Ceux-ci qui ont remué tout le monde sont aussi venus ici.
Nous avons ici le vieux récit d’un trait d’histoire qui s’est répété bien des fois. Quand des troubles éclatent quelque part, quand des révoltes ou des insurrections causent des effusions de sang, on entend, encore de nos jours, des voix qui crient : « Ce sont les chrétiens qui ont fait cela ! » Au temps du Seigneur, on l’accusait d’être un séditieux et d’exciter le peuple à la révolte, tandis qu’il avait refusé d’être fait roi lorsqu’on voulait presque l’y forcer, et qu’il s’était soustrait aux ovations, en disant : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Malgré cela, il fut crucifié, sous la double accusation de blasphème et de sédition. La même chose arriva aux apôtres. Partout où ils prêchaient l’Évangile, les Juifs, qui les détestaient, excitaient les villes contre eux, afin de ruiner leur ministère ; puis, quand, à leur propre instigation, le tumulte devenait grave, et quand, sous leur impulsion, des hommes de rien troublaient la tranquillité publique par leurs attroupements et leurs clameurs, quand toute la ville était en émoi, quand on attaquait la maison de Jason, et quand on voulait le traîner devant la populace, alors ces Juifs plaçaient tout ce tumulte et tout ce vacarme sur le compte des apôtres, disant : « Ceux-ci qui ont remué tout le monde sont aussi venus ici. » Telle a été la tactique suivie dans tout l’empire romain jusqu’au jour où le christianisme est devenu religion de l’Etat. A chaque calamité qui fondait sur Rome, à chaque guerre qui surgissait, à chaque famine et à chaque peste, la vile multitude criait : « Aux lions, les chrétiens ! Les chrétiens en sont la cause ! » Néron lui-même leur imputait l’incendie de Rome, quoiqu’il en fût lui-même, très probablement, le seul instigateur. Les disciples de Jésus étaient calomniés et considérés comme l’égout central où toutes les ordures de la société humaine devaient s’être donné rendez-vous, tandis qu’ils étaient au contraire semblables à la mer d’airain du temple de Salomon, toujours pleine de l’eau la plus pure.
De nos jours encore, vous observerez que le monde accuse les chrétiens de toutes ses souffrances. Ne disait-on pas en Angleterre, il n’y a que quelques mois, — et n’y a-t-il pas çà et là quelques esprits faibles qui le croient encore — que le grand soulèvement de l’Inde et les horribles massacres qu’il a occasionnés étaient causés par les missionnaires ? Oh ! oui vraiment ! Les gens qui avaient mis le monde sens dessus dessous y étaient allés aussi ! Et parce que là les hommes foulaient aux pieds toutes les lois divines et humaines, commettant des barbaries dont les tigres auraient rougi, il faut que ces horreurs soient mises sur le compte du Saint Évangile de Christ, et que les hommes de paix portent l’opprobre d’une guerre sanglante. Ah ! nous n’avons pas besoin de réfuter cette absurdité ; l’accusation est trop gratuite pour qu’elle en vaille la peine. Est-il possible que Celui dont la Parole est amour soit le fomentateur des discordes ? Peut-il être juste de mettre la rébellion et les révoltes sur le compte de cet Évangile dont la devise porte : « Paix sur la terre ; bienveillance env vers les hommes ? » Notre Maître ne disait-il pas : « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu ? » Ne payait-il pas lui-même le tribut, quoiqu’il-fût obligé de demander aux poissons de la mer le schekel de l’impôt ? Et ses disciples n’ont-ils pas toujours été une génération paisible, sauf les cas où, persécutés pour leurs croyances religieuses, ils ne pouvaient plus s’incliner devant les puissants, à moins de mentir à leur conscience ? Mais alors, comme sous le courageux Olivier Cromwell, ils ont vaincu et lié de chaînes leurs ennemis, et ils les vaincraient encore, si besoin était et si l’on essayait de leur ravir la liberté d’adorer Dieu comme ils doivent le faire.
Nous croyons que ce que les Juifs disaient des apôtres n’était qu’un mensonge volontaire. Ils en connaissaient la fausseté. Les apôtres n’étaient nullement des perturbateurs politiques. Je conviens que ce qu’ils prêchaient était de nature à troubler un royaume basé sur des principes coupables, et à déranger les mauvaises pratiques de prêtres idolâtres ; mais jamais leur dessein ne fut de causer du désordre. Leur but était simplement d’insurger les hommes contre le péché et de déclarer la guerre à l’iniquité. Ils n’avaient pas à combattre les hommes en tant qu’hommes, ni les rois en tant que rois : ils tiraient l’épée contre le péché, contre l’iniquité, contre le mal sous toutes ses formes, et lui déclaraient une guerre éternelle. Néanmoins, il est bien des vérités que l’on articule en plaisantant ou par malice. Les accusateurs disaient que les apôtres avaient bouleversé le monde entier ; par où ils entendaient qu’ils troublaient la paix publique. Ils disaient sans le vouloir une chose très vraie, car l’Évangile de Christ, en un sens, met le monde à la renverse. Avant qu’on le prêchât, ce qui devait être à la cime était à la base, et maintenant qu’on le prêche, et surtout à mesure qu’on le comprend mieux, il remet le monde dans sa vraie position, en le tournant sens dessus dessous. Je vais donc avoir à vous montrer comment, en général, l’Évangile met le monde sens dessus dessous ; après quoi, j’essaierai de montrer, aussi bien que Dieu m’en fera la grâce, comment ce monde intérieur qui se trouve au dedans de tout homme est mis sens dessus dessous lorsqu’il est pénétré par la foi à l’Évangile.
