Battue au dehors des plus violents orages, la Réforme française n’oublia rien pour s’affermir au dedans. Son organisation avait dû être longtemps défectueuse et incomplète. D’abord, comme on l’a vu, c’étaient de simples réunions sans pasteurs fixes ni administration régulière des sacrements. Point d’Église alors, dans le sens dogmatique du mot, mais seulement les germes et les éléments épars des Églises. Ainsi se passèrent environ trente années.
Ensuite les troupeaux eurent un consistoire, des ministres, une autorité stable, une discipline reconnue. L’exemple en avait été donné par les fidèles de Paris, en 1555. Un gentilhomme qui les recevait dans sa maison, M. de la Ferrière, leur proposa de choisir un pasteur. On lui fit de nombreuses objections, mais ses instances l’emportèrent, et l’assemblée nomma un ministre, des anciens et des diacres. La même organisation fut adoptée à Poitiers, Angers, Bourges et autres lieux. Ainsi se constitua l’Église particulière, ou la commune ecclésiastique.
Il restait un grand pas à faire. Les Églises étaient isolées et indépendantes les unes des autres. Il fallait les confédérer, les réunir en une seule Église générale, soit pour y maintenir l’unité de croyance et de discipline, soit pour opposer une plus forte barrière aux coups de l’ennemi.
Tel fut le sujet dont s’entretint avec ses collègues le pasteur Antoine de Chandieu, qui s’était rendu de Paris à Poitiers vers la fin de l’an 1558. Tous résolurent de convoquer le plus tôt possible à Paris, avec l’agrément du consistoire, un synode général : « non pour attribuer quelque prééminence ou dignité à cette Église, » comme l’observe expressément Théodore de Bèze, « mais parce que c’était alors la ville la plus commode pour recevoir secrètement beaucoup de ministres et d’anciens »(t. I, p. 108, 109).
En face des gibets élevés sur les places publiques et des lois de sang qui pesaient sur les réformés, les difficultés d’exécution étaient immenses. Aussi n’y eut-il que onze Églises qui envoyèrent des députés à ce synode : Paris, Saint-Lô, Dieppe, Angers, Orléans, Tours, Poitiers, Saintes, Marennes, Châtellerault, Saint-Jean-d’Angely. Ces députés se réunirent sous la présidence du pasteur François Morel, sieur de Collonges, le 25 mai 1559.
Il y a dans les délibérations de cette assemblée une simplicité et une grandeur morale qui nous saisissent de respect. Rien de déclamatoire ni de violent ; c’est une dignité calme, une force paisible et sereine, comme si les membres du synode discutaient dans une paix profonde, sous la garde des lois. Et pourtant l’historien de Thou dit qu’ils bravaient une mort presque certaine ! On a beaucoup admiré l’Assemblée constituante reprenant ses débats sur une loi judiciaire, après la fuite de Louis XVI : ici le spectacle est plus grand, parce qu’il y fallait plus d’énergie et d’abnégation.
C’est alors que furent posées les bases de la Réforme française. Les synodes suivants n’ont fait que changer quelques termes de la confession de foi et développer les points de discipline. Ce qu’il y avait d’essentiel fut établi du premier coup. Le code dogmatique et le code ecclésiastique étaient l’expression de ce qu’on a nommé le calvinisme. Notre tâche ne doit être ici que celle de narrateur.
La confession de foi se composait de quarante articles embrassant tous les dogmes regardés comme fondamentaux au seizième siècle : Dieu et sa Parole, la Trinité ; la chute de l’homme et son état de condamnation ; le décret du Seigneur envers les élus ; la rédemption gratuite en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme ; la participation à cette grâce par la foi que donne le Saint-Esprit ; les caractères de la véritable Église ; le nombre et la signification des sacrements. La Bible était posée comme la règle unique et absolue de toute vérité.
La discipline contenait aussi quarante articles. Elle a été fort étendue depuis dans les assemblées synodales ; car elle a fini par se diviser en quatorze chapitres ou sections, renfermant deux cent vingt articles ; mais toutes les idées capitales étaient dans la rédaction primitive.
Voici un court aperçu de cette constitution ecclésiastique.
Partout où il y a un nombre suffisant de fidèles, ils doivent se constituer en forme d’Église, c’est-à-dire nommer un consistoire, appeler un ministre, établir la célébration régulière des sacrements et la pratique de la discipline. Tout doit sortir de ce premier degré.
