La Mission Chrétienne s'était développée d'une façon merveilleuse ; comme l'humble semence de la parabole, elle avait enfoncé ses racines profondément dans le sol et dardé vers le ciel un tronc vigoureux. Elle étalait ses branches sur Londres, l'Angleterre, l'Écosse, en attendant le jour où elle couvrirait le monde entier de son ombre. Des faubourgs de l'Est, elle avait gagné les différents quartiers de la ville, puis elle avait envahi Portsmouth, Chatham, les villes industrielles du nord de l'Angleterre, l'Écosse où elle prenait possession de la ville universitaire d'Édimbourg. C'est M. et Mme Booth qui inaugurèrent l'œuvre à Edimbourg. Ils s'y rendaient avec un peu de crainte ; on leur avait représenté les Écossais comme des gens froids, peu démonstratifs, têtes de granit, difficiles à émouvoir, et qui ne s'accoutumeraient que lentement à des méthodes et à des enseignements opposés à leurs coutumes. La première réunion se tint dans une grande salle d'un des faubourgs de la ville. Mme Booth se trouva devant un auditoire de plus de cinq cents personnes, adversaires déterminés du ministère féminin. Elle fut surprise de rencontrer là, non la froideur et l'opposition, qu'on lui faisait craindre, mais l'enthousiasme et la bienveillance. Les Écossais appréciaient le courage de ce couple de prédicateurs qui allaient attaquer le péché dans ses repaires.
Mais, pour diriger les postes d'évangélisation, il fallait des hommes ; et, pour maintenir une certaine unité dans cette œuvre qui essaimait par le pays, tout au moins un embryon d'organisation, William Booth avait trouvé des aides dans les cabarets et les taudis ; ces preuves vivantes de la grâce de Dieu, salutaire aux pécheurs, constituaient des évangélistes par excellence. Mais pour instruire les convertis, organiser les groupes, il sentait le besoin de s'assurer les services de prédicateurs ayant fait des études régulières. Aussi fit-il paraître des annonces dans les journaux méthodistes et dans les autres publications religieuses. Il obtint de cette manière la collaboration d'hommes instruits, braves gens désireux de bien faire, mais que leur éducation condamnait à marcher à l'arrière-garde des troupes qu'ils auraient dû entraîner. Leurs habitudes ecclésiastiques leur composaient une épaisse et lourde armure, semblable à la cuirasse de Saül immobilisant le jeune David, armure qui les rendait inaptes à combattre le paganisme européen.
Il fallait trouver, parmi les membres de la Mission, parmi ces néophytes si peu instruits, les conducteurs réclamés par les nouveaux postes. À l'école de l'Esprit-Saint se formèrent de puissants prédicateurs, bien plus riches de leurs expériences spirituelles que de science humaine. Ils évoquaient ces expériences, rappelaient ce qu'ils étaient auparavant et le changement survenu dans leur vie ; leur témoignage agissait avec une force surhumaine, des âmes étaient conquises pour Dieu et pour la bienheureuse éternité. Écoutez la merveilleuse histoire de la vocation de ces apôtres modernes :
Il y a cinquante-trois ans, lorsque la Mission Chrétienne débuta à Wellingborough, vivait dans cette ville un jeune homme buveur et blasphémateur, nommé Tom Coombes. Il apparaissait parfois aux réunions en plein air, pour se moquer du prédicateur et faire du bruit. Il n'avait que seize ans, mais c'était déjà une franche canaille : effronté, tricheur au jeu, infatigable hâbleur, subsistant de fraudes et de paris. Comment fut-il conduit à une des réunions dans la salle ? Nul ne pourrait le dire. Une chose est certaine, l'Esprit divin se saisit de lui et le jeta, tremblant et pantelant, au banc des pénitents : le moqueur priait et implorait le pardon de ses péchés.
