Cette fonction est au premier rang de nos fonctions. L’instruction religieuse, bien entendue, renouvelle incessamment le fond de l’Eglise, et constitue le plus réel et le plus précieux de cette tradition par laquelle le christianisme se perpétue d’âge en âge, non seulement comme une doctrine, mais comme une vie. L’importance du sermon proprement dit, dans cette tradition, est d’autant plus grande qu’il s’adresse à des auditeurs préparés par l’instruction religieuse.
La catéchisation est utile à ceux qui en sont les objets immédiats ; utile à la paroisse, qui a besoin d’être catéchisée, et qui l’est avec l’enfant ; utile au pasteur lui-même, que l’obligation de rendre la religion accessible à des enfants ramène sans cesse à la simplicité, et au vrai nom de toutes choses. A tous ces égards, elle mérite nos soins affectionnés ; elle les réclame encore par sa difficulté, inégale pour les différents pasteurs, mais grande pour tous ; car cette tâche renferme, avec toutes les conditions d’une bonne prédication, des conditions spéciales. Qui catéchise bien, ne prêchera pas mal ; mais qui prêche fort bien, peut mal catéchiser.
Il est vrai que la catéchisation a des rebuts que n’a pas la prédication ; mais elle a des attraits que la prédication n’a pas.
Il est vrai encore qu’elle rencontre un obstacle redoutable dans le peu d’accord, ou plutôt dans le contraste de l’enseignement que l’enfant reçoit du ministre, avec celui qu’il reçoit, la plupart du temps, du monde et de sa propre famille. Mais en tant que cet obstacle n’est pas essentiellement insurmontable, il se présente à nous, moins comme obstacle que comme motif à donner plus de soins à cette partie de l’office pastoral, et comme la raison même de cette institution.
L’objet de l’instruction religieuse n’est pas seulement d’apprendre aux enfants leur religion (comme s’ils l’avaient déjà et qu’elle fût leur avant qu’ils l’eussent apprise), mais de fonder en eux une vie.
C’est une instruction sans doute, en prenant ce mot dans son sens ordinaire et au-dessous de sa valeur étymologique ; mais c’est encore plus une initiation dans le mystère sacré de la vie chrétienne. Mes petits enfants, dit saint Paul, pour qui je suis en travail jusqu’à ce que Christ soit formé en vous. (Galates 4.19)
Il ne faut pas donner la préférence aux plus intelligents des enfants, à ceux qui répondent le mieux, [mais bien souvent reconnaître chez des esprits plus bornés une supériorité de cœur. Les réponses du cœur, quand elles sont justes, valent mieux que les plus remarquables de l’intelligence. L’enfant lourd, impatientant, est peut-être plus sérieux que l’enfant intelligent que nous caressons plus volontiers.]
Que l’instruction, comme instruction, soit aussi solide et aussi complète que possible ; mais qu’on cherche la spontanéité et la vie ; que, pour cela, cette étude n’ait rien de précipité, rien de trop laborieux, [ce qui occupe trop l’esprit laisse bien souvent le cœur oisif,] rien qui la fasse trop ressembler à une étude ordinaire, rien qui soit fait pour en laisser un souvenir peu agréable. [Que l’enfant se souvienne toute sa vie de ces leçons, au moins autant qu’il dépend du prédicateur.] Que ces heures de leçon soient des heures d’édification ; que l’enfant ait le sentiment d’une action[g] ; que l’instruction religieuse ait le caractère d’un culte[h]. Action et culte, ces deux caractères, qui se fondent l’un dans l’autre, sont trop perdus de vue.
[g] – Le sentiment d’une action est entretenu par des interrogations qui coupent l’exposition.
[h] – Voir, sur ce sujet, un morceau de Madame Necker, dans son Education progressive : La religion ne s’offrira jamais sous son aspect le plus sacré aux jeunes gens, si son enseignement même n’est pas un culte, etc. (Livre VI, chap. II, ce paragraphe et le suivant.)
Où l’enfant doit-il trouver sa religion ? [Tout ce qu’il pourra inventer, il faut qu’il l’invente ; mais c’est peu ; tout le reste est] dans la Bible. C’est la Bible qu’il faut lui faire connaître. Le catéchisme présuppose la Bible, qu’il ne fait que résumer et systématiser ; [et, pour le dire en passant,] son emploi à la suite de la Bible n’a pas les mêmes inconvénients qu’avant. [Le retrancher serait un excès fâcheux, mais cependant bien moindre que celui de retrancher la Bible.]
