Les Grecs disent qu’après Orphée, Linus et leurs plus anciens poètes, les hommes les plus admirés pour leur sagesse furent les sept auxquels on donna le surnom de sages. Quatre d’entr’eux étaient originaires d’Asie, savoir : Thalès de Milet, Bios de Priène, Pittacus de Mitylènes, Cléobule de Lindus ; deux autres étaient originaires d’Europe, savoir : Solon d’Athènes et Chilon de Lacédémone. Quant au septième, les uns disent que c’est Périandre de Corinthe ; d’autres, Anacharsis le scythe ; d’autres enfin, Épiménides de Crète, que l’apôtre Paul reconnaissait pour prophète, et dont il fait mention en ces termes, dans l’épître à Titus :
« Un de leurs compatriotes, qui est leur prophète, a dit d’eux : Les Crétois sont toujours menteurs; ce sont des bêtes cruelles, des cœurs lâches. Ce témoignage est véritable. »
Vous voyez qu’il accorde aussi aux auteurs grecs quelque connaissance de la vérité, et que, dans ses discours pour édifier les uns et pour couvrir les autres de honte, il ne craint pas d’employer leur autorité. C’est pour cela que parlant de la résurrection des morts, dans son épître aux Corinthiens, (car l’exemple cité plus haut n’est pas le seul, c’est pour cela, dis-je, qu’il emploie un iambe tragique, en s’écriant :
« À quoi cela me sert-il, si les morts ne ressuscitent point ? Ne pensons qu’à boire et à manger, puisque nous mourrons demain. Ne vous laissez pas séduire ; les mauvais entretiens corrompent les mœurs. »
Les uns mettent Acusilaüs d’Argos au nombre des sept sages ; les autres, Phérécyde le syrien. Platon met Myson le chénéen à la place de Périandre, qu’il regarde comme indigne du nom de sage, parce qu’il fut tyran. Nous montrerons un peu plus tard que les sages de la Grèce sont venus bien longtemps après Moïse. Maintenant, il nous faut examiner leur philosophie souvent mystérieuse, et combien elle a de rapports avec la philosophie hébraïque. C’est ainsi qu’ils recherchaient la concision, comme étant la forme la meilleure et la plus commode pour transmettre des maximes et des préceptes. Platon lui-même nous dit que tous les Grecs en général, mais surtout les Lacédémoniens et les Crétois, qui avaient les meilleures lois, suivaient autrefois soigneusement cette méthode. Ainsi cet apophtegme : Connais-toi toi-même, les uns l’attribuent a Chilon. Chamaeléon, dans son livre sur les dieux, l’attribue à Thalès ; Aristote, à la Pythie. Il est possible que cette maxime soit un avertissement pour nous exhorter à chercher la sagesse. Car on ne peut connaître les parties, si l’on ne connaît pas l’essence du tout. Pour se livrer avec fruit à l’étude de la nature humaine, il faut d’abord avoir pénétré les mystères de la création du monde. On attribue en outre au lacédémonien Chilon cet apophtegme : Rien de trop. Mais Straton, dans son livre sur les Inventions, l’attribue à Stradodème le Tégéate. Didyme l’attribue à Solon ; comme il attribue aussi à Cléobule cette autre parole : Le mieux en tout est la mesure. Ce proverbe : Rends-toi caution, et ton dommage est proche, Cléomène, dans son livre sur Hésiode, prétend qu’Homère s’en était déjà servi en ces termes :
« C’est une méchante caution que de cautionner un méchant. »
Aristote attribue ce proverbe à Chilon ; Didyme veut que ce soit une maxime de Thalès. Puis cet apophtegme : Tous les hommes sont méchants ; ou : La plupart des hommes sont méchants, (car il y a deux versions); Sotades de Bysance l’attribue à Bias. Et cet autre : Le travail vient à bout de tout, on veut qu’il soit de Périandre. On veut également que celui-ci : Saisissez l’occasion, soit de Pittacus. Or, Solon fut le législateur d’Athènes, et Pittacus, de Mitylènes. Enfin Pythagore, l’ami de Phérécyde, prit le premier le nom de philosophe. Aux hommes dont nous venons de parler, succédèrent trois écoles, qui prirent leurs noms des lieux où elles fleurirent. L’école d’Italie, fondée par Pythagore ; l’école d’Ionie, fondée par Thalès, et l’école d’Elée, fondée par Xénophane. Selon Hyppobote, Pythagore était fils de Mnésarque, et originaire de Samos. Mais Aristoxène, dans la vie de Pythagore, et Aristarque et Théopompe, veulent qu’il soit de Toscane; Néanthe, qu’il soit de Tyr ou de Syrie ; en sorte que, selon la plupart, Pythagore est d’origine barbare. Thalès, s’il faut en croire Léandre et Hérodote, était phénicien, et, selon d’antres, de Milet. Il parait que ce philosophe n’eut de rapport qu’avec les sages d’Égypte. L’histoire ne lui donne aucun maître, il en est de même de Phérécyde le syrien, dont Pythagore fut le disciple. Quant à l’école italique, fondée par Pythagore, elle vieillit dans le sein de Métaponte, ville d’Italie. Anaximandre, fils de Praxidame et originaire de Milet, fut le successeur de Thalès. Après lui vint Anaxagore, fils d’Hégésibule et né à Clazomènes. Anaxagore transporta d’Ionie à Athènes l’école Ionique. Il eut pour successeur Archélaus, dont Socrate fut le disciple.