Le lendemain, il se rendit à la réunion en plein air pour partager le sort du prédicateur. Depuis ce jour, il devint un vaillant soldat de la guerre sainte contre le mal. Bientôt il se consacra entièrement au service du Seigneur. Après une courte période d'instruction, il fut nommé capitaine à North Shields où, malgré une violente opposition, il parvint à former une troupe valeureuse. Deux mille personnes l'accompagnèrent à la gare lorsqu'il partit pour Newport. Là aussi, le joyeux Tom devint vite célèbre, ne reculant devant aucune excentricité pour recruter un auditoire. On raconte que, dans l'impossibilité de remplir sa salle, il noua une corde au cou de son lieutenant qu'il promena par la ville, comme un montreur d'ours ses animaux, promettant de le présenter le soir dans ses travaux à la salle de réunions. Les gens rirent de cette exhibition, vinrent ce soir-là par curiosité, et revinrent ensuite par besoin. De nombreux pécheurs se convertirent dans cette salle jadis déserte.
Tom Coombes fut placé ensuite à la tête d'une division au Pays de Galles, puis au Canada. où il dirigeait cent soixante-neuf postes et quatre cent quatre-vingt-sept officiers.
Un soir, à Liverpool, le fils d'un riche marchand, qui avait perdu par la boisson fortune, position, amis et honneur, sous l'action de l'alcool, allait se jeter dans le Mersey. Il était dégoûté de la vie, de lui-même et de la société des autres hommes. En route, il rencontra un pauvre nègre, charpentier, connu parmi les salutistes, sous le nom de « l'évêque noir ». Il l'entraîna dans son atelier, et là, avec le secours du capitaine Smith, plus tard Commissaire aux États-Unis, notre nègre lui persuada qu'une vie nouvelle était encore possible au pauvre ivrogne aveuli. Les trois hommes s'agenouillèrent et prièrent ensemble jusqu'à ce que la paix s'établit dans cette âme tourmentée. Cet ivrogne, arraché au suicide, devint un des meilleurs officiers de l'Armée du Salut, à Londres, puis en Nouvelle-Zélande.
Que d'histoires semblables on pourrait conter. C'est Bob, de Portsmouth : buveur, joueur, pilier de prison, abandonné de sa femme qu'il maltraitait, qui devint le capitaine Robert Harnes, un vaillant soldat du Christ, capable d'endurer, par amour du Sauveur et des pauvres âmes, les moqueries, les coups, la prison, mille persécutions.
Jack Stocker vous raconterait la même aventure : l'Armée du Salut le prit devant le zinc du « mastroquet », et en fit un de ses puissants ouvriers, qui groupa deux mille personnes sous les couleurs salutistes.
Que vous dirai-je de plus ? La place me manquerait pour rapporter les transformations miraculeuses du « Petit Bill l'ivrogne », du cabaretier de Bridgeport, de la pauvre Mme Shepherd, ivrognesse et batailleuse, toujours prête à crêper le chignon de ses voisines, devenus de fidèles serviteurs de Dieu et des hommes.
Ce sont les pierres vivantes qui servirent à la construction de l'Armée du Salut ; mais pour édifier avec elles un monument de l'amour pratique, il fallait un architecte. William Booth fut cet architecte, qui dressa le plan et mit en œuvre ces matériaux.
Il n'eut pas d'un seul coup la vision de cette vaste organisation, mais il se laissa instruire par les événements et conduire par Dieu, organisant aujourd'hui les postes d'évangélisation, pourvoyant demain à l'instruction des membres et à la préparation des prédicateurs, s'attaquant ensuite à la solution du problème de la misère humaine.
On peut critiquer le principe hiérarchique et autocratique de l'Armée du Salut, on peut lui préférer les institutions démocratiques des Églises protestantes Calvinistes et des Églises Baptistes, mais il faut avouer que l'organisation créée par William Booth convient le mieux aux éléments constitutifs de son œuvre, et tire, des soldats et des officiers, le plus de services possibles.
