Contre Celse

LIVRE SEPTIÈME

Dans les six livres précédents, pieux Ambroise, mon très-cher frère, nous avons combattu de toutes nos forces les accusations de Celse contre les chrétiens, et nous avons tâché, autant qu’il nous a été possible, de ne rien laisser sans examen et sans réponse. Nous allons présentement commencer le septième, après avoir demandé à Dieu, par ce même Jésus-Christ que Celse attaque, que comme il est la vérité (Jean. XIV, 8), il lui plaise d’allumer dans notre cœur une lumière capable de dissiper les ténèbres du mensonge : suivant cette parole du prophète, à laquelle nous conformons nos vœux, Détruis-les par ta vérité (Ps. LIV, 7). Qu’est-ce qui doit dire détruit par la vérité de Dieu ? Ce sont les raisonnements contraire à la vérité : afin que tous les hommes les voyant détruits, et ne s’y laissant plus surprendre, puissent s’appliquer les paroles suivantes : Je t’offrirai volontairement des sacrifices (vers. 8) ; et présenter au Dieu de tout l’univers des victimes spirituelles avec un feu exempt de fumée.

Ce que Celse se propose maintenant, c’est de combattre ceux qui disent que ce qui est arrivé à Jésus-Christ, avait été prédit par la prophètes des Juifs. Nous commencerons avec lui, par la distinction qu’il fait d’abord. lorsqu’il dit que ceux qui admettent un autre Dieu que le Dieu des Juifs, ne sauraient absolument répondre à ses difficultés : mais que nous qui reconnaissons le même Dieu, nous avons recours pour nous défendre, aux prédictions qui ont été fuites du messie. Voici ses paroles : Voyons donc quelle couleur ils trouveront pour se défendre. Ceux qui admettent un autre Dieu, n’en sauraient trouver : et ceux qui reconnaissent le même, auront recours à leur défaite ordinaire, savoir, à cette belle raison, qu’il fallait que cela arrivât ainsi. Et pourquoi ? Parce qu’il avait été prédit longtemps auparavant. Nous disons à cela que ce qu’il vient d’objecter un peu plus haut, à Jésus et aux chrétiens, a si peu de force, que ceux qui ont l’impiété d’admettre un autre Dieu, y pourraient facilement répondre : et s’il n’était pas dangereux de donner aux faibles l’occasion d’embrasser des dogmes pernicieux, nous y répondrions nous-mêmes, pour montrer à Celse combien il est mal fondé à dire que ceux qui admettent un autre Dieu, soient hors d’état de se défendre contre lui. Mais contentons-nous de soutenir encore ici la cause des prophètes, après ce que nous avons déjà dit pour eux ci-dessus. Ils comptent pour rien, dit-il, en parlant de nous, les oracles de la Pythie, des Dodonides, d’Apollon Clarien, des Branchides, de Jupiter Hammon et une infinité d’autres, desquels on peut dire qu’ils ont servi de guides aux colonies qui ont peuplé toute la terre : mais pour les choses dites ou non dites, dans la Judée, à la manière du pays, telles que nous en voyons dire encore aujourd’hui aux habitants de la Phénicie et de la Palestine, ils regardent cela comme des merveilles et comme des vérités constantes. Sur ces oracles dont il fait le dénombrement, nous pourrions alléguer beaucoup de choses prises d’Aristote et des péripatéticiens, ses sectateurs, pour montrer que ni celui de la Pythie, ni les autres, n’ont rien de réel, ni de solide. Nous pourrions encore produire les sentiments d’Épicure et de ses disciples, pour faire voir que chez les Grecs mêmes, il s’est trouvé des gens qui se sont moqués de ces fameux oracles que toute la Grèce admirait. Mais je veux que toutes les réponses, tant de la Pythie que des autres, soient de vrais oracles et non des effets de l’adresse de quelques fourbes qui ont voulu passer pour des hommes divinement inspirés, voyons si avec tout cela, on ne saurait convaincre les personnes de bonne foi, qu’on peut reconnaître ces oracles, sans être contraint de les attribuer à quelques divinités : si au contraire on ne peut pas soutenir que ce sont de mauvais démons, des esprits ennemis du genre humain, qui veulent ainsi empêcher l’âme de s’élever vers le ciel, de suivre la voie de la vertu, et de retourner à Dieu par une sincère piété. On dit de la Pythie, dont l’oracle est le plus célèbre, si je ne me trompe, que quand elle est assise sur l’ouverture de l’antre Castalien, l’esprit prophétique d’Apollon s’insinue en elle, par un endroit que la pudeur défend de nommer ; et que c’est alors qu’en étant toute remplie, elle donne ces merveilleuses réponses, qui passent pour des vérités divines. Jugez par-là, des sales inclinations de cet esprit impur, qui pour pénétrer dans l’âme de la prophétesse, n’entre pas en elle par où il l’aurait pu faire d’une manière beaucoup plus honnête, comme par les pores, qui bien qu’imperceptibles, ne laissent pas d’être ouverts ; mais qui choisit expressément un endroit où un homme chaste, bien loin d’imiter le dieu, ne voudrait pas même porter la vue : et qui le fait non pour une fois, ni pour deux, ce qui peut-être semblerait plus supportable, mais autant de fois que la Pythie fait croire qu’elle reçoit l’inspiration d’Apollon. Ce n’est pas non plus le propre de l’esprit divin, de ravir en extase une personne destinée à prophétiser ; ni de la mettre hors d’elle-même, en sorte qu’elle ne se connaisse plus, comme si elle était possédée. Il faut que celui qui est rempli de l’esprit de Dieu, soit le premier qui en ressente les salutaires effets : et que la principale utilité n’en soit pas pour ceux qui ne viennent consulter l’oracle, que pour les affaires de la vie civile ou naturelle ; que pour être instruits de ce qui regarde leur profit, ou leur avantage temporel. Il faut qu’il ne voie jamais plus clair, que quand il est dans ce commerce étroit avec la Divinité. Conformément à cela, nous faisons voir qu’en consultant l’Écriture sainte, on trouve que les prophètes des Juifs, éclairés par l’esprit divin, autant que leur propre besoin le demandait, recueillaient les premiers fruits de la présence de la Divinité qui les inspirait. Ainsi leur âme, par l’attouchement de cet Esprit saint, s’il faut que je parle de la sorte, était toute pénétrée de lumière et avait des yeux plus perçants que de coutume. Leur corps même ne résistait plus aux mouvements de la vertu ; étant mort à l’égard de ce qui se nomme parmi nous, les pensées et les sentiments de la chair ; car nous croyons fermement que l’Esprit divin fait mourir les passions charnelles, et qu’il étouffe les rébellions que les pensées et les sentiments de la chair commençaient à exciter contre Dieu (Rom., VIII, 6,7 et 13). Si donc la Pythie perd le sens et la connaissance, comme entièrement hors d’elle-même, lorsqu’elle prédit l’avenir, quel jugement doit-on faire de cet esprit qui lui remplit l’âme de ténèbres et qui lui ôte la raison, sinon qu’il est de même ordre que ces démons, dont beaucoup de chrétiens délivrent ceux qui en sont possédés ? Ce qu’ils font au reste, sans aucun appareil de magie ou de recettes : mais avec des prières et des adjurations si simples, que les moindres des hommes en sont capables ; car pour l’ordinaire, ce sont des gens sans lettres qui font cette opération. Jésus-Christ voulant faire voir par cet effet de la grâce, dont il accompagne son Évangile, la faiblesse et l’impuissance des démons, qui pour être vaincus, et pour sortir sans aucune résistance du corps et de l’âme d’un homme, n’ont pas besoin du savoir ni de la force de ceux qui sont les plus puissants dans les Écritures (Act., XVIII, 24), et les plus exercés dans les matières de la foi. D’ailleurs c’est une créance reçue, non par les chrétiens et par les Juifs seulement, mais par la plupart des Grecs mêmes et des barbares, que l’âme humaine subsiste après être séparée de son corps, et ne meurt pas avec lui. A quoi les lumières de la raison veulent que l’on ajoute, que les âmes nettes, qui ne sont point chargées du fardeau des vices, comme d’une pesante masse de plomb, élèvent au plus haut des airs, dans la région des corps les plus purs et les plus subtils ; laissant ici-bas les corps grossiers, avec leurs ordures : au lieu que les âmes souillées, que le poids de leurs péchés attache tellement à la terre, qu’elles n’ont pas la force de pousser même leurs soupirs en haut, se tournent et se vautrent dans ces bas lieux, les unes autour des sépulcres, où l’on en voit qui paraissent quelquefois comme des ombres, les autres autour de quelques autres matières terrestres, quelles qu’elles soient. Cela étant, que doit-on penser de ces esprits qui passent des siècles entiers pour ainsi dire arrêtés en de certains endroits, et attachés à une même demeure comme par la force de quelques charmes ou par un effet de leur propre impureté ? Ils doivent avec raison être pris pour des esprits malins, puisqu’ils abusent ainsi de l’art de prédire l’avenir qui, de soi, est de l’ordre des choses indifférentes ; et qu’ils l’emploient à tromper les hommes, les détournant par-là du vrai Dieu et de la pureté de son service. Ce qui fait voir encore qu’ils doivent être pris pour tels, c’est qu’ils aiment le sang des victimes, la fumée et l’odeur des sacrifices, et qu’ils en nourrissent leurs corps ; se tenant autour avec plaisir comme pour y chercher leur vie : semblables à ces hommes corrompus qui, méprisant la pureté d’une vie détachée des sens, n’ont d’inclination que pour les voluptés de la chair, et pour la vie terrestre et corporelle où ils les trouvent. Si cet Apollon qu’on sert à Delphes était un Dieu comme les Grecs se le persuadent, quel autre devait-il choisir pour rendre ses oracles, qu’un homme sage ou s’il n’en pouvait trouver de tel, qu’un homme au moins qui tâchât de le devenir ? Comment ne se servait-il pas pour cela plutôt d’un homme que d’une femme ? Ou s’il aimait tant ce sexe qu’il ne pût s’insinuer ni se plaire que dans le sein d’une femme, pourquoi ne prenait-il pas une vierge plutôt qu’une autre pour interprète de sa volonté ? Non ce grand Apollon si célèbre parmi les Grecs sous le nom de Pythien, n’a point fait choix d’un homme sage ni même d’un homme quel qu’il fût pour l’honorer comme ils parlent de ses inspirations divines. Et entre les femmes il n’a point pris une vierge ou une personne vertueuse que l’étude de la philosophie rendit recommandable : il s’est adresse à une femme du commun. C’est peut-être que les grands hommes avaient de trop bonnes qualités pour recevoir de pareilles inspirations. Encore devait-il, s’il était Dieu, faire servir l’art de prédire l’avenir comme d’une amorce pour ainsi dire afin d’attirer les hommes et de les obliger a se convertir, à se corriger de leurs vices et à embrasser l’étude de la vertu.. Mais c’est un fait dont l’histoire ne nous dit rien ; car si l’oracle déclare Socrate le plus sage de tous les hommes, il avilit la louange qu’il lui donne par ce qu’il dit en même temps d’Euripide et de Sophocle :

Tout sage qu’est Sophocle. Euripide est plus sage ;
Mais Socrate en sagesse a sur tous l’avantage.

Puis donc qu’il donne le nom de sages à des poètes tragiques, ce n’est pas proprement en vue de la philosophie qu’il loue Socrate, ni à cause de son amour pour la vérité et pour la vertu. Il ne lui fait pas beaucoup d’honneur de le préférer à des hommes qui, pour une vile récompense, disputent sur le théâtre le prix des vers, et qui, par les choses qu’ils représentent sur la scène, excitent les spectateurs tantôt aux larmes et aux soupirs, tantôt à un ris déshonnête : c’est à ce dernier effet que leurs pièces satiriques sont destinées. Et peut-être que la philosophie a bien moins contribué à lui faire donner cette louange d’être le plus sage de tous les hommes, que les victimes qu’il faisait fumer sur les autels de ce démon et des autres ; car je ne doute pas que ceux qui servent les démons, n’éprouvent que ces sortes de choses sont plus propres pour obtenir d’eux ce qu’on souhaite, que les actions vertueuses. De là vient qu’Homère, le plus excellent des poètes, représentant ce qui a coutume d’arriver, et nous voulant faire comprendre ce qui porte le plus les démons à répondre aux vœux de leurs dévots, introduit Chrysès, qui. pour quelques guirlandes et pour quelques cuisses de taureaux et de chèvres, obtient ce qu’il demandait contre les Grecs à l’occasion de sa fille Chryséïde que la peste les contraignit de lui rendre (Iliad.. I, v. 39,40, II). Et je me souviens d’avoir lu dans les écrits d’un pythagoricien qui a expliqué les sens caché d’Homère, que la prière de Chrysès à Apollon, et la peste qu’Apollon envoie ensuite dans l’armée des Grecs, sont des preuves que ce poète croyait qu’il y a de mauvais démons qui aiment la fumée des sacrifices, et qui, pour récompenser ceux qui leur en offrent, leur accordent la perte des autre« hommes s’ils la leur demandent. Celui encore (Jupiter)

Dont la puissance éclate et dont la voix résonne
Au milieu des frimas de la sombre Dodone ;

Ses prophètes jamais
Ne se lavent les pieds ni ne couchent qu’à terre :
(ILIAD., XVI. v. 551., etc.)

n’a-t-il pas renoncé aux hommes pour faire rendre ses oracles par les Dodonides, comme Celse même nous l’apprend ? Je veux qu’il y en ait encore d’autres semblables : un Apollon Clarien, des Branchides, un Jupiter Hammon, qui rendent des oracles, soit ici, soit là. en quelque endroit de la terre que ce puisse être : comment nous prouvera-t-on que ce sont des dieux et non pas des démons ? Pour ce qui est des prophètes d’entre les Juifs, les » uns étaient déjà des hommes sages avant d’être des prophètes inspirés de Dieu ; les autres sont devenus sages par le moyen de la prophétie et de l’inspiration même qui leur a éclairé l’esprit. Ils ont été choisis par la Providence pour être les dépositaires de l’Esprit divin et de ses saints oracles, à cause de leur manière de vivre et de parler libre et noble, de leur fermeté inimitable et de leur intrépidité dans les plus grands périls et dans la mort même. En effet, les seules lumières de la raison nous montrent assez que ce sont là les dispositions que doivent avoir les prophètes du grand Dieu, en comparaison desquelles la gravité toujours constante d’Antisthène, de Crates et de Diogène ne paraît qu’un jeu. C’est aussi à cause de leur attachement à la vérité et de leur liberté à reprendre les pécheurs qu’ils ont été lapidés, qu’ils ont été sciés, qu’ils ont été éprouvés, qu’ils sont morts par le tranchant de l’épée (Héb., XI. 37, 38). C’est pour cela même qu’ils ont été vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, étant abandonnés et persécutés ; errant dans les déserts et dans les montagnes, et se retirant dans les antres et dans les cavernes de la terre (Héb., XI, 27) ; eux dont ce monde terrestre n’était pas digne : car ils regardaient toujours à Dieu et à ses biens invisibles, qui n’étant point l’objet de nos sens, ne peuvent être qu’éternels (II Cor., IV, 18). Nous avons l’histoire de la vie de chaque prophète : mais il suffît de faire considérer ici quelle a été la vie de Moïse, dont les prophéties sont insérées dans les livres de la Loi ; et celle de Jérémie, telle qu’elle nous est écrite dans le livre qui porte son nom ; et celle d’Isaïe, qui, par une austérité sans exemple, marcha nu et sans souliers l’espace de trois ans (Is., XX, 3). Qu’on lise et qu’on remarque encore la surprenante résolution de ces enfants, je veux dire de Daniel et de ses compagnons, qui ne buvaient que de l’eau et ne mangeaient que des légumes, s’abstenant de la chair des animaux (Dan., I, 16). Et si l’on veut remonter plus haut, qu’on jette les yeux sur la vie de Noé, qui eut aussi les lumières de la prophétie ; et d’Isaac, qui donna à son fils une bénédiction prophétique (Gen., IX, 25, 26, 27) ; et de Jacob, qui parla à chacun de ses douze enfants, commençant en ces termes : Venez, que je vous déclare ce qui doit arriver dans les derniers temps (Ibid. XLIX, 1). Ceux-là et une infinité d’autres prophétisant de la part de Dieu, ont prédit ce que devait être Jésus-Christ. C’est ce qui fait que nous ne comptons pour rien les oracles et de la Pythie, et des Dodonides, et d’Apollon Clarien, et des Branchides, et de Jupiter Hammon et de tous ces autres dont on nous parle ; mais que nous avons de la vénération pour ceux des prophètes de Judée, voyant que leur vie austère, égale et honnête les rendait dignes des inspirations de l’Esprit de Dieu, dont le caractère tout singulier les distingue des oracles rendus par les démons. Je ne sais pas, au reste, ce qui oblige Celse à dire : Mais pour les choses dites ou non dites dans la Judée à la manière du pays : ajoutant ces mots, Ou non dites, comme un incrédule qui s’imagine qu’il se peut faire que ce soient des suppositions, et qu’on ait écrit des choses qui n’aient peut-être jamais été dites. La doctrine des temps lui est sans doute inconnue ; et il ne sait pas que ces prophètes qui ont prédit l’avènement de Jésus-Christ, ont aussi prédit une infinité d’autres choses plusieurs années avant qu’elles soient arrivées. Il ajoute, dans le dessein de donner atteinte aux anciens prophètes. Qu’ils ont prophétisé de la même manière qu’on le voit faire encore aujourd’hui, dit-il, aux habitants de la Phénicie et de la Palestine. Mais il ne déclare point s’il entend par là des personnes qui n’aient rien de commun sur le fait de la religion avec les Juifs et les chrétiens, ou des personnes dont les prophéties aient le même caractère que celles des prophètes juifs. Quoi qu’il en soit, ce qu’il dit se trouve faux, de quelque façon qu’on le prenne. Car jamais aucun de ceux qui n’ont point embrassé notre foi, n’a rien fait d’approchant de ce qu’ont fait les anciens prophètes ; et depuis l’avènement de Jésus-Christ, l’on n’en a point vu de nouveaux parmi les Juifs, qui visiblement ont été abandonnés par le Saint-Esprit à cause de leur impiété envers Dieu, et envers celui dont leurs propres prophètes avaient tant parlé. Le Saint-Esprit ; au reste, a donné des signes et des marques de sa présence au commencement, lorsque Jésus prêchait sur la terre. Il en donna davantage encore après l’ascension du Sauveur. Depuis, ces signes ont diminué. Il en reste pourtant des traces en quelque peu de personnes qui ont l’âme purifiée par la doctrine de l’Évangile, et dont les actions y sont conformes. Car l’Esprit saint qui nous instruit fuit la fraude, et s’éloigne des mauvaises pensées (Sag., I, 5).

