Pièces liminaires
On ne saurait accorder une attention trop minutieuse à cette Bible qui a fourni la nourriture spirituelle de nos pères pendant plus de trois siècles. Ce volume est pour les protestants français une vraie relique de famille. Cette Bible, d’ailleurs, dès qu’on la regarde de près, a quelque chose de vivant. Elle rappelle le mot de Luther au sujet de l’Écriture : « On dirait qu’elle a des mains et des pieds ». Quand on en tourne les feuilles, on voit que tout y respire et l’amour de la Bible, et l’amour des âmes.
Le format est un petit in-folio. En tête de la page qui sert de titre à l’Ancien Testament, on lit, dans une banderole, en hébreu : La parole de notre Dieu demeure éternellement (Ésaïe xl).
Bible d’Olivétan 1535
LA BIBLE
Qui est toute la Saincte escripture
En laquelle sont contenus le Vieil Testament
et le Nouveau translatés
en Francoys. Le Vieil de Lebrieu et le Nouveau
du Grec.
Aussi deux amples tables, l’une pour l’interpretation
des propres noms, l’autre en forme Dindice
pour trouver plusieurs sentences
et matières.
Dieu en tout
Au bas de la page :
Isaiah I.
Ecoutez cieulx et toy terre preste laureille
car Leternel parle.
Cette page de titre suffit pour montrer avec quel sentiment de la valeur de la Bible et quel sentiment du droit de Dieu cette publication a été entreprise.
Au verso du titre se trouve une épître latine de Calvin (alors âgé de vingt-cinq ans) : A tous empereurs, rois, princes et peuples soumis à l’empire de Christ. Dans cette épître, Calvin revendique pour chacun le droit de lire l’Écriture. En voici quelques lignes :
Cette œuvre sacrée n’a pas une origine récente, elle ne date pas d’aujourd’hui. Aussi ne nous semble-t-il pas qu’elle ait besoin de l’approbation des hommes… Notre brevet de privilège, c’est l’oracle, c’est l’éternelle vérité du Roi souverain, du Seigneur du ciel, de la terre et de la mer, du Roi des rois… Tout ce que je demande, c’est qu’il soit permis au peuple fidèle d’écouter parler son Dieu, de se laisser instruire par lui. Ne veut-il pas être connu de tous, du plus grand jusqu’au plus petit ? Ne promet-il pas que tous seront enseignés de Dieu ? N’enseigne-t-il pas la science aux enfants sevrés, à ceux qu’on vient d’ôter du sein ? Ne leur fait-il pas comprendre ce qu’ils entendent ? Ne donne-t-il pas la sagesse aux petits ? N’ordonne-t-il pas d’annoncer l’Évangile aux pauvres ? Et quand nous voyons des hommes de toute condition profiter en l’école de Dieu, nous reconnaissons que Dieu a dit vrai, lorsqu’il a promis de répandre son esprit sur toute chair. Nos adversaires murmurent et s’indignent. Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils reprochent à Dieu sa générosité ? Oh ! s’ils avaient vécu au temps où Philippe avait six filles qui prophétisaient, comme ils auraient eu de la peine à les supporter, si même ils ne les eussent pas maltraitées…
Après cela, Calvin en appelle à l’exemple des Pères et tance encore, avec toute sa verve de polémiste, ceux qui veulent garder pour eux les trésors de l’Écriture. Puis il présente au lecteur la traduction, et le traducteur,
… qui, distingué par beaucoup d’autres qualités, se surpasse pourtant lui-même par sa modestie, si toutefois c’est de la modestie, et non une timidité démesurée (immodicus pudor) qui l’a presque empêché d’entreprendre un si saint labeur. Il ne l’eût pas fait, si Cusemeth et Chlorotes[a], ces saints hommes, ces témoins et ces défenseurs de l’invincible Parole de Dieu, ne l’eussent vaincu par leurs exhortations et leurs vives sollicitations, et enfin contraint de rendre les armes…
[a] Cusemeth, mot hébreu qui signifie épeautre, en latin far, pseudonyme de Farel. Chlorotes, mot grec qui signifie verdure, pseudonyme de Viret (viretus).
Il est, je n’en doute point, des endroits qui, soit par suite de la grande diversité des opinions, soit parce que, dans un ouvrage de longue haleine, on a parfois des absences (quia opere in longo interdum somnus irrepit)[b], ne plairont pas à tout le monde. Mais si le lecteur rencontre de ces endroits, je l’invite à ne pas attaquer et à ne pas incriminer un savant qui a bien mérité des études sacrées, mais bien plutôt à relever ses fautes avec modération… Quant à ceux dont aucune considération ne saurait contenir la langue, je les prie de se souvenir qu’il est très facile de faire assaut de médisances, et que, sous ce rapport, les commères des carrefours elles-mêmes l’emporteront toujours sur les plus habiles rhéteurs… Ils ont affaire à un homme que l’on peut attaquer impunément, sans craindre la réprocité d’un langage sans retenue, mais qu’ils n’attendent pas grande gloire de leur éloquence venimeuse, car ce dicton est aussi vrai qu’il est commun : Railler est facile, essayer de faire mieux l’est moins.
[b] Calvin ne se doutait pas qu’il fournissait lui-même, dans cette page (à moins que ce ne fût l’imprimeur), une preuve de la justesse de cette réflexion, si finement énoncée, en parlant des six filles du diacre Philippe, qui, d’après la Vulgate comme d’après le texte, n’en avait que quatre (Actes 21.9).
Le second feuillet contient la dédicace du traducteur, en français, avec cette suscription : P. Robert Olivetanus lhumble et petit Translateur a Leglise de Jesus-Christ.
Voici quelques extraits de cette préface. C’est un des plus beaux morceaux de notre littérature religieuse protestante. Il est plein d’amour et d’humour. Il nous transporte en des temps singulièrement tragiques. On voit, en le lisant, que la traduction d’Olivétan a été faite en plein champ de bataille.
[Cet humour naïf, dit M. Doumergue, a fait d’Olivétan un des fondateurs de la langue française, entre Rabelais et Calvin, plus près de Rabelais pour le style, plus près de Calvin pour la pensée… Cette page devrait être, dans les anthologies de notre vieux français, à une place d’honneur (Calvin, I, p. 121).]
