« Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre net. »
Ayant achevé le plus admirable discours que jamais bouche humaine ait prononcé, Jésus descendait de la montagne. L’impression produite était vive ; les gens se disaient les uns aux autres : « Quel homme ! quelle parole ! quelle doctrine ! quelle autorité surtout ! Ce n’est pas ainsi qu’enseignent nos scribes. Nous n’avons jamais rien entendu de semblable. » Généralement, c’est chose fâcheuse quand les auditeurs de la parole divine s’occupent du prédicateur autant ou plus que de la prédication ; mais cette fois nous n’en ferons pas un sujet de reproche aux Juifs, car la personne de celui qu’ils venaient d’entendre n’était pas moins divine que son enseignement, et n’en devait point être séparée. Beaucoup de gens, sans doute, se pressaient autour de Jésus pour le voir de plus près et pour tâcher de recueillir encore quelqu’une de ses paroles… Mais pourquoi les vois-je tout à coup se disperser en donnant des signes d’effroi ? Ecoutez ! un cri a percé la foule : « Le souillé ! le souillé ! » C’est un lépreux qui, se conformant aux prescriptions légales, annonce ainsi son approche. Son teint est d’une pâleur livide, son regard vitreux et terne, son visage couvert de plaies rebutantes, son corps démesurément enflé ; peu de maladies défigurent l’homme comme celle-là. L’horreur que ce malheureux inspire, la crainte de la souillure que communique son contact, lui ont vite ouvert un passage vers Jésus qui, lui, ne recule pas. Bientôt il est aux pieds du Sauveur et lui adresse cette prière admirable de foi, de soumission, d’humilité : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre net. – Je le veux ! sois net ! » répond Jésus-Christ d’un accent souverain et miséricordieux. En même temps il touche le lépreux, qui se relève guéri. Grande est l’émotion de la foule ; plus que jamais elle exalte le prophète de Nazareth, non moins puissant en œuvres qu’en paroles.
Les pensées de quelques-uns au moins des témoins de cette scène allèrent-elles plus loin ? Virent-ils dans la guérison corporelle du lépreux un symbole et un gage des délivrances morales que Jésus était venu aussi et principalement opérer sur la terre ? Y eut-il en particulier des personnes que la prédication de la loi parfaite dans le sermon sur la montagne avait convaincues de péché, et qui maintenant tressaillirent de joie en se disant : « Le docteur sublime dont la parole nous avait à la fois ravis et désespérés est aussi le Sauveur ; comme il a guéri ce lépreux de sa maladie, il guérira aussi nos âmes de leurs souillures et de leur impuissance à faire le bien ? » Je ne sais ; mais, quoi qu’il en soit, cette application de notre texte s’impose à nous, chrétiens, comme la principale leçon qu’il convient d’en dégager. Grâce à Dieu, le miracle dont nous venons de lire le récit se reproduit dans l’ordre spirituel chaque fois que, pénétré de son état de misère et de condamnation, un pauvre pécheur vient à Jésus-Christ. Il n’y a pas de bonne raison pour qu’il ne se renouvelle pas ce matin même en faveur des lépreux, je veux dire des pécheurs, qui sont venus dans ce temple cherchant, eux aussi, le Sauveur. Seigneur, si tu le veux, tu peux faire cela ; fais-le pour ta gloire et pour notre joie !