Mais puisque Celse promet de nous apprendre quelle est cette manière de prophétiser dont on use dans la Phénicie et dans la Palestine, comme une chose dont il est instruit parfaitement, et qu’il sait d’original, voyons un peu ce qu’il en dit. Il pose d’abord qu’il y a plusieurs espèces de prophéties ; mais il ne les explique point, et il ne lui était pas possible de le faire : car il ne dit cela que par une vaine ostentation. Quoi qu’il en soit, arrêtons-nous avec lui à la manière qu’il trouve la plus parfaite parmi ces peuples. Il en a plusieurs, dit-il, qui, bien que sans nom, font avec une extrême facilité, et pour quelque occasion que ce soit, sacrée ou profane, tous les gestes et tous les mouvements de gens inspirés ; d’autres les font dans les villes et dans les armées, à dessein d’attirer et de surprendre qui ils peuvent. De tous ceux-là il n’y en a aucun qui ne puisse dire, comme ils ont accoutumé de le dire effectivement : Je suis Dieu, je suis le Fils de Dieu, ou l’Esprit de Dieu : je suis venu au monde, parce que le monde vu périr ; et vous, ô hommes ! vous périrez vous-mêmes aussi, à cause de vos iniquités ; mais je veux vous sauver, et vous me verres revenir avec une puissance divine. Bienheureux seront ceux qui me rendent maintenant hommage. Pour tous les autres, je les abîmerai dans les flammes d’un feu éternel, avec les villes et les campagnes. Ceux qui n’ont aucun soupçon îles supplices qui les attendent, gémiront alors et se repentiront en vain ; mais je conserverai éternellement ceux qui m’auront été fidèles. Ensuite il ajoute encore : Toutes ces belles et grandes paroles sont suivies de termes étranges, fanatiques et entièrement inconnus dont une personne raisonnable ne saurait pénétrer le sens, tant ils sont obscurs, qui n’en ont même point du tout, mais qui donnent lieu aux ignorants ou au premier imposteur qui se présente, de les appliquer à toutes sortes de sujets, comme bon leur semble. S’il voulait agir de bonne foi dans les accusations qu’il nous fait, il devait rapporter les propos repris des prophéties, soit de celles où le Dieu tout-puissant est introduit comme s’il parlait lui-même, soit de celles où c’est le Fils de Dieu, ou de celles enfin qui sont sous le nom du Saint-Esprit. Alors il eût pu travailler à les détruire et à faire voir qu’il n’y a rien de divin en des discours pleins de motifs pour la conversion des pécheurs, de censures à ceux des siècles passés et de prédictions pour l’avenir ; car c’est parce qu’on voyait tout cela dans les discours des prophètes, que leurs prophéties ont été recueillies et conservées par les hommes de leur temps, afin que la postérité, en les lisant, pût les admirer comme des oracles de Dieu, et qu’on profitât non seulement des exhortations et des remontrances, mais aussi des prédictions, pour apprendre, par les événements, qu’ayant été dictées par l’Esprit divin, elles nous obligent à suivre toute notre vie les règles de la piété que la loi et les prophètes nous ont révélées et prescrites. Les prophètes donc ont proposé ouvertement et sans voile, comme Dieu le leur ordonnait, toutes les choses que leurs auditeurs avaient intérêt d’entendre sur-le-champ et qui pouvaient servir à la correction de leurs mœurs ; mais pour les choses plus mystérieuses et plus sublimes, qui demandaient une intelligence au-dessus du commun, ils les ont proposées sous des énigmes et sous des allégories, en des termes couverts, avec des similitudes et des paraboles, comme on les nomme. Ce qu’ils ont fait, afin que ceux qui ne fuient point le travail, et qui prennent avec joie toute sorte de peine, en sue de la vérité et de la vertu, cherchassent pour trouver, et n’ayant trouvé ce qu’ils cherchaient, ils en fissent l’usage que la raison demanderait d’eux. Mais Celse, dont les mouvements sont toujours nobles, se met comme en colère de ce qu’il ne peut entendre le style des prophètes, et il en vient aux injures. Toutes ces belles paroles, dit-il, sont suivies de termes étranges, fanatiques et entièrement inconnus, dont une personne raisonnable ne saurait pénétrer le sens, tant ils sont obscurs, qui n’en ont mime point du tout, mais qui donnent lieu aux ignorants ou au premier imposteur qui se présente, de les appliquer à toutes sortes de sujets, comme bon leur semble. Il me paraît assez croyable qu’il ne parle ainsi que pour détourner adroitement, autant qu’il lui est possible, ceux qui lisent les prophéties, de les méditer et d’en approfondir le sens. En quoi il fait quelque chose d’approchant de ceux qui disaient à un homme qu’un prophète était allé trouver pour lui prédire l’avenir : Qu’est allé faire chez toi cet intenté ? Je suis persuadé, au reste, qu’on pourrait écrire avec beaucoup plus de lumières que moi, pour faire voir que Celse est un calomniateur et que les prophéties sont divinement inspirées : mais je l’ai fait selon ma portée dans mes commentaires sur Isaïe, sur Ézéchiel et sur quelques-uns des douze petits prophètes, où j’ai expliqué à la lettre ces termes fanatiques et entièrement inconnus, comme il les appelle. Et si Dieu me fait la grâce dans le temps qu’il l’aura ordonné de m’avancer dans la connaissance de ses mystères, j’achèverai d’expliquer ce qui me reste, ou je porterai du moins mes éclaircissements le plus loin que je pourrai. S’il y a des personnes éclairées qui veuillent étudier l’Écriture, elles pourront de leur côté se rendre capables de l’entendre : car il faut avouer qu’en divers endroits elle a de l’obscurité, mais qu’elle n’ait point du tout de sens, c’est ce que Celse a tort d’avancer. Il n’est pas vrai non plus qu’un ignorant ou un imposteur puisse la tourner et l’appliquer comme bon lui semble. Il n’y a que celui qui est véritablement sage et savant en Jésus-Christ qui, par un privilège propre à tous ceux qui sont tels, puisse mettre en tout leur jour les mystères cachés dans les prophéties, traitant spirituellement les choses spirituelles (I Cor., II, 13), et fondant toutes ses explications sur le style ordinaire des Écritures. Celse, au reste, ne doit pas être cru quand il dit qu’il a vu lui-même prophétiser de ces gens ; car de son temps il n’y avait plus aucun prophète pareil aux anciens. S’il y en avait eu, leurs auditeurs, saisis d’admiration n’auraient pas manqué de recueillir leurs discours comme autrefois, et de nous conserver aussi ces nouvelles prophéties. Et il est assez clair, ce me semble, que Celse dit une fausseté, lorsqu’il ajoute : Qu’ayant convaincu ces prétendus prophètes, qu’il a vus lui-même prophétiser, ils lui ont avoué leur faiblesse, qu’ils ne couvraient qu’en usant de paroles ambiguës pour tromper le monde. Il devait marquer les noms de ceux qu’il a ainsi vus prophétiser, si c’était une chose qu’il pût faire, afin que, par là, les personnes capables d’en juger eussent le moyen de connaître si ce qu’il dit est vrai ou faux. Il s’imagine encore que ceux qui défendent la cause de Jésus-Christ par l’autorité des prophètes, ne sauraient donner aucune réponse raisonnable sur le fait des prophéties qui semblent attribuer à la Divinité quelque chose de mauvais, de honteux, d’impur ou de sale ; et supposant ainsi qu’on ne lui saurait répondre, il tire une infinité de conséquences qu’on ne lui accordera pas : car il faut savoir que ceux qui veulent conformer leur vie aux enseignements de l’Écriture, où ils ont appris que les connaissants de l’insensé ne sont que des pensées mal digérées (Sirac, XXI, 18 ou 19) et que nous devons être toujours prêts de répondre pour notre défense à tous ceux qui nous demanderont raison de l’espérance que nous avons (I Pier., III, 15) ; il faut, dis-je, savoir que ceux-là ne se contentent pas d’alléguer que telles ou telles choses ont été prédites ; mais qu’ils tâchent aussi de lever l’absurdité apparente de ces prédictions et de faire voir qu’elles ne renferment rien de mauvais, de honteux, d’impur, ni de sale, rien qui ne dût être comme il est, si l’on suit l’explication de ceux qui sont accoutumés au style de l’Écriture sainte. Celse devait rapporter les endroits mêmes des prophètes où il croit remarquer ces choses mauvaises, honteuses, impures et sales. Son discours en aurait eu bien plus de force, et se serait trouvé bien plus propre à soutenir son dessein. Mais au lieu de le faire, il pose en l’air, et par une calomnie à laquelle il veut que sa seule autorité serve de preuve que tout cela se trouve dans l’Écriture. Il ne serait donc pas raisonnable de se défendre contre des paroles qui ne sont autre chose qu’un vain son, ni ne se mettre en peine de justifier que dans les écrits des prophètes il n’y a rien de mauvais, de honteux, d’impur, ni de sale. Il ne faut pas croire non plus que Dieu ou fasse, ou souffre des choses infiniment honteuses, ni qu’il favorise le mal, comme Celse se le persuade ; car quoiqu’il en puisse dire, il n’a rien été prédit de tel. Pour nous en convaincre, il eût fallu produire le témoignage formel des prophètes, au lieu de salir ainsi sans fondement l’imagination de ses lecteurs. Les prophètes ont bien prédit les choses que le Christ devait souffrir, et on même temps ils ont marqué la cause de ses souffrances. Dieu donc aussi savait quelles elles devaient être ; mais d’où paraît-il que ce que le Christ de Dieu devait souffrir fussent des choses aussi sales et aussi impures que Celse le prétend ? Il va montrer, dirait-on, ce qu’il y trouve de si sale et de si impur. Qu’est-ce autre chose à Dieu, dit-il, de manger de la chair de brebis et de boire du fiel ou du vinaigre, sinon se nourrir d’ordures ? Dieu, selon nous, ne mange point de chair de brebis, et Jésus en qui il semble qu’on puisse trouver une preuve du contraire, n’en a mangé qu’en tant qu’il avait un corps. Pour ce qui est du fiel et du vinaigre de la prophétie, ils m’ont donné du fiel à manger, et lorsque j’ai eu soif ils m’ont donné du vinaigre à boire (Ps. LXIX, 22), nous en avons déjà parlé ci-dessus, et puisque Celse nous contraint d’en parler encore ici, nous dirons seulement que les ennemis des vérités de l’Évangile présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de leurs vices et le vinaigre de leurs mauvaises inclinations, mais que dès qu’il l’a goûté il le rejette (Matth., XXVII, 34).

Voici un nouvel effort que Celse fait pour ébranler la foi de ceux qui croient en Jésus à cause des prophéties qui ont parlé pour lui. Mais je vous prie, dit-il, si les prophètes avaient prédit que Dieu, pour ne rien dire de plus fort, dût être esclave, ou malade, ou qu’il dût mourir ; faudrait-il que le grand Dieu fût esclave, ou malade, parce que cela aurait été prédit ? faudrait-il qu’il mourût pour justifier sa divinité par sa mort ? Les prophètes ne doivent-ils pas plutôt ne le point prédire, puisqu’il y a en cela du mal et de impiété ? Il ne faut donc point regarder si une chose a été prédite ou non ; mais si elle est bonne en elle-même et digne de Dieu, car pour les choses sales ou mauvaises, quand tous les hommes du monde sembleraient les avoir prédites dans quelque emportement de folie, il n’y faudrait pas ajouter foi. Je demande maintenant, si ce qui est arrivé à celui-ci, sont des choses que la piété permette que l’on attribue à un Dieu. Il semble, par-là, sentir en quelque sorte que l’argument tiré des prédictions est très fort pour persuader ceux à qui l’on prêche Jésus-Christ ; mais il semble, en même temps, vouloir tâcher de le combattre par une probabilité opposée, lorsqu’il dit : Il ne faut donc point regarder si une chose a été prédite ou non. S’il voulait pourtant raisonner juste et n’user point de détours, il devait dire : Il faut donc faire voir que ces choses n’ont point été prédites ou, que ce qui a été prédit du Christ, n’a point eu son accomplissement en Jésus ; après quoi il eût établi sa démonstration, selon ses idées. De cette manière on eût vu d’un côté ce que portent les prophéties, et comment nous les appliquons à Jésus ; de l’autre, comment Celse se fût pris à justifier que cette application est mal faite : on eût vu s’il eût hautement triomphé de tout ce que nous alléguons des prophéties en faveur de Jésus, ou s’il fût demeuré convaincu de faire impudemment violence aux vérités les plus claires pour les empêcher de paraître. Mais répondons-lui selon sa supposition, où, prenant des choses impossibles et mal séantes à Dieu, il demande : Si l’on avait prédit ces choses-là du grand Dieu, faudrait-il les croire, sous ombre qu’elles auraient été prédites ? Par où il prétend prouver que quand de véritables prophètes auraient prédit de pareilles choses du Fils de Dieu, il n’est pas vrai, néanmoins, qu’il fallût croire sur ces prédictions qu’il les dût ni faire ni souffrir. Je dis donc que sa supposition est absurde, établissant pour vrais deux raisonnements dont les conclusions se contredisent l’une l’autre : ce que je démontre ainsi. Si de véritables prophètes du grand Dieu ont prédit qu’il doit être esclave, ou malade, ou qu’il doit mourir, cela arrivera à Dieu : car il ne se peut faire que les prophètes du grand Dieu ne disent pas vrai. D’un autre côté, quoique de véritables prophètes du grand Dieu aient prédit ces mêmes choses ; puisque les choses impossibles de leur nature, ne peuvent être vraies, ce que ces prophètes ont prédit comme une vérité n’arrivera point à Dieu. Quand donc il se trouve que de deux raisonnements, dont l’antécédent est le même, on tire deux conséquences contradictoires, on se sert de cette manière d’argumenter, qu’on nomme, des deux propositions opposées, pour montrer la fausseté de cet antécédent commun, qui, dans cette rencontre, est celui-ci : Que les prophètes aient prédit que le grand Dieu dût être esclave, ou malade ou qu’il dût mourir. L’on conclut, dis-je, par celle voie, que jamais les prophètes n’ont prédit ces choses, et voici comme on y procède : De deux choses, si la première est vraie, l’autre l’est aussi ; si la première est vraie, l’autre ne l’est pas : donc la première n’est pas vraie. Et c’est ici l’exemple que les stoïciens proposent sur ce sujet. Si vous savez que vous êtes mort, vous êtes mort ; si vous savez que vous êtes mort, vous n’êtes pas mort ; d’où il conclut, donc vous ne savez pas que vous êtes mort. Voici encore comme ils prouvent la conséquence de chaque raisonnement : si vous savez que vous êtes mort, ce que vous savez est certain, et, par conséquent, il est certain que vous êtes mort. D’un autre côté, si vous savez que vous êtes mort, cela même, que vous soyez mort est une chose que vous savez ; mais comme les morts ne savent rien, si vous savez que vous êtes mort, il est évident que vous n’êtes pas mort. D’où, comme je l’ai déjà dit, il suit, en joignant ces deux raisonnements ensemble, donc vous ne savez pas que vous êtes mort. Il en est à peu près de même de cette supposition de Celse que nous avons rapportée. Ce qu’il y pose, au reste, est bien éloigné de ce que les prophètes ont prédit de Jésus ; car les prophéties ne portent pas que Dieu dût être crucifié, elles qui disent de celui qui devait souffrir la mort : Nous l’avons vu ; il n’avait ni grâce ni beauté ; mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d’aucun autre d’entre les hommes. C’est un homme tout noirci de coups et qui sait ce que c’est que de vivre dans le travail et dans la souffrance (Is., LIII, 2 et 3). Vous voyez qu’elles donnent expressément le nom d’homme à celui qui devait être sujet aux accidents de la condition humaine : et Jésus lui-même qui savait parfaitement que ce qui devait mourir était homme, dit à ceux qui lui dressaient des embûches : Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ait dit la vérité que j’ai apprise de Dieu (Jean, VIII, 40). Si, dans cet homme, tel que Jésus se faisait connaître, il y avait quelque chose de divin, savoir : Le fils unique de Dieu, le premier né de toutes les créatures (Jean, I, 14) ; celui qui dit de lui-même : Je suis la vérité, je suis la vie, je suis la porte, je suis la voie, je suis le pain vivant descendu du ciel (Col., I, 15) : il faut raisonner de cet Être divin et de son essence d’une manière bien différente de ce qu’on fait à l’égard de l’homme qui se voyait en Jésus (Jean, XIV, 6, 9 ; VI, 51). Aussi n’y a-t-il point de chrétien, même entre les plus simples et les moins versés dans l’exacte connaissance des matières, qui dise que celui qui est mort soit précisément celui qui est la vérité, la vie, la voie, le pain vivant descendu du ciel, la résurrection ; car celui qui nous enseignait en Jésus, sous ce voile qui ne présentait aux yeux qu’un homme se donne encore cette qualité : Je suis la résurrection, dit-il (Jean, XI, 25). Il ne se trouvera, dis-je, parmi nous personne, d’assez extravagant pour dire : la vie est morte, la résurrection est morte. Afin que la supposition de Celse eût quelque fondement, il faudrait que nous disions que les prophètes ont prédit la mort de Dieu le Verbe, la vie, la résurrection du Fils de Dieu, enfin de quelque nom qu’il se nomme. Il n’y a donc rien de vrai en tout ce qu’a dit Celse à la réserve de ceci : Les prophètes ne devraient-ils pas plutôt ne le point prédire puisqu’il y a en cela du mal et de l’impiété ? Savoir que le grand Dieu dût être esclave, ou qu’il dût mourir. Mais il n’y a rien qui ne soit digne de Dieu, en ce que les prophètes ont prédit. Que celui en qui se trouve le caractère et la splendeur (Hébr., I, 3) de la nature divine, viendrait au monde avec la sainte âme qui devait animer le corps de Jésus, et qui y sèmerait une doctrine capable de rapprocher du grand Dieu ceux qui la recevraient dans leur cœur et qui l’y cultiveraient (Hébr. II, 10) une doctrine qui conduirait enfin à la gloire tous ceux qui sentiraient en eux-mêmes la vertu de ce Dieu le Verbe qui se devait unir au corps et à l’âme d’un homme. Il s’y devait unir en effet, mais non de telle sorte qu’il y renfermât tous les rayons dont il est la source, lui qui est la vraie lumière, en qualité de Dieu le Verbe (Jean, I, 9) ; ou que l’on pût croire qu’il les répandît de là, comme d’un lieu où il se fût enfermé lui-même pour n’être nulle par ailleurs. Si l’on considère donc Jésus par rapport à la divinité qui était en lui, les choses qu’il a faites à son égard n’ont rien qui puisse choquer les âmes pieuses, rien qui répugne à l’idée que nous devons avoir de Dieu ; et si on le considère en tant qu’homme, mais un homme distingué de tous les autres, par une intime communion avec le Verbe éternel, avec la souveraine sagesse, il a souffert, comme parfaitement ce que devait souffrir celui qui se soumettait à tout pour le genre humain ou même pour toutes les natures intelligentes. Ce n’est pas une chose surprenante qu’un homme soit mort, et que sa mort nous soit, non seulement un exemple pour nous qui apprenons à sacrifier notre vie pour la piété, mais qu’elle soit aussi la seule cause qui a commencé ce qui avance la destruction du diable, de ce malin esprit qui s’était rendu le maître de toute la terre ; car, que son empire se détruise, nous en avons des preuves en ceux qui, par la vertu de l’avènement de Jésus secouent de toutes parts le joug des démons et qui se voyant délivrés de la servitude où ils vivaient sous eux. se consacrent entièrement à Dieu et s’efforcent de faire tous les jours de nouveaux progrès dans la pureté de son service.