La bonne coutume a obtenu de toute ancienneté que ceux qui mettent en avant quelque livre en public le viennent à dédier et présenter à quelque Prince, Roy, Empereur ou Monarque, ou s’il y a majesté plus souveraine… Aucuns ont bien telle prudence et égard que leurs inventions ne seraient pas bien reçues du peuple, si elles ne portaient la livrée de quelque très illustre, très excellent, très haut, très puissant, très magnifique, très redouté, très victorieux, très sacré, béatissime et sanctissime nom. Pourquoi avoir eu le tout bien considéré et vu courir et trotter tous les autres écrivains et translateurs, l’un deçà, l’autre delà, l’un à son Mecénas libéralissime, l’autre à son Patron colendissime, l’autre à son je ne sais quel Révérendissime : je ayant en main cette présente translation de la Bible, n’ay pas tant fait pour icelle dame coutume… que je me sois voulu asservir et assujettir au droit qu’elle exige et requiert… Aussi ne lui appartient-il point (à ce livre) faire du parasite quelque glorieux Thraso qu’il rencontre. Car il est bien d’autres étoffes que tous autres livres quels qu’ils soient, les auteurs desquels en font offrandes si profitables et méritoires et si cauteleux échanges contre riches dons et plantureux octrois. Après lesquelles bêtes je ne chasse point, car je me passe bien de tel gibier, la grâce à Dieu qui me fournit de contentement et suffisance.
Ce n’est donc pas à un grand personnage, dit M. Reuss, mais à la paoure Église que l’auteur dédiera son travail…
Car Jésus, dit-il, voulant faire fête à celle-ci de ce que tant elle désire et souhaite, m’a donné cette charge et commission de tirer et déployer icelui thrésor hors des armoires et coffres hébraïques et grecs, pour après l’avoir entassé et empaqueté en bougettes (boites) françaises le plus convenablement que je pourrai, en faire un présent à toi, ô pauvre Église, à qui rien l’on ne présente. Vraiment cette parole t’était proprement due, en tant qu’elle contient tout ton patrimoine, à savoir cette parole par laquelle, par la foi et assurance que tu as en icelle, en pauvreté tu te réputes très riche ; en malheureté, bienheureuse ; en solitude, bien accompagnée ; en doute, acertainée ; en périls, assurée ; en tourments, allégée ; en reproches, honorée ; en adversités, prospère ; en maladie, saine ; en mort, vivifiée. Tu accepteras donc, o pauvrette (paourette) petite Église, cestuy présent, d’aussi joyeuse affection que de bon cœur il t’est envoyé et dédié… Christ ne s’est-il pas donné à telle manière de gens abjects, petits et humbles ; ne leur a-t-il pas familièrement déclaré les grands secrets du royaume qu’il proteste leur appartenir ? C’est sa petite bande invincible, sa petite armée victorieuse, à laquelle, comme un vrai chef de guerre, il donne courage et hardiesse par sa présence, et chasse toute frayeur et crainte par sa vive et vigoureuse Parole…
Ce bien est le tien et toutefois il demeure entièrement à celui qui te le donne. O la bénigne possession de grâce, qui rend au donnant et à l’acceptant une même joie et délectation ! Quelque beau semblant que les hommes fassent et quelque propos qu’ils aient en la bouche, pour vouloir colorer et faire entendre de combien bon cœur ils donnent, toujours y a-t-il en quelque anglet de ce cœur une prudence peureuse qui crie : « Prends garde à ce que tu fais, que tu n’aies faute de ce dont tu es prodigue ! » Or il n’en va pas ainsi de ce don, car il n’est fait que pour être donné et communiqué à un chacun ; et ceux qui le donnent se tiennent pour avoir fait un grand gain et bonne emplette quand ils ont trouvé occasion de te le présenter et le mettre en ta possession.
Quant au pauvre peuple qui te fait le présent, il fut il y a plus de trois cents ans banni de ta compagnie. Épars aux quatre parties de la Gaule il est (à tort toutefois et pour le nom de Christ) réputé le plus méchant que jamais fût, tellement que les autres nations emploient son nom pour injure et reproche. C’est le vrai peuple de patience… Ton frère donc, auquel ta vie tant misérable faisait pitié, s’est souventes fois ingéré, en passant et repassant, de t’appeler par le nom de sœur, s’efforçant de te donner le mot du guet de parfaite et heureuse liberté. Mais toi, toute hébétée de tant de coups, tu passais outre et allais ton chemin… Or avant donc pauvre (paoure) petite Église qui es encore en état de chambrière sous les furieuses trongnes et magistrales menaces de tant de maîtres renfrognés et rébarbatifs, va décrotter tes haillons tout poudreux et terreux d’avoir couru, viré et tracassé, par le marché fangeux de vaines traditions : va laver tes mains toutes sales d’avoir fait l’œuvre servile d’iniquité : va nettoyer tes yeux tout chassieux de superstition et d’hypocrisie. Veux-tu toujours être ainsi à Maître ? N’est-il pas temps que tu entendes à ton époux Christ ? … Ne prendras-tu pas égard aux précieux joyaux que lui-même (si tu sais comprendre) t’envoie en loyauté de mariage ? … Lui veux-tu point donner ton amour et ta foi ? Qu’attends-tu ? Ne veux-tu pas te fier en lui ? N’y a-t-il pas assez de bien en la maison de ton Père pour t’entretenir ? … As tu doute qu’il te traite mal, lui qui est tant doux et tant de bonne sorte ? … Ne te chaille ! (Courage !) Prends congé de tes maîtres et de cette traître marâtre que tu as si longtemps appelée mère. Mets leur en avant qu’il est temps que tu suives la volonté de Christ ton Époux, lequel te demande. Quitte leur tout ce que tu pourrais avoir gagné et mérité avec eux. Car le tien Époux n’a que faire de ces biens là, qui lui feraient déshonneur. Il est bien vrai que de ta part tu ne lui pourrais apporter en acquit chose qui vaille. Mais qu’y ferais-tu ? Viens hardiment avec tous les plus braves et mignons de ta cour tous faits exécration pour Christ, non pour leurs méfaits, desquels les titres sont ceux-ci, asçavoir : Injuriés, Blamés, Chassés, Decriés, Désavoués, Abandonnés, Excommuniés, Anathématisés, Confisqués, Emprisonnés, Géhennés, Bannis, Eschellés, Mitrés, Décrachés, Chaffaudés, Exoreillés, Tenaillés, Flétris, Tirés, Traînés, Grillés, Rôtis, Lapidés, Brûlés, Noyés, Décapités, Démembrés, et autres semblables titres glorieux et magnifiques du Royaume des Cieux. Tous lesquels il n’a point à dédain, lui qui est tout au contraire des autres princes et rois, lesquels ne veulent personne à leur cour et service s’il n’est noble, bien accoutré, gorgias (coquet), miste (élégant), sain et en bon point. Mais il les veut tels comme lui-même a été en ce monde, et il les appelle amiablement pour les soulager, les enrichir, les avancer et les faire triompher avec lui dans sa cour célestielle.
