La joie qui résulta de ces expériences contribua beaucoup à ramener Hudson Taylor à une pleine conscience de sa communion avec Dieu. Les premiers mois à Londres n'avaient pas profité à sa vie spirituelle, mais maintenant, à mesure, que l'hiver s'écoulait, une sève nouvelle de bénédictions semblait monter dans son âme.
Je n'ai pas besoin que tu me dises que tu as prié pour moi, écrivait-il à sa mère en février. J'en ai eu la certitude. Quoique par moment le ciel ait semblé d'airain et que je me sois senti abandonné, il m'a été donné de saisir les promesses par la simple foi, la foi « nue » comme dit père... et je n'ai jamais eu de moments plus heureux que dernièrement.
Les visites qu'il faisait à Tottenham, le dimanche, lui furent très profitables, spécialement les heures passées dans la famille Robert Howard et chez Mlle Stacey. Cette dernière avait le talent de découvrir ce dont les gens avaient besoin. Le jeune étudiant en médecine, avec son caractère gai, sa figure maigre, ses vêtements usés et son amour ardent pour la Chine, toucha son cœur. Elle le reçut chez elle maintes fois. Dans son jardin, un magnifique cèdre donnait une ombre délicieuse. Dans sa maison, elle avait un salon de lecture où l'on semblait loin du monde. Mlle Stacey vivait seule, mais recevait beaucoup d'amis. Elle savait qu'Hudson Taylor recherchait la tranquillité. Aussi était-ce chose entendue que, chaque fois qu'il était chez elle, le salon de lecture et le cèdre lui étaient réservés.
Autre changement utile : six mois après son arrivée à Soho, il obtint un poste d'assistant chez un médecin de la Cité.
C'était une chose excellente pour lui que de travailler de nouveau sous la direction d'un homme compétent. Un sujet de reconnaissance également c'était de n'avoir à parcourir que deux kilomètres jusqu'à l'hôpital au lieu de six ou sept comme auparavant. Il paraît avoir logé chez son employeur, M. Thomas Brown. On est heureux de l'entendre parler de repas en famille. Sa vie était nécessairement fatigante. Il travaillait chaque, matin à l'hôpital, et le reste du temps pour le Dr Brown. Ce n'est que le soir qu'il était libre pour étudier. Ainsi, de toute façon, ce changement fut à son avantage.
La Chine préoccupait son cœur, ce printemps-là, et ses perspectives quant à l'œuvre qui l'attendait là-bas devenaient plus précises. Précédemment, à Barnsley et à Hull, il lui avait semblé que toutes les difficultés d'avenir disparaîtraient le jour où il serait envoyé par une Société de mission. Il en venait maintenant à croire que ce pourrait bien être le contraire. Il comprenait mieux, à Londres, le fonctionnement d'une Société avec les statuts et les règlements qui lui sont nécessaires, et il ne pouvait s'empêcher de voir que, si d'une part, en étant sous la direction d'un comité, il retirerait certains avantages, notamment un salaire, d'autre part, sa liberté d'action pourrait être grandement bridée, de telle sorte que les difficultés, au lieu de diminuer, augmenteraient.
À cette époque, certains événements qui se déroulaient en Chine et dont l'écho lui parvenait en Angleterre avivaient son désir ardent de se vouer à l'œuvre à l'intérieur du pays. Telle avait toujours été son intention, en dépit du fait que l'intérieur de la Chine était fermé aux missionnaires étrangers. L'effort du Dr Gutzlaff de répandre l'Évangile dans les provinces éloignées s'était terminé par un échec évident, et les missions protestantes étaient confinées strictement dans les ports ouverts par les Traités. Mais, pour Hudson Taylor, l'intérieur si vaste, si sombre, avec ses millions qui n'avaient jamais entendu parler de l'amour du Sauveur, criait au secours avec une urgence et une insistance qui ne pouvaient être méconnues. Et maintenant, en raison de la tournure impressionnante des événements qui se passaient en Chine, son désir lui paraissait plus proche de sa réalisation qu'il n'avait pu l'entrevoir jusqu'alors.
