Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XVII

17.1

Or après avoir fait route par Amphipolis et Apollonie, ils vinrent à Thessalonique, où était une synagogue des Juifs.

Nous ne pourrions donner raison pourquoi Paul n’a rien essayé en Amphipolis et Apollonie, qui toutefois étaient des villes assez renommées, selon le témoignage de Pline ; sinon qu’il a suivi la conduite du Saint Esprit ; et même il a pris conseil de parler ou de se taire selon les occasions qui se présentaient ; et peut bien être qu’il a aussi tâché de profiter là, mais pour ce que c’a été sans fruit, voilà pourquoi saint Luc n’en fait aucun récit. Or quant à ce qu’après avoir été fouetté à Philippes (1 Thessaloniciens 2.2) et étant à grand peine échappé d’un fort grand danger, il ne laisse de prêcher Jésus-Christ à Thessalonique, on voit bien par cela, quel courage invincible il avait de suivre le cours de sa vocation, et comme il n’a point craint de s’exposer par plusieurs fois à dangers nouveaux. Cette force invincible de courage, et cette constante souffrance de la croix, démontre assez que Paul n’a point humainement travaillé ; mais était muni de vertu céleste, et de la force du Saint Esprit. C’a été aussi une merveilleuse patience en lui, qu’il est entré aux Juifs, et ne cesse de procurer leur salut, desquels toutefois il avait si souvent expérimenté l’obstination endurcie. Mais pour ce qu’il savait que Jésus-Christ avait été donné en salut aux Juifs, et qu’il avait été ordonné apôtre à cette condition, d’annoncer la repentance et la foi premièrement aux Juifs, et puis après aux Gentils et Païens, recommandant l’issue de son labeur an Seigneur, il obéit à son commandement, combien qu’il n’eut grande espérance de faire grand profit. Il semble bien qu’auparavant il ait dit le dernier adieu aux Juifs, quand il disait : Il fallait enseigner le Royaume de Dieu premièrement à vous (Actes.13.46) mais pour ce que vous ne le recevez point, voici, nous nous convertissons aux Gentils. Mais cette sentence-là si rude se doit restreindre à l’assemblée de laquelle il est là parlé, qui par impiété avait repoussé l’Evangile qui leur avait été offert, et s’était rendue indigne de la grâce de Dieu. Mais saint Paul ne laisse point d’exécuter son ambassade envers la nation ; par lequel exemple nous sommes exhortés que nous devons tant estimer la vocation de Dieu, que quelque ingratitude qu’il y ait chez les hommes, cela toutefois ne nous empêche point de persévérer à procurer leur salut, cependant que nous leur sommes députés ministres par le Seigneur. Or on peut facilement penser, que déjà dès le premier Sabbat il y en eut d’aucuns qui rejetterait la sainte doctrine ; mais la perversité de ceux-ci ne l’a point détourné de retourner lors des autres Sabbats.

17.2

Or, selon sa coutume, Paul entra vers eux, et durant trois sabbats il discuta avec eux d’après les Ecritures,

Saint Luc explique premièrement, quelle a été le résumé cette dispute, à savoir que Jésus Fils de Marie est le Christ jadis promis en la Loi et par les Prophètes, lequel par le sacrifice de sa mort a effacé les péchés du monde, et par sa résurrection a apporté justice et vie ; puis après comment il a prouvé ce qu’il enseignait. Prenons ce second membre pour le traiter en premier lieu. Saint Luc dit que Paul disputait par les Écritures ; et pourtant on ne doit prendre les probations de la foi que de la bouche de Dieu. Si on débat des choses humaines, que lors les raisons humaines aient lieu ; mais en la doctrine de la foi, la seule autorité de la haute majesté de Dieu y doit régner ; et il faut que nous dépendions de celle-ci. Il est bien vrai que tous confesseront que Dieu est celui seul à qui il faut acquiescer ; mais cependant il y en a bien peu qui l’écoutent parler dans les Écritures. Toutefois si cette maxime a lieu entre nous, que l’Écriture est procédée de Dieu, il ne faudra point prendre d’ailleurs la règle ou d’enseigner ou d’apprendre. On peut donc voir par ceci, de quelle rage diabolique les Papistes sont agités, quand ils disent qu’on ne peut rien tirer de certain des Écritures, et que pour cette cause il se faut arrêter aux ordonnances des hommes. Car je demande, à savoir si la façon de disputer qu’a tenue saint Paul, a été légitime, ou non. Pour le moins qu’ils aient honte de ce que plus de révérence a été porté à la parole du Seigneur entre une nation incrédule, qu’elle n’a aujourd’hui de révérence entre eux. Les Juifs admettent S. Paul, et le souffrent disputer par les Écritures ; le Pape et tous les siens estiment cela comme une pure moquerie, quand on met en avant la sainte Écriture, comme si Dieu parlait en celle-ci de manière ambiguë, et en obscurité perplexe, et comme s’il se moquait jouant de passe-passe. Joint qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de lumière dans les Écritures, et on y voit reluire une vérité de Dieu plus certaine, qu’en la Loi et dans les Prophètes. Car Christ qui est le Soleil de justice, nous éclaire de pleine lueur en l’Evangile ; et d’autant moins ce blasphème est tolérable, quand les Papistes crient qu’il n’y a point de certitude en la parole de Dieu. Mais de notre part, sachons que tout ainsi que la foi ne peut être ailleurs fondée qu’en la parole de Dieu ; aussi en tous différends il ne se faut arrêter qu’en son témoignage.

17.3

expliquant et exposant qu’il fallait que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât d’entre les morts ; et ce Christ, disait-il, c’est Jésus que moi je vous annonce,

Il décrit ici la somme ou le sujet de la dispute ; et met deux membres touchant Christ ; à savoir qu’il a fallu qu’il soit mort et ressuscité ; et que c’est le Fils de Marie qui avait été crucifié. Quand il est question de Jésus-Christ, trois questions sont mises en avant ; à savoir s’il est vraiment le Christ, et quel il est. Si saint Paul eût eu affaire avec des Gentils, il eût fallu qu’il eût pris son commencement de plus haut ; d’autant qu’ils n’avaient rien entendu dire de Jésus-Christ ; et avec ce les hommes profanes ne peuvent concevoir seulement qu’ils aient besoin de quelque Médiateur. Mais entre les Juifs ce point y était sans doute, vu que le Messie leur était promis ; par quoi saint Paul laisse là comme une chose dont il serait superflu de disputer, ce qui était reçu et approuvé du consentement de tous. Au reste, pour ce qu’il n’y avait rien plus difficile, que de faire que les Juifs reconnussent Jésus-Christ crucifié pour Rédempteur, S. Paul commence par cette partie, qu’il a fallu que Christ soit mort ; afin qu’il ôte tout le scandale de la croix. Et toutefois il ne faut point penser qu’il ait seulement raconté une simple histoire factuelle ; mais il prend un principe, c’est-à-dire une maxime indubitable, à savoir que les causes ont été montrées, pourquoi il a fallu que Jésus-Christ soit mort et ressuscité ; à savoir d’autant qu’il a parlé de la ruine du genre humain, du péché, et de la punition de celui-ci, du jugement de Dieu, et de la malédiction éternelle, en laquelle nous sommes tous enveloppés. Car quand l’Ecriture prédit la mort de Christ, elle nous renvoie-là. Ainsi Esaïe 53.5-6) ne dit pas simplement que Jésus-Christ devait mourir ; mais ajoutant expressément : Car nous avons tous erré, et chacun de nous a décliné en sa voie ; il assigne la cause de la mort de celui-ci, à savoir d’autant que Dieu a mis sur lui les iniquités de nous tous, que le châtiment de notre paix est sur lui, afin que nous soyons guéris par sa blessure ; et qu’en effaçant nos péchés, il nous a acquis justice. Ainsi Daniel 9.24 montre quelle est la vertu et le fruit de sa mort, quand il dit qu’il faut que le péché soit scellé, afin que la justice éternelle vienne en avant. Et certes il n’y a point de raison ni plus propre, ni de plus grande efficace pour prouver l’office de Christ, que quand les hommes étant abattus du sentiment de leurs maux, ne voient point qu’il y ait plus aucune espérance, sinon qu’ils soient réconciliés par le sacrifice du Seigneur Jésus. Lors étant dépouillés de leur orgueil, ils commencent à humblement embrasser la croix de celui-ci, de laquelle ils avaient honte auparavant. Il faut donc que nous venions aujourd’hui à ces mêmes sources, desquelles saint Paul a tiré la preuve de la mort et résurrection de Christ. Or cette définition a grandement éclairci le second point. Il n’était pas si facile à saint Paul de prouver, et recueillir pour certain, que le fils de Marie est le Christ, sinon que les Juifs eussent été premièrement enseignés quel Rédempteur on devait attendre. Mais quand cela est donné a entendre, il ne reste plus sinon d’appliquer à Christ ce que l’Écriture attribue au Médiateur. Au demeurant, voici quelle est la somme de notre foi, que nous sachions que le fils de Marie est ce Christ et Médiateur, lequel Dieu a promis dès le commencement. D’avantage, que nous entendions à quelle fin il est mort et ressuscité ; afin que nous ne nous forgions point quelque roi terrestre ; mais que nous cherchions en lui la justice spirituelle, et toutes les parties de notre salut. Or quant à ce qu’il est dit que saint Paul a prouvé l’un et l’autre par les Écritures, il faut entendre que les Juifs n’étaient encore si stupides, ne si impudents, comme ils sont aujourd’hui. S. Paul a bien pu prendre des sacrifices et de tout le service de la Loi, des arguments desquels ces chiens se moquent aujourd’hui. Aussi on sait assez de quelle malice ils déchirent et corrompent tant d’autres passages de l’Écriture. Mais lors ils avaient quelque honnêteté ; ils portaient aussi quelque révérence aux Écritures, en sorte qu’ils n’étaient du tout indociles. Mais il y a aujourd’hui un voile mis sur leurs cœurs (2 Corinthiens 3.15) en sorte qu’ils ne voient en pleine lumière, non plus que les taupes.

17.4

Et quelques-uns d’entre eux crurent et se joignirent à Paul et à Silas, et une grande multitude de Grecs craignant Dieu, et des femmes de qualité en bon nombre.

Nous voyons ici le fruit de l’argumentation de saint Paul. Il est vrai qu’il a prouvé manifestement devant tous, que Jésus est le Christ, qui nous a apaisé le Père par sa mort, et la résurrection duquel est la vie du monde. Toutefois certains seulement d’entre les Juifs croient ; les autres sont aveugles en pleine lumière, et comme sourds ils repoussent la vérité tant certaine et tant bien prouvée. Ceci aussi est digne d’être noté, qu’au lieu qu’il y en a bien peu d’entre les Juifs qui croient, grande multitude de Grecs est venue à la foi, qui en étaient bien plus loin. A quelle fin dirait-on qu’ils ont été instruits en la doctrine de la Loi dès leur enfance, sinon afin qu’ils fussent plus éloignés de Dieu ? déjà donc Dieu avait commencé de montrer en eux des exemples de cet aveuglement, lequel les Prophètes leur dénoncent tant souvent. Toutefois en cela déclare-t-il que son alliance n’est point frustratoire, qu’il recueille à soi pour le moins certains de ce peuple, afin que des étincelles de son élection reluisent encore au résidu lequel il sauve gratuitement. Saint Luc aussi enseigne qu’ils n’ont point si peu ajouté de foi aux paroles de Paul, qu’ils les aient approuvées seulement par un froid consentement ; mais qu’ils ont montré qu’ils y sont allés à bon escient, en ce qu’ils se sont adjoints pour compagnons à Paul et Silas ; et que par une vraie profession de l’Evangile, ils ont provoqué contre eux-mêmes la haine de toute leur nation. Car que signifie cette adjonction, sinon qu’ils ont attesté qu’ils approuvaient la doctrine que Paul enseignait, et qu’ils le voulaient maintenir ? Car il n’y a rien plus contraire à la foi, que quand après avoir connu la vérité de Dieu, nous demeurons toutefois en doute et en suspens. Si on aime mieux exposer, qu’ils se sont adjoints à Paul et Silas pour apprendre, afin qu’ils pussent être plus familièrement instruits en la maison ; par cela aussi peut-on connaître l’ardeur vive de la foi ; et ceci demeure toujours arrêté, que nul ne croit vraiment à Jésus-Christ, s’il ne s’adonne à son obéissance, et se retire franchement sous son enseigne.

Grande multitude de Grecs servant Dieu, etc. Ceux-ci, pour ce qu’ils avaient déjà goûté les principes de la vraie religion, étaient plus prochains du Royaume de Dieu, que les autres qui étaient demeurés plongés en la boue des superstitions tout le temps de leur vie. Toutefois on pourrait demander d’où venait cette religion et crainte de Dieu aux Grecs, qui étant ensorcelés de méchantes superstitions, n’avaient point de Dieu ; comme saint Paul enseigne Ephésiens 2.12. Mais il faut entendre, qu’en quelque lieu que les Juifs avaient été chassés, il y avait eu quelque semence de religion éparse ; et quelque bonne odeur de la pure doctrine avait été répandue. Car leur dissémination misérable avait été ainsi tournée à une autre fin du tout contraire par un conseil admirable de Dieu ; afin de recueillir et réduire à la vraie foi, ceux qui étaient comme vagabonds et dévoyés parmi les erreurs. Car encore que la religion de ces Juifs-là fut corrompue par beaucoup de rêveries et inventions ; toutefois pour ce que plusieurs des Gentils se déplaisaient en leur folie, ils étaient attirés et comme alléchés à se ranger au judaïsme par un petit mot qu’ils comprenaient ; à savoir, qu’il n’y avait rien plus assuré que de se tenir au service d’un seul Dieu. Entendons donc par les Grecs servant à Dieu, ceux qui avaient quelque goût du vrai et légitime service de Dieu, en sorte qu’ils n’étaient point adonnés aux lourdes idolâtries, et grossières superstitions. Toutefois il est vraisemblable que c’était seulement (comme j’ai dit) quelque petit goût, qui était encore bien loin de la vraie institution. Par quoi c’est improprement que S. Luc leur donne un titre tant honorable. Mais tout ainsi que le Saint Esprit fera bien cet honneur quelque fois à un commencement mal poli et imparfait, ou à ce qui ne sera qu’une préparation tant seulement, de l’appeler foi ; aussi ici sont appelés gens servant à Dieu ceux qui ne faisaient encore que chasser les idoles, et entrer au service de Dieu. Or combien que cette persuasion encore confuse, ou pour le moins obscure, ne mérite pas de soi d’être réputée Religion ; nonobstant pour ce que c’est un degré, par lequel on approche plus près de Dieu, elle prend son nom de ce qui s’en peut ensuivre. Qui plus est, la crainte de Dieu, qui sera encore remplie de folle superstition et aveuglement, est quelque fois appelée Religion ; non point qu’elle le soit, mais c’est improprement, pour montrer quelle différence il y a entre tel quel service de Dieu, et le mépris évident et orgueilleux des Epicuriens. Cependant sachons que la vérité et la pure doctrine de la parole de Dieu est la règle de vraie religion, en sorte qu’il n’y a nulle vraie religion sans la vraie lumière d’intelligence.