Maintenant donc, ô noble et digne Église, heureuse Épouse du Fils du Roi, accepte et reçois cette Parole, promesse et Testament…, où tu pourras voir la volonté de Christ, le tien Époux, et de Dieu son Père… lequel ô pauvre (paoure) petite Église, te maintienne en sa grâce ! Des Alpes ce xiie de Février (Feburier) 1535.
Ne craingniez point petit tropeau car il a pleu à vostre père vous donner le royaume.
En Dieu tout.
Je te eusse escrit plus amplement : mays tu voys ici le destroict ou je suis de papier et d’autres choses.
Après la préface, vient une Apologie du translateur qui occupe trois feuillets. Dans cette apologie, Olivétan raconte comment il a été amené à entreprendre son travail, et parle de ses labeurs avec une extrême et touchante modestie.
Je suis assez records que toi Cusemeth et toi Almeutes[c], menés de l’esprit de Dieu pour les grâces qui lui a plu vous donner (quant à l’intelligence de l’Ecriture), allates[d] trois ans y a visiter les Eglises chrétiennes nos bons frères. Et vous étant assemblés (comme est de coutume) pour conférer et traiter de l’Ecriture Sainte… advisates que tant de sectes et hérésies, tant de troubles et tumultes sordaient en ce temps au monde, et que tout cela venait pour l’ignorance de la parole de Dieu. Voyant aussi les exemplaires du Vieil et Nouveau Testament en langue vulgaire qui étaient entre nous[e] écrits à la main depuis si longtemps qu’on n’en a point de souvenance ne pouvoir servir sinon à peu de gens, admonestates tous les autres frères pour l’honneur de Dieu[f] et bien de tous les chrétiens ayant connaissance de la langue française, et pour la ruine de toute fausse doctrine répugnante à vérité : qu’il serait grandement expédient et nécessaire de repurger la Bible selon les langues hébraïques et grecques en langage français. A quoi iceux nos frères se sont joyeusement et de bon cœur accordés, eux employants et évertuants à ce que cette entreprise vînt à effet.
.[c] Mot grec qui signifie vendeur de sel, pseudonyme de Saunier.
[d] Si Olivétan était allé au Synode de Chanforans avec Farel et Saunier, se serait-il exprimé ainsi ?
[e] Olivétan s’identifie avec le peuple qu’il a évangélisé et au milieu duquel il a traduit l’Écriture.
[f] On remarquera qu’à la base de cette entreprise se trouve la grande préoccupation, on peut dire la sublime obsession calviniste, de l’honneur de Dieu.
Or pour ce faire, vous ayant quelque estime de moi autre que ne pensais, m’avez tant prié, sollicité, importuné et quasi adjuré, qu’ai été contraint à entreprendre cette si grande charge. Laquelle certes toi Cusemeth et Chlorotes eussiez pu faire trop mieux que moi, si Dieu vous eût voulu permettre et donner le loisir et qu’il ne vous eût appelé à plus grand choses : asçavoir pour semer le pur grain de sa parole en son champ fructueux et arroser et faire verdoyer son délicieux jardin de Eden. Si vos persuasions (desquelles j’ai bonne souvenance) n’eussent été plus puissantes que mes excuses, je ne devais jamais accepter telle charge vu la grande difficulté de la besogne et la débilité et faiblesse de moi, laquelle ayant bien connue, avais jà par plusieurs fois fait refus de me adventurer à tel hasard ; vu aussi qu’il est autant difficile (comme vous savez) de pouvoir bien faire parler à l’éloquence hébraïque et grecque le langage français (lequel n’est que barbarie au regard d’icelles) si que on voulait enseigner le doux rossignol à chanter le chant du corbeau enroué[g]. Attendu aussi que comme il va d’un édifice qui se fait en public, dont chacun devise à sa propre fantaisie, ainsi est-il d’une telle entreprise environnée de toutes parts de repreneurs, corrigears et calomniateurs, non pas domestiques (j’en suis bien assuré) mais étrangers et aliénés de charité. Chrétiens philosophans sur la pointe d’un omicron et étant munis de mille petites calomnies et mécontentements.
[g] C’est nous qui soulignons, ici et plus bas.
Partant à vous qui m’avez mis en œuvre et estes cause de tout cet affaire, qui m’avez si bien donné à entendre et fait accroire par vive raison que j’en viendrais à bout et le ferais si bien, je viens maintenant, après avoir travaillé toute l’année, rendre compte de la besogne faite, rendant grâce et donnant la gloire à Dieu seul, si elle est si bien achevée et parfaite que vous l’entendiez… J’ai fait du mieux que j’ai pu, comme vous voyez. J’ai labouré et foui le plus profondément qu’il m’a été possible en la vive mine de pure vérité pour en tirer offrande que j’apporte pour la décoration et ornement du saint temple de Dieu… Il est licite à un chacun de pouvoir autant apporter et offrir. Aussi en un même corps tels que nous sommes en Jésus-Christ il n’y a nulle envie ni reproche entre les membres. L’œil net qui voit clair adresse le pied qu’il ne choppe et fasse un faux pas sans lui reprocher sa cécité ni souillure. Aussi le pied sale et fangeux marche par les mauvais passages sans avoir envie de la netteté des délicats yeux qui n’endureraient pas la moindre ordure qui soit. J’espère que les clairs et lumineux yeux ne dédaigneront, ne blâmeront point les petits labeurs de moi, qui suis comme l’un des plus petits orteils des bas et humbles pieds de ce corps, fouillans et quérans ce qui nous a été si longtemps caché aux étranges terroirs hébraïques et grecs… Aux bien accordantes orgues de l’Église universelle de Christ, desquels les vifs (vivants) tuyaux sont épars par tous les côtés du monde, les petits tuyaux, quelque menus qu’ils soient, ce néanmoins ils servent à la mélodie et les gros plus résonnants attempèrent aussi leur hautesse à la petitesse et tendre ton d’iceux. Ainsi ai-je espérance qu’il me sera fait, et que le petit et faible son que je jette ne troublera point l’accord, mais plutôt fournira et remplira la plaisante et douce harmonie de la seule et unique foi que nous avons en Jésus-Christ…
Je n’ai point honte, comme la veuve évangélique, d’avoir apporté devant vous mes deux petits quadrains en valeur d’une maille qui est toute ma substance…
Après l’Apologie, on lit :
Paul. I Corinthiens xiv.
