Bientôt après son retour à Antioche, Paul se sentit pressé de revoir les jeunes églises d’Asie-Mineure, qu’il avait laissées livrées à elles-mêmes depuis quelques années. Il proposa à Barnabas de les visiter avec lui. On connaît le dissentiment qui éclata entr’eux à cette occasion, au sujet de Marc, cousin de Barnabas, que celui-ci voulait prendre de nouveau avec eux. Paul s’y refusa ; l’œuvre de Dieu était trop grave à ses yeux pour risquer de la compromettre une seconde fois, en cédant à une complaisance personnelle. Un prophète de Jérusalem, nommé Silas, qui avait été désigné pour porter la lettre apostolique aux églises de Cilicie et de Syrie, consentit à se joindre à lui, et, tandis que Barnabas et Marc partaient par mer pour visiter les églises fondées en Chypre, Paul avec Silas, traversant la Syrie et la Cilicie et fortifiant les églises, arriva sur le théâtre de sa précédente mission, en Pisidie et en Lycaonie. Il trouva là les églises accrues et florissantes, et il put dissiper toutes les inquiétudes qui s’étaient sans doute élevées au milieu d’elles au sujet des ordonnances mosaïques, en leur transmettant toutes les décisions prises à Jérusalem (Actes 16.4). On s’est étonné de voir Paul, dont l’indépendance apostolique venait d’être solennellement reconnue, faire par là acte de soumission à l’égard de l’église de Jérusalem. Mais on doit se rappeler qu’il ne possédait point encore un domaine qui lui fût propre. Ces églises étaient le fruit d’un travail auquel Barnabas avait pris part avec lui. Il ne pouvait donc les traiter exclusivement comme siennes. Il en sera autrement plus tard, et nous ne devrons pas nous étonner si nous le voyons, vis-à-vis de ses propres églises, travailler à justifier lui-même par les principes évangéliques les restrictions apportées à la liberté chrétienne, qu’il avait d’abord réclamées au nom des apôtres. Comparez 1 Corinthiens ch. 8 et Romains ch. 14.
Paul et Silas avaient besoin d’un aide qui pût leur remplacer Marc. Ils le trouvèrent en la personne d’un jeune chrétien de Lystres, dont il avait converti dans son voyage précédent la mère et la grand’mère (2 Timothée 1.5). Ce jeune homme, nommé Timothée, fils d’un père païen, mais d’une mère juive, avait été élevé par sa mère dans la connaissance de l’A.T. (2 Timothée 3.14-15). Mais il n’avait point été circoncis. Le récit des Actes rapporte que Paul le fit circoncire. S’il est un fait au sujet duquel on ait accusé Luc d’avoir faussé l’histoire, c’est celui-là (voir Baur, dans son Apostel Paulus). Et cependant rien de plus injuste. Le cas de Tite (Galates ch.2), qu’on oppose à celui-là, était absolument différent. D’abord Tite était fils de deux parents païens ; puis Paul a fait clairement entendre lui-même qu’il aurait pu céder au désir des chrétiens de Jérusalem, qui lui demandaient la circoncision de Tite, s’il n’y avait pas eu là de faux frères qui auraient, abusé immédiatement de cette libre concession. Aucun abus semblable n’était à craindre à Lystres, et Luc a pris lui-même la peine de nous expliquer le motif qui détermina la manière d’agir de l’apôtre. Il dit expressément Actes 16.3 : « Il le fit circoncire à cause des Juifs qui se trouvaient en ce lieu-là. » Nous l’avons dit : la circoncision était pour Paul une chose indifférente, un rite dont il usait ou n’usait pas, selon les besoins du règne de Dieu (1 Corinthiens 7.19 ; Galates 6.15j). Désireux d’ouvrir à l’évangélisation de Timothée la plus large porte possible auprès de ses demi-compatriotes, il préféra le mettre en règle avec la loi qu’ils respectaient profondément. Il n’y a rien là qui ne soit parfaitement d’accord avec les principes et la conduite constante de Paul (1 Corinthiens 9.19-22 ; 10.31-33).
j – « La circoncision n’est rien et l’incirconcision n’est rien. »
Il y eut à cette occasion, écrit Paul lui-même, des voix prophétiques qui se firent entendre et annoncèrent tout ce que serait ce jeune homme pour l’œuvre du Seigneur. Il reçut une consécration à sa nouvelle tâche des mains de Paul et de celles des anciens de l’église, qui implorèrent sur lui, comme autrefois les prophètes et docteurs d’Antioche sur Paul et sur Barnabas, la bénédiction divine pour son ministère d’évangéliste (1 Timothée 1.18 ; 4.14 ; 2 Timothée 1.6)k. Il est possible que 1 Timothée 6.12 renferme une allusion aux paroles prononcées par Timothée lui-même en cette occasion solennellel ; comparez le verset suivant où Paul rappelle, sans doute à l’occasion de celle de Timothée, la belle profession faite par Jésus devant Pilate.
k – « Je te transmets cette injonction, ô Timothée, selon les prophéties qui ont été faites précédemment sur toi… » « Ne néglige pas le don qui est en toi, qui t’a été donné par prophétie avec imposition des mains du conseil des Anciens…. » « C’est pour cela que je te fais souvenir de raviver le don de Dieu qui est en toi par l’imposition de mes mains. »
l – « Saisis la vie éternelle à laquelle ta as été appelé et dont tu as fait une belle profession devant de nombreux témoins. »
Du théâtre de sa première mission, Paul avait l’intention de continuer son voyage vers l’occident et peut-être d’atteindre Éphèse, ce grand entrepôt intellectuel, religieux et commercial entre l’Asie-Mineure et la Grèce. Mais la volonté de Dieu était autre. C’était en ce moment l’heure de la Grèce qui avait sonné. Comme la petite troupe missionnaire prenait la route de l’ouest pour traverser la province d’Asie, dont Ephèse était la capitale, un obstacle intérieur les empêcha de prêcher. Ils se tournèrent alors vers le nord-ouest pour passer par la Phrygie et la Galatie.
