La première règle de conduite du pasteur à l’égard des partis religieux qui peuvent se trouver dans sa paroisse, soit qu’ils restent à l’état de simples partis, soit qu’ils forment des communautés, c’est de prêcher l’Evangile avec assez de simplicité, de cordialité et de pureté pour attirer vers cette forme de la doctrine chrétienne. Les cœurs et les esprits droits. Une telle situation avertit le pasteur de n’avoir, autant que possible, d’autre couleur que celle de la pure lumière. Il y a peu de cas, il n’y en a peut-être point où la chaire doive polémiquer. L’erreur fuit devant la vérité, comme les ténèbres de la nuit devant la lumière du jour. Au fond, les ténèbres ne sont rien, la lumière seule est quelque chose ; dire la vérité, c’est remplir un vide ; l’erreur est l’absence de la vérité. Qu’on se fie peu aux moyens négatifs ; qu’on ne croie pas avoir bâti parce qu’on a fait des ruines, ni avoir édifié parce qu’on a convaincu. Le premier, le plus naturel, et souvent l’unique effet de ces victoires, c’est l’impatience et l’irritation du parti vaincu. La vérité est une vertu, une puissance ; on a tout fait quand on l’a fait sentir. Virtutem videant[k].
[k] Qu’ils voient la vertu ! (Perse, Satire III, vers 38.)
Il faut donner à nos paroissiens l’exemple du support et de l’équité, et tout en leur faisant valoir, non par des raisonnements, mais par des faits, l’avantage qu’il peut y avoir à appartenir à notre communauté plutôt qu’à une autre, leur apprendre à aimer la vérité plus que leur Eglise, et l’image de Christ plus que leurs habitudes. Mais sans doute il suffit bien pour cela de la première règle que nous avons donnée, et de rapports aussi bienveillants et intimes avec les dissidents, (je prends ce mot dans un sens très général,) que le comporte la sympathie religieuse qui est entre eux et nous. Ce qui passerait au delà, c’est-à-dire ce qui irait à faire croire que nous ne sommes pas même de notre parti et pour ainsi dire de notre avis ; ce qui donnerait lieu de supposer que, sous le nom d’appartenir à une communauté, nous appartenons de cœur à une autre, et que des considérations d’intérêt personnel ou de crainte humaine nous empêchent seules de nous joindre à elle, serait un scandale à notre troupeau et compromettrait notre ministère.
A prendre le mot de prosélytisme dans son sens le plus général, il serait presque ridicule de demander si le prosélytisme est permis aux pasteurs, dont c’est, à vrai dire, le devoir essentiel et l’office tout entier. Mais on peut demander, même en se tenant au sens le plus général du mot, s’il n’y a pas de certaines règles à observer, une certaine mesure à garder ; et puis on peut demander si ce prosélytisme qui a pour but de faire passer un individu d’une secte dans une autre est légitime et recommandable. Pour commencer par la seconde question, nous dirons que la conversion d’une secte à l’autre (prosélytisme ecclésiastique) ne peut jamais être le but immédiat du ministre, ni d’aucun chrétien raisonnable ; mais aussi on ne peut nier que quand on travaille à faire d’un homme un chrétien, on prétend le faire chrétien dans le sens où on l’est soi-même, et qu’il ne faut dissimuler, cette conséquence ni à soi-même ni aux autres. Un homme acquis à notre doctrine par nos enseignements peut ne pas se sentir pressé de passer de sa communauté dans la nôtre, c’est-à-dire d’abjurer formellement. Si c’est une simple illusion, il faut attendre patiemment que plus de lumière la dissipe ; si c’est crainte humaine, il n’y faut pas conniver, et il faut s’expliquer franchement à ce sujet, mais sans presser le néophyte de faire la démarche à laquelle il répugne. En éclairant toujours mieux sa conscience, on lui fera peu à peu un impérieux besoin de cet acte de franchise.
Quant au prosélytisme spirituel, qui a pour but d’amener les hommes à Dieu, nous sommes tous d’accord avec saint Paul, qu’il faut insister en temps et hors de temps, (2 Timothée 4.2) mais non certes à contretemps. La brusquerie et l’impétuosité ne sont jamais de saison, et il est difficile que quand on ne se borne pas à attendre les occasions ou à les faire naître, mais qu’on les crée ou, pour mieux dire, qu’on s’en passe, on ne soit pas brusque et impétueux, et par conséquent plus irritant que persuasif. Si l’on croit ne devoir pas regarder à cela, alors il faut aller plus loin encore que l’on ne va, il faut arrêter les passants dans les rues, faire invasion dans leurs maisons ; introduire, toute affaire cessante, la question de salut dans toutes les questions ; rompre en visière, et constamment, à tout le genre humain. Je crois qu’à épier les occasions, à les bien employer, à mûrir son œuvre, on a de quoi remplir tout son temps, et qu’il y a, somme toute, plus d’effet et un effet plus étendu à attendre de cette méthode que de tant de coups multipliés portés à droite et à gauche sans discernement et sans application. Plus on avance dans la vie, plus on pense, d’accord avec Saint-Martin, que le bruit ne fait pas de bien, et que le bien ne fait pas de bruit. Il ne faut pas mépriser les eaux de Siloé qui coulent doucement. (Esaïe 8.6) [Il ne faut donc ni courir à l’aventure ni frapper en l’air. (1 Corinthiens 9.26) Mais on doit éviter avec non moins de soin une manière tortueuse d’aborder les sujets religieux, d’amener la conversation sur le sujet que l’on a en vue. Il peut y avoir une habileté candide ; mais les ruses de guerre n’ont jamais rien valu. Jésus-Christ et les apôtres ne s’en sont jamais servis ; ils agissaient avec simplicité, et, à cet égard aussi, nous devons les prendre pour modèles.]