Et d’abord, l’Évangile de Christ met le monde sens dessus dessous en ce qui concerne la position respective des différentes classes d’hommes.
Dans la pensée des hommes, le royaume des cieux est à peu près disposé comme ceci : tout en haut, au sommet, siège le plus grand des rabbins, — le très-révérend — le très estimable et très excellent docteur en théologie, — le profond philosophe, — le savant des savants, — l’homme de vaste érudition et de puissante intelligence. Il est là, assis au sommet de la pyramide. Il est au degré le plus élevé, parce qu’il est le plus instruit. Immédiatement au-dessous de lui vient une catégorie d’hommes très éclairés, — pas tout-à-fait aussi habiles que lui, mais néanmoins extrêmement instruits. Ceux-là jettent un regard complaisant sur ceux qui sont au pied de la pyramide, et disent : « Ah ! voilà l’ignoble multitude qui ne sait rien du tout ! » Un peu plus bas qu’eux, nous arrivons à la classe des hommes rassis, respectables, bien pensants, — qui ne prétendent nullement instruire les autres, mais qui consentent rarement à se laisser instruire, parce que, selon eux, ils savent déjà tout ce qu’il convient de savoir. Après ceux-là vient une classe encore plus nombreuse de gens fort honnêtes et fort estimables, extrêmement versés dans la sagesse selon le monde, mais inférieurs, toutefois, aux philosophes et aux rabbins. Plus bas viennent ceux qui ont encore une dose assez respectable de sagesse et de savoir ; puis tout en bas sont les insensés, les enfants et les petits enfants. Quand nous considérons toute cette hiérarchie, nous disons : « Voilà bien la sagesse de ce monde ! Voyez quelle grande distance sépare le petit enfant au dernier degré et le savant docteur placé au sommet ! quelle distinction profonde entre le malotru ignorant qui forme la base inintelligente, dure et rugueuse de l’édifice, et cet homme plein de sagesse, semblable à un marbre poli et qui brille comme un soleil au faîte de la pyramide ! » Voyez maintenant comment Christ renverse cet ordre et met tout sens dessus dessous. D’un seul mot, il renverse la pyramide : « Si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme de petits enfants, vous ne pouvez en aucune façon entrer dans le royaume des cieux. — Peu d’hommes éminents selon la chair, peu d’hommes puissants sont choisis ; mais Dieu a choisi les pauvres selon le monde, qui sont riches en la foi, pour les rendre héritiers du royaume. » — En voilà assez pour renverser de fond en comble tout l’édifice social ; en sorte que le plus sage, se trouvant en bas, s’aperçoit que désormais il lui faut remonter vers la simplicité. Il avait toute sa vie fait ses efforts pour s’éloigner le plus possible de la naïveté du crédule petit enfant ; il n’a eu d’autre souci que de réfléchir, juger, peser, — de faire passer chaque vérité sous le tranchant de son implacable logique, — et le voilà obligé de recommencer tout ce travail à rebours et de remonter péniblement l’échelle ; le voilà obligé de redevenir petit enfant et de rétrograder jusqu’à son ancienne simplicité. Voilà bien le monde renversé ! — renversement qui humilie et qui, par suite, est fort peu du goût des sages.
Si vous désirez contempler dans toute sa perfection ce retournement complet du monde, vous n’avez qu’à relire le chap. 5 de Saint Matthieu, qui contient un véritable sommaire du monde renversé. A sa première prédication, Jésus met le monde sens dessus dessous ; voyez le verset 3 : Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. En général, nous aimons qu’un homme ait une certaine ambition, qu’il sache, comme on dit, « faire son chemin dans le monde », qu’il regarde toujours plus haut que lui et que, non content de la position qu’il occupe, il essaie de gravir vers une position toujours plus élevée. Nous sommes enclins à avoir toujours bonne opinion d’un homme qui a une bonne opinion de lui-même, et qui ne plie ni ne rampe devant personne. Il veut ce qu’il veut ; il n’entend le céder à personne. Il se croit quelque chose, peu importe quoi, et il saura conserver son opinion sur ce point et la justifier devant le monde. Il n’est point du nombre de ces pauvres et débonnaires sectateurs qui se contentent de leur obscure existence et qui ne soufflent mot. Il n’est pas satisfait de si peu, lui ! — Le monde admire un tel homme ; mais Christ renverse tout cela, en disant : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. » Ceux qui n’ont aucune force qui leur soit propre, mais qui regardent à Christ pour toutes choses, — ceux qui ne se sentent aucune envie de rivaliser avec d’autres dans un monde méchant, qui, plutôt que de se venger d’une offense, préfèrent la supporter, — ceux qui sont humbles, qui marchent débonnairement et qui ne cherchent pas à élever la tête plus haut que leurs alentours, — qui, s’ils sont grands, se laissent plutôt imposer leur grandeur qu’ils ne la recherchent, — qui poursuivent leur course dans cette vie par des sentiers ombragés et solitaires, à pas lents mais réguliers, — qui semblent entendre sans cesse cette parole : « Chercherais-tu de grandes choses ? Ne les recherche point », et cette autre : « Heureux les pauvres en esprit » ; ceux, dis-je, qui sont heureux dans leur pauvreté, qui sont toujours contents de tout ce que la Providence leur dispense, et qui se croient toujours plus riches qu’ils ne méritent de l’être, — ce sont ceux-là que Jésus déclare heureux. Le monde dit qu’ils sont faibles, qu’ils sont fous ; mais Christ place à la tête ceux que le monde place à la queue. « Heureux sont les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! »