Pour que ce vœu se réalise, il faut d’abord que nous reconnaissions et que nous sentions que nous sommes vraiment des lépreux spirituels ; car les malades se sachant et s’avouant tels sont les seuls qui s’adressent au médecin et qui puissent être guéris par lui. Vous l’avez compris, et je l’ai déjà dit : la lèpre dont je parle est celle du péché. Le péché est caractérisé dans la parole de Dieu par diverses expressions figurées, dont chacune montre sous quelque aspect particulier ce qu’il a d’odieux et de funeste. C’est une dette énorme que nous sommes hors d’état de payer, c’est une chaîne qui nous lie, c’est un sommeil de mort dans lequel nous sommes plongés. Très souvent le péché est comparé à une maladie ou à une infirmité ; mais parmi toutes les maladies, la lèpre est celle qui en offre le symbole le plus exact et le plus frappant. La lèpre, nous l’avons dit, déforme et dégrade le malheureux qui en est atteint ; les ravages qu’elle exerce dans le corps figurent, sans les égaler, ceux que le péché fait dans l’âme. Le lépreux, d’après les prescriptions de l’ancienne loi, était éloigné !des cérémonies sacrées et séparé de l’assemblée d’Israël ; ainsi le pécheur qui ne s’est pas repenti est privé, exclu, ou plutôt s’exclut lui-même de la communion de Dieu et de ses saints. La lèpre était incurable, en ce sens au moins que toutes les ressources de l’art humain étaient complètement impuissantes à la guérir ; il en est de même du péché ; connaissez-vous un système ou un procédé d’invention humaine qui ait le pouvoir d’assurer à l’homme le pardon de ses fautes, ou de briser l’aiguillon du remords, ou d’éteindre le feu de la convoitise ? Toutefois, le trait dominant et caractéristique de cette maladie, c’est bien la souillure qui s’y était attachée et qui faisait du lépreux comme un exilé au milieu de son peuple. Assimiler le péché à la lèpre, c’est le présenter essentiellement comme une souillure. Cette façon d’envisager le mal ne répond-elle à rien dans votre expérience, mes chers frères ? N’avez-vous pas éprouvé plus d’une fois, à la suite d’une faute commise, alors même que vous échappiez au châtiment extérieur, un insupportable sentiment de déchéance morale subie et d’opprobre encouru, vous couvrant de honte devant votre propre conscience, devant le Dieu saint, et devant les hommes aussi, pour peu qu’un soupçon de leur part fût possible ?
A la vérité, pour penser et pour sentir ainsi, il faut avoir conservé quelque foi à la dignité native de l’homme. Cela seul qui est sacré, qui est pur par son essence ou par sa destination, est susceptible d’être souillé. Au point de vue de la loi mosaïque, la distinction du pur et de l’impur n’existait pas pour le païen, pour l’incirconcis, précisément parce qu’il était foncièrement impur ; le privilège redoutable du peuple de Dieu, c’est que toute sa vie était placée sous cette règle auguste : « Soyez saints, car je suis sainta ». De même, pour le matérialisme, qui ne voit dans l’homme qu’un animal un peu plus intelligent que les autres, esclave comme eux de ses appétits et de ses instincts, il est clair que l’idée même de souillure morale n’existe pas. Qu’il rampe dans la poussière comme le serpent, qu’il se vautre dans la fange comme le pourceau, ou qu’il boive le sang comme le tigre, l’homme, tel que le conçoit le matérialisme, ne fait jamais que suivre sa nature. Mais ces dégradantes théories ont beau se donner pour le dernier mot de la science ; pour les confondre, il suffit d’une page de nos saints livres, par exemple du sermon sur la montagne, dont nous parlions en commençant. On a beau faire, cette page est là, et le ciel et la terre passeront plus tôt qu’elle ; elle s’impose à l’admiration de tout homme que les préventions de l’incrédulité n’ont pas rendu stupide ; en la lisant ou en l’entendant lire, notre conscience s’écrie : « C’est beau et c’est vrai ! » car le bien, le vrai et le beau moral se confondent. Or que nous dit-elle, cette page si sublime et si simple en même temps ? Elle nous dit que Dieu est notre Père et que nous sommes ses enfants, que notre vocation est de lui devenir semblables, que la poursuite ardente de la perfection, le souci jaloux et suprême de la pureté intérieure, la charité désintéressée et sans bornes, sont la vie normale de l’homme, et que marcher dans une autre voie que celle-là, c’est perdre sa vie et son âme.
a – Lévitique 19.2.
