin que n’ont pas les autres, et qu’il n’ait cependant aucun avantage sur eux ; mais celui-ci, bien loin d’avoir aucun avantage, était, dit-on, et petit et laid, et d’une mine basse. Celse fait encore voir ici que quand il s’agit de former quelque accusation contre Jésus, il se sert des textes de l’Écriture qui semblent y donner lieu, comme s’il y ajoutait foi : mais que quand il juge que de cette même Écriture on peut inférer tout le contraire de ce qu’il avance, il ne fait pas semblant d’en avoir jamais ouï parler. Il faut demeurer d’accord que l’Écriture parle de Jésus comme d’un laid ; mais pour la mine basse qu’on y veut joindre, elle n’en dit rien ; et elle ne dit point non plus clairement qu’il fût petit. Voici le passage d’Isaïe, où il est prédit que Jésus devait paraître au monde, sans se faire remarquer par une beauté éclatante, ni par une bonne grâce extraordinaire : ô Dieu ! qui a cru à notre prédication, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? Nous avons publié qu’il est devant le Seigneur comme un enfant, comme une racine dans une terre aride. Il n’y a en lui aucun éclat, ni aucune gloire. Nous l’avons vu ; il n’avait ni grâce, ni beauté, mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d’aucun autre entre les enfants des hommes (Is., LIII, 1, 2, 3). Celse a donc bien retenu cela, qui favorise à son avis, le dessein qu’il a de parler mal de Jésus ; mais il n’a point pris garde à ce qui est dit de lui au psaume XLIV : Mets ton épée à ton côté, vaillant prince, pour rehausser ton éclat et ta beauté ; pousse tes desseins, fais-les réussir et règne (Ps. XLV, 4, 5).
Mais quand il n’aurait jamais lu cette prophétie, ou que, l’ayant lue, il se serait rapporté du sens qu’elle renferme, aux fausses gloses de ceux qui ne veulent pas qu’elle regarde Jésus-Christ, qu’a-t-il à dire, sur ce qui est récité dans l’Évangile même (Matth., XVII, 1, etc.) : Que Jésus étant monté avec ses disciples sur une haute montagne, il y fut transfiguré devant eux, et se fit voir d’eux dans sa gloire, pendant que Moïse et Élie, qu’ils y virent aussi dans un état glorieux, parlaient de sa sortie du monde, qui devait arriver dans Jérusalem (Luc, IX, 30, etc.). Veut-il reconnaître que quand un prophète dit : Nous l’avons vu, il n’avait ni grâce ni beauté, et ce qui suit, cette prophétie doit être rapportée à Jésus : s’aveuglant au reste sur le fond même de la prédiction, pour ne pas voir qu’il y a une preuve illustre que ce Jésus, qui paraissait sans beauté, était le Fils de Dieu en ce que tant d’années avant sa naissance, un prophète avait prédit quel serait son extérieur. Et quand un autre prophète dit que l’éclat et la beauté devaient l’accompagner, il ne veut plus avouer que cela regarde Jésus-Christ. Si l’on pouvait évidemment recueillir de l’histoire de l’Évangile que Jésus-Christ n’eut ni grâce ni beauté, que son extérieur fut méprisable et abject pus que d’aucun autre entre les enfants des hommes, l’on pourrait dire que c’est de l’Évangile et non des prophètes que Celse a pris ce qu’il dit. Mais puisque les évangélistes ni même les apôtres ne disent point de Jésus qu’il n’eut ni grâce ni beauté, il est clair que Celse est contraint de reconnaître que ce que la prophétie avait prédit, se trouve accompli en Jésus-Christ : ce qui rompt le cours de toutes les accusations qu’il formait contre ce même Jésus.