Quiconque étudie l'organisation salutiste, avec un esprit libéré de tout préjugé, acquiesce au jugement de M. Wilfred Monod :
« Sut-il peser, théoriquement, le pour et le contre d'un système que le Général des Jésuites, Ignace de Loyola, avait reconnu si propice à ses desseins autocratiques, et que la conscience protestante, forgée à l'école du libre Évangile, n'acceptera jamais qu'à titre provisoire et sous bénéfice d'inventaire ? William Booth n'était pas un spéculatif, et la transformation de sa Mission en Armée lui apparut comme un moyen pratique de réaliser ce principe : il faut gagner du temps. Or, on en gagne à supprimer le mécanisme aux lents rouages d'un Comité directeur. On en gagne à pouvoir déplacer un officier par télégramme, d'Europe en Amérique, d'Amérique en Asie. Or, on en gagne à exiger la stricte obéissance à un règlement militaire qui descend dans le détail, prévoit les tentations, les prévient, qui impose, par exemple, l'abstinence d'alcool et de tabac, et cela, non point derrière les murs d'un couvent, mais au sein d'une mouvante association de missionnaires, mêlés au monde et dispersés à la surface du globe. Bref, William Booth, en organisant une armée, non une Église, a jeté ce mot d'ordre : « Assez parlé, agissons ! » Trève aux discussions ecclésiastiques ou doctrinales. Arrière, ces brandons de discorde qu'on nomme les sacrements. De même que les socialistes qui affirment que la religion est affaire privée, de même les Salutistes seront libres, individuellement, de chercher le baptême ou la Sainte Cène dans les sanctuaires. Mais, l'Armée du Salut, en tant que telle, et pour conserver la cohésion de toutes ses forces vivantes, coupera la racine de ces trois plantes vénéneuses qui ont paralysé de leurs tentacules, et empoisonné la chrétienté traditionnelle : le parlementarisme ecclésiastique, le byzantinisme dogmatique et le ritualisme sacramentaire. »
Donnons la parole au Général pour nous expliquer la transformation de la « Mission Chrétienne », avec ses comités et ses assemblées générales, en Armée, avec son commandement unique :
Peu de temps après, comme l'œuvre s'étendait et offrait de magnifiques perspectives d'avenir béni, et que tout promettait de beaux progrès, une nouvelle difficulté surgit. Quelques-uns des évangélistes que j'employais se concertèrent pour transformer notre Mission Chrétienne en Église, avec son Conseil d'administration et ses autres comités. Ils voulaient s'établir dans le calme, à l'abri de tous les ouragans ; moi, je désirais aller de l'avant, coûte que coûte. Je n'acceptais pas d'être battu ou détourné de mon but de cette manière-là. Je les réunis tous et je leur adressai ce discours : « Mes chers camarades, je ne me suis jamais proposé de fonder une autre Église. Il y en a bien assez sous la calotte des cieux. Je veux lever une Armée. Ceux qui veulent collaborer à la réalisation de mon projet peuvent rester avec moi, mais je dois me séparer des autres. Je les aiderai à se trouver une situation. »
Personne n'abandonna le Surintendant général. En février et en juillet 1877, s'assemblèrent les derniers congrès de la Mission Chrétienne, pour entériner la transformation de cette œuvre. Le Général se trouvait ainsi placé à la tête d'une armée sur le pied de guerre.
Une délégation d'évangélistes de la Mission, conduite par Bramwell Booth et George Scott Railton, avait insisté auprès du Général pour hâter cette révolution. À partir de ce jour, William Booth assuma les pouvoirs qui, dans les autres sociétés religieuses, sont réparties entre divers comités. Une vie nouvelle galvanisa l'organisme de la Mission rénovée. Hommes et femmes abandonnèrent la direction de leur vie au Général, comme ses intimes commençaient à l'appeler. Une discipline, qui ne permettait ni hésitation, ni murmure, courbait toutes les volontés devant l'intérêt supérieur de l'évangélisation.
Pour préparer ses prédicateurs, la Mission avait ouvert deux écoles : l'une pour les femmes, sous la direction d'Emma Booth, une des filles de William Booth ; l'autre pour les hommes, sous la direction de M. Howard, plus tard Commissaire et Chef d'État-Major.