17.5

Mais les Juifs, devenus jaloux, et ayant recruté quelques méchants hommes de la populace et provoqué un rassemblement, troublaient la ville ; et s’attroupant devant la maison de Jason, ils cherchaient Paul et Silas pour les mener devant le peuple.

On voit bien par ceci, que saint Paul n’adresse pas le royaume de Jésus-Christ en lieu quelconque sans combat. Car aussitôt que quelque fruit de la doctrine s’est montré, les persécutions se sont élevées. Mais pour ce qu’il savait bien qu’il avait à guerroyer contre Satan et la perversité du monde, non seulement il s’était endurci à tous assauts, mais il en était plus aiguisé à persévérer plus courageusement. Et pourtant il faut qu’à son exemple les serviteurs de Jésus-Christ se contentent de ce seul point, quand ils verront que leur labeur ne sera pas du tout inutile, afin qu’un tel loyer récompense toutes les fâcheries des persécutions. Au surplus, nous sommes enseignés par ce passage, que le zèle qui transporte et brûle les incrédules, n’est autre chose qu’une impétuosité furieuse, et une rage, pour autant qu’il n’est point gouverné par l’Esprit de prudence, ni aussi par l’Esprit de droiture et équité. Et combien que les infidèles en leur zèle inconsidéré se couvrent toujours du nom de Dieu, tant y a toutefois que cette histoire montre clairement qu’au dedans il y a une hypocrisie qui tient le principal siège, et que toutes les retraites et cachettes de leurs cœurs sont remplies d’une malice orgueilleuse et envenimée. Ces ennemis de Paul se vantaient orgueilleusement qu’ils étaient protecteurs de la Loi de Dieu ; et que la haine et contention qu’ils avaient avec lui, n’était que pour la défense de celle-ci. Pourquoi donc mettent-ils en armes tous les garnements et batteurs de pavé, et conspirent avec eux pour émouvoir ce bruit et mutinerie ? Pourquoi aussi mettent-ils devant un Magistrat profane, un blâme sur l’Evangile, lequel pouvait tourner au préjudice de la Loi même ? Certainement une telle faction démontre ouvertement, que ce qu’ils se sont enflammés de courroux contre Paul, n’a point été de quelque affection qu’ils eussent à Dieu. Car à quel propos assiègent-ils la maison de Jason, et lui font-ils effort, et tâchent par tumulte d’en tirer Paul dehors, sinon afin qu’ils le produisent au peuple pour le lapider ? Sachons donc que le pervers zèle, lequel est bouillant chez les hommes superstitieux, est toujours infecté de malice et hypocrisie. Par ce moyen aussi il advient qu’ils s’excitent outre mesure à cruauté.

Prirent certains batteurs de pavé, etc. Le mot Grec duquel use saint Luc, signifie gens de néant, ou garnements, qui n’ayant rien à faire en la maison, ne font que battre le pavé, et trotter çà et là, comme gens vagabonds et oisifs, ou gens audacieux et affamés, prêts à se louer pour faire meurtres, commettre des parjures, émouvoir des bruits et séditions, et perpétrer toutes sortes de méchancetés. Dont il apparaît derechef, qu’ils se sentaient coupables, puisque de propos délibéré ils se sont adressés au témoignage et faveur de tels gens désespérés. Car comme ainsi soit que le Magistrat favorisât en cette affaire à ces Juifs, qu’est-ce qui les a poussés à émouvoir cette tempête, si ce n’est pour ce qu’ils n’attendaient pas bonne issue de leur entreprise, sinon qu’il y eût trouble et confusion ? Or S. Luc décrit ici comment tels soufflets ont ému la sédition ; à savoir qu’ils ont assemblé le peuple par bandes, et l’ont enflammé, épandant leur venin comme par rondeaux, jusques à tant qu’ils se sont trouvés assez pour faire violence. Ce gentil artifice est tout commun aux mutins et séditieux, ainsi que l’expérimentent les villes qui sont sujettes à telle maladie.

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Mais ne les ayant pas trouvés, ils traînèrent Jason et quelques frères devant les magistrats de la ville, en criant : Ces gens, qui ont bouleversé le monde, sont aussi venus ici,

Telle est la condition de l’Evangile, que les bruits lesquels Satan suscite pour le combattre, lui sont imputés. Voici aussi quelle est la malice orgueilleuse des ennemis de Jésus-Christ, qu’ils rejettent la faute des troubles sur les saints docteurs et modestes ; et ce sont eux qui ont suscité les troubles. Certainement l’Evangile n’est point prêché à cette fin qui enflamme les hommes à se faire guerre l’un à l’autre ; mais plutôt afin qu’après les avoir réconciliés à Dieu, il les entretienne en paix. Au lieu que le Fils de Dieu nous invite bénignement à soi en son Evangile, Satan et les orgueilleux suscitent des tumultes. Paul donc et Silas se pouvaient facilement défendre, mais il a fallu qu’ils aient soutenu ce faux blâme pour quelque temps, et se contenir tout doucement, cependant qu’ils n’ont eu aucun lieu d’audience. Et le Seigneur nous a voulu exhorter par leur exemple, que nous ne devons perdre courage pour les calomnies et mauvais bruits, ni leur donner tellement place, que cela nous empêche de persévérer constamment à batailler pour la vérité. Par quoi rejetons la perverse et fausse sagesse d’aucuns, lesquels pour fuir quelque faux blâme, ne font difficulté de trahir Christ et l’Evangile par leur déloyale modération ; voire, comme si leur renommée était plus précieuse que celle de Paul et de ses semblables, ou plutôt que le saint et sacré nom de Dieu, ce qui n’est pas exempt de blâme.

17.7

et Jason les a reçus ; et tous ceux-là agissent contre les édits de César, en disant qu’il y a un autre roi, Jésus.

C’est le second point de l’accusation, qu’ils violent la majesté de l’empire Romain. C’était un crime énorme et odieux, mais forgé trop impudemment. Paul et Silas tâchaient à dresser le royaume de Christ, lequel est spirituel. Les Juifs savaient bien que cela se faisait sans faire aucun tort à l’empire Romain ; voire ils savaient bien que Paul et Silas n’avaient rien moins délibéré que de renverser l’état public, ou de ravir à César le droit ou autorité qui lui appartenait. Mais ils se couvrent malicieusement de cette couleur pour les rendre odieux. Les Macédoniens ne faisaient pas si grand compte de la religion, et principalement de la religion Judaïque, puisque ils sont prêts à faire incontinent mourir des hommes inconnus. Les Juifs donc empoignent soudain cette belle couleur de lèse-majesté, pour accabler de haine et d’envie ces gens innocents. Et le diable ne cesse aujourd’hui de faire passer de telles fumées devant les yeux des hommes. Les Papistes savent bien, et sont assez et trop convaincus devant Dieu et ses Anges, que les objections qu’ils nous font sont plus que vaines ; à savoir que nous renversons toute la police, et que nous mettons en dissipation les ordonnances et jugements, et abolissons la puissance et autorité des Rois. Et toutefois ils n’ont point de honte de mentir, et impudemment forger que nous sommes ennemis de l’ordre publique, afin qu’ils nous rendent odieux à tout le monde. Car il faut noter que non seulement les Juifs accusent les apôtres d’avoir violé les ordonnances de César, pour ce qu’ils ont osé innover quelque chose en la religion ; mais pour ce qu’ils ont dit qu’il y avait un autre Roi. Il est certain que ce crime était faussement imposé. Au reste, si la religion nous contraint de résister quelque fois à quelques édits tyranniques, lesquels défendent de rendre au Seigneur Jésus l’honneur qui lui appartient, et le service que nous devons a Dieu ; lors nous pouvons à bon droit protester que nous ne violons point la puissance des Rois. Car ils ne sont pas ainsi élevés en dignités hautes, afin qu’à la façon des géants ils tâchent de tirer Dieu hors de son trône. L’excuse que faisait Daniel était vraie, quand il disait qu’il n’avait rien commis contre l’édit et ordonnance du Roi (Daniel 6.22) combien toutefois qu’il n’eut obéi à son ordonnance. Car il n’avait fait aucune injure ni tort à un homme mortel, en préférant Dieu à lui. Ainsi nous, rendons en bonne conscience aux Princes les tributs qui leur appartiennent ; soyons prêts à leur rendre obéissance en toutes choses civiles ; mais si ne se contentant point de leur degré, ils nous veulent ôter la crainte de Dieu, et nous faire détourner de son service et obéissance, il ne faut point qu’aucun nous accuse pour cela que nous les méprisons, pour ce que nous estimons plus l’empire et la haute majesté de Dieu.

17.8

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Et ils émurent la foule et les magistrats de la ville qui entendaient ces choses.

Nous voyons de quelle iniquité on a procédé contre ces saints personnages. Puis qu’on ne leur baillait lieu pour se défendre, il était bien facile de les opprimer, combien qu’ils fussent innocents. Nous voyons aussi que ce n’est point une chose nouvelle, que l’impétuosité du peuple, comme un orage, transporte les Magistrats mêmes et gouverneurs, principalement quand l’injure est faite aux étrangers et inconnus, desquels ils n’ont espérance de recouvrer aucune récompense, pour ce qu’ils ne se veulent mettre en danger sans bon salaire. Car lors on ne se soucie ni de raison ni d’équité ; on n’entreprend point connaissance de cause ; mais l’un pousse l’autre sans qu’aucun s’oppose, et tout se fait à la mêlée ; comme quand on court au feu. Au demeurant, il est advenu par un singulier bénéfice de Dieu, qu’une telle impétuosité furieuse a été bientôt apaisée. Car aussitôt que les Magistrats et gouverneurs protestent qu’ils s’informeront de la cause, le peuple devient calme ; on reçoit des requêtes ; et finalement le tout vient en fumée.

17.9

Et après avoir reçu caution de Jason et des autres, ils les laissèrent aller.

17.10

Mais les frères firent aussitôt partir de nuit Paul et Silas pour Bérée ; ceux-ci, étant arrivés, se rendirent à la synagogue des Juifs.

On voit bien par ceci que le labeur de Paul a été utile en bien peu de temps. Car combien que lui et Silas soient envoyés par les frères, toutefois en ce faisant ils s’adjoignent avec eux, pour se soumettre à un même danger, et pour endurer volontairement et de bon cœur la croix avec eux. Cependant Paul montre ici une grande et merveilleuse constance, en ce que combien que tant de fois il eût expérimenté la malice et obstination perverse des gens de sa nation, néanmoins il ne cesse jamais d’essayer s’il en pourra gagner aucuns à Christ. Et c’est que d’autant qu’il savait qu’il se devait aux Juifs et aux Gentils, il n’a pu être détourné de sa vocation par aucune iniquité ni malice des hommes. Ainsi faut-il que tous serviteurs de Christ bataillent contre la malice du monde, à cette fin qu’ils ne rejettent point le joug, de quelques outrages qu’ils soient agacés.

17.11

Or ces Juifs étaient plus nobles que ceux de Thessalonique ; ils reçurent la parole avec toute bonne volonté, examinant chaque jour les Ecritures, pour savoir s’il en était ainsi.

Saint Luc revient encore aux Thessaloniciens. Il pouvait sembler que la mémoire de Christ devait être ensevelie par le départ de S. Paul. Et de fait, c’est merveille comment cette si petite étincelle de lumière, qui à grand-peine était encore allumée, n’a été du tout éteinte, et comment la semence de la pure doctrine n’est devenue sèche, laquelle avait besoin de continuel arrosage pour croître. Toutefois après le départ de S. Paul on a connu manifestement combien sa prédication a été fertile et pleine d’efficace. Car ceux qui n’avaient fait que goûter les rudiments de la vraie religion, profitent grandement, combien qu’il fut absent ; et s’exercent en la lecture continuelle des saintes Écritures. Or S. Luc dit en premier lieu, qu’ils étaient des principaux, et des plus riches et des plus nobles ramilles. Car il ne parle point ici de la noblesse de courage, mais de la noblesse de famille. D’aucuns sont de cet avis, que comparaison est ici faite de ceux de Béré avec les Thessaloniciens, pour ce qu’il est dit au Grec, Plus nobles, et non pas Très nobles. Mais je pense que c’est une manière de parler reçue et commune entre les Grecs, qui serait dure en la langue Latine. Joint qu’il avait dit ci-dessus, que les femmes nobles de Thessalonique avaient cru ; ainsi il n’est pas vraisemblable qu’il estime moins les citoyens de cette ville que ceux de Béré.

Or il y a trois raisons pourquoi saint Luc rappelle leur noblesse. Nous savons combien à regret les hommes descendent de leur hautesse ; comment ceci advient bien peu souvent, que ceux qui sont en autorité au monde, et qui ont quelque excellence, mettent bas leur orgueil, pour soutenir les opprobres de la croix, et se glorifier en petitesse, comme saint Jacques commande, Jacques 1.10. Saint Luc donc explique ici une singulière efficace de l’Esprit de Dieu, laquelle n’advient guère souvent, quand il dit que la dignité de la chair n’a pu empêcher ces nobles de Thessalonique de recevoir l’Evangile, et de se préparer à porter la croix, et de préférer l’opprobre de Christ à la gloire du monde. Secondement, saint Luc nous a voulu donner à entendre que la grâce de Christ est ouverte à tous états. En ce sens-là saint Paul dit que Dieu veut que tous hommes soient sauvés, 1 Timothée 2.4 ; afin que les pauvres et ceux qui ne sont pas nobles, ne ferment la porte aux riches ; combien que le Seigneur Jésus ait fait cet honneur aux gens pauvres et de basse condition, de les appeler les premiers, nous voyons donc que nobles et non nobles sont amassés ensemble, ceux qui sont excellents et élevés en quelque haut degré d’honneur, et ceux qui sont méprisés et de basse condition, ont union ensemble au corps de l’Eglise ; afin que tous, petits et grands, et riches et pauvres s’humilient sans exception et se mettent bas ; mais qu’ils élèvent en haut, et magnifient la grâce et bonté de Dieu. Tiercement, il semble que saint Luc dénote la raison pourquoi tant de gens s’adjoignirent ; et que par ce moyen le royaume de Christ a été amplifié en Thessalonique en bien peu de temps ; à savoir, d’autant que ceci n’a pas été une petite aide, que gens de grande noblesse, de grande dignité et excellence ont montré le chemin aux autres. Car le populaire est ému le plus souvent par l’autorité des personnes. Et combien que cet appui et soutien n’était idoine pour la foi et vraie religion, toutefois ce n’est pas chose nouvelle à Dieu de ramener par moyens obliques, les incrédules à soi, lesquels vaguent encore çà et là en leur erreur.

