Pendant que nous chassons de ce rang usurpé le dieu imposteur qui n’a rendu témoignage à son existence par aucune œuvre de sa création, et digne de la divinité, comme l’avait pratiqué le Créateur, les Marcionites, race impudente et perverse, changent de tactique, et le mépris sur les lèvres, ils vont jusqu’à la destruction des œuvres du Créateur. Le monde, s’écrient-ils ! merveilleux ouvrage en vérité ! création sublime et digne d’un Dieu !
Refusez-vous au Créateur la plénitude de la Divinité ? – non : il est vraiment Dieu. – Donc le monde n’est pas indigne de Dieu ; car Dieu peut-il rien créer qui soit indigne de lui, quoiqu’il ail produit le monde pour l’homme et non pour lui-même ? Tout ouvrage vaut moins que son auteur. Et pourtant, s’il est indigne d’un dieu de produire quelque chose, avouons-le, il est mille fois plus malséant à l’essence divine de n’avoir rien produit, même de peu digne d’elle, ne fût-ce qu’un simple essai qui fît espérer des œuvres plus merveilleuses.
Toutefois, pour dire un mot de cette production si décriée, comme on le prétend, de ce monde que les Grecs ont nommé d’un mot qui signifie ornement et harmonie, et non incohérence et désordre, les maîtres de la sagesse antique, au génie desquels toute hérésie moderne est vomie se féconder, ont divinisé les substances diverses que l’on affecte si fort de mépriser. Thalès plaçait le principe divin dans l’eau, Heraclite dans le feu, Anaximène dans l’air, Anaximandre dans l’ensemble des corps célestes, Straton dans le ciel et la terre, Zenon dans la combinaison de l’air et de l’éther, Platon dans les astres. Lorsque celui-ci traite du monde, il appelle les astres la race ignée des dieux. En extase devant la grandeur, la force, la puissance, la majesté, l’éclat, l’abondance, l’harmonie constante et les invariables lois de chacun de ces éléments par le concours desquels s’engendre, s’alimente, se perfectionne, se renouvelle l’universalité des êtres, la plupart des physiciens n’ont pas osé assigner un commencement à ces substances merveilleuses. Le déclarer leur paraissait un attentat à leur divinité. L’Orient les adore ; les mages chez les Perses, les hyérophantes parmi les Egyptiens, les gymnosophistes dans les Indes. Que dis-je ? Cette dégradante idolâtrie, cette superstition universelle, rougissant aujourd’hui de ses vains simulacres, de ses héros déifiés, et de ses noms fabuleux, se réfugie dans l’interprétation des phénomènes naturels, et voile sa honte sous d’ingénieuses allégories. Ecoutez-la ! Jupiter représentera la substance ignée, et Junon, son épouse, l’air, ainsi que le mot grec l’atteste ; Vesta, c’est le feu ; les Muses, l’eau ; la grande mère des dieux, la terre qui nous livre ses moissons, que le bras humain déchire, que des pluies arrosent. Ainsi Osiris, enseveli dans la mort, renaissant de la corruption et retrouvé avec joie, figure la constance invariable des germes, l’harmonie des éléments, et le retour de l’année mourant pour ressusciter. Plus loin, les lions de Mithra sont les symboles d’une nature brûlante et aride.
Il résulte de là que ces substances, supérieures par leur situation ou leur nature, ont été regardées comme des dieux, plutôt que proclamées indignes de la divinité. Abaissons nos regards plus bas. Une humble fleur, je ne dis pas de la prairie, mais même du buisson, le plus obscur coquillage, comme celui qui nous donne la pourpre, l’aile du plus insignifiant oiseau comme la magnifique parure du paon, vous montrent-ils dans le Créateur un ouvrier si méprisable ?