Si telle est la véritable loi de notre nature, est clair que renier cette loi, placer notre but plus bas, laisser la recherche du royaume et de la justice de Dieu pour nous attacher à des biens inférieurs et périssables, c’est nous dégrader, c’est nous souiller. C’est une souillure que la sensualité, qui fait prédominer la chair sur l’esprit ; c’est une souillure que la mondanité ou l’avarice, qui nous fait préférer aux biens célestes ceux que les vers ou la rouille détruisent ; c’est une souillure que l’égoïsme, qui fait prévaloir l’intérêt isolé, passager, apparent de notre moi sur la volonté de Dieu et sur l’intérêt général de nos semblables ; c’est une souillure que la vanité ou l’amour de la gloire, qui nous fait prendre souci du paraître plus que de l’être, de l’opinion des hommes plus que de l’approbation du Dieu saint. A ce point de vue, qui est le vrai, qui de nous est exempt de souillure ? qui refusera de se joindre à l’humble confession de l’enfant prodigue : « Père, je ne suis pas digne d’être appelé ton enfant » ? Ah ! lorsque notre conscience est réveillée, nous sentons que nous donnerions tout au monde pour être délivrés de cette lèpre spirituelle ! Mais la chose est-elle possible ? Pour que quelqu’un pût nous délivrer de nos péchés passés, il faudrait qu’il fût plus grand que la loi elle-même, qui prononce malédiction sur le coupable. Pour que quelqu’un pût nous affranchir de ces tendances mauvaises et charnelles que l’habitude a pour ainsi dire incrustées en nous comme la rouille dans le métal, il faudrait qu’il eût le pouvoir de refondre notre être moral pour le créer à nouveau. Il faudrait, en un mot, que nous eussions un Dieu pour sauveur, car un Dieu sauveur est le seul être aux pieds duquel un pécheur tel que vous et moi puisse tomber, sans illusion et sans idolâtrie, en lui disant, comme le lépreux de l’Évangile : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre net ! »
Mais c’est en vérité un Dieu sauveur que nous avons, mes frères. Le lépreux le crut, il le crut du moins par le cœur, quoi qu’il en soit de la formule dogmatique. Je voudrais qu’il nous fût donné à tous de le croire comme lui. Efforçons-nous d’entrer dans l’esprit de sa prière en l’appropriant à nos besoins, cherchons ce que signifient, dans leur application spirituelle, ces mots : « Tu peux me rendre net ». C’est à Jésus-Christ que s’adresse cette requête, car c’est lui que Dieu nous a donné pour Sauveur, ou mieux, c’est en lui que Dieu s’est manifesté comme notre Sauveur. En lui disant : « Tu peux me rendre net », nous confessons qu’il a le pouvoir de nous purifier de toutes nos souillures, tant en nous accordant le pardon de nos péchés passés qu’en ôtant de nos cœurs les désirs et les sentiments qui ne sont pas conformes à la volonté divine. Qu’elle soit ou non immédiate, comme le fut celle du lépreux, la purification dont il s’agit est réelle, effective et, en son temps, elle sera complète. Tu peux me rendre net : il n’est pas ici question, bien entendu, d’une possibilité abstraite, mais dont nous serions bien persuadés qu’elle ne se réalisera jamais, comme Dieu pourrait, s’il le trouvait bon, nous prendre à lui sans nous faire passer par la mort, ainsi qu’Hénoc ou Élie… Il s’agit au contraire d’un pouvoir du Sauveur réel, efficace, pratique, et qui n’attend que notre foi pour se traduire en action. N’oublions pas un mot bien important de cette courte supplique, le petit mot me : tu peux me rendre net. Le moi, haïssable ailleurs, est-ici béni et bien à sa place ; il ne s’agit pas de croire que Jésus-Christ peut sauver Paul, ou Jean, ou notre voisin, ou tel qui vaut mieux que nous, ou tel autre au contraire qui s’est rendu coupable de péchés graves et scandaleux ; ce qu’il faut croire, c’est qu’il peut nous délivrer nous-mêmes de nos péchés particuliers, en sorte que nous puissions nous reposer dans la certitude de son pardon, marcher à sa lumière et, comme le lépreux, glorifier le Dieu qui nous a sauvés. Croyez-vous que Jésus-Christ puisse faire cela maintenant pour vous ? Si vous hésitez, nous ne vous presserons pas de croire seulement au nom de l’utilité et de la nécessité de la foi ; nous vous parlerons comme à des personnes raisonnables et nous vous donnerons des preuves : jugez vous-mêmes de ce que nous disons.