Il est ensuite dans le monde une autre classe de gens qui sont toujours en deuil. D’ordinaire, ils ne vous le laissent pas voir, car leur Maître leur a dit d’oindre leur visage lorsqu’ils jeûnent, afin qu’il ne paraisse pas aux hommes qu’ils jeûnent. Mais, en secret et devant Dieu, ils gémissent ; ils suspendent leurs harpes aux saules, et ils mènent deuil sur leurs péchés et sur les péchés de leur temps. Le monde dit de ceux-là « qu’ils sont une race rêveuse et mélancolique, à laquelle on est heureux de ne pas appartenir. » Le joyeux débauché s’approche et, dans son mépris, leur crache presque au visage. Car, que sont-ils ? Ils aiment les ténèbres ; ils sont comme les saules le long du ruisseau ; tandis que lui, semblable à l’orgueilleux peuplier, il élève aux cieux son noble feuillage, et, fier de sa grandeur et de sa supériorité, il se balance majestueusement au gré du vent de la gaîté. — Ecoutez comment le joyeux jeune homme parle à son ami qui gémit sous la conviction du péché : « Hélas ! tu es dans une disposition maladive ; tu me fais pitié ! Tu aurais besoin d’un bon médecin. Tu passes ta vie à te lamenter. Quelle triste existence que de se plonger sans cesse dans un océan de tribulations ! Quel sort affreux que le tien ! Pour rien au monde, je ne voudrais me trouver dans ta position. » — Mais, ici encore, Christ met le monde à la renverse. Ces mêmes gens que vous croyez tristes et pénétrés de douleur sont précisément ceux qui doivent se réjouir. Lisez le verset 4 : Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Oui, mondain, ta joie est comme le pétillement des épines sous la chaudière : elle jette quelque éclat et fait beaucoup de bruit, mais elle est bientôt terminée ; tandis que la lumière est semée pour le juste, et la joie pour « celui qui est droit de cœur. » Vous ne pouvez voir cette lumière maintenant, parce qu’elle est semée ; elle est cachée dans les sillons de la pauvreté, de l’opprobre et peut-être de la persécution. Mais, quand le grand jour de la moisson sera venu, les gerbes de lumière paraîtront au second avènement du Seigneur, et chaque épi produira ses grains de blé, voire même toute une moisson de félicité et de joies éternelles. O vous, qui pleurez, réjouissez-vous ! car, tandis que le monde vous regarde comme au-dessous de lui, Christ vous place bien au-dessus du monde, et il vous annonce qu’il va vous consoler en mettant le monde à la renverse.
Il est une autre catégorie de personnes appelées les débonnaires. Vous devez en avoir rencontré parfois. Pour vous les décrire, je vais vous décrire la tendance opposée. Je connais tel homme qui ne serait pas heureux s’il n’avait un procès, et qui ne paierait pas une note sans avoir reçu au préalable une sommation de l’acquitter. Il est friand de litige. L’espoir de traîner un adversaire devant les tribunaux est pour lui un mets délicat. Ne craignez pas qu’il oublie facilement le moindre affront ; il est bouffi d’orgueil et de je ne sais quelle dignité imaginaire, et si on a le malheur de l’effleurer, si on prononce contre lui un mot un peu rude ou si on hasarde une médisance, il fond aussitôt sur son ennemi (car il a l’humeur hargneuse), et il jette son débiteur en prison. — Je te dis, en vérité, que si tu y entres de par sa volonté, tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime. — Mais les débonnaires sont tout le contraire de cet homme. Vous aurez beau dire du mal d’eux, ils ne vous rendront aucune injure ; vous avez beau leur faire tort, ils savent que leur Maître leur a dit : « Ne résistez pas au mal. » Ils sont loin de s’irriter ou de prendre de grands airs offensés pour la moindre offense, car ils savent que tous les hommes sont imparfaits, et ils supposent que leur frère a peut-être fait erreur, n’ayant aucune intention de les blesser. Aussi disent-ils : « Hé bien ! puisqu’il n’en avait pas l’intention, je ne dois pas m’en formaliser. Il avait de bons désirs, sans doute, et je dois prendre l’intention plutôt que le fait. S’il a parlé durement, il en sera probablement fâché demain. Je ne lui en dirai rien, je verrai ce qu’il m’en dira lui-même et je m’en tiendrai à sa parole. » — On médit de lui, il dit : « Hé bien ! laissons courir, cela tombera de soi-même ; quand le feu n’a plus de bois il s’éteint. » Un autre parlera très mal de lui en sa présence, il se tait ; il est comme muet et n’ouvre pas la bouche. Il n’est point comme les enfants de Seradjah, qui disaient à David : « Allons et coupons la tête de ce chien, car il maudit le roi. » Il dit : « Non ; si le Seigneur lui a dit de maudire, qu’il maudisse. — A moi appartient la vengeance ; je la rendrai, dit l’Éternel. » Il est heureux de tolérer et de supporter, d’oublier mille injures, plutôt que d’en rendre une seule ; il passe son chemin humblement et paisiblement dans le monde, et les hommes disent : « Ah ! un tel homme ne réussira jamais ; on le trompera