Des nouvelles extraordinaires filtraient des provinces de l'intérieur et remplissaient l'Occident d'étonnement. La révolte des Taï-ping, signalée pour la première fois en 1850, avait pris des proportions énormes sous la direction de Hung Sin s'üen. Ayant pris naissance dans le Sud de la Chine, elle déferlait comme une vague sur les provinces du Centre et prenait pied dans la plus grande partie de la vallée du Yangtze, y compris la ville fameuse de Nanking. Dans cette ville, l'ancienne capitale de l'Empire, le nouveau chef avait fixé le siège de son gouvernement et regroupait ses forces pour marcher sur Peking. Mais ce n'étaient pas seulement les succès remportés par ce mouvement qui éveillaient un intérêt extraordinaire dans les pays chrétiens. Il y avait dans cette révolte un caractère qui ne s'était jamais rencontré précédemment dans des circonstances de ce genre.
Ce puissant soulèvement, qui se produisait au milieu d'une nation païenne et qui ne devait rien à une influence étrangère, parut être un moment une sorte de croisade ayant des bases nettement chrétiennes. Son fondement était la Bible — bien mal comprise, malheureusement, dans ses enseignements spirituels. Les dix commandements étaient la charte du nouveau régime. L'idolâtrie sous toutes ses formes était abolie d'une main impitoyable et remplacée par l'adoration du vrai Dieu vivant. Le dimanche était reconnu comme jour de repos et de prière, et toutes les restrictions furent levées quant à la prédication de l'Évangile.
J'ai fait connaître les Dix Commandements, écrivait le chef des Taï-ping à l'unique missionnaire qu'il connaissait, dans toute l'armée et tout le reste de la population ; j'ai ordonné qu'on prie matin et soir. Ceux qui comprennent l'Évangile sont encore peu nombreux. C'est pourquoi j'ai estimé bon d'envoyer un messager en personne auprès de toi, en paix, pour te demander, frère aîné, de venir et d'amener beaucoup de maîtres pour aider à faire connaître la Vérité et pour administrer le baptême.
Ensuite, quand mon entreprise se sera terminée avec succès, je répandrai la doctrine partout dans l'Empire, afin que tous reviennent au Seigneur et adorent le vrai Dieu seul. C'est ce que mon cœur désire ardemment.
Son attitude à l'égard des nations occidentales était à peine moins surprenante. Il fut défendu de fumer l'opium et le chef des Taï-ping ne cacha pas qu'il entendait faire cesser l'importation de la drogue. Envers leurs « frères chrétiens étrangers », ils furent d'une cordialité entièrement contraire à l'orgueil et aux préventions des Chinois :
Le grand Dieu, disaient-ils, est le père de tous ceux qui sont sous le ciel. La Chine est sous Son gouvernement et Sa surveillance, les nations étrangères également. Il y a beaucoup de nations sous les cieux, mais toutes sont sœurs. Pourquoi maintenir cette habitude égoïste de regarder une frontière ici ou une limite là ? Pourquoi entretenir le désir de se dévorer et de se détruire mutuellement ?
En un mot, il semblait que la vieille nature exclusive de la Chine et son système païen allaient être balayés devant la lumière et l'enseignement chrétiens, et que tout le pays allait s'ouvrir à l'Évangile. Le chef de la révolte était probablement le seul prétendant à un trône dont le principal souci fût l'impression et la diffusion des Saintes Écritures. Il était si désireux que son peuple possédât la Parole de Dieu qu'il employa quatre cents hommes, à Nanking, sous sa surveillance personnelle, pour imprimer et relier divers livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. La version utilisée était celle du Dr Gutzlaff, qui se fraya ainsi un chemin jusque dans les parties les plus reculées de l'Empire. La première page de chaque exemplaire portait le titre : Nouvelle édition, publiée dans la troisième année de la Dynastie des Taïping.