Il dit que si l’esprit de Dieu voulait prendre un corps, il fallait au moins qu’il s’y fit distinguer ou par la grandeur ou par la force, ou par la beauté ou par ta majesté, ou par le ton de la voix ou par l’éloquence. Mais lui qui parle de la sorte, comment ne prend-il point garde à la prérogative qu’avait ce corps de paraître aux yeux de ceux qui le regardaient tel qu’il fallait qu’il leur parût selon la portée, et par là même selon le besoin de chacun ? C’est une chose qui ne doit point sembler surprenante que la matière qui, de sa nature est sujette à l’altération et au changement, qui est capable de tontes les formes, et susceptible de toutes les qualités que l’ouvrier ou l’artisan lui veut imprimer, soit tantôt dans un état qui fait dire : Il n’avait ni grâce ni beauté (Is., LIII, 2), tantôt dans un autre si éclatant, si glorieux et si admirable, que les trois disciples qui étaient montés avec Jésus, tombent le visage contre terre à la vue de tant de merveilles (Matth., XVII, 6). Mais Celse dira de ceci comme de toutes les autres choses extraordinaires qui sont racontées de Jésus, que ce ne sont que des fictions et de pures fables. Sur quoi nous lui avons assez amplement répondu ci-dessus. Pour ce qui est de la doctrine que je viens d’établir, elle nous fournit aussi un sens mystique selon lequel les différentes formes de Jésus doivent être entendues par rapport à la parole divine qui a cette propriété de ne paraître pas la même au peuple grossier qu’à ceux qui, comme nous l’avons expliqué ailleurs, sont capables de la suivre sur la haute montagne. A l’égard de ceux qui demeurent au bas, n’étant pas encore disposes comme il le faut être pour monter, celle parole n’a pour eux ni grâce ni beauté ; il n’y voient rien qui ne leur semble digne de mépris ; ils la regardent comme beaucoup inférieure à la parole des autres hommes dont les discours sont ici désignés figurément par les enfants des hommes. En effet, l’on peut dire que les discours des philosophes, qui ne sont que des productions humaines, paraissent beaucoup plus beaux que ne l’est la parole de Dieu, qui, quand on la prêche au commun peuple, présente à l’esprit la folie de la prédication (I Cor., 1, 21) et qui, à cause de cette folie apparente, fait dire à ceux qui n’en jugent que par-là : Nous l’avons vue : elle n’a ni grâce ni beauté. Mais à l’égard de ceux qui ont la force de la suivre et de monter avec elle sur la haute montagne, elle a pour eux des beautés toutes divines : des beautés que l’on découvrira pourvu que l’on soit un Pierre, c’est-à-dire que l’on ait en soi l’édifice de l’Église (Matth., XVI, 18), bâti par la parole de Dieu ; que l’on ait formé une telle habitude au bien, qu’aucune des portes de l’enfer ne puisse jamais prévaloir contre nous, que l’on ait été retiré des portes de la mort par cette parole, afin de publier toutes les louanges de Dieu aux portes de la Fille de Sion (Ps. IX, 15) : pourvu encore que l’on ait pris une nouvelle naissance par le moyen de la parole, que l’on ait une voie pleine de vertu, et que l’on ne le cède en rien à ceux qui ont mérité le nom d’enfants du tonnerre (Marc, III, 17). Pour ce qui est de Celse et des autres ennemis de cette divine parole qui, quand ils examinent la créance des chrétiens, n’ont point pour principe l’amour de la vérité ; d’où auraient-ils appris ce que veulent dire les différentes formes sous lesquelles Jésus a paru (Luc, II, 52) ? Je dis ses différentes formes, et encore les divers âges par lesquels il a passé, et les diverses actions qu’il a faites, soit avant sa mort, soit après sa résurrection.