C’est par leur entrelacement mutuel que vivent les idées de la Bible, comme autant de fibres d’un corps vivant. Séparer, c’est faire mourir. Il y a des faits distincts, ou que l’esprit peut distinguer ; mais dans la réalité, dans la vie, rien n’est isolé ; et toutes ces individualisations, toutes ces personnifications, toutes ces entités, qui figurent dans le catéchisme, sont des fictions. Toutes les vérités ne sont que les diverses faces ou les différentes applications d’une même vérité.
Mais il y a des difficultés attachées à l’emploi de la Bible ; [il ne faut pas se jeter dans cette voie sans réflexion ;] c’est une méthode à organiser. [Il s’agit de voir comment on doit la lire, ce qu’on doit en lire, et par où l’on doit commencer ; et ensuite, de bien calculer le tout d’après le temps dont on dispose.]
Il serait à souhaiter que le pasteur commençât avec les enfants les plus jeunes, et que, les ayant sous sa direction plusieurs années de suite, il pût procéder à loisir à leur instruction. Je comprends que les ayant si peu de temps, il soit réduit à l’emploi du catéchisme. Mais soit qu’on y soit réduit (et surtout alors), soit que le catéchisme vienne après la Bible, l’emploi de ce manuel exige un soin particulier. Un catéchisme est difficile à faire, et il y en a peu de bons. Toutes choses égales d’ailleurs, je choisirais le plus élémentaire, celui qui, conçu d’après un plan chrétien, et rattachant fortement toutes choses à un petit nombre de principes, ne présenterait sur chaque sujet que les idées fondamentales, mais exprimées avec vigueur et sentiment. Encore aujourd’hui je préférerais à tous les catéchismes que je connais celui de Luther. En y joignant un recueil de passages, on aurait le nécessaire.
Quelle que soit la forme de la catéchisation, rattachée à la Bible ou à quelque manuel, celle qui a lieu en public doit être calculée pour la classe d’auditeurs à qui elle est spécialement destinée, je veux dire pour les enfants. Il faut bien désirer de la faire goûter et fréquenter par les adultes, mais il ne faut pas se croire obligé pour cela d’en altérer le caractère ; ce ne serait pas seulement une infidélité par rapport aux enfants, ce serait un dommage plutôt qu’un avantage apporté aux adultes. La religion n’est jamais plus pénétrante, ni l’enseignement réellement plus profond, que lorsque le christianisme est pris au point de vue de l’enfance ; et le présenter ainsi est le moyen d’attirer les adultes, que le meilleur sermon attire beaucoup moins qu’une catéchisation bien faite.
Soit en public, soit en particulier, il faut préparer avec soin la matière, et ne pas se dire : je n’ai à faire qu’à des enfants ; car, en ceci comme en tout : maxima debetur puero reverentia[i]. Il n’est certes pas si facile de bien parler aux enfants. Quelques-uns ont le talent de le faire. [Il faut être avec l’enfance intuitif (incisif), pénétrant ; mais alors le danger de sortir des bienséances est tout près.] Sur ce sujet je citerais volontiers un aveu remarquable de Bernard Overberg : Ce matin encore, dit-il dans son journal, je suis allé à l’école sans préparation suffisante. O Dieu ! aide-moi à devenir meilleur sur ce point. — C’est une illusion de me dire à moi-même : Cela ira bien, tu sais ton affaire ; voici quelque chose de plus nécessaire que de se préparer ; car toute chose qui peut être ajournée est moins importante que ce devoir, dans ce moment-là. Le manque de préparation entraîne beaucoup d’inconvénients ; l’enseignement est alors sec, embrouillé, lâche, diffus ; les enfants sont embarrassés, ne peuvent fixer leur attention, et la leçon devient ennuyeuse pour eux et pour moi.[j]
[i] – Juvénal. Satire XIV, v. 47. On ne saurait trop respecter l’enfant. (Editeurs.)
[j] – Notice sur Bernard Overberg, instituteur à l’école normale de Ster, etc., par J.-H. Schubert, professeur à Munich publiée en français par la Société de Neuchâtel. 1840. Page 26.