Les perspectives étaient donc encourageantes et les cœurs chrétiens ne pouvaient que tressaillir d'espérance et attendre de grandes choses. Il n'était pas surprenant qu'Hudson Taylor, comme beaucoup d'autres, vît dans tout cela une action divine. Ce que les rois et les gouvernements n'avaient jamais pu faire, Lui, dans Ses voies merveilleuses, n'était-Il pas en train de l'accomplir rapidement ? Mais combien immense était la responsabilité qui reposait sur l'Église, et comme elle était mal préparée pour y faire face !
Il n'était pas étonnant non plus, vu les événements qui se déroulaient, qu'Hudson Taylor, bien qu'il étudiât la médecine, n'eût aucun désir de se borner à une œuvre purement médicale. Son souhait était d'utiliser ses connaissances en médecine plutôt pour l'aider dans l'évangélisation des contrées qui n'avaient pas encore été touchées. C'était là l'œuvre à laquelle le Seigneur l'appelait. Il le sentait dans le tréfonds de son âme. Mais c'était une tout autre question de savoir si la Société pour l'Évangélisation de la Chine l'approuvait.
À en juger d'après ses règlements, la Société, de toute façon entendait avoir le contrôle absolu de tous les mouvements de ses envoyés. On les considérait comme des agents, et on leur y on demandait de souscrire à des statuts qui le rendaient perplexe par leurs nombreuses exigences. À côté de cela, il avait une conviction toujours plus forte dans son cœur concernant l'œuvre à laquelle il se sentait personnellement appelé. La main de Dieu était sur lui. Pour lui, c'était le grand point, la considération essentielle. Et si l'autorité du Comité de Londres devait entrer aussi en ligne de compte, comment concilier les deux choses ?
Il y a un point sur lequel mon opinion n'est pas encore formée, écrivait-il à sa mère le 5 avril. Si je passe mes examens, si je prends un ou deux diplômes, que je parte pour la Chine et y commence un travail médical aux frais, de la Société, comment pourrais-je me sentir libre de me séparer d'elle pour aller dans l'intérieur, si je m'y sens appelé ?
Il ne me semble pas qu'une œuvre médicale ou autre, toujours fixée dans le même endroit, ait été le moyen le plus employé par Dieu pour la conversion de multitudes. Paul et les apôtres de jadis, Wesley, Whitfield et d'autres qui ont été utilisés largement par Dieu dans les temps modernes, ont été des prédicateurs itinérants. Je ne suis pas du tout certain d'être dans le vrai en adoptant une manière de faire différente. Je serais reconnaissant d'avoir ta pensée sur ces questions. Prie pour moi afin que Dieu me dirige dans toutes mes circonstances.
Je ne doute pas, écrivait-il un peu plus loin, que les règlements de la Société ne soient raisonnables et nécessaires. Je remarque aussi qu'après trois ans et demi je puis être libre de, travailler d'une façon indépendante si je le désire. Mais, maman, serait-ce honorable, et voudrais-tu que je prenne avantage d'une telle situation ? Alors que la Société aurait supporté les frais de mes études de médecine et de mon envoi en Chine et que j'aurais été là-bas assez longtemps pour commencer à devenir utile, approuverais-tu que je la quitte ?
Puisque j'ai décidé que telle sera ma voie, comment puis-je honnêtement accepter son aide ? Y a-t-il une probabilité que je puisse jamais rembourser une pareille dépense ? Ces difficultés me paraissent insurmontables.
Il agissait certainement d'après les principes que le Maître a enseignés. Il s'asseyait pour calculer la dépense avant de commencer à bâtir. Ce serait une bonne chose que tous ceux qui se destinent à la mission en fassent de même aujourd'hui. Et, comme il priait et examinait ce problème, il comprit que sa situation actuelle aussi était anormale. La Société supportait en partie les frais de ses études médicales. S'il les continuait et les achevait, cela lui coûterait plus de cent livres sterling. Déjà il se créait des obligations qu'il ne serait pas à même d'acquitter sans manquer de fidélité à ce qui devait être respecté par-dessus tout : la volonté de Dieu.