Qui avaient reçu la Parole. Premièrement, il loue les Thessaloniciens pour cette raison, qu’ils avaient reçu l’Evangile d’affection prompte et joyeuse. Secondement, d’autant qu’ils confirmaient leur foi journellement par diligente inquisition. Ainsi leur religion et foi est du commencement louée à cause de la promptitude ; et en son avancement elle est louée à cause de la constance, et du désir ardent qu’ils avaient de profiter. Et certes c’est la première entrée à la foi, que nous soyons prompts à suivre, et renonçant à notre propre sens charnel, nous nous rendions dociles et obéissant à notre Seigneur Jésus-Christ. Saint Paul aussi ornant les Thessaloniciens de ce titre, confirme par son témoignage ce que dit ici saint Luc, 1 Thesssloniciens 2.13. Quant au second membre, c’est une vertu qui n’est pas à mépriser, que cette diligence soigneuse à laquelle saint Luc dit que les fidèles ont été attentifs pour confirmation de leur foi. Car il y en a plusieurs qui du commencement sont bouillants, et tout incontinent s’adonnent à nonchalance et oisiveté ; et n’étant point touchés d’aucun soin ni désir de faire profit, perdent ce caractère de la semence de la foi qu’ils avaient. Mais aucuns pourraient ici proposer deux choses absurdes. Car il semble que ce que ceux-ci s’enquièrent pour en faire jugement, ils le font par arrogance ; et que cela est fort contraire à la promptitude de laquelle S. Luc avait naguère fait mention. Secondement, vu que l’inquisition est un signe de doute, on peut inférer par cela, que ceux-ci n’avaient auparavant aucune foi, à laquelle la certitude est toujours conjointe. Je réponds à la première objection, que les paroles de S. Luc ne doivent être tellement prises, comme si les Thessaloniciens eussent usurpé le jugement à eux, ou comme s’ils avaient débattu, à savoir si on doit recevoir la vérité de Dieu ou non. Seulement ils rapportaient la doctrine de S. Paul à la règle de l’Ecriture ; ni plus ni moins que l’or est éprouvé par le feu. Car l’Écriture est une vraie pierre de touche, à laquelle on doit éprouver toutes doctrines. Si quelqu’un réplique, que cette façon d’examen serait incertaine, vu que l’Écriture est souvent obscure, et se plie à divers sens ; je dis que en même temps aussi il faut ajouter le jugement de l’Esprit, lequel non sans cause est appelé Esprit de discrétion. Au demeurant, quand le Saint Esprit sera guide et conducteur, le jugement lequel les fidèles feront de toute doctrine, ne sera pris d’ailleurs que des Écritures. Ainsi est facilement repoussé ce méchant et détestable brocard des Papistes, que la foi dépend de la seule détermination et ordonnance de l’Eglise, d’autant qu’on ne peut tirer aucune certitude des Écritures. Car quand l’Esprit de Dieu loue les Thessaloniciens, il nous donne une règle en leur exemple. Or il ne servirait de rien de faire inquisition des Ecritures, si elles n’avaient assez de lumière pour nous enseigner. Ayons donc ceci pour une maxime arrêtée, qu’il n’y a doctrine qui soit digne qu’on y ajoute foi, sinon celle que nous trouvons être fondée dans les Écritures. Tout ce que le Pape, aura babillé, et qu’il trouvera bon à sa fantaisie, il veut que tous le reçoivent sans en débattre. Mais quoi ? L’estimera-t-on au-dessus de S. Paul, de la prédication et doctrine duquel il a été licite de s’enquérir, voire à ceux qui étaient ses disciples ?

Et mêmement il nous faut bien noter que ceci n’est point dit de quelque Concile masqué, mais d’une bien petite assemblée de gens ; dont il apparaît encore mieux qu’un chacun en son ordre et endroit est appelé à lire les saintes Écritures. Ainsi aussi l’inquisition n’est point répugnante avec la promptitude de la foi. Car aussitôt que quelqu’un prête l’oreille, et se rend attentif avec grand désir d’apprendre, déjà il est prompt et docile, combien qu’il ne consente pleinement du premier coup. Exemple : Quelque docteur inconnu protestera qu’il apporte la vraie doctrine ; quelqu’un s’approchera se préparant à l’entendre, et son cœur sera disposé à se rendre obéissant à la vérité ; cependant cet auditeur considérera quelle est cette doctrine, et ne la recevra point que premièrement il ne l’ait éprouvée pour véritable et certaine. Et ceci est une très bonne modération, quand étant astreints par la révérence de Dieu, nous entendons paisiblement et de bon cœur ce qui nous est proposé, comme une chose procédée de lui ; et cependant toutefois nous nous donnons garde des tromperies des hommes ; et nos esprits ne se précipitent point par une aveugle et folle impétuosité d’inconstance à croire à la volée tout ce que les hommes nous pourraient proposer. L’inquisition donc de laquelle S. Luc fait mention, ne tend point à ce que nous soyons tardifs et difficiles à croire, mais plutôt la promptitude avec jugement est mise au milieu entre légèreté et obstination.

Maintenant il faut résoudre la seconde objection. La foi est contraire à doute ; celui qui s’enquiert, doute ; il s’ensuit donc que puis que les Thessaloniciens s’enquièrent de la doctrine de S. Paul, ils n’ont point encore de foi. Voire, mais la certitude de la foi n’empêche point la confirmation. J’appelle confirmation, quand la vérité de Dieu est de plus en plus scellée en nos cœurs, laquelle toutefois n’était point douteuse auparavant. Exemple : Quelqu’un entendra par la parole de l’Evangile, qu’il est réconcilié à Dieu par la grâce de Jésus-Christ, et que ses péchés sont effacés par le sang précieux de celui-ci ; quelque témoignage lui sera mis en avant pour autoriser ce qu’il aura entendu. Si puis après il épluche les Écritures, et les sonde jusques au fond, il trouvera beaucoup d’autres témoignages par-ci par-là, qui non seulement aideront sa foi, mais l’augmenteront et confirmeront, afin qu’il en ait plus pleine certitude. Semblablement quant à l’intelligence, la foi profite en la lecture des Écritures. Si quelqu’un réplique encore, que ceux qui s’enquièrent des Écritures, à savoir si la chose est ainsi, attribuent bien peu d’autorité à la doctrine de S. Paul ; je réponds que les accroissements de la foi sont tels, que quelque fois les fidèles s’enquièrent des Écritures d’une chose de laquelle ils sont déjà Divinement persuadés, et en ont témoignage du Saint Esprit au dedans. Et la foi que S. Luc loue chez les Thessaloniciens, ce n’est point une foi parfaite en toutes sortes, mais seulement il explique comment ils ont été convertis à Christ, et depuis quels avancements ils ont faits en la foi, jusques à ce qu’il y eût entre eux un ferme bâtiment de vraie religion.

17.12

Beaucoup donc d’entre eux crurent, et des femmes grecques de distinction, et des hommes en assez grand nombre.

Ceci ne se rapporte point à la sentence précédente, comme si ceux desquels il a fait mention, après diligente inquisition avaient commencé à croire ; car ce serait une absurdité. Mais S. Luc entend que pour ce qu’à leur exemple plusieurs se sont adjoints, l’Eglise a été augmentée en cette ville-là. Et jusques ici S. Luc a expliqué quels ont été les commencements de l’Eglise de Thessalonique, afin qu’aucun ne pensât que pour le soudain et forcé départ de Paul, le travail qu’il avait fait fut perdu. Car si je ne me trompe par trop pour le regard que je viens de dire, il a entrelacé ce récit du fruit que sa prédication avait apporté en Thessalonique, devant qu’il vint à parler de ce qu’il fut contraint de sortir de Béré.

17.13

Mais quand les Juifs de Thessalonique surent qu’à Bérée aussi la Parole de Dieu était annoncée par Paul, ils vinrent là aussi agiter et troubler la foule.

Nous voyons bien par ceci de quelle haine contre l’Evangile les Juifs ont été furieusement transportés et ça et là. Car ils ne jettent pas Christ hors avec forcènerie, seulement quand il leur est présentement offert en la maison, mais aussi quand ils l’aient être annoncé ailleurs, il volent là comme s’ils étaient transportés de furies infernales. Mais nous ne devons pas tant ici considérer la fureur d’une seule nation, que la malice désespérée de Satan, lequel sollicite ses suppôts à troubler le royaume de Christ, et à ruiner le salut des hommes, et par manière de dire, se sert de tels soufflets pour émouvoir des séditions. Par quoi sachons que quand il y a aujourd’hui tant de furieux ennemis qui s’opposent aux Ministres fidèles de Christ, ce ne sont les hommes qui incitent la guerre, mais Satan père de mensonge machine toutes ces choses, à cette fin qu’il renverse et détruise le royaume de Christ. Que s’il n’y a point toujours une même forme de combattre et batailler, néanmoins Satan ne cessera jamais (Jean 8.44) ou de faire guerre ouverte, ou de dresser des embûches, ou de donner de grandes fâcheries, même par combats domestiques, à ceux qu’il connaît fidèlement servir à Christ.

17.14

Mais aussitôt alors les frères firent sortir Paul, pour aller jusqu’à la mer, et Silas et Timothée demeurèrent là.

17.15

Et ceux qui escortaient Paul le conduisirent jusqu’à Athènes ; et après avoir reçu, pour Silas et Timothée, l’ordre de venir vers lui au plus tôt, ils partirent.

17.16

Or, pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit s’irritait au dedans de lui, en voyant cette ville pleine d’idoles.

Combien qu’en quelque part que saint Paul arrivât, il exécutât diligemment la charge d’enseigner qu’il savait lui être commise ; toutefois saint Luc explique qu’il a été plus enflammé en Athènes ; car il voyait régner là l’idolâtrie plus qu’elle ne faisait coutumièrement es autres lieux. Il est vrai que tout le monde était alors farci d’idoles ; et qu’il n’y avait lieu quelconque où Dieu fut purement servi ; les superstitions monstrueuses et horribles ayant la vogue par tout. Mais Satan avait ensorcelé la ville d’Athènes plus que toutes les autres ; en sorte que les hommes y étaient transportés d’une plus grande rage après leurs idolâtries horribles et perverses superstitions. Qui est un exemple bien digne d’être noté, qu’une telle ville, qui était le siège et domicile de sagesse, la mère de toute humanité, et fontaine de toutes sciences, a surmonté toutes les autres en folie, aveuglement et forcènerie. Nous savons de quelles louanges et titres honorables les gens de bon Esprit et grand savoir l’ont ornée tous d’un consentement ; et qu’elle-même se complaisait si fort, qu’elle estimait barbares tous ceux qu’elle n’avait ni polis ni façonnés. Tant y a toutefois que voici le Saint Esprit, lequel condamnant tout le monde d’ignorance et stupidité, dit que tous ces grands maîtres et précepteurs de sciences libérales et disciplines, ont été ensorcelés d’une fureur étrange. Dont on peut facilement recueillir que l’industrie et la vivacité des hommes ne vaut rien dans les choses Divines. Et n’y a point de doute que Dieu n’ait laissé tomber les Athéniens en une extrême stupidité et bêtise, afin qu’ils servissent d’exemple à tous siècles, que toute la subtilité et vivacité de l’entendement humain, voire ayant l’aide des lettres et de science, n’est autre chose qu’une pure folie, quand il est question du royaume de Dieu. C’est une chose bien certaine qu’ils avaient leurs couvertures pour excuser le service divin qu’ils s’étaient forgé, quelque folie, perversité ou corruption qu’il y eût ; et toutefois on sait bien que non seulement ils s’amusaient à des menus fatras et baguenaudes, mais aussi qu’ils ont été abusés en des sorcelleries si lourdes et vilaines, que c’était une honte, ni plus ni moins que s’ils eussent été dépourvus de sens commun, et s’ils fussent devenus hébétés et du tout brutaux. Or tout ainsi que nous apprenons quelle religion part du sens humain, et que la sagesse des hommes n’est qu’une boutique de toutes erreurs ; aussi sachons que les Athéniens enivrés de leur propre orgueil, ont erré plus vilainement que tous les autres. L’ancienneté de la ville les rendait enflés et orgueilleux ; aussi faisait la plaisance et beauté de celle-ci ; en sorte qu’ils se vantaient que les dieux étaient engendrés de là. Vu donc qu’ils tiraient Dieu du ciel, pour le faire leur citoyen, c’était bien raison qu’ils fussent plongés jusques au profond des enfers, et aux abîmes extrêmes. Quoi que ce soit, l’Esprit de Dieu donne ici une note d’infamie perpétuelle à la vanité de la sagesse humaine ; car là où elle a été plus haut élevée, là il y a eu des ténèbres plus épaisses ; et l’idolâtrie y a régné plus horriblement, et Satan y a transporté les entendements des hommes par ses illusions d’une licence plus exorbitante.

Maintenant retournons à S. Paul. S. Luc dit que quand il vit la ville ainsi adonnée à idolâtrie, son Esprit s’en aigrit en lui. Il ne parle point là d’un simple courroux, et ne dit point qu’il ait été offensé simplement d’un tel spectacle ; mais il exprime une ferveur admirable d’une sainte indignation, laquelle aiguisait le zèle de Paul, à ce qu’il se préparât à l’œuvre de plus grand courage. Et sur ceci il nous faut noter deux choses. Car en ce que Paul a été ainsi enflammé voyant une impiété si horrible, par laquelle le nom de Dieu était profané, et la pureté de son service corrompue ; il a attesté par cela qu’il n’estimait rien si précieux que la gloire de Dieu. Et c’est bien raison que ce zèle ait plus grande vigueur entre nous ; comme il est dit, Le zèle de ta maison m’a rongé, Psaumes 69.10. Car c’est-ci une règle commune à tous fidèles, qu’ils soient rongés de zèle, toutes les fois qu’ils voient déshonorer leur Père céleste. Comme le saint Personnage Lot, pour ce qu’il ne pouvait remédier aux méchancetés vilaines qui se commettaient en Sodome, saint Pierre dit qu’il affligeait son âme, 2 Pierre 2.8. Mais sur tous, ceux qui ont charge d’enseigner, doivent être ainsi affectionnés ; comme on peut voir de saint Paul, qui se dit être jaloux pour retenir l’Eglise en vraie chasteté, 2 Corinthiens 11.2. Mais ceux qui ne sont point émus des outrages que les méchants et orgueilleux font à Dieu, et non seulement les laissent passer sans s’en soucier, mais aussi n’en tiennent du tout compte, méritent bien d’être déboutés du nombre des enfants de Dieu, aux quels ils ne font point pour le moins autant d’honneur qu’ils feraient a leur père terrestre.