Je veulx certes que tous vous parliez langaiges : mais
encore plus que vous prophetiziez
Item au mesme
Pourtant freres taschez a prophetizer et ne empeschez
point de parler langaiges.
[Tous ces préliminaires sont semés de citations de la Bible, bien mises en saillie. On voit combien le traducteur, lorsqu’il parlait lui-même, était impatient de laisser parler Dieu.]
Suit une autre dédicace (sixième feuillet) avec cette inscription : V. F. C.[h] a notre allie et confedere le peuple de l’alliance de Sinai salut. C’est une épître au peuple juif, destinée à montrer que Jésus est le Messie. Ici encore on retrouve l’amour des âmes, l’esprit missionnaire. Ce morceau est le premier de ce genre que l’on trouve dans la littérature protestante. Il est suivi de cette citation :
[h] Viret, Farel, Calvin. Le morceau a cependant été rédigé par Olivétan, d’après M. Reuss, qui base son opinion sur le style. Olivétan exprime la pensée des réformateurs et leur sert de porte-parole.
Paul aux Romains 12.
Gloire honneur et paix a ung chascun qui fera bien
au juif premierement aussi au grec.
Le verso du septième feuillet contient une poésie latine d’un collaborateur d’Olivétan, Des Périers, qui recommande la traduction au lecteur.
[En sa qualité de grammairien, dit M. Reuss, il retouchait, corrigeait les rudesses de style du traducteur hébraïsant. Des Périers fut valet de chambre chez Marguerite de Navarre, dont il mettait au net les œuvres poétiques. Olivétan l’appelle dans son Apologie « notre loyal frère et bon ami ».]
Plus nimio quondam rerum studiosa novarum,
Eloquii dives Gallica lingua fuit.
Tot sibi librorum cum scripserit agmina, (mirum est)
Raro, vel nunquam, Biblia sacra refert[i].
Vana refert : Domini spernens oracula vatum,
Seria futilibus posthabet illa jocis.
Ridiculas autem, Christo revotante, jocandi
Optabit tandem ponere blanditias.
Blanditias sed nacta novas, monimenta salutis,
En habet, et fidei pignora certa suæ.
Relligionis habet nunc pura fluenta beatæ,
Trita sur Ausonio quæ latuere luto[j].
Viderat ante suas hæc Gallica lingua sorores
Scribere veracis verba retecta Dei.
Otia dum captat, tandem perfusa recenti
Luce Dei, voluit tam pia facta sequi.
Immo jam sequitur non inferiore loquendi
Utilitate, eadem quotquot in orbe ferunt.
En igitur faxis, gens Gallica, cordis apertas
Trajiciant aures, quæ tua lingua canit.
Accipe, volve diu noctuque volumina sancta,
Non sine sollicito versa labore tibi.
Vana decent vanos. Tu non ignota recantes.
Sat, tua (cum polis es) non aliena colas.
Ad Candidum Lectorem.
Quisquis es, o Lector, primores carminis hujus
Tu ne sperne notas. Qui tibi vertit, is est.
[i] Exagération manifeste, à moins que l’auteur ne veuille dire que la langue française manquait de traductions bibliques faites sur le texte original.
[j] Allusion au texte corrompu de la Vulgate (Ausonius veut dire latin).
Ce dernier distique avertit le lecteur qu’il trouvera en acrostiche dans la poésie le nom du traducteur. En effet, en réunissant les premières lettres de ces vers, on forme (le u ayant alors la valeur du v, et réciproquement) le nom de Petrus Robertus Olivetanus.
Le huitième feuillet contient la table des matières, qui est suivie de ces mots : Toutes ces choses sont le livre de vie, et le pact du Souverain, et la connaissance de la verite (citation de l’Ecclésiastique, chapitre xxiv, d’après la Vulgate). Au verso de ce huitième feuillet on lit :
Au lecteur des deux Testaments contenant la volonté et parole de Dieu :
Le divin Testateur qui en testant ne ment
Et ne vouldroit frauder nullement sa partie :
Veult que de tous soit leu son double Testament
Et qua chascun en soit la teneur departie.
Veu donc que la copie en est dejia sortie
Aux autres nations : pour toy peuple françoys
En ton languaige aussi a este assortie
Afin que de ton droict plus asseure tu sois.
Non seulement en liure escrit lauras aincois
En ton cœur lescrira par diuine practique
(Ainsi qu’il a promis) si tu oys et receois
Du loyal Testateur le Testament publicque.
Après les livres canoniques de l’Ancien Testament viennent les livres apocryphes. Ils sont précédés d’une préface qui leur refuse la canonicité. La voici :
Entendu que les livres précédens se trouvent en langue hébraïque reçus d’un chacun et les suivans qui sont dits apocryphes… ne se trouvent ni en hébreu ni en chaldéen, et aussi ne sont point reçus ni tenus comme légitimes tant des hébreux que de toute l’Église, ainsi que profère Saint-Jérôme, nous les avons séparés et réduits à part pour les mieux discerner et connaître, afin qu’on sache desquels le témoignage doit être reçu ou non (Suivent quelques témoignages historiques).
Pourquoi donc, quand tu voudras maintenir aucune chose pour certaine rendant raison de ta foi, regarde d’y procéder par vive et puissante Ecriture en ensuivant saint Pierre qui dit : Celui qui parle, qu’il parle comme parole de Dieu. Il dit parole de Dieu comme très véritable et très certaine manifestée par les prophètes et apôtres divinement inspirés, desquels nous avons témoignage plus clair que le jour. Les juristes aussi, ayant grand soin de confirmer et établir leurs opinions par la loi humaine, disent qu’ils ont honte de parler sans loi. Combien donc plus grande horreur et vergogne doit avoir celui qui se dit chrétien, ne se attend et ne se arrête ès lois du Dieu vivant, mais aux humaines, jugeant toutes choses selon sa fantaisie et jugement incertain. Par ainsi, nous édifiés sur le fondement des saints prophètes et apôtres (sur lequel ils se sont fondés et lequel ils ont annoncé qui est Jésus-Christ, la ferme pierre), délaisserons les choses incertaines pour suivre les certaines, nous arrêtant et nous appuyant en icelles, et là fichant notre ancre comme en lieu sûr, car notre foi chrétienne ne consiste point ès choses douteuses, mais en pleine et très certaine assurance et très vraie persuasion prise et confirmée par vérité qui est infaillible. En laquelle Dieu nous doit cheminer perpétuellement afin que selon icelle (acceptant eu nous sa sainte volonté et déjetant toute autre intention à lui contraire) puissions vivre à son honneur et édification de son église. Ainsi soit-il.