toujours. Il prête de l’argent et on ne le lui rendra pas. Il donnera son bien aux pauvres, et il ne lui en reviendra aucun avantage. Qu’il est stupide ! Il laisse les autres empiéter sur ses droits ; il n’a point d’énergie ; il ne sait pas se détendre, l’insensé qu’il est ! » — Oui, mais Christ renverse tout cela, en disant : Heureux les débonnaires ! car ils hériteront la terre. — N’est-ce pas bien dépitant pour tous vos rapaces, pour tous vos hommes à esprit fin et délié, pour tous vos avocats, et pour vous aussi qui cherchez sans cesse à taquiner votre prochain au nom de vos droits ? Vous faites tout cela afin d’hériter la terre ; mais voyez comment Christ déjoue vos efforts et foule à ses pieds votre sagesse. Il dit : Les débonnaires hériteront la terre. Le plus souvent, après tout, le meilleur moyen d’obtenir ce qui nous est dû, c’est de ne pas nous en inquiéter. Je suis bien assuré que la meilleure manière de défendre votre réputation, c’est de n’en jamais parler. Si tous ceux qui m’entendent aujourd’hui se donnaient le mot pour me calomnier, pour lancer contre moi les plus violents libelles, ils peuvent être parfaitement sûrs que je ne leur intenterai pas procès : je ne suis pas tout-à-fait assez fou pour cela. J’ai toujours remarqué que lorsqu’un homme se défend en tribunal contre une calomnie, il ne fait que donner de ses propres mains de la besogne à ses ennemis. Nos ennemis ne peuvent nous faire aucun mal, si nous ne nous en faisons nous-mêmes. Nul n’a perdu sa réputation que par ses propres fautes. Enrôlez-vous donc parmi les débonnaires et vous hériterez la terre ; supportez tout, croyez tout, espérez tout, et ce sera le meilleur parti, tant pour ce monde que pour l’autre.
Voyez-vous là-bas cet homme respectable, qui, depuis qu’il est parvenu à l’âge de raison, n’a jamais omis de faire acte de présence deux fois chaque dimanche dans son église ou dans sa chapelle. Il lit sa Bible et il fait son culte domestique régulièrement. Il est vrai qu’on fait courir sur lui certains bruits ; on dit qu’il est assez dur envers ses ouvriers, exigeant pour les sommes qu’on lui doit ; cependant il est juste envers tout le monde, et cela ne va pas plus loin. Cet homme vit en parfaite intelligence avec sa conscience ; quand il se lève le matin il se touche la main à lui-même et se complimente sur ce qu’il est un excellent personnage. Il demeure toujours au premier étage dans sa propre estime, et même au N° 1 de sa rue. Si vous lui parlez de sa situation devant Dieu, il vous répond que s’il n’allait pas au ciel, personne n’y irait ; car il compte à tout le monde le franc à vingt sous ; il paie rondement et strictement ses dettes ; il est parfaitement honnête, et personne ne peut lui reprocher un seul défaut. Quel homme excellent ! Ne l’enviez-vous pas ? — Un homme qui a de lui-même une opinion si parfaite qu’il se croit sans tache ! ou qui pense que, s’il en a, il est d’ailleurs si bon qu’avec le moindre petit secours il entrera dans le royaume des cieux ! — Maintenant, voyez-vous là-bas, derrière la foule, cette pauvre femme qui verse des larmes ?… Avancez donc, Madame, racontez-nous votre histoire. — Elle n’ose se présenter ; elle a honte de prendre la parole en présence de personnes respectables ; mais voici ce qu’elle nous apprend : elle vient de découvrir qu’elle est pleine de péché, et elle demande ce qu’elle doit faire pour être sauvée. Questionnez-la ; elle vous dit qu’elle n’a point de mérites en propre ; son refrain c’est : « Je suis la plus grande des pécheresses. Oh ! si Dieu voulait me faire grâce ! » Elle ne se félicite pas de ses bonnes œuvres, car elle n’en a point ; toute sa justice n’est que comme un haillon souillé. Quand elle prie, elle se courbe la face jusqu’à terre et elle baise de ses lèvres la poussière ; elle n’ose pas même lever les yeux au ciel. Vous en avez pitié, n’est-ce pas ? Vous ne voudriez pas être à sa place. Selon vous, l’homme que j’ai mentionné tout à l’heure est tout au haut de l’échelle, tandis que cette femme est au bas. Voyez maintenant comment procède l’Évangile et comment le monde va être renversé : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Mais celui qui, au contraire, est content de sa position, a pour partage cette parole : Tous ceux qui se confient dans les œuvres de la loi sont sous la malédiction. Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous devanceront dans le royaume des cieux, parce que vous ne recherchez pas la justice qui vient de la foi, mais le salut par les œuvres. Vous voyez ici encore que par son premier discours Jésus a retourné le monde sens dessus dessous.
Jetez maintenant les yeux sur la béatitude suivante, au septième verset : Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. J’en ai déjà dit deux mots. Les miséricordieux ne sont guère considérés dans ce monde, surtout s’ils sont miséricordieux avec imprudence. L’homme qui pardonne trop facilement ou qui est trop généreux n’est pas tenu pour un homme sage. Mais Christ déclare que celui qui a été miséricordieux, — miséricordieux pour subvenir aux besoins des pauvres, miséricordieux pour pardonner à ses ennemis et pour oublier les offenses, — celui-là obtiendra miséricorde à son tour. Encore le monde renversé !
Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. Le monde dit : « Heureux l’homme qui mène joyeuse vie. » Si vous examinez comment vont les choses en général dans le monde, et si vous demandez quel est l’homme heureux, on vous répondra : « L’homme heureux, c’est celui qui possède beaucoup d’argent et qui le dépense largement, qui n’est sujet à aucune gêne, dont la vie est comme un brillant festin, qui boit à longs traits dans la coupe de l’ivresse, qui se livre à la débauche, qui, comme le cheval sauvage de la prairie, n’est pas bridé par les lois, ni contraint par sa raison, mais qui se précipite comme le vent à travers les vastes plaines du péché, sans harnais, sans cavalier, sans autre guide que ses instincts sauvages. » Voilà l’homme que le monde appelle heureux : l’homme orgueilleux, l’homme fort, le Nemrod du siècle, l’homme qui peut faire tout ce qui lui plaît et qui refuse de suivre l’étroit sentier de la sainteté. Mais ainsi ne parle pas l’Écriture : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu.
Heureux celui qui fuit des vicieux
Et le commerce et l’exemple odieux,
Qui des pécheurs hait la trompeuse voie,
Et des moqueurs la criminelle joie.
L’homme qui s’interdit de toucher telle chose, parce que ce serait impudique ; telle autre chose, parce que cela troublerait sa communion avec son Maître ; — l’homme qui ne saurait fréquenter tel lieu d’amusement, parce qu’il ne peut pas y prier, et qui ne peut aller dans tel autre, parce qu’il ne pourrait obtenir l’approbation de son Maître sur une heure employée de la sorte ; — cet homme, pur de cœur, sera appelé un puritain, un fanatique, un exagéré, un homme qui ne vit que d’idées empruntées. Mais Jésus remet toutes choses à leur place, car il dit : Voilà les hommes heureux et bénis. Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu.
Et maintenant, voyez le verset neuvième. Quel bouleversement complet du monde que celui-là ! Parcourez cette vaste cité : quels sont les hommes que nous plaçons sur nos colonnes monumentales, à l’entrée de nos parcs ou ailleurs. Lisez ensuite ce verset 9, et voyez comme tout cela est renversé. Là-haut, tout là-haut, à l’extrême sommet d’un monument, vous pouvez voir la manche pendante d’un Nelsona : le voilà donc élevé bien au-dessus de ses semblables ! Plus loin, c’est un duc ; plus loin encore, un puissant homme de guerre, à cheval. Voilà les bienheureux héros de ce monde ! Allez dans la capitale d’un royaume quelconque, et vous verrez que les mortels privilégiés que l’on plante sur des monuments et en mémoire desquels on élève des statues, que les hommes que nous mettons nous-mêmes dans notre cathédrale de Saint-Paul ou dans notre abbaye de Westminster, ne sont pas précisément ceux que désigne ce verset 9. Lisons-le : Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu. Ah ! mais vous ne les bénissez pas souvent, ceux qui procurent la paix. L’homme qui se jette entre deux combattants et qui reçoit leurs coups, — l’homme qui consent à s’asseoir et à raisonner avec les autres pour les persuader de cesser leur querelle, voilà l’homme bienheureux. Qu’il est rare qu’on élève des statues à ceux-là ! On les met bien plutôt de côté, comme des hommes qu’on ne peut pas bénir, quoiqu’ils aient travaillé à faire venir la bénédiction sur les autres. Voilà donc une fois de plus le monde renversé. Le guerrier, avec ses habits teints de sang et laissé gisant sur la terre, est inhumé et pourrit ignoblement dans sa tombe, tandis que celui qui signe une paix glorieuse est élevé, et la couronne de lauriers est déposée sur son front. Un jour, les hommes verront leur folie, et, frappés d’admiration, ils la déploreront. Ils seront honteux d’avoir placé si haut l’épée ensanglantée du soldat, et d’avoir oublié l’homme obscur et modeste qui procurait la paix sur la terre.
a – Il avait un bras coupé.
Et, pour terminer le discours de notre Sauveur, remarquez enfin que nous rencontrons dans ce monde une race d’hommes qui a toujours été détestée, — une race qui a été poursuivie comme on poursuit le chamois sur les Alpes, — race persécutée, affligée et tourmentée. Un vieux théologien dit : « On a traité le chrétien comme s’il avait eu la tête d’un loup, car de même que l’on chassait anciennement le loup en Angleterre pour obtenir sa tête, parce qu’elle avait été mise à prix ; de même on a chassé les chrétiens jusqu’aux extrémités de la terre. » Aussi, quand nous lisons l’histoire, sommes-nous obligés de dire : « Ces pauvres persécutés sont bien au dernier rang en fait de félicité ! Ces hommes qu’on a sciés en deux, que l’on a brûlés, qui ont vu leurs maisons détruites et qui ont été exilés, errants et vagabonds par toute la terre, — ces hommes qui ont dû fuir dans les déserts, vêtus de peaux de mouton et de peaux de chèvre, — ces hommes sont bien les derniers des hommes ! » — Eh bien ! non. l’Évangile renverse tout cela, en disant : Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. Je le répète donc : toutes ces béatitudes sont en parfaite opposition avec les opinions humaines, en sorte que nous pouvons répéter les paroles des Juifs et dire que Jésus avait « remué tout le monde. »
Mais il me faudra maintenant être très bref, car j’ai tellement employé de temps à démontrer que l’Évangile de Christ a mis le monde sens dessus dessous, qu’il m’en reste fort peu pour terminer mon sujet. Soyez donc indulgents, tandis que j’essaierai d’exposer brièvement les autres points.