« Mais ce tailleur de pierres, grand parleur d’équité, cet enchanteur des Grecs, »
dit Timon dans ses Silles, quitta son maître. Socrate en effet abandonna les sciences physiques pour la morale. Après avoir l’un et l’autre entendu Socrate, Antisthène fonda la secte des cyniques, et Platon se retira dans l’Académie. Aristote ayant étudié la philosophie dans l’école de Platon, passa dans le Lycée et fonda la secte des péripatéticiens. Il eut pour successeur Théophraste ; celui-ci Straton ; Straton, Lycon ; puis Critolaus, puis Diodore. À Platon succéda Speusippe ; à Speusippe, Xénocrate ; à celui-ci, Polémon. Polémon eut pour auditeurs Cratès et Crantor, avec lesquels s’éteignit l’ancienne Académie. Crantor eut pour disciple Arcésilaüs, depuis lequel jusqu’à Hégésilaus fleurit la seconde Académie. Après Hégésilaus, vint Carnéade, puis ceux qui suivirent. Cratès eut pour disciple Zénon de Citium, fondateur de la secte des stoïciens. À Zénon succéda Cléanthe ; à Cléanthe, Chrysippe et ceux qui suivirent. Le fondateur de l’école d’Élée fut Xénophane de Colophon ; Timée dit qu’il vécut du temps d’Hiéron, roi de Syracuse, et qu’il fut le contemporain du poète Épicharme. Mais Apollodore veut qu’il soit né dans la quarantième olympiade, et que sa vie se soit prolongée jusqu’au temps de Cyrus et de Darius. Xénophane eut pour auditeur Parménide ; celui-ci, Zénon ; puis vint Leucippe, puis Démocrite. Démocrite eut pour auditeurs Protagoras l’abdéritain, et Métrodore de Chio ; Métrodore, Diogène de Smyrne; Diogène, Anaxarque ; Anaxarque, Pyrrhon; Pyrrhon, Nausiphane. Il en est qui prétendent que Nausiphane eut pour disciple Épicure. Telle est en abrégé la suite des philosophes grecs. Il ne nous reste qu’à dire dans quels temps vivaient ceux qui furent les fondateurs de leur secte, afin de montrer, eu comparant les dates, que la philosophie des Hébreux est plus ancienne d’un grand nombre de générations. On dit que c’est Xénophane qui est le fondateur de l’école d’Élée ; selon Eudème, dans son Histoire de l’Astrologie, c’est Thalès, qui a prédit l’éclipsé de soleil qui eut lieu le jour où les Mèdes en vinrent aux mains avec les Lydiens; Cyaxare, père d’Astyage, était alors roi des Mèdes, et Alyatte, père de Crésus, régnait sur les Lydiens. À la tête de ceux qui sont d’accord sur ce point avec Eudème, nous citerons Hérodote. La date de cette éclipse correspond environ à la cinquantième olympiade ; et il est dit que Pythagore vécut sous le règne du tyran Polycrate, vers la soixante-deuxième olympiade. D’une autre part, on rapporte que Mnésiphile, qui eut Thémistocle pour disciple, fut le rival de Solon. Or, Solon florissait dans la quarante-sixième olympiade. Quant à Héraclite, le fils de Bauson, il détermina le tyran Mélancome à se démettre de son autorité. Il refusa d’écouter les propositions du roi Darius, qui l’invitait à venir en Perse.