En tête de la page de titre du Nouveau Testament, on lit, en grec, dans une banderole : Ils seront tous enseignés de Dieu. Puis :
Le Nouveau Testament
De nostre Seigneur et seul Sauveur
Jesus Christ
Translate de Grec en Francoys.
En Dieu tout.
Matthieu xvii.
Cestuy est mon fils bien ayme auquel
ay pris mon bon plaisir
escoutez le.
Suit une nouvelle préface de Calvin, traduite en français par Olivétan, d’après Reuss (trois pages), qui retrace l’histoire de la révélation. Elle est trop belle pour ne pas en citer au moins la fin. Christ et Les Écritures, voilà le thème de ce morceau.
Sans l’Évangile, nous sommes inutiles et vains ; sans l’Évangile, nous ne sommes chrétiens ; sans l’Évangile, toute richesse est pauvreté ; sagesse est folie devant Dieu ; force est faiblesse ; toute justice humaine est damnée. Mais par la connaissance de l’Évangile, nous sommes faits enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, combourgeois des saints, citoyens du royaume des cieux, héritiers de Dieu avec Jésus-Christ, par lequel les pauvres sont faits riches, les faibles puissants, les fous sages, les pécheurs justifiés, les désolés consolés, les douteurs certains, les serfs affranchis. C’est la puissance de Dieu en salut à tout croyant…
Ô chrétiens et chrétiennes, entendez ceci et apprenez ! Où est donc votre espérance, si vous méprisez et dédaignez d’ouïr, voir, lire et retenir ce saint Évangile ? Ceux qui ont leurs affections fichées en ce monde pourchassent par tous moyens ce qu’ils pensent appartenir à leur félicité, sans épargner ni labeur, ni corps, ni vie, ni renommée. Et toutes ces choses se font pour servir à ce malheureux corps, duquel la vie est si vaine, misérable et incertaine… Ceux qui s’adonnent aux arts mécaniques, quelque bas ou vils qu’ils soient, mettent si grande peine à les apprendre et savoir, et ceux qui veulent être réputés les plus vertueux se tourmentent l’esprit nuit et jour pour comprendre quelque chose aux sciences humaines, qui ne sont que vent et fumée. Combien, au prix, nous devons nous employer et efforcer en l’étude de cette sagesse céleste qui outrepasse tout le monde et pénètre jusqu’aux mystères de Dieu qu’il lui a plu de révéler par sa sainte Parole !
Quelle chose donc sera-ce qui nous pourra détourner et aliéner de ce saint Évangile ? Seront-ce injures, malédictions, opprobre, privation des honneurs mondains ? Mais nous savons bien que Jésus-Christ a passé par ce chemin que nous devons suivre, si nous voulons être ses disciples… Seront-ce bannissements, proscriptions, privations des biens et richesses ? Mais nous savons bien que quand nous serons bannis d’un pays, la terre est au Seigneur, et quand nous serons jetés hors de toute la terre, nous ne serons pas toutefois hors de son règne, que quand nous serons dépouillés et appauvris, nous aurons un Père assez riche pour nous nourrir, et même que Jésus-Christ s’est fait pauvre afin que nous le suivions en pauvreté. Seront-ce afflictions, prisons, tortures, tourments ? Mais nous connaissons par l’exemple de Jésus-Christ que c’est le chemin pour parvenir en gloire. Sera-ce finalement la mort ? Mais elle ne nous ôte pas la vie qui est à souhaiter. Bref, si nous avons Jésus-Christ avec nous, nous ne trouverons chose si maudite qui ne soit bénie par lui, chose si exécrable qui ne soit sanctifiée, chose si mauvaise qui ne nous tourne en bien. Ne nous décourageons pas quand nous verrons contre nous toutes les puissances et forces mondaines ; ne soyons donc pas désolés comme si toute espérance était perdue quand nous verrons mourir devant nos yeux les vrais serviteurs de Dieu…
Or puisque vous avez entendu que l’Évangile vous présente Jésus-Christ en qui toutes les promesses et grâces de Dieu sont accomplies, et vous déclare qu’il a été envoyé du Père, est descendu en terre, a conversé avec les hommes, a parfait tout ce qui touchait à notre salut, il vous doit être très certain et très manifeste que les trésors du Paradis vous y sont ouverts et les richesses de Dieu déployées et la vie éternelle révélée. Car ceci est la vie éternelle, connaître un seul vrai Dieu, et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ. C’est lui qui est Isaac, le Fils bien-aimé du Père, qui a été offert en sacrifice et toutefois n’a point succombé à la puissance de la mort. C’est lui le vigilant pasteur Jacob ayant si grand soin des brebis qu’il a en garde. C’est lui le bon et pitoyable frère Joseph qui en sa gloire n’a point pris honte de reconnaître ses frères, quelque méprisables et abjects qu’ils fussent. C’est lui le grand sacrificateur et évêque Melchisédec ayant fait sacrifice éternel une fois pour toutes. C’est lui le souverain législateur Moïse écrivant sa loi sur les tables de nos cœurs par son Esprit. C’est lui le fidèle capitaine et guide Josué, pour nous conduire en la terre promise. C’est lui le noble et victorieux roi David, assujettissant à sa main toute puissance rebelle. C’est lui le magnifique et triomphant roi Salomon, gouvernant son règne en paix et prospérité. Et même tout ce qui se pourrait penser ou désirer de bien est trouvé en un seul, Jésus-Christ. Car il s’est humilié pour nous exalter ; il s’est asservi pour nous affranchir ; il a été vendu pour nous racheter ; captif, pour nous délivrer ; condamné, pour nous absoudre ; il a été fait malédiction pour notre bénédiction ; oblation de péché pour notre justice ; il a été défiguré pour nous figurer ; il est mort pour notre vie, tellement que par lui rudesse est adoucie, courroux apaisé, ténèbres éclaircies, injustice justifiée, faiblesse vertueuse, déconfort consolé, péché empêché, mépris méprisé, crainte assurée, dette quittée, labeur allégé, tristesse réjouie, malheur bien heuré, difficulté facile, désordre ordonné, division unie, ignominie anoblie, rébellion assujettie, menace menacée, embûches débuchées, assauts assaillis, effort efforcé, combat combattu, guerre guerroyée, vengeance vengée, tourment tourmenté, damnation damnée, abime abimé, enfer enferré, mort morte, mortalité immortelle. Bref, miséricorde a englouti toute misère, et bonté toute malheureté. Car toutes ces choses qui solaient être armes du diable pour nous combattre et aiguillon de la mort pour nous poindre, nous sont tournées en exercice, desquels nous pouvons faire notre profit…… Et de là il advient que par son Esprit promis à ses élus, nous ne vivons plus, mais Christ vit en nous, et nous sommes par esprit assis aux lieux célestes, en tant que le monde ne nous est plus monde, bien que nous continuions à y vivre. Mais nous sommes contents en tous pays, lieux, conditions, habillements, viandes et telles autres choses ; nous sommes consolés en tribulations ; joyeux en tristesse, glorieux en outrage, abondants en pauvreté, patients dans les maux, vivants en la mort.