Dans un discours prononcé devant l'Assemblée générale des Wesleyens, en 1880, le Général William Booth nous fournit une description de l'Armée du Salut, de son but et de ses méthodes. Citons-en les principaux passages :
On m'a dit que quatre-vingt-quinze pour cent de la population de nos villes et de nos bourgs ne franchissait jamais le seuil d'un lieu de culte. Et j'ai pensé : « Ne peut-on rien tenter pour porter l'Évangile à ces gens-là ? » Il y a quinze ans, je me suis épris de ces multitudes qui sont en dehors de l'influence des Églises chrétiennes. Il me semblait que, si nous pouvions les faire songer à l'enfer vers lequel ils glissaient, ils ne manqueraient pas de désirer s'en détourner ; si nous pouvions tourner leurs pensées vers le ciel, ils souhaiteraient y entrer un jour et, surtout, si nous leur dépeignions le Christ et la grandeur de son amour, ils courraient se réfugier dans ses bras grands ouverts pour accueillir toutes les repentances.
Je résolus d'essayer, et l'Armée du Salut est la conséquence de cette décision ...
Nous enrôlons nos officiers sans leur promettre ou garantir leur salaire, et sans leur assurer qu'ils trouveront, là où nous les envoyons, quelques personnes pour sympathiser avec eux. La grande majorité accepte joyeusement n'importe quelle destination.
Nous dépassons les exigences de John Wesley réclamant de ses convertis deux sous par semaine et un shilling par trimestre. Nous disons à nos convertis : « Vous dépensiez trois ou quatre shillings (de trois francs soixante-quinze à cinq francs or, soit dix-huit francs soixante à vingt-cinq francs papiers) par semaine pour votre bière et votre tabac, avant votre conversion ; nous ne saurions nous contenter de deux sous (cinquante centimes de notre monnaie actuelle)[1] par semaine ou d'un shilling par trimestre. Donnez en proportion des bénédictions divines que vous avez reçues et ne lésinez pas... »
Si on me demandait d'exposer notre méthode, je dirais :
1° Nous ne voulons pas pêcher là où les autres ont amorcé, ou dresser en face des Églises une secte rivale. Nous tirons nos membres du ruisseau, et si nous arrachons à la fange un être plus déchu que tous ses compagnons, nos officiers s'en réjouissent davantage.
... Nous sommes les balayeurs du monde moral, voués au nettoyage des égouts de la civilisation. Nous désirons relever tous les hommes, mais nous avons une affection particulière pour les plus dégradés qui croupissent au fond des taudis et des antres du vice.
2° Nous atteignons ces gens-là par une habile adaptation de nos méthodes. Il existe, parmi les classes populaires, un violent préjugé contre les rases et les chapelles. J'en suis attristé et je n'ai rien fait pour le créer, mais je constate son existence. Le peuple ne veut pas entrer dans un temple ou dans un autre lieu de culte ; par contre, il va très facilement au théâtre ou dans un magasin ; nous employons ces salles qui jouissent de la faveur populaire. Dans un certain village, nous avons loué la salle du Mont-de-piété, et la population l'a surnommée « le Mont-de-piété salutiste » ; de nombreuses âmes y furent sauvées.
Permettez-moi de vous affirmer que je ne suis pas l'inventeur des expressions singulières, un tantinet baroques, employées dans l'Armée. Je n'ai pas forgé le nom : « les filles alléluia » (Halleluya Lassies). La première fois que je l'entendis, j'en fus scandalisé ; mais les télégrammes affluaient annonçant que les salles étaient trop petites pour contenir les foules qui désiraient voir et entendre les « filles alléluia ». Le peuple rude et sans éducation aimait ce terme ; l'un avait une fille à la maison qu'il appelait de ce nom populaire ; l'autre, jadis, au temps de ses fiançailles, l'employait comme un terme d'amitié pour désigner celle qui devint sa femme. Du moment que j'atteignais mon but, j'étais satisfait.
3° Nous mettons nos convertis à l'œuvre. À peine un homme est-il converti, nous lui fournissons l'occasion de le proclamer, et la force de notre œuvre réside dans ces témoignages. Une de nos jeunes femmes présidait une réunion dans une grande ville. Elle fut tout à coup interrompue par un de ces types gonflés d'orgueil qui se jugent des phénix de science et d'esprit :
– Que peut enseigner une pauvre ignorante comme vous ? Que sait-elle de la religion ? J'en connais plus long que vous, car je puis dire le « Notre Père » en latin.