Secondement, il nous faut noter que Paul ne s’est point tellement aigri, qu’étant abattu de désespoir il ait là tout quitté ; comme nous en voyons plusieurs, lesquels tant s’en faut qu’ils soient enflammés, quand ils voient qu’on viole la gloire de Dieu par impiété, qu’en faisant semblant d’en être marris et fâchés, ils deviennent toutefois plutôt profanes avec les autres, que de dire qu’ils s’efforcent de les corriger. Cependant ils couvrent leur lâcheté d’une belle couleur, qu’ils ne voudraient pas provoquer quelque tumulte sans être assurés de quelque bénéfice. Car ils pensent que ce qu’ils feraient serait inutile, s’ils venaient à combattre et résister contre la violente conspiration du peuple. Mais non seulement l’ennui ne fait point perdre courage à Paul, ou plier sous les difficultés, pour quitter sa charge et office d’enseigner, mais cela lui sert d’un aiguillon plus véhément à maintenir la vraie religion.

17.17

Il discutait donc dans la synagogue avec les Juifs et avec les hommes craignant Dieu, et, sur la place publique, tous les jours, avec ceux qui s’y trouvaient.

Saint Paul avait coutume, qu’en quelque lieu que les Juifs avaient des synagogues ou collèges, il commençait par là, offrant Christ à ceux de sa nation. Il s’adressait aux Gentils puis après, lesquels après avoir goûté la doctrine de la Loi, combien qu’ils ne fussent encore droitement instruits en la vraie religion, néanmoins adoraient le Dieu d’Israël ; et comme ainsi soit qu’ils eussent grand désir d’apprendre, ne rejetaient point ce qu’ils savaient être pris de Moïse et des Prophètes. Or pour ce qu’une telle docilité était une ouverture à la foi, et même comme un commencement de la foi ; le Saint Esprit daigne bien donner ce titre tant honorable à ceux qui n’ayant fait seulement que goûter les premiers rudiments, s’étaient approchés de plus près du vrai Dieu ; car ils sont appelés Religieux, c’est-à-dire serviteurs de Dieu. Mais souvenons-nous que par cette marque ils sont discernés des autres, à celle fin que toute la religion du monde soit réduite à néant. Ceux qui se sont adonnés au service du Dieu d’Israël, sont spécialement appelés serviteurs de Dieu, et à ceux-là seuls religion est attribuée. Il n’est donc rien laissé de reste aux autres, sinon cette ignominie et opprobre, qu’ils sont sans Dieu, quoi qu’ils se rompent la tête et l’Esprit après leurs superstitions. Et à bon droit ; car quelque splendeur que les idolâtres puissent montrer, si est-ce que quand on viendra à sonder leur affection intérieure, on n’y trouvera qu’un horrible mépris de Dieu, et on connaîtra manifestement, que ce qu’ils font semblant d’applaudir à leurs idoles, n’est que pur fard.

17.18

Et quelques-uns aussi des philosophes épicuriens et stoïciens entraient en conflit avec lui. Et les uns disaient : Que veut bien dire ce discoureur ? Et les autres : Il paraît être un prédicateur de divinités étrangères ; parce qu’il annonçait Jésus et la résurrection.

Saint Luc ajoute maintenant, que Paul a disputé avec quelques Philosophes ; non point qu’il les ait assaillis de propos délibéré, vu qu’il savait que telle manière de gens ne vivaient que pour conflits et chicanes. Mais contre toute son intention il a été amené à ce combat ; comme S. Paul lui-même veut que les fidèles Docteurs soient munis d’armes spirituelles, par lesquelles ils défendent courageusement la vérité, quand i1 y aura quelques ennemis qui se viendront opposer à l’encontre, Tite 1.9. Car il ne sera pas toujours en notre liberté de choisir ceux contre lesquels nous devons combatte ; mais le Seigneur permet souvent, que gens orgueilleux et importuns se lèveront pour nous donner de l’affaire, et par la contradiction desquels la vérité soit mieux connue. Et n’y a nulle doute que les Philosophes Epicuriens selon leur insolence accoutumée n’aient tourmenté ce bon et saint Personnage ; et que les Stoïques aussi ne se soient obstinément élevés contre lui avec leurs arguments cornus et surprises subtiles. Toutefois nous pourrons bien voir par l’issue, que Paul n’a point disputé en Sophiste, et qu’il n’a été transporté à vains débats de paroles, mais qu’il a gardé la modestie laquelle il commande ailleurs. Et il nous faut faire le semblable, qu’en repoussant modestement et avec gravité les subtilités frivoles, nous mettions en avant ce qui est ferme ; et gardons-nous toujours de ce danger, que l’ambition ou quelque fol appétit de montrer notre subtilité, ne nous entortille de contentions superflues et profanes. Au reste, saint Luc explique ici deux sectes, lesquelles combien qu’elles fussent directement contraires et répugnantes l’une à l’autre, étaient toutefois entachées de vices contraires.

Quant aux Epicuriens, ils n’avaient pas seulement en mépris les bonnes lettres et sciences libérales, mais les haïssaient de profession ouverte et manifeste. Leur philosophie était que le soleil avait deux pieds de long, que le monde était composé d’atomes, c’est-à-dire de cette poudre tant menue qu’on voit voleter en l’air dans les rayons du soleil ; et en se jouant ainsi, effaçaient cet artifice admirable qui se voit en la fabrication du monde. Quand ils eussent été convaincus cent fois, ils n’en avaient non plus de honte que chiens. Combien aussi qu’en un mot ils accordassent qu’il y avait des dieux, néanmoins ils forgeaient que ces dieux étaient à leur aise au ciel, sans rien faire fors grande chère, et que toute leur béatitude ne consistait qu’en oisiveté. Et tout ainsi qu’ils niaient que le monde fut créé et formé de Dieu, comme j’ai tantôt dit, aussi imaginaient-ils que les choses humaines étaient menées à l’aventure, et qu’elles n’étaient pas gouvernées par la providence céleste. La volupté leur était pour le bien souverain ; non point qu’ils entendissent une volupté vilaine et démesurée ; mais cependant elle était telle, que par ses allèchements les hommes déjà assez et trop enclins de leur nature a lâcher la bride à leurs appétits charnels, étaient de plus en plus corrompus. L’immortalité des âmes leur était comme une fable. Ainsi ils permettaient entièrement aux corps de se donner du bon temps.

Quant aux Stoïques, soit déjà qu’ils confessassent bien que le monde était sujet à la providence de Dieu, tant il y a néanmoins qu’après cette confession ils corrompaient ce point ou article de leur doctrine par une glose absurde, ou plutôt sotte rêverie. Car ils ne confessaient point que Dieu gouvernât les hommes et le monde par conseil, justice et vertu ; mais ils forgeaient un labyrinthe de la liaison des causes ; on sorte que Dieu lui-même étant astreint à la nécessité des destinées, était traîné et porté par violence avec la machine du ciel, comme les Poètes ont enserré leur Jupiter en ceps d’or, d’autant que les destinées ont la domination et gouvernement, cependant que Jupiter est occupé ailleurs. Et combien qu’ils constituassent le souverain bien en la vertu, néanmoins ils ne savaient que c’était de la vraie vertu ; et il enflaient les hommes d’une confiance vaine et orgueilleuse, en sorte qu’ils s’ornaient des dépouilles de Dieu. Car combien que tous les Philosophes aient anéanti la grâce du Saint Esprit, toutefois il n’y a point eu de secte qui se soit glorifiée ni vantée plus arrogamment. Toute leur constance et force n’était autre chose qu’une cruauté endurcie et tout à fait obstinée.

Il y a donc eu une vertu admirable du Saint Esprit en S. Paul, vu qu’il a demeuré ferme en la pureté entière de l’Evangile du Seigneur au milieu de telles bêtes farouches, qui tâchaient de le tirer ça et là en leurs fausses opinions, et a soutenu de constance assurée tant l’impudence de ces chiens Epicuriens, que l’arrogance et surprises cauteleuses des Stoïques. Au demeurant, nous pouvons bien connaître et capitaines principaux. Car il y avait principalement en eux, ce que S. Paul lui-même explique de la sagesse de la chair ; à savoir qu’elle est ennemie de la croix de Christ, (1 Corinthiens 1.21) en sorte que nul ne peut être propre à apprendre les rudiments de l’Evangile, sinon qu’il ait premièrement renoncé à toute cette sagesse.

Et les autres disaient : il semble, etc. Saint Luc propose deux espèces d’hommes, toutes deux certes bien loin de la vraie religion ; mais cependant l’une pire que l’autre de beaucoup. Ceux qui désirent entendre derechef ce qu’ils appellent nouveau, premièrement ne sont point menés ni conduits d’un droit zèle d’apprendre, mais d’une vaine et sotte curiosité ; puis après, ils n’ont guère bonne opinion de la parole de Dieu, laquelle ils tiennent pour une nouveauté profane. Tant il y a toutefois que d’autant qu’ils prêtent l’oreille, voire étant en suspens, jusques à ce qu’ils aient meilleure connaissance du fait, ils ne sont pas du tout désespérés. Mais les autres rejetant orgueilleusement ce qui leur est offert, voire le condamnant outrageusement, se ferment la porte de salut. Car cet outrage procède d’une grande arrogance, quand ils disent : Que veut dire ce babillard ? Car ils ne daignent point entendre Paul, et le repoussent fièrement, comme si c’était un bailleur de sornettes ordinaires. Joint que ce qu’ils ont sa doctrine en horreur, n’est point par un zèle inconsidéré, mais à leur escient ils foulent aux pieds ce qui leur est présenté de la vraie et pure religion, combien que cela leur soit encore inconnu ; car ils ont honte d’apprendre d’un homme de petite qualité et inconnu, eux dis-je, qui jusques à présent s’étaient glorifiés d’être les maîtres de tout le monde.

Il semble être annonceur de nouveaux diables. Ils ne prennent point ce mot de Diables en mauvaise part, comme bien souvent l’Écriture le prend ; mais pour des dieux moindres, ou esprits familiers, lesquels ils mettaient entre le Dieu souverain et les hommes, desquels Platon fait mention en plusieurs lieux. Quant à la somme du fait, il nous faut noter qu’il leur semble avis que ce que S. Paul avait dit de Christ et de la résurrection, c’étaient quelques nouveaux diables. Dont nous pouvons bien recueillir que ce sont là les principales marques, par lesquelles notre foi est discernée des superstitions des Païens ; à savoir qu’elle propose le seul Christ pour Médiateur, qu’elle enseigne que les hommes doivent attendre leur salut de lui seul, qu’elle veut qu’on cherche la purgation des péchés en la mort de celui-ci, par laquelle nous soyons réconciliés à Dieu ; qu’elle enseigne que les hommes lesquels étaient auparavant profanes et esclaves de péché, sont régénérés et reformés par son Esprit, et afin qu’ils commencent à vivre saintement. D’avantage, que par tels commencements par lesquels il apparaît que le royaume de Dieu est spirituel, elle élève finalement nos esprits en l’espérance de la résurrection à venir. Car quant aux autres choses, combien que les Philosophes n’en parlent point purement, néanmoins ils les touchent quelques fois ; mêmes ils traitent amplement de la vie éternelle, et de l’immortalité de l’âme ; mais touchant la foi laquelle montre la réconciliation gratuite en Christ, et touchant la régénération par laquelle le Saint Esprit répare l’image de Dieu en nous ; et aussi quant à l’invocation de Dieu et la dernière résurrection, ils n’en touchent pas un seul mot en tous leurs écrits.

17.19

Et l’ayant pris, ils le conduisirent à l’Aréopage, disant : Pouvons-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu annonces ?

Combien que ce fut le lieu du plaidoyer, toutefois S. Luc ne signifie pas que Paul ait été tiré en jugement, pour défendre sa cause devant les Aréopagites ; mais qu’il fut là amené, où coutumièrement il y avait plus grande assemblée de peuple, afin que la dispute fut faite plus solennellement devant plus grande assemblée de gens. Et encore qu’ainsi fut que Paul ait été mené au plaidoyer, néanmoins il montre qu’il n’a point été présenté devant les juges ; mais qu’il a parlé en liberté, comme s’il eût voulu faire un sermon. Au surplus, ce qui est ajouté incontinent après de la nature et des mœurs des Athéniens, montre bien que leur curiosité a été cause qu’ils ont donné telle audience à saint Paul, et qu’un lieu si fréquenté lui a été pleinement ouvert pour annoncer Jésus-Christ, et que tant de gens y sont accourus. Car en une autre ville c’eut été un crime digne de mort, de prêcher en plein marché, ou en quelque autre lieu public, après avoir assemblé le peuple ; mais pour ce que à cause de la curiosité excessive des Athéniens à entendre choses nouvelles, il était loisible à tous porteurs de bourdes de babiller là ; S. Paul étant requis a eu liberté d’y traiter des mystères de la foi.

17.20

Car nous t’entendons dire certaines choses étranges ; nous désirons donc savoir ce que signifient ces choses.

17.21

Or tous les Athéniens et les résidents étrangers ne passaient leur temps à rien autre qu’à dire ou à écouter des nouvelles.

Ces deux vices-ci dont parle saint Luc, sont presque toujours conjoints ensemble. Car il n’advient guère souvent, que ceux qui sont convoiteux de choses nouvelles, ne soient en même temps babillards. Comme Horace exhorte très bien, qu’on doit fuir l’homme qui ne fait que s’enquérir des nouvelles ; d’autant qu’avec sa curiosité il a le babil en même temps conjoint. Et à la vérité nous voyons que les hommes curieux sont semblables à des tonneaux percés. Au reste, l’un et l’autre de ces deux vices procédait de paresse et oisiveté ; non seulement pour ce que les Philosophes employaient tout le long du jour en disputes, mais aussi d’autant que le peuple même était trop enclin à s’enquérir des choses nouvelles ; et n’y avait là si malotru artisan, qui ne s’ingérât d’ordonner des états de la Grèce. Et certes presque tous les Grecs et Latins qui ont écrit, rendent témoignage comme d’une même bouche et consentement de ce que dit ici saint Luc ; à savoir qu’il n’y avait gens plus convoiteux ni plus inconstants, ni plus arrogants et fiers, qu’était ce peuple d’Athènes. Par quoi jamais on n’a peu établir un certain gouvernement en cette ville, combien que ce fut la maîtresse de toutes sciences. Et pourtant soit déjà qu’il y eût grande puissance, néanmoins leur liberté n’a pas été de longue durée, et ils n’ont jamais cessé de se tracasser et de se remuer, jusqu’à ce qu’ils se soient ruinés, et avec eux toute la Grèce. Et même après leur ruine, ils n’ont point laissé leur orgueil et audace. Pour cette cause Cicéron se moque de leur folie, de ce qu’ils faisaient des édits et ordonnances avec aussi grand orgueil, comme quand ils obtenaient la domination sur la Grèce. Or combien qu’entre ces hommes curieux il y eût bien petite espérance de profiter, toutefois saint Paul ne laisse pas échapper cette occasion, pour essayer si d’une si grande multitude il en pourra gagner d’aucuns à Christ. Et certes, ce n’a été une petite gloire de l’Evangile, de rédarguer devant tous en une grande place de ville et en plein marché, tous les services divins bâtards et corrompus, qui y avaient régné jusques à ce jour-là.