Repentez-vous et croyez à l’Évangile
Marc I.
Après l’Apocalypse, on lit :
Tout en Dieu.
Paul aux Romains 10.
L’accomplissement de la loy est Christ.
(Ces derniers mots d’abord en grec, puis en français).
Le volume se termine par deux tables, dont la première donne l’explication des noms propres de la Bible (87 colonnes). Elle est précédée de ces deux distiques le premier, de H. Rosa, le second, de Des Périers :
Nomina perfacili distinximus indice lector
Ut collecta tuis usibus apta forent.
Ne mirere novo prodire vocabula cultu,
Sed verum in tenebris delituisse diu.
et suivie de la citation du passage suivant :
I Jean i
Si nous disons : Nous navons point de peche
Nous decevons nous mesmes et verite
Nest point en nous.
L’autre table est un Indice des principales matieres contenues en la Bible, une table de concordance par sujets (66 colonnes).
Cet indice est précédé de l’intéressante petite préface qui suit :
Matthieu Gramelin aux lecteurs chrestiens :
La grace et paix de Dieu vous soit donnee par Jesus Christ. Comme les avettes songneusement recueillent les fleurs odorantes pour faire par naturel artifice le doulx miel : aussi ay ie les principales sentences contenues en la Bible. Lesquelles pour la consolation de ceulx qui ne sont point encore exercitez et instruictz en la Saincte escripture sont ordonnées par forme de Indice. Auquel sont exposez, collationnez, concordez, et lung a lautre confrontez plusieurs difficiles passages tant du vieil que du nouveau testament : affin que le prudent Lecteur par lesperit de Dieu en puisse rapporter naisve et claire intelligence. Dont chascun (comme est tenu) pourra estre appreste muny et garny de response a tous ceulx qui demanderont raison de sa foy. Ce aussi est utile pour les particuliers et generales exhortations quon faict a certains personnages ou commun populaire ; et pour véritablement respondre aux heretiques et confondre les adversaires de la parolle de Dieu. En quoi aussi on pourra trouver ce qui soulage grandement lestude des Lecteurs lexplication daucuns tropes hébraïques translations similitudes et facons de parler (que nous disons idiotismes) contenues en la Bible. Mais pour plus facilement trouver les matieres desirees (à cause que desordre produit confusion) iay procede jouxte lordre Alphabetique : affin que nul ne soit prive dung si precieux thresor : duquel vous userez a lhonneur et gloire de Dieu et a ledification de son eglise.
[Dans ce court morceau, nous avons maintenu telle quelle, comme dans les morceaux en vers, à titre de spécimen, l’orthographe du temps, qu’ailleurs nous avons sacrifiée, pour faciliter la lecture.
Gramelin est l’anagramme de Malingre, ancien dominicain qui fut un des premiers ouvriers de la Réformation dans la Suisse romande. Il devint pasteur à Neuchâtel en 1535. C’est lui qui est l’auteur de l’« indice », qu’il avait déjà publié, mais moins développé, dans le Nouveau Testament de Wingle de 1534.]
A la dernière page du volume on lit :
Acheve d’imprimer en la ville et conte de
Neufchastel par Pierre Wingle dicit
Pirot Picard l’an M.D.XXXV
le IVe jour de juing
Puis, en latin, dans une gravure au centre de laquelle se trouve un cœur surmonté d’une couronne :
Dieu ne dédaigne pas un cœur humilié et contrit (Psaume 51)
Puis vient le curieux morceau suivant :
Au lecteur de la Bible :
Lecteur entends si Verite addresse
Viens donc ouyr instamment sa promesse
et vif parler : lequel en excellence
veult asseurer notre grelle espérance.
lesprit Jesus qui visite et ordonne
nos tendres mœurs icy sans cry estonne
tout haut raillart escumant son ordure.
Remercions éternelle nature
prenons vouloir bienfaire librement
Jesus querons veoir Eternellement
Ces vers renferment une énigme dont la clef se trouve dans la citation suivante d’Ézéchiel qui clôt la page et le livre :
Et leur ouvrage estoit comme si une
roue eust este au milieu de lautre
roue. Jehezek i.
Si on joint ensemble les lettres initiales de tous les mots de ces dix vers, on obtient les deux vers suivants :
Les Vaudois, peuple évangélique,
Ont mis ce thrésor en publicque.
Le texte
D’abord la forme. Jamais Bible ne fut imprimée avec plus d’amour et plus de goût. Les versets ne sont pas indiqués (ils n’existaient pas encore). Le texte est divisé en paragraphes, une disposition que l’on croit toute moderne. Dans les psaumes et dans les proverbes, il est séparé en courtes divisions, évidemment destinées à mettre en relief le parallélisme. Ces divisions devinrent plus tard les versets.
D’abondantes notes marginales éclairent le texte. Elles sont géographiques, historiques, d’histoire naturelle, exégétiques, isagogiques, critiques même, et donnent l’indication des variantes. Elles abondent en citations de toutes sortes d’auteurs, soit Pères de l’Église, soit classiques. « Le commentateur, dit M. Reuss, étale ici un véritable luxe d’érudition ».
[« Nous tiendrons compte à Olivetan, dit M. Reuss, de ce qu’il n’a pas voulu négliger cette partie de la science à peine naissante (l’étude des variantes). Les théologiens protestants n’ont que trop tôt répudié cet héritage et proscrit les études critiques qui auraient dû être estimées comme étant de première nécessité pour une Église qui prétendait édifier sa foi et son enseignement sur les seuls textes authentiques de l’Écriture. » Quand on lit la savante étude de M. Reuss sur ces notes (op. cit., 3e série, IV, 1866), on est confondu de la connaissance de l’hébreu et de la science étendue et de bon aloi qu’elles dénotent. Olivétan connaissait, en matière biblique, tout ce qu’on pouvait connaître de son temps, y compris les commentateurs juifs du moyen âge. Voici une remarque curieuse de M. Reuss sur une note d’Olivétan à propos de Job il. Elle montre que l’affranchissement de la pensée allait de pair avec la libération des consciences :
« S’il reconnaît dans le Béhémoth et le Léviathan l’éléphant et la baleine, l’exégèse moderne peut ne pas être de son avis ; mais un appréciateur impartial commencera par se rappeler que l’exégèse ancienne, représentée encore par une note marginale très explicite de la Bible d’Anvers, n’y voyait que le diable en personne ».
