Zwingle, aussi bien que Luther, fut contraint par les excès de nombreux sectaires anabaptistes et donatistes, issus de la réforme de Zurich, ou venus du dehors, d’employer le glaive à deux tranchants de l’Évangile contre ses prétendus amis, qui étaient en réalité ses plus implacables adversaires. Citons Louis Hetzer, Conrad Grebel, Simon Stumpf, Félix Manz, Balthasar Hubmaier, Thomas Münzer qui, après avoir commencé par envisager la lettre même des Écritures comme le code divin de la nouvelle Église apostolique, bientôt pleins d’un insolent mépris pour le développement historique du christianisme, tombèrent dans les plus graves excès, et attaquèrent avec violence l’autorité de la Bible et le baptême des enfants.
Zwingle, comme il l’avoua plus tard, était disposé au début de son œuvre à reculer le baptême des enfants jusqu’à l’âge de raison, et, comme Luther, il estimait indispensable, pour combattre avec efficace la conception magique des sacrements dans l’Église romaine, d’exiger la foi avant le baptême. Mais il ajoute qu’il n’y apporta jamais la rage aveugle des sectaires, mais qu’il chercha de bonne heure des arguments en faveur de cette institution aussi antique que vénérable du baptême des enfants, tout en refusant d’assigner une efficace rédemptrice intrinsèque à l’action symbolique elle-même. Cette puissance régénératrice du baptême, que l’Église romaine assignait à l’acte lui-même, il la recula dans l’avenir[a]. Le baptême est pour lui un engagement que contracte l’âme envers Christ de se repentir, et de participer par la foi à la vie nouvelle, qu’il réserve aux fidèles, la prestation symbolique d’un serment pour toute la vie, et qui semblait exiger aussi bien que la foi, la volonté et l’intelligence du fidèle. Aussi, à ce moment n’établissait-il pas une différence essentielle entre le baptême chrétien et le baptême de Jean, et envisageait-il la circoncision elle-même comme un sacrement[b]. Quand se manifestèrent à Zurich les premiers symptômes de l’agitation anabaptiste, mal disposé dès le début à son égard, il engagea bientôt contre elle une lutte de plus en plus vive. Non pas qu’il ait eu recours comme Calvin à une conception plus profonde de ce sacrement, et qu’il l’ait envisagé sous sa forme de grâce prévenante. On est, tout au contraire, en droit d’affirmer qu’il s’efforça de combattre les anabaptistes, en montrant que le baptême n’avait nullement l’importance dogmatique qu’ils prétendaient lui assigner. Il n’a pas été entraîné à la lutte par de simples causes extérieures. Il éprouvait en effet une répugnance instinctive pour les tendances donatistes, qui ne veulent entendre parler que d’une Église de saints, et il avait reconnu de bonne heure, que tel était le principe fondamental des anabaptistes. Profondément pénétré de l’amour de la patrie, il la voulait complètement chrétienne. Or, à ses yeux, la suppression du baptême des enfants entraînait celle de l’Église nationale, et transformait le christianisme en une secte. S’il était vrai que l’inconscience de l’enfant rendît le baptême inutile, on devait attendre, pour l’accomplir, le moment exact et précis de la nouvelle naissance. Le baptême devenait ainsi le symbole, le signe visible de la communion des saints. Aussi, Zwingle n’a-t-il pas combattu les erreurs de l’anabaptisme, en lui opposant une conception dogmatique nouvelle et supérieure du baptême, mais en lui montrant le rôle large et universel de l’Église, appelée à pénétrer la vie des nations aussi bien que celle des individus, et en signalant les abus de tendances sectaires et séparatistes. Aussi le baptême des enfants acquiert-il à ses yeux une importance nouvelle. Il n’est plus simplement un engagement pour l’avenir, mais aussi un acte symbolique de l’Église, qui introduit le nouveau-né dans l’alliance du peuple de Dieu, et qui possède une signification égale à celle de la circoncision dans l’ancienne alliance. Le baptême est pour l’Église un engagement symbolique de faire connaître plus tard aux enfants les grâces de l’Évangile. Le baptême des enfants de parents chrétiens est donc aussi légitime que salutaire. Ces enfants appartiennent à Dieu, et leurs parents doivent leur communiquer, dès leurs premiers pas dans la vie, le signe de l’alliance.
[a] Zwinglii Opera, édition Schuler et Schulthess, II, 2, 242, 358.
[b] Id., II, 1, 357 ; III, 232-234.
Cette théorie restituait au baptême l’efficace sacramentelle, qu’elle lui avait d’abord refusée, puisque l’entrée dans l’alliance de Dieu constitue une grâce, et un gage de la vie future. L’opinion de Zwingle, que l’on devait considérer les enfants des chrétiens comme des élus, ne cadrait pas parfaitement avec sa doctrine de l’élection, et subordonnait la puissance de la grâce au fait accidentel de la naissance, tandis que, au contraire, il a toujours admis une élection particulière de Dieu au sein de l’Église universelle. Nous ne saurions cependant exiger une logique aussi stricte. Luther a enseigné, en même temps que l’élection la plus rigoureuse, la grâce universelle du Dieu amour ; Zwingle se laisse guider par les intérêts de l’Église visible, comme si jamais il n’avait professé l’élection spéciale. Il considère cette Église comme le peuple de Dieu, existant dans l’unité de ses institutions et de ses enseignements avant les simples individus, la sphère d’action de la grâce, l’instrument terrestre de l’élection divine. On peut affirmer que, pas plus que Luther, il ne veut réduire la notion de christianisme à un subjectivisme absolu et effréné. L’Église est pour lui, ce que sont pour Luther les principes plus objectifs de la Parole et des sacrements, la sphère divine du développement dogmatique et moral des âmes. Plus tard[c] il s’est encore plus rapproché de lui, en assignant au sacrement une plus grande puissance attractive sur l’âme, qu’à la Parole elle-même. Il appelle aussi le baptême un gage pour le néophyte, que ses péchés ont été lavés dans le sang de Jésus-Christ[d], et que Dieu lui a communiqué ses bienfaits gratuitement, et en dehors de tout mérite personnel. Reconnaissant à la Parole sainte l’autorité d’un document émanant de Dieu lui-même, il maintient son efficace contre les interprétations audacieuses des sectaires. Ce profond respect pour la majesté divine, ce zèle jaloux pour l’honneur de Dieu, qui ne lui avaient point permis d’approuver la doctrine luthérienne de l’abaissement volontaire de Dieu dans la Parole et dans les sacrements, lui inspirèrent une répulsion profonde pour le dédain irrespectueux, avec lequel les sectaires traitaient les Écritures. Le chrétien doit honorer Dieu, et obéir à sa volonté, non pas en suivant ses propres caprices, mais en se soumettant humblement à la parole sainte.
[c] Zwinglii Opera, édition Schuler et Schulthess, III, 358, 563. Baptismus initiatio ecclesiæ.
[d] Voir Schenckel, Wesen des Protestantismus, 1847, II, 400.
Zwingle se vit soutenu dans sa lutte contre les anabaptistes par tous ses collègues de la Puisse. Après avoir vainement cherché à les vaincre par la douceur la patience, les discussions publiques, dont la plus importante fut celle du 6 novembre 1526, il les déclara incorrigibles, et les livra au bras séculier. L’Église naissante fut ainsi préservée par l’État du levain sectaire, mais elle paya chèrement ce service par la perte de ses libertés.