En premier lieu donc, Jésus-Christ peut vous purifier, parce qu’il est pur lui-même. Pur, non pas seulement d’une pureté extérieure, en sorte que personne n’a pu le convaincre d’aucune faute, mais d’une pureté intérieure, en sorte qu’il a pu-dire : « Le prince de ce monde n’a rien en moib ». Pur, non pas seulement d’une pureté négative, en ; ce qu’il n’a fait aucun mal, mais d’une pureté positive, en ce qu’il n’a négligé aucun bien et n’est jamais resté au-dessous ni en deçà d’aucune volonté de Dieu. Pur, non pas seulement devant les hommes, mais devant le Dieu qui sonde les cœurs, en sorte que Celui dont les yeux sont trop purs pour voir le mal a mis en lui son bon plaisir. Quel honneur, quelle joie, quel sujet d’espérance et de confiance pour nous, de savoir qu’il a paru une fois sur la terre un homme parfaitement saint ! Dieu ne l’aurait-il suscité que pour achever de nous accabler par le contraste de sa pureté et de nos souillures ? Ne l’a-t-il pas donné au contraire pour nous sauver et nous sanctifier en nous attirant à lui ? Quoi de plus naturel que d’aller à lui et de lui dire : « Toi qui es pur, purifie-moi ! Toi qui as tant aimé Dieu et les hommes, apprends-moi le secret de l’amour ! Toi qui as toujours obéi, range mon cœur à l’obéissance ! Toi qui possèdes la vraie vie, fais-moi vivre ! Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre net ! »
b – Jean 14.30.
Toutefois, je dois le reconnaître, nous ne pourrions pas adresser à Jésus cette prière, s’il n’était pour nous qu’un homme exempt de péché, mort il y a dix-huit siècles. Car alors nous ne saurions pas même s’il entend notre requête ; combien moins pourrait-il l’exaucer ! Un tel être ne serait jamais qu’un modèle, qui pourrait nous enflammer d’une généreuse émulation, mais non nous communiquer sa force, nous pénétrer de son esprit, nous rendre participants de sa vie. Jésus le peut, car il est le Fils de Dieu. On discute touchant la divinité de Jésus-Christ ; on prétend que les trois premiers évangiles sont muets sur cette doctrine. Pour savoir ce qu’il en faut penser, je n’ai besoin de sortir, ni des trois premiers évangiles, ni de mon texte même. Le lépreux se prosterne devant Jésus et lui dit : « Seigneur, si tu le veux, tu-peux me rendre net ». Moïse et saint Paul ont fait des miracles aussi bien que Jésus-Christ ; mais croyez-vous que Moïse ou saint Paul aurait jamais accepté un tel hommage, confirmé en l’exauçant une pareille requête, et cela sans un mot de protestation ni de réserve ? C’est pourtant ce que fait Jésus : « Je le veux ! sois net ! » A cette parole royale du Fils, le Père ajoute son amen en guérissant sur-le-champ le lépreux. On peut dire que, si la divinité de Jésus-Christ est proclamée ailleurs, ici elle nous est montrée. Et quand nous lisons dans le même évangile ces majestueuses paroles du Seigneur : « Toutes choses ont été remises entre mes mains par mon Pèrec » ; « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terred », elles nous paraissent en parfaite harmonie avec l’action dont nous sommes aujourd’hui témoins. Or, si Jésus est vraiment le Fils de Dieu, il est clair qu’il peut nous rendre nets. Il a tout pouvoir de juger, de vivifier, de sauver. Il parle, et qui contestera ? Il promet, et qui empêchera ? Il agit, et qui résistera ? Il justifie, et qui condamnera ? Il donne la vie éternelle à ses brebis, et qui les ravira de sa main ? Pauvre captif du péché, que d’humiliantes expériences ont découragé et qui es tenté de désespérer de la victoire, as-tu considéré que celui qui a promis de t’affranchir est le Fils de Dieu ? que celui qui veut déployer sa force dans ta faiblesse est celui à qui toutes choses sont possibles ?