17.22

Alors Paul, se tenant au milieu de l’Aréopage, dit : Hommes Athéniens, je vois qu’à tous égards vous êtes on ne peut plus religieux.

On peut diviser ce sermon de saint Paul en cinq parties. Car combien que saint Luc touche en bref seulement ce que saint Paul a traité au long et en beaucoup de paroles, toutefois je ne doute point qu’il n’ait compris le résumé ; en sorte qu’il n’a point laissé un seul de tous les principaux points. En premier lieu, Paul accuse les Athéniens de superstition, de ce qu’ils adoraient leurs dieux à l’aventure. Puis après il montre par arguments naturels, qui est Dieu, et quel il est, et comme il est dûment adoré. Tiercement, il se courrouce âprement contre la stupidité des hommes ; lesquels combien qu’ils soient créés à cette fin, qu’ils reconnaissent celui qui les a faits et créés, néanmoins ils cheminent à l’aventure, comme aveugles au milieu des ténèbres. Pour le quatrième point il exhorte qu’il n’y a rien plus absurde, que de figurer Dieu par images ou peintures ; vu que l’Esprit de l’homme est la vraie image de celui-ci. Finalement, pour le cinquième il descend à Christ et à la résurrection des morts. Car il a été très nécessaire de traiter en général ces quatre points, avant qu’il descendît à la foi de l’Evangile.

Je vous vois comme par trop pleins de dévotion. Le mot Grec Deisidaimonia, duquel use ici saint Luc, est souvent pris en bonne part par les Grecs ; néanmoins il signifie quelque fois une crainte excessive, de laquelle les hommes superstitieux se tourmentent plus que de besoin, quand ils se forgent des scrupules de néant. Or il semble bien que ce soit-ci le sens de ce passage ; à savoir, que les Athéniens outrepassent mesure en leur service divin ; ou qu’ils ne tiennent pas tel moyen et modération qu’il est requis ; comme s’il disait que c’est inconsidérément fait à eux, de se tourmenter ainsi en des circuits obliques ; et ceci est quant à ce qui concerne le mot ; mais quant au fait en soi, voici ce qu’il en faut retenir. Il prouve par cette raison, que toutes les dévotions des Athéniens sont vicieuses, d’autant qu’étant incertains quels dieux ils devaient adorer, ils reçoivent à l’aventure diverses cérémonies, et ce sans tenir mesure. Car le fait qu’ils avaient dressé un autel à des dieux inconnus, était un signe qu’ils ne suivaient rien de certain. Il est bien vrai qu’ils avaient une multitude infinie de dieux, desquels ils forgeaient plusieurs fables ; mais quand avec ce ils y mêlent des dieux inconnus, ils confessent par cela, qu’ils n’ont rien connu de la vraie Divinité. Or quiconque sert Dieu sans aucune certitude, il adore seulement ses inventions au lieu de Dieu ; et quoi qu’un tas de petits saints se glorifient de leur croyance, toutefois il n’y a religion quelconque qui soit approuvée de Dieu sans certaine science et vérité ; ou qui doive être réputée sainte et légitime. Qui plus est, qu’ils s’enflent d’orgueil tant qu’ils voudront ; nonobstant pour ce qu’ils demeurent en doute en leur conscience, il faut nécessairement qu’ils soient convaincus par leur propre jugement. Car la superstition est toujours tremblante, et se forge toujours quelque nouveauté. Nous voyons donc combien est misérable la condition de ceux qui n’ont point certaine lumière de la vérité ; vu que d’un côté ils sont toujours flottants en eux-mêmes ; et d’autre part, ils perdent leur peine envers Dieu.

Cependant il faut noter que les incrédules se mènent la guerre à eux-mêmes, en se crevant maintenant les yeux d’eux-mêmes par une obstination volontaire, maintenant étant ballotés au milieu de divers et infinis doutes et troubles de conscience. Non seulement ils se font à croire souvent qu’ils font bien, et s’y plaisent ; mais aussi si quelqu’un ose ouvrir la bouche pour parler contre leurs sottises, ils exercent une cruauté horrible contre lui. Le diable les ensorcelle d’une telle façon, qu’ils pensent qu’il n’y a rien meilleur que ce qui leur semble bon. Cependant, si on leur met en avant quelque scrupule, si quelque trompeur ou affronteur se lève, si quelque nouvelle rêverie vient à sourdre, non seulement ils chancellent d’un côté et d’autre en doute et perplexité, mais aussi ils se présentent de leur propre gré pour être traînassés çà et là. Dont il apparaît que ce qu’ils adhèrent à quelque service de Dieu qui sera déjà reçu, ce n’est ni par jugement, ni avec certitude d’Esprit ; mais qu’ils sont hébétés et étourdis, comme s’ils étaient ivres. Or toutefois cette perplexité est plus tolérable, qu’une telle stupidité brutale ; car elle ne donne point loisir aux incrédules de se plaire.

Finalement, combien que la superstition ne soit pas toujours craintive, toutefois comme elle est enveloppée de divers erreurs, aussi ne peut-elle laisser les esprits en repos, mais les pique de tourments secrets. Cela était cause que les Athéniens avaient mêlé des dieux inconnus avec leurs dieux familiers et domestiques, lesquels ils pensaient bien leur être connus, d’autant qu’ils les avaient forgés par une vaine opinion. Car leur inquiétude se montre en ce qu’ils confessent qu’ils n’ont encore satisfait, quoi qu’ils aient sacrifié à leurs dieux ordinaires, lesquels leur avaient été donnés des Pères, et lesquels ils ont appelés Indigetas, c’est-à-dire dieux natifs du pays. Afin donc que saint Paul arrache de leurs cœurs tout en qui était imprimé de fausse persuasion, il prend cette maxime : Qu’ils ne savent ce qu’ils adorent ; et qu’ils n’ont aucun certain Dieu. Car s’ils eussent certainement connu quelque Dieu, jamais ils ne fussent là tombés, d’en recevoir des inconnus ; comme ainsi soit que la seule connaissance du vrai Dieu soit suffisante pour abolir toutes idoles.

17.23

Car en parcourant votre ville et en regardant les objets de votre culte, j’ai trouvé aussi un autel sur lequel était inscrit : A un dieu inconnu. Ce donc que vous honorez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce.

Je m’accorde facilement à ceci, que cet autel était dédié à tous dieux étranges ; toutefois je ne consens point à ce que dit saint Jérome, que saint Paul par une sainte finesse a tiré à un dieu seul ce qui était écrit de plusieurs. Car vu que cette inscription était notoire à tous et divulguée, qu’eut servi la finesse ? Pourquoi donc au lieu qu’il y avait : Aux dieux inconnus, a-il dit : Au Dieu inconnu ? Il est certain que ce n’était point pour surprendre par finesse les Athéniens ; mais pour autant que la chose le requérait ainsi, il dit qu’il apportait une doctrine d’un certain Dieu inconnu. Or après avoir dit qu’ils étaient abusés, d’autant qu’ils ne savaient quel Dieu il convient adorer, et qu’en ce grand amas de dieux ils n’avaient aucune divinité certaine ; maintenant il s’insinue afin d’acquérir faveur à sa doctrine ; pour ce que c’eût été une chose inique de rejeter ou repousser ce qu’il mettait en avant du nouveau Dieu, au service duquel ils s’étaient déjà adonnés ; et qu’il valait beaucoup mieux l’avoir connu avant que l’adorer à la volée. Par ce moyen saint Paul retourne derechef à ce principe, que Dieu ne peut être servi ni droitement ni saintement, que premièrement il ne soit manifesté. Mais on peut ici faire une question ; comment il dit que Dieu a été adoré en Athènes, vu que Dieu rejette toutes adorations et services qui sont contraires à celui qu’il a ordonné par sa Loi ; et qu’il prononce que tout ce que les hommes controuvent et forgent contraire à sa parole, est idolâtrie. Si Dieu n’approuve aucun service, sinon qu’il accorde à sa parole, comment est-ce que saint Paul donne cette louange à gens radotant sans mesure, qu’ils ont servi et honoré Dieu. Car Christ condamnant les Samaritains, se contente de ce seul argument, qu’ils adorent Dieu sans certaine science, et toutefois se vantaient qu’ils adoraient le Dieu d’Abraham, Jean 4.22. Que dirons-nous donc des Athéniens, qui ayant enseveli et complètement éteint la mémoire du vrai Dieu, avaient mis en sa place Jupiter, Mercure, Palas, et toute cette fourmilière de dieux ? Je réponds, que S. Paul ne loue point ici ce que les Athéniens avaient fait ; mais qu’il prend matière de leur affection, soit déjà qu’elle fut vicieuse, d’enseigner librement.

17.24

Le Dieu qui a fait le monde et toutes les choses qui y sont, étant Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans des temples faits de main d’homme ;

L’intention de Paul est de montrer quel est le vrai Dieu. Or pour ce qu’il a affaire, et adressera parole à des gens profanes, il veut prouver son dire par la nature même de Dieu. Car il n’eut rien profité d’alléguer les témoignages de l’Ecriture. j’ai dit que la délibération du saint apôtre était, d’amener les Athéniens au vrai Dieu ; car ils étaient persuadés qu’il y avait quelque Divinité ; il ne fallait seulement que corriger leur religion qui était corrompue. Dont nous recueillons que le monde ne fait qu’errer par détours et entrelacements tortus, cependant qu’une confuse opinion de la nature de Dieu a lieu. Car voici quelle est la seule règle de la vraie religion, quand nous entendons distinctement qui est le Dieu que nous adorons. Si quelqu’un veut traiter en général de la religion, voici quel sera le premier article ; c’est à savoir, qu’il y a quelque divinité, à laquelle les hommes doivent honneur et obéissance. Mais pour ce que cela était hors de différend, saint Paul descend au second article ; à savoir que le vrai Dieu doit être discerné de toutes inventions. Ainsi il commence par la définition de Dieu, à cette fin qu’il prouve par cela, comment il le faut servir, et quel honneur et révérence il lui faut porter, d’autant que l’un dépend de l’autre. Car d’où procèdent tant de faux services, et d’où vient qu’il y a une si grande témérité chez les hommes à ajouter service sur service, sinon d’autant qu’ils ont forgé Dieu à leur propre appétit et fantaisie ? Or il n’y a rien à quoi les hommes soient plus enclins, qu’à corrompre le pur service de Dieu, quand ils estiment et mesurent Dieu selon leur sens et entendement. Par quoi il n’y a rien plus propre pour détruire tous les services corrompus et bâtards, que de prendre ce principe : Quelle est la nature de Dieu. Car voici l’argument que fait notre Seigneur Jésus au chapitre quatre de saint Jean : Dieu est Esprit, dit-il ; il n’approuve donc point d’autres adorateurs, sinon ceux qui l’adorent en Esprit. Et certes il ne dispute point subtilement de l’essence secrète de Dieu ; mais il démontre par les œuvres, quelle connaissance de lui est utile. Et qu’est-ce que saint Paul recueille de ceci, que Dieu est créateur, ouvrier et Seigneur du monde, à savoir qu’il n’habite point dans des temples faits de main. Car vu qu’on peut bien connaître par la création du monde, que la justice, la sagesse, la bonté et puissance de Dieu, sont répandues outre les limites et bornes du ciel et de la terre ; il s’ensuit qu’il ne peut être enclos dans aucun espace de lieux. Toutefois il semble que cette démonstration a été superflue, pour autant qu’on pouvait faire sur-le-champ cette réplique, que les statues et images sont mises dans des temples pour rendre témoignage de la présence de Dieu ; et cependant qu’il n’y avait homme si lourdaud, qui ne sût bien que Dieu remplit toutes choses. Or je réponds à cela, que ce que j’ai naguère souligné est bien vrai, que l’idolâtrie est répugnante à soi-même. Les incrédules protestaient qu’ils priaient les dieux en leurs statues ou images ; mais s’ils n’eussent attaché la majesté, ou la vertu de Dieu aux images, à savoir vraiment s’ils eussent entendu ou espéré quelque aide de là ? eussent-ils là adressé leurs oraisons ? De là aussi est advenu, qu’un temple a été estimé beaucoup plus saint qu’un autre. Ils couraient en Delphes pour demander là les oracles d’Apollo. Minerve ou Pallas avait son siège et sa résidence en Athènes. Nous voyons maintenant, que par les propos de saint Paul est taxée cette fausse opinion, par laquelle les hommes ont été presque toujours déçus, à savoir qu’ils forgeaient un dieu charnel. C’est ici la première entrée à la droite connaissance de Dieu, si nous sortons hors de nous, et si nous ne le mesurons point selon la capacité de notre entendement ; et même si nous n’imaginons rien de lui selon le sens de notre chair ; mais si nous le situons au-dessus du monde, et le discernons des créatures. De laquelle sobriété et modestie le monde s’est toujours enfui bien loin. Car cette perversité et malice est naturelle aux hommes, qu’ils défigurent la gloire de Dieu par leurs inventions frivoles et méchantes. Car comme ils sont charnels et terrestres, aussi veulent-ils avoir un Dieu qui soit correspondant à leur nature. D’avantage, selon qu’ils sont audacieux, aussi le forment-ils tel qu’ils le peuvent comprendre. La vraie et pure connaissance de Dieu est corrompue par telles inventions ; et qui plus est, sa vérité est convertie en mensonge, comme dit saint Paul, Romains 1.25. Car quiconque ne s’élève pas au-dessus du monde, il empoigne des ombres vaines et des fantômes au lieu de Dieu. Et si les ailes de la foi ne nous portent au ciel, il est inévitable que nous nous perdions en nos propres cogitations. Et il ne se faut pas s’étonner que les Gentils’ont ainsi été abusés par ces enchantements si lourds et grossiers, que tirant Dieu hors de son trône céleste, ils l’aient enclos dans les éléments du monde ; vu que le semblable est advenu aux Juifs, auxquels toutefois Dieu avait si amplement manifesté sa gloire spirituelle. Car le Prophète Esaïe ne les reprend point sans bonne cause de ce qu’ils enfermaient Dieu dedans les parois du temple, Esaïe 66.1. Et on peut recueillir du sermon de saint Etienne, qui a été expliqué ci-dessus au chapitre sept que ce vice a régné entre eux en tous temps. Si quelqu’un eût demandé aux Juifs (la balourdise desquels est tancée par le Saint Esprit) s’ils n’avaient point cette opinion ou imagination, que Dieu fut enclos en leur temple, ils eussent nié fort et ferme être enveloppés dans une erreur si lourd. Mais pour ce que leurs esprits ne montaient point par-dessus le regard présent du temple, et se confiant au temple, ils se glorifiaient comme si Dieu leur fût grandement tenu ; c’est à bon droit que le Saint Esprit les rédargue, de ce qu’ils attachent Dieu au temple, ni plus ni moins que si c’était un homme mortel. Car ce que j’ai déjà dit, est vrai, que la superstition est répugnante et contraire à soi-même, et se laisse bercer en diverses imaginations. Et les Papistes n’ont aujourd’hui autre défense, que celle par laquelle les Gentils et les Juifs ont jadis tâché de farder de telle manière leurs erreurs, ou les couvrir. En somme, la superstition forge que Dieu habite dans des temples faits de main ; non point qu’elle le veuille tenir comme enfermé en une prison ; mais pour ce qu’imaginant un Dieu charnel, elle attribue quelque divinité aux idoles, et transfère la gloire de Dieu aux apparences extérieures. Mais s’il est avéré que Dieu n’habite point dans des temples faits de main, à quel propos Dieu aurait-il attesté en tant de passages de l’Ecriture, qu’il est assis entre les Chérubins ? 2 Rois 19.15. Psaumes 80.2, et que le temple lui est pour un repos éternel ? Psaumes 132.14. Je réponds, que comme il n’était point attaché en certain lieu, aussi n’avait-il rien moins délibéré que d’attacher son peuple à des figures extérieures. Mais plutôt il est descendu a eux, à cette fin qu’il les élevât jusques à soi. Et pourtant ceux qui se sont tellement amusés à regarder ces choses, qu’ils se sont arrêtés en la terre, et détournés du service spirituel de Dieu, ont faussement abusé du temple et de l’arche. Nous voyons par ceci qu’il y a eu grande différence entre les signes de la présence de Dieu, que les hommes se sont forgés à l’aventure, et ceux qui ont été ordonnés divinement. Car les hommes tirent toujours contre bas pour comprendre Dieu d’une façon charnelle ; mais Dieu les élève en haut par la conduite et guide de sa parole. Il adjoint seulement quelques signes pour instruments, par lesquels Dieu se communique familièrement aux hommes tardifs, jusques à tant qu’ils soient montés jusques au ciel, comme par degrés et échelles.