Voici comme Celse continue : Si Dieu, se réveillant d’un profond sommeil comme Jupiter de la comédie, voulait délivrer le genre humain de ses maux, pourquoi en voyait-il dans un petit coin du monde l’esprit dont vous parlez ? Ne fallait-il pas qu’il le soufflât de la même manière élans plusieurs autres corps et qu’il le répandit ainsi par toute la terre ? Le poète n’a eu dessein que de faire rire les spectateurs lorsqu’il a introduit sur le théâtre Jupiter qui, à son réveil, envoie Mercure aux Athéniens et aux Lacédémoniens : et vous, ne voyez-vous point que votre Fils de Dieu envoyé aux Juifs n’est aussi qu’un sujet de risée ? Remarquez encore ici combien les manières de Celse sont basses et indignes d’un philosophe, de nous alléguer ce qu’un poète comique a inventé pour faire rire, et de comparer notre Dieu, le Créateur de tout l’univers, à ce dieu de théâtre qui se réveille pour donner ses ordres à Mercure. Nous avons fait voir ci-devant que quand Dieu a envoyé Jésus au monde, ce n’a pas été comme se réveillant d’un profond sommeil. Ce même Jésus qui, pour les sages raisons qu’il en a eues, a maintenant accompli le dessein de son incarnation, a de tout. temps répandu ses bienfaits sur le genre humain ; car il n’y a jamais eu rien de bon parmi les hommes que par la grâce du Verbe divin qui agissait intérieurement en ceux qui pouvaient, ne fût-ce que pour quelques moments, recevoir dans leur âme la vertu de son opération. Et si Jésus n’a paru que dans un petit coin du monde, comme il vous le semble, ce n’a pas été non plus sans de bonnes raisons ; car c’était entre ceux qui avaient la connaissance d’un seul Dieu, qui lisaient ses prophètes et qui y voyaient la promesse d’un messie, que ce messie promis devait paraître : mais dans une circonstance de temps si favorable, que de ce petit coin il se pût faire connaître par toute la terre.
Ainsi, il n’était point nécessaire qu’il y eût partout divers corps et divers esprits semblables à Jésus pour éclairer toute la terre par la parole de Dieu : il suffisait que ce seul Verbe (ou parole), comme il est le soleil de justice (Mal., IV, 2), se levât dans la Judée, pour répandre de là ses rayons sur les âmes de tous ceux qui voudraient ouvrir les yeux à sa lumière. Si quelqu’un souhaite, au reste, de voir plusieurs corps remplis de l’Esprit divin qui, comme ce seul Christ, s’emploient par toute la terre à procurer le salut des hommes, il n’a qu’à jeter les yeux de tous côtés sur ceux qui prêchent purement la doctrine de Jésus, et qui mènent, d’ailleurs, une vie sainte. Ceux-là aussi sont nommés des christs, des messies ou des oints dans ce passage de l’Écriture : Ne touchez point à mes christs, et ne faites point de mal à mes prophètes (Ps. CV, 15).
Car comme nous avons été avertis que l’antéchrist doit venir, ce qui n’empêche pas qu’il y ait déjà plusieurs antéchrists dans le monde (I Jean, II, 18) : nous avons appris, et nous voyons tout de même que Jésus-Christ étant venu sur la terre, a fait qu’il y a dans le monde plusieurs autres christs qui, à son exemple ont aimé la justice et ont haï l’iniquité, à cause de quoi Dieu, le Dieu du Christ les a oints, eux aussi, d’une huile de joie (Ps. XLV, 8). Mais comme de tous ceux qui participent a cette gloire, Jésus est celui qui a le plus aimé la justice et le plus haï l’iniquité, il a reçu les prémices de cette onction, et, s’il le faut ainsi dire, il a reçu l’onction entière de l’huile de joie : au lieu que ceux qui y ont part avec lui n’en reçoivent chacun que la portion dont ils sont capables. En effet, puisque Jésus -Christ est le chef (ou la tête) de l’Église (Col., I, 18), de sorte que Jésus-Christ et l’Église ne sont qu’un seul corps ; le parfum qui est répandu sur la tête, descend de là sur la barbe le symbole d’un homme parfait, et jusque sur le bord de la robe de cet Aaron mystique (Ps. CXXXIII, 2).