c – Matthieu 11.27.
d – Matthieu 28.18.
Cependant, pour établir que Jésus peut vraiment nous purifier, ce n’est pas assez de rappeler qu’il est le Saint et qu’il est le Fils de Dieu. Il y a encore quelque chose à ajouter, et quelque chose d’essentiel. En effet, contre les conclusions rassurantes que je viens de tirer de la toute-puissance du Fils de Dieu, on peut élever une objection qui a sa valeur. « Si Dieu est tout-puissant et s’il est le Sauveur, pourquoi ne supprime-t-il pas le mal en un instant ? S’il ne le fait pas, c’est qu’il y a des lois, qui sans doute sont l’expression de son essence même, mais par lesquelles l’exercice de sa toute-puissance est réglé et borné, la bonne volonté de son amour est plus ou moins restreinte dans son action, et dès lors il n’est plus exact de dire qu’il peut toujours sauver. » Il y a de la vérité dans ce langage. Oui, Dieu est un Dieu d’ordre et respecte ses propres lois ; Dans le règne même de la grâce, il agit librement, mais non arbitrairement ; il a établi des lois qu’il a trouvé bon de nous révéler en partie. « Qu’il vous soit fait selon que vous avez crue », voilà une loi, la loi de la foi. « Demandez et vous recevrezf », voilà une loi, la loi de la prière. « Celui qui confesse ses péchés et qui les délaisse obtiendra miséricordeg », voilà une loi, la loi de la repentance. Au reste, ces lois de grâce n’anéantissent pas les lois de justice, formulées ailleurs, telles que celles-ci : « Il sera rendu à chacun selon ses œuvres.h » « Le salaire du péché, c’est la morti. » Jésus n’est pas venu abolir toutes ces lois de Dieu, mais les accomplir. C’est pourquoi il n’a pas effacé comme d’un trait de plume la sentence qui nous condamnait, il l’a subie à notre place. Il n’a pas brisé ni émoussé le glaive de la justice divine, il l’a attiré et comme enseveli dans son cœur. A ce point de vue, la vérité proclamée dans notre texte, loin d’être ébranlée, paraît sous un jour nouveau. Jésus n’a pas seulement la puissance matérielle de nous sauver, si je puis ainsi dire, il en a le droit moral, il l’a acquis par son obéissance jusqu’à la mort. Il a le droit de nous pardonner, car il a versé son sang en propitiation pour nos péchés. Il a le droit de nous libérer, car il a payé de sa vie notre rançon. Il a le droit de nous purifier, car il a pris sur lui notre lèpre spirituelle, il a été fait péché pour nous, dit l’apôtre. L’acte miséricordieux qu’il accomplit en touchant le lépreux est une image et comme un premier degré de cette substitution et de cette assimilation volontaires du juste au pécheur. En un mot, il n’est pas seulement le Saint et le Fils de Dieu, il est encore le Rédempteur ; c’est pourquoi il peut vraiment nous rendre nets.
e – Matthieu 9.29.
f – Matthieu 7.7.
g – Proverbes 28.13.
h – Romains 2.6.
i – Romains 6.23.