Ces notes ne sont, sauf quelques exceptions, ni théologiques, ni polémiques. Celles de l’Ancien Testament sont plus nombreuses et ont encore plus de valeur que celles du Nouveau. Plusieurs sont destinées à indiquer les passages parallèles.
[Les parallèles, on le voit, ne sont pas une invention moderne. « II y en avait dans la Bible d’Anvers. On les trouve pour la première fois, pour l’ancien Testament, dans une Bible imprimée par Froben, à Bâle, en 1491. Antérieurement, il y en avait déjà dans le Nouveau Testament » (Reuss).]
Titre du Nouveau Testament d’Olivétan. Genève 1536. Format du volume : 134 X 76 mm. Ce titre ressemble beaucoup au titre de la Bible d’Olivétan (1535). En haut, on lit, en grec : Ils seront tous enseignés de Dieu.
Voici maintenant quant au fond.
« Je n’hésite pas à déclarer, a dit M. Reuss, que l’Ancien Testament d’Olivétan est non seulement une œuvre d’érudition et de mérite, mais un véritable chef-d’œuvre, bien entendu quand on a égard aux ressources de l’époque et surtout quand on compare cette traduction à ce qui existait antérieurement dans ce genre. »
Voici une appréciation aussi élogieuse qu’impartiale de la traduction de l’Ancien Testament dans la « Bible de La Rochelle de 1516 », qui est la réimpression d’une des révisions d’Olivétan. Elle est d’un auteur qui a lui-même traduit la Bible, en faisant surtout œuvre de littérateur.
« Pour faire passer dans notre langue toute l’ardente littérature juive, les connaissances philologiques ne suffisent pas. Qui les possède seules ne peut fournir qu’une traduction pâle et tout à fait infidèle. Comment redire les paroles d’Isaïe et d’Ézéchiel sans avoir eu ses lèvres touchées comme les leurs par les vifs charbons de l’inspiration poétique ? A ce point de vue, ce qu’il y a de préférable, c’est peut-être encore, malgré la multitude des faux-sens, la vieille Bible protestante de La Rochelle de 1616 » (Eug. Ledrain, La Bible, traduction nouvelle, I, viii).
Voici deux spécimens de cette traduction :
Psaume xxiii : Le Seigneur est mon pasteur, je n’aurai faute de rien. Il me faict reposer es pasquiers herbeux, il me meine auprès des eaues quoyes.
Il refectionne mon ame, il me conduict par les sentiers de justice pour son nom.
Quand aussi je chemineroye par la vallée de lombre de mort, je ne craindroye nul mal : car tu es avec moy : ta verge et ta houlette mont console.
Tu appareilleras la table devant moy, present ceulx qui me tormentent : tu engraisseras mon chef de oingnement, et ma couppe est remplie a comble.
Toutefois ta bonte et benignité me suyvront tous les jours de ma vie : et habiteray long temps en la maison du Seigneur.
Ésaïe liii : Qui est celuy qui croit à notre publication, et le bras du Seigneur a qui est il revele : Aussi cestuy montera comme le vergeon devant luy et comme la racine de la terre qui a soif. Il ny a en luy ne facon ne beaulte. Et lavons veu qui ny avoit pas de forme : et ne lavons point desire. Il est mesprise et deboute des hommes, homme languoreux et accoustume a douleurs : dont avons cache nostre face de luy, tant estoit mesprise et ne lavons de riens estime. Vrayment iceluy a porte noz langueurs : et a chargé noz douleurs. Touteffoys nous lavons estime divinement estre frappe de playe et afflige. Or cestuy est il navre pour noz forfaictz. Il a ete blece pour noz iniquitez. La correction de notre payement est sus luy : et par sa playe nous avons guerison. Nous tous avons erre comme brebis : nous nous sommes tonrnez ung chascun en sa propre voye : et le Seigneur a me sus luy liniqnite de nous tous. Il est harcele et afflige, touteffoys il ne ouvre point sa bouche. Il est mene a loccision comme laigneau : et a este muet comme la brebis devant celui qui la tond, touteffois il ne ouvre pas sa bouche. Il est oste hors de destresse et de condamnation. Qui est celui qui recitera sa generation. Car il est arrache hors de la terre des vivans : et est deplaye pour le peche de mon peuple. Et permet avoir son sepulcre avec les meschans et son monument avec les richardz. Combien quil ne ayt point faict d’injure : et que fraude ne soit pas en sa bouche. Le Seigneur la voulu debriser par doleur. Sil met son ame pour le peche, il verra sa posterité et prolongera ses jours, et la volunte du Seigneur sera adressee en sa main. Pour le labeur de son ame il en aura jouissance. Et mon juste serviteur rendra plusieurs justes par sa science : et luy mesme chargera leurs iniquitez. Pourtant luy en partiray plusieurs, et divisera les despouilles avec les puissans pource qu’il a baille son ame a la mort et qu’il a este compte avec les transgresseurs. Iceluy mesme a porte les pechez de plusieurs et a prie pour les transgresseurs.
La traduction du Nouveau Testament ne mérite pas les mêmes éloges que celle de l’Ancien. Olivétan savait mieux l’hébreu que le grec, et il se borna à revoir, en s’aidant de l’original et surtout de la traduction latine d’Érasme, la traduction de Lefèvre d’Étaples, faite sur le texte de la Vulgate. Pour avoir été faite à la lueur des bûchers, et malgré les progrès accomplis, l’œuvre de Lefèvre, nous l’avons dit, n’en était pas moins défectueuse, ne fût-ce qu’à cause du texte imparfait de la Vulgate, qu’elle suit. Le Nouveau Testament d’Olivétan constitue néanmoins, somme toute, un progrès sur celui de Lefèvre.
[Dans quatre chapitres (Matth. v, Actes xvii, Philémon, I Pierre i). M. Reuss a relevé 194 variantes d’Olivétan d’avec Lefèvre, soit 14,7 pour dix versets (56 de style, peu importantes, 123 d’après Érasme, 15 d’après le grec). On voit par là que si Olivétan n’a pas fait œuvre originale. il a pourtant sérieusement retravaillé le texte de son prédécesseur, bien que, d’après M. Reuss, ses corrections ne constituent pas toujours un progrès.]