C’est ce que j’avais à dire sur ces mots de Celse, si peu dignes d’un homme grave : Ne fallait-il pas qu’il soufflât ce même esprit dans plusieurs autres corps, et qu’il le répandit ainsi par toute la terre ? C’est au reste pour faire rire, que le poète introduit Jupiter qui dort, et qui à son réveil envoie Mercure vers les Grecs ; mais la droite raison, qui nous enseigne que Dieu n’est point d’une nature sujette au sommeil, doit nous apprendre aussi que ce même Dieu gouverne sagement les choses du monde, selon les circonstances du temps ; quoique ses jugements soient si sublimes et si impénétrables, qu’il n’y a pas lieu de s’étonner si les âmes mal instruites et Celse avec elles tombent ici dans l’erreur (Sag, XVII, 1). Ce n’est donc point une chose digne de risée, que le Fils de Dieu ait été envoyé aux Juifs qui avaient eu chez eux les prophètes ; qu’il ait, dis-je, commencé par-là à paraître corporellement, afin qu’il fit ensuite lever la lumière de sa vertu et de son esprit sur la terre où seraient les âmes lasses de vivre dans les ténèbres que produit l’éloignement de Dieu.
Après cela Celse prend plaisir à donner aux Chaldéens l’éloge d’avoir été, dès les premiers temps, une nation toute divine ; eux qui ont introduit dans le monde la trompeuse science des horoscopes. Il n’en dit pas moins des mages, à qui les autres peuples doivent et le nom et la connaissance de la magie, cet art pernicieux qui fait périr ceux qui s’y appliquent. Pour ce qui est des Égyptiens, Celse les condamnait ci-dessus comme ayant des temples magnifiques au dehors qui, sous l’apparence de lieux sacrés, ne renferment au dedans que des singes, des crocodiles, des chèvres, des aspics et d’autres animaux semblables : mais ici ces mêmes Égyptiens sont, selon lui, une nation toute divine, et divine dès les premiers temps ; parce, peut-être que, dès les premiers temps ils ont été ennemis des Juifs. Les Perses aussi, qui épousent leurs mères, et qui couchent avec leurs filles sont, à son avis, une nation divine : et les Indiens tout de même ; bien qu’il ait dit ci-devant que, parmi eux il y en avait qui mangeaient de la chair humaine. Mais pour les Juifs, qui ne font rien de pareil, et particulièrement les anciens Juifs, bien loin de les mettre au rang des nations toutes divines, il dit que c’est un peuple qui est sur le point de périr. C’est sans doute par un esprit de prophétie qu’il en parle ainsi. Il ne pense pas cependant à tous les soins de Dieu pour les Juifs, ni aux sages lois par lesquelles ce même Dieu les a longtemps gouvernés. Il ne voit pas que c’est par leur chute que le salut a été procuré aux Gentils ; que cette chute a été l’élévation du monde, et que leur pauvreté a fait la richesse des Gentils, jusqu’à ce que la multitude des Gentils soit entrée tout entière dans l’Église (Rom., XI, 11, 12, 25, 26), afin qu’ensuite tout Israël soit sauvé, cet Israël que Celse ne connaît point.
Je ne sais pas comment il ajoute, que Dieu qui sait toutes choses, n’a pas su qu’en envoyant son Fils au monde, il l’envoyait vers des méchants qui ajouteraient à leurs autres péchés celui de le condamner au supplice. Il semble que ce soit oublier volontairement que les prophètes de Dieu ont prévu et prédit par l’Esprit divin tout ce que Jésus-Christ devait souffrir (Luc, XXIV, 26, 27) : car il n’y a rien de plus contraire à cela que ce qu’il dit ici, que Dieu n’a pas su qu’il envoyait son Fils vers des méchants qui ajouteraient à leurs autres péchés celui de le condamner au supplice. Cependant il reconnaît aussitôt que nous nous défendons, en disant que toutes ces choses avaient été prédites longtemps avant qu’elles arrivassent.
Mais comme ce sixième livre est déjà assez long, nous le finirons ici pour commencer dans le suivant, si Dieu le permet, l’examen de ce que Celse avance contre ce que nous disons que tout ce qui est arrivé à Jésus a été prédit par les prophètes.
La matière est si ample et a besoin de tant d’éclaircissements que, si nous l’avions entamée il aurait fallu ou l’interrompre, ou faire ce livre d’une longueur entièrement disproportionnée à celle des autres ; qui sont deux inconvénients que nous voulons éviter.