Assez de dogmatique ! dira peut-être quelqu’un de vous. Eh bien ! soit. Venons aux faits. Aussi bien cette question : « Jésus-Christ a-t-il, oui ou non, le pouvoir de purifier l’âme ? » est-elle une question de fait, à résoudre par le témoignage. Où sont les témoins à charge ? où sont ceux qui prétendraient convaincre Jésus-Christ d’impuissance ? Qu’ils se lèvent, et je les récuserai hardiment ; car s’ils n’ont pas fait l’expérience du salut qui est en Jésus-Christ, c’est qu’ils ne se sont pas placés dans les vraies conditions pour la faire ; ils ne sont pas venus au Sauveur avec foi et de tout leur cœur, comme le lépreux. Quant à ceux qui déposent pour Jésus-Christ, ils s’appellent légion ; ils se comptent par milliers et par millions sur la terre et dans les cieux. Chacun d’eux dit avec celui qui fut le persécuteur Paul de Tarse ; « C’est une parole certaine et digne d’être entièrement reçue, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premierj ». On prétend que le christianisme a fait son temps ; à cette assertion j’en oppose une autre : c’est qu’il n’y a jamais eu de par le monde plus de vrais chrétiens qu’aujourd’hui. Jamais surtout des faits plus nombreux, des témoignages plus éclatants et plus irrécusables n’ont établi que Jésus-Christ a réellement le pouvoir de sauver les hommes de leurs péchés, des plus grossiers comme des plus subtils ; de délivrer l’ivrogne et l’impur de leur honteux esclavage, de remplir de paix et d’amour le cœur de l’homme violent et vindicatif, d’arrêter le désespéré sur le bord du suicide et de faire éclore sur ses lèvres un cantique d’action de grâces. Jésus-Christ déploie ce pouvoir libérateur sous tous les deux, envers toute espèce de gens, civilisés et sauvages, ignorants et instruits, enfants et hommes faits, honnêtes gens et criminels. Il sauve dans la vie et il sauve dans la mort ; l’approche de l’éternité, qui dissipe tant d’illusions et tant de mensonges, fait éprouver plus que jamais à ceux qui croient en lui la vérité de sa parole et la réalité de son salut. Plusieurs de ceux qui sont ici présents peuvent attester qu’il est un vrai, un puissant Sauveur… Et vous, âme souffrante, âme souillée, pareille au lépreux tout couvert encore de sa lèpre, ne vous tarde-t-il pas de joindre votre témoignage au leur ? Ne viendrez-vous pas aujourd’hui à Jésus-Christ avec cette prière qu’il n’a jamais repoussée : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre net » ?
j – 1 Timothée 1.15.
Oui Jésus-Christ peut nous rendre nets : mais le voudra-t-il ? Chose remarquable ! le lépreux est moins affirmatif sur ce second point que sur le premier. « Si tu le veux, dit-il, tu peux me rendre net. » On lui a reproché ce si tu le veux comme un manque de foi ; je suis plutôt porté à l’en louer comme d’une preuve de soumission et d’humilité. Jésus à Gethsémané a dit lui-même : « Si tu le veux et s’il est possible ». Par ces mots, le lépreux reconnaît le droit souverain de Jésus en même temps que son pouvoir. En un certain sens, il est bon que nous l’imitions, même en demandant la purification de nos âmes. Il est bon que nous sentions et que nous confessions que le Seigneur aurait le droit de nous repousser, nous qui l’avons contristé tant de fois. Il est bon surtout, et il est nécessaire aussi, que nous nous abandonnions avec une confiance entière à sa volonté, à sa sagesse, à sa bonté, afin qu’il nous sauve à sa manière et non point à la nôtre. Vous vous rappelez cet autre lépreux, le général syrien Naaman, qui s’était fait tout un programme de la façon dont sa guérison devait s’opérer, et qui, voyant qu’Elisée procédait tout autrement, fut sur le point de retourner chez lui tout en colèrek. Si nous aussi nous prétendons être sauvés, convertis ou sanctifiés d’après