Ce n’est pas seulement de la philosophie, c’est encore de presque tous les arts que les barbares furent les inventeurs. Les Égyptiens furent les premiers qui enseignèrent l’astrologie aux hommes. Il en est de même des Chaldéens. Les premiers encore, les Égyptiens enseignèrent aux hommes à se servir de flambeaux. Ce sont eux qui divisèrent l’année en douze mois, qui proscrivirent tout commerce impur avec les femmes dans les temples, et qui en défendirent l’entrée à quiconque s’y rendrait en sortant des bras de son épouse sans s’être préalablement purifié. Ce sont eux encore qui ont inventé la géométrie. On attribue aux Cariens la découverte de la science qui consiste à prévoir l’avenir d’après l’inspection des astres. Les Phrygiens sont les premiers qui aient observé le vol des oiseaux. Et tous les peuples voisins de l’Italie ont connu parfaitement la science des aruspices. Les Isauriens et les Arabes s’appliquèrent à la science des augures, comme les Tolmessiens à la divination, qui a pour base l’interprétation des songes. Les Étrusques ont inventé la trompette, et les Phrygiens la flûte ; car Olympe et Marsyas étaient phrygiens. Cadmus, qui, selon Euphore, enseigna aux Grecs l’alphabet, était phénicien. C’est de là qu’Hérodote écrit que l’on nommait aussi phéniciennes les lettres dont cet alphabet se compose. Selon d’autres, les Phéniciens et les Syriens sont les premiers inventeurs de l’alphabet. Apis, égyptien d’origine, a inventé la médecine, avant que la nymphe Io fût venue en Égypte ; et dans la suite, Esculape a perfectionné cet art. Atlas de Lybie a le premier construit un vaisseau, et le premier tenté la mer. Celmis et Damnanéus, Dactyles idéens, ont les premiers trouvé le fer dans l’ile de Chypre. Un autre Idéen a trouvé l’art de le forger et de s’en servir. Suivant Hésiode, ce serait un Scythe. Les Thraces ont inventé l’arme que l’on nomme harpé ; c’est un sabre recourbé. Ils se sont servi les premiers, à cheval, du bouclier nommé pelte. Les Illyriens passent aussi pour en être les inventeurs. On croit que les Toscans ont inventé la plastique, et que le samnite Itanus fit le premier bouclier. Ce fut Cadmus de Phénicie qui découvrit les premières carrières, et qui, le premier, trouva les mines d’or du mont Pangée. On doit à un autre peuple, les Cappadociens, l’instrument de musique nommé nabla; de même que l’on doit aux Assyriens le dicordon. Les Carthaginois construisirent la première quadrirème : Bosphore, d’origine carthaginoise, en fut l’architecte, il l’imagina tout à coup. Médée, fille d’Aéta et originaire de Colchide, inventa la première l’art de teindre les cheveux. Les Noropes ( nation de Pœonie, maintenant appelée Norique), sont les premiers qui aient travaillé l’airain et purifié le fer. Amycus, roi des Bebryces, est le premier inventeur des cestes. Dans le domaine de la musique, Olympe a introduit le mode lydien ; et les peuples qu’on appelle Troglodytes ont inventé la sambuque. On dit que Satyre, phrygien, a inventé la flûte champêtre aux tuyaux obliques; Yagnis, phrygien aussi, le tricorde et le diatonum ; et Olympe le phrygien, l’art de toucher des instruments à cordes ; comme Marsyas, qui était du même pays que les précédents, a inventé le mode phrygien, le mode demi-phrygien, et le mode demi-lydien ; et Thamyris de Thrace, le mode dorien. Nous savons aussi que les Perses ont construit les premiers chars, les premiers lits, les premiers marchepieds ; et les Sidoniens, les premières trirèmes. Les Siciliens, peuples voisins de l’Italie, sont les premiers inventeurs de la phormingue, qui diffère peu de la cithare ; ils ont aussi inventé les crotales. On rapporte que la fabrication des vêtements de lin date du règne de Sémiramis, reine d’Égypte. Hellanicus dit qu’Atossa, reine des Perses, est la première qui ait écrit des lettres. Scamon de Mitylènes, Théophraste d’Érèse, Cydippe de Mantinée, Antiphanes, Aristodème, Aristote, Philostéphane, et Straton le péripatéticien, dans son ouvrage sur les inventions, rapportent tous ces faits. J’en ai ajouté quelques-uns, afin de prouver que les barbares sont féconds en inventions des plus utiles à la vie, et que les Grecs ont puisé chez eux de grands secours pour leurs études et pour leurs arts. Si quelqu’un se récrie contre l’idiome barbare, je lui répondrai par ce mot d’Anacharsis :