J’ai à vous montrer encore que la religion chrétienne met le monde sens dessus dessous également quant à ses maximes. Je vais vous citer quelques textes qui le démontrent clairement. Il avait été dit aux anciens : Œil pour œil et dent pour dent ; mais moi je vous dis : Ne résistez pas au mal. La maxime généralement accréditée parmi nous est que nous ne devons pas permettre qu’on empiète sur nos droits ; mais notre Sauveur dit : « Si quelqu’un veut plaider contre toi et t’ôter ton manteau, donne-lui aussi ton vêtement. — Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi la gauche. » Si l’on mettait en pratique ces préceptes, ne serait-ce pas un renversement du monde ? « Il a été dit aux anciens : Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi » ; mais Jésus nous dit : Aimez tous les hommes. Il nous commande d’aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous maltraitent et nous persécutent. Il dit : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire, car en faisant cela tu lui amasseras des charbons de feu sur la tête. Voilà certainement de quoi renverser le monde de fond en comble ; car, que deviendraient nos armées et nos vaisseaux de ligne, si, pour secourir quelque malheureuse cité livrée aux flammes par ses ennemis, pour secourir, par exemple, les infortunés habitants de Sébastopol, chassés de leurs maisons et privés de toutes ressources, nous mettions dans chaque sabord, au lieu d’une pièce de canon, des caisses de biscuit, des barils de bœuf salé et des provisions de vêtements pour subvenir à leur dénuement ? Ce serait le renversement de toute politique, et ce ne serait, après tout, que l’exécution pure et simple du commandement de Jésus. C’est là, du reste, ce qui se pratiquera dans un temps à venir : nos ennemis seront aimés et nos adversaires seront nourris.
On nous dit encore, de nos jours, qu’il est bon que l’homme s’amasse de grandes richesses, afin d’être dans l’abondance ; mais Jésus renverse le monde en disant : Il y avait un homme riche qui se vêtait de pourpre et de fin lin, et qui se traitait délicatement — et vous savez le reste. Ses champs rapportaient abondamment, et il se disait : « Je m’en vais abattre mes greniers et en bâtir de plus grands » ; mais le Seigneur lui dit : O insensé ! Ce mot renverse toutes les maximes de ce monde. Vous eussiez fait, vous, de cet homme un conseiller municipal ou un maire, et les pères de famille auraient dit à leurs enfants : « Voilà ce que c’est que l’économie et l’application ! Vois comme il a su faire son chemin ! Quand il avait une bonne récolte, il ne la donnait pas aux pauvres, comme cet insensé qui a travaillé toute sa vie et qui n’a jamais pu amasser de quoi se retirer des affaires. Celui-ci a tout mis de côté. Sois aussi sage que lui, et tu feras aussi ton chemin. » Mais Jésus a dit : O insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée. Le renversement est complet.
D’autres prétendent que nous devons être bien prudents, que nous devons toujours penser au lendemain, afin de prévoir toutes les chances et d’y pourvoir à l’avance. Ici encore, Jésus renverse toutes choses, lorsqu’il dit : Voyez les corbeaux ; ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent pas dans des greniers, et cependant notre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas mieux qu’eux ? Je suis convaincu qu’aujourd’hui les maximes du commerce sont diamétralement opposées aux maximes de Christ ; mais on me répondra : « Les affaires sont les affaires. » — Oui, je sais que les affaires sont les affaires, mais les affaires pourraient se faire tout autrement. Oh ! si l’on pouvait changer tout cela, de telle sorte que chacun fît de la religion son affaire et des affaires une religion !
Je ne vous ai pas retenus trop longtemps sur ce point, en sorte que je puis vous en présenter un troisième. Le Seigneur a mis le monde à la renverse en ce qui concerne nos notions sur la religion. La masse des hommes croit que si quelqu’un veut être sauvé, c’est tout ce qu’il lui faut. Beaucoup de prédicateurs prêchent cette maxime toute mondaine ; ils disent aux hommes qu’il leur faut vouloir. Ecoutez maintenant comment l’Évangile renverse cette opinion : Cela ne vient pas de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Le monde aspire aussi à une religion universelle ; mais voyez comme l’Évangile renverse encore cette opinion : Je prie pour eux, je ne prie pas pour le monde. Il nous a choisis du milieu des hommes ; il nous a « élus suivant la prescience de Dieu, par la sanctification de l’Esprit, et la foi à la vérité. » Le Seigneur connaît ceux qui sont siens. Comme tout ceci rompt en visière avec toutes les opinions accréditées sur la religion ! La religion du monde est celle-ci : « Fais, et tu vivras »; celle de Christ est : « Crois, et tu vivras. » Nous nous obstinons à prétendre que, pourvu qu’on soit honnête, rangé, respectable, on doit entrer dans le royaume des cieux ; mais Christ dit : Tu dois faire tout cela, mais ce n’est pas là ce qui te justifiera. Tous ceux, qui sont sous les œuvres de la loi sont sous la malédiction. — Par les œuvres de la loi aucun homme vivant ne sera justifié. — Crois, et tu vivras. Ces seules paroles renversent toutes les notions religieuses du monde.