Et puis, qui jettera la pierre à Olivétan pour avoir voulu se hâter de donner la Parole de Dieu aux Églises persécutées qui en étaient privées ? « A Neuchâtel, dit M. Pétavel, la Réforme était faite depuis cinq ans, et on n’avait pas de Bible ! »
« N’oublions pas, dit M. Reuss, que nous avons affaire à un auteur placé dans des conditions très défavorables pour mener à bonne fin une si grande entreprise, à un auteur réduit à bien peu de secours littéraires et ayant à lutter avec les difficultés d’une langue qui se formait à peine pour l’usage littéraire et savant, et que cet auteur, dans son extrême modestie, ne réclame guère d’autre gloire que celle de ne point s’être laissé rebuter par tous ces obstacles. Qu’on soit sévère envers ceux auxquels les progrès de la science ont rendu la besogne facile… Mais quand il s’agit d’un de ces infatigables pionniers de la science, qui suppléaient par l’héroïsme de leur volonté à l’insuffisance de leurs moyens, et qui bien souvent ne jouissaient pas même de la sécurité personnelle et des loisirs domestiques sans lesquels nous autres, aujourd’hui, nous ne ferions plus rien du tout, ce serait le comble de l’injustice que de vouloir leur appliquer la mesure d’une critique telle que nous aurions à l’exercer à l’égard des ouvrages contemporains. »
« Loin de compter avec une complaisance à la fois peu généreuse et pleine de vanité, les fautes, nombreuses, sans doute, qui peuvent être signalées dans un livre comme celui qui nous occupe, et qui pour nous n’est plus une ressource ou une autorité, mais un monument vénérable et digne de l’attention de l’historien, nous arriverons à constater que son auteur, avec une érudition vraiment prodigieuse pour son temps, tout insuffisante qu’elle nous paraît aujourd’hui, a eu le courage d’aborder une pareille tâche, l’ambition de ne pas se la rendre trop facile, et la gloire de s’en acquitter noblement. »
Voici dans la traduction d’Olivétan la parabole de l’enfant prodigue :
Ors tous les fermiers et pecheurs sapprochoient de luy pour le ouyr… Puis dist : ung homme avoit deux filz : et le plus ieune diceulx dist au pere : mon pere donne moy la portion de la substance qui m’appartient. Et il leur partit la substance. Et peu de iours apres quand le plus ieune filz eut tout assemblé il sen alla dehors en region loingtaine et la dissipa sa substance en vivant dyssolument. Et apres qu’il eut tout consommé : une grande famine aduint en icelle region. Et commencea a auoir necessite. Il sen alla et se ioingnit a ung des citoyens dicelle region lequel l’enuoya a sa metayrie pour paistre les pourceaux. Et desyroit de remplir son ventre des escosses que les pourceaux mangeoient, mais nul ne luy en donnoit. Dont estant revenu a soimesme dist : Combien de mercenaires y a il en la maison de mon pere qui ont abondance de pains et moi je pery de faim. Je me leueray et men iray a mon pere et luy diray : Mon pere iay peche au ciel et devant toy et ne suis point maintenant digne destre appelé ton fils : fais moy comme ung de tes mercenaires. Lors se leva et vint a son pere. Et comme il etoit encore loing son pere le veit et fut meu de compassion : et accouru et cheut sur le col diceluy et le baisa. Et le fils lui dist : Mon pere iay peche contre le ciel et devant toy : et ne sui point maintenant digne destre appelle ton filz. Et le pere dist à ses serviteurs : apportez la robbe longue premiere et le vestez : et lui donnez ung aneau en sa main et des souliers en ses pieds. Et amenez ung veau gras et le tuez et le mangeons et menons ioye : car cestuy mon filz estoit mort et il est retourne a vie : il estoit perdu mais il est retrouve. Et commencerent a mener ioye.
Olivétan se rendait compte des imperfections de son œuvre. Il publia en 1536 le Nouveau Testament revu par lui ; en 1537, une révision des psaumes qui inaugure l’emploi du terme l’Éternel pour traduire l’hébreu Jahveh. Dans sa première édition il s’était servi du terme Seigneur, selon l’usage des rabbins et de la Vulgate. Les traducteurs israélites Cahen et de Woguë ont adopté la traduction l’Éternel.
En 1538, Olivétan publia une nouvelle révision du Nouveau Testament, en même temps qu’une révision de l’Ecclésiaste, du Cantique et des Proverbes, dont les sentences sont, dans cette édition, numérotées au moyen de chiffres arabes. C’est le plus ancien exemple de l’emploi de chiffres pour la division en versets.
Dans ces dernières éditions, Olivétan avait pris le pseudonyme tout à la fois modeste, savant et humoristique, de Belishem de Belimâkôm, deux mots hébreux qui signifient Sans nom de Sans lieu ou Anonyme de nulle part. « Ainsi, Olivétan, dit M. Reuss, avait assez le goût et l’usage de l’hébreu, langue très peu cultivée par les savants de ce temps-là, pour le faire servir, de préférence au latin, à des plaisanteries littéraires ».
Qui sait jusqu’à quel point Olivétan eût perfectionné son travail ? Mais la mort le prit, comme nous l’avons dit, en 1538.
La traduction d’Olivétan était, pour l’époque, tellement bonne, que quelques exilés anglais pensèrent rendre un service éminent à leur pays en faisant paraître une traduction anglaise nouvelle calquée sur celle d’Olivétan, révisée, il est vrai, par Calvin. Ce fut la Bible dite de Genève (1562). Le Hollandais Hackius se servit aussi de la Bible d’Olivétan pour réviser la Bible hollandaise.
Voilà la traduction, nombre de fois révisée, comme nous le verrons, dont nos églises de langue française ont vécu pendant plus de trois siècles, sous le feu de la persécution, dans les cachots, sur les galères, au désert, et aux jours du réveil du dix-neuvième siècle. Il convient de saluer avec vénération la mémoire du modeste, consciencieux, et savant Olivétan, qui fut loin, assurément, de prévoir le succès de son œuvre.
Depuis lors, toutes les traductions protestantes françaises de la Bible entière, sauf celles de Martin (1707), de Roques (1736), d’Ostervald (1744), (qui ne furent que des révisions d’Olivétan), de Lecène (1741) et celle de Reuss dans son commentaire, ont été faites par des étrangers : La France a eu au moins l’honneur de donner à l’Église le premier traducteur qui ait traduit la Bible entière en français d’après les textes originaux.
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