Celse ajoute : Ne feront-ils point cette réflexion : Que si les prophètes des Juifs ont prédit que celui qui viendrait au monde serait le Fils de ce même Dieu. il n’est pas possible de comprendre que le Dieu des Juifs leur ordonne par Moïse leur législateur, de ramasser des richesses, d’étendre leur empire, de remplir la terre, de faire passer leurs ennemis avec leurs plus tendres enfants au fil de l’épée, afin d’en détruire toute la race ; ce qu’il a fait lui-même sous les yeux des Juifs, comme parle Moïse, les menaçant au reste s’ils ne lui obéissaient pas, de les traiter en ennemi déclaré : qu’il en ait, dis-je, usé de la sorte, et que son Fils, cet homme que l’on appelle Nazaréen, ait établi des lois toutes opposées, déclarant que l’accès auprès de son Père est fermé aux riches et à ceux qui aiment les charges, la sagesse ou la gloire, qu’il ne faut pas avoir plus de soin de faire provision de vivres que les corbeaux, et qu’il faut mettre moins en peine de ses vêtements que le lys : enfin que si l’on vous donne un coup, il faut se présenter pour en recevoir un autre. Qui a menti de Moise ou de Jésus ? Est-ce que le Père. lorsqu’il a envoyé celui-ci, avait oublié les ordres qu’il avait donnés à Moïse ou que changeant de pensée, il a condamné les propres lois, et a donné à ce nouvel envoyé des instructions toutes contraires ? Celse a ici une pensée plus digne des personnes les plus grossières que d’un homme qui se vante de savoir tout, comme il fait : c’est de s’imaginer que, pour entendre les Écritures, il se faut arrêter au sens littéral de la loi et des prophètes, sans en chercher de pus sublime. Il ne considère pas qu’elles n’ont eu garde de promettre des richesses corporelles aux gens de bien avec une illusion si risible, puisque c’est une chose constante que les plus saints hommes ont vécu dans la dernière pauvreté. En effet, les prophètes mêmes qui, à cause de la pureté de leur vie, avaient été éclairés de l’esprit divin, ont été vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, étant abandonnés, affligés et persécutés, errant dans les déserts et dans les montagnes, et se retirant dans les antres et dans les cavernes de la terre (Hébr., XI, 37 et 38). Car, comme dit le psalmiste, les afflictions des justes sont en grand nombre (Ps. XXXIV, 20). Si Celse avait lu les livres de Moïse, il se serait sans doute mis dans l’esprit que, quand il est dit que celui qui observerait la loi prêterait à beaucoup de nations et qu’il n’emprunterait point (Deut., XXVIII, 12), c’est une promesse faite au juste que ses richesses temporelles seraient si abondantes, qu’il aurait de quoi prêter non seulement aux Juifs, non seulement à quelque autre peuple étranger, non seulement à deux ou trois nations différentes, mais à beaucoup de nations. Quelles devraient être les richesses que le juste aurait reçues pour récompense de sa justice, s’il en avait assez pour prêter à beaucoup de nations, selon la promesse de la loi ? Et ne faudrait-il pas supposer, par une suite de la même explication, que le juste n’emprunterait jamais rien, puisqu’il est écrit : Mais toi tu n’emprunteras point ? Y a-t-il de l’apparence que les Juifs fussent demeurés pendant si longtemps attachés à la religion enseignée par Moïse, se voyant évidemment abusés par leur législateur, si la pensée de Celse doit être suivie ? Car on n’a jamais vu d’homme assez niche pour prêter à plusieurs nations. Il n’est aucunement vraisemblable qu’ils eussent avec combattu avec tant d’ardeur pour une loi dont les promesses leur eussent paru visiblement trompeurs, si on les eût accoutumés à les prendre dans le sens de Celse. On dira peut-être que les péchés où nous lisons que tombait le peuple, sont une preuve qu’il n’avait pas beaucoup d’attachement pour la loi, dont il reconnaissait sans doute la fausseté ; mais avant que d’en juger de la sorte, Qu’on lise aussi l’histoire des temps où il est dit que tout le peuple, après avoir faite ce qui était désagréable au Seigneur, retournait ensuite à son devoir et au culte prescrit par la loi. Tout de même, si la loi promettait l’empire à ce peuple lorsqu’elle dit : Tu régneras sur beaucoup de nations, et elles ne régneront point sur toi (Deut., XV, 6) ; et que pour entendre cette promesse, il ne la faille point approfondir davantage : il est certain qu’il eût eu bien plus de lieu encore, de la regarder comme fausse. Celse allègue aussi ce qui est dit, bien qu’il en change les termes, que toute la terre devait être remplie de la race des Hébreux ; ce qui, selon la vérité historique, est arrivé après la venue de Jésus, plutôt par un effet de la colère de Dieu, s’il faut que je parle de la sorte, que par une suite de ses bénédictions et de ses grâces. Quant à la promesse faite aux Juifs, qu’ils feraient passer leurs ennemis au fil de l’épée, il faut dire que si l’on fait réflexion sur ces paroles et qu’on les considère attentivement, on verra qu’il est impossible de les prendre à la lettre. Je me contenterai, pour cette heure de rapporter là-dessus le passage des psaumes où le juste est introduit, disant entre autres choses : Je faisais mourir dès le matin, tous les pécheurs de la terre, pour détruire de la ville du Seigneur tous ceux qui commettent l’injustice (Ps. CI, 8). Voyez, je vous prie, si dans la suite du discours et dans l’esprit de celui qui parle, il est concevable, qu’après s’être attribué des actions dignes de louange, qu’on n’a qu’à lire dans ce qui précède, il conclue comme une chose possible à la lettre, que le malin et jamais à aucune autre heure du jour, il exterminait tous les pécheurs de la terre, sans en laisser un seul de reste ; et qu’il détruisait, dans la ville de Jérusalem, tous ceux en général qui commettaient l’injustice. On trouvera dans la loi plusieurs autres choses semblables : comme par exemple, quand il est dit : Nous n’y laissâmes rien en vie. Celse dit encore qu’il fut dénoncé aux Juifs que s’ils n’observaient pas la loi, ils seraient traités de la même manière qu’ils traitaient leurs ennemis : après quoi, il tire de la doctrine de Jésus-Christ quelques enseignements qu’il prétend être contraires à ceux de la loi et dont il veut se prévaloir contre nous. Mais avant d’en venir à cela, il faut parler de ce qui précède. Je dis donc que la loi est double ; la loi selon le sens littéral, et la loi selon le sens spirituel, comme on le peut déjà recueillir de quelques-unes des choses que nous avons dites. Il est dit de la première, non tant par nous que par Dieu lui-même, parlant dans un des prophètes, que ses commandements et ses préceptes ne sont pas bons ; mais de l’autre, le même prophète fait dire à Dieu que ses commandements et se préceptes sont bons (Ezéch., XX, 25, vers. 21). Il n’y a pas d’apparence que dans un même endroit ce prophète ait dit des choses qui se contredisent évidemment. Saint Paul dit tout de même que la lettre tue et que l’esprit donne la vie (II Cor., III, 6) ; car la lettre et l’esprit sont la même chose que le sens littéral et le sens spirituel ; de sorte que ce qu’on pourrait prendre pour des contradictions se trouve dans Saint Paul à peu près comme dans le prophète. En effet, si Ézéchiel dit d’une part : Je leur ai donné des commandements et des préceptes qui ne sont pas bons, par le moyen desquels ils ne vivront point ; et de l’autre : je leur ai donné des commandements et des préceptes qui sont bons, par le moyen desquels ils vivront, ou, quoi qu’il en soit, quelque chose d’équivalent : Saint Paul aussi, lorsqu’il veut avilir le prix de la loi prise à la lettre, voici comme il parle : Si le ministère de la lettre gravée sur des pierres, qui était un ministère de mort, a été accompagné d’une telle gloire que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder le visage de Moïse à cause de la gloire et de la lumière dont il brillait qui devait néanmoins finir, combien le ministère de l’esprit doit-il être plus glorieux ? Mais quand il veut louer et recommander la loi, il lui donne le titre de spirituelle. Nous savons, dit-il, que la loi est spirituelle (Rom., VII, 14). Il en fait encore l’éloge, lors qu’il dit : La loi est sainte, et le commandement est saint, juste, et bon (Ibid., XII). Lors donc que le texte de la loi promet des richesses aux justes, Celse peut prendre cette promesse, selon la lettre qui lue et l’expliquer des richesses temporelles, où il n’y a qu’aveuglement. Pour nous, nous l’entendrons des richesses qui éclairent l’âme, et qui font que l’on est riche en tous les dons de la parole et de la science (I Cor., I, 5 ;. En conséquence, de quoi, nous exhortons ceux qui sont riches en ce monde à n’être point orgueilleux, à ne mettre point leur confiance dans les richesses incertaines et périssables, mais dans le Dieu vivant qui nous fournit avec abondance tout ce qui est nécessaire pour ¡a vie ; à être charitables et bienfaisants, à se rendre riches en bonnes œuvres, à donner gaiement, à être libéraux de leurs biens (I Timoth., VI, 17). Car comme dit Salomon, les véritables biens sont des richesses par lesquelles on rachète son âme (Prov., XIII. 8) Mais la pauvreté, opposée à ces richesses, est la voie de la perdition ; elle fait que le pauvre ne peut résister aux menaces. Ce qui vient d’être dit des richesses doit s’appliquer à l’empire, dont la puissance est représentée en ce qu’un juste devait poursuivre mille de ses ennemis, et que deux en devaient faire fuir dix mille (Lévit., XXVI, 8). S’il est vrai que les richesses doivent être prises dans le sens que nous venons d’établir, voyez si ce n’est pas une suite de la promesse de Dieu que celui qui est riche en tous les dons de la parole et de la science, en tous les fruits de la sagesse et en toutes sortes de bonnes œuvres, tire de ces trésors des paroles de sagesse et de science de quoi prêter à beaucoup de nations (Deut., XXXII, 30 ; Jos., XXIII, 10). C’est ainsi que saint Paul prêta à toutes les nations qu’il visita, en portant l’Évangile de Jésus-Christ dans cette grande étendue de pays qui est depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie (Rom., XV, 19). Et comme la connaissance des mystères divins lui était donnée par révélation (II Cor., XII, 1), le Verbe lui éclairant l’âme des rayons de sa divinité, cela même le mettait en état de n’emprunter à personne (Gal., I, 12) et de n’avoir besoin du ministère d’aucun homme, pour apprendre la doctrine céleste. Afin de vérifier aussi ce qui est dit : Tu régneras sur beaucoup de nations, et elles ne régneront point sur toi (Deut., XV, 6), il régnait sur les Gentils, qu’il avait soumis à la doctrine de Jésus-Christ par la vertu et par la puissance de la parole de Dieu, ne s’assujettissant jamais, pour lui, pas même un moment, à la domination des hommes, comme s’ils eussent été ses maîtres (Gal., II, 5). Et c’est de la sorte qu’il remplissait toute la terre. S’il faut s’appliquer encore comment le juste fait passer ses ennemis au fil de l’épée, avec une valeur dont les effets s’étendent partout, nous remarquerons que quand il dit, je faisais mourir dès le matin tous les pécheurs de la terre pour détruire de la ville du Seigneur tous ceux qui commettent l’injustice (Ps., CI, 8), par la terre, il désigne figurément la chair, dont les pensées et les sentiments font la guerre à Dieu (Rom., VIII, 7), et par la ville du Seigneur il attend lui-même sa propre âme, où est le temple de Dieu, orné de la légitime idée et de la vraie connaissance de Dieu, ce qui la fait admirer de tous ceux qui la considèrent (Ps. XLVIII, 6, et 10). Aussitôt donc que son âme est éclairée des premiers rayons du soleil de justice (Malach., IV, 2), il se sent par là comme animé d’un nouveau courage, qui lui donne la force d’exterminer ; toutes les pensées et tous les sentiments de la chair, désignés par les pécheurs de la terre et de détruire de cette ville du Seigneur, qui est dans son âme tous les mouvements qui portent à l’injustice et tous les raisonnement ; contraires à la vérité. C’est dans le même sens que les Juifs ne laissent en vie aucun de leurs ennemis, qui sont les vices, jusqu’à n’épargner pas même les enfants, c’est-à-dire les mauvais désirs qui ne font que de naître. Et c’est encore ainsi que nous entendons ces paroles du psaume 136 : Misérable fille de Babylone, heureux celui qui te rendra le mal que tu nous as fait ; heureux celui qui t’arrachera tes enfants, et qui les écrasera contre la pierre (Ps. CXXXVII, 8 et 9). Car les enfants de Babylone, qui signifie la confusion, ce sont les pensées pleines de trouble que le vice, qui en est la source, vient tout fraîchement d’exciter et de produire dans l’Âme ; et celui qui les surmonte, brisant pour ainsi dire leurs têtes contre la solidité et la fermeté de la droite raison, c’est celui qui écrase les enfants de Babylone contre la pierre, en quoi ils est véritablement heureux. Dieu donc a bien pu ordonner qu’on détruisît les vices dès leur naissance, afin qu’il n’en demeure aucun de reste, sans que ses ordres aient rien de contraire aux enseignements de Jésus : il a bien pu détruire lui-même aux yeux des Juifs qui le sont intérieurement, tous ceux qui se plaisant qu’au mal, sont leurs ennemis (Rom., II, 29). J’en dis autant de ceux qui refusent d’obéit à la loi et à la parole de Dieu, qui, prenant les livrées des ennemis, embrassant le parti du vice, méritent d’être traités comme des déserteurs de la vérité céleste. Il paraît de là que Jésus, cet homme Nazaréen, n’a point établi des lois tout opposées à ce que nous venons de dire des richesses et des autres choses qui ont été expliquées, lorsqu’il a enseigne, qu’il est difficile qu’un riche entre dans le royaume de Dieu (Matth., XIX, 23) : soit qu’on prenne le mot de riche dans son sens le plus simple pour un homme qui se laisse posséder par des richesses, dont le soins, comme autant d’épines (Ibid., XIII, 22), l’empêchent de porter les fruits de la piété, ou qu’on l’entende d’un homme riche en faux dogmes, tel que celui duquel il est dit dans les Proverbes : Un pauvre juste vaut mieux qu’un riche menteur (Prov., XXVIII, 6). Ce que Celse dit après cela, que Jésus défend à ses disciples d’aimer les charges, est sans doute pris de ce qu’il leur disait : Que celui qui voudra être le premier d’entre vous, soit le serviteur de tous (Matth., X, 44) ; et ailleurs ceux qui ont l’autorité parmi les nations, les traitent avec empire (Ibid., XX, 25) : et encore, ceux qui les dominent en sont appelés les bienfaiteurs (Luc, XXII, 25). Mais on ne doit pas croire que sa défense soit contraire à celle promesse : Tu régneras sur beaucoup de nations et elles ne régneront point sur toi (Deut., XV, 6) ; surtout après ce que nous avons dit là-dessus. Celse ensuite laisse glisser un mot touchant la sagesse, s’imaginant que Jésus ait enseigné que l’accès auprès de son Père est fermé au sage. Mais nous demanderons de quel sage il veut parler. Car s’il entend celui qui est sage de la sagesse de ce monde, laquelle est une folie devant Dieu (I Cor., III, 19), nous dirons comme lui, que l’accès auprès du Père est fermé à ce sage-là. Mais si par la sagesse dont il parle il faut entendre Jésus-Christ, qui est la force et la sagesse de Dieu (I Cor., I, 24), nous disons que bien loin que l’accès auprès du Père soit fermé à un tel sage, celui dont l’âme est ornée et les discours remplis de celle sagesse (Ibid., XII, 8) qui est un don du Saint-Esprit, a beaucoup d’avantage sur celui qui n’en a pas reçu la même grâce. Pour ce qui est de la gloire qu’on tire des hommes (Jean, V, 41), nous disons que la défense de l’affecter est faite non par la doctrine de Jésus seulement, mais aussi par l’ancienne Écriture. Témoin les imprécations qu’un prophète faisait contre lui-même, s’il se trouvait engagé dans le péché, entre lesquelles il compte la gloire mondaine pour un des plus grands maux qui lui pussent arriver. Seigneur mon Dieu, dit-il, si j’ai fait ce qu’on m’impute, s’il se trouve de l’iniquité dans mes mains, si j’ai rendu la pareille à ceux qui m’avaient fait du mal, que je succombe sans ressource sous mes ennemis, que mon ennemi poursuive mon âme, et qu’elle tombe en sa puissance, qu’il foule ma vie aux pieds sur la terre et qu’il élève ma gloire sur un lieu éminent (Ps. VII, 5, et 6). Je reconnais aussi ces paroles : Ne vous mettez point en peine où vous trouverez à manger et à boire ; considérez les oiseaux du ciel : considérez les corbeaux : ils ne sèment, ni ne moissonnent et cependant votre Père céleste les nourrit (Matth., VI, 25, 26 ; Luc, XII, 24). Combien êtes-vous plus excellents que des oiseaux ? Pourquoi encore vous mettez-vous en peine pour le vêtement ? considérez les lys des champs (Matth., VI, 28), et ce qui suit. Mais je dis qu’elles n’ont rien de contraire aux promesses de bénédiction, par lesquelles la loi assure le juste qu’il aura de quoi manger jusqu’à être rassasié (Lévit., XXVI, 5), ce que Salomon confirme lorsqu’il dit : Le juste en mangeant remplit son âme ; mais les âmes des méchants n’en ont jamais assez (Prov., XIII, 25). Car il faut prendre garde que ces promesses de la loi s’entendent des aliments spirituels qui sont propres à nourrir, non l’homme composé de corps et d’âme, mais l’âme seule. Au reste, les paroles de l’Évangile peuvent se prendre dans un sens mystique ; mais peut-être aussi tout simplement pour dire qu’il ne se faut pas embarrasser l’esprit des soins qui regardent la nourriture et le vêtement : mais qu’on doit être persuadé que Dieu y pourvoira, pourvu qu’on se tienne dans la simplicité, se contentant de chercher le nécessaire. Celse allègue encore de l’Évangile, que si l’on vous donne un coup, il faut se présenter pour en recevoir un autre ; mais il ne rapporte point avec ces paroles celles de la loi qu’il prétend y être contraires. Pour nous, nous savons bien qu’il a été dit aux anciens, œil pour œil, et dent pour dent (Exode, XXI, 24) ; et nous n’ignorons pas non plus ce précepte : je vous dis-moi, que si quelqu’un vous frappe sur une joue vous lui présentiez encore l’autre (Matth., V, 39, et Luc, VI, 29). Mais comme il y a lieu de croire que Celse ne fonde les difficultés qu’il nous fait que sur ce qu’il a entendu dire à ceux qui veulent que le Dieu de l’Évangile soit différent du Dieu de la loi, il lui faut répondre que ce n’est pas un devoir inconnu aux anciennes Écritures de présenter la joue gauche à celui qui vous a déjà frappé sur la droite. En effet, nous lisons dans les Lamentations de Jérémie : il est bon d’avoir porté le joug dès sa jeunesse. Celui qui s’en est chargé saura se tenir assit à part sans rien dire. Il présentera la joue à celui qui le frappe : il sera rassasié d’opprobres (Lament., III, 27, 28, 30). Le Dieu de l’Évangile n’établit donc point des maximes opposées à celles du Dieu de la loi, quand on voudrait prendre à la lettre ce qui est dit du soufflet. Jésus ni Moïse n’ont menti ni l’un ni l’autre. Le père, en envoyant Jésus, n’a point oublié les ordres qu’il avait donnés à Moïse. Il n’a point changé de pensée et il n’a point condamné ses propres lois, donnant à ce nouvel envoyé des instructions toutes contraires. S’il faut pourtant dire un mot de la différence qui se trouve entre les lois civiles que Moïse donna autrefois aux Juifs, et celles sous lesquelles les chrétiens veulent maintenant vivre, suivant la réformation que Jésus y a faite nous remarquerons que dans la vocation des Gentils il n’était pas possible qu’étant assujettis aux Romains, ils se gouvernassent selon la loi de Moïse prise à la lettre ; et qu’il ne se pouvait pas non plus que les Juifs conservassent leur premier état politique sans altération, supposé qu’ils dussent un jour recevoir les maximes de l’Évangile ; car il ne serait pas permis aux chrétiens de tuer leurs ennemis, ni de condamner au feu ou de lapider, comme Moïse l’ordonne, ceux qui, ayant violé sa loi, seraient pour cela jugés dignes de ces supplices, puisque les Juifs eux-mêmes, quelqu’attachés qu’ils soient à leur loi, n’ont pas à présent la liberté de l’observer en de pareilles rencontres. Mais pour les anciens Juifs, qui avaient leur gouvernement et leur pays à part, vouloir leur ôter le droit de faire la guerre à leurs ennemis, de combattre pour leur patrie, et de punir, soit de mort, ou autrement, les adultères, les meurtriers, et tous ceux qui commettaient des crimes semblables, c’eût été les exposer sans ressource à une entière et soudaine destruction, donnant lieu à leurs ennemis de venir fondre sur eux comme sur des gens à qui leur propre loi liait les mains et qu’elle empêchait de se défendre. Aussi quand la même Providence, qui avait autrefois donné la loi, et qui depuis a établi l’Évangile de Jésus-Christ, n’a pas voulu que l’état des Juifs subsistât, elle a détruit leur ville et leur temple ; elle a aboli le culte qui se rendait à Dieu dans ce temple par l’immolation des victimes et par les autres cérémonies qu’il avait prescrites. Et, comme elle a détruit ces choses, qu’elle ne voulait plus qu’ils eussent de lieu, elle avance, au contraire, et elle étend tous les jours le christianisme : jusque-là qu’on le prêche déjà partout avec hardiesse, malgré le nombre infini d’obstacles qui s’opposent à son établissement dans le monde ; car comme c’est Dieu qui a voulu faire aussi part aux Gentils de la doctrine salutaire de Jésus-Christ. Tous les desseins des hommes contre les chrétiens ont été confondus ; de sorte que plus les rois et les grands de la terre les ont maltraités, et plus les peuples se sont élevés contre eux de toutes parts, plus ils se sont accrus et fortifiés.

Après cela, Celse emploie beaucoup de paroles à rapporter des sentiments qu’il nous attribue, et que nous n’avons pourtant pas, touchant la Divinité, comme si nous la croyions d’une nature corporelle, lui donnant un corps semblable au nôtre. Ce qu’il entreprend de réfuter, mais qui ne nous regarde point. Il serait donc inutile de transcrire ici et le dogme et la réfutation qu’en fait Celse. En effet, si nous avions de Dieu les pensées qu’il nous attribue et qu’il combat, nous serions obligés de rapporter ses paroles, d’établir notre sentiment, et de résoudre ses objections. Mais si ce qu’il avance sont des choses inventées, qu’il n’a jamais entendu dire à qui que ce soit, ou qu’il n’a entendu dire, posé qu’on lui accorde cela, qu’à des personnes simples et grossières qui n’entrent pas dans le sens de l’Écriture, il n’est pas juste que nous nous donnions une peine non nécessaire ; car l’Écriture parle manifestement de Dieu comme d’un être sans corps. A cause de quoi il est dit que nul homme n’a jamais vu Dieu (Jean. I, 18) ; et le premier né de toutes les créatures est nommé l’image du Dieu invisible (Col., I, 15) ; comme qui dirait incorporel. Au reste, nous avons ci-dessus dit quelque chose de la nature de Dieu, lorsque nous avons examiné comment se doivent entendre ces paroles : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 24).

Ayant ainsi déguisé nos sentiments touchant la Divinité, il nous demande ensuite où nous espérons aller après notre mort : et il nous fait répondre dans une autre terre bien meilleure que celle-ci. Sur quoi il fait ces réflexions : Les hommes divins des premiers siècles ont parlé d’une félicité réservée après cette vie, aux âmes des bienheureux. Le lieu où elles en doivent jouir a été nommé par les uns les îles fortunées, par les autres les champs Elysiens, ou Elysées, d’un mot grec qui marque qu’elles y devaient être délivrées de tous leurs maux. C’est ainsi qu’Homère le décrit :

Les dieux le conduiront aux champs Élyséens.
Dans ces climats heureux, où comblé de tous biens,
L’on passe au bout du monde une tranquille vie.
(ODYSS., liv. IV, v. 565.)