C'était une affaire sérieuse, qui devait être examinée immédiatement. Devait-il partir comme cela, en laissant la Société se méprendre jusqu'à un certain point sur ses intentions ? Ou devait-il donner une franche explication et courir le risque de perdre son appui ? Devait-il abandonner tout de suite ses études de médecine, alors qu'il était en train de les achever, et préparer soi départ pour la Chine comme missionnaire indépendant ?
Il est facile, aujourd'hui, de sourire de ces scrupules qui peuvent paraître exagérés. Mais, pour Hudson Taylor, c'était une position plus embarrassante que nous ne pouvons l'imaginer. Les sociétés missionnaires étaient comparativement peu nombreuses et dispersées, et celle-ci était la seule à laquelle il pouvait, comme laïque, se rattacher. Des particuliers, en ce temps-là, n'envoyaient pas et ne soutenaient pas de représentants personnels, et il n'était en communion avec aucune église qui eût pu le soutenir. Pratiquement cela revenait à dire qu'il devait, ou devenir agent de la Société pour l'Évangélisation de la Chine, en se soumettant à ses règlements, ou partir par la foi en regardant au Seigneur pour qu'Il subvienne à ses besoins. Le choix devait être fait immédiatement.
Ces problèmes retinrent son attention pendant les mois d'avril et de mai. Il ne pouvait laisser aller les choses à la dérive, et moins encore agir sans être sûr de la volonté de Dieu. Bien des prières, dans ces belles journées de printemps, auraient pu être mesurées par la distance qu'il franchissait chaque jour entre son domicile et l'hôpital. Mais quand sonna l'heure d'aller de l'avant, il le fit sans hésiter.
Pour ce qui est de l'École de Chirurgie, écrivait-il à sa mère en mai, j'ai écrit à M. Bird pour lui exposer les raisons qui me paraissent s'opposer à ce que j'y entre à leurs frais. Il est nécessaire pour la bonne marche de la Société que ses missionnaires se soumettent au Comité de direction... Leurs règlements sont évidemment raisonnables et essentiels à une organisation de ce genre. Mais, pour moi, être enseigné à leurs frais et être soumis à un règlement signifierait que je me soustrais à la direction personnelle de Dieu parce que je deviendrais le serviteur de la Société...
Si je suis guidé par Dieu en partant, Il ouvrira mon chemin et me fournira les moyens. Si un diplôme m'est nécessaire, Il me fournira les moyens pour cela aussi. S'il ne l'est pas, le temps et l'argent seront bien mieux utilisés autrement. Et si je ne suis pas appelé à partir, il vaut bien mieux que je ne quitte pas l'Angleterre.
Mais ne pense pas que, si je m'exprime de cette manière, je sois dans le doute, car je n'ai jamais eu de doutes à ce propos. Mon esprit est gardé dans une paix parfaite, fondée sur Celui qui est le Rocher des siècles. J'ai joui ces temps d'un grand repos intérieur, et bien souvent j'expérimente la bonté de Dieu d'une façon que je ne saurais exprimer.
Mais toutes ces préoccupations ne distrayaient pas Hudson Taylor de ses devoirs quotidiens et de ses soins à tous ceux qui l'entouraient. Comme le Dr Hardey à Hull, le Dr Brown découvrit bientôt qu'il avait un assistant de valeur. Parmi les malades dont celui-ci avait la charge, plus d'un eut l'occasion de remercier Dieu de sa sollicitude, tant pour le corps que pour l'âme. Car il ne cherchait pas à esquiver ou à différer la tâche suprême : amener les âmes à Christ. Les inconvertis en Angleterre étaient un fardeau sur son cœur au même titre que les païens en Chine. Toujours et partout, il était un gagneur d'âmes.