une idée préconçue par nous ou une formule dictée par autrui nous risquons d’annuler le bon dessein de Dieu à notre égard. Il y a donc toujours place pour l’humilité, pour la soumission, pour le renoncement à nos vues et à notre volonté propre. Disons : « Seigneur, tu peux me rendre net ; fais-le comme tu le veux »> Mais il n’est nullement nécessaire, ni désirable, ni légitime, surtout lorsqu’il s’agit d’une délivrance spirituelle, que nous ajoutions à notre prière ces mots si tu le veux dans une pensée de doute. Ce n’est pas honorer Dieu que douter de sa volonté, lorsqu’il l’a clairement manifestée dans sa parole ; or Dieu atteste d’un bout à l’autre des Écritures qu’il veut notre salut et notre sanctification. Jésus-Christ est venu du ciel exprès pour nous sauver ; refusera-t-il de nous accorder cela même qui est le but de sa venue sur la terre, le prix de ses souffrances et de sa mort ? La brebis égarée a-t-elle sujet de craindre que le berger qui s’est fatigué et meurtri à la poursuivre dans le désert, refuse d’entendre son appel, quand enfin elle le cherche à son tour ? L’enfant malade dira-t-il à la mère qui le veille avec un inexprimable amour : « Je ne sais pas si tu désires ou non ma guérison » ? Le malheureux prêt à périr dans un incendie, dira-t-il à l’homme généreux qui est venu le chercher à travers les flammes : « Je ne puis croire que vous ayez l’intention de me sauver la vie » ? Ah ! plutôt, reconnaissons que notre Sauveur a voulu notre salut avant nous et le veut plus que nous. Nous croyons le chercher, et c’est lui qui nous cherche ; nous nous plaignons de frapper en vain à sa porte, et voilà longtemps qu’il se tient à la nôtre ; nous disons : « Daignera-t-il accueillir ma prière ? » et lui-même nous supplie de nous réconcilier avec Dieu.
k – 2 Rois 5.11-12.
Il n’en faut donc point douter, mes frères : le Seigneur peut et veut nous sauver. Il peut et il veut, âme troublée, vous accorder le pardon de tous vos péchés ; il peut et il veut, chrétien inconséquent, vous délivrer de ce bout de chaîne que vous traînez jusqu’à ce jour, de cet interdit qui vous ôte toute joie et qui paralyse votre activité chrétienne. Or, du pouvoir et du vouloir joints ensemble résulte l’action. Du côté de Dieu, toutes les conditions de votre salut sont donc réalisées ; mais il y a une condition humaine, indispensable aussi. Vous disiez à Dieu : « Si tu veux, tu peux », et il vous répond : « Si tu veux, toi, oui, je peux et je veux, et j’agirai. » Ne vous occupez pas du pouvoir, Dieu seul l’a et Dieu le donne ; mais avez-vous le vouloir ? Avez-vous faim et soif de justice ? Désirez-vous la guérison de votre âme comme le lépreux désirait celle de son corps ? Voulez-vous être délivré du péché, de tout péché, même du plus secret, du plus invétéré, de celui qui vous a paru jusqu’à ce jour à la fois le plus facile à excuser et le plus difficile à quitter ?… Oh ! que Dieu nous aide ! qu’il nous donne de voir le mal tel qu’il est, c’est-à-dire comme une lèpre qui nous ronge et qui nous tue, et aussi de voir Jésus-Christ tel qu’il est, c’est-à-dire comme la puissance, la sainteté et la charité infinies se penchant sur nous pour nous bénir, étendant vers nous la main pour nous délivrer ! S’il lit en ce moment dans plus d’un cœur cette prière : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre net », qu’il daigne y répondre par la parole d’affranchissement : « Je le veux ! sois net. » Et qu’il dise ensuite à ce pécheur sauvé, non pas, comme au lépreux nettoyé : « Garde-toi de le dire à personne », mais plutôt, comme au démoniaque guéri : « Va dans ta maison, vers tes parents, et raconte-leur les grandes choses que le Seigneur t’a faites, et comment il a eu pitié de toi !l »
l – Marc 5.19.
Amen.
31 août 1884.