Platon, qui croyait l’âme immortelle, donne positivement le nom de terre à ces lieux où elle va au sortir du corps (Dans le Phédon L’espace, dit-il, en est vaste et immense et nous n’en occupons qu’une petite parcelle depuis le Phase jusqu’aux colonnes d’Hercule, où nous habitons le long des rivages de la mer, à peu près comme des fourmis ou des grenouilles auprès d’un marais. Mais en divers autres endroits, pareils à celui-ci, il y a d’autres hommes qui y habitent. Car la terre est remplie par-ci, par-là de grandes cavités, différentes en formes et en étendue, qui sont le réceptacle de l’eau, de l’air et des brouillards. Pour la terre, qui mérite le nom de pure, elle ne se trouve que dans la région pure du ciel. Celse s’imagine donc que ce que nous disons d’une terre, bien meilleure et bien plus excellente que celle-ci, nous l’avons pris de quelques anciens, qu’il appelle des hommes divins, et particulièrement de Platon qui dans son Phédon nous fait ces beaux raisonnements sur la terre pure qui se trouve dans la région pure du ciel. Mais il ne s’aperçoit pas que Moïse, beaucoup plus ancien que les lettres mêmes des Grecs, introduit Dieu, promettant à ceux qui voudraient vivre d’une manière conforme à sa loi. Une terre toute sainte, une terre bonne et spacieuse, où il coulerait des ruisseaux de lait et de miel (Exode, III. 8). Ce qui ne se doit pas entendre, comme quelques-uns se l’imaginent, du pays que nous connaissons sous le nom de Judée, qui, quoique bon qu’il puisse être, fait partie de cette terre qui, dès le commencement du monde fut maudite, à cause du péché commis par Adam. Car ces paroles : la terre sera maudite à cause de ce que tu as fait, tu en mangeras les fruits avec chagrin tous les jours de ta vie (Gen., III, 17), doivent être entendues de toute la terre, dont tous les hommes qui sont morts en Adam (I Cor., XV, 22), mangent les fruits avec chagrin, c’est-à-dire avec travail, tous les jours de leur vie. Et comme toute la terre a été maudite, elle produit partout des épines et des chardons (Gen., III, 18), tous les jours de la vie de ceux qui, en la personne d’Adam, ont été chassés du paradis (Gen., III, 24), tous les hommes devant manger leur pain à la sueur de leur visage, jusqu’à ce qu’ils retournent dans la terre d’où ils ont été tirés (Gen., III, 19). Si l’on se proposait d’éclaircir, comme on le pourrait, tout ce qui est contenu dans ce passage, il serait besoin de beaucoup de paroles : mais nous avons cru devoir nous contenter à présent de ce peu de mots, n’ayant dessein que de prévenir la pensée qui pourrait faire appliquer au pays de Judée ce qui est dit de la bonne terre que Dieu promet aux justes. Si donc toute la terre en général a été maudite à cause de ce qu’ont fait Adam et ceux qui sont morts en lui, il est évident que ses parties, du nombre desquelles est la Judée, ont toute part à cette malédiction. Ainsi la Judée ne peut être cette terre bonne et spacieuse, cette terre où il coule des ruisseaux de lait et de miel, quoiqu’on puisse dire avec raison que le pays de Judée et la ville de Jérusalem étaient l’ombre et la figure de cette terre pure, bonne et spacieuse qui se trouve dans la région pure du ciel où est aussi la Jérusalem céleste (Col., III, 1). C’est de cette dernière Jérusalem que parlait l’Apôtre, qui étant ressuscité avec Jésus-Christ, et recherchant les choses du ciel, avait découvert des mystères qui ne tiennent rien des fables judaïques (Tit., I, 14). Vous vous êtes approchés, dit-il, de la montagne de Sion, de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, de la troupe innombrable des anges (Hébr., XII, 22). Et pour être persuadé que l’explication que nous donnons à cette terre bonne et spacieuse dont parle Moïse n’est point contraire à l’intention de l’esprit de Dieu, on n’a qu’à lire dans tous les prophètes ce qu’ils disent de ceux qui, après être sortis de Jérusalem et en avoir perdu le chemin, ne laissent pas pourtant d’y rentrer, de ceux, en un mot, qui se voient rétablis dans la demeure et dans la ville de Dieu, comme elle est nommée dans ces passages : Il a sa demeure dans une sainte paix (Ps. LXXVI, 3). Le Seigneur est grand et infiniment louable dans la ville de notre Dieu et sur la montagne sainte, dont toute la terre roi avec joie les fondements inébranlables (Ps. XLVIII, 2, 3) Il suffira pour cette heure de rapporter ce qui est dit de la terre des justes, dans le psaume XXXVI. Ceux qui attendent le Seigneur recevront la terre pour héritage (Ps. XXXVII, 9, 11, 22, 29) Et un peu plus bas : Les humbles auront la terre pour leur héritage, et ils jouiront avec joie d’une abondance de paix. Et dans la suite : Ceux qui le bénissent auront la terre pour héritage. Et encore : Les justes hériteront de la terre, et ils l’habiteront à jamais. Voyez aussi, je vous prie, si les personnes intelligentes ne doivent pas reconnaître qu’il nous est enseigné que, dans la région pure du ciel, il y a une terre pure, lorsqu’il est dit dans le même psaume : Attendez le Seigneur, et demeurez ferme dans sa voie, et il vous élèvera en gloire, afin que vous possédiez la terre comme votre héritage (Ibid. 34). Il me semble même que la pensée du Platon sur les pierres qui passent ici pour précieuses, dont l’éclat n’est selon lui qu’une espèce de rejaillissement de celui des pierres de cette terre, bien meilleure que la nôtre, est une pensée empruntée des paroles d’Isaïe, qui décrit de cette sorte la ville de Dieu : Je ferai tes remparts de jaspe, tes pierres seront des roches de cristal, et ton enceinte sera de pierres précieuses (Is., LIV, 12). Et encore : Je poserai des saphirs pour tes fondements (Ibid., 11). Ceux qui entendent la doctrine de Platon avec le plus de solidité, prendront figurément le discours de ce philosophe, et en expliqueront l’allégorie. Les prophéties d’où nous estimons que Platon même a tiré ce qu’il a dit, seront aussi expliquées dans leur vrai sens par ceux qui, vivant comme les prophètes d’une manière toute divine, emploient tout leur temps à l’étude des saintes lettres, lorsqu’il trouveront des personnes disposées à les écouter par la pureté de leur vie et par le désir de s’avancer dans la connaissance des vérités célestes. Pour nous, nous ne nous sommes proposés que de faire voir que ce que nous disons de cette autre terre qui est sainte, n’est point pris des Grecs ou de Platon ; mais que ce qu’ils disent eux-mêmes est pris plutôt de nos Écritures, soit qu’ils aient ouï parler confusément de ce qu’elles disent là-dessus en termes figurés, ou que peut-être nos saints livres leur étant tombés entre les mains, ils aient voulu imiter, avec quelque déguisement, ce qu’ils y avaient lu d’une autre terre, meilleure que celle-ci. Car, en effet, ils ont tous vécu, non seulement après Moïse, le plus ancien des auteurs sacrés, mais même après la plupart des autres prophètes, l’un desquels, savoir Aggée, distingue manifestement la terre d’avec le sec, donnant ce nom de sec à la terre que nous habitons. Encore une fois, dit-il, j’ébranlerai le ciel et la terre, la mer et le sec (Agg., II, 6 ou 7). Celse remet à un autre temps l’explication de cette fable que Platon débile dans son Phédon, et voici comme il parle : Il n’est pas aisé à tout le monde de comprendre la pensée de Platon. Il faut pouvoir entendre ce que signifie ce qu’il dit : qu’à cause de notre faiblesse et de notre pesanteur, nous ne sommes pas en état de nous élever jusqu’au plus haut de l’air, mais que, si notre nature était capable d’une contemplation si sublime, nous reconnaîtrions que c’est là que sont le vrai ciel, la vraie lumière et la vraie terre. Nous voulons l’imiter en cela, et comme nous n’estimons pas qu’il soit de notre sujet d’expliquer ici ce qui regarde cette sainte et cette bonne terre où est la ville de Dieu, nous nous réservons d’en parler dans nos commentaires sur les prophètes, après ce que nous en avons déjà dit sur le psaume XLV (ou XLVI et XLVIII) et sur le XLVII, où nous avons traité en partie et selon nos forces cette matière de la ville de Dieu. Ces écrits de Moïse et des prophètes, les plus anciens de tous les livres, reconnaissent que toutes les choses que nous voyons ici, et dont l’usage est commun à tous les hommes, en ont d’autres de même nom, qui leur répondent, mais qui sont les véritables, par exemple, ils nous parlent d’une véritable lumière (Mal., IV, 2), d’un ciel autre que le firmament, d’un soleil de justice différent du soleil visible. En un mot pour distinguer ces choses-là d’avec les choses sensibles, dont il n’y en a aucune de véritable, ils disent de Dieu que ses œuvres sont véritables, mettant ainsi de la différence entre les œuvres de Dieu et les œuvres des mains de Dieu (Dan., IV, 34 ou 37), comme si celles-ci étaient d’un ordre inférieur. Aussi voyons-nous que se plaignant lui-même de quelques-uns dans Isaïe, il dit qu’ils ne considèrent point les œuvres du Seigneur et qu’ils ne prennent point garde aux œuvres de ses mains (Is., V, 12). Mais en voilà assez là-dessus.

Celse attaque ensuite la résurrection qui est un dogme d’un long et difficile examen, un dogme qui, entre tous les autres, demande un esprit éclairé et une science consommée, pour pouvoir montrer qu’il ne renferme rien que de sublime, rien qui ne soit digne de Dieu ; et pour faire voir qu’il y a une vertu de semence dans ce que l’Écriture appelle le tabernacle de l’âme, sous la pesanteur duquel les justes soupirent, désirant, non pas d’en être dépouillés, mais d’être revêtus par-dessus (II Cor., V, 4). Celse, dis-je, attaque ce dogme ; mais il ne l’attaque que par des railleries, parce qu’il ne le comprend pas, et qu’il n’en a entendu parler que par des personnes simples qui ne pouvaient l’appuyer d’aucune raison. Il est donc à propos, qu’outre ce que nous avons dit ci-devant sur ce sujet, nous fassions encore ici une seule remarque : c’est que nous ne parlons pas de la résurrection par rapport à ce que nom pouvons avoir ouï dire de la métempsycose, comme Celse se l’imagine, mais parce que nous savons que l’âme qui de sa nature est immatérielle et invisible, ne peut être, en aucun lieu, corporelle, que pour cela elle n’ait besoin d’un corps proportionné à la nature lieu. De sorte que tantôt elle en quitte un qui lui était nécessaire auparavant, mais qui lui est inutile pour la suite, et elle en prend un nouveau ; tantôt elle se revêt d’un autre corps par-dessus le premier qui a besoin de cet habit précieux pour passer en des lieux plus purs, tels que sont les lieux célestes élevés au-dessus de notre air grossier. Lorsqu’elle vient au monde, elle se dépouille du corps qui lui avait été nécessaire dans le sein d’une femme ; elle quitte, dis-je, les enveloppes qui l’y couvraient, et avant que de les quitter elle se revêt d’un autre corps propre pour la vie que nous menons sur la terre. Mais comme il y a encore un certain tabernacle, et une maison terrestre qui est en quelque sorte nécessaire à ce tabernacle, l’Écriture nous enseigne que la maison terrestre du tabernacle sera détruite (II. Cor. V, 1) ; mais que le tabernacle sera revêtu par-dessus ce qu’il est déjà, d’une maison qui ne sera point faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans les cieux. Les saints hommes de Dieu disent aussi que le corruptible sera lui-même revêtu de l’incorruptibilité, qui est une chose différente de l’incorruptible ; et que le mortel sera revêtu de l’immortalité (I Cor., XV, 53), qui est différent de l’immatériel. En effet ce qui est la sagesse à l’égard du sujet qu’on appelle sage, la justice à l’égard du juste, la paix à l’égard du pacifique ; cela même l’incorruptibilité à l’égard de l’incorruptible, et l’immortalité à l’égard de l’immortel. Voyez donc à quelles espérances les livres divins nous élèvent lorsqu’ils nous parlent d’être revêtus de l’incorruptibilité et de l’immortalité qui sont les habits qui ne permettent pas que ceux qui en sont revêtus et couverts soient sujets à la corruption ou à la mort. C’est là jusqu’où j’ose approfondir ces matières pour répondre à un homme qui combat la résurrection sans l’entendre, et, qui par cela même qu’il ne sait pas ce que c’est, s’en moque et en fait des railleries. Comme il croit que nous la soutenons que dans la pensée de voir et de connaître Dieu, il se forme des raisonnements tels qu’il lui plaît : Après, dit-il, qu’on les a pressés de toutes parts et entièrement confondus, ils reviennent encore, comme si l’on ne leur avait rien objecté cette question. Comment donc pourrions-nous et voir et connaître Dieu ? Comment pourrions-nous aller à lui ? Mais que ceux qui voudront nous écouter sachent que si nous avons besoin d’un corps pour d’autres usages, comme pour être dans un lieu corporel, à la nature duquel ce corps doit être proportionné, en sorte que par-dessus notre tabernacle nous nous revêtions de ce que nous venons de dire, nous n’en avons pas au moins besoin pour connaître Dieu. Car ce qui connaît Dieu, ce n’est pas l’œil de notre corps, c’est l’entendement qui contemple les choses faites à l’image du créateur, et qui, par la providence de Dieu, est rendu capable de cette connaissance. Voir Dieu, c’est le propre d’un cœur pur qui n’est plus la source des mauvaises pensées, des meurtres, des adultères, des fornications, des larcins, des faux témoignages, des médisances, de l’envie, ni d’aucune autre chose blâmable (Matth., XV, 19 ; VI, 23 ; V, 8). De là vient qu’il est dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. Mais comme les forces de notre volonté ne sont pas suffisantes pour nous donner ce cœur pur dans sa perfection, et que nous avons besoin que Dieu le crée au dedans de nous, celui qui sait prier comme il faut, adresse cette prière à Dieu : Mon Dieu, crée en moi un cœur pur (Ps. LI, 12). Nous ne demanderons jamais non plus : Comment pourrons-nous aller à Dieu ? faisant cette question comme s’il était dans un lieu. Dieu est d’une nature plus excellente que quelque lieu que ce soit ; il contient toutes choses, et il n’est contenu de rien. De sorte que ce n’est pas pour nous obliger d’aller à lui corporellement, qu’il nous est ordonné de suivre la voie du Seigneur, notre Dieu (Deut., XIII, 4) ; ce n’est pas d’une manière corporelle qu’il faut prendre ce mouvement de piété du prophète : Mon âme s’est attachée à te suivre (Ps. LXIII, 9). Celse est donc un calomniateur de dire que nous nous attendons de voir Dieu des yeux de notre corps, à entendre sa voix de nos oreilles corporelles, et à le toucher de nos mains de chair et de sang. Nous savons que, selon l’Écriture sainte, il y a des yeux qui n’ont rien de commun que le nom avec les yeux corporels ; des oreilles et des mains tout de même, et, ce qui est encore plus surprenant, une sensation divine tout autre que ce qui est ordinairement ainsi nommé par les hommes. Quand le prophète dit : Dévoile mes yeux et je contemplerai Îles merveilles de ta loi (Ps. CXIX, 18) ; ou, Les commandements du Seigneur sont pleins de lumière, et ils éclairent les yeux (Ps. XIX, 9) ; ou encore, Claire mes yeux, afin que je ne m’endorme point d’un sommeil de mort (Ps. XIII, 4), il n’y point d’homme assez stupide pour croire que les merveilles de la loi de Dieu se voient des yeux du corps ; que les commandements du Seigneur éclairent les yeux du corps ; qu’un sommeil qui tend à la mort puisse tomber sur les yeux du corps. Lorsque notre Sauveur dit : que celui-là l’entende, qui a des oreilles pour entendre (Matth., XIII, 9) ; les plus simples comprennent que les oreilles dont il parle sont d’une espèce toute divine. Quand il est dit que la parole du Seigneur a été dans la main du prophète Jérémie ou de quelque autre, et que la loi a été dans la main de Moïse (Nombr., XVI, 10, etc. ; Gal., III, 19), ou quand il est dit : J’ai cherché Dieu de mes mains, et je n’ai point été trompé (Ps. LXXVII, 3), il n’y a personne assez grossier pour ne pas voir que ce sont des mains ainsi nommées par figure, semblables à celles dont Saint Jean dit : Nous avons touché de nos mains la parole de vie (I Jean, I, 1). Si vous voulez encore apprendre des livres sacrés qu’il y a une manière de sentir, d’un ordre plus excellent que la corporelle, écoutez ce qu’en dit Salomon dans le livre des Proverbes : Vous trouverez moyen d’acquérir le sentiment divin (Prov., II, 5). Cherchant donc Dieu de la manière que nous le cherchons, nous n’avons que faire d’aller à la chapelle de Trophonius, d’Amphiarée ou de Mopse, où Celse nous renvoie pour y voir des dieux en forme humaine ; des dieux, dit-il, qui se montrent clairement et sans illusion. Nous savons que ce sont là des démons qui se nourrissent du sang et de la fumée des victimes. et que l’odeur des sacrifices attache à ces lieux, où leur propre sensualité leur a bâti des prisons, que les Grecs prennent pour les temples de quelques dieux, mais qui, dans la vérité, ne sont que la demeure de quelques démons trompeurs. Ce n’est pas sans malignité qu’il ajoute, sur le sujet de ces mêmes dieux qui, selon lui, se font voir en forme humaine : Qu’ils ne se montrent pas pour une fois, ni d’une façon passagère, comme celui qui les a séduits, dit-il, en parlant de nous ; mais qu’ils ne refusent jamais de se présenter à ceux qui veulent communiquer avec eux. Par là il semble insinuer que Jésus, après sa résurrection, n’a été qu’un fantôme qui est apparu à ses disciples, et qui s’est fait voir à eux comme en passant ; au lieu que ces dieux qui, à ce qu’il prétend, paraissent en forme humaine, ne manquent pas de se présenter toutes les fois qu’on veut communiquer avec eux. Mais comment un fantôme qui, à l’en croire, ne s’est fait voir qu’en passant, pour tromper ceux à qui il se présentait, aurait-il pu ensuite de cette apparition, opérer de si grandes choses et convertir tant d’âmes, persuadant aux hommes de régler toutes leurs actions sur la volonté de Dieu, de qui ils doivent être jugés ? Comment ce fantôme pourrait-il chasser les démons, et faire tant d’autres merveilles éclatantes, n’étant pas, au reste, attaché à un certain lieu comme ces prétendus dieux revêtus d’une forme humaine, mais faisant sentir la présence de sa divinité par toute la terre, pour rassembler et attirer a soi tous ceux qu’il trouve portés à bien vivre ?