À cette époque, il fut l'instrument de la conversion d'un incrédule. Rappelant plus tard cette expérience, il écrivait :
Oh ! quelle joie ce fut pour moi de voir cet homme se réjouir dans l'espérance de la gloire de Dieu ! Il me confessa que depuis quarante ans il n'avait jamais été dans un temple, et qu'à cette époque, cela avait été uniquement pour son mariage. Maintenant, Dieu merci, son âme souillée par le péché est, j'ai tout lieu de le croire, lavée, justifiée, sanctifiée au nom de notre Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu. Souvent, au début de mes travaux en Chine, quand les circonstances me paraissaient contraires, j'ai pensé à la conversion de cet homme et ai été encouragé à persévérer dans la prédication de la Parole de Dieu, quel que soit l'accueil des auditeurs.
Peu après, le chemin s'éclaira soudain devant Hudson Taylor. Tout avait paru obscur jusqu'alors, et spécialement depuis qu'il avait écrit à M. Bird au sujet de l'interruption de ses études, il n'avait guère fait de progrès. Il s'était livré à la prière avec sérieux pour être dirigé, désirant de tout son cœur connaître la volonté de Dieu et la faire. Et maintenant, la lumière brillait tout à coup d'une façon inattendue parce que l'heure était venue et que, derrière les événements, il y a, comme dit le prophète, « un Dieu... qui travaille en faveur de celui qui se confie en Lui ».
Dans le bureau de la Société pour l'Évangélisation de la Chine, un secrétaire écrivait une lettre. C'était le 4 juin, et les événements se succédaient en Chine avec une rapidité extraordinaire. Depuis la conquête de Nanking, en mars, les Taï-ping avaient brisé toute résistance devant eux et envahissaient les provinces du Centre et du Nord, au point que Peking même était menacé. Rien, semblait-il, ne pouvait sauver la dynastie chancelante, à moins que les puissances étrangères ne, se décidassent d'intervenir. Le représentant britannique, Sir George Bonham, après avoir fait une visite à Nanking, avait envoyé un rapport très favorable sur les Taï-ping. « Les insurgés sont des chrétiens », écrivait le North China Herald, le 7 mai. Et le développement religieux du mouvement semblait, en effet, marcher de pair avec l'augmentation de sa puissance1.
Tout cela ne pouvait signifier qu'une chose : si Peking tombait, c'en était fini de l'isolement séculaire de la Chine et le pays s'ouvrait à l'Évangile. Cette possibilité, imminente comme elle était, devint un puissant stimulant pour l'œuvre missionnaire. Partout les cœurs s'enflammaient. Quelque chose devait être tenté, et tout de suite, pour faire face à cette si grande crise. Et, pour un temps, l'argent afflua.
L'intérêt que l'on portait à la révolte des Taï-ping et l'espoir que, par la coopération sympathique des nations chrétiennes elle pourrait amener la conversion de multitudes au christianisme étaient tels, qu'en septembre de cette même année 1853, la Société Biblique Britannique et Étrangère décida de fêter son jubilé en imprimant un million de Nouveaux Testaments destinés à la Chine, entreprise d'une envergure presque incroyable pour l'époque.
À la lumière de ces nouvelles circonstances, la Société pour l'Évangélisation de la Chine révisa sa position. Son seul représentant en Chine était le missionnaire allemand Lobscheid, à l'œuvre près de Canton. Elle souhaitait depuis longtemps lui procurer un compagnon de travail et elle décida alors d'envoyer deux hommes à Shanghaï, pour qu'ils fussent prêts à toute éventualité. L'argent ne constituait pas une difficulté, car les entrées de fonds avaient considérablement augmenté depuis quelques mois, mais il n'était pas aisé de trouver des hommes qualifiés.
Ce fut donc au début de juin, comme nous l'avons vu, que M. Bird écrivit la lettre que voici à quelqu'un en qui le Comité avait pleine confiance, le jeune étudiant en médecine, Hudson Taylor.
CHER MONSIEUR,
Londres, le 4 juin, 1853.