Et il n’est point servi par mains d’hommes. On peut ici faire une telle question des cérémonies, que celle qui a été naguère faite du temple. Car il semble que ce que S. Paul condamne dans les cérémonies des Gentils, peut être transféré aux cérémonies de la Loi de Moïse. Mais il est bien facile de donner solution à cela ; qu’à parler proprement, les fidèles n’ont jamais constitué le service de Dieu par des cérémonies ; mais ils les ont seulement estimées comme aides, par lesquelles ils fussent exercés selon leur infirmité. Quand ils sacrifiaient des bêtes à Dieu, quand ils lui offraient du pain et des gâteaux, quand ils allumaient des flambeaux, ils savaient bien que la vraie religion et sainteté ne consistait point en ces choses ; mais étant aidés par tels rudiments, ils ont toujours eu les yeux dressés sur le service spirituel de Dieu, et n’ont estimé autre service que celui-là. Et Dieu dit tant clairement en beaucoup de passages, qu’il ne s’arrête point aux choses externes ou visibles, que les cérémonies d’elles-mêmes ne sont de nulle importance, et quant à lui, qu’il n’est point servi autrement que par foi, en pure conscience, par prières et oraisons, et par actions de grâces. Mais qu’ont fait les Gentils ? Quand ils ont dressé des images, quand ils ont fait des encensements, quand ils ont fait des jeux et quand ils ont mis des coussins sous leurs idoles, ils ont pensé qu’ils s’étaient fort bien acquittés de tous devoirs de la religion, et du service qu’ils devaient à Dieu. non seulement les Philosophes, mais aussi les Poètes se moquent de la folie du peuple, de ce que sans aucune raison il constitue le service de Dieu en pompe et magnificence de cérémonies. Et laissant à part une infinité de témoignages qu’on pourrait alléguer, il suffira de produire celui du poète Perse, lequel est tant connu :

Dites, pourquoi en vos temples usez
D’or et d’argent, ô Pontifes rusés ?
Que sert-il là ? non plus que les poupées
Qu’à Vénus ont les fillettes donné.
Offrir convient chose plus précieuse,
Que du grand plat la race chassieuse
De Messala, présenter ne pourrait.
Comme Esprit pur, équité et bon droit,
De l’âme aussi les pensées secrètes,
Cœur vertueux, si avec les mains nettes,
Ce que je dis, en vos temples offrez,
Et de vos dieux la faveur vous verrez.

Et il n’y a point de doute que Dieu n’ait tiré telles paroles des hommes profanes, afin qu’elles ôtassent toute excuse d’ignorance. Mais on connaît facilement que ceux qui parlaient ainsi, sont incontinent retombés à la commune forcènerie ; et qui plus est, jamais il n’entra en leurs esprits que voulait dire cela. Car combien que les hommes qui sont plus avisés que le simple populaire, soient contraints de confesser que les cérémonies en elles-mêmes ne doivent être nullement estimées, toutefois on ne leur arracherait jamais cette folle confiance, qu’ils ne se persuadent que les cérémonies sont une partie du service de Dieu. Par quoi tant plus qu’ils s’occupent à tels menu fatras, tant plus pensent-ils s’être bien acquittés de leur devoir. S. Paul donc rejette ce que tous les hommes, depuis le plus grand jusques au plus petit, pensent que Dieu soit apaisé par cérémonies et autres choses externes, et qu’ils veulent entreprendre de s’acquitter envers lui par leurs œuvres propres. La raison est aussi ajoutée, que d’autant qu’il est Seigneur du ciel et de la terre, il n’a besoin de chose quelconque ; et d’autant qu’il donne la vie et respiration aux hommes, aussi ne peut-il rien recevoir d’eux. Car ceux qui n’ont rien que de sa bonté gratuite, que lui pourraient-ils apporter de leur propre bien ? voire qui ne sont rien que par sa pure grâce, et qui seront tout incontinent réduits à néant, s’il retire son Esprit, duquel ils ont la vie ? Dont il s’ensuit que non seulement ils sont stupides et bêtes, mais par trop orgueilleux, s’ils s’ingèrent à servir et honorer Dieu avec les œuvres de leurs mains. Car quant à ce qu’il prononce que les aumônes et les devoirs de charité sont sacrifices de bonne odeur, cela doit être discerné de la cause présente, où il est seulement question des cérémonies lesquelles les incrédules offrent à Dieu en lieu de service spirituel.

Par la vie et respiration, n’est signifié autre chose que cette vie transitoire, et laquelle nous avons commune avec tous autres animaux. En la fin de cette sentence, combien qu’aujourd’hui il y ait certains exemplaires Grecs qui s’accordent à cette leçon, où le mot Grec emporte ce sens, Par tout toutefois il me semble qu’il convient mieux ainsi que l’a traduit le traducteur ancien, comme signifiant, Et tout ; car il est plus clair, et contient une doctrine plus ample. Car on peut mieux recueillir de là, que les hommes n’ont rien de propre. Et aussi quelques exemplaires Grecs conféraient cette leçon.

17.25

il n’est point non plus servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous vie et respiration et toutes choses.

17.26

Il a fait aussi que, sorties d’un seul, toutes les nations des hommes habitassent sur toute la surface de la terre, ayant déterminé les temps ordonnés, et les bornes de leur habitation ;

Maintenant saint Paul exhorte les Athéniens à quelle fin le genre humain a été créé ; à ce que par ce moyen il les incite et exhorte à considérer la fin de leur vie. Et à la vérité c’est ici une vilaine ingratitude des hommes, que combien que tous jouissent d’une vie commune, toutefois ils ne s’avisent point à quelle fin Dieu leur a donné la vie ; mais la plus grande part sont saisis de cette stupidité de bête brute, qu’ils ne considèrent point pour quelle raison ils ont été mis au monde ; et l’ouvrier du ciel et de la terre ne leur vient nullement en mémoire, duquel toutefois ils dévorent les biens. Après donc que saint Paul a traité de la nature de Dieu, c’est bien à propos qu’il entremêle cette admonition ; à savoir que les hommes doivent être diligents et attentifs à connaître Dieu ; car ils ont été créés pour cela, et sont nés à cette fin. Car il assigne en bref la raison pourquoi ils ont reçu la vie, à savoir afin qu’ils cherchent Dieu. Or pour ce qu’il n’y avait pas seulement une religion au monde, mais les Gentils étaient divisés en diverses sectes, il remontre que cette bigarrure diverse était engendrée de corruption. Car, selon mon opinion, ce qu’il dit que tous ont été créés d’un sang, tend à ce but. Car la consanguinité et une même source et origine de génération devait être un lien de mutuel consentement et d’un bon accord entre eux. Or la religion est ce qui sur tout met d’accord ou fait discorder les hommes. Dont il s’ensuit que ceux qui sont ainsi discordant en la religion et au service de Dieu, se sont dévoyés de leur nature. Car de quelque pays qu’ils soient nés, ou en quelque quartier du monde qu’ils habitent, si est-ce qu’il n’y a qu’un seul Créateur et Père de tous ; lequel doit être cherché de tous d’un commun consentement. Et de fait, il n’y a distance de lieux, il n’y a limites de régions, ou diversité de mœurs, ni aucune cause de divorce et séparation entre les hommes, qui puissent faire que Dieu soit dissemblable à soi-même. En somme, il a voulu montrer que l’ordre de nature a été corrompu quand la religion a été tirée en diverses sectes entre eux ; et que la dissipation qui apparaît entre eux, est un témoignage que la vraie crainte de Dieu est renversée ; d’autant qu’ils se sont révoltés de Dieu, qui est leur Père commun, duquel tout parentage dépend.

Pour habiter sur toute l’étendue de la, etc. Saint Luc selon sa coutume touche en bref la somme de la prédication de saint Paul. Au reste, il n’y a nulle doute que saint Paul n’ait premièrement montré, que les hommes sont ici mis comme en un théâtre, afin qu’ils soient comme contemplateurs des œuvres de Dieu ; et que puis après il n’ait tenu propos de la providence de Dieu, laquelle se montre et manifeste en tout le gouvernement du monde. Car quand il dit que Dieu détermine les saisons qu’il a auparavant ordonnées, et les bornes de leur habitation, il entend que ce monde est gouverné par sa main et conseil ; et que les choses humaines ne sont point promenées à l’aventure, ou par cas fortuit, comme les hommes profanes imaginent. Et en cette sorte on peut facilement recueillir de ce peu de paroles de saint Luc, que saint Paul a compris de grandes choses. Car quand il dit qu’il a ordonné les saisons auparavant, il atteste que Dieu avait décrété quelle serait la condition des hommes, avant que jamais ils fussent créés. Quand nous voyons advenir diverses mutations ou soudains changements au monde, quand les ruines horribles des royaumes surviennent, les mutations des pays, les ruines des villes, la destruction des nations, nous imaginons que les destinées règnent, ou que fortune obtient domination sur toutes ces choses. Mais Dieu rend ici témoignage par la bouche de saint Paul, qu’il a été ordonné auparavant par son conseil, combien de temps il voulait que l’état d’un chacun peuple durât, et dedans quelles fins et bornes il voulait contenir un chacun. Que si il leur a attribué et borné un certain temps, et a arrêté les limites des pays et régions, il ne faut point douter qu’il n’ait disposé tout le cours de leur vie.

Cependant nous devons noter que saint Paul n’attribue point seulement à Dieu une prescience abstraite, et une spéculation froide, comme font plusieurs ignorants ; mais qu’il assigne la cause des choses qui adviennent, en son conseil et volonté. Car il ne dit point seulement, que Dieu a prévu les temps, mais aussi qu’il les a ordonnés auparavant, et disposés selon qu’il lui a semblé bon. Or quant à ce qu’il ajoute aussi que dès le commencement Dieu a déterminé ce qu’il avait auparavant ordonné, le sens est, qu’il exécute par la vertu de sa main ce qu’il a décrété par son conseil, selon ce qui est dit Psaumes 115.3. notre Dieu est au ciel ; il a fait tout ce qu’il a voulu. Nous voyons maintenant que tout ainsi qu’en un camp chaque groupe et compagnie aura son quartier distinct aussi les hommes sont placés sur le globe, afin que chacune nation se contente de ses fins et limites, et entre ceux d’un même pays un chacun habite en sa maison. Au demeurant, combien que l’ambition se soit bien souvent étendue outre les limites, et que plusieurs embrasés de perverse cupidité, aient outrepassé souvent leurs bornes ; néanmoins l’appétit désordonné des hommes n’a peu tant faire que Dieu de son sanctuaire secret n’ait gouverné tous les événements. Car combien qu’il semble que par les tumultes et entreprises qu’ils font en la terre, ils veulent assaillir le ciel pour faire tomber bas la Providence de Dieu, et la renverser ; tant y a toutefois qu’ils sont contraints malgré eux de plutôt la rendre ferme et stable. Sachons donc que le monde est tellement roulé haut et bas par divers circuits de troubles, que Dieu rapporte finalement toutes choses à la fin qu’il a ordonnée.

17.27

afin qu’ils cherchent Dieu pour voir s’ils pourraient le toucher de la main et le trouver, lui qui pourtant n’est pas loin de chacun de nous ;

Cette sentence contient deux membres ; à savoir, que l’office de l’homme c’est de chercher Dieu ; puis après, que Dieu lui-même vient au-devant, et se rend visible par tant de signes manifestes, que nous ne pouvons prétendre aucune excuse d’ignorance. Souvenons-nous donc, que tous ceux qui n’appliquent point leurs études à chercher Dieu, abusent malheureusement de cette vie, et ne méritent point d’habiter en la terre ; ni plus ni moins que si chacune espèce des bêtes brutes se détournait de l’inclination qui est engendrée en chacune d’elles naturellement ; ce qui serait réputé à bon droit un monstre. Et à la vérité, il n’y a rien plus absurde, que de dire que ceux ne sachent qui est leur créateur, lesquels ont reçu le don d’intelligence, principalement à cette fin. Or il nous faut principalement noter la bonté de Dieu, en ce qu’il se donne si familièrement à connaître, que les aveugles mêmes le peuvent toucher. Et d’autant plus est vilain l’aveuglement des hommes, et moins tolérable, de ce qu’en une manifestation de Dieu si claire et évidente, ils ne sont toutefois touchés d’aucun sentiment de la présence de Dieu. Qu’ils tournent et dressent les yeux de quelque côté qu’ils voudront, et haut et bas, il faut nécessairement qu’ils rencontrent des vives images de la bonté, sagesse et puissance de Dieu, voire en nombre infini. Car Dieu n’a point couvert sa gloire d’ombrages obscurs en cet ouvrage du monde ; mais il a engravé par tout des marques si apparentes, que les aveugles mêmes les pourront reconnaître en tâtonnant. Dont nous pouvons facilement recueillir que les hommes ne sont point seulement aveugles, mais aussi stupides, vu qu’étant aidés par tant de beaux enseignements, ils ne profitent nullement.