Après ce que nous venons de réfuter, selon nos lumières, voici comme Celse continue : Mais ils demanderont encore comment ils pourront connaître Dieu s’ils ne le connaissent par les sens ; quelle autre voie il y a, que celle des sens, pour acquérir la connaissance des choses. A quoi il répond de la sorte : Cette parole n’est pas la parole d’un homme : elle est suggérée non par l’âme, mais par la chair. Apprenez pourtant, si vous êtes capables d’apprendre, faibles et charnels comme vous êtes, apprenez que, si au lieu de vos sens, qui sont trop grossiers, vous appliquez votre entendement, si détournant et fermant les yeux de la chair, vous ouvrez les yeux de l’âme, ce sera par ce seul moyen que vous verrez Dieu. Et si vous cherchez de bons guides pour cela, il faut que vous fuyiez les fourbes et les imposteurs qui vous repaissent d’idoles et de fantômes. Autrement vous serez les plus ridicules de tous les hommes de blasphémer contre les autres, qui sont reconnus pour dieux, les traitant d’idoles, pendant que vous adorez non plus une idole ni un fantôme, mais un mort, bien plus méprisable que les idoles et que les fantômes, et que vous lui cherchez un père pareil à lui. Ce que nous pouvons dire d’abord sur la prosopopée, par laquelle il nous fait parler, comme il suppose que nous devons faire, pour défendre la résurrection de la chair, c’est que cette figure est bonne, quand celui qui s’en sert entre bien dans les sentiments et dans les manières des personnes qu’il introduit ; mais qu’elle est mauvaise, quand on attribue aux personnes des paroles qui ne leur conviennent pas. Si un homme, dans une prosopopée, donnait des pensées de philosophes à des barbares, à des ignorants, à des esclaves qui n’ont jamais entendu parler de philosophie, et qui sont incapables d’en parler eux-mêmes, on ne pourrait que l’en blâmer et que dire qu’il est bon philosophe, mais qu’il y a peu d’apparence que ceux qu’il représente le fussent autant. On ne blâmerait pas moins celui qui, introduisant des personnes qu’on suppose sages et bien instruites des choses du ciel, les ferait parler comme des gens du commun qui se laissent emporter à leurs passions, et qui n’ont de lumières ni naturelles ni acquises. C’est par là. entre autres choses, qu’Homère se fait admirer d’avoir su toujours garder le caractère qu’il avait d’abord donne à ses héros, comme à Nestor, à Ulysse, à Diomède, à Agamemnon, à Télémaque, à Pénélope et aux autres. C’est par là, au contraire, qu’Euripide s’est attiré les railleries comiques d’Aristophane, comme un discoureur sans jugement, qui tire de l’école d’Anaxagore ou de quelqu’autre docteur, les maximes qu’il met le plus souvent dans la bouche d’une femme barbare ou d’un misérable esclave. Si c’est donc en cela que consiste la bonté ou le défaut des prosopopées, n’aura-t-on pas lieu de se moquer de Celse, qui fait dire aux chrétiens des choses auxquelles ils n’ont jamais pensé ? Car si ceux qu’il fait parler sont des gens sans lettres, où est-ce qu’ils auraient pu apprendre à distinguer entre les sens et l’entendement, entre les choses sensibles et les choses intellectuelles ? Il faudrait, comme il les représente, qu’ils eussent étudié sous les stoïciens, qui nient les substances intellectuelles, soutenant que nous ne concevons rien que par le ministère de nos sens, et que c’est de nos sens que dépendent toutes nos connaissances. Si ce sont des personnes éclairées qu’il fait parler, des chrétiens qui aient approfondi autant qu’ils ont pu les dogmes de leur religion, ce qu’il leur fait dire, ne leur convient nullement non plus ; car il n’y a personne qui, sachant que Dieu est un être invisible, et que quelques-uns de ses ouvrages sont invisibles aussi, c’est-à-dire purement intellectuels, puisse dire, comme pour justifier la créance de la résurrection : Comment pourra-t-on connaître Dieu, si l’on ne le connaît par les sens ? Quelle autre voie y a-t-il que celle des sens pour acquérir la connaissance des choses ? Ce n’est pas même en quel qu’endroit écarté, qui ne soit connu que par un petit nombre de curieux, c’est dans des écrits qui sont sans cesse entre les mains de nos peuples, qu’il est dit que ce qui est invisible en Dieu est visible dans ses ouvrages, et s’y fait connaître depuis la création du monde (Rom., I, 20). D’où il paraît que bien que les hommes qui vivent sur la terre soient obligés de commencer par les sens et par les choses sensibles, pour porter ensuite leur connaissance jusqu’à la nature des choses intellectuelles, il ne faut pas pourtant qu’ils s’arrêtent à ces choses sensibles. Ainsi nous n’aurons garde de dire qu’il soit impossible de connaître les choses intellectuelles, si l’on ne les connaît par les sens : mais avouant que les sens sont la première voie pour acquérir la connaissance des choses, nous soutiendrons que Celse n’a pas raison d’en inférer que cette parole n’est pas la parole d’un homme, qu’elle est suggérée non par l’âme, mais par la chair. Puisque nous disons que le grand Dieu, qui est une essence toute simple, invisible et immatérielle, est lui-même un pur entendement, une pure intelligence ou quelque chose d’indûment élevé au-dessus des êtres qu’on désigne par ces noms, nous ne saurions avoir la pensée qu’il puisse être connu par une autre faculté que par l’entendement qui est formé à son image : cette connaissance même est telle, que nous ne le voyons maintenant que comme en un miroir et en des énigmes, pour me servir de l’expression de saint Paul, mais qu’un jour nous le verrons face à face (I Cor., XIII, 12). Si je dis au reste face à face, que personne ne me chicane sur ce mot, pour lui donner un sens contraire à mon intention ; mais qu’on sache, et qu’ici et qu’ailleurs, quand nous disons que nous contemplons à face découverte la gloire du Seigneur, et que, comme autant de miroirs, nous sommes transformés en la même image, nous avançant de gloire en gloire (II Cor., III, 12), nous n’entendons pas la face ou le visage sensible, mais une face ou un visage pris figurément de la même manière que les jeux et les oreilles, et les autres choses auxquelles nous avons fait voir ci-dessus que l’on donne les noms des membres de notre corps : Il est bien certain qu’un homme, je veux dire une âme qui se sert des organes d’un corps, autrement l’homme intérieur (II Tim., III, 17), qu’on appelle quelquefois simplement l’âme, ne parlerait pas comme Celse nous fait parler, et qu’il réglerait ses discours sur les préceptes des hommes de Dieu (Rom., VIII, 13). Mais il n’est pas moins certain qu’un chrétien n’usera jamais de paroles suggérées par la chair (II Cor., IV, 10), lui qui a appris à mortifier par l’esprit les actes du corps, et à porter toujours dans son corps la mortification de Jésus ; lui qui sait qu’il faut faire mourir les membres de notre homme terrestre ; lui qui a compris ce que veulent dire ces paroles : Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils ne sont que chair (Gen., VI, 3) ; lui qui sait enfin que ceux qui vivent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu (Rom., VIII, 8 et 9), et qui à cause de cela, fait tous ses efforts pour ne vivre plus selon la chair, mais uniquement selon l’esprit.

Voyons donc à quoi il nous appelle pour apprendre de lui à connaître Dieu ; car il nous doit dire des choses qui passent, à son avis, la portée de tous les chrétiens : Apprenez pourtant, dit-il, si vous êtes capables d’apprendre. Est-ce ainsi qu’un philosophe se prend à nous enseigner ce qu’il veut que nous apprenions de lui ? Au lieu de nous donner des instructions, il nous dit des injures. Au lieu de témoigner, dès l’entrée, qu’il est favorablement disposé pour ceux à qui il adresse son discours, il nous traite de faibles, nous qui aimons mieux mourir que d’abjurer le christianisme, ne fût-ce que de bouche ; que plutôt que de le faire, sommes prêts à souffrir toutes sortes de tourments et de supplices. Il nous appelle encore charnels, nous qui disons que si nous avons autrefois connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant (II Cor., V, 16) ; et qui sommes si disposés à nous dépouiller de notre corps pour la religion, qu’un philosophe aurait de la peine à quitter ses habits avec autant de facilité. Après quoi il nous parle en ces termes : Si au lieu de vos sens qui sont trop grossiers, vous appliquez votre entendement, si détournant et fermant les yeux de la chair, vous ouvrez les yeux de l’âme, ce sera par ce seul moyen que vous verrez Dieu. Il ne sait pas que cette pensée qu’il doit à la philosophie des Grecs, de faire des yeux de deux espèces différentes, est bien plus ancienne que la nôtre : mais il est certain que Moïse, dans l’histoire de la création, représente l’homme avant sa chute, et voyant, et ne voyant pas. Il le représente voyant, lorsqu’il dit de la femme, qu’elle vit que l’arbre avait du fruit bon à manger, qui était agréable à la vue et d’une belle apparence (Gen., III, 6). Il le représente ne voyant pas, non seulement quand il introduit le serpent, disant à la femme comme si elle et son mari eussent été aveugles, Dieu sait que dès le moment que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts (Ibid. 5) : mais aussi quand il ajoute : Ils en mangèrent tous deux, et les yeux de l’un et de l’autre furent ouverts (Ibid., 7) : les yeux qui furent ouverts, ce furent leurs yeux sensuels qu’il leur eût été bon de ne pouvoir pas ouvrir, pour n’être point détournés par d’autres objets qui empêchassent l’action des yeux de leur âme : et ce furent ces yeux de l’âme qui, selon ma pensée, se trouvèrent alors fermés par un effet du péché, pour ne plus s’occuper avec plaisir, comme ils avaient fait jusque-là, à la contemplation de Dieu et de son paradis. C’est encore pour marquer en nous cette double espèce d’yeux, que notre Sauveur dit : Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (Jean. IX, 39). Les yeux qui ne voyaient point sont, dans son sens, les yeux de l’âme auxquels sa doctrine rend la vue ; et les yeux qui voyaient sont les sensuels que la même doctrine aveugle, afin que l’âme s’attache sans distraction à ce qu’elle doit contempler. Tous les vrais chrétiens donc ont les yeux de l’âme perçants, et les yeux sensuels obscurcis, de sorte que chacun, à proportion de la bonté de sa vue spirituelle et de la faiblesse de l’autre qui est la sensuelle, voit et connaît le grand Dieu, et avec lui son Fils, qui est le Verbe, la sagesse, etc. Après ce que nous venons de voir, Celse continue son discours comme s’il l’adressait à tous les chrétiens ; bien que les choses qu’il dit, s’il avait envie de les dire, dussent s’appliquer à des personnes qui font profession d’une doctrine entièrement éloignée de celle de Jésus. Car, comme nous l’avons dit ci-dessus, ce sont les Ophites, et peut-être encore quelques autres dont les sentiments sont à peu près semblables, qui, ayant renoncé absolument à Jésus, repaissent les gens d’idoles et de fantômes comme des fourbes et des imposteurs. Ce sont ces misérables qui apprennent avec tant de soin les noms de leurs portiers. C’est donc fort mal à propos que Celse adresse ces paroles aux chrétiens : Et si vous cherches de bons guides pour cela, il faut que vous fuyiez les fourbes et les imposteurs, qui vous repaissent d’idoles et de fantômes. Il ne sait pas que ces imposteurs s’accordent comme tels avec lui, et ne disent pas moins de mal que lui-même de Jésus et de toute sa religion : de sorte que nous confondant avec eux, dans son discours, il ajoute : Autrement vous serez les plus ridicules de tous les hommes, de blasphémer contre les autres qui sont reconnus pour dieux, les traitant d’idoles ; pendant que vous adores, non plus une idole, ni un fantôme, mais un mort, bien plus méprisable une les idoles et que les fantômes ; et que vous lui cherchez un père pareil à lui. Je dis qu’il confond les sentiments des chrétiens avec ceux de ces conteurs de fables ; et que s’imaginant que les reproches qui peuvent être faits à ceux-ci tombent sur nous, il nous applique des choses qui ne nous conviennent point du tout. C’est en effet ce qui paraît de ce qu’il ajoute : Entre les autres suites d’un tel abus, il faut mettre cet admirables directeurs de vos actions ; ces excellentes paroles que vous adressez au lion, à l’amphibie, au démon qui a la figure d’un âne, et aux autres ; ces portiers divins, dont vous apprenez les noms avec tant de soin et de peine, pour n’en tirer au fond d’autre fruit, misérables que vous êtes, que de vous voir cruellement tourmentés et crucifiés. Mais il ne sait pas qu’aucun de ceux, dans la pensée desquels ces démons revêtus de la figure d’un lion, d’un âne ou d’un amphibie, sont les portiers du chemin qui conduit au ciel, ne s’expose à souffrir la mort pour cette créance, quelque persuadé qu’il soit qu’elle est véritable. Ce que l’excès de notre zèle, s’il faut ainsi dire, nous fait souffrir pour la piété, jusqu’à nous abandonner à toutes sortes de supplices, même à celui de la croix, Celse l’attribue à ces gens qui ne s’exposent à rien de pareil et il nous reproche, en même temps, à nous qui nous laissons crucifier pour la véritable religion, les fables du lion et de l’amphibie, et les autres fictions de ces malheureux. Si nous rejetons toutes ces fables, ce n’est point par déférence aux conseils de Celse : car il n’y a jamais rien eu d’approchant dans notre créance : c’est que la doctrine de Jésus, laquelle nous suivons, nous donne des renseignements tout opposés ; et ne nous permet pas de dire, ni de penser que, soit Michel, soit les autres dont on parle, aient la figure qu’on leur donne. Mais il faut considérer qui sont ceux que Celse prétend que nous suivions, pour ne pas manquer de guides recommandables, et par leur antiquité, et par leur sainteté. Il nous renvoie aux poètes divinement inspirés, comme il les appelle, aux sages et aux philosophes sans nous dire leurs noms. Promettant, dis-je, de nous indiquer de bons guides, il nous propose d’une manière vague, ces poètes divinement inspirés, ces sages et ces philosophes. S’il les avait nommés chacun en particulier, nous croirions être obligés de lui montrer qu’il nous veut donner des guides qui, étant eux-mêmes aveugles pour la vérité, ne peuvent que nous faire égarer ; ou qui, s’ils ne sont pas tout à fait aveugles, ont au moins très mal vu la vérité en plusieurs points. Mais soit qu’Orphée, Parménide ou Empédocle, soit qu’Homère même ou Hésiode soient ceux qu’il entend par ces poètes divinement inspirés, que quelqu’un nous fasse un peu voir comment ceux qui suivent ces guides-là marchent dans une meilleure voie et savent mieux régler leur vie que ceux qui, instruits dans l’école de Jésus-Christ, ont rejeté toutes les statues et tous les simulacres, et même toutes les superstitions judaïques, pour n’attacher leur esprit, par le Verbe de Dieu, qu’au seul Dieu le Père du Verbe. Qui sont encore ces sages et ces philosophes qui nous doivent apprendre tant de vérités célestes, et pour lesquels Celse veut que nous abandonnions Moïse, le serviteur de Dieu, les prophètes du Créateur de l’univers, qui ont dit une infinité de choses où l’inspiration divine est tout évidente ; celui même qui est venu répandre sur le genre humain les rayons de sa lumière, et nous enseigner le chemin de la véritable piété ? Je dis sur le genre humain : il ne tient pas à lui, en effet, qu’il ne révèle ses mystères à tout le monde. L’excès de son amour pour les hommes est si grand, que, comme il a pour les plus intelligents une théologie capable d’élever leur âme au-dessus de toutes les choses terrestres, il s’accommode d’ailleurs à la portée des plus faibles et des plus simples, des moindres femmes, des plus vils esclaves, de tous ceux en un mot qui ne sont pas en état de recevoir de tout autre que de Jésus, les instructions nécessaires pour apprendre à mieux vivre, et la connaissance que peuvent avoir de Dieu des personnes de leur capacité.

Celse ensuite nous renvoie à Platon, comme à un maître beaucoup plus capable de nous éclairer l’esprit sur les matières de théologie ; et il nous rapporte ces paroles de son Timée : Il est difficile de trouver le créateur et le père de cet univers, et, après l’avoir trouvé, il est impossible de le découvrir à tout le monde. A quoi il ajoute : Vous voyez comme les hommes divins cherchent la voie de la vérité, et comme Platon a reconnu qu’il est impossible que tout le monde la suive. Mais puisque les sages ne l’ont trouvée qu’afin de nous pouvoir donner quelque idée du premier Être, qui est ineffable, une idée qui nous le représentât par celles de quelques autres sujets, soit en joignant et rassemblant celles-ci, toit en séparant et rejetant celles-là, soit en tâchant de faire concevoir, par analogie, ce qui ne se peut autrement exprimer, je serais surpris si vous pouviez prendre ce chemin, étant tout attaches à la chair, et n’ayant d’yeux que pour des choses impures. J’avoue que ces paroles de Platon sont belles et nobles, mais voyez si l’Écriture sainte ne nous donne pas l’exemple d’un amour bien plus grand pour le genre humain, en Dieu le Verbe, qui étant au commencement avec Dieu, s’est fait chair (Jean, I, 1 et 14), afin de pouvoir révéler à tous les hommes des vérités qu’il serait impossible de découvrir à tout le monde, selon le sentiment de Platon, quand même on les aurait trouvés. Nous laissons au reste dire à Platon qu’il est difficile île trouver le créateur et le père de cet univers, par où il insinue qu’il n’est pas entièrement impossible aux hommes de trouver Dieu d’une manière qui soit digne de lui, ou qui, si elle n’en est pas tout à fait digne, le soit au moins à peu près, et bien au-delà du commun. Cependant, s’il était vrai que, soit Platon, soit quelqu’autre d’entre les Grecs, eussent véritablement trouvé Dieu, jamais ils n’eussent rendu leurs adorations et leurs hommages, ni donné le nom de Dieu à d’autres qu’à lui ; ils eussent abandonné tout le reste, bien loin d’associer avec ce grand Dieu, des sujets avec lesquels il ne peut avoir aucune société. Pour ce qui est de nous, nous soutenons que la nature humaine : aucunement capable de chercher Dieu, ni de le trouver clairement, sans le secours de celui-là même qu’elle cherche. Il se fait trouver à ceux qui, après avoir fait tout ce qui dépend d’eux, confessent qu’ils ont besoin qu’il les aide ; lui qui se fait connaître à ceux à qui il juge à propos, autant que Dieu peut être connu de l’homme, et que l’âme humaine, renfermée encore dans un corps, est en état de connaître Dieu. Remarquez que quand Platon dit : Qu’après avoir trouvé le Créateur et le Père de cet univers, il est impossible de le découvrir à tout le monde, il ne le suppose pas ineffable et au-dessus de toute expression. Il prétend au contraire qu’il peut être exprimé et découvert à un petit nombre de personnes choisies. Mais Celse, comme s’il avait oublié ce qu’il vient d’alléguer de Platon, donne aussitôt à Dieu le nom d’ineffable. Puisque les sages, dit-il, n’ont trouvé cette voie, qu’afin de nous pouvoir donner quelqu’idée du premier Être qui est ineffable. Pour nous, nous ne croyons pas seulement que Dieu est ineffable, nous croyons encore qu’il y a d’autres choses qui le sont, bien qu’elles lui soient inférieures. Ce sont ces choses que saint Paul s’efforce de désigner, lorsqu’il dit : J’ai entendu des paroles ineffables, qu’il n’est permis à un homme de rapporter (II Cor., XII, 4), ici entendre est la même chose que comprendre ; comme en cet autre passage : Que celui-là l’entende, qui a des oreilles pour entendre (Matth., XI, 15). Nous croyons aussi qu’il est extrêmement difficile de voir le Créateur et le Père de l’univers : mais qu’il se peut voir pourtant, non seulement selon ce que nous lisons que : Bienheureux soient ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu (Matth., V, 8) ; mais encore selon ce qui est dit par celui qui est l’image du Dieu invisible (Col., I, 15) : Celui qui m’a vu, a vu mon Père qui m’a envoyé (Jean, XIV, 9). Il n’y a point d’homme de bon sens qui puisse croire que ce que Jésus dit là : Celui qui m’a vu, a vu mon Père qui m’a envoyé (Luc, XXIII, 21), il le dise à l’égard de son corps sensible, et exposé aux yeux de chacun. Autrement, et tous ceux qui crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 11) ; et Pilate qui avait pouvoir sur ce qu’il y avait d’humain en Jésus, seraient du nombre de ceux qui ont vu Dieu le Père, ce qui est absurde. Que ces paroles : Celui qui m’a vu, a vu mon Père, qui m’a envoyé, ne doivent pas être prises dans un sens grossier et charnel, c’est ce qui parait encore de la réponse qui fut faite à Philippe : Il y a déjà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe (Jean, XIV, 9) ? Après qu’il eut demandé : Montre-nous ton Père, et cela nous suffit (Ibid., 8). Celui donc qui pourra comprendre comment ces paroles, Le Verbe a été fait chair (Ibid., I, 14), doivent s’expliquer du Fils unique de Dieu, qui est Dieu lui-même, le premier-né de toutes les créatures (Col., I, 15) ; il comprendra aussi, comment en voyant l’image du Dieu invisible, on voit le Créateur et le Père de cet univers. Celse s’imagine qu’on peut connaître Dieu, soit enjoignant et rassemblant, soit en réparant et rejetant les idées qu’on a d’ailleurs, à peu près comme font les géomètres, dans la méthode qu’ils appellent de composition, et dans celle de l’analyse ; soit encore, en suivant les lois de l’analogie, comme font aussi les mêmes, et que de cette sorte on peut parvenir, pour ainsi dire, jusqu’aux premiers degrés et à l’entrée du vrai bien ; mais quand la parole de Dieu nous dit que nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l’aura révélé (Matth., XI, 27), elle nous déclare que Dieu ne peut être connu qu’avec le secours de la grâce d’en haut, qui est communiquée à l’âme par une faveur singulière de Dieu, et comme par une espèce d’inspiration. Il ne se peut, en effet, que la connaissance de Dieu ne passe de bien loin la portée de la nature humaine : et de là vient qu’il y a tant d’erreurs parmi les hommes sur le fait de la Divinité. C’est donc par un effet de la bonté et de l’amour de Dieu pour les hommes, c’est par une grâce surnaturelle et toute divine, qu’il accorde sa connaissance à ceux qu’il a prévu dans sa prescience, qui vivraient d’une manière digne de celui qui se ferait connaître à eux ; à ceux, dis-je, qu’il a su qui auraient pour lui une piété sincère, sans l’altérer ni la démentir jamais, quand ils devraient être condamnés au dernier supplice ; par ceux qui ne sachant ce que c’est que la piété, veulent faire passer pour piété ce qui n’est rien moins que pitié ; et quand on les devrait estimer les plus ridicules de tous les hommes. Dieu, sans doute a vu aussi l’orgueil de ces gens qui méprisent tous les autres et qui font tant les fiers de connaître Dieu et les choses divines par l’étude qu’ils ont faite de la philosophie : mais qui courent cependant comme les plus grossiers, aux simulacres, à leurs temples et à leurs fameux mystères. C’est pour cela qu’il a choisi ce qu’il y a de moins sage selon le monde (I Cor., I, 27), les plus simples d’entre les chrétiens qui vivent pourtant avec plus de retenue et de pureté, que ne font plusieurs philosophes ; c’est pour cela, dis-je, qu’il a fait un tel choix, afin de confondre ces sages, qui n’ont point honte de s’adresser à des choses inanimées, comme si c’étaient des dieux ou des représentations de dieux. Car peut-on avoir du sens et ne se pas moquer d’un homme qui, après tous ces beaux et sublimes raisonnements que la philosophie lui a enseigné à faire sur le sujet de Dieu ou des dieux, se tourne vers une statue, soit pour lui présenter ses prières, soit pour s’élever par cet objet corporel jusqu’à l’objet de l’entendement auquel il croit qu’il faut porter son esprit, par le moyen de celle chose visible qui en est le symbole ? Pour ce qui est du chrétien, même d’entre le simple peuple, il est persuadé que tous les endroits du monde sont des parties de l’univers, et que l’univers entier est le temple de Dieu. En quelque lieu donc du monde qu’il se trouve, il y prie ; mais il pousse ses prières au-delà du monde, fermant ses yeux sensuels, et n’ouvrant que ceux de son âme. Il ne s’arrête pas même sur la voûte du ciel ; il s’élève de la pensée au-dessus des cieux, guidé par l’esprit de Dieu : et comme s’il avait franchi les bornes du monde, il adresse ses prières à Dieu, mais non pas pour des choses de peu d’importance (Matth., VI, 33). Car il a appris de Jésus a ne chercher rien de bas, ni rien d’abject, c’est-à-dire, rien de ce qui regarde les sens, mais à chercher seulement les choses hautes et relevées, les choses véritablement divines, que Dieu nous accorde, pour nous mettre et pour nous conduire dans la voie de la félicité, de cette félicité qu’on trouve auprès de lui, par son Fils, le Verbe de Dieu.