« Le grec est à mon oreille ce que le scythe est à l’oreille des Grecs. »
Anacharsis est ce philosophe admiré des Grecs, pour avoir dit :
« La laine est mon vêtement, le lait et le fromage ma nourriture. »
Vous voyez la philosophie barbare, elle ne parle pas, elle agit. Or, l’apôtre dit de même :
« Si la langue que vous parlez n’est pas intelligible, comment saura-t-on ce que vous dites ? vous ne parlerez qu’en l’air. Il y a tant de langues différentes dans le monde, et il n’y a point de peuple qui n’ait la sienne. Si donc j’ignore ce que signifient les paroles, je serai barbare pour celui à qui je parle ; et celui qui me parle sera barbare pour moi ; celui qui parle une langue inconnue a besoin d’un interprète. »
Que dirai-je encore ! l’art oratoire et l’art d’écrire pénétrèrent tard chez les Grecs. En effet, Alcméon, fils de Périthe, et originaire de Crotone, écrivit le premier un ouvrage sur la nature. D’autres rapportent que ce fut Anaxagore de Clazomène, fils d’Hégésibule, qui publia le premier livre. Terpandre d’Antisse fut le premier qui introduisit dans les poèmes la forme du vers, il mit en vers les lois de Lacédémone. Lassus Hermionée inventa le dithyrambe ; Stésichore d’Himère, l’hymne ; Alcman de Lacédémone, la danse ; Anacréon de Téos, le poème érotique ; Pindare de Thèbes, les chants qui accompagnent la danse ; Timothée de Milet chanta le premier les nomes sur la cithare et avec accompagnement de chœurs. Archiloque de Paros inventa l’iambe ; Hipponax d’Ephèse, le choliambe ; Thespis d’Athènes, la tragédie ; et Susarion d’Icarie, la comédie. Les grammairiens nous disent les époques où ces poètes ont vécu. Il serait trop long d’en donner le tableau détaillé, d’autant plus qu’il nous est prouvé que Bacchus même, en l’honneur duquel ont été institués les jeux et les spectacles dionysiaques, est postérieur à Moïse, et de beaucoup. Selon Diodore, on doit à Antiphon, fils de Sophylus, et originaire de Rhamnos, le premier discours qui ait été prononcé dans une école, et les premiers traités de rhétorique. Selon le même Diodore, Antiphon fut aussi le premier avocat qui se fit payer ; le premier, il écrivit un plaidoyer pour le remettre à un client. Apollodore de Cumes reçut le nom de Critique et fut le premier grammairien. Quelques-uns veulent que ce soit Eratosthène le cyrénéen, parce qu’il publia deux livres ayant pour titre, Traité grammatical. Mais le premier qui fut nommé grammairien, dans l’acception que nous donnons maintenant à ce mot, fut Praxiphanès, fils de Dionysiphanès, et originaire de Mitylène. On rapporte que Zaleucus de Locres fut le premier législateur. D’autres désignent Minos, fils de Jupiter, et contemporain de Lyncée. Celui-ci succéda à Danaüs, onze générations après Inachus et Moïse, comme nous le prouverons un peu plus bas. Lycurgue, né longtemps après la prise de Troie, donna des lois à Lacédémone, cent cinquante ans avant la première olympiade. Nous avons déjà dit à quelle époque vécut Solon. Nous voyons pareillement que Dracon, qui fut aussi législateur, vécut vers la trente-neuvième olympiade. Antiloque, auteur d’un ouvrage sur les philosophes et les savants qui se succédèrent depuis le temps de Pythagore jusqu’à la mort d’Épicure, arrivée le dixième jour du mois de gémélion, embrasse l’intervalle de trois cent douze ans complets. On dit encore que Phanothée, femme d’Icare, a inventé l’hexamètre héroïque ; d’autres en attribuent l’invention à Thémis, l’une des Titanides. Didyme, dans son traité de la philosophie pythagoricienne, rapporte que Théano de Crotone est la première femme qui se soit livrée à l’étude de la philosophie, et qui ait écrit des poèmes.
Ainsi donc la philosophie grecque, selon les uns, atteint comme par hasard la vérité, mais très faiblement ; elle est loin de la posséder toute entière. Selon les autres, c’est une création du démon. Quelques-uns pensent que toutes les philosophies émanent de certaines puissances d’un ordre inférieur. Mais, selon nous, si la philosophie grecque n’a pas la vérité dans toute sa sublimité, si elle est absolument sans force pour l’accomplissement des préceptes du Seigneur, toujours est-il qu’elle prépare la voie qui mène à la doctrine vraiment royale, puisqu’elle corrige et forme les mœurs à un certain point, et qu’elle rend assez fort pour recevoir l’enseignement de la vérité, celui qui croit à la Providence.