Comme vous êtes tout à fait décidé à aller en Chine et à ne pas prendre vos diplômes de chirurgien, je voudrais vous suggérer affectueusement de ne pas perdre de temps en vous préparant à partir. À l'heure présente nous avons besoin d'hommes réellement consacrés et je crois que votre cœur est droit devant Dieu ; vos mobiles sont purs, aussi vous n'avez pas, à hésiter à vous offrir... Le temps que vous passeriez à apprendre l'ophtalmologie ne serait-il pas passé d'une manière plus profitable en Chine? Si vous jugez bon, de vous offrir, je serais très heureux de présenter votre demande au Comité. C'est un pas important, qui demande beaucoup de prières. Mais la direction vous sera donnée...
Charles BIRD.
C'était un samedi après-midi, et la lettre n'était pas encore partie qu'Hudson Taylor frappait à la porte de M. Bird. Surprise de part et d'autre, suivie d'une longue et sérieuse conversation. Depuis trois ans et demi le jeune homme avait constamment pensé à la Chine, et pourtant il était presque écrasé à l'idée de partir par le premier bateau. Et puis, il y avait toutes ces questions d'avenir, ses réserves à l'idée de se mettre au service d'une société. M. Bird l'encouragea avec une évidente sympathie. Hudson Taylor rentra chez lui avec beaucoup de choses à présenter au Seigneur.
Quelle différence avec son trajet précédent. Le même soleil de juin brillait sur les rues de Londres, mais le jeune homme marchait dans un monde nouveau, avec une large perspective ouverte devant lui. Était-il possible que tous les obstacles qui avaient barré sa route jusqu'ici se fussent évanouis ? Non seulement la Société consentait à l'envoyer, mais elle le désirait. Alors l'heure de Dieu devait être venue, et il ne pouvait pas résister.
M. Bird a écarté la plupart des objections et des difficultés qui se présentaient à mon esprit, écrivit-il à sa mère le lendemain, et je pense que je ferais bien de me rendre à ses conseils et de m'offrir tout de suite au Comité. J'attendrai cependant ta réponse et je compte sur tes prières. Si l'on acceptait que je parte tout de suite, me conseillerais-tu de venir à la maison avant de m'embarquer ? J'ai grande envie d'être avec vous encore une fois, et je sais que vous aimeriez naturellement me voir; mais je pense qu'il serait presque plus facile de ne pas se revoir, avant de se séparer pour toujours. Non, pas pour toujours !
Je ne puis écrire davantage, mais j'espère avoir bientôt de tes nouvelles. Prie beaucoup pour moi. Il est facile de parler de tout quitter pour Christ, mais quand l'heure du sacrifice est là, il nous faut toute Sa puissance.
Que Dieu soit avec toi et te bénisse, ma chère mère, qu'Il te donne de comprendre combien Jésus est précieux afin que tu n'aies plus qu'un désir : « Le connaître... même dans la communion de ses souffrances. »
Et il écrivait à sa sœur :
Prie pour moi, ma chère Amélie, pour que Celui qui a promis de répondre à tous nos besoins puisse être avec moi dans cette heure pénible, quoique longtemps désirée.
Lorsque nous regardons à nous-mêmes, à la petitesse de notre amour, à la pauvreté de notre service, au peu de progrès que nous faisons vers la perfection, quel rafraîchissement pour l'âme de lever les yeux et de les fixer sur Lui, de se plonger de nouveau dans la « source qui est ouverte pour le péché et l'impureté », de se souvenir que nous sommes « acceptés dans le Bien-Aimé » « qui nous a été fait, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption ». Oh ! la plénitude de Christ, la PLÉNITUDE de CHRIST !
1 Qui peut dire ce que la propagande des Taï-ping aurait donné si elle avait conservé les caractères du début ? Le succès, comme c'est fréquemment le cas, amena des divisions et le déclin du mouvement. Depuis son apogée en été 1853, lors de l'avance vers Péking, il dégénéra en un parti politique corrompu, inondant le pays de sang durant les onze ans qu'il dura encore. Même le gouvernement impérial fut sans force peur mettre fin à cette révolte, jusqu'à ce qu'il fût secouru par les puissances occidentales. La chute de Nanking, en 1864, devant le général Gordon, fin de la rébellion des Taï-ping.