Mais voyons enfin ce que Celse promet de nous enseigner, et tâchons, s’il se peut, de le comprendre, nous qu’il traite, au même endroit, de gens tout attachés à la chair, bien que, si nous vivons comme il faut et conformément aux préceptes de Jésus, nous puissions nous assurer d’être dégagés de ces liens, suivant ce qui nous est dit : Vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’esprit, si au moins l’Esprit de Dieu habite en vous (Rom., VIII, 9). Il nous accuse encore de n’avoir d’yeux que pour des choses impures, nous qui nous efforçons de conserver jusqu’à nos pensées, exemptes des impuretés qui naissent de la suggestion des vices ; nous qui, pour pouvoir contempler Dieu avec un cœur pur, qui seul est capable de le voir (Matth., V, 8), lui adressons celle prière : Mon Dieu, crée en moi un cœur pur, et renouvelle l’esprit de justice au-dedans de moi (Ps. LI, 12). Voici donc ce qu’il dit : Il y a des objets intelligibles qu’on nomme substances : il y en a de visibles, produits par la génération. Les premiers ont la vérité avec eux : les autres ont l’erreur. La vérité forme la science, la vérité et l’erreur forment l’opinion. L’objet intelligible se connaît par l’entendement, l’objet visible par les yeux : l’action de l’entendement se nomme intelligence, celle des yeux, vue. Comme donc, parmi les choses visibles, le soleil n’est ni l’œil ni la vue, mais c’est lui qui est cause que l’ ? il aperçoit, et que la vue se fait, et que les objets visibles se voient, et que toutes les choses sensibles existent, et que lui-même peut être vu : ainsi, parmi les choses intelligibles, celui qui n’est ni l’entendement, ni l’intelligence, ni la science, est pourtant la cause qui fait que l’entendement connaît, que l’intelligence en résulte, que la science s’en forme, que tous les objets intelligibles, la vérité même et les substances ont leur être : étant lui-même intelligible d’une manière ineffable, par où il est infiniment au-dessus de tout cela. Ces réflexions sont pour les personnes intelligentes ; mais si vous pouvez, vous aussi, y comprendre quelque chose, ce n’est pas un petit avantage, et si vous avez cette pensée, que quelqu’Esprit soit descendu, de la part de Dieu, pour déclarer aux hommes les choses divines, c’est sans doute l’Esprit qui a révélé ces vérités ; c’est de ce même esprit que les anciens ont été remplis, pour publier tant de belles et de bonnes choses. Peut-être qu’elles passent votre portée ; mais en ce cas, vous devez vous taire, et cacher votre ignorance, sans aller dire que ceux qui voient clair sont aveugles, et que ceux qui courent sont boiteux : pendant que vous-mêmes êtes boiteux et entièrement estropiés, à l’égard de votre âme, n’ayant de vie qu’à l’égard de votre corps, c’est-à-dire de la partie de votre être qui est morte. Nous prenons à tâche de ne combattre jamais ce qui est bien dit, et quoique ceux qui le disent ne soient pas de notre créance, nous ne voulons point les contredire ni chercher à détruire ce qu’ils avancent de conforme à la raison. Mais ici, nous devons répondre aux injures que l’on dit à des hommes qui font leurs efforts pour vivre dans la piété qu’ils doivent au Dieu de l’univers, ce Dieu qui agrée la foi que les simples ont en lui, aussi bien que la dévotion raisonnée de ceux qui ont plus de connaissance (Phil., IV, 6), puisque tant les uns que les autres adressent au Créateur du monde leurs prières et leurs actions de grâces, comme ils savent qu’il faut les lui adresser, par le grand sacrificateur qui a enseigné aux hommes la manière de servir Dieu purement. Nous disons donc que ces boiteux et ces estropiés à l’égard de l’âme, qui n’ont de vie qu’à l’égard du corps, la partie de leur être qui est morte, ne se proposent pourtant autre chose, que de pouvoir dire avec sincérité : Encore que nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair : car les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais elles sont accompagnées de la vertu de Dieu (II Cor., X, 3 et 4). C’est à ceux qui disent des injures à des personnes qui n’ont d’autre désir que d’être a Dieu, à prendre garde que, par cela même, ils ne se rendent boiteux a l’égard de l’âme, et n’estropient leur homme intérieur, lui arrachant, par les calomnies dont ils chargent les autres, qui s’étudient à bien vivre, celle équité et cette modération, dont le Créateur avait mis des semences naturelles dans les êtres à qui il avait donné de la raison. Pour ceux qui, parmi les autres leçons que donne la parole de Dieu, ont appris et pratiquent celle-ci : Quand on nous maudit, nous bénissons ; quand on nous persécute, nous le souffrons ; quand on nous dit des injures, nous répondons par des prières (I Cor., IV, 12 et 13) ; ceux-là peuvent dire qu’ils ont une âme qui marche droit, une âme toute pure et bien disposée. Ce n’est pas seulement en paroles, qu’ils distinguent la substance d’avec la génération, et les objets intelligibles d’avec les visibles, qu’ils attachent la vérité à la substance, et qu’ils fuient de tout leur pouvoir l’erreur jointe à la génération. Ils regardent, selon les enseignements qu’ils ont reçus, non les choses produites par la génération, qui étant visibles, ne peuvent être que pour un temps, mais de bien meilleures choses, soit qu’on veuille les appeler substance, soit qu’on les nomme spirituelles, parce que elles ne se connaissent que par l’entendement, soit qu’on leur donne le nom d’invisibles, parce qu’elles ne tombent pas sous les sens (II Cor., IV, 18). Si les disciples de Jésus jettent les yeux sur les choses qui sont produites par la génération, ce n’est qu’afin de s’en servir comme de degrés, pour s’élever à la connaissance des objets intelligibles. Car les choses divines, qui sont invisibles dans la création du monde, c’est-à-dire, les êtres intelligibles, se connaissent par la voie de la contemplation, quand on les considère dans les ouvrages visibles (Rom., I, 20). Lorsque les chrétiens se sont ainsi élevés, par le moyen des créatures de ce monde, à ces choses divines qui sont invisibles, ils ne s’y arrêtent pas ; mais après s’y être suffisamment exercés et en avoir compris la nature, ils montent jusqu’à la puissance éternelle de Dieu, en un mot, à sa Divinité. Ils savent que ce Dieu, plein de bonté pour les hommes, a voulu que sa vérité et ce qui peut le faire connaître (Ibid., 10) fût clairement découvert, non seulement à ceux qui se consacrent à lui, mais à quelques-uns, même de ceux qui sont éloignés de la solide piété et du pur service qu’il demande. Que cependant, plusieurs de ceux qui, par la Providence de Dieu, étaient parvenus à la connaissance de ces choses si élevées, sont des impies qui, ne faisant rien de digne de leur connaissance, retiennent la vérité dans l’injustice (Ibid., 18), et qui ne sauraient plus y trouver d’excuse (Ibid., 20) auprès de Dieu, après les sublimes connaissances qu’il leur a données. Car l’Écriture sainte témoigne de ceux qui ont acquis la science de ces choses dont Celse nous parle, de ceux, dis-je, qui font profession d’une philosophie fondée sur ces principes ; qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces, mais qu’ils se sont laissé aller à leurs vains raisonnements (Ibid., 21), et que, malgré la grande lumière des connaissances dont Dieu les avait éclairés, leur cœur sans intelligence s’est précipite de lui-même dans les ténèbres. Aussi voit-on que des gens, qui voulaient passer pour si sages (Rom., I, 22), ont donné des marques d’une extrême folie lorsqu’après avoir fait tant de beaux raisonnements dans leurs écoles, sur la Divinité et sur les êtres intelligibles, ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en des représentations et en des images d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents (Ibid., 23). Comme donc ils n’ont pas vécu d’une manière digne des connaissances qu’il avaient reçues de Dieu, sa Providence les abandonnant à eux-mêmes, ils se sont laissé emporter aux désirs de leur cœur, pour se plonger dans l’impureté (Ibid., 24), et ils ont déshonoré leur corps par toutes sortes d’ordures et d’infamies, après avoir changé, comme ils avalent fait, la vérité de Dieu en des faussetés, et avoir rendu leurs services et leurs hommages aux créatures, au lieu de les rendre au Créateur (Ibid., 25). Mais ceux dont ils méprisent si fort la simplicité, qu’ils les traitent de fous et de misérables, ceux-là ne se sont pas plutôt remis entre les mains de Dieu en recevant la doctrine de Jésus, que, bien loin de se souiller dans les impuretés et dans les ordures, et dans toutes les voluptés déshonnêtes de l’amour, on en voit plusieurs qui, comme des sacrificateurs parfaits, pour qui tous les plaisirs de cette nature n’ont aucune amorce, se conservent entièrement purs en eux-mêmes, non contents de s’abstenir de l’acte. Les Athéniens ont leur Hiérophante qui, n’osant se fier à lui-même, ni se promettre de pouvoir si bien modérer l’ardeur de ses désirs, qu’il en soit toujours le maître, les amortit jusque dans leur source par l’usage de la ciguë ; et qui, dans cet état, est estimé assez pur pour faire le service public de la religion établie par les lois d’Athènes. Mais il s’en voit, parmi les chrétiens, et il ne s’y en voit pas pour un, qui n’ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu, purement, et à qui il ne faut point d’autre remède que sa parole, pour bannir de leur cœur toutes les mauvaises pensées, afin qu’ils puissent présenter leurs vœux à la Divinité. Auprès des autres dieux, qui ne le sont que de nom, il y a quelques vierges, en très petit nombre, qui étant gardées par des hommes ou ne l’étant point, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit maintenant, semblent vivre dans une pureté constante en l’honneur de la Divinité qu’elles servent. Mais ceux d’entre les chrétiens qui gardent une virginité perpétuelle, ne le font ni pour des honneurs mondains, ni pour des intérêts d’avarice ou de vaine gloire, ni en vue de quelque autre récompense. Et comme ils font leur plaisir d’avoir la connaissance de Dieu, Dieu les conserve aussi dans cet esprit qui lui plait, afin qu’ils fassent ce qui est conforme a la raison, étant tout remplis de justice et de bonté (Rom., I, 28, 29). Ce que je viens de dire au reste n’est pas dans le dessein de disputer sur ce que les Grecs eux-mêmes ont pensé de plus juste, ni pour condamner ce qu’il y a de bon dans leurs sentiments, j’ai seulement voulu faire voir que ces mêmes choses, ou des choses encore bien plus excellentes et plus divines, ont été dites par les hommes divinement inspirés, les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus. C’est aussi à les approfondir que s’appliquent ceux qui veulent acquérir les plus parfaites connaissances du christianisme, et qui savent que la bouche du juste méditera la sagesse, que sa langue parlera de Injustice, et que la loi de son Dieu est dans son cœur (Ps. XXXVII, 30 et 31). Pour ceux que leur basse condition, leur grande simplicité, ou le peu d’habitude qu’ils ont avec les personnes qui pourraient les conduire à une piété éclairée, empêchent d’approfondir ces choses, mais qui ne laissent pas de croire au grand Dieu et en son Fils unique, Dieu le Verbe, ceux-là font paraître dans leurs mœurs une gravité, une pureté, une intégrité, et une innocence qui est souvent dans un degré plus parfait, pendant que ces gens qui veulent passer pour sages (Rom., I, 22), sont si éloignés de ces vertus, qu’ils se souillent, contre les lois de la nature, avec des personnes de leur sexe, commettant les uns avec les autres des choses abominables (Ibid., 27). Celse n’explique point comment l’erreur accompagne la génération ; et il ne fait pas assez entendre ce qu’il veut dire, pour nous donner lieu de comparer sa pensée avec les nôtres, et d’en pouvoir bien juger. Mais les prophètes, qui ont bien voulu nous découvrir ce qui mérite d’être su, sur le sujet des choses produites par la génération, nous disent que le sacrifice expiatoire est offert, même pour les enfants nouveau-nés (Lévitiq., XII, 6), comme n’étant pas exempts de la souillure du péché. J’ai été conçu dans le vice, disent-ils encore, et j’étais dans le péché quand ma mère me portait dans son sein (Ps. LI, 7). Ils déclarent même que les méchants se sont éloignés de leur devoir, pendant qu’ils étaient encore dans les flancs de leur mère, ajoutant, par une espèce de paradoxe, qu’avant qu’elle les eût mis au monde, ils suivaient déjà des voies égarées et proféraient des mensonges (Ps. LVIII, 4). D’ailleurs nos sages marquent tant de mépris pour toutes les choses sensibles, que tantôt ils traitent de vanité toute la nature corporelle et matérielle, disant que les créatures ont été assujetties à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui les y a assujetties avec espérance (Rom., VIII, 20) ; tantôt ils la traitent de vanité des vanités, comme fait l’Ecclésiaste : Vanité des vanités, s’écrie-t-il, tout n’est que vanité (Ecclésiaste, I, 2). Qui a jamais fait une peinture si peu avantageuse de la vie que l’âme de l’homme mène ici-bas, que celui qui a dit : Il n’y a que vanité au monde, tout homme vivant n’est autre chose (Ps. XXXIX, 6). Il ne balance point sur la différence qui se trouve entre cette vie présente et une autre vie ; et il ne dit pas.

Qui sait si mourir n’est point vivre,
Et si vivre n’est point mourir ?
EURIPIDE.

Il prononce hardiment en faveur de la vérité. Notre âme, dit-il, a été abaissée jusque dans la poudre (Ps. XLIV, 26). Et encore : Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort (Ps. XXII, 16). A quoi se rapporte aussi ce qui est dit ailleurs : Qui me délivrera de ce corps sujet à la mort (Rom., VII, 24) ? Et ceci tout de même : Il transformera notre corps vil et abject (Philip., III, 21). C’est encore un prophète qui a dit : Tu nous as abattus dans le lieu de l’affliction (Ps. XLIV, 20), entendant par le lieu de l’affliction ces lieux terrestres où Adam, c’est-à-dire l’homme, se retira après avoir été chassé du paradis à cause de son péché (Gen., III, 23). Voyez, je vous prie, si l’on peut mieux parler de la différente vie des âmes que celui qui a dit : Nous voyons présentement dans un miroir et d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12) ; et, Tant que ce corps nous sert de demeure, nous demeurons loin du Seigneur ; c’est pourquoi nous souhaitons de quitter la demeure de ce corps, pour aller demeurer avec le Seigneur (II Cor., V, 6, 8). Mais qu’est-il besoin que j’oppose un plus grand nombre de nos passages aux paroles de Celse pour faire voir qu’elles ne contiennent rien qui n’ait été dit parmi nous longtemps auparavant, puisque ceux que nous avons allégués jusqu’ici suffisent pour justifier clairement notre prétention ? Il semble que ce qu’il ajoute y ait quelque rapport. S’il est vrai que quelqu’esprit soit descendu de la part de Dieu pour déclarer aux hommes les choses divines, c’est sans doute l’esprit qui a révélé ces vérités ; c’est de ce même esprit que les anciens ont été remplis, pour publier tant de belles et de bonnes choses. Mais il ne sait pas combien cela est différent des excellentes pensées de ceux qui nous disent : Ton esprit incorruptible est répand partout, ô Dieu ! c’est pourquoi tu corriges peu à peu ceux qui tombent en quelque faute (Sag., XII, 1, 2), de ceux qui nous apprennent encore parmi leurs autres enseignements, que ces mots, Recevez le Saint-Esprit (Jean, XX, 22), nous marquent, dans ce qui est donné, une qualité différente de celle qui est désignée par ceux-ci : Vous serez baptisés du Saint-Esprit dans peu de jours (Act., I, 5). On ne saurait, au reste, sans beaucoup de peine et d’étude, concevoir la différence qu’il y a entre ceux qui ne reçoivent la connaissance de la vérité, c’est-à-dire celle de Dieu, qu’à diverses fois, par intervalles et pour peu de temps, et ceux qui ont un perpétuel commerce avec Dieu, qui sont toujours animés de sa vertu, et toujours conduits par son esprit. Si Celse s’y était appliqué avec assez de soin pour y réussir, il ne nous accuserait pas d’ignorance. et il ne nous défendrait pas de traiter d’aveugles ceux qui croient que la piété se fait voir par les ouvrages qui sortent de la main des hommes, et par les productions d’un art mécanique, tel que la sculpture. Un homme qui a les yeux de l’âme bien disposés, ne sert jamais la Divinité par d’autres voies que par celles qui le conduisent à avoir toujours en vue le Créateur de l’univers, à n’adresser de vœux qu’à lui seul, et à faire toutes ses actions comme sous les yeux de Dieu, qui sont si perçants, qu’ils pénètrent jusque dans nos pensées. Notre désir est donc, et de voir nous-mêmes, et d’être les guides des aveugles pour les amener à la parole de Dieu (ou au Verbe), qui leur fasse recouvrer la vue de l’âme, que l’ignorance leur avait fait perdre. Mais c’est en nous rendant dignes de celui qui disait à ses disciples : Vous êtes la lumière du monde (Matth., V, 14) ; de ce Verbe divin qui enseignait que la lumière a relui dans les ténèbres (Jean, I, 5) ; c’est par là, dis-je, que nous deviendrons la lumière de ceux qui sont couverts de ténèbres, que nous donnerons de la sagesse à ceux qui en manquent, que nous instruirons les ignorants (Rom., II, 19, 20). Cependant, que Celse ne trouve pas mauvais si nous prenons pour des boiteux, pour des gens estropiés à l’égard de l’âme, ceux qui courent aux temples comme à des lieux qui ont quelque sainteté réelle, sans considérer que la main d’un vil artisan ne peut rien faire qui soit effectivement sacré. Ceux qui suivent la religion de Jésus courent aussi, jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au but de leur course : et c’est alors qu’ils s’écrient avec toute la force et la confiance que donne la vérité : J’ai bien combattu dans la lice, j’ai fourni ma course, foi conservé la foi ; il ne me reste que de recevoir la couronne qui m’est réservée avec justice. (II Tim., IV, 7, 8) ! Mais quand nous courons tous ainsi, ce n’est pas sans avoir de but certain ; quand nous combattons contre le vice, ce n’est pas comme donnant des coups en l’air (I Cor., IX, 26), c’est plutôt comme attaquant les sujets du prince qui a l’empire de l’air, de cet esprit qui déploie maintenant son efficace dans les incrédules (Ephés., II, 2). Que Celse dise donc que nous ne vivons qu’à l’égard de notre corps, la partie morte de notre être, nous à qui s’adressent ces paroles : Si vous vivez selon la chair, vous ne pouvez éviter la mort ; mais si vous mortifiez par l’esprit les actes du corps, vous vivrez (Rom., VIII, 13) : et qui savons encore que si nous vivons par l’esprit, nous devons aussi nous conduire par l’esprit (Gal., V, 25). Tâchons seulement de faire en sorte que nos actions convainquent de mensonge celui qui nous fait ce reproche.

