On peut aussi remarquer qu’il est prouvé par plusieurs témoignages que la philosophie grecque renferme plusieurs dogmes conformes à la doctrine de la vérité ; il est rapporté dans les Actes des apôtres que Paul parla en ces termes aux membres de l’Aréopage :
« Vous me paraissez très religieux ; car passant et voyant les statues de vos dieux, j’ai trouvé un autel où il était écrit : Au Dieu Inconnu. Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, est celui que je vous annonce, le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, le Seigneur du ciel et de la terre, qui n’habite point dans des temples bâtis par les hommes, qui n’est point honoré par les œuvres des mortels, comme s’il avait besoin de quelque chose, lui qui donne tout à tous, et la vie et la respiration. Il a fait naître d’un seul toute la race humaine pour habiter sur toute la face de la terre, déterminant les temps de la durée des peuples et les limites de leur demeure; afin qu’ils cherchent Dieu et qu’ils s’efforcent de le toucher ou de le trouver, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous ; car en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être ; et comme quelques uns de vos poètes ont dit : Nous sommes les enfants de Dieu même. »
De ces paroles, il résulte évidemment que l’apôtre approuve ce qu’il y a de bon dans les auteurs grecs; il se sert d’exemples tirés de leurs poètes comme ceux qu’il prend aux livres des phénomènes célestes du poète Aratus. Il montre aussi que leur Dieu inconnu est une périphrase sous laquelle, à défaut de mot propre, les Grecs adoraient le Créateur ; et qu’il faut apprendre les attributs réels du Créateur, non plus sous la forme d’une périphrase, mais d’une manière positive, et le connaître lui-même par la personne du fils.
« Je t’ai donc envoyé vers les gentils, dit le Seigneur, pour leur ouvrir les yeux, pour qu’ils passent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, et que, par la foi qu’ils auront en moi, ils reçoivent la rémission de leurs péchés et qu’ils aient part à l’héritage des saints. »
Les Grecs sont donc les aveugles dont on ouvre les yeux : connaître le père par la personne du fils, c’est saisir le vrai sens de la périphrase grecque, et passer de la puissance de Satan à Dieu, c’est être délivré de la servitude du péché.
Cependant nous n’admettons pas absolument toute philosophie, mais celle dont Socrate aussi parle dans Platon :
« Car, selon le proverbe en usage parmi les initiés, il y a beaucoup de Porte-thyrse, mais peu de Bacchus. »
Socrate donne ainsi à entendre que beaucoup sont appelés, mais que peu sont élus. C’est pourquoi il ajoute en termes formels :
« Les Bacchus, à mon avis, ne sont autres que les philosophes qui ont su prendre le droit chemin. Pour être de leur nombre, je n’ai, autant que possible, rien négligé dans la vie; loin de là, j’ai mis tout en œuvre. Mes efforts émanaient-ils d’un bon principe et ont-ils été dirigés dans une direction convenable ? Ai-je réussi en quelque point ? C’est ce que bientôt, si Dieu le veut, nous saurons clairement, après être arrivés au terme. »
Socrate ne vous semble-t-il pas, là, manifester d’une manière conforme à l’esprit des écritures hébraïques, l’espérance que la foi donne au juste, et qui doit s’accomplir après la mort ? Il dit encore dans le Démodocus, si toutefois cet ouvrage est de Platon :
« Ne croyez pas que je donne le nom de philosophe à qui passe sa vie dans l’étude des arts ou possède un grand savoir. C’est un tout autre nom que je lui donne; car je regarde ses occupations stériles comme une sorte de honte. »
Socrate savait sans doute que, selon Héraclite, posséder une grande science ne sert à rien. On trouve encore ce fragment de dialogue dans le cinquième livre de la République :
« Tous ces hommes donc, et les autres qui désirent se livrer à de pareilles études, et ceux qui s’appliquent aux arts, but misérable, les appellerons-nous philosophes ? Nullement, répondis-je. Nous dirons qu’ils sont semblables aux philosophes. Mais, reprit-il, quels sont les philosophes que vous nommerez véritables ? Les contemplateurs de la vérité, répartis-je. »
Car la philosophie n’est pas dans la géométrie, puisque le domaine de cette dernière se compose d’hypothèses. La philosophie n’est pas davantage dans la musique, art conjectural ; ni dans l’astronomie, science pleine de démonstrations qui ne s’appuient que sur des objets physiques et passagers, et que sur des probabilités. Il faut à la philosophie la science du bien lui-même et de la vérité. Car autre chose est le bien lui-même ; autres choses sont les routes qui y mènent. C’est pourquoi Socrate ne veut pas non plus que ce qu’on nomme le Cercle des études suffise pour atteindre à la connaissance du bien ; mais, selon lui, le seul fruit qu’on en tire, est un excitant pour l’esprit, et un exercice qui habitue l’âme à comprendre les choses qui ne sont perceptibles qu’à l’intelligence. Soit donc que les Grecs aient professé par hasard quelque maxime de la véritable philosophie ; le hasard est un des actes de l’administration divine ; (car pour écarter le débat qui nous sépare des épicuriens, on ne fera pas du hasard un dieu). Soit que les Grecs aient rencontré juste par un effet du sort, le sort n’est point en dehors de l’action providentielle ; soit qu’ils aient eu des notions naturelles, nous savons que le créateur de la nature est unique ; c’est pourquoi nous avons dit que la justice aussi est naturelle. Soit qu’ils aient reçu la raison commune à tous; considérons quel en est le père, et quelle est la justice qui préside à la répartition de cette faculté. Car si quelqu’un la nomme la faculté de prédire les choses futures, ou celle d’interpréter les choses présentes, il aura désigné les deux espèces de prophéties. D’autres veulent que ce soit par le moyen d’un réflecteur que certains rayons de la vérité aient été présentés aux philosophes. C’est pourquoi le divin apôtre dit de nous :
« Nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir ; »
nous connaissant nous-mêmes par la réflexion de notre image en Dieu; et dans la réflexion de l’image divine en nous, contemplant en même temps la cause efficiente, autant qu’il nous est possible.