Jette-toi d’abord dans les bras de Christ, confie-toi en Lui ; après cela viendront les bonnes œuvres. Mais, avant toutes choses, crois à Celui qui a expiré sur le bois. Voilà le renversement ! C’est pour cela aussi que tous les hommes regimbent contre ces déclarations, et qu’ils regimberont aussi longtemps que le cœur humain sera ce qu’il est. Oh ! si nous pouvions connaître l’Évangile, ce serait le renversement de toute propre justice, de toute haute tour et de toute chose élevée !
Et maintenant, bien-aimés, accordez-moi quelques minutes encore, afin que je vous montre que ce qui est vrai du monde en général, est vrai du cœur de l’homme.
L’homme est un monde en miniature dans lequel Dieu reproduit toute l’œuvre qu’il accomplit sur le monde extérieur. Si quelqu’un d’entre vous veut être sauvé, il faut que son cœur soit mis sens dessus dessous. Je vais en appeler à vous pour savoir si vous avez éprouvé ce renversement, — si vous savez ce que cela signifie.
Et d’abord, votre jugement doit être renversé. Plusieurs d’entre vous ne peuvent-ils pas dire que ce qu’ils croient aujourd’hui est tout l’opposé de ce qu’ils ont cru jadis ? Ah ! si quelqu’un vous avait dit alors qu’un jour vous croiriez aux doctrines chrétiennes du salut gratuit, vous lui auriez ri en face : « Quoi ! moi ? je croirais à l’élection par la souveraine Grâce ? Moi, je croirais à la rédemption individuelle et à la persévérance finale ? Absurde ! impossible ! » Et maintenant vous y voilà, et ce qui vous semblait alors déraisonnable et injuste, vous apparaît aujourd’hui comme concordant parfaitement avec la gloire de Dieu et avec le bonheur éternel de l’homme. Vous bénissez aujourd’hui les doctrines que vous méprisiez autrefois, et vous les trouvez plus douces que ce qui découle des rayons de miel, tandis quelles étaient pour vous comme un poison d’aspic, — plus amères que le fiel ou l’absinthe. Oui, quand la grâce entre dans un cœur, elle opère un complet renversement de toutes nos pensées, et alors seulement la grande vérité de Jésus pénètre et règne sans partage dans notre cœur.
N’y a-t-il pas aussi un changement complet dans nos espérances ? Oui, car vos espérances étaient jadis toutes pour ce monde. Pour être heureux, vous désiriez devenir riche, influent, respecté, honoré ! Vous convoitiez ce beau résultat. Votre paradis, à vous, était situé en deçà de la tombe. Et que sont devenues aujourd’hui vos espérances ? Elles ne se dirigent plus vers la terre, car il faut que là où est votre trésor, là aussi soit votre cœur. Vous attendez une cité qui ne sera pas bâtie par la main des hommes. Vos désirs sont pour le ciel ; ils ne sont plus charnels et grossiers. — Pouvez-vous dire qu’il en soit ainsi pour vous ? O vous tous qui êtes membres de cette église, pouvez-vous dire que vos désirs et vos espérances soient changés ? Regardez-vous en haut, au lieu de regarder en bas ? Cherchez-vous à servir Dieu sur la terre et espérez-vous jouir à jamais de sa présence ? Ou bien vous contentez-vous encore de vous demander : « Que mangerons-nous, que boirons-nous et de quoi serons-nous vêtus ? »
Un semblable renversement doit aussi s’être opéré dans vos joies. Jadis vous aimiez le cabaret ou le café ; aujourd’hui vous le détestez. Vous détestiez la maison de Dieu ; aujourd’hui elle est votre lieu de prédilection. Les chansons, les journaux du dimanche, les romans égrillards, toutes ces choses étaient fort de votre goût ; mais vous avez brûlé les livres qui vous enchantaient, et vous avez retiré votre vieille Bible de son rayon poudreux ; elle est aujourd’hui toujours ouverte sur votre table, vous la lisez en famille, soir et matin, vous l’appréciez, vous l’aimez ; elle vous est devenue précieuse. Le dimanche était autrefois à vos yeux le plus triste jour de la semaine ; vous le passiez à perdre votre temps devant votre porte, si vous étiez pauvre ; ou, si vous étiez riche, vous l’employiez dans votre salon pendant le jour, puis vous aviez compagnie le soir. Aujourd’hui, vous trouvez votre compagnie dans la maison du Dieu vivant, et votre église est devenue le salon où vous rencontrez vos intimes. Votre banquet n’est plus autour d’une table chargée de vins, mais dans la communion de votre Sauveur. Il en est parmi vous qui, un temps fut, ne trouvaient rien de plus délicieux que le théâtre, la salle de concert ou le casino ; aujourd’hui, vous voyez sur ces lieux la sombre marque de la malédiction, et vous n’y allez jamais. Vous recherchez au contraire les réunions de prière des assemblées, la compagnie des hommes de foi, — l’habitation de l’Éternel des armées.