Après ce que nous venons d’examiner, selon que nous en avons été capables, Celse nous parle de la sorte : Si vous aviez tant d’envie d’innover, combien auriez-vous mieux fait de choisir quelqu’un qui fut mort glorieusement, et en qui la fiction qui l’aurait fait Dieu, trouvât au moins à se soutenir ? Si vous ne vous accommodiez pas d’Hercule, d’Esculape, et de ces autres héros de l’antiquité. vous aviez Orphée qui était sans contredit un homme divinement inspiré et qui est mort lui aussi, de mort violente. Mais peut-être que vous aviez été devancés par d’autres à son égard. Vous pouviez donc prendre Anaxagore que qui, comme on le pilait dans un mortier avec la dernière barbarie, témoignait un généreux mépris pour ce supplice. Broyez, broyer, disait-il, l’étui d’Anaxarque ; car pour lui vous ne le touchez point. Parole vraiment digne de l’Esprit divin. Mais il y en avait encore d’autres qui faisaient déjà profession d’être ses disciples pour la physique. Vous pouviez prendre Épictète qui comme son maître lui tordait violemment la jambe : Vous me rompez la jambe, lui dit-il en souriant et sans s’émouvoir ; et comme il la lui eût rompue, ne l’avais-je pas bien dit, ajouta-t-il, que vous me la rompriez ? Qu’est-ce que votre Dieu a dit de pareil dans les tourments ? Quand vous vous seriez adressés à la Sybille, dont quelques-uns de vous font valoir l’autorité, vous auriez été mieux fondés à lui donner Dieu pour père. Mais vous avez pris le vain parti de faire glisser dans ses écrits plusieurs choses pleines d’impiété, et vous nous présentez pour Dieu, celui qui a fini son infâme vie par une mort pleine de misère. N’aviez-vous pas des sujets incomparablement plus propres pour votre dessein, et en Jonas, englouti par le grand poisson, et en Daniel, échappé des griffes des lions, et en d’autres, dont les aventures tiennent encore plus du prodige ? Puisqu’il nous renvoie à Hercule, qu’il nous produise quelques-uns de ses discours dont la mémoire se soit conservée, et qu’il le justifie de sa honteuse servitude chez Omphale Qu’il nous fasse voir si les honneurs divins peuvent être dus à un homme qui enlève par force, comme un voleur de grand chemin, et qui dévore ensuite le bœuf d’un pauvre laboureur, se divertissant à s’entendre maudire par ce misérable dont il mangeait le bien : d’où vient qu’encore à présent on accompagne de malédictions, à ce que l’on dit, les sacrifices qu’on offre au démon, qui se fait adorer sous le nom d’Hercule. Il nous parle encore d’Esculape, pour nous obliger à répéter ce que nous en avons déjà dit mis nous nous en contentons. Pour Orphée, que trouve-t-il en lui de si admirable, qui lui fasse dire que c’était sans contredit un homme divinement inspiré ; ce qui suppose une vie sainte ? Je suis fort trompé si la chaleur de Celse à disputer contre nous, et son dessein d’abaisser Jésus, ne sont la cause des louanges qu’il donne ici à Orphée, et si, quand il a lu des vers qui célèbrent des divinités, dont ils content des fables si impies, il ne les a rejetés lui-même avec indignation, comme des vers qui méritent mieux que ceux d’Homère, d’être bannis d’une république bien policée. En effet, ce qu’Orphée dit des dieux, les rend beaucoup plus indignes de ce nom que ce qu’en dit Homère. j’avoue qu’il a de la grandeur d’âme dans cette parole d’Anaxarque à Aristocréon, tyran de Chypre : Broyez, broyez l’étui d’Anaxarque. Mais c’est la seule chose digne d’admiration que les Grecs puissent rapporter de lui, et quoiqu’il ait mérité par-là d’être révéré, et de Celse, et des autres, à cause de sa vertu, il ne faut pas dire pourtant qu’il doive être mis au rang des dieux. On nous propose aussi Épictète, dont on admire justement la fermeté, bien qu’au fond ce qu’il dit, quand son maître lui rompait la jambe, n’ait rien de comparable, ni avec les actions étonnantes de Jésus, que Celse refuse de croire, ni avec ses merveilleux discours : ces discours, qui ont été tellement accompagnés de la vertu divine, qu’encore à présent ils convertissent non quelques personnes simples seulement, mais plusieurs même des plus éclairées. Puisqu’il ajoute, après avoir fait l’énumération de tous ceux à qui il nous renvoie : Qu’est-ce que votre Dieu a dit de pareil dans les tourments (I Pier., II, 23) ? il lui faut répondre que le silence de Jésus, sous les coups et au milieu des supplices, a marqué plus de fermeté et de constance que tout ce que les Grecs ont pu dire dans les maux qu’ils souffraient. Celse refusera-t-il de croire ce qu’en disent de bonne foi des auteurs sincères, qui ont écrit dans toute la vérité ce que Jésus a fait d’étonnant, et qui mettent au nombre des choses de cet ordre le silence qu’il garda pendant qu’on le déchirait à coups de fouet ? Il conserva toujours cette merveilleuse douceur dans les insultes qui lui furent faites, et quand on le revêtit d’un manteau d’écarlate, et quand on lui mit sur la tête une couronne d’épines, et quand on lui mit dans la main un roseau au lieu de sceptre, il ne lui échappa jamais rien de bas, jamais une parole de ressentiment contre ceux qui lui faisaient tant d’outrages (Matth., XXVII, 26, 28, 29). Puis donc qu’il a eu la constance de se laisser fustiger sans ouvrir la bouche, et qu’il a souffert avec tant de douceur toutes les insultes de ceux qui l’outrageaient, il n’a pas été capable de dire par faiblesse comme quelques-uns se l’imaginent : Mon Père, que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible : toutefois qu’il en soit non selon ma volonté, mais selon la tienne (Matth., XXVI, 39). La prière qui semble être renfermée dans ces paroles pour l’éloignement de ce qui est désigné par le nom de calice, cache un sens que nous avons expliqué ailleurs, où nous l’avons examiné plus particulièrement. Mais pour les prendre le plus simplement qu’il est’ possible, voyez si dans cette prière, il n’y a rien qui blesse la piété que l’on doit à Dieu, et s’il n’est pas naturel à tous les hommes de regarder les adversités non comme des choses désirables d’elles-mêmes mais comme des accidents qu’il faut soutenir quand on s’y trouve exposé, quoiqu’on voulût bien ne l’être pas. Outre que ces paroles, toutefois qu’il en soit, non selon ma volonté, mais selon la tienne, ne sont pas les paroles d’un homme qui succombe sous le faix, mais d’un homme qui supporte patiemment les maux qui lui arrivent, et qui se soumet avec respect aux ordres de la Providence. Celse veut ensuite, je ne sais pas par quelle raison, qu’au lieu de donner Dieu pour Père à Jésus, nous eussions mieux fait de le donner à la Sibylle, dans les écrits de laquelle il soutient que nous avons fait glisser plusieurs choses pleines d’impiété. Mais il ne fait point voir quelles sont ces choses que nous avons fait glisser dans les écrits de la Sibylle ; ce qu’il devait faire, en produisant des vieux exemplaires non altérés, où ne se trouvât point ce qu’il croit que nous y avons fait glisser : et il ne se met pas même en peine de justifier que ce soient des choses pleines d’impiété. Il poursuit ; et parlant de la vie de Jésus, il la traite d’infâme vie. comme il a déjà fait, non deux ou trois fois, mais très souvent. Il ne s’arrête point cependant à examiner chacune des actions que Jésus a faites pendant sa vie, ni à nous marquer ce qu’il y trouve d’infâme. Il veut avoir le privilège non seulement d’avancer des choses sans les prouver, mais aussi de dire des injures sans connaître celui à qui il les dit. Au lieu que s’il s’était attaché à faire voir quelle sortie d’infamie il trouve dans la vie et dans les actions de Jésus, nous, de notre côté, nous serions mis en devoir de défendre tous les endroits par où il les aurait attaquées. Pour ce qui est de la mort pleine de misère, qu’il reproche à Jésus, c’est un reproche que l’on pourrait faire aussi, et à Socrate et à cet Anaxarque dont il vient de nous parler, et à une infinité d’autres. Si la mort de Jésus a été pleine de misère, peut-on dire que la leur ne l’ait pas été ? Et si leur mort n’a pas été pleine de misère, peut-on dire que celle de Jésus l’ait été ? Vous voyez encore ici que Celse n’a pour but que de faire des outrages à Jésus : et je ne puis m’imaginer autre chose sinon qu’il y est poussé par quelque esprit du nombre de ceux dont Jésus a détruit et abattu la puissance, qui maintenant se trouvent privés de la fumée et du sang dont ils se nourrissaient, en séduisant ceux qui cherchent Dieu sur la terre, dans les simulacres, au lieu de s’élever jusqu’au vrai Dieu, le souverain Maître de toutes choses. Après cela, comme s’il ne se proposait que de grossir son livre, il assure que nous aurions eu plus de raison de prendre Jonas pour Dieu, que de faire passer Jésus pour tel : et il met ainsi Jonas, qui n’a prêché la pénitence qu’à la seule ville de Ninive (Jon., III, 4), au-dessus de Jésus, qui l’a prêchée à tout le monde et avec bien plus de fruit. Il trouverait bon que nous fissions un dieu de celui qui, par un miracle surprenant, est demeuré trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson (Ibid.. II, 1), et il trouve mauvais que celui qui a bien voulu souffrir la mort pour les nommes, celui à qui Dieu a rendu témoignage par les prophètes et qui a fait, et au ciel et sur la terre, des choses si admirables et si avantageuses, soit estimé à cause de cela même digne d’un honneur qui ne le cède qu’a celui que l’on rend au grand Dieu. Pour Jonas, il fut englouti par le poisson (Ibid., I, 3) parce qu’il refusait d’aller faire les dénonciations dont Dieu l’avait chargé : mais Jésus a souffert la mort pour les hommes, après avoir prêché la doctrine que Dieu lui avait donné ordre d’apporter au monde. Celse ajoute que nous aurions dû plutôt adorer Daniel, échappé des griffes des lions (Dan., VI, 23) que Jésus, qui a foulé aux pieds la férocité de toutes les puissances ennemies (Col., II, 15 ; Luc., X, 19), et qui nous donne le pouvoir de marcher sur les serpents, sur les scorpions sur toutes les forces de l’adversaire. Enfin n’en ayant plus d’autres à nommer, il achève en disant : Et d’autres dont les aventures tiennent encore plus du prodige : par où il veut aussi donner atteinte à Jonas et à Daniel ; car l’esprit qui est en Celse ne sait ce que c’est que de dire du bien des justes.

Voyons maintenant ce qu’il ajoute : Ils ont aussi, dit-il, ce précepte : que l’on ne doit point repousser les outrages ; et voici comme ils l’expriment ; Si l’on vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre (Matth., V, 39). Mais la même chose a été dite longtemps avant eux. Tout ce qu’il y a du leur, ce n’est que l’expression grossière. En effet, Platon introduit Socrate s’entretenant de la sorte avec Criton. Il ne faut donc faire d’injustice à personne. Sans doute. Ni même, quoi qu’on en pense ordinairement, à ceux qui nous font injustice les premiers, puisqu’en général il ne faut faire aucune injustice. C’est ce qu’il me semble. Mais dites-moi, Criton, est-il permis de faire du mal ou s’il ne l’est pas ? Je ne crois pas qu’il le soit. Socrate. Et si l’on nous fait du mal, est-il juste que nous en rendions, comme la plupart se l’imaginent, ou s’il n’est pas juste ? Il n’est pas juste, à mon avis : car il n’y a point de différence entre faire du mal à quelqu’un et lui faire injustice. Vous avez raison : de sorte qu’il ne faut ni faire injustice à aucun homme, ni lui faire du mal de quelque manière que vous en ayez été traité. C’est ainsi que parle Platon ; et il ajoute encore : Voyez donc bien si vous êtes en ceci d’accord avec moi, et si nous pouvons bâtir sur ce fondement ; qu’il n’est jamais permis de faire injustice, quand même nous y aurions été provoqués, ni de rendre le mal que l’on nous a fait ; ou si vous êtes d’une autre opinion, et ne voulez pas admettre ce principe, ç’a toujours été mon sentiment et ce l’est encore. Voilà quelles sont les maximes de Platon, et les hommes divins qui l’ont précède, en avaient de toutes pareilles. Mais que cela suffise sur ce sujet ; et sur les autres matières que ces gens n’ont prises d’ailleurs que pour les gâter. Si quelqu’un en veut faire un examen plus exact, il peut se satisfaire sans beaucoup de peine. Il est aisé de répondre ici et ailleurs, où quand Celse ne peut attaquer directement la vérité des choses que nous disons, il soutient qu’elles ne nous sont pas particulières, et que les Grecs les ont dites aussi bien que nous. Car si le dogme est bon en lui-même et qu’il ne nous engage à rien que d’honnête, soit qu’il ait été proposé par les Grecs dans les écrits de Platon ou de quelque autre de leurs sages, soit qu’il ait été avancé par les Juifs dans les livres de Moïse, ou dans ceux de quelqu’un des prophètes, soit qu’il ait pris son origine parmi les chrétiens dans les enseignements qui nous restent de Jésus-Christ ou de ses apôtres, cela n’en change point la nature. Il ne faut pas s’imaginer que ce soit une objection valable contre une chose due par les Juifs ou par les chrétiens, de soutenir qu’elle a aussi été dite par les Grecs, surtout si nous faisons voir que les Juifs l’emportent sur les Grecs pour l’antiquité. Il ne faut pas croire non plus que les belles expressions des Grecs fassent nécessairement qu’une même chose soit meilleure étant dite par eux qu’étant dite par les Juifs ou par les chrétiens qui l’expriment d’une manière plus simple et moins noble ; bien qu’au reste le style des anciens Juifs, je veux dire celui des prophètes, dans les livres qu’ils nous ont laissés, ait aussi ses grâces conformes au génie de la langue hébraïque, en laquelle ces livres ont été écrits. Si même il faut montrer, quoiqu’il semble que ce soit un paradoxe, que ces dogmes, les mêmes dans le fond, sont mieux exprimés par les prophètes des Juifs ou par les auteurs des chrétiens, on le peut prouver de cette sorte par une comparaison prise des viandes et de la différente manière de les apprêter. Supposons qu’une viande saine et capable de fortifier ceux qui en usent, soit apprêtée et assaisonnée non pour des gens peu accoutumés aux ragoûts, pour des laboureurs, des paysans, et des misérables ; mais pour des personnes qui vivent à leur aise et qui aiment à se bien traiter. Supposons encore que cette même viande soit apprêtée non comme le demandent les personnes délicates, mais comme elle a coutume de l’être pour les pauvres, pour les gens de la campagne et pour les nommes du commun. Si l’on m’avoue, selon la supposition, que dans l’état où est cette viande par la première manière de l’apprêter, il n’y a que ceux qu’on appelle communément les gens de qualité qui en mangent et qui en ressentent les bons effets, pendant que tous les autres n’en goûtent pas ; au lieu que dans l’autre état, le reste des hommes en mangent à millions et en reçoivent de l’utilité, lesquels estimerons-nous le plus par rapport à l’avantage public, ceux qui apprêtent ces bonnes viandes pour n’être servies qu’à des personnes de marque, ou ceux qui les apprêtent pour le plus grand nombre ? Je veux que de l’une et de l’autre manière ces viandes soient également saines et nourrissantes ; toujours est-il constant que si nous sommes obligés d’aimer tous les hommes et de leur faire du bien, il suit de là que les devoirs de l’humanité sont mieux remplis par un médecin, qui prend soin de la santé de tout le monde indifféremment, que par un autre, qui se borne à conserver celle de quelques particuliers. Après avoir bien compris cette comparaison, il faut l’appliquer aux aliments spirituels dont la partie raisonnable de notre être se nourrit. Voyez donc si Platon et les premiers sages d’entre les Grecs, dans les belles choses qu’ils débitent, ne sont pas comme ces médecins qui, donnant uniquement leurs soins à la santé de ceux qui tiennent un rang considérable dans le monde, négligent celle de tout le reste des hommes. Au lieu que les prophètes des Juifs et les disciples de Jésus, qui font un grand mépris de tout cet artificieux arrangement de paroles, de cette sagesse des hommes (I Cor., II, 4), comme elle est nommée dans l’Écriture, de cette sagesse selon la chair (II Cor., I, 12), qui ne veut pas parler naturellement, ressemblent à ceux qui s’étudient à rendre d’une utilité plus générale les bonnes qualités des aliments qu’ils apprêtent. C’est pour cela que ceux dont je parle accommodent leurs expressions à la portée de l’esprit du peuple, et qu’ils n’affectent point un langage différent du sien, de peur de le rebuter par cette affectation, et d’empêcher qu’il n’écoute des discours qui seraient tout à fait étranges pour lui. En effet, si le véritable usage de l’aliment spirituel, pour continuer à m’exprimer de la sorte, est de rendre doux et patient celui qui le mange, peut-on nier qu’il ne soit mieux apprêté lorsqu’il est en état de donner de la douceur et de la patience à une infinité de personnes, ou de les faire au moins avancer dans l’acquisition de ces vertus, que lorsqu’il n’est propre qu’à faire un petit nombre d’hommes doux et patients, quand il serait vrai qu’il en pourrait faire quelques-uns ? Si un Grec avait entrepris de donner de salutaires leçons à des gens qui n’entendraient que l’égyptien ou le syriaque, la première chose qu’il ferait, ce serait d’apprendre leur langue : et il aimerait mieux passer pour barbare dans la Grèce, en parlant comme les Égyptiens ou les Syriens, pour pouvoir leur être utile, que de demeurer toujours Grec et de n’avoir pas le moyen de les instruire. Ainsi la bonté divine, qui étend ses soins non seulement sur ceux qui sont en réputation de bien entendre les sciences grecques, mais en général sur tous les hommes, proportionne ses enseignements à la capacité de cette foule de personnes simples à qui elle les adresse. Elle veut attirer l’attention des moins polis, qui font le grand nombre par des façons de parler qui leur soient familières, afin que de la sorte, étant une fois introduits, ils puissent facilement et comme à l’envi pénétrer jusqu’à ce qu’il y a de plus profond dans les mystères de l’Écriture. Car il n’y a point d’homme qui en la lisant, ne soit obligé de reconnaître qu’elle contient plusieurs choses, dont on peut dire qu’elles renferment un sens plus caché que celui qui se présente d’abord ; mais ce sens n’est que pour ceux qui s’appliquent à méditer cette divine parole, et il se laisse voir à eux à proportion des soins qu’ils y donnent et de l’ardeur qu’ils y apportent. Nous avons donc montré que, lorsque Jésus a dit grossièrement, comme le veut Celse : si l’on vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre, et si quelqu’un veut entrer en procès avec vous et vous ôter votre habit, laissez-lui aussi votre manteau (Matth., V, 39, 40) ; il a suivi en s’exprimant de la sorte, une idée plus universellement utile aux hommes et plus propre à faire impression sur leur esprit, que Platon n’a fait dans son Criton, où il est si éloigné d’être intelligible aux personnes sans lettres, qu’à peine l’est-il à ceux qui ont fait une étude suivie de toutes les sciences par lesquelles on s’ouvre l’entrée à cette philosophie dont les Grecs font tant d’estime. Il faut encore remarquer que le précepte de la patience n’est point gâté par la manière simple et commune de le proposer ; et que c’est ici, comme partout, un esprit de calomnie contre notre profession, qui rail dire à Celse : Mais que cela suffise sur ce sujet et sur les autres matières que ces gens n’ont prises d’ailleurs que pour les gâter. Si quelqu’un en veut faire un examen plus exact, il peut se satisfaire sans beaucoup de peine. Voyons maintenant ce qu’il ajoute.

