« La Bible d’Olivétan, dit M. Reuss (1866), doit être considérée comme la base de toutes les éditions, recensions ou versions, comme on voudra les appeler, reçues depuis dans les Églises protestantes de langue française… C’est de cette première édition ou traduction protestante en langue française que dérivent par une longue série de transformations, quelquefois radicales, toutes les autres qui ont été en usage, bien que celles-ci, dans leurs différentes formes actuelles, ne conservent plus guère de traces de leur origine. »
La Bible d’Olivétan fut révisée une première fois par Calvin, ou sous sa direction (1560). Calvin trouvait la traduction de son cousin « rude et aucunement éloignée de la façon commune et reçue ». Dans la préface de cette Bible, Calvin écrit ceci : « Mon désir serait que quelqu’un ayant bon loisir et étant garni de tout ce qui est requis à une telle œuvre, y voulût employer une demi-douzaine d’ans, et puis communiquer ce qu’il a fait à gens entendus et experts, tellement qu’il fût bien revu de plusieurs yeux ». Malheureusement, ni cet homme ayant bon loisir, ni cette demi-douzaine d’ans, ne se sont trouvés pendant trois siècles et demi.
La Bible d’Olivétan fut révisée une seconde fois par Théodore de Bèze, en 1558. Les modifications des révisions de 1560 et de 1588 sont souvent des retouches malheureuses qui trahissent d’une manière trop évidente des préoccupations de controverse[a].
[a] Voir le fragment : Inexactitudes dans les traductions protestantes du Nouveau Testament.
La Bible de 1588 fut réimprimée pendant cent ans, à Lyon, à Caen, à Paris, à La Rochelle, à Sedan, à Niort, en Hollande, à Bâle, et dans la Suisse française. Elle survécut telle quelle, malheureusement, à la modification profonde que subit la langue française dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Déjà alors son langage était suranné, preuve en soit le trait suivant, raconté par Bayle. C’était en 1675.
« Un conseiller de Sedan, catholique, fort honnête homme et fort savant, me contait, il y a environ un mois, que M. l’archevêque de Reims, ayant envoyé quelques-uns de son clergé à Sedan pour des affaires ecclésiastiques, ils furent curieux d’entendre prêcher M. Jurieu, un jour d’imposition des mains. Ils furent fort satisfaits de sa science et de son langage en général, mais ils trouvèrent des expressions insupportables, comme guerroyer le bon combat — l’iniquité d’Ephraïm est enfagottée — c’est un enfant qui n’est pas sage — il ne tient pas le temps en la brèche des enfants — offrir les bouveaux de nos lèvres. C’étaient des citations bibliques : 2 Timothée 3.6 ; Osée 12.12-13 ; 14.2. Ils le trouvèrent incompréhensible, voyant d’un côté qu’il avait un style fort pur et fort éloquent, et de l’autre qu’il avait de si méchantes phrases ».
En 1676, le grand Claude prit l’initiative d’une version nouvelle. Il comprenait que la Bible des protestants devait enfin parler la langue du grand siècle. Claude, chose remarquable, pour assurer l’impartialité de l’œuvre, demanda le concours du savant Richard Simon, prêtre à l’Oratoire, qui, chose non moins remarquable, accepta. La traduction était assez avancée quand la Révocation de l’édit de Nantes arrêta net l’entreprise. « Le crime de Louis XIV, dit M. Stapfer, fut fécond en conséquences secondaires, toutes plus néfastes les unes que les autres. En voilà une et des plus graves. Si nous portons encore aujourd’hui le joug des révisions, nous le devons à la Révocation de l’édit de Nantes[b]. »
[b] Revue chrétienne, 1900, p. 433, 434.
Les révisions reprirent de plus belle et, malheureusement, se firent, comme par le passé, à l’étranger. A la fin du dix-septième siècle, le Synode des Églises wallonnes confia à David Martin la tâche de mettre au point la Bible française, devenue presque illisible.
David Martin, né à Revel (Haute-Garonne) en 1639, avait fait ses humanités à Montauban et à Nîmes, et sa théologie à Puylaurens (Tarn). Il était très fort en hébreu et sur les questions bibliques. Consacré à Mazamet, en 1633, il fut pasteur à Espérausses, puis à Lacaune (Tarn). Très modeste, comme son prédécesseur Olivétan, il refusa successivement l’église de Millau et une chaire de théologie à Puylaurens. Quand, à la Révocation, le temple de Lacaune fut fermé, David Martin, au lieu de passer à l’étranger, essaya de continuer son ministère, malgré les dragons. Il allait être arrêté, quand des catholiques lui fournirent le moyen de s’enfuir et cachèrent sa famille, qui le rejoignit plus tard. En 1685, il fut nommé pasteur à Utrecht et refusa plus tard la chaire de théologie la plus importante des Pays-Bas, celle de La Haye. Il fut correspondant de l’Académie française et enseigna chez lui la philosophie et la théologie à des fils de princes. Il mourut en 1721, frappé en chaire, à quatre-vingt-deux ans, du mal qui l’emporta deux jours après.
Tel fut l’homme pieux, modeste et savant, qui donna son nom à l’une des révisions les plus consciencieuses et les plus durables du travail d’Olivétan. Le Nouveau Testament parut en 1696, et la Bible entière en 1707. Martin, craignant sans doute de dérouter ses lecteurs par trop de changements, écrasé par ce que M. Stapfer appelle le joug des révisions, ne corrigea pas assez. Voici comment il rend le passage Éphésiens 4.16 :
Christ, duquel tout le corps bien ajusté et serré ensemble par toutes les jointures du fournissement, prend l’accroissement du corps selon la vigueur qui est dans la mesure de chaque partie, pour l’édification de soi-même en charité.
« Le mot de galimatias, dit M. Stapfer, est le seul qu’on puisse ici prononcer, et il est vraiment étrange qu’en 1696, c’est-à-dire au moment où la langue française était parlée avec une incomparable pureté, au lendemain du français de Bossuet et à la veille du français de Voltaire, on ait osé imprimer des phrases pareilles. Il est pénible de penser que nos pères n’avaient pas de Bibles plus correctes et plus françaises à étudier et à lire. »
La traduction de Martin était accompagnée de notes abondantes et excellentes, où se retrouve toutefois la préoccupation de justifier les personnages bibliques. Ainsi, à propos du mariage de Salomon avec une princesse égyptienne, nous apprenons que la défense d’épouser des femmes païennes ne s’appliquait qu’aux Cananéennes et à celles qui ne se feraient pas prosélytes, et que la fille de Pharaon dut très probablement embrasser la religion israélite en épousant Salomon.
Le besoin d’une révision se fit bientôt sentir, surtout en Suisse. En 1736 parut une révision de la Bible de Martin, par Pierre Roques, pasteur à Bâle, natif de Lacaune (Tarn), et en 1746 une autre, par Samuel Scholl, pasteur à Bienne. Mais la révision d’Ostervald fit oublier les révisions de Roques et de Scholl.
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