Le consistoire est élu pour la première fois par la commune voix du peuple ; il se complète ensuite par les suffrages de ses propres membres ; mais les nouveaux choix doivent toujours être soumis à l’approbation du troupeau, et, s’il y a opposition, le débat doit être vidé, soit au colloque, soit au synode provincial. Nulle condition de fortune, ni autre semblable, pour être du consistoire.
L’élection des pasteurs est de même notifiée au peuple, après avoir été faite par le synode provincial ou le colloque. Le nouvel élu prêche pendant trois dimanches consécutifs. Le silence du peuple est tenu pour exprès consentement. S’il y a des réclamations, elles sont portées devant les corps chargés du choix des pasteurs. Jamais on ne peut passer outre contre le vœu de la majorité.
Un certain nombre d’Églises forment la circonscription d’un colloque. Les colloques s’assemblent au moins deux fois l’an. Chaque Église y est représentée par un pasteur. L’office de ces compagnies est d’arranger les difficultés qui pourraient survenir, et en général de pourvoir à ce que réclame le bien des troupeaux.
Au-dessus des colloques sont les synodes provinciaux, également composés d’un pasteur et d’un ancien de chaque Église. Ils se réunissent au moins une fois l’an. Ils décident de ce qui n’a pu être vidé dans les colloques et de toutes les affaires graves de leur province. Le nombre de ces synodes a varié. On en a compté habituellement seize, après la réunion du Béarn à la France.
Enfin, au sommet de la hiérarchie était placé le synode national. Il devait, autant que possible, être convoqué d’année en année, ce qui néanmoins n’a presque jamais eu lieu, à cause du malheur des temps.
Composé de deux pasteurs et de deux anciens de chaque synode particulier, le synode national jugeait en dernier ressort toutes les grandes affaires ecclésiastiques, et chacun était tenu de lui obéir. Les délibérations commençaient par la lecture de la confession de foi et de la discipline. Les membres de l’assemblée devaient adhérer à l’une, et pouvaient proposer des corrections sur l’autre. La présidence appartenait de droit à un pasteur. La durée des sessions était indéterminée. Avant la clôture, on désignait la province où se tiendrait le synode suivant.
Cette constitution avait été dictée par Calvin. Elle atteste la puissance et l’étendue de son génie organisateur. Partout le principe électif qui garantissait la liberté ; partout le pouvoir qui maintenait l’autorité ; ainsi l’ordre, par la combinaison de ces deux éléments. De plus, l’équilibre entre les pasteurs et les laïques ; le renouvellement périodique et fréquent des synodes provinciaux et nationaux ; des Églises fortement unies sans la moindre trace de primauté. C’était le régime presbytérien dans ses données essentielles. On demanderait aujourd’hui, sans doute, que la part du peuple ne fût pas bornée à un simple droit de veto, et que le nombre des laïques l’emportât sur celui des pasteurs aux divers degrés de juridiction. Mais si l’on se reporte aux idées qui avaient cours au seizième siècle, on verra que cette charte ecclésiastique surpassait de beaucoup les institutions civiles. Le principe de l’égalité des croyants, pasteurs ou laïques, grands ou petits, en était la base, et de là sortait naturellement l’égalité des citoyens ; car l’Etat et l’Église tendent toujours à être, dans leurs attributions respectives, la contre-partie l’un de l’autre.
Il faut ajouter que tous ces corps électifs, depuis les consistoires jusqu’au synode national, formaient une sorte de jury qui avait mission de connaître des fautes privées, et d’infliger des peines spirituelles. Ces peines étaient l’admonition particulière, la remontrance en consistoire, la suspension de la cène, enfin, pour les grands scandales, l’excommunication et le retranchement de l’Église. Les têtes les plus hautes devaient se courber, comme les plus humbles, sous cette pénalité religieuse, et en certains cas faire confession publique de leurs désordres. Henri IV, déjà roi de Navarre, s’y soumit en plus d’une rencontre.
On s’étonne de nos jours de cette intervention dans les actes privés ; mais alors peu de gens songeaient à s’en plaindre. Le pouvoir ecclésiastique pénétrait sans obstacle et sans effort dans la vie du foyer. On croyait que la loi religieuse doit s’enquérir des fautes que la loi civile ne peut pas atteindre, et les réformés devaient d’autant plus recourir à ce genre de pénalité, qu’on les accusait de n’être sortis de l’Église romaine que pour satisfaire plus librement leurs passions.
Le 29 mai 1559, quand les députés du premier synode général, avant de se séparer, confondirent leurs âmes dans la prière, ils purent bénir Dieu de l’œuvre qu’il leur avait permis d’accomplir. La Réforme française était constituée.