L’épître aux Galates, écrite deux ou trois ans plus tard, nous apprend qu’en traversant ce dernier pays, Paul fut atteint d’une maladie grave (Galates 4.13-15), qui l’y retint un certain temps et occasionna ainsi la fondation de l’Église chez ce peuple encore à demi-barbarem. Puis, reprenant leur marche vers le nord-ouest, les voyageurs tentèrent d’entrer par la Mysie dans la Bithynie, où se trouvaient, beaucoup de villes riches et populeuses ; mais là encore l’arrêt intérieur se renouvela, de sorte qu’il ne leur resta plus, s’ils ne voulaient pas revenir sur leurs pas, qu’à continuer leur route droit vers la mer, en longeant la Mysie méridionale. C’est ainsi qu’ils furent conduits jusqu’à Troas, où le mystère, qui avait plané jusque là sur ce voyage, s’expliqua enfin. Le Seigneur leur montra qu’il les appelait à passer la mer et à commencer une mission en Europe. Car c’était de la Grèce qu’il s’agissait maintenant dans le plan de Dieu.
m – Voir sur la fondation de ces églises l’introduction à l’épître aux Galates.
Ce fut également à Troas que l’auteur des morceaux « en nous » renfermés dans le livre des Actes, morceaux qui me paraissent être incontestablement sortis de la même plume que le reste du livre, se joignit à la société missionnaire. Evidemment cet auteur n’était point pour les voyageurs un inconnu. Il était déjà chrétien, lorsqu’ils le rencontrèrent et se l’adjoignirent. C’était probablement un membre de l’église d’Antioche, ce Luc « médecin d’Antioche », comme disent les Pères, qui dès ce moment parle à la 1re personne du pluriel quand il est présent aux scènes qu’il raconte (comparez Actes 16.11-18 ; 20.4-21.18 ; ch. 27 et 28). Qu’on se rappelle l’étrange leçon dont nous avons parlé, 11.18 : « Et comme nous étions assemblés… Le moi, implicitement renfermé dans le nous qui caractérise ces passages, ne peut être que le sujet anonyme qui parle de lui-même dans la première phrase de l’écrit : « J’ai composé, ô Théophile, mon premier livre…n »
n – Voir à l’introduction du livre des Actes.
Nous ne nous étendrons pas sur la fondation de l’église de Philippes, telle qu’elle est racontée dans le livre des Actes (ch. 16)o. Le récit de ce séjour a été vivement attaqué par la critique, surtout parce que l’on ne croit pas possible qu’un témoin oculaire ait pu raconter des faits aussi invraisemblables, aussi impossibles que ceux qui ont causé et accompagné la conversion du geôlier. Mais la critique me paraît agir ici d’une manière peu conséquente. Elle envisage l’auteur du livre comme un historien assez scrupuleux pour reproduire littéralement le récit du témoin oculaire parlant dans les morceaux « en nous », au point de laisser subsister cette première personne du pluriel ; et d’autre part elle le croit capable d’introduire dans le récit une foule d’inexactitudes et d’impossibilités de son propre crû. On ne saurait concilier deux genres de narration si contradictoires.
o – Voir à l’épître aux Philippiens.
Paul et ses deux compagnons partirent de Philippes, y laissant l’auteur des morceaux « en nous » (car le nous cesse dès ce départ) ; celui-ci restait à la tête de cette jeune église très vivante, la première de la Grèce et, de l’Europe. Paul et ses deux amis s’avancèrent vers l’occident, traversant en deux journées de voyage, au nord de la presqu’île Chalcidique, deux villes où ils ne s’arrêtèrent pas, probablement parce qu’il ne s’y trouvait pas de synagogue. Ils arrivèrent ainsi dans la grande ville de Thessalonique, qui était la résidence du proconsul romain gouverneur de toute la province de Macédoine.
Sur les détails du séjour de Paul à Thessalonique et de la fondation de l’Église dans cette ville, voir Actes 17.1-9 et la 1re aux Thessaloniciens. Le séjour qu’y fit l’apôtre ne paraît pas, d’après les Actes, avoir duré beaucoup plus de trois semaines. La synagogue était pour lui, ici comme partout, la porte providentiellement préparée pour pénétrer au sein de la population juive et païenne. Mais la grande masse de la colonie juive se montra, comme d’ordinaire, violemment hostile à la prédication de l’Évangile ; et, usant de son influence sur les magistrats romains, elle contraignit les missionnaires à quitter promptement Thessalonique où ils laissèrent une église composée surtout de chrétiens païens. Accompagné de Silas et Timothée, Paul se rendit à Bérée, où il obtint un meilleur accueil. Mais les Juifs de Thessalonique, l’ayant appris, travaillèrent par des émissaires à soulever la populace de Bérée et finirent par forcer Paul à prendre la fuite. Laissant ses deux compagnons en Macédoine pour soutenir les églises nouvellement fondées et exposées aux violences du fanatisme juif et à celles de leurs propres compatriotes (1 Thessaloniciens 2,14), l’apôtre, en compagnie de quelques Béréens dévoués, se rendit à la mer, et là s’embarqua pour Athènes, où devaient venir le rejoindre bientôt ses deux compagnons.