Passons à autre chose, dit-il. Ils ne peuvent souffrir les temples, ni les autels, ni les simulacres. C’est ce que ne peuvent souffrir non plus, ni les Scythes, ni les Nomades, peuple de Libye, ni les Sères qui n’ont point de Dieu, ni quelques autres nations, les plus impies et les plus barbares du monde. Les Perses sont aussi dans le même sentiment, selon le témoignage d’Hérodote, dont voici les paroles. Je sais que parmi les Perses, c’est une coutume établie en forme de loi, de ne faire point de simulacres, et de ne point bâtir d’autels ni de temples, jusque-là qu’ils accusent de folie ceux qui ont une pratique contraire. Ce qui tient, à mon avis, de ce qu’ils ne croient pas, comme font les Grecs, que les dieux soient d’une nature semblable à l’humaine. Héraclite encore parle en ces termes : Ceux qui adressent leurs vœux à ces simulacres, font comme s’ils parlaient aux parois, sans connaître ce que c’est ni que les dieux, ni que les héros. Que nous disent-ils là-dessus de meilleur que ce que dit Héraclite, qui fait assez entendre que c’est avoir perdu le sens que d’adresser des vœux à des simulacres, si l’on ne connaît ce que c’est que les dieux et les héros ? C’est ainsi qu’Héraclite en parle : mais pour eux, ils condamnent absolument les simulacres, et ils les traitent avec le dernier mépris. S’ils ne prétendent autre chose, sinon que cette pierre, ce bois, ce bronze ou cet or, qu’un tel ou un tel a mis en œuvre ne soit pas un Dieu, ils sont bien ridicules avec leur sagesse. Car qui est l’homme, s’il n’est tout à fuit abruti, qui puisse prendre cela pour des dieux et non pour des choses consacrées à l’honneur des dieux, pour des figures qui les représentent ? Mais, s’ils prétendent qu’on ne doit pas même admettre les images de la Divinité, parce que Dieu a une toute autre forme, selon le sentiment qui leur est commun avec les Perses, ils ne prennent pas garde qu’ils se combattent eux-mêmes, puisqu’ils disent que Dieu a fait de l’homme sa propre image, et qu’il lui a donné une figure pareille à la sienne. Après tout, ils diront qu’a la vérité ces simulacres tout faits et dédiés à l’honneur de certains êtres, soit qu’il y ait entre eux du rapport ou qu’il n’y en ait pas, à l’égard de la figure : mais que ces êtres-là sont des démons et non pus des dieux, et qu’il ne faut pas que ceux qui adorent Dieu servent les démons (Liv. I). On doit répondre à cela que si les Scythes, les Nomades de Lybie, les Sères qui, à ce que dit Celse, n’ont point de dieu, et ces autres nations, les plus impies et les plus barbares du monde, si les Perses, encore, ne peuvent souffrir les temples, les autels, ni les simulacres, il ne s’ensuit pas que, parce que nous ne les pouvons souffrir, non plus qu’eux, nous soyons pour cela les uns et les autres en mêmes termes. Il faut examiner les dogmes qui portent ceux qui ne peuvent souffrir les temples ni les simulacres à être dans cette disposition, afin de louer ceux qui s’y portent par des dogmes conformes à la raison, et de blâmer au contraire ceux qui le font sur de faux principes ; car on peut faire une même chose par des principes différents. Par exemple, les philosophes, sectateurs de Zénon, Citien, se gardent de commettre adultère ; les disciples d’Épicure s’en gardent aussi, et il y a des personnes qui s’en abstiennent sans avoir aucune teinture des préceptes de la philosophie : mais voyez combien il y a de différence entre les raisons qu’en ont les uns et celles qu’en ont les autres. Les premiers considèrent l’intérêt de la société civile, jugeant que la nature elle-même défend à l’homme, qui est un être raisonnable, de corrompre une femme que les lois ont déjà donnée à un autre, et de souiller la maison d’autrui. Les épicuriens ne raisonnent pas ainsi : et s’ils s’abstiennent de l’adultère, c’est parce qu’ils regardent la volupté comme le souverain bien, et qu’on se forme une infinité d’obstacles à la volupté, pour la seule volupté de l’adultère quand on s’y abandonne. On s’expose souvent à la prison, à l’exil et à la mort même. On court encore beaucoup d’autres dangers avant ceux-là, pendant qu’on épie l’heure que le mari ou ceux qui sont dans ses intérêts sortent du logis. De sorte que si l’on suppose qu’en commettant adultère on pût se dérober à la connaissance du mari et de tous ses domestiques, et de ceux dont on perdrait l’estime, un épicurien suivrait sans doute le conseil de la volupté qui le solliciterait à celle action. Un homme sans étude qui, trouvant l’occasion d’un adultère, ne veut pas s’en servir, le fait ordinairement par la crainte des peines que les lois dénoncent, et non en vue de jouir d’un plus grand nombre d’autres voluptés. Ainsi, l’un voit qu’un fait, qui paraît élire le même tant qu’on s’abstient également de l’adultère, n’est pas pourtant le même, mais est extrêmement différent, si l’on considère les motif » de ceux qui s’en abstiennent : car on s’en abstient, ou par des bons principes, ou par des principes pernicieux et détestables, comme font les épicuriens et ces particuliers de qui nous avons parlé. Comme donc cette chose, je veux dire cette retenue qui en apparence n’est qu’une, se trouve dans la vérité être plusieurs choses, par rapport aux différents dogmes et aux différents motifs de ceux qui s’y portent, il en est de même de ceux qui ne peuvent souffrir dans le culte de la Divinité, les autels, ni les temples, ni les simulacres. Les Scythes, les Nomades de Libye, les Sères sans dieu, et les Perses le font par des principes tout autres que les principes qui engagent et les chrétiens et les Juifs à ne pouvoir souffrir qu’on emploie ces mêmes choses dans le service que l’on rend à Dieu. Il n’y a aucun de tous ceux-là qui abhorre les autels et les simulacres, par la crainte d’abaisser ou d’attacher et de réduire le culte de la Divinité à ces sortes de matières, ainsi mises en œuvre. Ils ne les abhorrent point non plus par cette persuasion, que les démons affectent certaines figures et certains lieux, soit qu’ils y soient arrêtés par la vertu de quelques charmes magiques, ou que, par quelque autre raison que ce puisse être, ils aient choisi ces endroits-là et s’y soient fixés pour y chercher une volupté criminelle dans la fumée des sacrifices de laquelle ils se repaissent avidement, et pour se rendre les maîtres des criminels eux-mêmes qui les leur offrent. Mais les chrétiens et les Juifs ont cet ordre en vue : Craignez le Seigneur votre Dieu, et ne servez que lui seul, et celui-ci : N’ayez point d’autres dieux que moi (Deut., VI, 13) : et cet autre : Ne vous faites point d’image, ni de représentation d’aucune chose qui soit en haut dans le ciel, ni en bas sur terre, ni dans les eaux sous la terre ; ne les adorez et ne les servez point (Exode, XX, 3 et 4) : et cet autre encore : Adorez le Seigneur, votre Dieu, et ne servez que lui seul (Matth., IV, 10). C’est en considération de ces ordres et de plusieurs autres semblables, que non seulement ils ne peuvent souffrir les temples, ni les autels, ni les simulacres, mais qu’ils vont même courageusement à la mort, quand il le faut, plutôt que de souiller par aucune action indigne, l’idée qu’ils ont du Dieu de l’univers. Pour ce qui est des Perses, nous avons déjà remarqué ci-dessus qu’à la vérité ils ne bâtissent point des temples, mais qu’ils adorent le soleil et les autres ouvrages de Dieu, ce que nous regardons comme une chose illicite, nous qui avons appris à ne point servir les créatures au mépris du Créateur (Rom., I, 25) ; et qui savons que les créatures doivent être délivrées de la corruption à laquelle elles sont asservies, et jouir de la glorieuse liberté des enfants de Dieu (Ibid., VIII, 20). Comme nous savons donc que les créatures attendent avec impatience la manifestation des enfants de Dieu, (Ibid., 19), et qu’elles ont été assujetties à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui les y a assujetties avec espérance (Ibid., 20) : nous ne croyons pas que des choses asservies à la corruption et assujetties à la vanité, qui demeurent dans cette condition sous l’espérance d’un meilleur état, doivent tenir, dans notre culte, la place de Dieu, à qui il ne manque aucun bien, et de son Fils, le premier-né de toutes les créatures (Col., I). Il suffira d’avoir ajouté ici ce peu de mots à ce que nous avions déjà dit des Perses qui abhorrent les autels et les simulacres, mais qui servent les créatures au mépris du Créateur. Sur ce que Celse allègue aussi d’Héraclite, et sur le commentaire qu’il y joint, qui porte que c’est avoir perdu le sens que d’adresser des vœux à des simulacres, si l’on ne connaît ce que c’est que tes dieux et les héros (Ps. LXXXII, 1) : il lui faut répondre qu’il est aisé de reconnaître que Dieu et le Fils unique de Dieu, et ceux que Dieu a honorés du titre de dieu, et qui sont participants de sa divinité, sont bien différents de tous les dieux des Gentils, de ces dieux qui sont des démons (Ps. XCVI, 5) : mais qu’il n’est pas possible de connaître Dieu et d’adresser en même temps des vœux à des simulacres. Et ce n’est pas seulement de ceux qui adressent des vœux à des simulacres qu’on doit dire qu’ils ont perdu le sens ; on le doit dire aussi de ceux qui feignent d’y en adresser, se laissant entraîner au torrent de la multitude, comme font les philosophes péripatéticiens et les sectateurs d’Épicure ou de Démocrite. Car il ne faut pas qu’il y ait rien qui se démente dans une âme qui a une piété véritable pour la Divinité. Aussi refusons-nous d’honorer les simulacres pour éviter, autant qu’il dépend de nous, de tomber dans ce qui peut donner l’idée que les simulacres soient d’autres dieux (Exode, XX, 3). C’est ce qui fait que nous condamnons, et Celse, et tous ceux qui avouent que ce ne sont pas là des dieux. Ils passent pour sages, et cependant ils rendent eux-mêmes un honneur apparent aux simulacres, par où ils engagent dans le péché les peuples qui suivent leur exemple et qui non seulement regardent le culte qu’on défère à ces objets comme une coutume à laquelle ils doivent s’accommoder, mais qui se laissent même aller à cette pensée, que ce sont de véritables divinités, ne pouvant souffrir qu’on leur dise que ces choses qu’ils adorent ne sont pas des dieux. Celse dit bien qu’il ne faut pas prendre cela pour des dieux, mais pour des choses consacrées à l’honneur des dieux. Cependant il ne fait point voir que ce ne soient pas des choses consacrées à l’imagination des hommes, plutôt que des choses consacrées à l’honneur des dieux mêmes, comme il parle, bien qu’il soit constant qu’elles sont consacrées pair des hommes qui sont dans l’erreur sur le fait de la Divinité. Nous ne croyons pas non plus que ces simulacres soient des images de la Divinité ; nous qui ne voulons pas qu’on limite par des figures la forme de Dieu qui est un être invisible et immatériel. Mais puisque Celse s’imagine que nous tombons en contradiction, en ce que, d’un côté, nous disons que Dieu n’a pas la forme humaine, et que, de l’autre, nous faisons profession de croire que Dieu a fait de l’homme sa propre image, l’ayant formé à sa ressemblance (Gen., I, 27), il lui faut répondre, comme on a déjà fait ci-devant, que, selon nous, c’est dans l’âme raisonnable, formée à la vertu, que sont imprimés ces traits de l’image de Dieu, bien que Celse, qui ne voit pas la différence qu’il y a entre être l’image de Dieu et être fait selon l’image de Dieu, prétende que nous disions que Dieu a fait de l’homme sa propre image et qu’il lui a donné une figure pareille à la sienne. C’est aussi ce qui a été examiné ci-dessus. Après tout, ils diront, ajoute-t-il, en parlant des chrétiens, qu’à la vérité ces simulacres sont faits et dédiés à l’honneur des certains êtres, soit qu’il y ait entre eux du rapport ou qu’il n’y en ait pas, à l’égard de la figure ; mais que ces êtres-là sont des démons et non pas des dieux, et qu’il ne faut pas que ceux qui adorent Dieu servent les démons. Si Celse était instruit, touchant la nature des démons et des choses que chacun d’eux opère y étant portés, soit par la force des conjurations de ceux qui en savent l’art, soit par leur propre inclination, qui les détermine à agir selon leur penchant et leur pouvoir : s’il entendait bien, dis-je, cette matière, qui est d’une longue discussion et d’une conception difficile à l’esprit humain, il ne trouverait pas étrange que nous disions que ceux qui adorent le grand Dieu ne doivent pas servir les démons. Pour nous, nous sommes si éloignés de vouloir servir les démons, que nous les chassons même par nos prières et par les autres moyens que nous avons appris dans les saintes Écritures, hors des âmes des hommes, hors des lieux où ils s’étaient établis, et quelquefois hors des animaux ; car il n’y a pas jusqu’à ceux-ci qui ne se ressentent souvent du mal que savent faire les démons.

Après toutes les choses que nous avons dites de Jésus dans ce qui a précédé, ce serait faire une répétition inutile que de répondre à ces paroles de Celse : Il est aisé de les convaincre, et la chose parle d’elle-même, qu’ils adorent, non un Dieu, non même des démons, mais un mort. Laissant donc là cette objection sans nous y arrêter davantage, passons à ce qu’il ajoute : Premièrement, dit-il, je voudrais bien leur demander pourquoi il ne faut pas servir les démons. Cela empêche-t-il que toutes les choses du monde ne soient conduites suivant le plaisir de Dieu ; et que la Providence ne soit la seule qui gouverne tout ? Quelque chose qui se fasse dans l’univers, soit par un Dieu, soit par des anges, soit par d’autres démons, soit par des héros, tout n’est-il pas réglé par les lois du Dieu souverain, pendant que ces puissances inférieures sont établies pour quelques emplois particuliers, selon que chacune en est jugée digne ? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu, serve aussi ceux à qui Dieu a communiqué un tel pouvoir ? Mais c’est qu’il n’est pas possible qu’un même homme serve plusieurs maîtres. Voyez encore combien il ramasse ici de choses dont l’examen demande une grande application d’esprit et une profonde connaissance de ce qu’il y a de plus caché dans le gouvernement de l’univers ; car il faut examiner comment on doit entendre que toutes les choses du monde sont conduites suivant le plaisir de Dieu ; et si cette conduite s’étend ou ne s’étend pas jusque sur les péchés. Si l’on dit qu’elle s’étend jusque sur les péchés, tant des hommes que des démons et des autres êtres immatériels qui peuvent être capables de pécher, c’est à ceux qui le disent à voir combien il y a d’inconvénients à soutenir que toutes les choses du monde sont conduites suivant le plaisir de Dieu, puisqu’il suit de ce sentiment que tous les désordres du péché et tous les effets de la corruption sont conduits selon le plaisir de Dieu, ce qui est bien différent de dire que Dieu n’empêche pas qu’ils n’arrivent. A prendre donc le mot de conduire dans sa propre signification, quand on dit que les mauvaises actions sont conduites par Dieu, c’est autant que si l’on disait que toutes choses étant conduites suivant le plaisir de Dieu, ceux qui font ces mauvaises actions ne pèchent point contre sa conduite. Il faut faire la même distinction sur le sujet de la Providence. Lorsqu’on dit que la Providence de Dieu est la seule qui gouverne tout, on dit une chose très véritable, si ce qu’on attribue à la Providence ne renferme rien que de juste. Mais, si l’on prétend attribuer à la Providence absolument tout ce qui se fait, quelqu’injuste qu’il puisse être, il n’est pas vrai que la Providence de Dieu soit la seule qui gouverne tout, si ce n’est qu’on veuille rapporter à la Providence de Dieu ce qui n’est qu’une dépendance de ses effets. Celse dit encore que quelque chose qui se fasse dans l’univers, soit par un dieu, soit par des anges, soit par d’autres démons, soit par des héros, tout est réglé par les lois du Dieu souverain. Mais ce qu’il dit n’est pas vrai ; car on ne peut pas dire que ceux qui pèchent suivent, quand ils pêchent, les lois du Dieu souverain : et nous apprenons de l’Écriture que ce ne sont pas seulement les méchants hommes qui pèchent, mais aussi les mauvais démons et les mauvais anges. Au reste nous ne sommes pas les seuls qui parlions des mauvais démons : presque tous ceux qui reconnaissent des démons, en reconnaissent avec nous de mauvais. Ainsi donc il n’est pas vrai que tout soit réglé par les lois du Dieu souverain ; car tous ceux qui s’éloignent de la loi de Dieu, soit par mégarde, soit par malice, soit par faiblesse, soit par ignorance, tous ceux-là ne se règlent pas par la loi de Dieu, mais par la loi du péché (Rom., VIII, 2), pour me servir de ce nouveau mot avec l’Écriture. Je dis que, selon la pensée de la plupart de ceux qui reconnaissent des démons, il y en a de mauvais qui, bien loin de se régler par les lois de Dieu, s’en éloignent et les violent ; mais selon notre créance, c’est là le propre de tous les démons en général qui, n’étant pas d’abord des démons, le sont devenus, s’écartant de la bonne voie, de sorte que le nom de démons marque une espèce d’êtres qui ont abandonné Dieu. Il ne faut donc pas que ceux qui adorent Dieu servent les démons. On peut s’instruire encore de ce qui regarde les démons, si l’on considère la pratique de ceux qui les font agir par des charmes, pour donner de l’amour ou de la haine, pour empêcher certaines actions, et pour une inimité d’autres choses semblables. Car c’est ce que font ceux qui s’entendent à conjurer les démons, et à les ménager, comme il leur plaît, par la force des enchantements, et par les secrets de l’art magique. Ainsi nous n’avons garde de servir aucun démon, nous qui adorons le grand Dieu : et c’est servir les démons que de servir ce que l’on veut faire passer pour des dieux ; car tous les dieux des Gentils sont des démons (Ps. XCVI, 5). Cela paraît même, en ce que la première dédicace de ce que les peuples estiment le plus sacré et à quoi ils attribuent le plus de vertu, je veux dire de leurs temples et de leurs simulacres les plus fameux, ne s’est point faite par d’autre moyen que par des conjurations fort mystérieuses ; des conjurations où ont été employés ceux qui s’appliquent à servir les démons suivant les préceptes de la magie. C’est ce qui nous a fait prendre une si ferme résolution de fuir le culte des démons comme la mort ; et nous estimons que tout le culte que l’on prétend rendre aux dieux parmi les Grecs, dans les temples, auprès des autels et devant les simulacres, se rend en effet aux démons. Ce qu’il dit ensuite, qu’il y a des puissances inférieures établies sous l’autorité du grand Dieu pour quelques emplois particuliers, selon que chacune en est jugée digne, est une question qui demande un très profond savoir. Car il faut déterminer si le Verbe de Dieu qui gouverne toutes choses, a établi les mauvais démons pour certains emplois, à peu près comme les bourreaux sont établis dans les villes, et comme dans tous les états il y a des officiers dont les fonctions ont quelque chose de cruel, bien qu’elles soient nécessaires ; ou bien s’il en est des démons comme de ces voleurs qui, s’attroupant dans les déserts, choisissent quelqu’un d’entre eux pour les commander : si, dis-je, les démons qui sont répandus comme par troupes dans divers endroits de la terre, ont pris eux-mêmes un chef qui les conduise dans les entreprises qu’ils font pour insulter et pour piller les âmes des hommes. Afin d’éclaircir tout cela parfaitement, et de bien faire l’apologie des chrétiens qui refusent d’adorer autre chose que le grand Dieu et son Verbe, le premier-né de toutes les créatures (Col., I, 15), il faudrait expliquer aussi ce passage : Tous ceux qui sont venus avant moi sont des larrons et des voleurs ; mais les brebis ne les ont point écoutés (Jean, X, 8) ; et cet autre : Le larron ne nient que pour dérober, pour tuer et pour détruire (Ibid., 10) ; et s’il y en a encore de pareils dans l’Écriture sainte, comme quand il est dit : Voyez, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents, sur les scorpions et sur toute la puissance de l’ennemi, sans que rien vous puisse offenser (Luc., X, 19) ; et ailleurs : Tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic, tu fouleras aux pieds le lion et le dragon (Ps. XCI, 13). Mais Celse ne savait point ces choses ; car s’il les avait sues, il n’aurait pas dit : Quelque chose qui se fasse dans l’univers, soit par un dieu, soit par des anges, soit par d’autres démons, soit par des héros, tout n’est-il pas réglé par les lois du Dieu souverain, pendant que ces puissances inférieures sont établies pour quelques emplois particuliers, selon que chacune en est jugée digne ? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu, serve aussi ceux à qui Dieu a communiqué un tel pouvoir ? Il ajoute : Mais c’est qu’il n’est pas possible qu’un même homme serve plusieurs maîtres : ce que nous examinerons dans le livre suivant. Car celui-ci, qui est le septième que nous avons écrit contre Celse, est déjà d’une longueur raisonnable.

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