Néanmoins on peut ici faire une question ; à savoir si les hommes ne peuvent pas naturellement parvenir à une vraie et claire connaissance de Dieu. Car il semble que S. Paul veut dire qu’il ne tient qu’à leur nonchalance qu’ils ne sentent la présence de Dieu ; d’autant qu’encore qu’ils ferment les yeux, toutefois on le peut quasi toucher et manier. Pour répondre à cela, je dis qu’il y a une telle perversité mêlée avec leur ignorance et bêtise, que destitués de droit jugement, ils laissent passer sans un vrai sentiment tous les signes de la gloire de Dieu, qui reluisent manifestement tant au ciel qu’en la terre. mêmes vu que la vraie connaissance de Dieu est un don singulier de sa bonté ; vu aussi que la foi, par laquelle seule il est droitement connu, ne procède que de l’illumination du Saint Esprit ; il s’ensuit que nos esprits ne peuvent pénétrer jusques là par la seule conduite de notre nature. Et de fait, Paul ne traite point ici de la faculté et puissance des hommes, mais seulement il remontre qu’ils sont inexcusables, quand ils ne voient goutte ayant toutefois une lumière si claire devant leurs yeux ; comme il parle en Romains 1.21. Soit déjà donc que les sens des hommes défaillent quand il est question de chercher Dieu, néanmoins ils ne peuvent nullement excuser leur faute ; pour ce que combien qu’il se donne à tâter et toucher, nonobstant ils demeurent perplexes. Mais il en a été plus amplement parlé ci-dessus Actes 14.17.

Quoiqu’il ne soit point loin. A cette fin de cerner d’encore plus près la perversité des hommes, il dit qu’il ne faut point chercher Dieu par longs circuits, ni détours ou difficiles chemins ; car un chacun le trouvera en soi-même, pourvu qu’il y veuille entendre. Par laquelle expérience nous sommes convaincus que notre stupidité est coupable, encore que nous l’ayons tirée du péché d’Adam. Car combien qu’il n’y ait petit coin au monde, qui soit vide de quelque témoignage de la gloire de Dieu, toutefois il n’est besoin que nous sortions hors de nous pour l’empoigner. Car il émeut tellement un chacun de nous au dedans par sa vertu, que notre stupidité et bêtise est comme monstrueuse, de dire qu’en le sentant nous ne le sentons pas. Pour cette raison d’aucuns d’entre les Philosophes ont appelé l’homme, un petit monde, d’autant que l’homme est un chef-d’œuvre, auquel la gloire de Dieu reluit plus qu’en nulle de toutes les autres créatures, et qui est plein d’un nombre infini de miracles.

17.28

car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être ; comme aussi quelques-uns de vos poètes l’ont dit : Car c’est de lui que nous sommes aussi la race.

Je confesse que les Apôtres prennent souvent cette particule In, pour Per, selon l’usage de la langue Hébraïque ; mais pour ce que cette façon de parler, En lui nous vivons, a beaucoup plus de véhémence, et qu’elle exprime quelque chose d’avantage, que ne ferait, Par lui ; il ne m’a point semblé bon de la changer. Car je ne doute point que S. Paul ne signifie que nous sommes aucunement contenus en Dieu, pour ce qu’il habite en nous par sa vertu. Or la raison pourquoi Dieu se sépare de toutes créatures en se nommant Jehovah, c’est afin que nous sachions qu’a proprement parler lui est seul ; et quant à nous, nous subsistons en lui, en tant qu’il nous donne vigueur, et nous soutient par son Esprit. Car la vertu de son Esprit est répandue par toutes les parties du monde, pour les maintenir en leur état, et donner au ciel et à la terre la vigueur que nous voyons, et mouvement aussi aux animaux ; non point de la sorte laquelle aucuns frénétiques ont imaginée, lesquels babillent que toutes choses sont pleines de déités, les pierres mêmes être des dieux ; mais par ce que Dieu par la vigueur et instinct admirable de son Esprit, entretient en son être toutes choses lesquelles il a créées de rien. Au reste, il fait ici spécialement mention des hommes, pour ce qu’il avait dit que les hommes n’ont point besoin de chercher Dieu loin d’eux, vu qu’ils l’ont dedans eux. Or comme ainsi soit que la vie des hommes soit plus excellente de beaucoup que n’est pas le mouvement, et le mouvement plus excellent que l’être, saint Paul a mis ce qui était le principal au plus haut lieu ; afin que de degré en degré il descendît à l’être, en ce sens ; non seulement nous n’avons aucune vie qu’en Dieu, mais aussi nous avons même le mouvement ; et qui plus est, nous n’avons pas même l’être ou l’essence sinon en lui, laquelle est encore de moindre estime que les deux autres. Je dis que la vie est plus excellente chez les hommes ; d’autant que non seulement ils ont le sens et le mouvement commun avec les bêtes brutes, mais avec ce ils sont doués de raison et intelligence. Par quoi c’est à bon droit que l’Ecriture loue particulièrement ce don exquis, duquel Dieu nous a doués par un titre bien propre. Ainsi en saint Jean, après qu’il a fait mention de la création universelle, non sans cause il met à part : Que la vie a été la lumière des hommes. Nous voyons maintenant que tous ceux qui ne connaissent point Dieu, ne se connaissent point aussi eux-mêmes ; car ils ont Dieu présent non seulement dans des dons excellents de leur entendement, mais en l’essence même ; d’autant que l’essence ou l’être ne convienne sinon à Dieu, et toutes les autres choses ont subsistance en lui. Ce passage aussi nous enseigne que Dieu n’a point tellement créé et formé le monde une fois, que juste après il délaissât son œuvre ; mais qu’il est soutenu, et est ferme en son état par la vertu de Dieu ; et que lui qui en a été une fois le créateur et formateur, en est aussi perpétuel gouverneur. Nous devons bien méditer cette attention assiduelle, afin que Dieu nous vienne en mémoire à chacune minute de temps.

Comme aussi aucuns de vos Poètes ont dit. C’est un demi vers qu’il allègue du livre du Poète Aratus ; et ce n’est point tant pour autoriser ce qu’il veut dire, que pour faire honte aux Athéniens ; car telles sentences des Poètes ne sont point issues d’autre source ou fontaine, que de la nature, et de la raison commune. Et il ne se faut pas étonner de ce que saint Paul parlant à gens infidèles, et ne sachant nullement que c’était de 1a vraie religion, s’est servi du témoignage d’un Poète, auquel il y avait une confession de cette connaissance qui est naturellement engravée et imprimée dans les entendements des hommes. Les Papistes ont accoutumé d’en faire bien autrement. Car ils font tellement bouclier des témoignages des hommes, qu’ils les opposent aux oracles de Dieu ; et non seulement ils constituent maîtres de la foi S. Jérome, ou S. Ambroise, et les autres saints pères, mais aussi ils nous veulent obliger aux décrets puants de leurs Papes, ni plus ni moins que si Dieu lui-même avait parlé. Et qui plus est, ils n’ont, point eu honte de donner si grande autorité à Aristote, qu’au prix de lui il a fallu que les Apôtres et Prophètes soient demeurés muets en leurs écoles. Maintenant pour retourner à la présente sentence, il ne faut point douter qu’Aratus n’ait parlé de Jupiter ; tant il y a toutefois que saint Paul ne tire point à un autre sens ce que l’autre avait dit par ignorance de son Jupiter, mais l’accommode fort proprement au vrai Dieu. Car pour autant que les hommes sont naturellement abreuvés de quelque sentiment de Dieu, ils puisent aussi les principes de cette fontaine et source. Or soit déjà que si tôt que quelque cogitation de Dieu leur vient en l’entendement, tout incontinent ils s’évanouissent en leurs perverses et fausses inventions, et par ce moyen la pure semence devient bâtarde et corrompue ; néanmoins la première connaissance générale de Dieu demeure cependant en eux. En cette sorte il n’y a homme de saint entendement, qui doive faire difficulté de transférer au vrai Dieu ce que Virgile dit de son Jupiter : Toutes choses sont pleines de Jupiter. Et Virgile même voulant déclarer ouvertement la puissance de Dieu, a supposé par erreur un faux nom. Quant au sens des paroles, il se peut bien faire qu’Aratus ait controuvé ceci, que dans les entendements des hommes il y avait quelque petite portion de divinité ; comme les Manichéens ont forgé que les âmes découlaient de Dieu aux hommes. Ainsi quand Virgile dit du monde : Que l’esprit l’entretient par dedans, et qu’il y a une inspiration, laquelle comme si elle était répandue par tous les membres de celui-ci, fait mouvoir toute la machine ; plutôt il philosophe à la façon de Platon, que de dire qu’il entende purement que le monde est soutenu par une secrète inspiration de Dieu. Mais telle imagination ne devait point empêcher saint Paul qu’il ne retint cette vraie maxime, combien qu’elle fût corrompue par les fables des hommes ; c’est à savoir, que les hommes sont la génération de Dieu, pour autant qu’ils représentent quelque chose de la divinité par l’excellence de leur nature. C’est ce que l’Écriture nous enseigne, que nous sommes créés à l’image et ressemblance de Dieu, Genèse 1.27. Il est vrai qu’en beaucoup de passages cette même Écriture enseigne que nous sommes faits enfants de Dieu par foi et adoption gratuite, quand nous sommes insérés au corps de Christ, et étant régénérés par le Saint Esprit, nous commençons à être nouvelles créatures, Galates 3.26. Mais comme l’Ecriture donne divers noms au Saint Esprit à cause de ses grâces diverses ; aussi il ne se faut étonner si le nom d’Enfant est pris en diverses sortes. Tous hommes mortels sont indifféremment appelés enfant, d’autant qu’ils approchent plus près de Dieu d’entendement et intelligence ; mais pour ce que l’image de Dieu est presque du tout effacée en eux, en sorte qu’à grand peine y pourrait-on apercevoir quelques bien petites traces, à bon droit ce nom d’enfant est restreint aux fidèles, lesquels ayant reçu l’Esprit d’adoption, ressemblent au Père céleste en lumière de raison, en justice et sainteté.

17.29

Etant donc la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, ou à de l’argent, ou à de la pierre, sculptés par l’art et l’invention de l’homme.

Il conclut que Dieu ne peut être figure par aucune peinture ou gravure ; comme ainsi soit qu’il ait voulu que son image fut en nous. Car l’âme, en laquelle proprement l’image de Dieu est gravée, ne peut être peinte. Ce serait donc d’autant plus grande folie de vouloir peindre Dieu. Nous pouvons voir maintenant quel outrage font à Dieu tous ceux qui lui baillent une face corporelle ; vu que l’âme de l’homme, laquelle à grand peine représente une bien petite étincelle de la gloire infinie de Dieu, ne peut rien admettre de semblable. Au demeurant, comme il est bien certain que saint Paul se courrouce ici contre la superstition commune de tous les Païens et Gentils, de ce qu’ils ont voulu servir et adorer Dieu sous figures corporelles, il nous faut retenir cette doctrine générale, que c’est trop méchamment et follement transfigurer Dieu, et convertir sa vérité en mensonge, toutes les fois qu’on représente sa majesté par quelque forme ou figure visible ; comme S. Paul même enseigne au premier chapitre de l’épître aux Romains. Or combien que les idolâtres de tous temps aient eu leurs couvertures et excuses, tant il y a toutefois que ce n’est point sans cause que les Prophètes leur ont toujours reproché ce que saint Paul met ici en avant, qu’on fait Dieu semblable à une pierre, ou à une pièce de bois, ou à l’or, quand on lui fait une image de quelque matière morte et corruptible. Les païens ont usé de statues et images, à cette fin que selon leur rudesse ils conçoivent Dieu prochain d’eux. Mais vu que Dieu est par une distance infinie haut élevé par-dessus la capacité de notre entendement, quiconque attente de l’appréhender ou concevoir par son entendement, il défigure sa gloire par une fausse et perverse imagination. Par quoi c’est une méchanceté, de forger ou controuver quelque chose de lui par son propre sens et raison. De plus il apparaît assez que les hommes ne dressent des statues ou images à Dieu pour autre raison, sinon d’autant qu’ils conçoivent follement quelque chose de charnel en lui ; en quoi ils lui font grand opprobre.

Les Papistes ne sont de rien moins excusables aujourd’hui. Car quelque fard qu’ils amènent pour donner couleur à leurs images, par lesquelles ils tâchent de représenter Dieu, toutefois pour ce qu’ils sont enveloppés de la même erreur que les anciens, ils sont pressés des témoignages des Prophètes. Or que les Païens et Gentils aient jadis prétendu les mêmes excuses, desquelles les Papistes tâchent aujourd’hui de se couvrir, c’est bien connu par leurs écrits. Par quoi d’aucuns ne s’abstiennent point de se rire des Prophètes, comme s’ils leur imposaient un trop gros fardeau ; et qui plus est, comme s’ils les chargeaient de faux crimes. Mais le tout étant bien examiné, ceux qui jugeront droitement, trouveront que quelques échappatoires que les plus subtils mêmes ont cherchés, ils ont été toutefois transportés de cette folie et rage, à savoir qu’on pouvait bien et droitement sacrifier à Dieu devant les images. Au lieu où nous avons traduit avec Erasme Numen, saint Luc a mis To Theion, au genre neutre, à savoir pour la Divinité. Quand saint Paul dit que Dieu n’est point semblable à or, ou pierre, ou bois, et quand il ajoute puis après ; Ou pierre taillée par art ou par invention humaine, il exclut la matière et la forme ; et en même temps il condamne toutes les inventions humaines, lesquelles défigurent la vraie nature de Dieu.