« Car, dit l’Écriture, tu as vu ton frère, tu as vu Dieu. »
C’est le Sauveur, à mon avis, qu’elle nous annonçait déjà sous le nom de Dieu. Mais lorsque nous aurons déposé notre enveloppe charnelle, si nous avons le cœur pur nous verrons Dieu face à face, et nous posséderons enfin la définition et la perception parfaite de son essence. Ceux d’entre les Grecs qui ont apporté le plus grand soin et l’intelligence la plus droite à l’étude de la philosophie ont vu Dieu comme dans un réflecteur ou comme à travers un instrument d’optique. Car tel est l’accompagnement obligé de notre faiblesse, que les images véritables que Dieu nous offre de son essence, notre intelligence ne peut les saisir que comme nos yeux aperçoivent les objets qui se reflètent dans l’eau, ou dont nous séparent les corps transparents. Salomon a donc eu raison de dire :
« Celui qui sème la justice recueillera la moisson de la foi ; celui-là prodigue ses trésors et ils s’accroissent. »
Il dit encore :
« Prends soin de tes prairies, et tu auras de l’herbe à faucher. »
Puis :
« Recueille le foin mûr afin d’avoir des brebis dont la laine te vêtisse. »
Vous voyez qu’il faut également prendre soin des vêtements et des secours extérieurs. Étudie a fond les mœurs de ton troupeau.
« En effet, lorsque les gentils qui n’ont pas de loi, font naturellement les choses que la loi commande, n’ayant point la loi, ils sont à eux-mêmes la loi ; »
c’est-à-dire, selon l’apôtre, si les incirconcis ont gardé les préceptes de la loi, et avant la loi, et avant l’arrivée du Christ. Le Verbe, comme pour établir une comparaison entre les philosophes et ceux qu’on nomme hérétiques, dit en termes formels :
« Mieux vaut un ami près de soi qu’un frère éloigné. Celui qui s’appuie sur le mensonge fait paitre les vents et poursuit les oiseaux ailés. »
À mon avis, ce n’est pas la philosophie que le Verbe désigne par ces paroles, bien que souvent la philosophie cherche à prouver les choses probables par des arguments probables ; ce sont les hérésies contre lesquelles il s’élève. C’est pourquoi il ajoute :
« Car il a quitté les chemins de la vigne et il a erré dans les sillons de son propre champ. »
Telles sont les hérésies qui dès le commencement ont déserté l’Église. Celui qui est tombé dans les pièges d’une hérésie, traverse un désert privé d’eau. Ayant abandonné le vrai Dieu, il en est abandonné lui-même, il cherche de l’eau et n’en trouve pas, il parcourt un sol inhabitable et altéré, et ses mains ne recueillent que la stérilité.
« Venez, dit encore la sagesse aux insensés, c’est-à-dire aux hérétiques, le pain caché est agréable, et les eaux dérobées sont douces. »
Par le pain et l’eau, l’Écriture désigne clairement les hérésies qui n’emploient pas, selon les règles de l’Église, l’eau et le pain dans l’oblation. Il en est même où l’eau seule est employée dans la célébration de l’Eucharistie. L’Écriture ajoute :
« Fuyez promptement, et ne restez pas longtemps dans le même lieu que cette femme. »
C’est à la synagogue des hérétiques, non pas à l’Église, que l’Écriture applique le nom équivoque de lieu; puis elle s’écrie :
« Car en agissant ainsi, tu laisseras derrière toi l’eau étrangère. »
L’Écriture regarde l’eau du baptême hérétique comme une eau impure et illégitime. Et tu traverseras le fleuve étranger, dont le cours entraine quiconque se détourne de la vérité seule immuable, et le précipite au milieu du flux et reflux des opinions humaines avec les gentils.