La préparation du catéchisme, même du catéchisme public, dit oratoire, ne suppose pas un discours écrit et appris par cœur ; encore moins la préparation de l’instruction particulière faite dans le domicile du pasteur. Il est précieux qu’elle ait le caractère d’un entretien libre et familier, et difficile qu’elle le conserve dans un discours écrit. Mais la préparation n’en doit être que meilleure. (En général, si les éléments de la préparation sous ses deux formes ne sont pas les mêmes, on peut dire qu’ils se compensent.)
La douceur et la patience sont des conditions premières ; la moquerie est impardonnable ; ce qui ne l’est guère moins, c’est de mettre et de laisser un enfant dans l’embarras à la vue de tous les autres.
La douceur doit être paternelle, mais virile ; l’amour pour les enfants est le sûr moyen de leur paraître aimable, et remplace avantageusement le ton doucereux et câlin.
Quant à la familiarité, [elle ne doit pas manquer sans doute, mais] elle doit être grave ; il n’y a, dans l’instruction religieuse, que peu de place pour le sourire, pour le rire jamais. Il faut intéresser, non amuser. [On a l’habitude d’entremêler ses instructions d’anecdotes ; mais elles doivent être semées avec modération, être sérieuses et bien placées.]
Le bien-être physique des enfants pendant l’heure de la catéchisation est une chose à prendre en considération.
Le catéchisme ne doit point être long ; il faut surtout se garder de passer les bornes dans l’exposition, et ménager du temps à l’interrogation, [qui fatigue moins l’enfant, parce qu’il y agit. Il ne faut pas tout dire dans l’exposition, mais laisser à l’interrogation à compléter les idées générales par des idées particulières.] La pire manière d’étendre un catéchisme, ce sont les digressions qui font perdre de vue l’objet principal, et après lesquelles il est difficile aux enfants, et au maître lui-même, de se retrouver. [C’est le danger du socratisme, méthode excellente du reste et trop peu en usage. Dans le socratisme absolu, l’enfant se persuade trop vite que c’est lui qui trouve tout, qui dit tout, ce qui nuit à l’autorité du pasteur, et à l’enfant lui-même, en excitant son amour-propre. — Et puis, on ne peut savoir jusqu’où on ira, à propos d’un simple détail auquel il fallait tout simplement répondre pour l’enfant. Eviter les trop longs circuits.]
Les réponses individuelles de chaque enfant dans le cours de l’instruction ne suffisent pas pour le juger ; il faut, vers la fin du cours, le voir à part [et l’examiner. Les plus instruits ne sont pas les meilleurs.] — Il faut le voir aussi pour bien le fixer sur le vrai point de vue de la communion à laquelle il doit être admis. [Il faut faire comprendre à l’enfant ce que c’est que la cène. Le sujet de la cène, sous le point de vue pratique, est un de ceux sur lesquels il y a le plus de préjugés répandus ; c’est en partie la faute du cœur humain : l’enfant n’a pas en général de préjugés, mais il est ignorant ; il faut qu’il sache bien ce qu’il va faire] et que la confirmation du vœu du baptême lui soit présentée sous son vrai caractère. [Le formulaire usité parmi nous laisse beaucoup à désirer : il ne dit rien de la cène, non plus que de la grâce de Dieu qu’il était si nécessaire de rappeler en présence de la promesse redoutable qui y est formulée. Cette promesse devrait être plutôt une déclaration. Le formulaire a donc besoin tout au moins d’être complété.]
L’âge auquel, parmi nous, cette confirmation a lieu[k] paraît convenable, eu égard à l’idée de faire confirmer librement et avec connaissance de cause le vœu du baptême. Au reste, ce qu’il faut avoir en vue, quant à la question d’admettre ou de ne pas admettre, c’est bien la connaissance du mystère de piété, pour chacun dans la proportion où il en est capable, mais surtout l’intelligence par le cœur, l’appréciation religieuse de ce mystère. [Pour la première, nous avons une mesure ; pour la seconde, on n’a pas de moyen sûr de la reconnaître. Ainsi, sur ce dernier point, à moins que nous n’ayons une preuve décidée que l’enfant a des dispositions directement contraires au christianisme, nous devons l’admettre.] — Nous avons le droit d’ajourner ou de refuser la confirmation ; mais il est exorbitant de s’arroger le droit d’empêcher un autre pasteur d’accorder, s’il croit pouvoir le faire, ce que nous avons refusé. Il suffit, pour dégager notre responsabilité, que nous ayons averti notre confrère.
[k] – Seize ans. (Editeurs)