17.30

Passant donc sur ces temps d’ignorance, Dieu ordonne maintenant aux hommes qu’ils se repentent tous, en tous lieux,

Pour ce que ce qui a été reçu par long usage, et approuvé par le consentement public de tous, est cru communément pour bon et droit, on pouvait faire objection à saint Paul : Comment oses-tu abolir maintenant les choses qui dès le commencement du monde ont été reçues par continuation de tant de siècles ? et à qui pourras-tu faire croire, que tout le monde ait été si longtemps déçu ? Tout ainsi que les Papistes se confient du tout en ce bouclier, pensant qu’il est suffisant pour défendre et garantir toutes les sortes d’abominations vilaines qui règnent parmi eux. Saint Paul prévient cette question, insistant que la raison pourquoi les hommes ont si longtemps erré, c’est pour ce que Dieu ne leur a tendu son bras du ciel, pour les réduire au bon chemin. Or il pourrait sembler étrange, que les hommes doués de raison et jugement sont ainsi lourdement et vilainement abusés en une chose de si grande importance. Mais saint Paul signifie que les hommes ne cesseront jamais d’errer, jusqu’à ce que Dieu leur subvienne. Maintenant touchant ce que Dieu n’a point plutôt appliqué le remède, saint Paul n’assigne autre cause, sinon que sa volonté et son bon plaisir. Et de fait, nous ne pouvons nullement comprendre la raison, pourquoi Dieu a allumé tout soudain la lumière de sa doctrine, ayant souffert que les hommes aient erré en ténèbres par l’espace de quatre mille ans ; pour le moins vu que l’Écriture n’en fait nullement mention, soyons plutôt sobres, que follement sages en cet endroit. Car tous ceux qui ne permettent point à Dieu de se taire ou de parler selon qu’il lui semble bon, tâchent de le ranger à l’ordre commun des hommes ; qui est une méchanceté grande, et telle que nature même l’a en horreur et abomination. De plus, ceux qui ne se contenteront point de sa prudence et de son conseil secret, il faut nécessairement qu’ils murmurent contre S. Paul, lequel montre ouvertement que l’ignorance a régné au monde, tant qu’il a plu à Dieu la dissimuler. Les autres interprètent ceci autrement, à savoir que Dieu a épargné l’ignorance, comme fermant les yeux, et ne la voulant punir. Mais une telle glose est totalement répugnante à l’intention de saint Paul ; lequel n’avait nullement délibéré d’amoindrir la faute des hommes mais plutôt de priser et louer la grâce de Dieu, laquelle était soudainement apparue. Joint qu’on peut bien montrer par beaucoup d’autres passages, qu’elle est fausse ; car ceux qui auront offensé sans Loi ne laisseront pas pourtant de périr sans Loi, Romains 2.12, bref, les paroles de saint Paul ne signifient autre chose, sinon que les hommes ont été adonnés à aveuglement, jusques à ce que Dieu s’est manifesté à eux ; et que ce n’est point à nous de chercher trop audacieusement ou trop curieusement la cause pourquoi Dieu n’a point plutôt chassé les ténèbres ; mais que tout ce qui lui a semblé bon de faire, nous le devons aussi estimer droit et raisonnable, sans en faire quelque difficulté. Car soit déjà que cette façon de parler semble être bien dure, que tandis que Dieu a dissimulé, les hommes ont été misérablement abusés par long espace de temps, si est-ce qu’il nous faut acquiescer à sa providence. Que si quelque fois il advient que nous soyons saisis de quelque perverse et folle cupidité de savoir plus qu’il n’est permis, rappelons nous incontinent ce qui nous est remontré par S. Paul en plusieurs passages ; que ce que la clarté de l’Evangile a resplendi tout en un moment aux Gentils, a été un secret caché de toutes générations. Romains 16.25 ; Ephésiens 3.9 ; et que c’est-ci un témoignage de la sagesse de Dieu, qui est démontrée en diverses façons, et qui engloutit tous les sens humains. D’avantage, souvenons-nous que la coulpe et faute des hommes n’est point amoindrie, pour dire que Dieu n’a point voulu guérir leurs erreurs. Car leur propre conscience les tiendra convaincus, à ce qu’ils n’évitent la condamnation qu’ils ont bien méritée. Et aussi ce n’est pas pour transférer le blâme sur Dieu, mais pour couper broche aux questions frivoles, curieuses et nuisibles, que saint Paul a dit que Dieu a dissimulé, cependant que le monde a erré. Et nous apprenons par ceci, comment nous devons penser de la providence de Dieu avec toute révérence et modestie ; afin que comme la nature des hommes est orgueilleuse, il n’y ait nul si hardi de demander à Dieu la raison de ses œuvres. Au reste, cette admonition ne nous apporte aujourd’hui moins de fruit, qu’elle a fait aux hommes de ce temps-là. Les ennemis de l’Evangile, renouvelé estiment comme une absurdité grande, que sous l’apostasie du Pape Dieu a permis que les hommes fussent si longtemps en erreur ; comme si aujourd’hui encore que la raison en soit cachée, il ne lui ait été autant loisible de dissimuler l’ignorance des hommes, comme jadis. Or sur tout il nous faut noter à quelle fin ceci est dit ; à savoir à cette fin que l’ignorance du temps passé ne nous empêche point de rendre incontinent obéissance à Dieu, quand il parle à nous. Plusieurs pensent avoir belle couleur pour errer, pourvu qu’ils aient les pères pour compagnons, ou moyennant qu’ils puissent avoir ceci, que la longue coutume leur favorise ; mais le pis est, qu’ils cherchent volontiers, et empoignent de grande affection ce subterfuge à cette fin qu’ils ne rendent obéissance à la parole de Dieu, Mais saint Paul dit qu’il ne faut chercher excuse sur l’ignorance des Pères, quand Dieu ouvre sa bouche sacrée pour parler à nous. Car combien que ceux-ci ne soient innocents devant Dieu, néanmoins notre nonchalance sera moins tolérable, si nous ne voyons goutte en plein Midi ; et sonnant la trompette de l’Evangile, nous demeurons sourds ou endormis.

Annonce maintenant à tous hommes. Paul souligne par ces paroles qu’il faut prêter l’oreille à Dieu aussitôt qu’il parle ; comme il est écrit, Si aujourd’hui vous entendez sa voix, n’endurcissez point vos cœurs, Psaumes 95.7-8. Car comment pourrait-on excuser l’obstination de ceux qui laissent passer cette tant bonne occasion, quand Dieu les convie si doucement à soi, et les appelle si bénignement ? Cependant nous recueillons de ce passage, a quelle fin l’Evangile est prêché ; à savoir afin que Dieu nous retirant des fautes et erreurs de notre première vie, il nous recueille à soi. Toutes les fois donc que la voix de l’Evangile résonne à nos oreilles, sachons que Dieu nous exhorte à repentance. Il nous faut aussi noter, que Paul dit que c’est Dieu qui parle et dénonce, soit déjà qu’il fasse cela par les hommes. Car l’Evangile n’a point pleine autorité, telle que mérite la vérité céleste, sinon alors que notre foi regarde à lui, et le considère auteur du ministère, dépend de sa bouche.

17.31

parce qu’il a arrêté un jour auquel il doit juger le monde avec justice, par l’homme qu’il a établi pour cela, ce dont il a fourni à tous une preuve certaine en le ressuscitant d’entre les morts.

Il fait mention du dernier jugement, pour réveiller la paresse des hommes. Car nous savons combien il est difficile aux hommes de renoncer à eux-mêmes. Et pourtant il est nécessaire qu’ils soient contraints par violence à se repentir. Cela ne se peut mieux faire, que quand ils sont convoqués devant le siège judicial de Dieu ; et quand on leur propose ce jugement horrible, lequel ils ne peuvent ne mépriser ni fuir. Souvenons-nous donc que lors la doctrine de pénitence est proposée dûment, quand les hommes qui naturellement se voudraient bien flatter, sont réveillés par la crainte du jugement de Dieu ; et que nuls ne se peuvent glorifier d’être des docteurs capables de l’Evangile, s’ils ne sont hérauts ou sergents du grand Juge, pour convoquer devant lui les coupables, et leur annoncer le jugement qui leur est apprêté. Et ce n’est point sans cause qu’il a ajouté ce mot, Avec justice, ou justement. Car soit déjà que tous hommes confessent bien de bouche, que Dieu est juste Juge, tant il y a toutefois que nous voyons comment ils se flattent volontiers. Car ils ne permettent point à Dieu de leur faire rendre compte outre leur connaissance et raison. S. Paul donc signifie que les hommes ne profitent de rien par leur vaines flatteries ; car par ce moyen ils n’amoindriront point à la justice de Dieu, laquelle enseigne que tout ce qui semble grand et excellent aux hommes, n’est qu’abomination devant Dieu ; car il ne suivra pas les arrêts des hommes, mais ceux que lui aura dictés.

Par l’homme qu’il a déterminé. Il n’y a nulle doute que saint Paul n’ait tenu plus longs propos de Christ, afin que les Athéniens sachent qu’il était le Fils de Dieu, par lequel le salut a été apporté au monde, et auquel toute puissance était donnée tan au ciel qu’en la terre ; autrement la harangue telle qu’elle est ici contenue, eût été bien maigre pour persuader. Mais saint Luc s’est contenté de toucher en bref la somme du sermon de saint Paul. Toutefois il est vraisemblable que Paul a premièrement parlé de la grâce de Christ, et qu’il l’a déclaré être Rédempteur du monde, avant qu’il le constituât pour Juge. Mais pour ce que souvent fois Christ est en mépris quand il se présente pour Rédempteur, saint Paul annonce maintenant, qu’un jour il fera la vengeance d’un tel mépris plein d’impiété ; d’autant que tout le monde doit être Jugé par lui. Ce mot Déterminé, se peut rapporter tant au conseil étroit de Dieu, qu’à la manifestation extérieure. néanmoins pour ce que la première exposition est plus reçue, je la suis volontiers ; à savoir que Dieu par son décret éternel a ordonné son Fils pour être Juge du monde, et ce afin que les réprouvés, lesquels refusent d’être sous l’empire de Christ, sachent qu’ils combattent en vain contre le décret et arrêt inviolable de Dieu. Au reste, pour ce qu’il n’y a rien plus contraire au sens commun des hommes, que de dire que Dieu doit juger en la personne d’un homme, saint Paul ajoute que cette dignité de Christ, laquelle serait bien difficile à croire, a été approuvée par sa résurrection. Il est certain que la seule volonté de Dieu devrait être en telle révérence entre nous, qu’un chacun sans aucun délai devrait souscrire à ses sains décrets et ordonnances ; mais pour ce que bien souvent les hommes se couvrent et excusent de leur ignorance, saint Paul exhorte expressément, que Jésus-Christ a été manifestement déclaré être le Juge du monde par sa résurrection ; et a été clairement montré devant les yeux du monde ce que Dieu avait auparavant déterminé de lui en soi-même. Car ce point de doctrine que S. Luc ne fait que toucher en bref a été amplement traité par saint Paul. Il n’a point dit en un mot seulement, que Jésus-Christ est ressuscité des morts ; mais en même temps il a traité de la vertu de sa résurrection, comme il était bien convenable. Car à quelle fin Christ est-il ressuscité, sinon qu’il fût les prémices de ceux qui ressuscitent ? 1 Corinthiens 15.23. Et nous, à quelle fin ressusciterons-nous, si ce n’est à vie ou à mort ? Dont il s’ensuit que Jésus-Christ a été déclaré et approuvé être le juge du monde par sa résurrection.

17.32

Mais quand ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres dirent : Nous t’entendrons là-dessus encore une autre fois.

Nous voyons par ceci, de quelle stupidité les hommes sont abrutis ; vu qu’ils ne peuvent être émus d’aucune crainte, ni par le siège judicial de Dieu, ni par la majesté même du souverain Juge. Nous avons bien remontré que c’est un aiguillon piquant pour poindre les cœurs des hommes à craindre Dieu, quand son jugement est mis devant les yeux ; mais il y a une obstination si endurcie chez les contempteurs, qu’ils ne font difficulté d’estimer comme une fable ce qui est dit, qu’il faut rendre compte de la vie passée. Toutefois les Ministres de l’Evangile ne doivent laisser pour cela d’annoncer le jugement de Dieu, comme il leur est enjoint. Que les méchants se moquent et rient tant qu’ils voudront, si est-ce que cette doctrine laquelle ils s’efforcent d’anéantir, les étranglera, en sorte qu’ils sentiront finalement, qu’ils n’auront rien gagné de combattre contre leur condition. Et il ne se faut point s’étonner si cette partie du sermon de saint Paul a été ridiculisée en la ville d’Athènes. Car c’est un secret caché aux entendements des hommes, duquel non pas même les plus grands Philosophes n’ont jamais rien pu comprendre en leurs cerveaux ; et de nous, nous ne le pouvons autrement comprendre, que quand nous élevons les yeux de notre foi à la puissance infinie de Dieu. Toutefois la prédication de saint Paul n’a point été inutile ; car il y en a eu certains entre les auditeurs, qui ont désiré de s’instruire. Car quand ils disent qu’ils veulent entendre Paul derechef, ils signifient que combien qu’ils n’aient encore pleine persuasion, néanmoins ils ont quelque goût, qui les sollicite à désirer de profiter. Tant y a que ce désir était un mouvement contraire au dédain et mépris.

17.33

C’est ainsi que Paul sortit du milieu d’eux.

17.34

Mais quelques hommes s’étant attachés à lui, crurent, entre lesquels aussi Denys, l’Aréopagite, et une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux.

Quant à ce que saint Luc nomme seulement un homme et une femme, il apparaît que du commencement il y avait petit nombre de croyants. Car les autres desquels il a parlé demeuraient comme entre deux. Ils ne méprisaient pas en tout et par tout la doctrine de S. Paul ; mais aussi ils n’étaient si bien touchés à bon escient qu’ils s’adjoignissent à lui pour disciples. Il nomme Denis entre tous les autres, d’autant qu’il était en grande autorité en la ville. Par quoi il est vraisemblable que Damaris aussi était des plus honorables femmes. Au demeurant, c’est une chose digne de moquerie, que de ce Denis qui était juge, les Papistes en ont fait un astrologue. Mais il faut imputer ceci en partie à leur ignorance, en partie aussi à leur audace ; lesquels ne sachant point que voulait dire Aréopagus, se sont donné une licence de forger ce qu’ils ont voulu. Mais la barbarie de ceux qui attribuent à ce Denis les livres de la Hiérarchie céleste et Ecclésiastique, et des noms divins, est par trop sotte et lourde. Car le livre de la Hiérarchie céleste non seulement est rempli de plusieurs badinages et rêveries monacales, mais aussi de plusieurs inventions absurdes et méchantes spéculations. Et les livres de la Hiérarchie Ecclésiastique montrent assez clairement eux-mêmes, qu’ils ont été composés fort longtemps après, quand la pureté de la religion Chrétienne était déjà corrompue de grand amas de cérémonies. Et quant au livre des noms divins, combien qu’il contienne des choses lesquelles on ne doit pas complètement rejeter, néanmoins il est plus subtil que religieux.

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