– Oh ! répliqua-t-elle, j'en sais bien plus long que cela. Je puis dire en anglais : « Le Seigneur m'a sauvée. »
4° Enfin nous réussissons en donnant de rudes coups de colliers. J'enseigne à mes gens que le labeur continu et la sainteté sont assurés du succès en tout lieu.
Comment le nom de Mission Chrétienne céda-t-il la place à celui d'Armée du Salut ? D'une manière tout à fait imprévue. L'incident mérite d'être conté :
Un matin, M. Railton, le secrétaire de William Booth, et Bramwell Booth étaient réunis dans la chambre du Général, pour recevoir les directions pour le travail quotidien. Railton écrivait sous la dictée du Général. Il s'agissait d'une proclamation, comme William Booth en adressait de temps à autre aux membres de la Mission, véritable ordre du jour, au style napoléonien, d'un général à ses troupes.
À ce moment-là, l'opinion publique se préoccupait de la réorganisation de l'armée anglaise, et de l'organisation de la défense territoriale ; il venait de se créer une armée de volontaires, espèce de garde nationale, où des jeunes gens jouaient au soldat. Le général dictait : « Nous sommes une armée de volontaires.... » Bramwell Booth, à ces mots, se récria :
– Volontaires ? Ah ! non, je suis un vrai soldat de l'active et rien autre.
Le général, qui se promenait de long en large dans la chambre, s'arrêta, regarda un moment son fils, comme pour bien fixer le sens de cette exclamation. Puis il s'approcha de la table, et, prenant la plume des mains de son secrétaire, il biffa d'un trait énergique le mot « volontaire » et le remplaça par cet autre « salut ».
L'effet de cette expression, sur les deux jeunes gens, fut indescriptible. Ils bondirent comme des poulains au claquement du fouet.
– Dieu soit loué pour cette expression ! s'exclama Bramwell.
À partir de ce jour, la Mission devint l'Armée du Salut. Changement qui amena l'adoption des grades, de l'uniforme et du drapeau. Le Surintendant général devint officiellement le Général, titre que ses intimes lui donnaient depuis longtemps déjà.
Petit à petit l'organisation se perfectionnait. Le Général la dotait de règlements pour tous les grades et toutes les fonctions : Les Ordres et Règlements pour les Soldats, un petit livre de cent cinquante pages, qui renferme, entre ses deux couvertures, un véritable trésor de conseils et de règles pour toutes les situations de la vie publique et de la vie privée du salutiste. Il condense, sous son petit format, un manuel d'instruction religieuse, un traité de bonne vie morale, intellectuelle et sociale, et un livret d'hygiène, parlant, dans un langage simple, de la nourriture, du vêtement, de la propreté, de l'exercice physique, de l'aération, du sommeil, de l'abstinence des boissons alcooliques et du tabac.
Les Ordres et Règlements pour Officiers de Postes, offrant les directions les plus minutieuses sur toutes les activités de l'officier à la tête d'un poste d'évangélisation.
Les Ordres et Règlements pour les Officiers d'État-Major, véritable manuel du missionnaire, révélant, à celui qui veut étudier ses trois cent cinquante pages, des méthodes éprouvées de diriger l'œuvre d'évangélisation et spirituellement et matériellement. Il faut y joindre Les Ordres et Règlements pour les Commissaires et les Secrétaires en Chef.
Tandis que les deux volumes d'Ordres et Règlements pour les Officiers des Œuvres Sociales, l'un pour les officières en charge des œuvres féminines, l'autre pour les officiers des œuvres masculines, constituent des bréviaires du christianisme social. Nous y reviendrons dans un des chapitres suivants. Citons encore Les Ordres et Règlements pour les officiers locaux, pour les choristes, pour les musiciens des fanfares salutistes. Une véritable bibliothèque, traitant d'une manière précise et pratique de toutes les activités salutistes, fut rédigée et édictée par le Général. Rien ne fut abandonné aux caprices ou aux improvisations des individus. Une salutiste nourrie de ces ordres et règlements a pu écrire :
Un officier pourrait se trouver séparé du reste de l'Armée sur une île isolée au large, loin de toute surveillance, s'il consulte ses Ordres et Règlements et commande son poste selon les directions de ce manuel, il créera certainement, sur son île solitaire, une véritable Armée du Salut en miniature.