Il est merveilleux de voir aussi le changement que l’Évangile a opéré dans la maison de celui qui l’embrasse. Cette maison, elle aussi, subit un renversement général. Au-dessus de la cheminée se trouvait une peinture ou une gravure, dont le sujet ainsi que le style d’exécution étaient de la pire espèce ; mais, dès que cet homme s’est tourné vers l’Évangile, il a arraché cet ornement et l’a remplacé par une peinture représentant Jean Bunyan dans sa prison, ou bien le moment où sa femme comparait devant le magistrat, ou bien Saint Paul prêchant à Athènes, ou tel autre sujet biblique. Sur l’étagère figurait jadis une boîte à jeu, avec un paquet de cartes ; mais tout cela a disparu, et à la place vous voyez quelque publication chrétienne, quelques ouvrages d’anciens théologiens, ça et là, peut-être, quelques publications de la Société des traités ou quelque pieux commentaire. Tout est changé, tout est renversé ! Les enfants disent : « Papa a bien changé ! » Jamais ils n’avaient vu pareille chose. Ils le voyaient parfois revenir ivre le soir, et à son approche ils couraient se mettre au lit avant qu’il pût les voir ; tandis que quand il rentre maintenant, le jeune Alfred et la petite Sara sont devant la fenêtre à l’attendre. Dès qu’ils l’aperçoivent, ils courent à sa rencontre dans la rue ; il prend l’un dans ses bras et l’autre par la main, et les ramène à la maison avec lui. Il leur apprenait à chanter : « Fuyez sombres soucis ! » ou pis que cela ; et maintenant ils chantent avec lui : « Doux Jésus, humble et compatissant Sauveur ! » ou telle autre vieille hymne. Anciennement, une bruyante troupe de camarades venaient le voir chez lui, et tous ensemble ils faisaient bon vacarme le dimanche après midi ; mais tout cela a disparu. La mère regarde son mari avec un sourire : elle est heureuse maintenant ! elle sait qu’il ne se déshonorera plus en suivant de mauvaises compagnies, et qu’il ne se plongera plus dans des vices odieux. Si l’on pouvait enlever du sein d’un homme le cœur qui bat dans ; sa poitrine et y placer un nouveau cœur, ce changement ne serait pas plus radical que celui que Dieu a opéré.
Je vous demande donc de nouveau : Avez-vous été mis sens dessus dessous ? vos compagnons sont-ils toujours les mêmes ? — Vous aimiez de préférence ceux qui savaient jurer le plus énergiquement, parler le plus vite, mentir le plus impudemment ; aujourd’hui, vous aimez ceux qui prient avec le plus de ferveur et qui vous parlent le plus du Seigneur. Tout est donc changé ! Si vous pouviez rencontrer dans la rue cet autre vous-même que vous étiez jadis, vous ne le reconnaîtriez pas. Vous n’êtes pas même son parent ! Parfois, votre ancien seigneur et maître reparaît chez vous et essaie de vous faire retourner en arrière ; mais vous le mettez à la porte au plus vite, en lui disant : « Va-t-en ! aussi longtemps que je t’ai connu tout a mal été ; je portais des habits troués, je donnais tout mon argent au marchand de liqueurs ; je n’allais jamais aux services, mais je maudissais mon Créateur, entassant péchés sur péchés et me liant au cou une meule de moulin. Aussi, va-t-en ! je ne veux plus avoir affaire avec toi. Je suis enseveli avec Christ et je suis ressuscité avec lui ; je suis une nouvelle créature. Les choses vieilles sont passées, et voici, toutes choses sont faites nouvelles. »
J’ai cependant devant moi, aujourd’hui, des personnes qui appartiennent à une autre classe de la société, qui sont incapables de se livrer à de pareilles bassesses. Ah ! Messieurs et Mesdames, si jamais vous vous convertissez, il vous faudra subir un renversement tout aussi complet que celui du plus pauvre des hommes. Il faut un bouleversement et un remue-ménage tout aussi grand pour sauver un comte, un duc et pair ou un marquis, que pour sauver un mendiant ou un laboureur. Il y a autant de péchés dans les rangs élevés de la société que dans la basse classe, et quelquefois davantage, parce qu’ils sont plus éclairés et parce qu’ils possèdent plus d’instruction et plus d’influence ; en sorte qu’en se damnant eux-mêmes, ils damnent aussi les autres. — O vous qui êtes riches, avez-vous aussi subi ce changement ? Les frivolités du monde soulèvent-elles votre dégoût ? Vous détournez-vous avec aversion, de cette vie toute de convention, toute factice, de la haute société ? Y avez-vous renoncé, et pouvez-vous dire maintenant : « Quoique je sois dans le monde, je ne suis pourtant plus du monde ; j’ai en horreur ses pompes et ses vanités ; je roule à mes pieds son orgueil et sa gloire. Toutes ces choses ne sont plus rien pour moi, et je suis prêt à suivre mon Maître, en portant sa croix, aussi bien dans l’opprobre qu’au sein de l’universelle louange des hommes ? » Si tel n’est pas le cas, si vous n’êtes pas changé, souvenez-vous qu’il n’y a point d’exception. La même vérité est vraie pour tous : Si vous ne naissez de nouveau, vous ne pouvez voir le royaume des cieux. Or, cette parole revient, après tout, à mon texte : Si vous n’êtes entièrement renouvelés, complètement transformés, mis sens dessus dessous, renversés de fond en comble, vous ne pouvez être sauvés. « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé » ; car celui qui croit sera sanctifié et renouvelé — sera sauvé, — mais celui qui ne croit pas sera rejeté au grand jour du jugement.
Que le Seigneur vous accorde sa grâce, pour l’amour de Christ !