Ce qu'est l'Armée du Salut et l'œuvre des humbles officiers de postes qui, sur le champ de bataille contre les puissances ténébreuses, ne ménagent ni leurs peines, ni leurs sacrifices, une personne qui connaît l'une et l'autre nous le dira :
L'Armée n'est nullement l'heureux terrain de chasse des agités et des sentimentalistes, qui croient que la religion consiste à chanter des cantiques, à soupirer de délicieuses et insignifiantes phrases, ou à hurler des déclarations enflammées. L'Armée est mobilisée pour combattre une autre armée, pour lutter, conquérir, faire des prisonniers, annexer les royaumes de la terre au Royaume des Cieux, et administrer, pour le Seigneur, les territoires conquis. L'Armée du Salut fait appel à ce qu'il y a de meilleur dans l'homme et dans la femme, à l'instinct d'héroïsme. Elle exige de ses enrôlés du cœur et de l'intelligence, elle leur demande de perpétuels sacrifices et un service continuel. Mais, comme le disait un salutiste débordant d'humour : « Il y a des tas de plaisirs dans l'Armée ! » On y trouve, bien plus que dans n'importe quelle autre vocation, une activité intense, des aventures intéressantes, un mélange de tragédies et de comédies, de joies et de tristesses ...
Une vue superficielle du travail de l'officier du champ de bataille pourrait nous porter à croire que l'enthousiasme et une certaine facilité de parole suffisent à celui qui ambitionne cette position. Cette idée ne concorde guère avec la réalité.
L'officier du champ de bataille a l'honneur d'être appelé au service que notre Fondateur entreprit, lorsqu'il se tourna pour la première fois vers les masses irréligieuses de l'East-End à Londres. La responsabilité spirituelle de la ville ou du quartier où il est placé lui incombe. Il est là pour prêcher dans les rues aux passants qui n'entrent jamais dans un lieu de culte, et les conduire à sa salle par tous les moyens licites et honorables, afin de pouvoir leur être d'un plus grand secours. Il est là pour visiter les malades, chercher les buveurs, et attendre les prisonniers à la sortie de la prison ; pour encourager, aider et relever les faibles et les trébuchants. Il doit répondre aux lettres des parents angoissés, courir à la recherche des enfants prodigues, censurer et combattre le péché ; en temps de catastrophe et d'épidémie, apporter le secours et le réconfort de sa sympathie active aux affligés et aux victimes. Il lui faut instruire les enfants, garder et entraîner la petite troupe attachée à son poste, collecter l'argent nécessaire à l'extension de l'œuvre de l'Armée. Tout ce qui touche au bien-être et aux intérêts de la population appartient à la sphère d'activité de l'officier du champ de bataille.
Lorsque l'on examine cette création de William Booth et l'œuvre immense accomplie par cette Armée du Salut, on se surprend à répéter les paroles que M. Begbie écrivait à la mort de l'Adjudante Kate Lee, l'Ange-Adjudante :
Je ne suis pas de ceux qui regardent William Booth comme un saint. Pour moi, la grandeur de William Booth, ce qui m'émerveille en lui, c'est sa faculté de créer des saints, son pouvoir formidable, enivrant, miraculeux, son inlassable énergie qui engendre ce qu'il y a de plus aimable et de plus beau dans notre humanité : l'esprit qui aime les plus déchus, qui descend avec joie dans l'abîme des souillures, qui se trouve aussi heureux dans cet abîme que dans le ciel, content de rester inconnu du monde, tant qu'il peut travailler au salut des pires pécheurs, à la transformation des plus vicieux des hommes, et qui, dans cette ambiance, se garde cependant pur, sans tache, absolument immaculé.
[1] Ces évaluations datent de 1929 (N. d. L. R.).